E. DES CONTRATS « VERTICALISÉS » OU « GLOBALISÉS » DE MAINTENANCE QUI ONT PRODUIT DES RÉSULTATS POUR CERTAINES FLOTTES, MAIS QUI PRÉSENTENT AUSSI DES ÉCUEILS

1. Des contrats qui présentent des atouts réels

Les auditions menées par le rapporteur spécial ont été l'occasion de constater que la plupart des personnes entendues ont relevé l'efficience des contrats « verticalisés » ou « globalisés » en matière de maintenance des matériels militaires. Au rang des avantages constatés, plusieurs éléments principaux se démarquent ainsi.

En premier lieu, la verticalisation des contrats a effectivement réduit significativement le nombre de contrats de maintenance pour les flottes concernées, réduisant le travail d'interface pour la maîtrise d'ouvrage déléguée (SIMMT, SSF, DMAé) entre les différents mainteneurs, qui était couteuse en temps pour les services et source d'inefficiences. Il a ainsi pu être estimé, sur un échantillon de 12 flottes, que le nombre de contrats de maintenance conclus par matériel a été divisé par 10 environ, les titulaires des contrats étant chargés de maîtriser leur chaîne de sous-traitance. Josselin Droff, chercheur au sein de la chaire Économie de Défense de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) indique ainsi dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial que « globalement, on est ainsi passé d'une moyenne de 19 contrats par matériel à 2 contrats ».

Nombre de contrats de maintenance conclus par matériels,
avant et après la « verticalisation »

(en jours ou en heures selon le cas)

Source : Josselin Droff, chercheur, Chaire Économie de Défense, IHEDN

En deuxième lieu, les contrats verticalisés auraient un avantage très concret pour les armées s'agissant du MCO : la conclusion de contrats verticalisés leur garantit de disposer d'une maintenance de relativement long terme, les autorisations d'engagement correspondantes devant être ouvertes dès la signature du contrat, les crédits de paiement correspondants étant ensuite ouverts par tranche annuelle. Ces contrats répondent donc en partie à l'inquiétude des armées qui ont depuis longtemps la crainte structurelle de ne pas disposer des crédits suffisants pour assurer le MCO de leurs matériels.

En troisième lieu, la durée relativement longue des contrats verticalisés est plus favorable à une prise en compte des nécessités de maintenance à moyen ou long terme par le mainteneur par rapport à la situation antérieure (affermissement successif de tranches annuelles). En outre, cette durée relativement étendue aurait effectivement permis de donner aux industriels la visibilité nécessaire pour maîtriser leur plan de charge et leurs investissements, minimiser les risques, et optimiser les coûts dans la durée.

En dernier lieu, la plupart des personnes entendues ont mis en avant les résultats obtenus en termes de niveau de disponibilité et d'activité des matériels concernés par les contrats verticalisés. Les niveaux de disponibilité du Rafale, du Mirage 2000 et des hélicoptères Tigre, Panther et Fennec auraient ainsi notamment connu une nette hausse. Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, la disponibilité des Rafale de l'armée de l'air et de l'espace serait de 3,9 % supérieure à celle de 2018 (avant la verticalisation des contrats de maintenance), alors que des avions ont par ailleurs été prélevés pour l'export, tandis que celle des Rafale de la marine nationale aurait augmenté de 12,2 % sur la même période79(*). En outre, les Rafale ont été utilisés de façon plus intense pour compenser la réduction du parc, dans un cadre prévu par le contrat verticalisé. S'agissant des hélicoptères Fennec, alors qu'en 2018, l'armée de terre avait réalisé 2 500 heures d'activité, elle en aurait effectué 3 655 heures en 2019 et 4 000 heures en 2020. Entre 2018 et 2021, le coût à l'heure de vol sur ces hélicoptères aurait été divisé par deux et le taux de disponibilité multiplié par deux80(*).

2. Des contrats qui présentent également des écueils

Si le rapporteur spécial est convaincu du fait que les contrats verticalisés présente des avantages certains, ses travaux l'incitent néanmoins à en nuancer le bilan.

Tout d'abord, si la disponibilité de certains matériels s'est améliorée grâce à la mise en place de contrats verticalisés, il n'en demeure pas moins que les chiffres globaux de DTO présentés supra n'ont, en moyenne, pas connu d'amélioration jusqu'en 2022. Si tous les contrats verticalisés n'avaient pas eu le temps de produire leurs effets à cette date, il semble qu'au regard du périmètre large des flottes concernées par la verticalisation, l'absence de dynamique favorable en moyenne pour la DTO invite à relativiser les progrès. De manière plus précise, les travaux du rapporteur spécial ont été l'occasion de constater qu'un certain nombre de contrats verticalisés ne produisent pas les résultats attendus, notamment ceux qui concernent les flottes de d'ATL 281(*) et d'hélicoptères NH90.

Le programme d'hélicoptères NH90

Le programme d'armement NH90 recouvre, d'une part, les hélicoptères NFH (NATO frigate helicopter) de lutte en mer contre les menaces maritimes et sous-marines (version navale) et, d'autre part, les hélicoptères TTH (tactical transport helicopter) pour la fonction aéromobilité (version terrestre).

Le programme NH90 a été lancé en 1992 par la France, l'Allemagne, l'Italie et les Pays-Bas. Ces pays ont été rejoints en 2001 par le Portugal (qui s'est retiré du programme NH90 en décembre 2014) et en 2006 par la Belgique ; ils composent la Nahema (NATO Helicopter Management Agency).

Un mémorandum d'entente (MoU) dénommé « Communauté NH90 » a été signé en 2004 pour permettre aux États de coopérer notamment dans le domaine du soutien. La « Communauté NH90 » regroupe aujourd'hui les membres de la Nahema et neuf autres nations ayant acquis l'hélicoptère (Australie, Finlande, Grèce, Norvège, Suède, Nouvelle-Zélande, Oman, Qater et Espagne), soit 14 pays au total.

Le maître d'oeuvre est le consortium NH Industries, propriété des sociétés Airbus Helicopters, Leonardo et Fokker Aerostructures.

La Nahema a signé le 23 mai 2022 au nom de la France et de l'Allemagne, avec le même consortium, le nouveau contrat de soutien opérationnel du NH90.

Source : ministère des armées et commission des finances

Les hélicoptères NH90 connaissent ainsi d'importantes difficultés en termes de disponibilité, en particulier dans leur version marine. À ce jour, moins d'un tiers des hélicoptères de la version navale est en effet disponible82(*), tandis que les durées de visite de maintenance sont deux fois plus longues que cela avait été anticipé initialement.

Selon les informations recueillies, plusieurs raisons expliquent ces difficultés. En premier lieu, l'organisation industrielle apparaît complexe voire problématique, au moins deux des trois entreprises étant en réalité en concurrence sur de nombreux marchés, ce qui nuit significativement à leur coordination en termes de maintenance. En outre, les pièces de rechange spécifiques aux NFH sont pour une part importante disponibles en trop faibles quantités, ce qui s'explique en partie par le fait que le programme d'armement NH90 a été déployé en trop petit nombre en Europe. Par ailleurs, la conception du NFH n'a pas suffisamment intégré les enjeux liés à l'utilisation de l'hélicoptère en atmosphère saline, laquelle corrode fortement les matériels. Enfin, s'y ajoutent les enjeux liés aux difficultés de coordination entre pays acheteurs à l'échelle européenne.

Si le rapporteur spécial constate que des efforts sont produits par les armées pour trouver des solutions, un groupe de travail État/industrie ayant notamment été mis en place, le taux de disponibilité des hélicoptères NH90 reste très faible. Il est d'ailleurs inférieur aux « besoins de la marine pour conduire l'ensemble des activités opérationnelles et d'entraînement »83(*).

Ensuite, la « verticalisation » ou la « globalisation » des contrats présente des risques qui lui sont intrinsèques. Trois risques principaux peuvent être identifiés.

Le premier risque de ces contrats est qu'elle est susceptible de générer un renchérissement par rapport à l'éclatement des contrats antérieurs, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le titulaire du contrat porte le risque tenant au respect des objectifs fixés par le contrat verticalisé (selon les cas, en termes d'heures d'utilisation des matériels, de disponibilité, de fourniture dans les délais des stocks, etc.) et ce pour ce qu'il produit lui-même mais également pour tout ce qu'il sous-traite, à tous les échelons (sous-traitants de rang 1 mais également de rangs 2, 3, etc.). Ce transfert du risque depuis l'État vers l'industriel maître d'oeuvre principal présente par principe un coût, que l'industriel intègre dans les marges qu'il se réserve dans le contrat. Ensuite, le système verticalisé implique un empilement d'entreprises de rangs différents, chacun prenant une marge additionnelle sur les prestations ou les matériels fournis par le rang inférieur. Il en découle un empilement des marges par rapport à une situation d'éclatement des marchés de maintenance. Enfin, la négociation de ces marchés globaux est particulièrement ardue pour les services de l'État, générant un risque d'accepter un prix supérieur à ce qui serait légitime, en dépit des efforts fournis.

Le deuxième risque tient à la compétence industrielle des services de l'État et à la qualité de ses relations avec la BITD. D'une part, la réactivité des industriels face aux demandes des armées dépend en partie de la qualité de la relation qu'il entretient avec les forces. À cet égard, la proximité entre les armées et l'industrie permet à cette dernière de mieux prendre en compte et anticiper les besoins des forces. Or la « verticalisation » des contrats, qui se traduit par la définition d'un interlocuteur unique (ou de deux ou trois interlocuteurs) pour les armées pour chaque équipement, peut avoir pour conséquence de rompre ce lien direct qu'elles entretiennent avec certains industriels, cantonnés à leur place de sous-traitant. D'autre part, la globalisation des contrats de MCO est associée à un élargissement du périmètre d'externalisation de la maintenance, ce qui présente le risque de réduire le spectre de compétences des services industriels de l'État, en particulier pour les matériels sophistiqués.

Le dernier risque tient aux stocks de pièces détachées pour les différents matériels militaires. La globalisation des contrats de maintenance a conduit à adopter une logique de flux tendu, avec une constitution minimale de stock. Si cette évolution a toutefois été opportunément tempérée plus récemment, notamment à l'occasion des évolutions géostratégiques84(*) qui rendent les stocks indispensables, le fait est que les forces armées disposent aujourd'hui de peu de stocks, que ce soit au sein de l'État ou chez les industriels privés pour un nombre significatif de matériels militaires.

3. Des contrats dont il conviendrait de faire un bilan complet, notamment financier

Si un bilan général des atouts et écueils des contrats verticalisés ou globalisés a ainsi pu être réalisé par le rapporteur spécial, un bilan financier ou d'efficience de ces contrats est en revanche hors de portée en l'état des données qui lui sont rendues disponibles, que ce soit d'un point de vue global ou par contrat.

En premier lieu, le coût de l'ensemble de ces contrats n'est en effet pas connu. Il n'existe pas même de liste complète de ces contrats, à la connaissance du rapporteur spécial, le périmètre de définition des contrats verticalisés n'étant pas totalement fixé, notamment s'agissant des contrats équivalents dits de « pièces et mains d'oeuvre » conclus par la marine nationale.

En second lieu, il n'est pas possible, pour le rapporteur spécial, de faire un bilan d'efficience des contrats identifiés par rapport aux autres modalités de maintenance (contrats avec différents industriels, maintenance par les services étatiques, etc.), en raison du caractère lacunaire des informations disponibles de manière générale sur le coût du MCO en dépenses de personnel (programme 212) et en dépenses de soutien initial (programme 146)85(*). En outre, une difficulté supplémentaire d'analyse vient du fait qu'une partie notable des contrats globalisés récents ont inclus une reconstitution du stock de pièces et d'équipements de rechanges, générant des coûts afférents nécessairement significatifs.

Le rapporteur spécial estime qu'il est nécessaire que le ministère des armées réunisse suffisamment d'informations pertinentes, notamment financières, pour procéder à un premier bilan précis et étayé des contrats « verticalisés » ou « globalisés », par milieux. Celui-ci serait particulièrement utile pour établir une doctrine pour leur utilisation, dans un cadre géostratégique renouvelé86(*).

Recommandation n° 1 : Procéder à un bilan complet, y compris financier, des contrats de maintenance externalisée confiés à un maître d'oeuvre industriel principal (contrats dits « verticalisés » ou « globalisés »), par milieux : aéronautique, naval et terrestre (état-major des armées (EMA), Direction générale de l'armement (DGA), Secrétariat général pour l'administration du ministère des armées (SGA)).


* 79 Réponses au questionnaire du rapporteur spécial.

* 80 Réponse au questionnaire spécial de Josselin Droff, chercheur, Chaire Économie de Défense, Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).

* 81 Avions Atlantique 2 de lutte anti sous-marine.

* 82 Le chiffre exact est confidentiel.

* 83 Réponse de l'état-major de la marine au questionnaire du rapporteur spécial.

* 84 Voir infra.

* 85 Voir supra.

* 86 Voir infra.

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