N° 4

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 octobre 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le maintien
en
condition opérationnelle des équipements militaires,

Par M. Dominique de LEGGE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial des crédits de la mission « Défense », a présenté le mercredi 2 octobre 2024 les conclusions de son contrôle sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) des équipements militaires.

I. LE MCO DES MATÉRIELS MILITAIRES, UNE FONCTION STRATÉGIQUE QUI A CONNU DES RÉFORMES

A. LE MCO, UNE FONCTION STRATÉGIQUE IMPLIQUANT DIFFÉRENTS ACTEURS

Alors que les « programmes d'armement » visent à acquérir de nouvelles capacités, le MCO assure la disponibilité et le caractère opérationnel du parc existant, et donc des forces armées. Il remplit ainsi une fonction stratégique, qui est d'ailleurs d'autant plus cruciale que les parcs de matériels ont connu un fort rétrécissement dans les dernières décennies.

Le MCO renvoie à la maintenance des matériels, mais également à leur montée en technicité, à la gestion de leurs configurations et à leur soutien logistique (approvisionnement, magasinage et ravitaillement des pièces, etc.). Il concerne l'ensemble du spectre des équipements militaires, qu'ils soient matériels (navires, aéronefs, munitions, etc.) ou immatériels (systèmes d'information), les trois armées et l'ensemble des milieux (air, mer, terre, fonds marins, espace, internet, etc.).

Architecture générale du MCO des matériels militaires1(*)

Source : commission des finances, d'après les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial

Dans le cadre de la « stratégie de soutien » établie au moment de l'acquisition des matériels, le MCO de ces derniers est réparti entre un soutien « initial » et un soutien « en service ». Le premier est intégré au programme d'acquisition : équivalent à une garantie, il relève de la responsabilité de l'industriel, en moyenne pour 3 ans. Ensuite, le soutien « en service » prend le relais.

L'exécution du MCO peut être confiée, en fonction de l'ampleur de la maintenance, à trois types d'acteurs : les forces armées opérationnelles, les services étatiques et les industriels privés2(*).

B. LA STRUCTURE ÉTATIQUE DU MCO A ÉTÉ RÉFORMÉE ET UNE « VERTICALISATION » DES CONTRATS DE MAINTENANCE A ÉTÉ OPÉRÉE

Le début des années 2000 a été marqué par une « crise de disponibilité » des matériels. Dans ce contexte, les services responsables du MCO ont été progressivement réorganisés, notamment afin de rationaliser l'organigramme et de permettre une gestion interarmées des équipements.

Une réorganisation du système de MCO visant à favoriser une gestion interarmées des matériels

Ont ainsi été mis en place, auprès des états-majors des armées, trois structures « de soutien » qui portent aujourd'hui le nom de SSF, SIMMT et DMAé3(*) et ont la charge du suivi et de la performance du système de MCO. Chacun de ces services de soutien est compétent pour les équipements relevant de son milieu (terrestre, aéronautique et naval), quelle que soit l'armée de rattachement effectif du matériel : la DMAé est par exemple en charge de la maintenance des aéronefs, même lorsqu'ils sont rattachés à la marine nationale ou à l'armée de terre.

En outre, les modalités d'externalisation de la maintenance aux industriels privés ont été modifiées dans le cadre de ce que l'on a qualifié, à partir de 2017, de « verticalisation » ou « globalisation » des contrats. Celle-ci consiste à confier à un maître d'oeuvre principal, par des contrats de longue durée, un périmètre d'action couvrant l'intégralité du soutien d'un parc donné, à charge pour lui de gérer les interfaces entre ses sous-traitants. Cette stratégie vise à réduire le nombre de contrats pour une même flotte afin de minimiser les interfaces entre co-traitants et de responsabiliser davantage les industriels en leur fixant des objectifs précis (en termes notamment de disponibilité des matériels) et en les rémunérant en fonction des résultats atteints.

Une « verticalisation » qui s'est accentuée après 2017

Si les contrats verticalisés sont en réalité déployés dès les années 2000 pour ce qui concerne la marine nationale4(*), leur utilisation a été fortement développée à compter de 2017, en particulier dans le milieu aéronautique. À titre d'illustration, le MCO des flottes des avions Rafale, Mirage 2000 et A400M, des hélicoptères Tigre et Fennec, des frégates multi-missions ou encore des chars Leclerc fait aujourd'hui l'objet de contrats verticalisés avec des industriels de la BITD.

II. DANS UN CONTEXTE D'AUGMENTATION DES COÛTS DE MAINTENANCE, LA DISPONIBILITÉ GLOBALE DES MATÉRIELS NE S'EST PAS AMÉLIORÉE, EN DÉPIT D'UNE HAUSSE DES CRÉDITS

A. UNE HAUSSE RÉCENTE DES CRÉDITS DÉDIÉS AU MCO, DANS UN CONTEXTE DE PROGRESSION DES COÛTS DE MAINTENANCE

Des crédits annuels de MCO significatifs (2024)

Des crédits en hausse notable de 2020 à 2024

Des crédits concentrés sur le milieu aéronautique

 
 
 

Hors dépenses de personnel et hors soutien « initial »

En volume (euros constants)

Au profit des trois armées

Sur le périmètre du soutien « en service »5(*), hors dépenses de personnel, les années récentes ont été marquées par une hausse nette des crédits. Depuis 2020, les crédits de paiement annuels dédiés à l'« entretien programmé du matériel » (EPM) ont augmenté de plus de 39 % en valeur (euros courants) et de 23,5 % en volume (euros constants). Cette hausse s'est faite au bénéfice des trois milieux.

En un an, de 2023 à 2024, la hausse du budget a été de 14 % en valeur (+ 775 millions d'euros), pour atteindre 6,31 milliards d'euros de crédits annuels au total.

Évolution des crédits dédiés à l'entretien programmé des matériels
par milieux6(*)

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

C'est le milieu aéronautique (quelle que soit l'armée de rattachement effectif des matériels), caractérisé par l'utilisation d'aéronefs par nature complexes et onéreux, qui concentre la majorité des crédits de MCO (58,5 %), devant les milieux naval (26,5 %) et terrestre (15,2 %).

Néanmoins, la portée de la hausse des crédits est limitée par le fait que les coûts moyens de maintenance ne cessent de progresser, ce qui s'explique notamment par la sophistication croissante des matériels militaires et par la hausse du coût des intrants.

En moyenne, les coûts de MCO représentent entre 45 % et 60 % du coût de possession global des matériels sur leur cycle de vie.

B. MALGRÉ DES EFFORTS RÉELS ET UNE MODERNISATION DU MCO, LES RÉSULTATS GLOBAUX OBTENUS DEMEURENT INSUFFISANTS, DU FAIT DE DIFFÉRENTS FACTEURS

Les efforts portés sur le MCO, notamment ces dernières années, ont produit des effets réels.

D'une part, le niveau de disponibilité de certains parcs d'équipements a progressé. Celui des Rafale version marine a ainsi par exemple augmenté de 12,2 % depuis 2018, tandis que pour les hélicoptères Fennec, le coût à l'heure de vol a été divisé par deux et le taux de disponibilité a été multiplié par deux entre 2018 et 2021.

D'autre part, le système de MCO connaît une modernisation progressive significative, tant dans ses principes que dans ses modalités concrètes. À titre d'exemple, alors que le système de MCO traditionnel est fondé sur des contrôles périodiques des matériels, certains équipements innovants, comme les avions Rafale, permettent de mettre en oeuvre une maintenance « conditionnelle », opérée en fonction de l'état réel du matériel, qui détecte ses propres avaries.

Évolution de la disponibilité technique opérationnelle (DTO)
de quatre équipements structurants de l'armée de terre

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Néanmoins, d'un point de vue global, les données fournies par l'indicateur de disponibilité technique opérationnelle (DTO)7(*) sont insatisfaisantes, et ce pour les trois armées. À fin 2022, sur les 21 matériels structurants répertoriés par l'indicateur, seuls 2 avaient une DTO supérieure à 90 %, correspondant à un niveau proche ou conforme aux contrats opérationnels, tandis que 12 avaient une DTO inférieure à 75 %, dont 2 en-dessous de 50 %.

Or, si ce constat d'une DTO générale insuffisante n'est pas nouveau et n'est pas spécifique à la France, il ne s'améliore pas d'un point de vue global sur la dernière décennie (depuis 2014), en dépit des efforts réalisés et de progrès pour certains types de flottes. À titre d'exemple, les niveaux de DTO des avions de chasse et des avions de transport tactique de l'armée de l'air ont baissé respectivement de 26,5 points et de 15 points par rapport à 2014.

Si cette situation a en partie été compensée par la capacité d'adaptation de nos forces armées (mobilisation de simulateurs, utilisation des chars sans faire tourner les moteurs, etc.), elle induit de facto des capacités réduites d'engagement, d'entraînement et de formation.

Cet état de fait peut être expliqué par différents facteurs, qui échappent largement au système de MCO en lui-même :

· un niveau élevé d'engagement de nos forces armées ces dernières années, qui constitue par nature une contrainte très forte pesant sur le MCO ;

· des parcs de matériels en partie hétérogènes et de générations différentes, réduisant la possibilité pour le MCO de s'appuyer sur des économies d'échelle ;

· des limites de capacités de maintenance au sein la BITD française et européenne ;

· des cessions non anticipées de matériels à des pays étrangers qui alourdissent les besoins en MCO des équipements restants dans le parc, davantage sollicités.

III. LES BOULEVERSEMENTS GÉOSTRATÉGIQUES NÉCESSITENT DE RÉHAUSSER LE MCO, VIA UNE STRATÉGIE GLOBALE, AU NIVEAU D'UN ÉVENTUEL ENGAGEMENT MAJEUR

A. LE FONCTIONNEMENT ET L'ÉCHELLE DU MCO ACTUEL NE RÉPONDENT PAS AUX NOUVELLES EXIGENCES GÉOSTRATÉGIQUES LIÉES À LA HAUTE INTENSITÉ

L'invasion de l'Ukraine lancée par la Russie le 24 février 2022 et la guerre qui se poursuit depuis lors ont confirmé un tournant géostratégique majeur, qui avait d'ailleurs déjà été amorcé depuis plusieurs années. Le risque d'« engagement majeur » et de conflit de « haute intensité », selon la terminologie utilisée par le ministère des armées, fait aujourd'hui partie des hypothèses sérieuses d'engagement des forces, nécessitant de s'y préparer.

Or, le système de MCO des armées n'est aujourd'hui pas adapté à ce nouveau contexte, à plusieurs égards. Alors que notre modèle actuel est notamment fondé sur des interventions dans un calendrier relativement maîtrisé, sur une large externalisation de la maintenance lourde et sur un niveau de stocks très limité, le nouveau contexte stratégique impose au système de MCO :

· une grande réactivité (dans un calendrier subi et impérieux) ;

· une capacité de monter fortement en puissance dans des délais courts ;

· et une faculté à tenir dans la durée.

B. LA HAUSSE SUBSTANTIELLE DES CRÉDITS DE MAINTENANCE PRÉVUE PAR LA LPM 2024-2030 EST UN PREMIER PAS VERS LA MISE À L'ÉCHELLE DU MCO...

La loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 a prévu une hausse notable des crédits de MCO sur la période de programmation. Sur ces sept années, le montant total des crédits s'établirait ainsi à 49 milliards d'euros, contre 35 milliards d'euros pour la période de programmation précédente, en hausse de 14 milliards d'euros, soit 40 %.

La LPM pour les années 2024 à 2030 prévoit une hausse de 14 milliards d'euros des crédits de MCO

Cette prévision doit néanmoins être nuancée de plusieurs points de vue. D'une part, elle n'est pas obligatoire et devra être traduite chaque année en loi de finances initiale.

D'autre part, la hausse affichée est calculée en valeur et non en volume, de sorte que l'inflation viendra en rogner une part, alors que le montant moyen annuel sur la période (7 milliards d'euros) n'est pas significativement supérieur au montant des crédits en 2024 (6,31 milliards d'euros).

C. ...QUI DOIT S'ACCOMPAGNER D'UNE STRATÉGIE GLOBALE VISANT À RENDRE LE MCO PLUS EFFICACE ET RÉSILIENT

Au-delà des enjeux budgétaires, doit être mise en oeuvre une stratégie globale pour rendre le MCO plus résilient et efficient. Cette stratégie doit répondre aux difficultés actuelles héritées du passé ainsi qu'aux besoins liés au nouveau contexte stratégique. Le rapporteur spécial identifie plusieurs axes prioritaires :

· Approfondir encore la prise en compte ab initio des enjeux et des coûts de la maintenance des matériels dans les stratégies d'acquisition. Elles doivent notamment tenir compte des capacités limitées du MCO et trouver un meilleur équilibre entre l'acquisition de matériels hautement technologiques et d'équipements simples et peu coûteux en maintenance ;

· Dans le nouveau contexte stratégique, mettre en oeuvre une politique de reconstitution fine et ciblée des stocks - déjà amorcée dans certains contrats verticalisés récents - afin d'être en mesure de tenir suffisamment longtemps en cas d'engagement majeur. En outre, anticiper les cessions de matériels à des pays étrangers, afin de ne pas augmenter la tension sur le MCO ;

· Adopter une doctrine générale - adaptée au nouveau contexte géostratégique - relative à la répartition des responsabilités de maintenance par milieux et par types d'équipements, en faisant des contrats verticalisés une solution parmi d'autres. Dans ce cadre, renforcer les capacités des services industriels militaires de l'État en réinternalisant une partie de la maintenance lourde afin de préparer un éventuel conflit majeur ;

· Approfondir la politique d'attractivité et de fidélisation des personnels étatiques, et renforcer les relations croisées entre ces personnels et ceux des industriels privés ;

· Poursuivre la politique d'innovation et de numérisation du MCO, sur la base des progrès significatifs constatés, et simplifier l'environnement procédural applicable à la maintenance ;

· Assurer le renforcement de la BITD française et européenne, y compris dans ses modalités de financement, comme le Sénat en rappelle régulièrement la nécessité9(*).

IV. L'INFORMATION DU PARLEMENT DEVRA ÊTRE RÉTABLIE À UN NIVEAU PERMETTANT DE MESURER LA PERFORMANCE DU MCO

À l'occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2024, a été décidée par le Gouvernement l'interruption de la publication des résultats et des cibles des indicateurs relatifs à la disponibilité des matériels, d'une part, et à l'activité des forces, d'autre part. La justification qui en a été donnée était la nécessité de ne plus révéler à nos compétiteurs notre potentiel militaire. Pour les années postérieures à 2022, ces données, désormais classées « diffusion restreinte - spécial France » resteraient accessibles à certains parlementaires appelés à en connaître, mais ne sont plus disponibles en source ouverte et ne peuvent pas être publiées.

Si le rapporteur spécial est sensible aux enjeux de confidentialité de ces données, il n'est pas certain que leur protection au titre de la mention « diffusion restreinte » suffise à empêcher nos concurrents d'y avoir in fine accès. Or, ce changement a pour conséquence de priver le Parlement d'informations importantes pour connaître l'état de nos forces et en tirer les conséquences budgétaires et législatives.

LES RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Recommandation n° 1 : Procéder à un bilan complet, y compris financier, des contrats de maintenance externalisée confiés à un maître d'oeuvre industriel principal (contrats dits « verticalisés » ou « globalisés »), par milieux : aéronautique, naval et terrestre (état-major des armées (EMA), Direction générale de l'armement (DGA), Secrétariat général pour l'administration du ministère des armées (SGA)).

Recommandation n° 2 : Afin de mieux identifier le coût global du maintien en condition opérationnelle, généraliser une comptabilité analytique agrégeant les dépenses des programmes 146 « Équipement des forces », 178 « Préparation et emploi des forces » et 212 « Soutien de la politique de défense » de la mission « Défense », le cas échéant par type de matériels (types d'avions, de navires, de véhicules, de munitions, etc.) (ministère des armées).

Recommandation n° 3 : Mieux anticiper les cessions de matériels militaires et prévoir un remplacement rapide, notamment pour éviter d'augmenter les besoins en maintenance des équipements restants. S'interdire les cessions pour les parcs de matériels dont la disponibilité est faible (Gouvernement, ministère des armées).

Recommandation n° 4 : Afin de rationaliser l'organisation du système de maintien en condition opérationnelle étatique, rattacher la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) à l'état-major de l'armée de l'air et de l'espace (ministère des armées).

Recommandation n° 5 : Afin de réduire la durée des immobilisations de matériels et de renforcer la réactivité des forces en matière de maintenance, simplifier certaines normes et procédures applicables, en particulier s'agissant des normes de navigabilité, sans préjudice de la sécurité des civils et des personnels militaires (ministère des armées).

Recommandation n° 6 : Approfondir la politique d'attractivité et de fidélisation des personnels de maintenance du ministère des armées, et favoriser le développement de formations spécifiques de haut niveau (ministère des armées).

Recommandation n° 7 : Établir une doctrine générale, adaptée au nouveau contexte géostratégique, relative à la répartition des responsabilités de maintenance par milieux et par types d'équipements, en faisant des contrats verticalisés une solution parmi d'autres (ministère des armées).

Recommandation n° 8 : Dans le cadre de la « verticalisation » des contrats, pour éviter de remettre en cause des dispositifs éprouvés, conserver les relations contractuelles bilatérales lorsque c'est possible et qu'elles donnent satisfaction (ministères des armées).

Recommandation n° 9 : Afin d'anticiper d'éventuels conflits de haute intensité, favoriser le développement d'échanges croisés entre les personnels des services industriels étatiques et ceux des entreprises industrielles privées intervenant dans le secteur de la défense, d'une part, et, le cas échéant, entre les personnels de ces entreprises travaillant respectivement sur des projets civils et des projets militaires, d'autre part (ministère des armées, secteur industriel).

Recommandation n° 10 : Afin de renforcer l'efficience de la chaîne logistique et d'alléger la charge incombant aux maintenanciers, à défaut d'un système d'information (SI) unique, développer l'interfaçage des SI existants et rendre systématique leur interfaçage avec les nouveaux SI. Par ailleurs, afin de favoriser les échanges de données entre les différents acteurs du MCO, développer des instruments permettant leur interopérabilité (ministère des armées).

Recommandation n° 11 : Afin de restaurer la qualité de l'information du Parlement sur la disponibilité technique opérationnelle (DTO) des matériels militaires et sur l'activité des forces armées, rétablir, si besoin en y associant des précautions de confidentialité, la publication des indicateurs afférents. Compléter cette information par un indicateur permettant de mesurer la disponibilité technique (DT) des matériels, si besoin sous les mêmes précautions (ministère des armées).

I. LA FONCTION STRATÉGIQUE DU MAINTIEN EN CONDITION OPÉRATIONNELLE DES MATÉRIELS MILITAIRES A FAIT L'OBJET DE RÉFORMES VISANT À AMÉLIORER LEUR NIVEAU DE DISPONIBILITÉ

A. LE MAINTIEN EN CONDITION OPÉRATIONNELLE, UNE FONCTION STRATÉGIQUE POUR NOS ARMÉES OPÉRÉE PAR DE NOMBREUX ACTEURS ÉTATIQUES ET PRIVÉS

1. Le MCO concerne l'ensemble des matériels militaires et vise à garantir leur bon fonctionnement, une mission stratégique

Au sein des armées, le maintien en condition opérationnelle (MCO) regroupe l'ensemble des moyens et des procédures mis en place pour qu'un matériel reste, tout au long de sa durée de vie et conformément aux règles de sécurité, apte à l'emploi qui lui est assigné. Cette notion recouvre ainsi la maintenance à proprement parler - qu'elle soit préventive ou corrective -, mais également la gestion des référentiels techniques et des configurations, la fourniture de pièces et rechanges (et leur maintenance) et la gestion de la logistique afférente (stockage, transferts, etc.). Elle regroupe l'ensemble des moyens humains, techniques et budgétaires associés.

Le MCO a vocation à s'appliquer à l'ensemble des équipements des armées, et même à certains équipements de la gendarmerie nationale, des pompiers et d'autres acteurs étatiques de la sécurité. Le MCO concerne ainsi aussi bien l'armée de terre que la marine nationale et l'armée de l'air et de l'espace. Il s'applique à tous les types d'équipement, qu'ils soient matériels (systèmes d'armement, munitions, véhicules, navires, aéronefs, etc.) ou immatériels (à l'image des systèmes d'information). Il touche ainsi l'ensemble des milieux d'intervention des matériels, aussi bien traditionnels (air, mer, terre) qu'émergents, dans le cadre des nouveaux espaces de conflictualité (fonds marins, espace exo-atmosphérique, espace, internet, etc.). Il peut devoir être mis en oeuvre à tout moment et sur l'ensemble du globe, partout où nos forces armées sont présentes. Il recouvre enfin, d'un point de vue temporel, l'ensemble du temps de vie des équipements, de leur mise en service à leur retrait.

Schématiquement, alors que les programmes d'armement visent à acquérir de nouvelles capacités, le MCO assure le caractère opérationnel du parc existant10(*). Sans MCO ou en présence d'un MCO déficient, nos matériels deviendraient très rapidement inutiles, voire dangereux, et nos forces armées impuissantes.

Ainsi, le MCO ne doit pas être conçu comme un enjeu d'intendance mais comme une fonction pleinement stratégique pour la défense nationale.

Concrètement, le MCO peut être décomposé en plusieurs types d'interventions. D'une part, il convient de distinguer le niveau de soutien opérationnel (NSO), à savoir le MCO réalisé directement par les forces armées opérationnelles, et le niveau de soutien industriel (NSI), qui relève des industriels étatiques ou privés. D'autre part, les armées distinguent trois « niveaux techniques d'intervention », selon la complexité de l'opération de maintenance à réaliser :

- le NTI « 1 » assure la maintenance dite « en ligne » du matériel (traitement avant et après les vols pour les aéronefs, entretien courant des bâtiments de la marine nationale, etc.). Les opérations sont le plus souvent réalisées par les forces opérationnelles qui utilisent les matériels ou par des structures légères de proximité (ateliers de piste pour les aéronefs) ;

- le NTI « 2 » vise soit à restaurer le potentiel de « vie » des équipements, soit à réaliser des réparations relativement lourdes exécutées par un organisme de soutien dédié, situé ou non sur le site des utilisateurs ; ces opérations sont réalisées soit par les forces opérationnelles soit, le plus souvent, par les industriels, étatiques ou privés.

- enfin, le NTI « 3 » correspond aux opérations les plus lourdes de maintenance visant à reconstituer les capacités du matériel, à effectuer des réparations d'ampleur ou à moderniser les matériels. En sont responsables les industriels, étatiques ou privés11(*).

2. Le MCO, une mission d'autant plus stratégique que les matériels sont aujourd'hui moins nombreux

Si le MCO constitue par nature une fonction essentielle pour les armées, c'est a fortiori le cas lorsque la masse des équipements ne permet pas d'« amortir » un niveau élevé d'indisponibilité.

Or, les trente dernières années ont été marquées par une réduction considérable de la « masse » dans les armées françaises. Ainsi, entre 1991 et 2021, le nombre de chars de combat est passé de 1 349 à 222, celui des avions de chasse de 686 à 254 et celui des grands bâtiments de surface de la marine nationale de 41 à 19. Dans ce contexte, le MCO revêt une importance décuplée ; par exemple, l'indisponibilité de seulement 5 grands bâtiments de surface représente une perte de 25 % des capacités pour la marine.

Évolution de la « masse » dans les armées françaises
et projection de la LPM 2024-2030

(en nombre de matériels)

Source : commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat12(*)

3. Les acteurs du MCO sont multiples, aussi bien au sein de l'État que dans le secteur privé, qui a pris une place croissante

Un nombre significatif d'acteurs concourent directement au MCO des matériels militaires, que l'on peut répartir en catégories générales. D'une part, le ministère des armées regroupe un certain nombre d'acteurs étatiques du MCO. D'autre part, sont également impliqués les industriels privés de la base industrielle et technologique de défense (BITD).

En premier lieu, les acteurs étatiques du MCO sont chargés aussi bien de la définition de la politique de MCO et de sa mise en oeuvre générale que de son exécution concrète.

Le chef d'état-major des armées (CEMA) et le délégué général pour l'armement (DGA) sont chargés de fixer la politique du MCO, sous l'autorité du ministre des armées. Sur cette base, le CEMA est chargé du MCO des équipements des forces armées, en fixe les priorités et procède aux arbitrages nécessaires.

D'un point de vue général, les chefs d'état-major de l'armée de terre (CEMAT), de la marine (CEMM) et de l'armée de l'air et de l'espace (CEMAAE) sont responsables du MCO des équipements de leur armée, dans le cadre des arbitrages, en termes financiers et de performance, du CEMA13(*).

Le rapporteur spécial tient à souligner l'importance d'assurer la portée concrète de la responsabilité finale du CEMA, et plus largement, des responsables opérationnels des armées, dans la mise en oeuvre du MCO. En effet, en cohérence avec son caractère stratégique, un tel principe est de nature à éviter le risque d'en faire un simple sujet d'intendance déconnecté des besoins concrets des armées.

L'état-major des armées et les états-majors d'armées prescrivent le besoin et jouent le rôle de maîtrise d'ouvrage (MOA) en matière de MCO. Toutefois, par exception, la MOA du MCO de certains équipements relève de la direction générale de l'armement (DGA), s'agissant des armes nucléaires, du domaine spatial, et de la plupart des munitions complexes et des systèmes d'information opérationnels et de communication (SIOC).

Trois organismes - les « structures de soutien » - assurent, pour chacun des trois milieux14(*), par délégation du CEMA et des chefs d'état-major d'armées, la performance et la cohérence du MCO, ainsi que la contractualisation pour l'exécution du MCO : la direction centrale du service de soutien de la flotte (SSF) pour le MCO naval, la structure intégrée pour le maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) pour le MCO terrestre, et la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) pour le MCO aéronautique. Le SSF, la SIMMT et la DMAé ont ainsi le statut de maîtrise d'ouvrage déléguée (MOAd) dans leur domaine respectif. La DMAé présente la particularité de ne pas être rattachée au CEMAAE mais directement au CEMA (voir infra).

Ces structures de soutien se voient fixer des objectifs selon des modalités propres à chaque milieu. Pour le MCO aéronautique, un contrat d'objectif et de performance est signé entre le CEMA et le directeur de la DMAé, tandis que pour le MCO naval, des objectifs de disponibilité technique sont proposés par le directeur central du SSF et fixés par le major général de la marine. Enfin, pour le MCO terrestre, la directive annuelle de commandement de l'armée de Terre tient lieu de contrat d'objectif.

Architecture générale du maintien en condition opérationnelle
des matériels militaires

Maîtres d'ouvrage délégués (MOAd) : direction centrale du service de soutien de la flotte (SSF), structure intégrée pour le maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT), et direction de la maintenance aéronautique (DMAé). Maîtres d'oeuvre industriels étatiques (MOIé) : service logistique de la marine (SLM), service industriel de l'aéronautique (SIAé) et service de la maintenance industrielle terrestre (SMITer).

Source : commission des finances, d'après les réponses aux questionnaires du rapporteur spécial

Enfin, l'exécution du MCO est confié à diverses maîtrises d'oeuvre (MOE). Les maîtres d'oeuvre à caractère opérationnel (MOEo), généralement les unités des forces, maintiennent ou restaurent la disponibilité des équipements en procédant à des opérations de maintenance préventive ou curative sur les sites de mise en oeuvre (le plus souvent le NTI « 1 », parfois le NTI « 2 »). Ils permettent donc de couvrir des besoins de fonctionnement courant, d'entraînement aux opérations, de tenue d'alerte ou d'engagement dans le cadre des opérations. Leurs actions répondent à des besoins de réactivité et d'efficacité.

Les maîtres d'oeuvre à caractère industriel (MOI) rétablissent ou génèrent du potentiel et peuvent mener des adaptations capacitaires (NTI « 2 » et NTI « 3 »).

Les maîtres d'oeuvre industriels peuvent être étatiques (MOIé) ou privés (MOIp). Leur action concerne directement l'aptitude des parcs d'équipements à répondre à la planification d'emploi des matériels.

Il existe trois maîtres d'oeuvre industriels étatiques, un pour chaque milieu : le service logistique de la marine (SLM), le service industriel de l'aéronautique (SIAé) et le service de la maintenance industrielle terrestre (SMITer).

Les maîtres d'oeuvre industriels privés sont quant à eux très nombreux puisque sont impliqués aussi bien les grandes entreprises industrielles traditionnelles (Airbus, Thales, Safran, MBDA, Naval Group, Dassault, KNDS, etc.) que leurs nombreux sous-traitants.

Alors qu'historiquement, une part significative de la maintenance était opérée par l'État, que ce soit au sein des forces armées ou dans l'industrie militaire étatique, elle a connu une progression de son externalisation auprès d'industriels privés du secteur de la défense depuis la fin des années 1990. Cette évolution a accompagné l'évolution des technologies, la complexification des matériels et la volonté d'optimiser les flux logistiques, tandis que les entreprises de l'armement ont connu une hausse tendancielle de la part des services, en particulier de MCO, dans leur modèle économique15(*). Naval Group a ainsi indiqué au rapporteur spécial que le MCO représentait environ 40 % de son chiffre d'affaires moyen annuel.

La DGA, un acteur important du MCO

Outre sa compétence en matière de programmes d'armement, à savoir l'acquisition de nouveaux matériels, la DGA est également un acteur important du MCO des équipements, et ce à plusieurs niveaux.

En premier lieu, la DGA définit la politique générale du MCO conjointement avec le CEMA. Elle décline avec ce dernier la stratégie de soutien pour chaque opération d'armement.

En deuxième lieu, dans son rôle de maitrise d'ouvrage des programmes d'armement, la DGA assure l'acquisition du soutien initial.

En troisième lieu, la DGA exerce une fonction d'expertise technique des matériels, tout au long de leur durée de vie.

En dernier lieu, elle effectue des études de coût et fournit des personnels (le plus souvent ingénieurs) aux services de soutien du MCO, à hauteur de 240 personnels.

Source : réponse de la DGA au questionnaire du rapporteur spécial et commission des finances

4. Le MCO est organisé autour d'une stratégie de soutien définie en « phase amont »

Au stade de l'acquisition des matériels, pour chaque opération d'armement, une « stratégie de soutien » est établie conjointement par l'EMA et la DGA, en lien avec les armées concernées. Cette stratégie de soutien définit les grands choix relatifs aux modalités de maintenance sur la durée de vie du matériel : objectifs, répartition entre soutien initial et soutien en service16(*), entre soutiens opérationnel et industriel, étatique ou industriel, types de contractualisation, attribution des responsabilités, etc. Néanmoins, la stratégie de soutien peut être modifiée en cours de vie du programme, afin d'être ajustée aux nouveaux besoins.

Concrètement, dans le cadre de la stratégie de soutien, le MCO à venir est réparti entre un soutien dit « initial » et un soutien dit « en service ».

Le soutien initial est intégré, y compris financièrement17(*), au programme d'armement pris en charge par la DGA pour ce qui concerne les responsabilités de maintenance confiées au fabricant, ce qui se répercute donc d'un point de vue budgétaire sur le programme 146 « Équipement des forces » de la mission « Défense ». Cette période de soutien initial présente une durée variable, généralement comprise entre 2 et 3 ans, et est intellectuellement assimilable à une garantie du fabricant industriel sur son matériel, le temps de tester concrètement l'équipement. À titre d'exemple, pour le véhicule Griffon18(*), la période de soutien initial a été fixée à 3 ans.

Une fois cette période échue, c'est le soutien « en service » qui prend le relais, sur la base des crédits du programme 178 « Préparation et emploi des forces » de la même mission. Le soutien en service peut être confié, outre ce qui relève de la compétence des forces opérationnelles, à l'ensemble des maîtres d'oeuvre industriels, qu'ils soient privés ou étatiques, selon ce qui a été établi par la stratégie de soutien. Ainsi, le soutien de NTI « 2 » et « 3 » peut être confié au fabricant en qualité de mainteneur, à un ou plusieurs industriels privés, à un industriel étatique ou encore être partagé entre eux.

Schématiquement, il est fréquent que le MCO d'un équipement classique suive le cycle de responsabilités suivant :

- soutien initial du fabricant de 2 ou 3 années ;

- puis soutien en service d'un ou plusieurs industriels privés dans la fonction de mainteneur - dont le fabricant fait régulièrement partie - ;

- puis, en fin de vie, soutien en service essentiellement par l'industriel étatique du milieu concerné, les industriels privés y voyant souvent peu d'intérêt financier.

B. FACE À LA CRISE DE DISPONIBILITÉ DU DÉBUT DES ANNÉES 2000, LA STRUCTURE ÉTATIQUE DU MCO A ÉTÉ RÉFORMÉE, TANDIS QU'A ÉTÉ DÉPLOYÉE UNE STRATÉGIE DE « VERTICALISATION » ET DE « GLOBALISATION » DES CONTRATS DE MAINTENANCE

1. Face à une crise de disponibilité des matériels au début des années 2000...

Le début des années 2000 a été marqué par ce qu'on a qualifié de « crise de disponibilité » des matériels militaires, dans les trois milieux. Entre 1997 et 2000, le taux de disponibilité des matériels majeurs de l'armée de l'air a par exemple perdu 9 points, celui des sous-marins nucléaires d'attaque 27 points et celui des véhicules de l'avant-blindés 10 points.

Une telle évolution s'explique en particulier par une réduction des moyens budgétaires du MCO mise en oeuvre à la fin des années 1990, une nature du parc de matériels peu favorable à la performance du MCO et une organisation inefficiente des services étatiques en charge du MCO, comme le soulignait un rapport de la Cour des comptes de 201419(*).

Dégradation de la disponibilité technique des matériels militaires
entre 1997 et 2000

(en %)

Source : commission des finances, d'après les données de la Cour des comptes20(*)

Face à cette dégradation rapide, des réformes ont été mis en place dès le début des années 2000. Elles ont été approfondies et adaptées depuis, notamment à l'occasion de l'exécution de la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 202521(*). Elles comportent deux volets : d'une part, la réforme de l'organisation des services étatiques en charge du MCO ; d'autre part, une adaptation de la politique d'externalisation du MCO auprès des industriels privés.

2. ...le fonctionnement du MCO a fait l'objet de réformes successives, tenant à son organisation étatique...

Le premier chantier de réforme du MCO a porté, dès le début des années 2000, sur l'organisation du MCO interne au ministère des armées.

Cette réforme s'est traduite par la mise en place d'un pilotage davantage centré sur la performance - décliné en objectifs en termes de disponibilité -, d'une nouvelle gouvernance et d'une modification de la répartition des compétences et des responsabilités. En outre, la configuration antérieure impliquant la responsabilité de chaque armée dans le MCO de ses matériels, a été abandonnée en 2012 au profit d'une répartition des compétences par « milieu » (terrestre, aérien et naval) destinée à permettre une gestion « interarmées » des équipements. Ainsi, les aéronefs relèvent par exemple par principe du milieu aéronautique, qu'ils soient utilisés par l'armée de l'air et de l'espace, la marine ou l'armée de terre.

Ont ainsi été créés, en 2000, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la défense (SIMMAD22(*)) et le SSF, puis la SIMMT en 2010. En outre, le soutien dit « initial » a été confié à la DGA. Parallèlement, les maitres d'oeuvre industriels étatiques, à la structure éclatée, ont été regroupés en trois services : le SIAé (en 2008), le SLM et le SMITer (en 2010).

Cette réforme organisationnelle a été approfondie plus récemment, à l'occasion de l'exécution de la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 202523(*), qui a fait de la modernisation du MCO un « chantier majeur », selon le bilan de l'exécution de la programmation militaire pour la période 2019-2023 transmis par le Gouvernement au Parlement en janvier 202424(*). La poursuite de la réforme visait trois objectifs : améliorer la disponibilité des équipements, accroître l'activité des forces et maîtriser les coûts d'utilisation des équipements. Composé d'un volet organisationnel et d'un volet contractuel, elle a principalement porté sur le MCO aéronautique s'agissant du pan organisationnel.

Le MCO aéronautique a ainsi vu la création de la DMAé, en remplacement de la SIMMAD. Si le rapporteur spécial a déjà eu l'occasion de constater que les faiblesses organisationnelles du MCO étaient davantage imputables à un défaut de coordination entre les structures existantes qu'à ces structures elles-mêmes, il n'y a pas vu d'inconvénient particulier25(*).

Le rapporteur spécial constate, en tout état de cause, que les structures du MCO ont fait l'objet d'importantes évolutions durant les deux dernières décennies. À l'issue de ces réformes, la structure étatique n'est pas toujours harmonisée. C'est notamment le cas s'agissant du rattachement de la DMAé directement à l'état-major des armées depuis la création de cette direction, alors que la SIMMT et le SSF sont rattachés respectivement à l'état-major de l'armée de terre et l'état-major de la marine26(*).

3. ... et aux modalités d'externalisation d'une partie de la fonction, via une « verticalisation » ou « globalisation » des contrats
a) La « verticalisation » ou « globalisation » des contrats

Le second volet des réformes du MCO, et sans doute le plus significatif, a consisté à modifier les modalités d'externalisation d'une partie du MCO aux industriels privés. Formalisée sous la forme de l'annonce par Florence Parly, alors ministre des armées, de la « verticalisation » des contrats en 2017 dans le cadre du plan de modernisation du MCO aéronautique, cette évolution de certains contrats de maintenance est en réalité amorcée depuis le début des années 2000, en particulier dans la marine.

Globalement, la « verticalisation » ou la « globalisation » des contrats consiste à confier à un maître d'oeuvre principal (ou à un nombre très réduit), par des contrats de longue durée, un périmètre d'action couvrant l'intégralité du soutien d'un parc donné (chaîne logistique, chaîne technique et chaîne de maintenance), à charge pour lui de gérer les interfaces entre ses sous-traitants. Ces contrats verticalisés ont pour finalités principales :

• de réduire le nombre de contrats pour une même flotte afin de minimiser les interfaces entre les différents industriels mainteneurs, génératrices de complexité pour les structures de soutien (SIMMT, SSF, DMAé) ;

• de responsabiliser davantage les maîtrises d'oeuvre industrielles privées en leur fixant des objectifs précis, en leur donnant les moyens requis et en les rémunérant en fonction des résultats atteints. Les objectifs fixés peuvent varier dans leur définition, notamment en fonction de la nature des flottes : taux de disponibilité des matériels sur la base du nombre d'heures d'utilisation, qualité et délais pour les différents cas de maintenance, nombre et délais pour la fourniture de pièces de rechange, etc. Chaque contrat prévoit une phase de montée en puissance (typiquement de 24 à 36 mois).

À titre d'exemple, le marché de MCO verticalisé des chars Leclerc, notifié à Nexter - devenu KNDS en 2024 - en 2021, prévoit un objectif de disponibilité des pièces de rechange du parc de 80 % pour le parc régimentaire et de 95 % pour le parc dédié aux opérations extérieures ;

• d'allonger la durée des contrats afin de donner de la visibilité aux industriels, pour leur permettre d'investir dans un outil industriel et d'optimiser leurs prestations à moindres coûts. À titre d'exemple, le marché de MCO verticalisé des chars Leclerc s'étale sur une durée de dix ans.

Les contrats « verticalisés » ou « globalisés » s'accompagnent le plus souvent du transfert de la stratégie de constitution et de gestion des stocks à l'industriel privé. Celui-ci est alors chargé de fournir les pièces nécessaires dans un délai donné mais est libre des moyens d'y parvenir. Une logique de flux tendu est le plus souvent mis en place par l'industriel pour réduire ses coûts, avec une production retardée au maximum pour constituer un minimum de stock.

Schéma classique de « verticalisation » des contrats

Source : commission des finances du Sénat

Des contrats répondant à cette logique sont en réalité déjà conclus depuis les années 2000, notamment au sein de la marine. En effet, la stratégie de contractualisation du SSF repose notamment sur la mise en place de marchés pluriannuels « pièces et main-d'oeuvre » par famille de bâtiments (porte-avions, sous-marins, frégates, bâtiments de soutien, etc.) qui répondent à la logique des contrats verticalisés.

Néanmoins, la stratégie de verticalisation des contrats a été fortement développée à compter de 2018, selon une acuité toutefois très variable dans les trois milieux. Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, une quarantaine de contrats verticalisés ont été conclus depuis 2018, dont trente environ dans le milieu aéronautique, témoignant d'une dynamique propre dans ce milieu.

Cette accélération s'est également accompagnée d'évolutions dans la conception des contrats. Ainsi, de plus en plus de contrats verticalisés ont prévu une rémunération du titulaire du contrat à l'heure de vol (Rafale) ou de fonctionnement (Char Leclerc) pour la maintenance de l'ensemble du parc, dans le cadre du respect par les armées d'une fourchette d'activité globale. Dans le cas où le niveau maximal d'activité serait dépassé, une rémunération supplémentaire du mainteneur devrait être prévue, par le biais de l'affermissement d'une tranche supplémentaire du contrat ou de sa modification, selon les cas.

Pour le Rafale, le contrat RAVEL27(*) prévoit ainsi une rémunération du mainteneur (DASSAULT) à l'heure de vol pour une activité globale prévue entre 285 000 et 450 000 heures de vol par an en moyenne sur la durée du contrat (soit une fourchette de - 25 % à + 20 % par rapport à l'activité habituelle).

b) La verticalisation des contrats a récemment été la plus forte dans le milieu aéronautique, sans qu'une doctrine générale d'utilisation des contrats verticalisés ne soit utilisée par les armées

Dans le milieu aéronautique, la verticalisation des contrats concerne aussi bien les aéronefs (Rafale, Mirage 2000, A400M, C135, Casa, MRTT, Atlantique 2, Falcon 50/200, AWACS, Alphajet et prochainement ALSR), que les hélicoptères (Fennec, Tigre, Cougar, Caracal, NH90, Gazelle et Dauphin Pedro-Panther), le système de commandement et de conduite des opérations aérospatiales et les systèmes optroniques aéroportés. Les contrats verticalisés du milieu sont d'une durée variant de quatre à dix-huit ans.

Selon les informations fournies au rapporteur spécial, le coût des contrats verticalisés en termes d'engagements cumulées dans le domaine aéronautique atteindrait aujourd'hui 21,4 milliards d'euros, dont près de 42 % pour la chasse aérienne.

Ventilation par type de flottes du coût engagé pour les contrats verticalisés
de MCO dans le milieu aéronautique

(en milliard d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Il convient de noter que si l'essentiel des contrats verticalisés sont conclus avec des industriels privés, la maintenance des flottes Pedro-Panther a été confiée au SIAé (à l'exception du moteur). En 2024 et 2025, les principaux renouvellements de contrats verticalisés concerneront les flottes A400M, Tigre et AWACS.

La verticalisation des contrats de maintenance du Rafale

Le Rafale de la marine nationale et de l'armée de l'Air et de l'Espace a fait l'objet d'une verticalisation et d'une globalisation des contrats de sa maintenance.

Cette verticalisation s'appuie essentiellement sur deux contrats :

- d'une part, le contrat dit « RAVEL » (contraction de « Rafale verticalisé »), conclu en avril 2019 avec Dassault Aviation pour 10 ans, qui porte l'essentiel des activités de soutien de la cellule et des équipements associés, hors moteur ;

- d'autre part, le contrat dit « BOLERO » (« brique optimale pour la logistique et l'entretien des réacteurs opérationnels ») conclu durant l'été 2021 avec Safran Aircraft Engines pour 10 ans, qui porte sur le moteur.

Par ailleurs, le MCO du Rafale est complété par un troisième contrat dit « OPERA », confié au SIAé pour ce qui concerne la mise en place de guichets technico-logistiques sur les bases de l'armée de l'air et de l'espace.

Source : réponse de la DGA au questionnaire du rapporteur spécial et commission des finances

Dans le milieu naval, des marchés pluriannuels « pièces et main-d'oeuvre » par famille de bâtiments continuent d'être conclus, en plus de ceux déjà signés depuis les années 2000. Ont ainsi été signés en 2023 quatre marchés de ce type (bâtiment Monge, navires, vedettes et engins portuaires basés à Cherbourg, patrouilleurs Antilles-Guyane et système de surveillance des approches maritimes). Ont en outre été récemment renouvelés les contrats de maintenance de différents types de frégates, des porte-hélicoptères amphibies, du bâtiment Somme et des bâtiments de soutien et d'assistance outre-mer. Le SSF privilégie des marchés d'une durée de cinq à sept ans mais la durée peut toutefois être modulée.

Selon les informations fournies au rapporteur spécial, le coût des contrats verticalisés en termes d'engagements cumulées dans le domaine naval atteindrait aujourd'hui, pour ce qui concerne les contrats notifiés en 2022 et 202328(*), plus de 2 milliards d'euros. Les coûts les plus significatifs concernent le MCO des frégates multi-missions (FREMM).

Enfin, dans le milieu terrestre, une poignée de contrats verticalisés ont été conclus, s'agissant des chars Leclerc, des véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI), des véhicules militaires blindés de reconnaissance-feu AMX-10RC, des canons automoteurs CAESAR, des camions porteurs polyvalents terrestres (PPT) et des véhicules articulés et blindés dits à haute mobilité (VHM). En termes de coûts, le MCO verticalisé représenterait, en ordre de grandeur, 250 millions d'euros par an pour les chars Leclerc, 25 millions d'euros pour les canons automoteurs CAESAR et 15 millions d'euros pour les PPT.

Au total, il apparait qu'il n'existe pas de doctrine générale commune pour l'utilisation des contrats verticalisés dans les trois milieux. La verticalisation des contrats a été fortement et rapidement développée dans le milieu aéronautique, et constitue une pièce centrale de la stratégie de contractualisation. Pour le MCO naval, les marchés pluriannuels verticalisés par famille de bâtiments continuent d'être développés, mais sont complétés par des contrats transverses29(*) pour certains équipements et pièces spécifiques ou certaines prestations. Enfin, pour le MCO terrestre, la verticalisation est ciblée, même si elle porte sur des équipements cruciaux. Les contrats non verticalisés restent ainsi majoritaires.

De telles différences s'expliquent en particulier par de fortes disparités de la nature des parcs et du paysage industriel dans les différents milieux, avec notamment, en moyenne, une hétérogénéité d'équipement bien plus grande dans l'armée de terre que dans les deux autres armées et un niveau de complexité technologique encore plus élevé dans les milieux naval et aéronautique.

II. DANS UN CONTEXTE DE HAUSSE DES COÛTS DE MAINTENANCE, LA RÉCENTE AUGMENTATION DES CRÉDITS DE MCO NE S'EST PAS ACCOMPAGNÉE D'UNE AMÉLIORATION DE LA DISPONIBILITÉ OPÉRATIONNELLE DES MATÉRIELS

A. LES CRÉDITS BUDGÉTAIRES DÉDIÉS AU MCO, INSUFFISAMMENT TRAÇABLES, ONT CONNU RÉCEMMENT UNE NETTE HAUSSE, HORS DÉPENSES DE PERSONNEL

1. Des crédits et dépenses de MCO insuffisamment traçables

Les dépenses relatives au MCO des matériels peuvent être regroupés en quatre types :

- les dépenses dites, dans la terminologie du ministère des armées, d'« entretien programmé des matériels » (EPM), correspondant aux prestations d'entretien facturées par les industriels privés ou étatiques, ainsi qu'aux achats de pièces de rechanges ;

- les rémunérations et charges sociales du personnel affecté au MCO au sein du ministère ;

- les dépenses de fonctionnement des prestataires étatiques du MCO, en particulier les industriels étatiques (entretien des infrastructures, dépenses d'énergies et fluides, outillages, dépenses de mises aux normes, contrôles anti-pollution, etc.) ;

- les dépenses de soutien initial intégrées aux programmes d'armement (maintenance confiée au fabricant pour quelques années) portées par le programme 146 « Équipement des forces »30(*).

Or, l'ensemble de ces dépenses ne peut pas être retracé précisément d'un point de vue budgétaire. Les crédits dédiés au MCO sont ventilés budgétairement de deux manières puisqu'outre la nomenclature issue de la LOLF, qui s'appuie sur la destination des crédits (par programmes et actions budgétaires), le ministère des armées a également développé une nomenclature propre pour assurer le pilotage de ses crédits, en les regroupant par opérations stratégiques (OS), qui sont transversales aux différents programmes. Aucune des deux nomenclatures ne permet toutefois d'appréhender globalement les crédits prévus et consommés pour le MCO.

En premier lieu, sur la base de la nomenclature « LOLF », les crédits de MCO relèvent de trois des quatre programmes qui composent la mission « Défense » :

- le programme 146 « Équipement des forces » pour le soutien « initial »31(*) ;

- le programme 178 « Préparation et emploi des forces » pour le soutien « en service »32(*) ;

- le programme 212 « Soutien de la politique de défense » pour les dépenses de personnel33(*).

Dans la version de la maquette du projet de loi de finances pour 2024, le programme 178 est composé de trois sous-actions regroupant explicitement les crédits de MCO, une par milieu, correspondant aux actions 2 « Préparation des forces terrestres », 3 « Préparation des forces navales » et 4 « Préparation des forces aériennes »34(*). Cette nomenclature ne permet toutefois pas de mesurer de façon complète la part des crédits relevant du MCO porté par le programme 178, puisqu'une partie des dépenses de maintenance relevant du programme ne sont pas couvertes (à l'image de la maintenance d'une partie des systèmes d'information35(*) et de communication et du démantèlement des munitions36(*)). Surtout, la nomenclature des programmes 146 et 212 ne comprend pas d'action ou sous-action dédiée au MCO. La nomenclature budgétaire classique résultant de la maquette budgétaire ne permet ainsi pas de connaître le coût du soutien initial pris en charge par le fabricant (programme 146) ni le coût des dépenses de personnel associées aux missions de MCO (programme 212), ni même une partie de la maintenance relevant du soutien en service porté par le programme 178.

En second lieu, les crédits budgétaires relatifs au MCO sont regroupés au sein de l'OS « Entretien programmé des matériels » (EPM). Cette nomenclature présente l'avantage de permettre de mesurer les crédits globaux affectés à la maintenance pour chaque armée et pour chaque milieu. En outre, l'OS EPM intègre des crédits qui ne sont pas couverts par les 3 sous-actions relatives au MCO du programme 178, telle que la maintenance d'une partie des systèmes d'information et de communication et du démantèlement des munitions37(*). En revanche, l'OS EPM couvre seulement le programme 178, à l'exclusion donc des dépenses de personnel (programme 212) et de soutien initial (programme 146). En outre, elle n'intègre pas les crédits dédiés à la maintenance des matériels liés à la dissuasion nucléaire, dans ses composantes maritime et aérienne, qui relèvent de l'OS « Dissuasion ».

Au final, il apparaît que les informations budgétaires ne permettent pas de procéder à une analyse complète des crédits affectés au MCO. De plus, les travaux du rapporteur spécial à l'occasion du présent contrôle ont été l'occasion de confirmer la pluralité de périmètres utilisés - et donc de chiffrages - par le ministère pour analyser les crédits de MCO hors dépenses de personnel, rendant leur analyse difficile. S'agissant des dépenses de personnel, il a été précisé au rapporteur spécial que « les données relatives à la masse salariale sur le périmètre MCO, tant en prévision qu'en exécution, ne sont pas disponibles car non suivis dans nos référentiels budgétaires »38(*). Il n'existe par ailleurs pas, au sein du ministère des armées, d'autorité de synthèse analysant le coût consolidé du MCO des matériels militaires.

Une telle absence de vision globale des crédits dédiés au MCO est dommageable. D'une part, elle est de nature à priver les responsables du ministère des armées d'une grille d'analyse lisible du coût et du fonctionnement du MCO, indispensable à la prise de décision quant à son organisation et à son exécution (externalisation des prestations ou non par exemple). D'autre part, elle fait obstacle à un contrôle suffisamment précis de la dépense publique.

Néanmoins, il est apparu au rapporteur spécial qu'une analyse révélatrice - bien qu'incomplète - peut être articulée sur l'identification des crédits d'entretien programmé du matériel relevant tant de l'OS « EPM » que de l'OS « Dissuasion ». Un tel périmètre couvre en effet le soutien en service, qui constitue le coeur du MCO ; il n'intègre pas les dépenses de personnel et les dépenses de soutien initial.

2. Les crédits budgétaires dédiés au MCO ont fait l'objet d'une nette hausse ces dernières années

Face à la crise de disponibilité des matériels militaires au début des années 2000, elle-même liée à une baisse des crédits de MCO à la fin des années 199039(*), une tendance à l'augmentation moyenne des crédits dédiés est apparue.

Surtout, à l'occasion de l'exécution de la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 202540(*) et du début de l'exécution de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 203041(*), l'effort budgétaire a été très fortement accentué. Depuis 2020, les crédits de paiement dédiés à l'EPM des matériels militaires, qu'ils relèvent de l'OS EPM ou de l'OS Dissuasion, ont augmenté de plus de 39 % en euros courants (valeur) et de 23,5 % en euros constants (volume), soit près d'un quart. En un an, de 2023 à 2024, la hausse est de 14 %42(*) (+ 775 millions d'euros), pour atteindre 6,31 milliards d'euros de crédits au total, dont plus de 560 millions d'euros au titre de l'EPM dédié aux matériels liés à la dissuasion nucléaire (OS Dissuasion, dont la majorité au profit des forces navale) et environ 5,7 milliards d'euros au titre des autres matériels (OS EPM), y compris des munitions.

L'analyse de la hausse des crédits peut être effectuée via une ventilation par armées et par milieu. S'agissant du périmètre des armées, en premier lieu, la hausse des crédits sur les quatre dernières années les concerne toutes trois. Si l'enveloppe progresse particulièrement pour l'armée de l'air et de l'espace (+ 737 millions d'euros), l'augmentation des moyens est également significative pour l'armée de terre (+ 549 millions d'euros) et la marine (+ 499 millions d'euros).

Évolution des crédits dédiés à l'entretien programmé des matériels par armées
(OS EPM et OS Dissuasion)

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

En 2024, la part des crédits d'EPM est désormais identique pour la marine et l'armée de l'air et l'espace (environ 38,5 % chacun), devant l'armée de terre (23 %). Cet état de fait résulte de différents facteurs, dont l'absence d'une composante terrestre en matière de dissuasion nucléaire (particulièrement gourmande en EPM) et une sophistication et une complexité plus poussée pour certains équipements stratégiques de la marine (sous-marins, porte-avions, avions de chasse) et de l'armée de l'air et de l'espace (aéronefs nombreux dont des avions de chasse, matériels techniques associés, etc.) par rapport à ceux de l'armée de terre. Il convient toutefois de noter qu'en quatre ans, la part des crédits d'EPM de l'armée de terre a progressé de 3 points (passant de 20,1 % à 23,1 %), quand ceux de la marine baissaient de 4 points (passant de 42,6 % à 38,4 %).

Répartition par armées des crédits dédiés à l'entretien programmé des matériels
en 2024 (OS EPM et OS Dissuasion)

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Le périmètre des milieux (air, terre et mer), en second lieu, permet de coller encore plus fortement à la structuration du MCO militaire. En effet, comme cela a été dit supra, si l'organisation actuelle du MCO s'appuie sur une responsabilité finale des états-majors des trois armées (et, in fine, de l'état-major des armées) dans l'exécution du MCO, il est structuré autour de maitrises d'ouvrage délégués (les structures de soutien) spécialisées par milieu, afin de favoriser une gestion « interarmées » des équipements.

Le milieu aéronautique renvoie ainsi aux aéronefs et aux équipements afférents, le milieu naval aux navires et aux équipements afférents et le milieu terrestre aux équipements utilisés à terre, et ce quelles que soient les armées utilisatrices. Ainsi, les avions relèvent par principe du MCO aéronautique, qu'ils soient utilisés par l'armée de l'air et de l'espace, la marine ou l'armée de terre.

L'évolution des crédits sur les quatre dernières années sur ce périmètre montre une hausse très forte des crédits pour le milieu aérien, qui représente une composante forte pour l'ensemble des trois armées, à hauteur de 1,046 milliard d'euros. Les milieux terrestre et naval, dont le caractère inter-armée est beaucoup moins prononcé, connaissent quant à eux une augmentation notable, respectivement de 413 millions d'euros et 325 millions d'euros.

Évolution des crédits dédiés à l'entretien programmé des matériels par milieux
(OS EPM et OS Dissuasion)

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial. Le milieu aéronautique renvoie aux aéronefs et aux équipements afférents, le milieu naval aux navires et aux équipements afférents et le milieu terrestre aux équipements utilisés à terre, et ce quelles que soient les armées utilisatrices

En 2024, la part des crédits d'EPM dédié au milieu aéronautique, caractérisé par ses aéronefs par nature complexes et onéreux, est très largement majoritaire (58,5 %), devant le milieu naval (26,3 %) et le milieu terrestre (15,2 %). Il convient toutefois de noter qu'en quatre ans, la part des crédits d'EPM du milieu terrestre a progressé de 3 points (passant de 12,1 % à 15,2 %), quand ceux du milieu maritime baissaient de 3 points (passant de 29,4 % à 26,3 %).

Répartition par milieux des crédits dédiés à l'entretien programmé des matériels
en 2024 (OS EPM et OS Dissuasion)

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial43(*)

La nette hausse des crédits d'EPM devrait se poursuivre à l'occasion de l'exécution de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 203044(*).

B. LE DÉFI DE LA HAUSSE CONSTANTE DES COÛTS MOYENS DU MAINTIEN EN CONDITION OPÉRATIONNELLE DES MATÉRIELS MILITAIRES, QUI SONT DE PLUS EN PLUS SOPHISTIQUÉS

Un des défis les plus importants en matière de MCO pour les armées est l'élévation constante de son coût moyen en volume (en euros constants, hors inflation). Comme Josselin Droff, chercheur au sein de la chaire Économie de Défense de l'IHEDN, l'a souligné45(*) auprès du rapporteur spécial, la hausse des coûts entre les générations de matériels est en quelque sorte le pendant « soutien » de la « loi d'Augustine » (du nom de Norman Augustine, l'ancien directeur de Lockheed Martin et ancien secrétaire à l'armée américaine dans les années 1970), qui désigne l'augmentation plus rapide du coût d'acquisition des systèmes d'armes que celle des budgets de défense (en euros constants).

Cette tendance à la hausse des coûts du MCO se reflète dans les ratios de coûts de la fonction MCO par milieu publiés dans les documents budgétaires chaque année46(*).

Ratios de coûts du MCO par milieu depuis 2014

(en euros ou en milliers d'euros, selon les cas)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires47(*)

Entre 2014 et 2023, si le coût moyen du MCO terrestre est stable (- 1,6 %), il augmente de près de 30 % pour le MCO naval (29,8 %) et de près d'un quart pour le MCO aéronautique (24,2 %). En outre, ce coût moyen devrait continuer à nettement augmenter selon les cibles prévues en 2024, 2025 et 2026 : entre 2023 et 2026, le coût du MCO terrestre augmenterait de 16,7 %, celui du MCO naval de 23 % et celui du MCO aéronautique de 11,2 %.

La part du MCO dans le coût complet d'un matériel sur l'ensemble de son cycle de vie, à savoir son « coût global de possession » (de son acquisition à son démantèlement, en passant par sa maintenance) est d'ailleurs très significative. Si les coûts en cycle de vie de chaque matériel présentent des caractéristiques propres compliquant les comparaisons (dimension du parc et des séries de production, achat sur étagère ou non, conditions d'emploi, niveau d'activité, degré d'évolutions et niveau des ruptures technologiques par rapport aux génération antérieures, etc.), il est possible d'estimer qu'en moyenne les coûts de MCO représentent entre 45 % et 60 % du coût de possession global, selon les informations transmises au rapporteur.

Cette tendance à la hausse des coûts moyens de MCO a plusieurs types de cause, outre la forte activité des forces armées.

Premièrement, l'évolution des technologies entre générations de matériels conduit à leur sophistication croissante. Celle-ci génère une hausse importante des coûts non seulement lors de leur acquisition, mais également pour leur entretien. À titre d'illustration, en 2018, un F-16 (mis en service en 1978) coûtait près de 8 000 dollars à l'heure de vol, un F-18 (1983) près de 10 000 dollars et un F-35 (2015) plus de 40 000 dollars48(*). Les hausses de coûts de la maintenance liées à la sophistication des matériels s'expliquent notamment par la nécessité de recourir à des personnels très qualifiés aux compétences pointues (électronique, matériaux composites, etc.), l'utilisation de matériels de maintenance plus perfectionnés (bancs de tests numériques, matériels avancés, etc.) et l'obsolescence rapide de certaines technologies.

Il convient néanmoins de prendre en compte le fait qu'au fil des générations de matériels, ces derniers voient leurs performances augmenter et leur périmètre d'intervention s'étendre. Par exemple, l'avion polyvalent multi-missions Rafale, dont le coût à l'heure de vol est estimé à 25 000 euros contre 17 000 euros pour un Mirage 2000, représente une capacité d'activité qui n'aurait pu être réalisée dans le passé que par plusieurs types d'avions de chasse différents, et avec une moindre performance. De même, si l'on considère qu'il existe un ordre de grandeur multiplicatif de 2,4 entre le MCO d'un véhicule de l'avant blindé (VAB) et le MCO d'un véhicule VBMR Griffon, les capacités opérationnelles de ce dernier sont très supérieures à celles du VAB ; cela a notamment été souligné dans le retour d'expérience à l'issue de son engagement au Sahel (kilométrage bien supérieur en zone aride, apport de la climatisation, discrétion acoustique, etc.).

Le coût croissant du MCO par matériel doit ainsi être nuancé par le fait que les capacités maintenues sont plus performantes et profondes que par le passé.

Deuxièmement, les caractéristiques du parc de matériels influent directement sur les coûts du MCO.

La maintenance des matériels de nouvelle génération (pour lesquels les personnels doivent approfondir leurs connaissances, identifier et régler les défauts de jeunesse) ou vieillissants (pour lesquels les obsolescences sont nombreuses, les pièces détachées difficiles à se procurer et les problèmes de structure parfois très sérieux) est ainsi plus onéreuse que pour les matériels en milieu de vie49(*), comme l'illustre la courbe en U ou « en baignoire ».

Évolution schématique des coûts de maintenance d'un matériel selon son âge :
courbe en « U » ou « en baignoire »

Source : commission des finances du Sénat

Dans ce cadre, une proportion importante de matériels de nouvelle génération ou vieillissant au sein des parcs des armées aboutit à un niveau élevé des coûts de MCO, la configuration la plus difficile à gérer étant les périodes de transition caractérisées par le maintien en service actif de matériels vieillissants alors que des équipements de nouvelle génération sont en cours de déploiement. C'est toutefois une situation très fréquente, en particulier lorsque les matériels de nouvelle génération entrent dans le parc de façon très échelonnée, nécessitant la prolongation de vie de matériels en fin de vie. Cela a notamment été le cas ces dernières années pour la marine, dans le cadre du renouvellement des bâtiments de premier rang.

En outre, le parc des armées françaises connaît encore une certaine hétérogénéité, en dépit d'importants efforts pour homogénéiser les flottes de matériels afin notamment de limiter l'impact sur les coûts du MCO. Cette situation résulte de plusieurs facteurs, en particulier :

la coexistence d'équipements de générations différentes : avions Rafale et Mirage, VBMR et VAB, hélicoptères Tigre et Puma, etc. ;

l'hétérogénéité des missions réalisées nécessitant des matériels différents ;

des environnements d'utilisation différents, le NH90 dans sa version marine devant par exemple pouvoir faire face à la corrosion saline, ce qui n'est pas le cas de sa version terrestre ;

des opérations de « rétrofit » étalées dans le temps, se traduisant par la cohabitation de standards différents pendant plusieurs années.

Si une certaine hétérogénéité peut donc se justifier, voire être inévitable, elle constitue cependant un facteur de complexité et d'inefficience du MCO, chaque flotte ou micro-flotte ayant ses problématiques propres et nécessitant l'intervention de personnels disposant de qualifications spécifiques.

Troisièmement, la « verticalisation » ou « globalisation » des contrats de maintenance a également conduit à une hausse des coûts de MCO, au moins à court terme, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la verticalisation des contrats s'est accompagnée d'une extension de la partie externalisée de la maintenance depuis les services industriels étatiques vers les industriels privés, capables d'une maintenance plus sophistiquée mais également plus chère que les services étatiques. Ensuite, plus récemment, les contrats verticalisés ont intégré pour certains la reconstitution de stocks significatifs dans le cadre d'évolutions géostratégiques50(*), en décalage avec la politique de flux tendus mise en place dans les deux dernières décennies. Il en a mécaniquement résulté une hausse notable des coûts apparents du MCO, qualifiée par les personnes entendues par le rapporteur spécial de « ticket d'entrée ». Par ailleurs, certains écueils associés aux contrats verticalisés, tels que la superposition des marges et la difficulté à négocier un contrat global au bon prix, ont également contribué à la hausse des coûts.

Quatrièmement, la hausse des coûts des facteurs a fait augmenter le coût moyen du MCO. Outre les poussées inflationnistes générales ponctuelles, la concurrence militaire internationale et la forte hausse du budget des armées dans le monde a conduit à une hausse importante de la demande des intrants spécifiques ou très recherchés dans l'industrie de la défense, sans hausse équivalente de l'offre, générant une hausse des prix. Cette situation a été aggravée récemment par l'apparition de nouveaux conflits en Ukraine et au Moyen-Orient.

C. LES EFFECTIFS ÉTATIQUES AFFECTÉS AU MCO, QU'IL EST DIFFICILE DE CHIFFRER PRÉCISÉMENT, SONT GLOBALEMENT EN BAISSE

Si les coûts du MCO en termes de personnel - la masse salariale - n'est pas chiffrables de façon fiable à ce jour51(*), c'est notamment parce que les effectifs dédiés au MCO ne sont pas retracés avec précision.

Du point de vue administratif, ces effectifs sont regroupés au sein du ministère des armées en trois familles professionnelles (FP), chacune relevant d'un milieu : FP « maintenance des matériels terrestres », FP « maintien en condition opérationnelle aéronautique » et FP « Opérations en milieu maritime ».

Les chiffrages fournis au rapporteur spécial par les services du ministère des armées ne permettent pas d'établir précisément les effectifs totaux dédiés au MCO. Ils donnent uniquement un ordre de grandeur d'environ 40 000 personnels travaillant au service du MCO au sein du ministère, soit environ 15 % de ses effectifs, auxquels s'ajoute une part du temps des équipages marins. 20 000 personnels (civils et militaires) travaillent ainsi pour le MCO aéronautique (soit 50 % du total), environ 15 000 pour le MCO terrestre (37,5 % du total) et 5 000 pour la maintenance navale (12,5 % du total), auxquels l'EMA ajoute la « maintenance continue assurée par les équipages, représentant environ 30 % de leur plan de charge, qu'ils soient en mer ou non car le milieu salin exige une exécution régulière de la maintenance, que les bâtiments naviguent ou non ». Ces ordres de grandeur incluent les effectifs qui travaillent pour l'ensemble des acteurs du MCO, depuis l'EMA et la DGA jusqu'aux services industriels étatiques, en passant par les états-majors des armées, les maitrises d'ouvrage déléguées, ou encore les services de soutien aux états-majors des armées notamment.

Selon un chiffrage plus détaillé mais partiel du ministère des armées, sur les 31 985 personnels catégorisés comme dédiés spécifiquement au MCO en 2023 - mesurés en ETP en raison d'une indisponibilité des données en ETPT -, 12 807 travaillaient au service du MCO terrestre (40,0 %), 17 180 pour le MCO aéronautique (53,7 %) et 1 998 pour le MCO naval (6,2 %). La différence avec les ordres de grandeur fournis par l'EMA résulte du fait que ces chiffres détaillés n'incluent pas certains effectifs (personnels des directions centrales intervenant dans le MCO mais n'étant pas catégorisés comme tels, chaîne de commandement, agents exerçant les métiers « achat » et « contractualisation », opérateurs logistiques, etc.).

Répartition par milieux des effectifs du ministère des armés dédiés au MCO

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial52(*)

Il convient de noter que si la proportion des effectifs spécifiquement dédiés au MCO naval apparaît très largement sous-dimensionnée par rapport aux autres milieux, cela s'explique sans doute par le fait que, comme l'indique l'EMA, une part significative du plan de charge des équipages des navires consiste à procéder au MCO ; ces effectifs ne sont pas comptabilisés dans les personnels dédiés au MCO.

Globalement, les personnels militaires sont largement majoritaires au sein des effectifs comptabilisés au sein du MCO (plus de 78 %), qu'ils soient militaires du rang, sous-officiers ou officiers. Les personnels civils (22 %) sont représentés dans toutes les catégories A, B et C, tandis que de plus nombreux ouvriers de l'État en font également partie.

Répartition par statuts des effectifs du ministère des armés dédiés au MCO
en 2023

(en ETP)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

D'un point de vue dynamique, les informations recueillies par le rapporteur spécial montrent que les effectifs du ministère catégorisés comme dédiés au MCO ont été réduits de 1 000 ETP entre 201753(*) et la prévision pour 2024 (31 170 effectifs), soit une baisse de 3 % en 7 ans. Cette baisse est hétérogène en fonction des milieux puisque le MCO naval (qui avait connu des réductions d'effectifs significatives auparavant) aura connu une hausse de 188 personnels, tandis que le MCO terrestre connaissait une baisse de 975 personnels et le MCO aéronautique de 215 personnels.

Si le ministère des armées n'est pas en mesure de fournir des données antérieures à 2017 sur le périmètre utilisé actuellement, ce qui aurait permis une analyse plus profonde, on peut estimer que la dynamique de réduction des effectifs dédiés au MCO a été enclenchée il y a plusieurs décennies. Ainsi, selon les chiffres de la Cour des comptes54(*), les personnels travaillant au service du MCO représentaient, selon un périmètre large qui s'apparente à celui de l'EMA pour les données transmises au rapporteur spécial, environ 52 000 postes en 2008 et 46 000 postes en 201255(*) ; l'estimation est de 40 000 postes en 202456(*). S'il convient d'appréhender ces estimations avec une grande précaution, ils donnent une idée approximative de la baisse des effectifs entre 2008 et 2024, de près d'un quart (23,1 %).

Estimation approximative de l'évolution des effectifs globaux
du ministère des armées chargés du MCO

(en ETPT)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire et la Cour des comptes57(*)

D. EN DÉPIT DES EFFORTS DÉPLOYÉS, LES RÉSULTATS OBTENUS EN TERMES DE DISPONIBILITÉ DES MATÉRIELS DEMEURENT INSUFFISANTS, SOUS L'EFFET DE DIFFÉRENTS FACTEURS

La performance du MCO, y compris de ses contrats verticalisés, doit être interprétée à l'aune de ses moyens, d `une part, et de ses résultats, d'autre part.

Ses moyens, qui ont été présentés supra58(*), ont été récemment renforcés s'agissant de l'organisation du système de MCO, des modalités de contractualisation de la maintenance, et des crédits de soutien en service, hors dépenses de personnel. Néanmoins, cette hausse récente doit être relativisée au regard notamment de l'importance des besoins, de l'augmentation continue des coûts de maintenance et de la baisse des effectifs étatiques affectés au MCO.

Ses résultats doivent quant à eux être mesurés en termes de disponibilité, tout d'abord, et d'activité, ensuite. L'analyse de la disponibilité technique opérationnelle des matériels montre que ces résultats sont encore insatisfaisants.

Néanmoins, des facteurs exogènes au système de MCO à proprement parler ont également significativement contribué à ce constat.

1. La performance du MCO est traditionnellement mesurée en termes de taux de disponibilité des matériels, qui conditionne le niveau d'activité des forces

Le MCO ayant pour fonction d'assurer le caractère opérationnel des matériels, il est naturel que sa performance soit traditionnellement mesurée au regard du taux de disponibilité des équipements.

En effet, un niveau satisfaisant de disponibilité, dans un contexte de parc globalement restreint, conditionne à son tour l'opérationnalité des forces. Une moindre disponibilité des matériels se traduit mécaniquement, à parc constant, par un potentiel d'activité et d'engagement plus faible, de même qu'un moindre entraînement des forces. Ce dernier risque est au demeurant aggravé par le fait que les matériels disponibles sont généralement principalement affectés aux opérations - ce qui est cohérent -, au détriment de la préparation et de l'entraînement des forces. En outre, un manque de disponibilité des équipements affecte le moral des troupes.

Sont généralement distinguées la disponibilité technique et la disponibilité technique opérationnelle.

D'une part, la disponibilité technique (DT) est l'aptitude technique d'un équipement à être en état d'accomplir en sécurité une des missions pour lesquelles il a été conçu, c'est à dire en état de fonctionnement et disposant des systèmes nécessaires. La disponibilité technique d'un parc est le ratio des matériels disponibles (numérateur) sur le parc en service actif (dénominateur), exprimé en pourcentage. Une part d'indisponibilité est incompressible pour ce qui concerne les matériels en cours de maintenance.

D'autre part, la disponibilité technique opérationnelle (DTO) correspond au rapport entre le nombre de matériels disponibles constaté (numérateur) et le nombre nécessaire afin d'honorer le scénario le plus dimensionnant des contrats opérationnels59(*) fixés en loi de programmation militaire (LPM) et de garantir la préparation opérationnelle qui en découle (dénominateur). Les taux de DTO sont donc en principe toujours supérieurs aux taux de disponibilité technique, le dénominateur pris en compte pour la DTO étant plus faible que pour la DT.

La disponibilité technique est le critère le plus simple et le plus clair pour mesurer la disponibilité des équipements, puisqu'il s'agit d'une donnée lisible et isolée. Contrairement à la DTO, elle n'est pas calculée sur la base d'objectifs fixés par les contrats opérationnels, lesquels varient en outre dans le temps. Néanmoins, les données de disponibilité technique sont, selon les cas, soient indisponibles, soit non publiables. En effet, les données relatives à la disponibilité des matériels militaires ont récemment fait l'objet d'un très fort renforcement de leur confidentialité60(*). Il en découle l'impossibilité pour le rapporteur spécial de rendre publiques des données postérieures à 2022 pour la DTO, tandis que les données relatives à la disponibilité technique sont protégées par la confidentialité y compris pour la période antérieure et ne sont plus intégrées aux documents budgétaires, même avec des garanties de confidentialité (contrairement à la DTO).

Faute de pouvoir s'appuyer dans le cadre du présent rapport sur une analyse de la disponibilité technique, c'est donc la DTO qui est utilisée, pour ce qui concerne les données jusqu'à 2022.

Le rapporteur spécial considère néanmoins que la DT donnant une image plus précise de l'état du parc, il serait souhaitable que cet indicateur figure dans les documents budgétaires, afin d'améliorer l'information du Parlement. Dans le contexte d'un durcissement de la confidentialité de ce type de données, cette information pourrait, si nécessaire, être soumise à des précautions de confidentialité, comme pour ce qui concerne la DTO61(*).

2. Un niveau de disponibilité technique opérationnelle des principaux matériels qui est aujourd'hui insatisfaisant et qui ne s'est globalement pas amélioré...

La disponibilité technique opérationnelle des matériels (DTO) étant fondée sur ce que prévoient les contrats opérationnels fixés par les LPM successives pour les armées, il convient de privilégier une comparaison des données au sein de périodes correspondant à la LPM en vigueur. Néanmoins, une comparaison sur une durée plus longue reste possible puisque la DTO témoigne finalement du taux de réalisation des objectifs fixés par l'État, et ce quelle que soit la LPM en vigueur et les contrats opérationnels afférents.

Les documents budgétaires62(*) contiennent chaque année un indicateur portant sur la « disponibilité des matériels par rapport aux exigences des contrats opérationnels », à savoir la DTO. Les données les plus actualisées pouvant faire l'objet d'une publication63(*) sont celles de 202264(*).

Pour mémoire, un niveau de DTO de 100 % signifie que le niveau de disponibilité du parc d'équipements concerné est suffisant pour répondre aux objectifs fixés par les contrats opérationnels. Un niveau inférieur à 100 % implique, en toute logique, que le niveau de disponibilité ne permet pas d'atteindre les objectifs fixés ; en revanche, cela ne signifie pas nécessairement que les armées doivent renoncer à des opérations extérieures ou à des missions intérieures. En effet, les contrats opérationnels visent le plus souvent une montée en puissance des armées face à l'accroissement des risques géostratégiques, sans que leur atteinte ne soit indispensable à la réalisation des missions actuelles. Néanmoins, des niveaux de disponibilité trop éloignés de l'objectif de 100 % peuvent conduire à de tels renoncements, ainsi qu'à un moindre entraînement des forces65(*).

À fin 2022, sur les 21 matériels structurants répertoriés par l'indicateur, seuls 2 ont une DTO supérieure à 90 % (les véhicules blindés de combat d'infanterie66(*) et les avions à usage gouvernemental), c'est-à-dire à un niveau proche ou conforme aux contrats opérationnels. 12 ont une DTO inférieure à 75 %, dont 2 en-dessous de 50 % (les hélicoptères de la marine et ceux de manoeuvre de l'armée de terre).

Ce constat d'une DTO globale insuffisante des matériels militaires n'est pas nouveau. Néanmoins, en moyenne sur la dernière décennie, il ne s'améliore pas, voire se dégrade. Les trois armées sont concernées par ces difficultés, avec des différences ponctuelles.

Les principaux parcs de l'armée de terre connaissent une DTO moyenne, qui varie en fonction des équipements, de moins de 50 % à une disponibilité complète. Ainsi, en 2022, les VBCI étaient pleinement disponibles pour les objectifs fixés, tandis que les véhicules blindés multi-rôles (VBMR) avaient une DTO de 77 %, les chars Leclerc de 75 %, les hélicoptères d'attaque ou de reconnaissance de 57 %, ceux de manoeuvre de 45 %, tandis que les canons de 155 mm (Caesar) avaient une DTO de 55 %. D'un point de vue dynamique, la DTO moyenne combinée des principaux équipements apparaît relativement stable depuis 201467(*). Sur la période 2019-2022, qui recouvre une seule LPM et donc les mêmes contrats opérationnels, les VBCI et les hélicoptères de manoeuvre connaissent une hausse de DTO, tandis que celle des chars Leclerc, des canons CAESAR et des hélicoptères d'attaque ou de reconnaissance suit une évolution inverse.

Évolution de la disponibilité technique opérationnelle (DTO)
de quatre équipements structurants de l'armée de terre

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

S'agissant de la marine nationale, sa DTO apparaît également contrastée en fonction des matériels. Si la marine souffre depuis de nombreuses années d'une faible disponibilité de son parc d'hélicoptères (46 %), et d'une faible DTO pour les frégates (57 %), ses sous-marins nucléaires d'attaque (72 %), ses avions de chasse (75 %) et son porte-avion (89 %) connaissent de meilleurs résultats. Depuis 2014, le niveau de DTO est globalement stable, la forte baisse de disponibilité du porte-avion en 2017 et 2018 étant liée à un arrêt technique majeur de maintenance programmé à l'avance. Sur la période 2019-2022, les sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) et les avions de chasse connaissent une hausse de DTO, tandis que celle du porte-avion, des frégates et des hélicoptères suit une évolution inverse.

Évolution de la disponibilité technique opérationnelle (DTO)
de cinq équipements structurants de la marine

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Enfin, la DTO des principaux matériels de l'armée de l'air et de l'espace apparaît variable. De bons résultats sont obtenus pour les avions à usage gouvernemental (100 %) et les avions d'appui opérationnel (84 %), les systèmes sol-air n'ont qu'une faible DTO (53 %), comme les avions de transport tactique (54 %) et les avions de chasse (62 %). Les hélicoptères de manoeuvre et de combat ont quant à eux une DTO de 70 %. Depuis 2014, le niveau de DTO tend à se dégrader sur les principaux équipements. Sur la période 2019-2022, la DTO baisse aussi bien pour les avions de combat, que les avions de transport tactique, les hélicoptères de manoeuvre et de combat et les systèmes sol-air moyenne portée.

Évolution de la disponibilité technique opérationnelle (DTO)
de quatre équipements structurants de l'armée de l'air et de l'espace

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Une analyse plus fine par type d'équipements révèle des situations très disparates. Alors que certains équipements connaissent une hausse de leur DTO notamment dans le cadre de contrats verticalisés68(*), certains matériels connaissent des difficultés de disponibilité très marquées.

Dans un rapport publié en 201869(*), le rapporteur spécial s'était en particulier inquiété d'un niveau de disponibilité particulièrement faible des hélicoptères des trois armées, faisant le constat que sur un stock de 467, seuls 171 hélicoptères étaient réellement disponibles en 2017, soit à peine plus d'un tiers (37 %). Si la disponibilité des hélicoptères serait aujourd'hui supérieure à 40 % selon les informations transmises au rapporteur spécial, entre 2017 et 2022, la DTO de ces équipements ne s'est en tout état de cause améliorée que pour les hélicoptères de manoeuvre de l'armée de terre (+ 5 points). Elle est stable pour les hélicoptères de manoeuvre et de combat de l'armée de l'air et de l'espace et s'est même dégradée pour les hélicoptères d'attaque ou de reconnaissance de l'armée de terre et pour les hélicoptères de la marine nationale (- 5 points).

Évolution de la DTO des hélicoptères des armées entre 2017 et 2022

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le rapporteur spécial constate ainsi, à l'issue de ses travaux, que si des progrès se font jour dans certains domaines ou pour certaines flottes, la DTO des principaux équipements de nos armées se dégrade plus souvent qu'elle ne progresse depuis 2014. Son niveau témoigne d'une disponibilité très moyenne des principaux matériels militaires et qu'aucune dynamique d'amélioration globale ne peut être identifiée sur la base des chiffres disponibles, même s'il est possible que les résultats s'améliorent quelque peu à l'avenir à mesure que certains contrats verticalisés signés récemment produiront leurs pleins effets.

3. ...conduisant à un niveau d'activité globalement stable des forces

Le lien direct, à taille de parc constant, entre le taux de disponibilité des matériels et celui de l'activité des forces se manifeste dans le fait que le niveau d'activité (emploi des forces et entraînement) suit, depuis 2014, une évolution en moyenne comparable à la DTO, selon les données disponibles dans les documents budgétaires jusqu'en 202270(*).

Évolution du niveau d'activité de différents personnels des forces armées
entre 2014 et 2022

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Sur les 9 types d'activités dont les données sont disponibles depuis 2014, à fin 2022, 4 sont en hausse (dont une hausse de 36 % pour les pilotes de chasse de la marine, en dépit d'une forte variabilité annuelle), et 5 sont en baisse. La situation moyenne apparaît globalement stable à l'échelle des trois armées entre 2014 et 2022.

Néanmoins, en 2022, sur les 9 types d'activités mentionnés ci-dessus, seul un satisfait la norme correspondante fixée par la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 202571(*), à savoir les heures des pilotes de chasse de la marine. Pour tous les autres, la norme n'est pas atteinte et parfois de façon significative, comme pour les heures de vol des pilotes de transport de l'armée de l'air. Il convient de noter que les normes fixées par la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 203072(*) sont identiques à la programmation précédente, à l'exception de celle des pilotes de chasse de la marine, qui passent à 200 heures par an, tandis que les jours d'activités par homme de l'armée de terre font l'objet d'une modification du périmètre de calcul.

Indicateurs du niveau d'activités des forces armées en 2022,
en comparaison de la norme LPM afférente

(en jours ou en heures selon le cas)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cette situation induit des capacités réduites d'engagement et d'entraînement. Comme les auditions ont été l'occasion de le constater de nouveau, si la France ne renonce pas aux missions souhaitées en raison d'une disponibilité insuffisante des matériels afférents, il arrive qu'elle doive les décaler. À défaut d'avoir les moyens de nos ambitions, nos ambitions sont donc adaptées à nos moyens.

4. Cette situation, qui n'est pas spécifique à la France, est causée par différents facteurs - qui échappent au système de MCO - et est partiellement compensée par des stratégies d'adaptation

Si le rapporteur spécial s'inquiète des performances du MCO au regard du niveau insuffisant de la DTO et en termes d'activité et d'entraînement, ce bilan doit être en partie nuancé, pour trois raisons. Premièrement, la France est loin d'être dans une situation spécifique en comparaison internationale s'agissant des problématiques de disponibilité des matériels. Deuxièmement, le système de MCO n'est pas le seul facteur ayant un impact direct sur les niveaux de DTO des matériels et d'activité des forces armées. Troisièmement, l'agilité toujours vivace des armées s'est traduite par une adaptation du système de MCO pour permettre, en particulier pour certains matériels stratégiques, de décorréler en partie le niveau de disponibilité des équipements et celui d'activité des forces armées utilisatrices, à court terme.

a) Les problèmes de disponibilité des matériels militaires sont loin d'être spécifiques à la France

Il n'est pas d'armée aujourd'hui pour laquelle le sujet de la disponibilité des matériels ne soit pas une difficulté, y compris pour les plus puissantes et dépensières d'entre elles.

À titre d'illustration, la marine américaine connaît d'importants problèmes de disponibilité de ses navires, qui tendent à s'aggraver. Cette situation s'explique notamment, selon les informations fournies au rapporteur spécial, par des capacités industrielles de maintenance des navires décorrélées du nombre de navire en service actifs. Ainsi, la marine américaine ne dispose aujourd'hui que de quatre chantiers publics, à Norfolk, Pearl Harbor, Puget Sound et Portsmouth. En conséquence, la maintenance de ces bateaux prend du retard, y compris pour les sous-marins et porte-avions, qui, entre 2015 et 2019, ont connu un retard de leur maintenance dans 75 % des cas. Au total, entre 2014 et 2020, les sous-marins ont passé 26 ans de plus - en cumulé - que prévu dans les chantiers, et les porte-avions plus de 3 ans de plus. Les problèmes de maintenance ont d'ailleurs poussé l'US Navy à sortir du service actif 9 navires, résultant en une perte de 34 années de durée de vie des navires.

De même, la disponibilité des navires de la marine britannique connaît d'importantes difficultés. Celle des frégates serait à peine supérieure à la moyenne, selon les informations fournies au rapporteur spécial.

Si les enjeux de disponibilité se retrouvent partout, il n'existe en revanche pas, selon le ministère des armées, de modèle de MCO fonctionnant de manière comparable à la France à l'étranger. À titre d'exemple, le modèle britannique repose sur une très forte externalisation associée à une verticalisation extrêmement poussée de la maintenance. Ainsi, celle-ci est essentiellement externalisée à la société privée BABCOCK, y compris pour les opérations hors du territoire national, avec des résultats peu probants en termes de disponibilité.

b) Le niveau et la portée de la disponibilité technique opérationnelle sont affectés par d'autres facteurs que le système de MCO lui-même

Si la performance du MCO est un élément déterminant pour le niveau de disponibilité des matériels militaires, d'autres facteurs peuvent également avoir une influence sur ce niveau. En outre, les conséquences du niveau de MCO en termes d'activité notamment peuvent varier en fonction des caractéristiques des armées et des matériels.

Tout d'abord, le niveau de disponibilité présente une portée inversement proportionnelle à la taille du parc analysé. À l'échelle d'une armée, moins celle-ci est fournie en matériels, plus leur niveau de disponibilité présente une importance aigue. La France ayant fortement réduit ses parcs au cours des dernières décennies, elle se doit ainsi d'assurer un niveau de disponibilité d'autant plus élevé73(*). L'enjeu est sur le principe moins grand pour une armée très équipée comme l'armée américaine.

À l'échelle d'un parc d'équipements, la logique est la même. S'agissant des armées françaises, les taux de disponibilité des équipements de la marine - relativement peu nombreux, notamment s'agissant des grands navires - présentent ainsi une portée plus grande encore que pour l'armée de terre, qui bénéficie d'une « masse » supérieure. Par ailleurs, les cessions de matériels (vente de matériel d'occasion ou dons à des pays étrangers) qui n'ont pas été anticipées suffisamment à l'avance pour recompléter le parc à temps conduisent mécaniquement à un rétrécissement du nombre de matériels disponibles et donc à la sur-sollicitation des équipements restants, générant à terme plus d'indisponibilité. Cet enjeu s'est notamment posé dans les dernières années à l'occasion de la cession à titre onéreux d'avions Rafale à la Grèce et à la Croatie.

Ensuite, le niveau de disponibilité des matériels est influencé par le niveau d'engagement des armées, sur lequel le système de MCO n'a pas de prise. Une armée d'emploi comme l'armée française, qui se déploie sur l'ensemble du globe, notamment dans le cadre d'opérations extérieures, sollicite fortement ses équipements, générant mécaniquement de la « casse » et donc un besoin de MCO élevé pour maintenir le niveau de DTO. Or, depuis de nombreuses années, l'engagement des armées françaises est très élevé, notamment en opérations extérieures, dans le cadre des activités de forces de souveraineté déployées dans les outre-mer et à l'occasion de l'exécution de missions confiées par l'OTAN, l'ONU et l'Union européenne. Cet engagement s'est encore développé récemment sur le flanc oriental en Europe de l'OTAN74(*), après l'invasion de l'Ukraine par la Russie. En outre, nombre des opérations extérieures des armées ont été effectuées dans des conditions très éprouvantes pour le matériel. Ainsi, les matériels déployés en opération subissent deux phénomènes qui en accélèrent l'usure et donc le besoin de maintenance :

la suractivité, qui traduit l'emploi des matériels utilisés en Opex75(*) au-delà du potentiel alloué et financé en loi de finances ;

la surintensité, qui caractérise les conséquences sur les matériels des conditions d'emploi en opérations extérieures plus « agressives » qu'en métropole, du fait de l'éloignement des théâtres ou encore des conditions climatiques extrêmes (terrains sableux, températures très élevées, niveaux d'humidité très faible ou très élevé, etc.). À titre d'utilisation, un moteur d'hélicoptère pourrait être utilisé en moyenne 3 000 heures dans des conditions habituelles en métropole contre seulement 300 heures en opérations extérieures. De même, un Mirage 2000 en opération extérieure consommerait 100 heures de maintenance par mois alors que le cycle d'entretien normal prévoit 16 heures de maintenance sur la même période. Pour les matériels terrestres, l'usure des véhicules déployés en opérations extérieures serait de 2,5 à 4 fois plus rapide76(*).

Par ailleurs, les caractéristiques du parc de matériels influent directement sur l'efficacité et l'efficience du MCO et donc sur le niveau de disponibilité. La maintenance des matériels jeunes - pour lesquels il faut identifier et régler les défauts de jeunesse - ou vieillissants - pour lesquels les obsolescences sont nombreuses et les pièces détachées difficiles à se procurer - est ainsi plus exigeante que pour les matériels en milieu de vie77(*). L'entretien simultané de matériel anciens et neufs constitue ainsi l'un des principaux enjeux du MCO naval. De même, le degré d'homogénéité des parcs est déterminant dans l'efficacité du MCO et donc sur le niveau de disponibilité : un parc de matériels très hétérogène réduit les économies d'échelle (multiples stratégies de soutien, de contrats de maintenance, de besoins industriels et de matériels, d'effectifs, d'apprentissage des personnels, etc.), tandis qu'un parc homogène simplifie fortement le MCO. La coexistence d'équipements de générations différentes, l'hétérogénéité des missions réalisées, la variété des environnements d'utilisation et la mise en oeuvre d'opérations de « rétrofit » étalées dans le temps sont les principaux facteurs d'hétérogénéité des parcs78(*).

De plus, le nombre et la disponibilité des infrastructures de maintenance constituent un élément majeur sur l'efficacité du MCO, en particulier dans le domaine naval.

Enfin, la résilience et la solidité de la BITD jouent un rôle structurant : la maîtrise des chaînes d'approvisionnement et la fluidité des relations entre les grands maîtres d'oeuvre industriels et les sous-traitants sont nécessaires pour assurer la réalisation des prestations de maintenance externalisées, dans les délais impartis. En l'état, elle n'est pas toujours assurée. De plus, les capacités industrielles de maintenance au sein des industries privées connaissent des limites qui réduisent la cadence d'entretien des matériels. Il en va notamment ainsi pour l'entretien des munitions complexes, MBDA n'ayant pas à ce jour développé de filière spécifiquement à la maintenance, selon les informations recueillies par le rapporteur spécial. En outre, l'état mondial des chaînes d'approvisionnement joue un rôle dans la performance du MCO et donc le niveau de disponibilité, des ruptures d'approvisionnement de sous-composants essentiels, comme c'est le cas aujourd'hui, ayant un impact très fort.

c) Le niveau insuffisant de disponibilité technique opérationnelle des matériels est partiellement compensé à court terme pour certaines flottes par une hausse notable de l'activité par équipement restant disponible

En règle générale, le niveau de DTO des matériels est fortement corrélé au potentiel d'activité des forces. C'est d'ailleurs ce qui fait toute l'importance d'une disponibilité élevée des matériels.

Néanmoins, la corrélation entre le niveau de disponibilité et celui d'activité est plus distendu pour certains matériels. En effet, le taux de disponibilité en réduction d'un parc peut être compensé par une activité plus intense - au-delà des usages habituels - des équipements restant disponibles. Cette solution tend à être mise en oeuvre de plus en plus fréquemment et de manière organisée ces dernières années, pour des parcs d'équipement spécifiques et souvent stratégiques. L'hypothèse est d'ailleurs parfois intégrée dans les contrats verticalisés conclus avec les mainteneurs industriels.

Elle a ainsi été mise en oeuvre notamment s'agissant du Rafale, dans un contexte de réduction du parc lié en particulier au prélèvement pour l'export sur la dotation de l'armée de l'Air et de l'Espace de 24 Rafale, au profit de la Grèce et de la Croatie, et au titre desquels le recomplètement intégral n'est prévu que pour 2027. Le nombre d'heures de vol par appareil est ainsi passé de 200 heures de vol à 300 heures de vol par an.

Cet artifice présente toutefois deux inconvénients principaux, à savoir générer une sur-usure, ce qui accroît à terme les besoins en MCO, et réduire la durée des matériels. Il ne constitue donc pas une solution de long terme.

E. DES CONTRATS « VERTICALISÉS » OU « GLOBALISÉS » DE MAINTENANCE QUI ONT PRODUIT DES RÉSULTATS POUR CERTAINES FLOTTES, MAIS QUI PRÉSENTENT AUSSI DES ÉCUEILS

1. Des contrats qui présentent des atouts réels

Les auditions menées par le rapporteur spécial ont été l'occasion de constater que la plupart des personnes entendues ont relevé l'efficience des contrats « verticalisés » ou « globalisés » en matière de maintenance des matériels militaires. Au rang des avantages constatés, plusieurs éléments principaux se démarquent ainsi.

En premier lieu, la verticalisation des contrats a effectivement réduit significativement le nombre de contrats de maintenance pour les flottes concernées, réduisant le travail d'interface pour la maîtrise d'ouvrage déléguée (SIMMT, SSF, DMAé) entre les différents mainteneurs, qui était couteuse en temps pour les services et source d'inefficiences. Il a ainsi pu être estimé, sur un échantillon de 12 flottes, que le nombre de contrats de maintenance conclus par matériel a été divisé par 10 environ, les titulaires des contrats étant chargés de maîtriser leur chaîne de sous-traitance. Josselin Droff, chercheur au sein de la chaire Économie de Défense de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) indique ainsi dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial que « globalement, on est ainsi passé d'une moyenne de 19 contrats par matériel à 2 contrats ».

Nombre de contrats de maintenance conclus par matériels,
avant et après la « verticalisation »

(en jours ou en heures selon le cas)

Source : Josselin Droff, chercheur, Chaire Économie de Défense, IHEDN

En deuxième lieu, les contrats verticalisés auraient un avantage très concret pour les armées s'agissant du MCO : la conclusion de contrats verticalisés leur garantit de disposer d'une maintenance de relativement long terme, les autorisations d'engagement correspondantes devant être ouvertes dès la signature du contrat, les crédits de paiement correspondants étant ensuite ouverts par tranche annuelle. Ces contrats répondent donc en partie à l'inquiétude des armées qui ont depuis longtemps la crainte structurelle de ne pas disposer des crédits suffisants pour assurer le MCO de leurs matériels.

En troisième lieu, la durée relativement longue des contrats verticalisés est plus favorable à une prise en compte des nécessités de maintenance à moyen ou long terme par le mainteneur par rapport à la situation antérieure (affermissement successif de tranches annuelles). En outre, cette durée relativement étendue aurait effectivement permis de donner aux industriels la visibilité nécessaire pour maîtriser leur plan de charge et leurs investissements, minimiser les risques, et optimiser les coûts dans la durée.

En dernier lieu, la plupart des personnes entendues ont mis en avant les résultats obtenus en termes de niveau de disponibilité et d'activité des matériels concernés par les contrats verticalisés. Les niveaux de disponibilité du Rafale, du Mirage 2000 et des hélicoptères Tigre, Panther et Fennec auraient ainsi notamment connu une nette hausse. Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, la disponibilité des Rafale de l'armée de l'air et de l'espace serait de 3,9 % supérieure à celle de 2018 (avant la verticalisation des contrats de maintenance), alors que des avions ont par ailleurs été prélevés pour l'export, tandis que celle des Rafale de la marine nationale aurait augmenté de 12,2 % sur la même période79(*). En outre, les Rafale ont été utilisés de façon plus intense pour compenser la réduction du parc, dans un cadre prévu par le contrat verticalisé. S'agissant des hélicoptères Fennec, alors qu'en 2018, l'armée de terre avait réalisé 2 500 heures d'activité, elle en aurait effectué 3 655 heures en 2019 et 4 000 heures en 2020. Entre 2018 et 2021, le coût à l'heure de vol sur ces hélicoptères aurait été divisé par deux et le taux de disponibilité multiplié par deux80(*).

2. Des contrats qui présentent également des écueils

Si le rapporteur spécial est convaincu du fait que les contrats verticalisés présente des avantages certains, ses travaux l'incitent néanmoins à en nuancer le bilan.

Tout d'abord, si la disponibilité de certains matériels s'est améliorée grâce à la mise en place de contrats verticalisés, il n'en demeure pas moins que les chiffres globaux de DTO présentés supra n'ont, en moyenne, pas connu d'amélioration jusqu'en 2022. Si tous les contrats verticalisés n'avaient pas eu le temps de produire leurs effets à cette date, il semble qu'au regard du périmètre large des flottes concernées par la verticalisation, l'absence de dynamique favorable en moyenne pour la DTO invite à relativiser les progrès. De manière plus précise, les travaux du rapporteur spécial ont été l'occasion de constater qu'un certain nombre de contrats verticalisés ne produisent pas les résultats attendus, notamment ceux qui concernent les flottes de d'ATL 281(*) et d'hélicoptères NH90.

Le programme d'hélicoptères NH90

Le programme d'armement NH90 recouvre, d'une part, les hélicoptères NFH (NATO frigate helicopter) de lutte en mer contre les menaces maritimes et sous-marines (version navale) et, d'autre part, les hélicoptères TTH (tactical transport helicopter) pour la fonction aéromobilité (version terrestre).

Le programme NH90 a été lancé en 1992 par la France, l'Allemagne, l'Italie et les Pays-Bas. Ces pays ont été rejoints en 2001 par le Portugal (qui s'est retiré du programme NH90 en décembre 2014) et en 2006 par la Belgique ; ils composent la Nahema (NATO Helicopter Management Agency).

Un mémorandum d'entente (MoU) dénommé « Communauté NH90 » a été signé en 2004 pour permettre aux États de coopérer notamment dans le domaine du soutien. La « Communauté NH90 » regroupe aujourd'hui les membres de la Nahema et neuf autres nations ayant acquis l'hélicoptère (Australie, Finlande, Grèce, Norvège, Suède, Nouvelle-Zélande, Oman, Qater et Espagne), soit 14 pays au total.

Le maître d'oeuvre est le consortium NH Industries, propriété des sociétés Airbus Helicopters, Leonardo et Fokker Aerostructures.

La Nahema a signé le 23 mai 2022 au nom de la France et de l'Allemagne, avec le même consortium, le nouveau contrat de soutien opérationnel du NH90.

Source : ministère des armées et commission des finances

Les hélicoptères NH90 connaissent ainsi d'importantes difficultés en termes de disponibilité, en particulier dans leur version marine. À ce jour, moins d'un tiers des hélicoptères de la version navale est en effet disponible82(*), tandis que les durées de visite de maintenance sont deux fois plus longues que cela avait été anticipé initialement.

Selon les informations recueillies, plusieurs raisons expliquent ces difficultés. En premier lieu, l'organisation industrielle apparaît complexe voire problématique, au moins deux des trois entreprises étant en réalité en concurrence sur de nombreux marchés, ce qui nuit significativement à leur coordination en termes de maintenance. En outre, les pièces de rechange spécifiques aux NFH sont pour une part importante disponibles en trop faibles quantités, ce qui s'explique en partie par le fait que le programme d'armement NH90 a été déployé en trop petit nombre en Europe. Par ailleurs, la conception du NFH n'a pas suffisamment intégré les enjeux liés à l'utilisation de l'hélicoptère en atmosphère saline, laquelle corrode fortement les matériels. Enfin, s'y ajoutent les enjeux liés aux difficultés de coordination entre pays acheteurs à l'échelle européenne.

Si le rapporteur spécial constate que des efforts sont produits par les armées pour trouver des solutions, un groupe de travail État/industrie ayant notamment été mis en place, le taux de disponibilité des hélicoptères NH90 reste très faible. Il est d'ailleurs inférieur aux « besoins de la marine pour conduire l'ensemble des activités opérationnelles et d'entraînement »83(*).

Ensuite, la « verticalisation » ou la « globalisation » des contrats présente des risques qui lui sont intrinsèques. Trois risques principaux peuvent être identifiés.

Le premier risque de ces contrats est qu'elle est susceptible de générer un renchérissement par rapport à l'éclatement des contrats antérieurs, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, le titulaire du contrat porte le risque tenant au respect des objectifs fixés par le contrat verticalisé (selon les cas, en termes d'heures d'utilisation des matériels, de disponibilité, de fourniture dans les délais des stocks, etc.) et ce pour ce qu'il produit lui-même mais également pour tout ce qu'il sous-traite, à tous les échelons (sous-traitants de rang 1 mais également de rangs 2, 3, etc.). Ce transfert du risque depuis l'État vers l'industriel maître d'oeuvre principal présente par principe un coût, que l'industriel intègre dans les marges qu'il se réserve dans le contrat. Ensuite, le système verticalisé implique un empilement d'entreprises de rangs différents, chacun prenant une marge additionnelle sur les prestations ou les matériels fournis par le rang inférieur. Il en découle un empilement des marges par rapport à une situation d'éclatement des marchés de maintenance. Enfin, la négociation de ces marchés globaux est particulièrement ardue pour les services de l'État, générant un risque d'accepter un prix supérieur à ce qui serait légitime, en dépit des efforts fournis.

Le deuxième risque tient à la compétence industrielle des services de l'État et à la qualité de ses relations avec la BITD. D'une part, la réactivité des industriels face aux demandes des armées dépend en partie de la qualité de la relation qu'il entretient avec les forces. À cet égard, la proximité entre les armées et l'industrie permet à cette dernière de mieux prendre en compte et anticiper les besoins des forces. Or la « verticalisation » des contrats, qui se traduit par la définition d'un interlocuteur unique (ou de deux ou trois interlocuteurs) pour les armées pour chaque équipement, peut avoir pour conséquence de rompre ce lien direct qu'elles entretiennent avec certains industriels, cantonnés à leur place de sous-traitant. D'autre part, la globalisation des contrats de MCO est associée à un élargissement du périmètre d'externalisation de la maintenance, ce qui présente le risque de réduire le spectre de compétences des services industriels de l'État, en particulier pour les matériels sophistiqués.

Le dernier risque tient aux stocks de pièces détachées pour les différents matériels militaires. La globalisation des contrats de maintenance a conduit à adopter une logique de flux tendu, avec une constitution minimale de stock. Si cette évolution a toutefois été opportunément tempérée plus récemment, notamment à l'occasion des évolutions géostratégiques84(*) qui rendent les stocks indispensables, le fait est que les forces armées disposent aujourd'hui de peu de stocks, que ce soit au sein de l'État ou chez les industriels privés pour un nombre significatif de matériels militaires.

3. Des contrats dont il conviendrait de faire un bilan complet, notamment financier

Si un bilan général des atouts et écueils des contrats verticalisés ou globalisés a ainsi pu être réalisé par le rapporteur spécial, un bilan financier ou d'efficience de ces contrats est en revanche hors de portée en l'état des données qui lui sont rendues disponibles, que ce soit d'un point de vue global ou par contrat.

En premier lieu, le coût de l'ensemble de ces contrats n'est en effet pas connu. Il n'existe pas même de liste complète de ces contrats, à la connaissance du rapporteur spécial, le périmètre de définition des contrats verticalisés n'étant pas totalement fixé, notamment s'agissant des contrats équivalents dits de « pièces et mains d'oeuvre » conclus par la marine nationale.

En second lieu, il n'est pas possible, pour le rapporteur spécial, de faire un bilan d'efficience des contrats identifiés par rapport aux autres modalités de maintenance (contrats avec différents industriels, maintenance par les services étatiques, etc.), en raison du caractère lacunaire des informations disponibles de manière générale sur le coût du MCO en dépenses de personnel (programme 212) et en dépenses de soutien initial (programme 146)85(*). En outre, une difficulté supplémentaire d'analyse vient du fait qu'une partie notable des contrats globalisés récents ont inclus une reconstitution du stock de pièces et d'équipements de rechanges, générant des coûts afférents nécessairement significatifs.

Le rapporteur spécial estime qu'il est nécessaire que le ministère des armées réunisse suffisamment d'informations pertinentes, notamment financières, pour procéder à un premier bilan précis et étayé des contrats « verticalisés » ou « globalisés », par milieux. Celui-ci serait particulièrement utile pour établir une doctrine pour leur utilisation, dans un cadre géostratégique renouvelé86(*).

Recommandation n° 1 : Procéder à un bilan complet, y compris financier, des contrats de maintenance externalisée confiés à un maître d'oeuvre industriel principal (contrats dits « verticalisés » ou « globalisés »), par milieux : aéronautique, naval et terrestre (état-major des armées (EMA), Direction générale de l'armement (DGA), Secrétariat général pour l'administration du ministère des armées (SGA)).

III. LES BOULEVERSEMENTS GÉOSTRATÉGIQUES NÉCESSITENT DE METTRE LE SYSTÈME DE MCO À L'ÉCHELLE, VIA UNE STRATÉGIE GLOBALE

Comme cela a été dit supra, le système de MCO produit aujourd'hui, en dépit des efforts importants et d'une capacité d'adaptation salutaire de nos armées, des résultats qui demeurent encore insatisfaisants en termes de disponibilité des matériels, dans un contexte où des facteurs exogènes viennent contribuer à ce constat.

Or, le nouveau contexte géostratégique et le risque d'engagement majeur qu'il emporte renforce encore les exigences en termes de disponibilité des équipements, mais également en termes de résilience et de réactivité du système de MCO.

Dans ce contexte, plus qu'une amélioration, c'est une mise à l'échelle qui est attendue du système de MCO, comme le souligne les forces armées elles-mêmes. Le rapporteur spécial considère que seule une stratégie globale, par ailleurs soucieuse de prendre en compte l'état des finances publiques, peut permettre d'y parvenir. Cette stratégie vise à préparer l'hypothèse d'un engagement majeur futur tout en améliorant la disponibilité des matériels aujourd'hui.

Elle devra être associée à une bonne information du Parlement, qui a été trop fortement réduite récemment s'agissant de la disponibilité des matériels et de l'activité des forces. C'en est même une condition pour sa réussite.

A. COMME LE SOULIGNENT LES ARMÉES ELLES-MÊMES, LE FONCTIONNEMENT ET L'ÉCHELLE DU MCO ACTUEL NE RÉPONDENT PAS AUX NOUVELLES EXIGENCES GÉOSTRATÉGIQUES

1. Un contexte stratégique dont la guerre en Ukraine a confirmé la profonde dégradation, exposant la France à un risque de participation à un conflit de haute intensité

En ce qu'il assure le caractère opérationnel du parc de matériels des armées, le MCO ne constitue pas un simple enjeu d'intendance mais revêt une importance qui doit le faire figurer au coeur de la stratégie militaire. Sans un MCO efficace, aucun contrat ou engagement opérationnel et plus largement aucune mise en oeuvre de la stratégie militaire globale pour nos armées n'est possible.

Or, l'invasion de l'Ukraine lancée par la Russie le 24 février 2022 et la guerre qui se poursuit depuis lors constituent un tournant stratégique majeur pour la sécurité en Europe.

Elle marque le retour de l'affrontement entre États souverains et de la guerre de haute intensité en Europe. Elle se caractérise également par un changement d'échelle de la conflictualité. Le volume des unités de combat engagées est en effet sans commune mesure avec les combats des dernières décennies, avec près de 150 000 combattants mobilisés de part et d'autre. À titre de comparaison, l'opération Barkhane au Sahel, principale opération extérieure menée par la France, mobilisait moins de 5 000 militaires.

Le risque d'« engagement majeur » et de conflit de « haute intensité », selon les terminologies utilisées par le ministère des armées, fait désormais aujourd'hui partie des hypothèses sérieuses de mobilisation des forces armées dans les prochaines années, nécessitant de s'y préparer.

Ces évolutions s'inscrivent d'ailleurs dans le prolongement des tendances géopolitiques identifiées depuis plusieurs années par les principaux documents stratégiques publiés par les armées françaises.

Dès 2017, la Revue nationale stratégique de défense et de sécurité nationale (RSDSN) faisait état d'un « durcissement des menaces » dont il résulte « un risque accru d'escalade et de montée aux extrêmes entre États, potentiellement jusqu'au franchissement du seuil nucléaire ».

La Revue nationale stratégique (RNS) présentée par le Président de la République le 9 novembre 2022 s'est ainsi inscrite dans la continuité de la précédente : dans un contexte de cristallisation des principaux antagonismes internationaux, elle constatait le « passage d'une compétition latente à une confrontation ouverte, de la part de la Russie et, de plus en plus, à une compétition exacerbée avec la République populaire de Chine ». Elle prenait acte de « pratiques de contestation et de contournement de l'ordre international fondé sur le multilatéralisme et la règle de droit » de la part de ces États, par ailleurs engagés dans une « bataille de l'influence » destinée à contester et fragiliser les démocraties. Elle constatait en outre l'extension du champ de la conflictualité bien au-delà de ceux traditionnels (terre, mer, air) : spatial, numérique, fonds marins, champ informationnel, etc.

La RNS, tirant les premiers enseignements de la guerre en Ukraine, insistait sur la nécessité de se préparer à des conflits placés sous le triple signe du retour du fait nucléaire, de la haute intensité et de l'hybridité des stratégies, combinant actions militaires et non militaires (directes et indirectes et légales et illégales).

Pour faire face à « un engagement majeur », éventuellement « sous la voûte nucléaire de l'agresseur », la RNS soulignait explicitement « le besoin de masse et de densité de l'action interarmées ». Le risque de guerre d'attrition augmente encore ce besoin, ce qui constitue un fait majeur pour le MCO.

2. Si le MCO des forces armées a fait l'objet d'adaptations à ce nouveau contexte, il ne répond pas encore aux exigences associées

Au cours des dernières années, les armées ont intégré de différentes manières les évolutions du contexte géostratégique, au-delà d'ailleurs du MCO. L'extension des champs et des modes de conflictualité a ainsi été intégrée, tant s'agissant des équipements que d'un point de vue organisationnel, en même temps qu'étaient prises en compte les ruptures technologiques. Du point de vue des matériels, des équipements ont été acquis notamment dans les domaines du spatial, des systèmes d'information, du numérique et de la cyber-technologie, de la robotique, des drones, de l'intelligence artificielle et bientôt de la technologie quantique. Du point de vue organisationnel, de nouvelles structures et modes de fonctionnement ont été adoptés, à l'image de la mise en place d'un commandement de la cyberdéfense (COMCYBER) en 2017.

Le système de MCO s'est également lui-même adapté en partie.

D'une part, il fait évoluer ses compétences et son activité à mesure que les nouveaux matériels, utilisés dans des milieux plus diversifiés, nécessitent de la maintenance, que ce soit par les forces opérationnelles, les services industriels de l'État ou les industriels privés.

D'autre part, et surtout, il commence à s'adapter au nouveau contexte stratégique lié à l'hypothèse d'engagement majeur, notamment s'agissant de la reconstitution de stocks87(*).

Toutefois, le système de MCO, qui produit même à l'heure actuelle des résultats encore insatisfaisants en termes de disponibilité des matériels et d'activité des forces, ne répond pas aux exigences d'un conflit à haute intensité ou d'engagement majeur, ce que les auditions ont d'ailleurs été l'occasion de confirmer.

Le système actuel de MCO souffre en effet de plusieurs types de limites fortes dans l'hypothèse d'un engagement majeur.

Alors que notre modèle actuel est fondé sur une intervention de nos forces armées dans un calendrier relativement maîtrisé (quitte à retarder nos opérations), le nouveau contexte stratégique impose une grande réactivité (dans un calendrier subi et impérieux), avec une capacité pour le MCO de monter fortement en puissance dans des délais courts, d'une part, et de durer, d'autre part. Ces deux objectifs apparaissent très difficilement atteignables en l'état actuel. En effet, le MCO actuel s'appuie pour une part sur une logique de flux tendu - notamment dans le cadre des contrats globalisés -, économe en crédits mais qui présente l'inconvénient de la quasi-absence de stocks88(*), qui serait très problématique en cas de conflit de haute intensité générant d'importantes pertes en matériels. Et ce d'autant plus que la capacité de la BITD de produire, rapidement et en quantité, des stocks d'équipements et de pièces est loin d'être assurée à ce jour, comme l'ont confirmé les auditions. Par ailleurs, de nombreux contrats verticalisés de maintenance s'appuient sur le respect d'un niveau maximal d'utilisation des matériels, qui ne pourrait pas être respecté en cas de haute intensité.

De plus, la tendance au rétrécissement, au profit des industriels privés, du périmètre de la compétence des services industriels étatiques dans la maintenance des matériels, en particulier pour les équipements les plus avancés - et souvent les plus stratégiques -, limite la capacité des services étatiques à répondre rapidement par eux-mêmes aux besoins en cas de déclenchement d'un conflit de haute intensité. Cette dynamique peut néanmoins être nuancée par certaines évolutions récentes, par exemple dans le cadre de l'acquisition de compétences étatiques de maintenance s'agissant du programme SCORPION.

Se pose également l'enjeu du lieu de la maintenance : sur des théâtres d'opération dits « 3D » (pour diversité, dispersion et caractère destructif), le MCO doit se faire largement sur le lieu du conflit, à la fois pour garantir la disponibilité des matériels et d'éviter d'avoir à déployer une logistique de transport trop complexe à gérer. Or, le cadre actuel du MCO, qui s'appuie largement sur les industriels privés pour assurer la maintenance tout en ne facilitant pas la présence de personnels non militaires sur les zones de conflit, poserait un problème très sérieux en cas de conflit majeur. Il convient néanmoins de noter que des efforts sont actuellement produits pour renforcer, avec des personnels militaires, la maintenance effectuée directement sur les terrains d'opération.

En outre, le système actuel de MCO connait encore des enjeux liés à son organisation et aux normes applicables. Comme certaines personnes entendues lors des auditions l'ont rappelé, un éventuel conflit de haute intensité ne s'improvise pas. S'il est par exemple déjà prévu que les normes de maintenance soient fortement allégées en cas de déclenchement d'un conflit, leur caractère trop strict aujourd'hui en temps de paix entrave la disponibilité des équipements et donc la préparation de la haute intensité. Le rapporteur spécial constate par ailleurs que l'organisation administrative du MCO pourrait être utilement harmonisé, en particulier s'agissant du MCO aéronautique89(*).

Enfin, la préparation d'un éventuel conflit de haute intensité s'agissant du MCO emporte des conséquences budgétaires difficiles à porter dans le contexte actuel de forte dégradation des finances publiques.

Le renforcement des crédits du MCO prévu par la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 203090(*) constitue une avancée, qui ne répondra toutefois pas à tous les enjeux.

B. LA HAUSSE SUBSTANTIELLE DES CRÉDITS D'ENTRETIEN DU MATÉRIEL PRÉVUE PAR LA LPM 2024-2030 EST UN PREMIER PAS VERS LA MISE À L'ÉCHELLE DU MCO...

Dans un contexte de niveau encore insatisfaisant de disponibilité des matériels et face à la nécessité de préparer un éventuel conflit de haute intensité, la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 203091(*) a prévu une hausse significative des crédits de MCO sur la période de programmation.

Sur ces sept années, le montant total des crédits d'entretien programmé du matériel (EPM) s'établirait ainsi à 49 milliards d'euros, contre 35 milliards d'euros pour la période de programmation précédente, en hausse de 14 milliards d'euros (en euros courants), soit 40 %.

Cette hausse est significative et peut contribuer, sur le principe, à améliorer la performance du MCO en termes de disponibilité des matériels et d'activité, de même que participer à préparer un éventuel conflit de haute intensité.

Néanmoins, cette progression des crédits doit être relativisée à plusieurs égards.

D'un point de vue juridique et de technique budgétaire, la prévision des crédits d'EPM de 49 milliards d'euros sur la période de programmation n'étant prévue qu'au sein du rapport annexé à la LPM, elle a en quelque sorte encore moins de caractère obligatoire que la LPM elle-même. C'est à l'occasion du vote du budget des armées chaque année au Parlement que cette prévision sera confirmée ou non, de même d'ailleurs que la trajectoire budgétaire globale de la LPM. Dans un contexte de finances publiques très dégradées, il est possible que cette prévision soit remise en cause. En outre, la prévision n'est pas ventilée, de sorte qu'il n'est pas possible d'établir si le périmètre inclut l'entretien des matériels permettant la mise en oeuvre de la dissuasion nucléaire92(*) ou non.

Du point de vue du montant des crédits et de leur évolution, il convient de noter que si la hausse prévue est substantielle, elle est calculée en valeur (à euros courants) et non en volume (à euros constants). Or, l'inflation sur la période pourrait venir rogner une part notable de l'augmentation de crédits et ce d'autant plus que la progression des coûts du MCO risque d'atteindre des niveaux bien supérieurs à la hausse globale des prix93(*). Il est loin d'être certain que la progression des crédits prévue suffise à mettre le MCO à l'échelle de la préparation d'un conflit de haute intensité.

En tout état de cause, si elle est nécessaire, la hausse des crédits en faveur du MCO doit s'accompagner d'une stratégie plus globale. Face à l'état actuel des finances publiques, elle peut par ailleurs devoir s'accompagner de mesures d'économies en parallèle.

C. ...QUI DOIT S'ACCOMPAGNER D'UNE STRATÉGIE GLOBALE POUR RENDRE LE MCO PLUS RÉSILIENT ET EFFICIENT

L'inadaptation actuelle du système de MCO à la préparation d'un éventuel conflit de haute intensité ou d'un engagement majeur suppose la mise en oeuvre d'une stratégie globale visant à l'adapter et à le mettre à l'échelle. Les armées, parfaitement conscientes des enjeux, travaillent en ce sens, mais ne disposent pas de l'ensemble des leviers de décision pour y parvenir, loin de là.

Le rapporteur spécial identifie, sur la base des auditions qu'il a menées et des informations qui lui ont été transmises, un certain nombre d'axes prioritaires, qui apparaissent au demeurant cohérents avec le rapport annexé à la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 203094(*), dans sa version modifiée par le Parlement. Ces axes prioritaires, dont plusieurs sont sources d'économies, visent à favoriser une mise à l'échelle du système de MCO tout en assurant le respect de contraintes fortes pesant aujourd'hui sur les finances publiques.

1. Approfondir l'intégration ab initio des enjeux et des coûts de la maintenance des matériels dans la stratégie d'acquisition

Le système d'acquisition des matériels (souvent appelé « programmes d'armement ») est depuis plusieurs décennies bien éloigné de l'époque des arsenaux d'État. S'appuyant sur les industriels fabricants de la BITD, il présente en théorie un risque accru de séparation des sujets d'achat, d'une part, et de maintenance, d'autre part. Ce risque se matérialise lorsque les sujets de maintenance à venir ne font pas l'objet d'une réelle prise en compte lors de la phase d'acquisition, y compris dans la conception des matériels, comme ce fut trop régulièrement le cas dans les décennies passées.

Aujourd'hui, les enjeux de maintenance font l'objet d'une attention particulière, et ce dès la phase d'acquisition. Cette vigilance est en outre favorisée par le fait qu'une partie très significative de la maintenance a été confiée aux industriels de la BITD, et souvent aux fabricants eux-mêmes dans le cadre des contrats verticalisés.

De ce point de vue, la « stratégie de soutien »95(*), qui est établie lors de l'acquisition des équipements, contribue beaucoup à l'intégration des enjeux de maintenance ab initio. Établie conjointement par l'EMA et la DGA, elle définit notamment les grands choix de soutien sur la durée de vie du matériel, fixe des objectifs, répartit les compétences entre soutien initial et soutien en service, entre soutien opérationnel et industriel (étatique ou industriel), et décide des modalités de contractualisation.

En outre, l'acquisition de matériels est souvent associée à une période de soutien initial du fabricant, ce qui permet non seulement d'identifier plus facilement les problèmes et solutions, mais également d'inciter le fabricant à intégrer les contraintes de maintenance dans la conception de ses matériels, afin de réduire ses coûts ultérieurs.

Dans le cadre de la mise en oeuvre d'une démarche de « soutien logistique intégrée » (SLI) et d'une volonté affichée de maîtriser les coûts sur la durée, la prise en compte des enjeux de maintenance dès la phase des études préalables et d'acquisition des matériels a progressivement été approfondie. Le ministère des armées a ainsi révisé la procédure de définition du soutien lors du lancement d'un programme d'armement.

Aussi l'instruction générale relative au déroulement et la conduite des opérations d'armement de 201096(*) avait-elle prévu que les stratégies de soutien soient élaborées dès les premiers stades d'un programme d'armement en réunissant les ingénieurs de la DGA, les forces et les services de soutien concernés au sein d'équipes de projets intégrées (EDPI). A également été prévue la présence, au sein de ces équipes, d'un responsable du soutien en service (RSS), « expert du soutien pour définir les actions de MCO à conduire au stade suivant », intervenant « dès les premiers stades de l'opération d'armement »97(*). L'instruction « 1618 » de 2019 sur le déroulement des opérations d'armement98(*), qui l'a remplacée, en a confirmé les principes. Elle précise que les équipes comportent « a minima le [RSS] désigné et, chaque fois que nécessaire des experts spécialisés (infrastructure, systèmes d'information...) ». Les éléments de la stratégie de soutien sont ensuite intégrés dans la structure contractuelle.

En outre, lorsque cela est possible, notamment dans les milieux aéronautiques et terrestres, des contrats communs à la DGA et aux services de soutien sont établis. Ces « contrats mutualisés » consistent à intégrer dans un support contractuel unique l'acquisition du système principal, de son système de soutien99(*) et du soutien initial (du ressort de la DGA), et celle d'une période significative de soutien « en service » au-delà du soutien initial (du ressort de la structure de soutien). Il s'agit là encore d'encourager l'industriel à davantage prendre en compte les enjeux du soutien dans la conception des matériels.

Néanmoins, le rapporteur spécial estime, à l'issue de ses travaux, qu'il est encore possible d'approfondir et de perfectionner l'intégration des enjeux et des coûts de la maintenance dès la phase de conception et d'acquisition des matériels.

D'un point de vue global, la stratégie d'acquisition doit prendre en compte les capacités, forcément limitées du MCO. À défaut, le risque est grand d'acquérir à grands frais des matériels devenant assez rapidement indisponibles. C'est d'ailleurs la logique qu'avait mise en avant le Gouvernement à l'occasion de l'examen de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030100(*) pour justifier le décalage de cinq ans de nombreux objectifs capacitaires101(*) de 2030 à 2035, parlant d'un choix de « cohérence ». En d'autres termes, le décalage permettrait de s'assurer que chaque capacité soit pleinement opérationnelle en termes de soutien, et notamment de MCO, quitte à retarder certaines livraisons et à décaler l'atteinte des cibles prévues. Le rapporteur spécial considère que le contexte géostratégique invite à ce que les capacités soient relevées en même temps que le niveau de MCO. Néanmoins, il estime également, a fortiori dans un contexte budgétaire très dégradé, qu'il faut prendre garde pour l'avenir à ne pas privilégier systématiquement l'acquisition d'équipements sophistiqués très gourmands en maintenance, mais de trouver un équilibre entre la « masse » pour les équipements simples et peu coûteux en maintenance et les matériels très technologiques, d'autant qu'il est parfois difficile de sortir d'une doctrine du « tout technologique » une fois qu'elle est installée. Ce choix est d'ailleurs pleinement cohérent avec le nouveau contexte stratégique illustré dans le conflit en Ukraine, marqué par une guerre d'attrition et l'absence de supériorité aérienne : la profusion d'équipements bon marché (comme les drones à bas coûts) y est en effet devenue tout aussi stratégique que le déploiement de matériels plus lourds et sophistiqués.

De même, la stratégie d'acquisition doit viser une homogénéisation des flottes, favorable à une meilleure performance du MCO102(*), tandis que la prolongation trop fréquente de bâtiments en fin de vie doit être évitée au maximum.

Par ailleurs, il importe de s'assurer de la mise en oeuvre effective d'un raisonnement en « coût global de possession »103(*) des matériels, sur l'ensemble du cycle de vie, qui ne fait pas encore suffisamment l'objet d'un calcul systématique et consolidé. Des progrès significatifs ont été faits, à l'image de la mise en place du module CHORUS de comptabilité analytique au sein de la SIMMT, de la DMAé et du SSF, tandis que les enquêtes de coûts ont été multipliées. Néanmoins, la comptabilité analytique n'est pas encore généralisée, notamment en raison de la multiplicité des références utilisées pour la maintenance et parfois du fait de systèmes d'information inadaptés, comme le rapporteur spécial le constatait déjà dans son rapport sur la disponibilité des hélicoptères militaires en 2018104(*).

Dès lors, l'absence d'une connaissance fine du coût du MCO pour l'ensemble des flottes d'équipements ne permet pas encore de déterminer un coût prévisionnel global de possession fiable, ni de l'actualiser d'année en année, et compromet les possibilités d'optimisation ultérieure de la maintenance tout au long du cycle de vie des matériels, notamment dans le choix des matériels. La mise en place d'une comptabilité analytique généralisée permettrait par ailleurs de renseigner le coût de l'indisponibilité des appareils.

Recommandation n° 2 : Afin de mieux identifier le coût global du maintien en condition opérationnelle, généraliser une comptabilité analytique agrégeant les dépenses des programmes 146 « Équipement des forces », 178 « Préparation et emploi des forces » et 212 « Soutien de la politique de défense » de la mission « Défense », le cas échéant par type de matériels (types d'avions, de navires, de véhicules, de munitions, etc.) (ministère des armées).

2. Mettre en place une politique équilibrée de reconstitution des stocks, et anticiper les décisions de cession de matériels

L'hypothèse sérieuse pour les armées françaises d'implication dans un conflit à haute intensité présente une conséquence directe : la nécessité de disposer de stocks d'équipements et de rechanges rapidement mobilisables, associée à la capacité d'en produire en quantité. Or, comme cela a été dit supra, le système actuel de MCO a plutôt été basé, surtout pour les capacités les plus lourdes des armées, sur une logique de flux tendu et de constitution minimale de stock. Le transfert de responsabilité vers les industriels, via les contrats verticalisés, a en outre fortement réduit la visibilité de l'État sur ces stocks.

Aujourd'hui, une politique de reconstitution des stocks est indispensable ; elle est d'ailleurs en partie amorcée, notamment au sein de l'armée de terre, et commence à produire des effets. Selon les informations transmises au rapporteur spécial, en 2022, les niveaux de stocks ont permis de porter à 70 % la capacité à fournir sous 30 jours l'ensemble des rechanges commandés, soit 12 points de plus qu'en 2018. Si ce chiffre est meilleur, c'est encore loin d'être suffisant.

Une telle politique de reconstitution des stocks doit bien sûr être équilibrée : il ne s'agit pas de constituer de manière dispendieuse des stocks inutiles ou disproportionnés pour l'ensemble des matériels, mais plutôt de mettre en place une stratégie fine basée sur une identification des besoins (matériels particulièrement exposés en cas de conflit d'attrition, équipements longs à produire, pièces de rechanges stratégiques, etc.) et d'adapter les modalités logistiques de localisation et de transport des stocks. En effet, en cas de conflit de haute intensité, les armées auront davantage besoin de stocks significatifs proches de la ligne de front.

Dans tous les cas, la reconstitution des stocks - même équilibrée - a un coût certain, à la charge de l'État. De ce point de vue, il convient de ne pas se leurrer sur la portée, s'agissant des stocks, du concept d'« économie de guerre », mis en avant d'abord par le président de la République à l'occasion d'un discours du 13 juin 2023, puis par le Gouvernement et intégré au sein de la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030105(*) (LPM).

La LPM prévoit ainsi notamment106(*) la possibilité pour l'autorité administrative d'instituer une obligation, déterminée de manière proportionnée, pour les industriels identifiés de constituer des stocks minimaux de matières, composants ou produits semi-finis stratégiques dans l'objectif de garantir la continuité de l'exécution des missions des forces armées ou de sécuriser leur approvisionnement. Si une telle disposition est intéressante sur le principe, il est encore trop tôt pour juger de son efficacité, tous les textes réglementaires d'application n'ayant pas encore été publiés et exécutés. Néanmoins, la constitution de ces stocks ayant un coût pour les industriels, celui-ci devra, d'une manière ou d'une autre, être compensé par l'État. Une situation inverse serait à la fois anormale et risquerait même, si les stocks demandés étaient importants, de fragiliser l'écosystème de la BITD. En outre, les industriels risqueraient de répercuter des coûts de constitution de stocks excessifs sur les prix des équipements achetés par les armées, à rebours des objectifs affichés de l'« économie de guerre ».

Concrètement, au-delà de ces dispositions spécifiques de la LPM, la constitution de stocks peut être réalisée en concluant soit des marchés visant à établir des stocks d'équipements ou de rechanges spécifiques, soit en intégrant au sein des contrats de maintenance (qu'ils soient verticalisés ou non) la constitution de stocks donnés107(*) (au prix d'un surcoût), à la place ou en complément des obligations de fournir des pièces dans un délai fixé à l'avance. La stratégie récemment renouvelée du MCO terrestre consiste à recourir aux deux solutions, en fonction des situations108(*). Le rapporteur spécial considère qu'une telle politique est souhaitable et doit être approfondie. D'un point de vue matériel, les stocks peuvent être constitués au sein des infrastructures des industriels privés ou de l'État, selon des modalités qui devront être efficaces (notamment des points de vue d'acheminement et de logistique) et efficientes financièrement.

Une nouvelle stratégie européenne de soutien à la production de munitions

Dans le nouveau contexte géopolitique marqué notamment par le conflit en Ukraine, l'Union européenne a décidé de déployer, à compter de mars 2023, une stratégie générale de soutien à la production industrielle de munitions (stratégie dite « ASAP », pour Act in support of ammunition production) en faveur non seulement de l'Ukraine mais également des pays de l'UE. Elle vise à s'assurer que les armées européennes disposent d'une base industrielle en capacité de fournir des munitions en quantités suffisantes pour faire face aux nouvelles menaces. Sur cette base, différents programmes ont été lancés.

La Commission européenne a ainsi décidé en mars 2024 d'allouer, sur la base des 31 projets sélectionnés, 500 millions d'euros à différents acteurs industriels en Europe dans le but de porter la capacité de production de munitions à 2 millions d'obus par an d'ici à fin 2025. Les projets sélectionnés couvrent cinq domaines : les explosifs, les poudres, les obus, les missiles et la certification des essais et du reconditionnement.

Source : Union européenne

Par ailleurs, il conviendra d'être vigilant à l'avenir s'agissant de l'anticipation des cessions de matériels à des pays étrangers, qu'il s'agisse de ventes ou de dons. En effet, en l'absence de recomplètement rapide, ces cessions ont un impact important sur les capacités des forces armées et conduisent à sur-solliciter les équipements restants, générant des besoins de MCO en hausse109(*). Les cessions à titre onéreux des avions Rafale à la Grèce et à la Croatie, dont le recomplètement complet n'interviendra qu'en 2027 - et sur la base de crédits qui devaient initialement venir étendre la flotte et pas la recompléter -, en sont une illustration flagrante. Les dons d'équipements à l'Ukraine produiront les mêmes effets (canons Caesear, missiles ASTER, etc.), alors que la cession de Mirage 2000-5 (chargés de la défense aérienne en France) a également été annoncée. En sens inverse, les dons de matériels en fin de vie peuvent générer à la fois une capacité supplémentaire pour nos alliés et éviter aux forces armées françaises des coûts de démantèlement onéreux.

Recommandation n° 3 : Mieux anticiper les cessions de matériels militaires et prévoir un remplacement rapide, notamment pour éviter d'augmenter les besoins en maintenance des équipements restants. S'interdire les cessions pour les parcs de matériels dont la disponibilité est faible (Gouvernement, ministère des armées).

3. Renforcer et rationaliser le système étatique de MCO

Répondre aux enjeux de disponibilité des équipements, tout en préparant l'hypothèse d'un conflit de haute intensité, suppose de renforcer les capacités et la cohérence du système étatique de MCO.

a) Renforcer les capacités des services industriels militaires de l'État et réinternaliser une partie de la maintenance

La dynamique, engagée depuis de nombreuses années, d'externalisation de la maintenance des matériels a abouti à un système de MCO à deux vitesses. En effet, de manière schématique, les missions de maintenance lourde110(*) des matériels complexes et relativement récents sont confiées le plus souvent aux industriels privés (en particulier aux fabricants pour les contrats verticalisés), tandis que celles touchant à des matériels moins complexes et/ou vieillissants sont attribués aux services industriels étatiques, dont les effectifs ont par ailleurs été réduits111(*).

Plus largement, le spectre relativement restreint des activités de maintenance des services industriels étatiques présente de nombreux inconvénients, en particulier dans un contexte de préparation à l'éventualité d'un conflit de haute intensité.

En premier lieu, le fait que ces services ne participent que dans des cas spécifiques à la maintenance lourde des équipements modernes et complexes (par exemple les aéronefs comme le Rafale ou l'A400M, les véhicules terrestres du programme SCORPION, les munitions complexes, etc.) réduit le spectre de leurs compétences. Or, en cas de conflit de haute intensité, ces services devront maintenir ce type de matériels, que ce soit sur le territoire national ou sur la zone de conflit. Cette situation est donc contraire à la réactivité qu'exige le contexte géostratégique.

En second lieu, cette limite à la compétence des services industriels étatiques réduit mécaniquement notre autonomie stratégique. D'une part, elle fait largement dépendre nos forces armées non seulement des principaux maîtres d'oeuvre industriels traditionnels mais également de leurs sous-traitants, selon une chaîne qui connaît beaucoup de faiblesses112(*) (notamment pour la fourniture de pièces détachées). Cette situation nous exposerait grandement en cas d'engagement majeur. En outre, elle place l'État dans une position délicate pour négocier les tarifs de maintenance avec les industriels, non seulement parce que l'attribution aux services étatiques de prestations de grande ampleur ne serait pas toujours réaliste à ce jour (notamment au regard de leurs effectifs), mais surtout parce qu'il est plus difficile d'estimer le prix juste. Par ailleurs, elle réduit la capacité des armées à proposer ou débattre des solutions alternatives de maintenance ou de conception visant à faciliter la maintenance ultérieure.

Cette situation n'est toutefois pas une fatalité.

D'une part, elle ne s'explique ni ne justifie pas par une productivité structurellement inférieure des services industriels de l'État par rapport aux industriels privés en matière de MCO, même si des efforts doivent être produits dans certains cas pour augmenter leur efficacité. Cet état de fait est en réalité surtout la conséquence directe des choix effectués en matière de titulaires du MCO : il est logique qu'il soit plus difficile d'assurer la maintenance d'un matériel que l'on n'a pas construit et souffrant d'obsolescences (côté industriels étatiques) que celle d'un matériel récent dont on connait tout le processus de fabrication (côtés industriels privés, en particulier lorsque le mainteneur est le fabricant).

D'autre part, les services industriels étatiques ont souvent montré leurs capacités à remplir efficacement des missions complexes, comme les auditions ont été l'occasion de le constater. C'est d'ailleurs le cas en matière de MCO, mais également s'agissant de la fabrication113(*). Plus largement, depuis une dizaine d'années, un spectre un peu plus large de missions de MCO est confié aux industriels d'État, sans que cette évolution ne soit toutefois d'ampleur significative. Le maintien d'une partie du MCO des VBCI114(*) au sein du service étatique de la maintenance industrielle terrestre (SMITer) en est une illustration récente.

Au total, disposer d'industriels étatiques plus forts favoriserait une plus grande autonomie stratégique, une meilleure réactivité en cas d'engagement majeur, et une capacité augmentée à négocier avec les industriels privés.

Pour renforcer nos industriels étatiques et augmenter progressivement le spectre du MCO qui leur est confié, il sera nécessaire de garantir un niveau d'effectif adéquat, alors qu'il a été réduit au fil des années, et d'en assurer une formation pointue. Si une telle politique engendrera un coût budgétaire apparent, il convient de noter qu'elle vise à réinternaliser une partie de la maintenance confiée aux industriels privés, laquelle représente un coût significatif.

Par ailleurs, il est indispensable de prévoir dans les programmes d'armement que les services étatiques du système MCO disposent de la documentation technique et de « droits à reproduire » (liasses), leur permettant de procéder aux opérations de maintenance nécessaires.

b) Harmoniser la structure organisationnelle du MCO, en rattachant la DMAé à l'État-major de l'armée de l'air et de l'espace

Outre le fait que les acteurs et responsables du MCO sont nombreux au sein de l'État, la structure organisationnelle n'est pas pleinement harmonisée.

En effet, alors que la SIMMT et le SSF sont rattachés respectivement à l'état-major de l'armée de terre et l'état-major de la marine, la DMAé l'est directement à l'état-major des armées (EMA) depuis la création de cette direction.

Cette situation a été justifiée, notamment par certaines personnes entendues par le rapporteur spécial, par le fait que les équipements aéronautiques ont un caractère interarmées plus prononcé que les autres matériels. En effet, si l'armée de l'air et de l'espace dispose de la majorité des équipements aéronautiques, la marine nationale (avec l'aéronavale) et l'armée de terre (avec l'aviation légère de l'armée de terre, ALAT) en utilisent également un nombre significatif. C'est beaucoup moins le cas pour les matériels naval et terrestres, dont la quasi-intégralité relève respectivement de la marine et de l'armée de terre.

Si le rapporteur spécial entend cet argument, il a acquis la conviction au terme de ses travaux que ce rattachement direct de la DMAé à l'EMA n'est toutefois pas justifié.

Premièrement, le service auquel a succédé la DMAé, à savoir la SIMMAD115(*), était rattaché au chef d'état-major de l'armée de l'air. C'est le décret de 2018116(*) créant la DMAé qui a « remonté » la tutelle de la maîtrise d'ouvrage déléguée au niveau du chef d'état-major des armées117(*). La nature du rattachement actuel constitue donc une relative nouveauté.

Deuxièmement, les auditions menées par le rapporteur spécial l'ont amené à identifier une raison plus officieuse au rattachement de la DMAé à l'EMA, à savoir des tensions intervenues par le passé entre les différents états-majors d'armée sur le sujet des matériels aéronautiques.

Troisièmement, et surtout, l'EMA constitue une structure de coordination et de décision de très haut niveau dont les missions n'ont en principe pas à couvrir la tutelle d'une structure de maîtrise d'ouvrage déléguée. Ce n'est pas sa vocation et, en toute logique, ses structures et moyens - notamment en effectifs - ne sont pas réellement adaptés.

Afin de répondre aux enjeux posés par l'organisation actuelle, il a été décidé au cours du printemps 2024 d'instaurer un comité directeur compétent sur la gouvernance du MCO aéronautique, renforçant ainsi le rôle des trois états-majors d'armée dans la prescription des besoins de maintenance, l'armée de l'air et de l'espace disposant d'un rôle central en son sein. Si ces évolutions apparaissent intéressantes, le rapporteur spécial recommande, au regard des arguments soulevés supra de rattacher la DMAé au niveau de l'État-major de l'armée de l'air et de l'espace, si besoin selon des modalités qui pourraient impliquer dans les instances décisionnelles des représentants des autres états-majors d'armées.

Recommandation n° 4 : Afin de rationaliser l'organisation du système de maintien en condition opérationnelle étatique, rattacher la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) à l'état-major de l'armée de l'air et de l'espace (ministère des armées).

c) Rationaliser les normes appliquées dans le cadre du MCO

Les auditions menées par le rapporteur spécial ont été l'occasion de constater qu'au-delà des moyens humains, budgétaires et d'organisation, le MCO était également affecté par l'application des normes. En effet, un consensus est apparu sur le caractère aujourd'hui trop lourd soit des normes applicables elles-mêmes, soit de l'interprétation qui en est faite.

C'est d'ailleurs ce qui a conduit le rapporteur spécial à déposer, en qualité de rapporteur pour avis, un amendement au projet de loi de programmation militaire pour les années 2024 à 2030 complétant le rapport annexé, afin de préciser que la réactivité des armées « repose également sur une capacité d'adaptation et le cas échéant de simplification des normes et des procédures pesant sur leur activité, sans préjudice de la sécurité des civils et des personnels militaires », amendement retenu dans le texte final. Cette préoccupation concerne directement le MCO, aussi bien dans sa performance que dans son coût. Les bouleversements géostratégiques et l'hypothèse d'engagement majeur donnent par ailleurs une importance encore plus cruciale au sujet de l'application des normes et des processus de maintenance.

Le rapporteur spécial considère que ce constat doit être fait globalement pour l'ensemble de nos forces armées. À titre d'exemple, le cadre normatif applicable au stockage et à la gestion des munitions, qui se borne souvent à l'application du droit commun sans prise en compte des spécificités militaires, constitue une contrainte forte sur ce segment capacitaire. Dans le secteur naval, la multiplication des normes environnementales, à l'image de la convention MARPOL118(*) sur la pollution par les navires et du règlement européen REACH119(*) sur les substances chimiques, engendre des conséquences en termes de maintenance et de coûts.

Ce constat est particulièrement prégnant en matière de règles de navigabilité dans le domaine aéronautique, comme les auditions ont été l'occasion de le constater.

Définie comme l'aptitude d'un aéronef à être exploité en toute sécurité pour les biens et personnes transportées (équipage, passagers) ainsi que pour les tiers (populations survolées), la navigabilité repose sur une réglementation fixant un certain nombre d'exigences à respecter : qualification du personnel de maintenance, agrément des organismes (aptitude des organismes à concevoir, à produire, à gérer et exécuter la maintenance, à former, etc.), identification et responsabilisation des opérateurs de maintenance traçabilité des matériels et des opérations, surveillance par un organisme indépendant des exploitants, etc.

L'existence de règles de navigabilité est une nécessité pour assurer la sécurité des vols. Elle implique le contrôle des aéronefs, qui passent régulièrement un examen de navigabilité réalisé par la Direction de la sécurité aéronautique d'État (DSAé), placée auprès du ministère des armées. S'il est inévitable que la mise en oeuvre des règles de navigabilité soit source d'indisponibilité pendant le temps de contrôle nécessaire, les travaux du rapporteur spécial ont été l'occasion de constater que la situation actuelle est insatisfaisante de ce point de vue. En effet, les personnes entendues ont notamment évoqué l'exemple d'un Rafale maintenu au sol pour un délai relativement long en raison de la seule absence d'un autocollant sur le fuselage. Si des possibilités de dérogation à certaines règles de navigabilité ont été mis en place, elles ne répondent pas à tous les enjeux.

La traçabilité de la maintenance (saisie multiple des données, en version papier et dématérialisée, édition des documents, absence de module de signature électronique, etc.) est également la source de difficulté. Ainsi, pour les aéronefs, elle est associée à un système fastidieux de chaîne de validations multiples, en partie redondantes, et remontant à haut niveau, ce qui génèrent des délais longs et une très forte lassitude des personnels de maintenance, constituant même de ce fait un enjeu en termes de fidélisation.

En outre, il a été indiqué au rapporteur spécial que certaines règles appliquées dans le domaine civil ont fait l'objet d'une surtransposition dans le domaine militaire, ou encore que leur application dans le domaine militaire n'était pas adaptée.

Il s'agit donc de concevoir des normes de navigabilité permettant d'assurer la sécurité des vols - un objectif impérieux - tout en cherchant les marges de flexibilité pour ce qui ne concourt pas directement à cette sécurité. Ce nouvel équilibre doit d'ailleurs être modulé selon les contextes. S'il est cohérent que l'essentiel des normes de navigabilité militaires soient calquées sur la très forte exigence de l'aviation civile pour les survols du territoire national, cette situation est plus difficilement compréhensible pour ce qui concerne les opérations extérieures en zones isolées. En réduisant de manière équilibrée certaines exigences, tout en garantissant la sécurité des vols, des pilotes, et des personnes au sol, nos forces militaires aéronautiques pourraient connaître un taux de disponibilité - et donc d'activité - plus élevé.

Le rapporteur spécial appelle ainsi, d'une part, à trouver des marges de flexibilité en adaptant les règles générales de navigabilité - et leur application - pour le domaine militaire et, d'autre part, à accorder aux forces opérationnelles une capacité plus large à déroger à certaines de ces règles en raison des contextes géographiques et opérationnels, selon des modalités garantissant le suivi précis et le contrôle de ces dérogations (notamment par la DSAé).

Recommandation n° 5 : Afin de réduire la durée des immobilisations de matériels et de renforcer la réactivité des forces en matière de maintenance, simplifier certaines normes et procédures applicables, en particulier s'agissant des normes de navigabilité, sans préjudice de la sécurité des civils et des personnels militaires (ministère des armées).

d) Soumettre fréquemment le MCO à des exercices militaires d'ampleur

Le MCO faisant partie des fonctions essentielles dans le cadre d'un éventuel conflit, il est primordial qu'il participe régulièrement à des exercices militaires d'ampleur. Les forces armées, pleinement conscientes de cette nécessité, ont déjà organisé de tels exercices, y compris récemment.

Ainsi, l'exercice militaire de grande ampleur interarmées et interallié « ORION 23 »120(*) a intégré des séquences liées au volet MCO. Pour l'aéronautique, il s'agit de la séquence « ORIONIS » effectué en 2023, et pour le domaine naval de l'exercice URSA Minor effectué en 2024.

Ainsi, la séquence « ORIONIS » a consisté à procéder à un « exercice papier sur 2 jours »121(*) visant, en collaboration avec les industriels privés, à s'intéresser au traitement des faits techniques aéronautiques dans un contexte de haute intensité.

De tels exercices spécifiques au MCO sont utiles et doivent être pérennisés, tandis que la piste de soumettre le MCO à des exercices opérationnels intégrés de grande ampleur, sous l'hypothèse d'un engagement majeur, pourrait être étudiée. Les exercices militaires globaux eux-mêmes pourraient ainsi intégrer plus fortement, selon des modalités à déterminer par l'EMA et les états-majors d'armées, la dimension MCO afin de mesurer la capacité des armées à fonctionner globalement, qu'il s'agisse des forces opérationnelles ou des services de maintenance.

4. Répondre au défi du recrutement, de la fidélisation et de la formation des personnels étatiques du MCO

Les effectifs globaux du MCO étatique (de l'EMA aux services industriels étatiques) ont globalement eu tendance à se réduire au cours des années122(*).

Or, s'ajoutent aujourd'hui des enjeux de recrutement, de fidélisation et de formation des personnels recrutés.

Si les préoccupations de recrutement et de fidélisation concernent l'ensemble des forces armées, elles revêtent une acuité particulière pour le MCO dans la mesure où, à qualifications équivalentes, les salaires sont souvent beaucoup plus attractifs dans le secteur privé, dans un contexte où les besoins de la BITD devraient se maintenir à un niveau élevé dans les années à venir.

Les enjeux de formation apparaissent également forts au regard de la montée rapide en technologie des matériels militaires et de la nécessité de préparer un éventuel engagement majeur en confiant des tâches de maintenance plus large aux services industriels étatiques.

Afin de répondre à ces problématiques, plusieurs mesures ont été prises par le ministère.

Outre le plan « famille », lancé à l'été 2017, qui bénéficie à l'ensemble des personnels du ministère des armées, des mesures indemnitaires spécifiques ont été décidées au profit de la filière MCO, considérée comme prioritaire. D'une part, la prime de lien au service (PLS) cible les compétences à fidéliser en orientant les flux et en définissant annuellement des viviers prioritaires, comme le MCO. Elle se répartit en une composante attractivité (20 %) et une composante fidélisation (80 %). En 2023, 12 % de l'enveloppe « PLS » a été attribuée à la filière professionnelle du MCO, soit 8,3 millions d'euros, principalement dans le domaine aéronautique, le plus exposé à la concurrence du privé. Selon les éléments transmis au rapporteur spécial, ces primes auraient permis de maintenir en poste pour 3 années supplémentaires près de la moitié des sous-officiers anciens ciblés (247 militaires). Selon le secrétariat général de l'administration du ministère des armées, le montant des primes répondrait à la montée en puissance des nouvelles flottes aéronautiques (Rafale, A400M, MRTT, drones, etc.), qui implique des besoins supplémentaires en effectifs et en compétences.

Par ailleurs, a été mise en place la prime de compétences spécifiques des militaires (PCSMIL) dans le cadre de la nouvelle politique de rémunération des militaires (NPRM). Elle est attribuée à certains mécaniciens et électroniciens militaires du domaine aéronautique. Elle s'élève à 130 euros par mois (niveau élémentaire), 150 € (niveau qualifié) ou 230 € (niveau expert).

Enfin l'allocation financière spécifique de formation (AFSF) vise à permettre le recrutement de personnel militaire en finançant des formations dans les domaines critiques, en contrepartie d'un lien au service. En 2023, 100 bourses ont été distribuées sur cette base, pour un montant de 315 000 €, afin de recruter à l'issue de leur formation 2 officiers et 98 sous-officiers.

S'agissant du volet formation en lui-même, le ministère propose environ 25 formations certifiantes liées au MCO, dont plusieurs BTS et bacs professionnels dispensés au sein des écoles du ministère.

Le rapporteur spécial considère que l'ensemble de ces mesures sont utiles. Néanmoins, au regard des besoins importants de MCO, qui vont croître dans le nouveau contexte stratégique, de la nécessité de confier au MCO étatique un spectre étendu de missions, et des difficultés toujours notables de fidélisation des personnels, il est indispensable d'aller plus loin.

Si le Gouvernement a annoncé que les services de MCO devraient représenter environ 15 % du schéma d'emplois sur la période 2024-2030 (soit près de 1 000 postes), cette ambition devra s'appuyer et être complété par une stratégie globale volontariste. Si la nouvelle réserve industrielle123(*) pourra contribuer à l'effort, très peu de réservistes étant à ce jour mobilisés au sein du système de MCO, il s'agit surtout de mettre en place une politique de recrutement plus attractive et ciblée - afin de limiter les coûts budgétaires -, d'offrir aux personnels des conditions de travail stimulantes (en simplifiant les normes applicables), et de favoriser les relations croisées entre les personnels de l'État et des industriels privés.

Par ailleurs, du point de vue de la formation, il importe de s'attacher à relever progressivement le niveau de qualification moyen des personnels, à mesure que les matériels progressent en sophistication. Le rapporteur spécial soutient ainsi notamment l'initiale de la marine qui a mandaté l'école navale, associées à L'ENSTA Bretagne, pour créer un master spécialisé « MCO maritime », accessible à l'international.

Recommandation n° 6 : Approfondir la politique d'attractivité et de fidélisation des personnels de maintenance du ministère des armées, et favoriser le développement de formations spécifiques de haut niveau (ministère des armées)

5. Élaborer une doctrine de répartition des compétences de maintenance à jour du contexte géostratégique et faire des contrats verticalisés modernisés une solution parmi d'autres

Pour le rapporteur spécial, le bilan des contrats « verticalisés » ou « globalisés » apparaît ambivalent, en particulier dans le nouveau contexte géostratégique124(*), en dépit de succès certains pour certaines flottes. Ce constat invite à adopter une approche pragmatique visant à évaluer la pertinence de conclure ce type de contrat à chaque fois que la décision d'externaliser la maintenance de matériels est prise ou renouvelée.

Il s'agit ainsi de concevoir les contrats verticalisés comme une solution parmi d'autres pour la maintenance des matériels et non de la généraliser à l'ensemble des matériels. Pour le rapporteur spécial, il convient ainsi de définir une doctrine par milieux - en raison de leurs spécificités propres -, fixant les grands axes de répartition des compétences de maintenance par types d'équipements, entre la régie et l'externalisation, et en ventilant par types d'externalisation (verticalisation ou non, types de marchés, etc.). Cette doctrine devra prendre en compte l'autonomie d'action nécessaire et suffisante de l'État, la maitrise des coûts des prestations de MCO, mais également l'évolution du contexte géostratégique ; elle devra ainsi accorder une part en progression pour les services industriels étatiques et favoriser la reconstitution de stocks selon une stratégie fine et ciblée. En outre, elle devra laisser des marges de manoeuvre aux maîtrises d'ouvrage déléguées chargées de conclure les contrats, en particulier pour intégrer les retours d'expérience des précédents contrats.

L'armée de terre a ainsi décidé de recentrer les contrats verticalisés du MCO sur le coeur de compétences des industriels privés (prestations spécifiques) et d'augmenter le périmètre des marchés transverses. L'idée sous-jacente est de réduire les coûts sur la fourniture de pièces communes à de nombreux équipements (qui font l'objet de contrats transverses auprès de fabricants, après mise en concurrence) tout en permettant la constitution de stocks, en vue d'un éventuel engagement majeur.

Concrètement, dans le cadre des nouveaux « marchés de soutien hybride » (MSH), pour le MCO terrestre, la SIMMT continuera de confier la fourniture des pièces spécifiques aux matériels maintenus aux industriels titulaires des contrats verticalisés mais les contraindra à venir s'alimenter dans les stocks communs pour ce qui concerne les pièces non spécifiques, à l'image par exemple des pneus, piles, ou batteries, mais également pour ce qui concerne le stockage logistique par exemple. C'est selon cette logique que seraient construits les futurs contrats de maintenance, notamment pour les VBCI (notification début 2025), puis les chars LECLERC (en 2027) et les VBMR (en 2027-2028). En outre, des accords-cadres multi-parcs seront notifiés au second semestre 2024 avec les sociétés THALES et ARQUUS pour des prestations et des acquisitions de certains rechanges.

Le MCO naval tend également à augmenter la part des marchés transverses pour certains équipements, des pièces et certaines prestations, en parallèle de marchés verticalisés pluriannuels « pièces et main-d'oeuvre » par famille de bâtiments (porte-avions, sous-marins, frégates, bâtiments de soutien, etc.). Ces marchés transverses sont déployés pour des systèmes ou pièces identiques ou similaires présents sur plusieurs porteurs. Elle conclut ce type de contrats généralement directement auprès des équipementiers (Thales, MBDA, Leonardo, Safran, TechnicAtome, etc.) et non en tant que sous-traitants de Naval Group, ce qui permet de diversifier les titulaires de contrats et est un facteur de renforcement de résilience.

En revanche, le MCO aéronautique continue de faire de la verticalisation des contrats le coeur de sa stratégie de contractualisation, ce qui s'explique en partie par le caractère hautement technologique de ses équipements.

Ces évolutions vont dans le bon sens mais gagneraient à être approfondies, sur la base de l'établissement d'une doctrine de répartition des compétences de maintenance dans le nouveau contexte géostratégique, d'un recours plus large à la régie, d'une reconstitution des stocks et d'une redéfinition du périmètre des contrats verticalisés.

Recommandation n° 7 : Établir une doctrine générale, adaptée au nouveau contexte géostratégique, relative à la répartition des responsabilités de maintenance par milieux et par types d'équipements, en faisant des contrats verticalisés une solution parmi d'autres (ministère des armées).

En outre, lorsque le paysage industriel le permet, le rapporteur spécial considère, comme il l'avait indiqué dans son rapport sur la disponibilité des hélicoptères militaires en 2018125(*), qu'il est opportun de s'appuyer, lorsque cela est possible, sur au moins deux maitres d'oeuvre principaux dans le cadre des contrats verticalisés, dans un système de « co-traitance ». La « verticalisation » des contrats s'effectue alors par sous-système cohérent (cellule, équipement, moteur), tout en veillant à une bonne articulation entre les interventions de chaque acteur.

Schéma possible de « verticalisation » des contrats à deux industriels privés

Source : commission des finances du Sénat

Une telle solution présente l'avantage de réduire le nombre de contrats et de procéder à une clarification des responsabilités, objectifs poursuivis par la « verticalisation », tout en maintenant un contact plus diversifié avec l'industrie126(*) et en réduisant le nombre de sous-traitants par co-contractant.

Recommandation n° 8 : Dans le cadre de la « verticalisation » des contrats, pour éviter de remettre en cause des dispositifs éprouvés, conserver les relations contractuelles bilatérales lorsque c'est possible et qu'elles donnent satisfaction (ministères des armées).

6. Rendre la BITD plus résiliente et favoriser les relations croisées entre les personnels de l'État et ceux du privé

Si le rapporteur spécial appelle à renforcer l'autonomie stratégique du MCO étatique, il considère également qu'il ne peut y avoir de forces armées résilientes sans une base industrielle et technologique de défense solide.

Or, si certaines entreprises industrielles privées françaises de ce secteur sont d'une taille respectable, aucune ne fait partie des 10 premières mondiales en termes de chiffre d'affaires. Surtout, les nombreuses entreprises de rang inférieur, qui sont le plus souvent sous-traitantes, connaissent une solidité très variable et finalement assez peu connue et anticipée. Le système de verticalisation des contrats a d'ailleurs encore réduit la connaissance par les armées de l'état du paysage industriel français, alors que les principaux maîtres d'oeuvre industriels privés n'ont pas non plus de vision consolidée de la situation de leurs sous-traitants, voire ne les connaissent pas au-delà des sous-traitants de rang 2, voire de rang 1.

Si la question de la résilience de la BITD française dépasse le cadre du présent rapport, elle n'en est pas moins une condition indispensable de la qualité du MCO externalisé. Elle devra être cartographiée et améliorée, au service de notre autonomie stratégique. La question du financement des entreprises de la BITD devra également être traitée, comme l'a exprimé le Sénat lors de l'adoption de la proposition de loi relative au financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense française en mars dernier127(*).

Par ailleurs, dans le cadre de la préparation à l'hypothèse d'un engagement majeur, il est nécessaire de renforcer les relations croisées entre les personnels industriels de l'État et ceux des maîtres d'oeuvres privés. En effet, en cas de déclenchement d'un conflit de haute intensité, les services industriels de l'État verront leurs missions s'étendre bien au-delà du périmètre actuel (matériels plus sophistiqués, tâches de production, etc.). Or, ce basculement ne peut s'opérer efficacement du jour au lendemain. Outre une extension progressive des compétences des services industriels étatiques, doit donc être favorisée une intrication plus forte entre les personnels de l'État et du privé.

Ces relations croisées seront d'ailleurs bénéfiques aussi bien au personnel de l'État (extension des compétences à des matériels modernes) qu'à ceux du privé (meilleure compréhension des attentes de l'État, contribution aux normes de maintenance adaptées à la haute intensité, etc.), que l'hypothèse d'engagement se réalise ou non.

Une telle intrication pourrait notamment s'appuyer sur la nouvelle réserve industrielle de défense dont l'effectif visé est de 3 000 à l'horizon 2030. Le rapporteur spécial considère en effet que la création de cette réserve pourrait permettre de renforcer les relations croisées, et même d'envisager de permettre aux personnels des industries privées engagés sous statut de réservistes et volontaires d'être projetés dans des zones de conflit, ce qui serait indispensable en cas de conflit de haute intensité.

Il constate néanmoins qu'à ce jour, seuls vingt contrats de réservistes auraient été signés. En outre, le rapporteur spécial partage l'esprit de la proposition évoquée par certaines personnes entendues au cours des auditions consistant à étendre ces relations croisées au sein même des industriels privés entre les personnels travaillant sur des matériels militaires et ceux s'occupant de matériels civils. En effet, il ne fait aucun doute qu'en cas de conflit de haute intensité, tous les personnels seront mobilisés pour produire et maintenir des matériels militaires. Une acculturation mériterait dès lors d'être favorisée dès à présent.

Recommandation n° 9 : Afin d'anticiper d'éventuels conflits de haute intensité, favoriser le développement d'échanges croisés entre les personnels des services industriels étatiques et ceux des entreprises industrielles privées intervenant dans le secteur de la défense, d'une part, et, le cas échéant, entre les personnels de ces entreprises travaillant respectivement sur des projets civils et des projets militaires, d'autre part (ministère des armées, secteur industriel).

7. Favoriser une politique audacieuse d'innovation, de numérisation et d'adaptabilité pour le MCO

Les matériels des forces armées suivent le rythme des innovations technologiques, qui s'accélère sans cesse. Il en résulte que les équipements sont de plus en plus sophistiqués, performants, et exigeants à entretenir128(*).

Mais ce processus d'évolutions technologiques et d'innovation s'applique aussi au MCO lui-même, dans le cadre plus large de ce que certains qualifient de « quatrième révolution industrielle » ou « industrie 4.0 ». D'une part, la sophistication des équipements suppose de mettre à niveau les matériels et systèmes de maintenance (bancs de test numérisés, systèmes informatiques performants, production de pièces complexes, utilisation de matériaux rares, etc.). D'autre part, des modalités innovantes de maintenance sont mises au point. Ce besoin d'innovation en matière de MCO est d'ailleurs déjà intégré au sein du ministère des armées, à l'intérieur duquel l'Agence de l'innovation de défense (AID) joue un rôle majeur, de même que la Direction générale de l'armement (DGA).

L'innovation et la numérisation constituent ainsi un axe tout à fait primordial pour construire un MCO plus efficace, plus réactif et moins coûteux.

Des progrès importants se sont déjà faits jour. Ainsi, alors que le système de MCO traditionnel est fondé sur des contrôles périodiques des matériels, comme l'illustre l'exemple des « arrêts techniques majeurs » pour les navires, certains équipements innovants permettent de sortir de ce cadre coûteux en temps et en disponibilité des matériels. C'est l'intérêt de ce que l'on appelle la maintenance dite « conditionnelle »129(*) ou « selon l'état »130(*), qui désigne le fait de subordonner la maintenance à l'état réel du matériel, et non pas à un calendrier préétabli, lorsque c'est possible. C'est notamment le cas de l'avion Rafale, dont la conception prévoit que les systèmes détectent eux-mêmes les pannes et, le cas échéant, leur localisation. Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, il est ainsi possible de déposer les moteurs d'un Rafale en quelques heures et de renvoyer à l'industriel la partie du moteur identifiée par les systèmes de l'aéronef comme posant problème.

Dans la même logique, est peu à peu développée la « maintenance prédictive », qui consiste à utiliser les données en temps réel produites par le système (données dites « HUMS »131(*)) afin de réaliser des actions de prévention des défaillances et éviter ainsi les temps d'arrêt. Elle est par exemple utilisée pour la surveillance des vibrations au niveau des rotors des hélicoptères, qui sont signe de défaillance à venir.

En outre, le ministère des armées s'efforce de développer l'innovation en matière de techniques de maintenance. Si les idées sont nombreuses, plusieurs types d'innovation sont actuellement considérées comme très prometteuses ou sont déjà mises en oeuvre ou expérimentées. La première réparation réelle d'une unité à la mer par téléassistance et fabrication additive132(*) en métal a été réalisée en mai dernier, dans le contexte de l'exercice Ursa Minor animé par le SSF.

Les principales techniques de maintenance innovantes étudiées
ou mises en oeuvre par les armées

La fabrication additive (« impression 3D »), consistant à fabriquer des objets par addition de matière en couches successives, fait l'objet de nombreuses expérimentations par les structures de soutien des armées. La SIMMT va ainsi déployer en Roumanie, dans le cadre de la mission militaire confiée à la France par l'OTAN, un container incluant des imprimantes 3D polymères et métalliques. Le SSF intègre, quant à lui, des imprimantes 3D métalliques dans ses gros navires (par exemple le porte-avion Charles de Gaulle). De son côté, la DGA travaille sur les clauses à intégrer auprès des industriels dans les marchés d'acquisition pour permettre la production de pièces de rechanges, et sur le développement de la filière d'impression 3D au sein de la BITD.

L'utilisation des drones à des fins de maintenance, qui est en cours d'expérimentation avancée, pour le contrôle des défauts de structure, tant sur les navires que sur les aéronefs. En outre, les drones pourraient être utilisés pour le transport de charges dans le cadre du MCO, par exemple pour l'acheminement de pièces de rechanges pour les navires.

Le « Big Data » : l'analyse de très grands volumes de données informatiques issus d'une grande variété de sources permet de mieux connaître le comportement des systèmes, d'améliorer la sécurité des vols, de réduire les coûts d'exploitation et d'augmenter la disponibilité des aéronefs.

L'utilisation des systèmes HUMS, à savoir des capteurs permettant de mesurer et transmettre les données d'environnement d'un équipement à maintenir (température, vibrations, chocs, consommation électrique, etc.). Les HUMS sont notamment en cours de déploiement dans le but d'augmenter la durée de vie de certains missiles. Il y aura également des HUMS sur les avions Atlantique 2 de lutte anti sous-marine et dans le programme d'avions de renseignement stratégique ARCHANGE.

La « cobotique », à savoir une robotique coopérative centrée sur l'utilisateur, utilisant des systèmes de suppléance mécaniques pour travailler avec l'homme et l'aider dans certaines tâches (manutention, entreposage) ou des situations dangereuses (nucléaire, toxique, zones difficiles d'accès). Des expérimentations sont en cours dans les ateliers industriels du SIAé s'agissant du milieu aéronautique.

Les « jumeaux numériques », technologie qui consiste à reproduire chaque système dans son état courant (avec ses défauts) afin de pouvoir analyser l'état de la flotte et de préparer au mieux la gestion de maintenance de l'ensemble du parc, voire de réaliser des simulations pour tester des scénarios d'emploi en haute intensité. La réalisation de jumeaux numérique sur le parc des véhicules blindés de combat d'infanterie (VBCI) a été lancée, et est par ailleurs en cours de déploiement par le Service interarmées de munitions (SIMu) s'agissant des munitions des armées.

La réalité augmentée (RA) : cette technologie, qui consiste à ajouter de l'information ou des éléments interactifs dans l'environnement réel de l'utilisateur, permet d'obtenir des gains de productivité dans le MCO et s'intègre dans le processus d'automatisation des tâches.

La réalité virtuelle (RV), qui donne la possibilité d'effectuer en temps réel un certain nombre d'actions définies par un ou plusieurs programmes informatiques. Cette technologie est notamment utilisée pour la formation des maintenanciers.

La téléassistance et la télémaintenance sont également mobilisés.

Source : commission des finances, d'après la réponse de la Direction générale de l'armement au questionnaire du rapporteur spécial

Pour accompagner la numérisation et l'innovation en matière de MCO, il est nécessaire de recruter et de fidéliser les personnels adéquats, de même qu'assurer une négociation efficace des contrats d'acquisition des matériels avec les industriels privés. En effet, l'un des obstacles principaux au développement de la fabrication additive par exemple n'est pas technologique mais bien contractuel : pour que l'État puisse fabriquer lui-même des pièces conçues initialement par un industriel, encore faut-il qu'il en ait le droit.

Cela suppose également d'assurer la continuité numérique, en partie engagée, des systèmes d'information (SI) étatiques et industriels. Aujourd'hui, il existe encore beaucoup de SI différents, posant d'importants problèmes d'interfaçage et réduisant ainsi la performance du MCO, de même que la capacité à valoriser les données. Comme l'indique l'EMA dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial, « la nouvelle architecture de SI doit permettre la continuité numérique en assurant, d'une part, la transition dans le temps avec des SI historiques et en développant, d'autre part, la culture de la récupération et de la judicieuse exploitation de la donnée ».

Recommandation n° 10 : Afin de renforcer l'efficience de la chaîne logistique et d'alléger la charge incombant aux maintenanciers, à défaut d'un système d'information (SI) unique, développer l'interfaçage des SI existants et rendre systématique leur interfaçage avec les nouveaux SI. Par ailleurs, afin de favoriser les échanges de données entre les différents acteurs du MCO, développer des instruments permettant leur interopérabilité (ministère des armées).

Enfin, la démarche d'innovation et de numérisation peut utilement mettre à profit la culture d'adaptabilité des forces armées face aux enjeux du MCO. Les auditions menées par le rapporteur spécial ont été l'occasion de constater que les forces déploient déjà des solutions visant à réduire les besoins en MCO des matériels lorsque cela est possible et compatible avec les exigences opérationnelles et d'entraînement. Ainsi, la simulation est utilisée par les différentes armées pour entraîner les personnels, que ce soit par exemple pour s'entraîner au vol en aéronautique ou au tir pour l'armée de terre. De même, le potentiel capacitaire des chars est augmenté, pour certains entraînements, en alimentant les chars Leclerc via une source d'énergie extérieure, sans faire fonctionner son moteur. Enfin, pour la formation des équipages d'hélicoptères ou d'avions, des aéronefs moins onéreux à l'heure de vol sont souvent utilisés.

Cette capacité d'adaptation des forces armées aux enjeux de MCO est utile. Néanmoins, elle doit être réalisée selon des modalités ne dégradant pas la qualité de la préparation opérationnelle des forces.

8. Mobiliser la coopération européenne en matière de MCO, mais à bon escient

Un des axes possibles d'évolution du système de MCO pourrait sur le principe, consister à s'appuyer sur une coopération internationale plus forte en matière de MCO, en particulier en Europe. Si, comme l'a rappelé l'EMA dans ses réponses au questionnaire du rapporteur spécial, « le MCO, comme la logistique, au sein de l'alliance atlantique, est selon la doctrine interalliée une prérogative nationale », cela n'exclut toutefois pas diverses coopérations.

La coopération internationale militaire sur le volet MCO est d'ailleurs déjà une réalité. Récemment, les Etats-Unis ont ainsi décidé d'intensifier leur collaboration avec le Japon dans le domaine du MCO naval. Les Etats-Unis, contraints par des capacités industrielles limitées face aux besoins de construction, de rénovation et de maintenance des navires de la marine, se tournent en effet vers des partenaires internationaux pour assurer la maintenance dans des chantiers étrangers. Dans le contexte de concurrence avec la Chine, un approfondissement de la coopération avec le Japon est ainsi en cours133(*).

Plus généralement, comme l'a rappelé Josselin Droff, chercheur au sein de la chaire Économie de Défense de l'IHEDN, lors de son audition par le rapporteur spécial, le choix de recourir ou non à la coopération internationale en matière de MCO s'opère en fonction de l'équilibre entre des forces centrifuges (économies d'échelle en matière de MCO, en particulier sur des équipements très technologiques) et des forces centripètes (coûts induits par la distance géographique, différences de normes applicables et écarts des doctrines militaires notamment). Ainsi, si la coopération internationale permet une mutualisation des coûts, elle constitue également un facteur de complexité supplémentaire. Or, jusqu'ici, les forces centripètes ont souvent pris le dessus sur les forces centrifuges en Europe, expliquant un niveau de mutualisation de MCO relativement faible.

Plusieurs cas de coopération peuvent certes être recensés en matière de MCO. Le partage de pièces de rechanges entre nations détenant des stocks compatibles en est un exemple et est d'ores et déjà actif, par exemple, pour l'A400M ; il est en cours de développement pour le véhicule GRIFFON, avec la Belgique. Il existe également des dispositifs de « maintenance croisée » pour les flottes communes, via des arrangements techniques et des accords de reconnaissance mutuelle (par exemple, la flotte A400M). Des contrats de maintenance « verticalisés » ont également été conclus à l'échelle internationale pour les hélicoptères NH90134(*). Néanmoins, cette mutualisation reste relativement marginale.

Les évolutions du contexte géostratégique et en particulier l'invasion de l'Ukraine par la Russie ont mécaniquement réduit les forces centripètes, ne serait-ce que parce que de nombreuses armées européennes participent au soutien indirect de l'Ukraine. Néanmoins, si le rapporteur spécial soutient sur le principe une meilleure coopération entre pays européens en matière de MCO, il plaide pour une approche pragmatique visant à la mobiliser à bon escient pour ne pas compromettre la performance du MCO pour les armées françaises et éviter des écueils très dommageables comme dans le cas de l'hélicoptère NH90135(*).

D. L'INFORMATION DU PARLEMENT DEVRA ÊTRE RÉTABLIE À UN NIVEAU PERMETTANT DE MESURER FIDÈLEMENT LA PERFORMANCE DU MCO ET D'EN TIRER LES CONSÉQUENCES BUDGÉTAIRES ET LÉGISLATIVES

À l'occasion de la présentation du projet de loi de finances pour 2024, le projet annuel de performances de la mission « Défense », qui lui est annexé, comportait une refonte de la maquette de performance du programme n° 178 « Préparation et emploi des forces », qui s'est accompagnée d'une interruption de la publication des résultats et des cibles des indicateurs relatifs à la disponibilité technique opérationnelle (DTO) des matériels, d'une part, et à l'activité des forces, d'autre part.

Pour les années postérieures à 2022, ces données, désormais classées « diffusion restreinte - spécial France » restent accessibles aux parlementaires des commissions chargées de la défense et à certains parlementaires des commissions des finances136(*) mais ne sont plus disponibles en source ouverte et ne peuvent pas être publiées.

À l'occasion d'auditions du rapporteur spécial dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, il lui avait été indiqué que le ministère des armées, dans un souci de transparence, aurait fait preuve par le passé d'une forme de « naïveté » en publiant ainsi des éléments de nature à révéler de façon assez précise notre potentiel militaire à nos compétiteurs. Le rapporteur spécial est bien entendu sensible à cet enjeu, même s'il n'est pas certain que la protection des données au titre de la mention « Diffusion restreinte », qui ne relève pas du secret de la défense nationale, suffise à empêcher nos principaux concurrents internationaux d'avoir in fine accès à ces informations.

Or, en l'état, ce changement a en revanche bel et bien pour conséquence de priver le débat budgétaire d'informations importantes et de réduire la capacité du Parlement à contrôler et à évaluer les politiques mises en oeuvre. À l'avenir, le décalage croissant avec l'année 2022 conduira à l'impossibilité de procéder à une analyse sur la base de ces indicateurs. C'est pourtant une condition pour évaluer la performance du MCO, et au-delà l'état de fonctionnement de nos armées, et en assurer le contrôle annuel.

Le rétablissement de l'information du Parlement s'agissant de la disponibilité des équipements et de l'activité des forces à un niveau suffisant apparait ainsi indispensable pour que la représentation nationale soit en mesure de connaître l'état de nos forces armées et d'en tirer les conséquences budgétaires et législatives.

Il appelle en tout état de cause le ministère des armées, dans la perspective de l'élaboration des documents budgétaires afférents aux prochains textes budgétaires, à s'efforcer de rechercher un meilleur équilibre entre la protection de la sécurité nationale et la transparence vis-à-vis des parlementaires et des citoyens, qui est inhérente au dispositif de performance de la dépense publique.

Si le rapporteur spécial exprime une préférence pour le rétablissement des indicateurs - et l'ajout d'informations sur la disponibilité technique (DT) des matériels, plus pertinente que la DTO -137(*), il serait également envisageable, a minima, comme il l'avait indiqué lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024, que les documents annexés aux projets de lois relatives aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année diffusent un indicateur de taux de réalisation des cibles prévues, sans révéler le niveau de la cible en valeur absolue, que les rapporteurs pourraient continuer de vérifier sous une version non diffusable, afin que le débat puisse s'engager sur cette base. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2024 en séance public, le ministre des armées, M. Sébastien Lecornu, avait estimé cette idée intéressante. Une telle démarche pourrait en outre être associée à la publication des indicateurs quelques années après les années d'exécution concernées, notamment au profit des travaux de recherche.

Recommandation n° 11 : afin de restaurer la qualité de l'information du Parlement sur la disponibilité technique opérationnelle (DTO) des matériels militaires et sur l'activité des forces armées, rétablir, si besoin en y associant des précautions de confidentialité, la publication des indicateurs afférents. Compléter cette information par un indicateur permettant de mesurer la disponibilité technique (DT) des matériels, si besoin sous les mêmes précautions (ministère des armées).

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 2 octobre 2024 sous la présidence de M. Thierry Cozic, vice-président, la commission a entendu une communication de M. Dominique de Legge, rapporteur spécial, sur le maintien en condition opérationnelle des équipements militaires.

M. Thierry Cozic, président. - Nous commençons nos travaux avec la présentation, par Dominique de Legge, des conclusions du contrôle budgétaire qu'il a mené sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) des équipements militaires.

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - Avoir du matériel c'est bien, avoir du matériel utilisable, c'est mieux. Si c'est en principe une évidence, ce n'est pas toujours une réalité au sein de nos armées, encore aujourd'hui.

Les enjeux en la matière ne sont pas nouveaux. En 2018, je m'étais d'ailleurs intéressé à la disponibilité des hélicoptères des trois armées. Mais dans un contexte stratégique qui s'est fortement dégradé et alors qu'il a été beaucoup question récemment d'acquisition de capacités militaires, j'ai souhaité traiter de nouveau de l'envers du décor, à savoir l'entretien des matériels dont on dispose déjà.

J'ai élargi le spectre à l'ensemble des matériels militaires, en m'intéressant directement au système de maintien en condition opérationnelle. J'y ai d'ailleurs été d'autant plus incité que les crédits dédiés à la maintenance ont connu une nette hausse depuis 2020.

Que recouvre précisément le MCO des équipements militaires ?

Le MCO, c'est bien sûr la maintenance matérielle régulière plus ou moins lourde des matériels, mais c'est également leur mise à niveau périodique, l'approvisionnement en pièces de rechange et le pilotage des référentiels et des configurations des équipements. C'est, en somme, tous les moyens et procédures déployés dans l'objectif que les matériels restent, tout au long de leur durée de vie, aptes à l'emploi qui leur est assigné.

Le MCO est nécessaire pour la quasi-totalité des équipements des trois armées, qu'ils soient matériels ou immatériels, et peut devoir être mis en oeuvre à tout moment, partout où nos forces armées sont présentes.

Il est sous la responsabilité de différents organes et est exécuté matériellement par trois types d'acteurs, selon un niveau de complexité croissant : les forces opérationnelles elles-mêmes, les services industriels de l'État et les industriels privés.

Pour mesurer l'efficacité du système de MCO, il faut apprécier ses moyens et ses résultats.

Concernant le périmètre des crédits du soutien dit « en service » des matériels, seul disponible dans la nomenclature budgétaire, on peut constater une hausse sur les dernières années, en particulier depuis 2020.

Ainsi, les crédits ont augmenté de plus de 23,5 % entre 2020 et 2024 en volume, en neutralisant l'inflation. Ils s'établissent cette année à 6,3 milliards d'euros, contre 4,5 milliards d'euros en 2020. Cette hausse est cohérente avec ce qui me semble être une prise de conscience de l'importance des enjeux dans ce domaine, que les responsables militaires appellent d'ailleurs de leurs voeux depuis longtemps.

Outre les sujets budgétaires, le système du MCO a également fait l'objet de deux volets de réforme afin d'atteindre in fine une plus grande disponibilité des matériels.

Le premier volet de réforme a consisté à réorganiser le système de MCO notamment pour permettre une gestion interarmées des équipements, en privilégiant une répartition des compétences des organes de soutien par milieux : aéronautique, terrestre et naval. Le MCO des aéronefs par exemple est unifié, quelle que soit leur armée de rattachement.

Le deuxième volet de la réforme a concerné les modalités d'externalisation de la maintenance aux industriels privés dans le cadre de ce que l'on a qualifié, à partir de 2017, de « verticalisation » ou « globalisation » des contrats. Celle-ci consiste à confier à un industriel principal, par des contrats de longue durée, un périmètre d'action couvrant l'intégralité du soutien d'un parc donné, à charge pour lui de gérer les interfaces entre ses sous-traitants. Il s'agit notamment de responsabiliser davantage les industriels en leur fixant des objectifs précis en termes de disponibilité des matériels, et en les rémunérant en fonction des résultats atteints.

Qu'en est-il des résultats obtenus par le système de MCO ?

Les travaux que j'ai menés ont été l'occasion de constater que les efforts déployés produisent des effets, à différents égards.

Pour certains types d'équipements, la disponibilité constatée a été rehaussée. Pour les hélicoptères Fennec par exemple, le coût à l'heure de vol aurait été divisé par deux, tandis que leur taux de disponibilité aurait été multiplié par deux entre 2018 et 2021.

Les principes et les modalités de la maintenance ont par ailleurs été modernisés pour certains matériels. C'est, par exemple, l'intérêt de ce que l'on appelle la maintenance dite « conditionnelle », qui subordonne les opérations d'entretien à l'état réel du matériel, et non pas à un calendrier préétabli de contrôles. C'est ce qui est mis en oeuvre pour le Rafale, dont la conception prévoit que les systèmes détectent eux-mêmes les pannes et, le cas échéant, leur localisation.

Dans la même logique, des efforts sont faits dans la conception des matériels pour favoriser leur maintenance ultérieure, comme j'ai pu le constater pour les sous-marins, lors de ma visite à Cherbourg.

Mais, malgré ces évolutions, la disponibilité globale des matériels militaires reste insuffisante. L'indicateur dit de « disponibilité technique opérationnelle » (DTO) des équipements en atteste. Il mesure, pour les différents parcs d'équipements, le nombre de matériels effectivement disponibles par rapport au nombre nécessaire pour atteindre les différents objectifs fixés aux armées par les contrats opérationnels.

Si la situation est disparate en fonction des matériels, sur les 21 équipements structurants répertoriés par l'indicateur, à la fin de 2022, seuls 2 avaient une DTO supérieure à 90 %, soit un niveau proche des objectifs fixés. Pour 12 d'entre eux, elle était en revanche inférieure à 75 %, dont 2 en dessous de 50 %. Ces problèmes de disponibilité touchent d'ailleurs les trois armées. Et si des progrès peuvent être constatés pour certains équipements, sur la dernière décennie, il n'y a pas d'amélioration globale mesurable.

Or, concrètement, un niveau de disponibilité insuffisant des matériels équivaut à des capacités d'engagement, d'entraînement et de formation en moins.

Alors, pourquoi ce découplage apparent entre la hausse des crédits du MCO et un niveau de disponibilité général des équipements qui stagne ?

Nous pourrions être tentés d'en déduire une inefficience du système de MCO. Mais, en réalité, plusieurs facteurs viennent dégrader les résultats obtenus en termes de disponibilité.

Tout d'abord, la hausse des crédits du MCO est contrecarrée par le fait que les coûts de maintenance tendent historiquement à augmenter plus vite que les crédits correspondants, notamment en raison de la sophistication croissante des matériels et de la hausse du coût des intrants.

Ensuite, le niveau d'engagement opérationnel des forces armées est élevé depuis plusieurs années, ce qui constitue forcément une contrainte forte pour le système de MCO.

Par ailleurs, les parcs d'équipements des armées tendent à souffrir d'une trop grande hétérogénéité, surtout du fait que se côtoient aujourd'hui des matériels d'âge et de générations très variables. Or cette situation est particulièrement difficile à gérer pour le système de MCO, qui est contraint de conserver des capacités et des compétences très différentes pour entretenir l'ensemble des matériels.

Enfin, il est possible que les réformes déployées et les hausses de crédits récentes produisent des résultats dans les années qui viennent, qui ne seraient pas encore visibles dans les données de 2022 dont nous disposons.

Toutefois, les besoins ne sont pas constants, loin de là. En effet, le contexte géostratégique s'est fortement dégradé ces dernières années. On considère d'ailleurs aujourd'hui que l'hypothèse d'implication des armées françaises dans un conflit de haute intensité est sérieuse. Il faut se préparer à cette éventualité.

Actuellement, le système de MCO est conçu pour soutenir des engagements opérationnels dans un calendrier relativement maîtrisé et s'appuie à la fois sur une large externalisation de la maintenance lourde aux industriels privés et sur un niveau de stocks très limité de pièces.

Or le contexte stratégique est devenu imprévisible ; il est susceptible de faire apparaître des besoins opérationnels dans un calendrier subi et impérieux. Il impose que le MCO soit doté d'une grande réactivité, d'une capacité de monter fortement en puissance dans des délais courts et d'une faculté à tenir dans la durée d'un conflit potentiellement long.

Une mise à l'échelle et une adaptation du système de MCO sont donc indispensables.

D'un point de vue budgétaire, la loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030 constitue une avancée en ce sens. Sur la période de programmation, les crédits en faveur du MCO augmenteraient de 14 milliards d'euros par rapport à la précédente LPM, en hausse de 40 %. Néanmoins, il convient d'être prudent sur cette trajectoire, à supposer qu'elle soit effectivement respectée dans un contexte de finances publiques très dégradées. En effet, l'inflation viendra en rogner une part alors que le montant moyen annuel de crédits sur la période - à savoir 7 milliards d'euros - n'est pas significativement supérieur au montant des crédits en 2024 - 6,31 milliards d'euros.

Au-delà des seuls enjeux budgétaires, c'est en réalité une stratégie globale qui doit être mise en oeuvre pour rendre le MCO plus résilient et plus efficace. À l'issue de mes travaux, j'identifie plusieurs axes - j'en cite ici les principaux.

Tout d'abord, il est indispensable d'approfondir encore la prise en compte des enjeux de maintenance des matériels dans les stratégies d'acquisition. Elles doivent tenir compte des capacités forcément limitées du MCO et ne peuvent notamment privilégier trop systématiquement l'acquisition de matériels très sophistiqués ; l'exemple de la guerre en Ukraine y invite d'ailleurs, l'utilisation de drones à bas coûts y revêtant désormais un caractère stratégique.

Ensuite, le nouveau contexte stratégique impose une remise en cause partielle de la logique de flux tendu en matière de stocks de pièces, via une politique fine et ciblée de reconstitution des stocks, afin d'être en mesure de tenir dans la durée en cas d'engagement majeur.

En outre, il faudra mieux anticiper les cessions de matériels à des pays étrangers, afin de ne pas augmenter les tensions en termes de MCO pour les matériels subsistants, davantage sollicités.

Par ailleurs, il conviendrait d'adopter une doctrine générale, prenant en compte le nouveau contexte géostratégique, applicable à la répartition des responsabilités de maintenance entre les différents acteurs étatiques et privés selon les milieux et les matériels. Une telle doctrine permettrait notamment de favoriser un renforcement des capacités industrielles étatiques, en fidélisant ses effectifs et en réinternalisant une partie de la maintenance lourde, et ce afin de disposer des compétences nécessaires en cas de conflit de haute intensité.

Enfin, la politique d'innovation et de numérisation du MCO devra être encore approfondie. Des progrès significatifs ont déjà été constatés, et d'autres sont en cours, par exemple s'agissant de l'utilisation de drones d'inspection des navires et des aéronefs. Il faut continuer fermement dans ce sens.

Je terminerai en évoquant un sujet qui n'a rien d'annexe. Depuis la présentation du projet de loi de finances (PLF) pour 2024, le Gouvernement a décidé de l'interruption de la publication dans les documents budgétaires des résultats et des cibles des indicateurs relatifs à la disponibilité des matériels, d'une part, et à l'activité des forces, d'autre part. La justification qui en a été donnée était la nécessité de ne plus révéler à nos compétiteurs notre potentiel militaire.

Ces données sont désormais classées « diffusion restreinte », un classement qui ne relève pas du secret de la défense nationale et qui ne me semble d'ailleurs pas suffire à nous prémunir du risque d'un accès de nos compétiteurs à ces informations. En revanche, ce changement a un effet direct bel et bien certain : il prive le Parlement d'informations importantes pour connaître l'état de nos forces et en tirer les conséquences budgétaires et législatives.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - J'apprécie la précision et la constance avec laquelle notre rapporteur spécial suit ces dossiers. Je partage sa dernière remarque concernant l'information du Parlement. Il faut être attentif à ne pas accepter le prétexte d'une certaine confidentialité pour limiter la portée de son information. Il importe en effet que les deux assemblées aient le meilleur niveau d'information possible pour suivre l'indispensable montée en puissance des moyens matériels militaires. La situation géopolitique internationale commande à la France de maintenir ses équipements pleinement opérationnels.

Je souscris aux recommandations du rapporteur spécial. Les alertes qu'il avait lancées il y a quelques années démontrent que le contrôle budgétaire du Parlement est utile et nécessaire.

M. Michel Canévet. - Je remercie également le rapporteur spécial pour son excellent travail sur un sujet extrêmement important. Si la situation opérationnelle s'améliore pour les véhicules blindés de combat d'infanterie, celui-ci a attiré notre attention sur les déficiences des matériels des armées en général. Espérons que les moyens financiers qui leur seront dévolus permettront d'améliorer la situation.

J'en suis d'accord, les parlementaires doivent disposer de toutes les informations nécessaires.

S'agissant de la recommandation n° 4, il convient de souligner que l'aviation comprend des matériels de l'armée de l'air, mais aussi de la marine nationale - c'est le cas en Bretagne. Il me semblerait donc plus judicieux de maintenir pour la maintenance des matériels un rattachement directement au chef d'état-major des armées (Cema).

M. Albéric de Montgolfier. - Le rapporteur spécial a mis en avant l'effet bénéfique de la mutualisation pour la maintenance. Une telle mutualisation est-elle envisagée entre le ministère des armées et les autres ministères concernés par les mêmes équipements ? Je pense notamment à la police ou à la gendarmerie pour les hélicoptères ou aux douanes pour les bateaux, des équipements pour lesquels le taux de disponibilité est parfois très faible. Peut-elle aussi être envisagée pour les achats d'équipements ?

M. Jean-Raymond Hugonet. - Combien de Rafale ont été livrés et sont effectivement en service ?

Mme Florence Blatrix Contat. - La LPM 2024-2030 prévoit une hausse de 14 milliards d'euros, ce qui n'est pas forcément significatif en volume en raison de l'inflation. À combien estimez-vous la hausse nécessaire pour maintenir un niveau d'intervention suffisant dans le contexte mondial que nous connaissons ?

M. Dominique de Legge, rapporteur spécial. - En fait, la coordination du MCO des équipements aéronautiques a été relevée, à l'occasion de la création de la Direction de la maintenance aéronautique (DMAé) en 2018, de l'état-major de l'armée de l'air à l'état-major des armées (EMA) notamment parce qu'il a pu arriver que des tensions se fassent jour entre les trois armées sur le sujet des équipements concernés. Or le MCO des équipements terrestres relève in fine de l'état-major de l'armée de terre et celui des équipements navals de l'état-major de la marine, et ce quelle que soit l'armée de rattachement effectif des matériels concernés. Même si les aéronefs ont un caractère encore davantage interarmées que les matériels terrestres et naval, il n'y a en réalité pas de raison de créer de différence pour les équipements aériens, alors même que l'EMA, structure de coordination et de décision de très haut niveau, ne dispose pas vraiment de compétences particulières en matière de gestion concrète du MCO.

En ce qui concerne la maintenance des matériels de certains services de l'État ne relevant pas des armées, une mutualisation est en effet en partie opérée, même si elle est incomplète. Je pense notamment à la gendarmerie et aux pompiers. Cela ne vaut pas pour les achats en revanche.

Aujourd'hui, environ 150 Rafale sont censés voler. Le calendrier des livraisons semble être globalement respecté.

Concernant les 14 milliards d'euros de crédits supplémentaires pour la maintenance sur 7 ans, en réalité, c'est un peu une course à l'échalote, parce que les équipements sont de plus en plus sophistiqués, donc de plus en plus chers à entretenir.

Dans le même temps, les armées sont contraintes de garder des équipements qui devraient sortir du parc, ce qui coûte là aussi cher. En fait, pour un équipement donné, le MCO coûte très cher les premières années d'utilisation, par exemple parce qu'il y a des réglages à réaliser, moins cher ensuite, puis de plus en plus cher en fin de course, avec l'apparition des obsolescences et avaries structurelles. Il y a donc deux pics de dépenses à gérer, en début et en fin de vie d'un équipement ; c'est un processus qu'il est difficile de maîtriser dans les périodes de transition, comme celle que nous connaissons aujourd'hui, entre les équipements d'ancienne génération et de nouvelle génération.

Je voudrais ajouter, en conclusion, que le MCO est d'autant plus crucial et stratégique qu'on a moins d'équipements que par le passé : le même taux de disponibilité n'a pas les mêmes conséquences quand on a six fois moins de chars qu'au début des années 1990 et trois fois moins d'avions de combat. Entre 1991 et 2021, le nombre de chars de combat est passé de 1 349 à 222, et celui des avions de chasse de 686 à 254. Or, si nous voulons avoir des équipements plus performants et moins nombreux, il faut que le taux de disponibilité soit nettement plus élevé qu'il y a vingt ans.

La commission a adopté les recommandations du rapporteur spécial et autorisé la publication de sa communication sous la forme d'un rapport d'information.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

État-major des armées (EMA)

- Général de brigade aérienne Jean-Marc REGNIER, chef de la division « soutien de l'activité » ;

- Colonel Jean-Hervé L'HÉNAFF, chef du bureau Synthèse Performance de la division soutien de l'activité de l'état-major des armées ;

- Colonel Olivier FLEURY, chef du bureau Synthèse Performance du maintien en condition opérationnelle aéronautique.

Direction générale de l'armement (DGA)

- Ingénieur général hors classe de l'armement Guilhem REBOUL, directeur des opérations ;

- Ingénieur général de deuxième classe de l'armement Nicolas FRAGER, chargé de mission préfiguration de la division maintien en condition opérationnelle.

État-major de l'armée de l'air et de l'espace (EMAAE)

- Général de division aérienne Dominique TARDIF, sous-chef d'activité de l'armée de l'air et de l'espace.

État-major de l'armée de terre (EMAT)

- Général de division Alain LARDET, officier général « anticipation et stratégie » ;

- Colonel Jérôme LOGEAIS, officier traitant ;

- Colonel Laurent KUNTZMANN, chef du bureau du maintien en condition opérationnelle ;

- Lieutenant-colonel Jean-Marc SOULIER, officier en charge des relations avec le Parlement.

État-major de la marine (EMM)

- Contre-amiral Ludovic SEGOND, sous-chef soutien finances ;

- Capitaine de vaisseau Vincent GUÉQUIÈRE, chargé des relations avec le Parlement.

Direction centrale du service de soutien de la flotte (DCSSF)

- Ingénieur général hors classe de l'armement Guillaume de GARIDEL-THORON, directeur central ;

- Capitaine de corvette Thomas LASVÈNES, chef de cabinet.

Direction de la maintenance aéronautique (DMAé)

- Ingénieur général hors classe de l'armement Marc HOWYAN, directeur.

Direction de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT)

- Général de corps d'armée Christian JOUSLIN DE NORAY, directeur ;

- Général de division, Richard OHNET, directeur à venir ;

- Lieutenant-colonel Benoit DORIGNY, assistant militaire du directeur ;

- Lieutenant-colonel Jean-Marc SOULIER, officier en charge des relations avec le Parlement.

Service interarmées des munitions (SIMu)

- Général de division Éric LAVAL, directeur.

Secrétariat général pour l'administration (SGA)

- Mme Chloé MIRAU, directrice des affaires financières ;

- Colonel Philippe SUHR, adjoint au chef de service de la direction des affaires financières ;

- M. David KNECHT, chef du service de la politique des ressources humaines du ministère des armées.

Agence de l'innovation de défense (AID)

- Ingénieur général de l'armement Patrick AUFORT, directeur ;

- Ingénieur de l'armement Cyril CASSERRA, chef de cabinet ;

- Mme Maud PICHARD, responsable des relations institutionnelles et partenariats ;

- M. Lucas THIELOIS, apprenti chargé des relations institutionnelles.

Groupement des industries de construction et activités navales (GICAN)

- M. Philippe MISSOFFE, délégué général ;

- M. Jean-Marie DUMON, délégué général adjoint, défense et sécurité.

Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT)

- M. Nicolas CHAMUSSY, président ;

- Ingénieure générale de l'armement Martine POIRMEUR, déléguée générale adjointe « défense » ;

- Mme Léa BENASSEM-DURIEUX, directrice des affaires publiques - France & Europe.

Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS)

- Général de corps aérien Frédéric PARISOT, délégué général ;

- M. Jérôme JEAN, directeur des affaires publiques, chargé de la gestion des adhésions GIFAS et de l'animation du « club StartAir by GIFAS » ;

- M. Thomas JEANNIN-NALTET, chargé de mission.

Institut des Hautes Études de Défense nationale (IHEDN)

- M. Josselin DROFF, chercheur, chaire Économie de défense.

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Site de Naval Group à Cherbourg (23 septembre 2024)

- M. Laurent ESPINASSE, directeur « sous-marins » de Naval Group ;

- M. Éric BALUFIN, directeur des services de Naval Group ;

- Mme Muriel LENGLIN, directrice du site de Cherbourg de Naval Group ;

- M. Loris GAUDIN, directeur adjoint des affaires publiques de Naval Group.

TABLEAU DE MISE EN oeUVRE ET DE SUIVI (TEMIS)

N° de la proposition

Proposition

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

1

Procéder à un bilan complet, y compris financier, des contrats de maintenance externalisée confiés à un maître d'oeuvre industriel principal (contrats dits « verticalisés » ou « globalisés »), par milieux : aéronautique, naval et terrestre

État-major des armées (EMA), Direction générale de l'armement (DGA), Secrétariat général pour l'administration du ministère des armées (SGA)

2025

Tous supports

2

Afin de mieux identifier le coût global du maintien en condition opérationnelle, généraliser une comptabilité analytique agrégeant les dépenses des programmes 146 « Équipement des forces », 178 « Préparation et emploi des forces » et 212 « Soutien de la politique de défense » de la mission « Défense », le cas échéant par type de matériels (types d'avions, de navires, de véhicules, de munitions, etc.)

Ministère des armées

2025

Comptabilité du ministère des armées

3

Mieux anticiper les cessions de matériels militaires et prévoir un remplacement rapide, notamment pour éviter d'augmenter les besoins en maintenance des équipements restants. S'interdire les cessions pour les parcs de matériels dont la disponibilité est faible

Gouvernement, Ministère des armées

Dès l'automne 2024

Sans objet

4

Afin de rationaliser l'organisation du système de maintien en condition opérationnelle étatique, rattacher la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) à l'état-major de l'armée de l'air et de l'espace

Ministère des armées

2025

Décret

5

Afin de réduire la durée des immobilisations de matériels et de renforcer la réactivité des forces en matière de maintenance, simplifier certaines normes et procédures applicables, en particulier s'agissant des normes de navigabilité, sans préjudice de la sécurité des civils et des personnels militaires

Ministère des armées

2025

Instructions, arrêtés et décret

6

Approfondir la politique d'attractivité et de fidélisation des personnels de maintenance du ministère des armées, et favoriser le développement de formations spécifiques de haut niveau

Ministère des armées

2025

Politique de recrutement, arrêté, décret

7

Établir une doctrine générale, adaptée au nouveau contexte géostratégique, relative à la répartition des responsabilités de maintenance par milieux et par types d'équipements, en faisant des contrats verticalisés une solution parmi d'autres

Ministère des armées

2025

Instruction

8

Dans le cadre de la « verticalisation » des contrats, pour éviter de remettre en cause des dispositifs éprouvés, conserver les relations contractuelles bilatérales lorsque c'est possible et qu'elles donnent satisfaction

Ministère des armées

Dès l'automne 2024

Marchés publics

9

Afin d'anticiper d'éventuels conflits de haute intensité, favoriser le développement d'échanges croisés entre les personnels des services industriels étatiques et ceux des entreprises industrielles privées intervenant dans le secteur de la défense, d'une part, et, le cas échéant, entre les personnels de ces entreprises travaillant respectivement sur des projets civils et des projets militaires, d'autre part

Ministère des armées, secteur industriel

2025

Politique de ressources humaines, arrêtés, décret

10

Afin de renforcer l'efficience de la chaîne logistique et d'alléger la charge incombant aux maintenanciers, à défaut d'un système d'information (SI) unique, développer l'interfaçage des SI existants et rendre systématique leur interfaçage avec les nouveaux SI. Par ailleurs, afin de favoriser les échanges de données entre les différents acteurs du MCO, développer des instruments permettant leur interopérabilité

Ministère des armées

2025

Tous supports

11

Afin de restaurer la qualité de l'information du Parlement sur la disponibilité technique opérationnelle (DTO) des matériels militaires et sur l'activité des forces armées, rétablir, si besoin en y associant des précautions de confidentialité, la publication des indicateurs afférents. Compléter cette information par un indicateur permettant de mesurer la disponibilité technique (DT) des matériels, si besoin sous les mêmes précautions

Ministère des armées

Présentation du projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2024.

Projets de loi


* 1 CEMA : chef d'état-major des armées. Maîtres d'ouvrage délégués (MOAd) : direction centrale du service de soutien de la flotte (SSF), structure intégrée pour le maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT), et direction de la maintenance aéronautique (DMAé). Maîtres d'oeuvre industriels étatiques (MOI étatiques) : service logistique de la marine (SLM), service industriel de l'aéronautique (SIAé) et service de la maintenance industrielle terrestre (SMITer).

* 2 Voir schéma supra.

* 3 La Dmaé a remplacé, en 2018, la SIMMAD, structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la défense, créée en 2000. Elle a la particularité d'être rattachée directement à l'état-major des armées.

* 4 Marchés dits « pièces et main d'oeuvre ».

* 5 Périmètre de l'opération stratégique (OS) « Entretien programme des matériels » (EPM) et de la partie « maintenance » de l'OS « Dissuasion ». D'un point de vue budgétaire, il n'est pas possible de retracer l'ensemble des dépenses de MCO : si les crédits de soutien « en service » sont fléchés, les dépenses de personnel afférentes ne sont pas identifiées, de même que les dépenses de soutien « initial ».

* 6 Périmètre de l'opération stratégique (OS) « Entretien programme des matériels » (EPM) et de la partie « maintenance » de l'OS « Dissuasion ».

* 7 Dont les résultats sont publiés deux fois par an dans les documents budgétaires. On distingue en général, d'une part, la disponibilité technique (DT), dont le ratio correspond au nombre de matériels du parc concerné en état de fonctionnement par rapport à la totalité du parc, et d'autre part, la disponibilité technique opérationnelle (DTO), dont le ratio renvoie au nombre de matériels en état de fonctionnement par rapport au nombre de matériels disponibles nécessaires afin d'honorer le scénario le plus dimensionnant des contrats opérationnels fixés en loi de programmation militaire8. Si la DT est le critère le plus simple pour mesurer la disponibilité des matériels, les données correspondantes ne sont pas intégrées aux documents budgétaires et ne sont pas publiables au titre de leur confidentialité.

* 9 Et ce, encore récemment, à l'occasion de l'adoption en première lecture, le 5 mars 2024, de la proposition de loi relative au financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense française, n° 77.

* 10 Même s'il intervient également lors de la phase d'acquisition pour intégrer les enjeux de maintenance future.

* 11 Le concept de MCO, Cour des comptes.

* 12 Rapport d'information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat sur : « Une LPM qui laisse de nombreux enjeux capacitaires », M. Cédric PERRIN et Mme Hélène CONWAY-MOURET, 7 juin 2023.

* 13 Et à l'exception des équipements dont le soutien relève de la DGA ou des services interarmées.

* 14 La répartition par milieu est destinée à permettre une gestion « interarmées » des équipements. Ainsi, les aéronefs relèvent par exemple par principe du milieu aéronautique, qu'ils soient utilisés par l'armée de l'air et de l'espace, la marine ou l'armée de terre.

* 15 Réponse au questionnaire du rapporteur spécial de Josselin Droff, chercheur, chaire Économie de défense - Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN).

* 16 Voir infra.

* 17 Sauf exceptions, notamment dans le domaine naval.

* 18 Le véhicule blindé multi-rôles Griffon fait partie du programme d'armement « Scorpion » lancé en 2014.

* 19 Le maintien en condition opérationnelle des matériels militaires : des efforts à poursuivre, rapport public thématique, septembre 2014, Cour des comptes.

* 20 Le maintien en condition opérationnelle des matériels militaires : des efforts à poursuivre, rapport public thématique, septembre 2014, Cour des comptes.

* 21 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 22 Devenue la DMAé ultérieurement, voir infra.

* 23 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 24 Bilan de l'exécution de la programmation militaire pour la période 2019-2023 transmis par le Gouvernement en application de l'article 9 de la loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 25 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances sur la disponibilité des hélicoptères du ministère des armées, M. Dominique de Legge, 11 juillet 2018.

* 26 Voir infra.

* 27 Voir infra.

* 28 Le rapporteur spécial n'a pas à sa disposition d'informations plus étendues dans le temps.

* 29 Voir infra.

* 30 Voir supra. Sauf exceptions, notamment dans le domaine naval.

* 31 Voir supra.

* 32 Idem.

* 33 La mission « Défense » comporte en effet la particularité de regrouper l'ensemble des dépenses de personnel, sans les ventiler par programme et donc par destination, dans un programme concentrant les dépenses de soutien au sens large.

* 34 Sous-action 02.07 - Maintien en condition opérationnelle du matériel des forces terrestres au sein de l'action 02 - Préparation des forces terrestres ; 03.07 - Maintien en condition opérationnelle du matériel des forces navales au sein de l'action 03 - Préparation des forces navales ; enfin, 04.06 - Entretien et équipements des forces aériennes au sein de l'action 04 - Préparation des forces aériennes.

* 35 Relevant de l'action 1 « Planification des moyens et conduite des opérations ».

* 36 Relevant de l'action 5 « Logistique et soutien interarmées ».

* 37 Voir supra.

* 38 Réponses du ministère au questionnaire du rapporteur spécial.

* 39 Voir supra.

* 40 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 41 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 42 En valeur.

* 43 Le milieu aéronautique renvoie aux aéronefs et aux équipements afférents, le milieu naval aux navires et aux équipements afférents et le milieu terrestre aux équipements utilisés à terre, et ce quelles que soient les armées utilisatrices.

* 44 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense. Voir infra.

* 45 Réponses au questionnaire du rapporteur spécial.

* 46 Selon une méthodologie qui s'appuie sur un périmètre qui n'intègre néanmoins pas tous les coûts. Source : projets annuels de performances annexés au projet de loi de finances et rapports annuels de performance annexés au projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année.

* 47 Le milieu aéronautique renvoie aux aéronefs et aux équipements afférents, le milieu naval aux navires et aux équipements afférents et le milieu terrestre aux équipements utilisés à terre, et ce quelles que soient les armées utilisatrices.

* 48 Réponse au questionnaire du rapporteur spécial de Josselin Droff, chercheur, chaire Économie de défense - Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN).

* 49 Voir également infra pour les coûts associés.

* 50 Voir infra.

* 51 Voir supra.

* 52 Le milieu aéronautique renvoie aux aéronefs et aux équipements afférents, le milieu naval aux navires et aux équipements afférents et le milieu terrestre aux équipements utilisés à terre, et ce quelles que soient les armées utilisatrices.

* 53 Date des données les plus anciennes transmises au rapporteur spécial.

* 54 Le maintien en condition opérationnelle des matériels militaires : des efforts à poursuivre, rapport public thématique, septembre 2014, Cour des comptes.

* 55 En ETPT. Le maintien en condition opérationnelle des matériels militaires : des efforts à poursuivre, rapport public thématique, septembre 2014, Cour des comptes.

* 56 Voir supra.

* 57 Le maintien en condition opérationnelle des matériels militaires : des efforts à poursuivre, rapport public thématique, septembre 2014, Cour des comptes.

* 58 Voir infra pour l'avenir, notamment dans le cadre de la LPM pour les années 2024 à 2030.

* 59 Les contrats opérationnels définissent la nature, le volume et le niveau de disponibilité des forces nécessaires pour tenir ces engagements. À titre d'exemple, la LPM pour les années 2024 à 2030 prévoit pour ce qui concerne la force interarmées de réaction immédiate (FIRI) que l'armée de l'air et de l'espace doit disposer d' « 1 état-major C2, 1 système de détection et de commandement aéroporté (AWACS), 10 avions de chasse, 2 avions militaires de transport et de ravitaillement (MRTT), 6 avions de transport tactique, 1 plot de renseignement (ARCHANGE ou avion léger de surveillance et de reconnaissance, ALSR), 1 plot de défense sol-air avec capacité LAD, et 1 plot recherche et sauvetage au combat (RESCO) ».

* 60 Voir infra.

* 61 Idem.

* 62 Projets annuels de performances annexés au projet de loi de finances et rapports annuels de performance annexés au projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année.

* 63 Voir infra.

* 64 Fournies par le rapport annuel de performances de la mission « Défense », annexé au projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2023.

* 65 Voir infra.

* 66 VBCI.

* 67 Selon les informations générales transmises au rapporteur spécial, les résultats moyens seraient en hausse pour l'armée de terre : « la disponibilité technique globale dépasse 70 % en métropole, atteint 80 % en outre-mer et approche 90 % en opérations extérieures ».

* 68 Voir infra.

* 69 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances sur la disponibilité des hélicoptères du ministère des armées, M. Dominique de Legge, 11 juillet 2018.

* 70 Qui contiennent chaque année un indicateur portant sur le « niveau de réalisation des activités ». Les chiffres ne sont plus publiables à partir de 2023, voir infra.

* 71 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 72 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 73 Voir supra.

* 74 Organisation du traité de l'Atlantique nord.

* 75 Opérations extérieures.

* 76 Réponse au questionnaire spécial de Josselin Droff, chercheur, Chaire Économie de Défense, Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).

* 77 Voir également infra pour les coûts associés.

* 78 Voir infra.

* 79 Réponses au questionnaire du rapporteur spécial.

* 80 Réponse au questionnaire spécial de Josselin Droff, chercheur, Chaire Économie de Défense, Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).

* 81 Avions Atlantique 2 de lutte anti sous-marine.

* 82 Le chiffre exact est confidentiel.

* 83 Réponse de l'état-major de la marine au questionnaire du rapporteur spécial.

* 84 Voir infra.

* 85 Voir supra.

* 86 Voir infra.

* 87 Voir infra.

* 88 Qu'il s'agisse d'équipements complets ou de pièces détachées.

* 89 Voir infra.

* 90 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 91 Idem.

* 92 Voir supra.

* 93 Idem.

* 94 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 95 Voir supra.

* 96 Instruction générale n° 125/DEF/EMA/PLANS/COCA - N° 1516/DEF/DGA/DP/SDM relative au déroulement et la conduite des opérations d'armement, du 26 mars 2010.

* 97 Ibid.

* 98 Instruction n° 1618/ARM/CAB sur le déroulement des opérations d'armement du 15 février 2019.

* 99 Documents de fonctionnement, manuels, etc.

* 100 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 101 Objectifs chiffrés et datés tenant au nombre des matériels composant les différents parcs. Par exemple : 225 avions Rafale à l'horizon 2035.

* 102 Voir supra.

* 103 Idem.

* 104 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances sur la disponibilité des hélicoptères du ministère des armées, M. Dominique de Legge, 11 juillet 2018.

* 105 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 106 En son article 49.

* 107 Cette reconstitution de stock est d'ailleurs parfois demandée par le titulaire du contrat pour permettre la tenue de ses obligations contractuelles de disponibilité des matériels.

* 108 Voir infra.

* 109 Voir supra.

* 110 Relevant donc du niveau NTI « 3 ».

* 111 Voir supra.

* 112 Voir infra.

* 113 Récemment, le SMITer a ainsi, en l'absence de solution viable à court terme des industriels privés, conçu un système de lutte anti-drones.

* 114 Véhicules blindés de combat d'infanterie.

* 115 Voir supra.

* 116 Décret n° 2018-277 du 18 avril 2018 fixant les attributions de la direction de la maintenance aéronautique.

* 117 Au terme de l'article R. 3232-15 du code de la défense, anciennement article R. 3241-26, créé par le décret n° 2018-277 du 18 avril 2018 fixant les attributions de la direction de la maintenance aéronautique.

* 118 Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires.

* 119 Règlement CE n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission.

* 120 ORION désigne « l'opération de grande envergure pour des armées résilientes, interopérables, orientées vers le combat de haute intensité et novatrices ».

* 121 Dossier de presse d'ORION 23.

* 122 Voir supra.

* 123 Voir infra.

* 124 Voir supra.

* 125 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances sur la disponibilité des hélicoptères du ministère des armées, M. Dominique de Legge, 11 juillet 2018.

* 126 Voir supra.

* 127 Proposition de loi relative au financement des entreprises de la base industrielle et technologique de défense française n° 77 adoptée par le Sénat en première lecture le 5 mars 2024.

* 128 Voir supra.

* 129 Selon une traduction littérale du concept de « conditional maintenance », en anglais.

* 130 Selon la traduction du concept de « on condition », en anglais.

* 131 Pour Health and usage Monitoring system, voir infra.

* 132 Voir infra.

* 133 Réponse de l'EMM au questionnaire du rapporteur spécial.

* 134 Voir supra.

* 135 Voir supra.

* 136 En particulier, le rapporteur spécial.

* 137 Voir supra.

Partager cette page