D. EN DÉPIT DES EFFORTS DÉPLOYÉS, LES RÉSULTATS OBTENUS EN TERMES DE DISPONIBILITÉ DES MATÉRIELS DEMEURENT INSUFFISANTS, SOUS L'EFFET DE DIFFÉRENTS FACTEURS

La performance du MCO, y compris de ses contrats verticalisés, doit être interprétée à l'aune de ses moyens, d `une part, et de ses résultats, d'autre part.

Ses moyens, qui ont été présentés supra58(*), ont été récemment renforcés s'agissant de l'organisation du système de MCO, des modalités de contractualisation de la maintenance, et des crédits de soutien en service, hors dépenses de personnel. Néanmoins, cette hausse récente doit être relativisée au regard notamment de l'importance des besoins, de l'augmentation continue des coûts de maintenance et de la baisse des effectifs étatiques affectés au MCO.

Ses résultats doivent quant à eux être mesurés en termes de disponibilité, tout d'abord, et d'activité, ensuite. L'analyse de la disponibilité technique opérationnelle des matériels montre que ces résultats sont encore insatisfaisants.

Néanmoins, des facteurs exogènes au système de MCO à proprement parler ont également significativement contribué à ce constat.

1. La performance du MCO est traditionnellement mesurée en termes de taux de disponibilité des matériels, qui conditionne le niveau d'activité des forces

Le MCO ayant pour fonction d'assurer le caractère opérationnel des matériels, il est naturel que sa performance soit traditionnellement mesurée au regard du taux de disponibilité des équipements.

En effet, un niveau satisfaisant de disponibilité, dans un contexte de parc globalement restreint, conditionne à son tour l'opérationnalité des forces. Une moindre disponibilité des matériels se traduit mécaniquement, à parc constant, par un potentiel d'activité et d'engagement plus faible, de même qu'un moindre entraînement des forces. Ce dernier risque est au demeurant aggravé par le fait que les matériels disponibles sont généralement principalement affectés aux opérations - ce qui est cohérent -, au détriment de la préparation et de l'entraînement des forces. En outre, un manque de disponibilité des équipements affecte le moral des troupes.

Sont généralement distinguées la disponibilité technique et la disponibilité technique opérationnelle.

D'une part, la disponibilité technique (DT) est l'aptitude technique d'un équipement à être en état d'accomplir en sécurité une des missions pour lesquelles il a été conçu, c'est à dire en état de fonctionnement et disposant des systèmes nécessaires. La disponibilité technique d'un parc est le ratio des matériels disponibles (numérateur) sur le parc en service actif (dénominateur), exprimé en pourcentage. Une part d'indisponibilité est incompressible pour ce qui concerne les matériels en cours de maintenance.

D'autre part, la disponibilité technique opérationnelle (DTO) correspond au rapport entre le nombre de matériels disponibles constaté (numérateur) et le nombre nécessaire afin d'honorer le scénario le plus dimensionnant des contrats opérationnels59(*) fixés en loi de programmation militaire (LPM) et de garantir la préparation opérationnelle qui en découle (dénominateur). Les taux de DTO sont donc en principe toujours supérieurs aux taux de disponibilité technique, le dénominateur pris en compte pour la DTO étant plus faible que pour la DT.

La disponibilité technique est le critère le plus simple et le plus clair pour mesurer la disponibilité des équipements, puisqu'il s'agit d'une donnée lisible et isolée. Contrairement à la DTO, elle n'est pas calculée sur la base d'objectifs fixés par les contrats opérationnels, lesquels varient en outre dans le temps. Néanmoins, les données de disponibilité technique sont, selon les cas, soient indisponibles, soit non publiables. En effet, les données relatives à la disponibilité des matériels militaires ont récemment fait l'objet d'un très fort renforcement de leur confidentialité60(*). Il en découle l'impossibilité pour le rapporteur spécial de rendre publiques des données postérieures à 2022 pour la DTO, tandis que les données relatives à la disponibilité technique sont protégées par la confidentialité y compris pour la période antérieure et ne sont plus intégrées aux documents budgétaires, même avec des garanties de confidentialité (contrairement à la DTO).

Faute de pouvoir s'appuyer dans le cadre du présent rapport sur une analyse de la disponibilité technique, c'est donc la DTO qui est utilisée, pour ce qui concerne les données jusqu'à 2022.

Le rapporteur spécial considère néanmoins que la DT donnant une image plus précise de l'état du parc, il serait souhaitable que cet indicateur figure dans les documents budgétaires, afin d'améliorer l'information du Parlement. Dans le contexte d'un durcissement de la confidentialité de ce type de données, cette information pourrait, si nécessaire, être soumise à des précautions de confidentialité, comme pour ce qui concerne la DTO61(*).

2. Un niveau de disponibilité technique opérationnelle des principaux matériels qui est aujourd'hui insatisfaisant et qui ne s'est globalement pas amélioré...

La disponibilité technique opérationnelle des matériels (DTO) étant fondée sur ce que prévoient les contrats opérationnels fixés par les LPM successives pour les armées, il convient de privilégier une comparaison des données au sein de périodes correspondant à la LPM en vigueur. Néanmoins, une comparaison sur une durée plus longue reste possible puisque la DTO témoigne finalement du taux de réalisation des objectifs fixés par l'État, et ce quelle que soit la LPM en vigueur et les contrats opérationnels afférents.

Les documents budgétaires62(*) contiennent chaque année un indicateur portant sur la « disponibilité des matériels par rapport aux exigences des contrats opérationnels », à savoir la DTO. Les données les plus actualisées pouvant faire l'objet d'une publication63(*) sont celles de 202264(*).

Pour mémoire, un niveau de DTO de 100 % signifie que le niveau de disponibilité du parc d'équipements concerné est suffisant pour répondre aux objectifs fixés par les contrats opérationnels. Un niveau inférieur à 100 % implique, en toute logique, que le niveau de disponibilité ne permet pas d'atteindre les objectifs fixés ; en revanche, cela ne signifie pas nécessairement que les armées doivent renoncer à des opérations extérieures ou à des missions intérieures. En effet, les contrats opérationnels visent le plus souvent une montée en puissance des armées face à l'accroissement des risques géostratégiques, sans que leur atteinte ne soit indispensable à la réalisation des missions actuelles. Néanmoins, des niveaux de disponibilité trop éloignés de l'objectif de 100 % peuvent conduire à de tels renoncements, ainsi qu'à un moindre entraînement des forces65(*).

À fin 2022, sur les 21 matériels structurants répertoriés par l'indicateur, seuls 2 ont une DTO supérieure à 90 % (les véhicules blindés de combat d'infanterie66(*) et les avions à usage gouvernemental), c'est-à-dire à un niveau proche ou conforme aux contrats opérationnels. 12 ont une DTO inférieure à 75 %, dont 2 en-dessous de 50 % (les hélicoptères de la marine et ceux de manoeuvre de l'armée de terre).

Ce constat d'une DTO globale insuffisante des matériels militaires n'est pas nouveau. Néanmoins, en moyenne sur la dernière décennie, il ne s'améliore pas, voire se dégrade. Les trois armées sont concernées par ces difficultés, avec des différences ponctuelles.

Les principaux parcs de l'armée de terre connaissent une DTO moyenne, qui varie en fonction des équipements, de moins de 50 % à une disponibilité complète. Ainsi, en 2022, les VBCI étaient pleinement disponibles pour les objectifs fixés, tandis que les véhicules blindés multi-rôles (VBMR) avaient une DTO de 77 %, les chars Leclerc de 75 %, les hélicoptères d'attaque ou de reconnaissance de 57 %, ceux de manoeuvre de 45 %, tandis que les canons de 155 mm (Caesar) avaient une DTO de 55 %. D'un point de vue dynamique, la DTO moyenne combinée des principaux équipements apparaît relativement stable depuis 201467(*). Sur la période 2019-2022, qui recouvre une seule LPM et donc les mêmes contrats opérationnels, les VBCI et les hélicoptères de manoeuvre connaissent une hausse de DTO, tandis que celle des chars Leclerc, des canons CAESAR et des hélicoptères d'attaque ou de reconnaissance suit une évolution inverse.

Évolution de la disponibilité technique opérationnelle (DTO)
de quatre équipements structurants de l'armée de terre

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

S'agissant de la marine nationale, sa DTO apparaît également contrastée en fonction des matériels. Si la marine souffre depuis de nombreuses années d'une faible disponibilité de son parc d'hélicoptères (46 %), et d'une faible DTO pour les frégates (57 %), ses sous-marins nucléaires d'attaque (72 %), ses avions de chasse (75 %) et son porte-avion (89 %) connaissent de meilleurs résultats. Depuis 2014, le niveau de DTO est globalement stable, la forte baisse de disponibilité du porte-avion en 2017 et 2018 étant liée à un arrêt technique majeur de maintenance programmé à l'avance. Sur la période 2019-2022, les sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) et les avions de chasse connaissent une hausse de DTO, tandis que celle du porte-avion, des frégates et des hélicoptères suit une évolution inverse.

Évolution de la disponibilité technique opérationnelle (DTO)
de cinq équipements structurants de la marine

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Enfin, la DTO des principaux matériels de l'armée de l'air et de l'espace apparaît variable. De bons résultats sont obtenus pour les avions à usage gouvernemental (100 %) et les avions d'appui opérationnel (84 %), les systèmes sol-air n'ont qu'une faible DTO (53 %), comme les avions de transport tactique (54 %) et les avions de chasse (62 %). Les hélicoptères de manoeuvre et de combat ont quant à eux une DTO de 70 %. Depuis 2014, le niveau de DTO tend à se dégrader sur les principaux équipements. Sur la période 2019-2022, la DTO baisse aussi bien pour les avions de combat, que les avions de transport tactique, les hélicoptères de manoeuvre et de combat et les systèmes sol-air moyenne portée.

Évolution de la disponibilité technique opérationnelle (DTO)
de quatre équipements structurants de l'armée de l'air et de l'espace

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Une analyse plus fine par type d'équipements révèle des situations très disparates. Alors que certains équipements connaissent une hausse de leur DTO notamment dans le cadre de contrats verticalisés68(*), certains matériels connaissent des difficultés de disponibilité très marquées.

Dans un rapport publié en 201869(*), le rapporteur spécial s'était en particulier inquiété d'un niveau de disponibilité particulièrement faible des hélicoptères des trois armées, faisant le constat que sur un stock de 467, seuls 171 hélicoptères étaient réellement disponibles en 2017, soit à peine plus d'un tiers (37 %). Si la disponibilité des hélicoptères serait aujourd'hui supérieure à 40 % selon les informations transmises au rapporteur spécial, entre 2017 et 2022, la DTO de ces équipements ne s'est en tout état de cause améliorée que pour les hélicoptères de manoeuvre de l'armée de terre (+ 5 points). Elle est stable pour les hélicoptères de manoeuvre et de combat de l'armée de l'air et de l'espace et s'est même dégradée pour les hélicoptères d'attaque ou de reconnaissance de l'armée de terre et pour les hélicoptères de la marine nationale (- 5 points).

Évolution de la DTO des hélicoptères des armées entre 2017 et 2022

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Le rapporteur spécial constate ainsi, à l'issue de ses travaux, que si des progrès se font jour dans certains domaines ou pour certaines flottes, la DTO des principaux équipements de nos armées se dégrade plus souvent qu'elle ne progresse depuis 2014. Son niveau témoigne d'une disponibilité très moyenne des principaux matériels militaires et qu'aucune dynamique d'amélioration globale ne peut être identifiée sur la base des chiffres disponibles, même s'il est possible que les résultats s'améliorent quelque peu à l'avenir à mesure que certains contrats verticalisés signés récemment produiront leurs pleins effets.

3. ...conduisant à un niveau d'activité globalement stable des forces

Le lien direct, à taille de parc constant, entre le taux de disponibilité des matériels et celui de l'activité des forces se manifeste dans le fait que le niveau d'activité (emploi des forces et entraînement) suit, depuis 2014, une évolution en moyenne comparable à la DTO, selon les données disponibles dans les documents budgétaires jusqu'en 202270(*).

Évolution du niveau d'activité de différents personnels des forces armées
entre 2014 et 2022

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Sur les 9 types d'activités dont les données sont disponibles depuis 2014, à fin 2022, 4 sont en hausse (dont une hausse de 36 % pour les pilotes de chasse de la marine, en dépit d'une forte variabilité annuelle), et 5 sont en baisse. La situation moyenne apparaît globalement stable à l'échelle des trois armées entre 2014 et 2022.

Néanmoins, en 2022, sur les 9 types d'activités mentionnés ci-dessus, seul un satisfait la norme correspondante fixée par la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 202571(*), à savoir les heures des pilotes de chasse de la marine. Pour tous les autres, la norme n'est pas atteinte et parfois de façon significative, comme pour les heures de vol des pilotes de transport de l'armée de l'air. Il convient de noter que les normes fixées par la loi de programmation militaire pour les années 2024 à 203072(*) sont identiques à la programmation précédente, à l'exception de celle des pilotes de chasse de la marine, qui passent à 200 heures par an, tandis que les jours d'activités par homme de l'armée de terre font l'objet d'une modification du périmètre de calcul.

Indicateurs du niveau d'activités des forces armées en 2022,
en comparaison de la norme LPM afférente

(en jours ou en heures selon le cas)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cette situation induit des capacités réduites d'engagement et d'entraînement. Comme les auditions ont été l'occasion de le constater de nouveau, si la France ne renonce pas aux missions souhaitées en raison d'une disponibilité insuffisante des matériels afférents, il arrive qu'elle doive les décaler. À défaut d'avoir les moyens de nos ambitions, nos ambitions sont donc adaptées à nos moyens.

4. Cette situation, qui n'est pas spécifique à la France, est causée par différents facteurs - qui échappent au système de MCO - et est partiellement compensée par des stratégies d'adaptation

Si le rapporteur spécial s'inquiète des performances du MCO au regard du niveau insuffisant de la DTO et en termes d'activité et d'entraînement, ce bilan doit être en partie nuancé, pour trois raisons. Premièrement, la France est loin d'être dans une situation spécifique en comparaison internationale s'agissant des problématiques de disponibilité des matériels. Deuxièmement, le système de MCO n'est pas le seul facteur ayant un impact direct sur les niveaux de DTO des matériels et d'activité des forces armées. Troisièmement, l'agilité toujours vivace des armées s'est traduite par une adaptation du système de MCO pour permettre, en particulier pour certains matériels stratégiques, de décorréler en partie le niveau de disponibilité des équipements et celui d'activité des forces armées utilisatrices, à court terme.

a) Les problèmes de disponibilité des matériels militaires sont loin d'être spécifiques à la France

Il n'est pas d'armée aujourd'hui pour laquelle le sujet de la disponibilité des matériels ne soit pas une difficulté, y compris pour les plus puissantes et dépensières d'entre elles.

À titre d'illustration, la marine américaine connaît d'importants problèmes de disponibilité de ses navires, qui tendent à s'aggraver. Cette situation s'explique notamment, selon les informations fournies au rapporteur spécial, par des capacités industrielles de maintenance des navires décorrélées du nombre de navire en service actifs. Ainsi, la marine américaine ne dispose aujourd'hui que de quatre chantiers publics, à Norfolk, Pearl Harbor, Puget Sound et Portsmouth. En conséquence, la maintenance de ces bateaux prend du retard, y compris pour les sous-marins et porte-avions, qui, entre 2015 et 2019, ont connu un retard de leur maintenance dans 75 % des cas. Au total, entre 2014 et 2020, les sous-marins ont passé 26 ans de plus - en cumulé - que prévu dans les chantiers, et les porte-avions plus de 3 ans de plus. Les problèmes de maintenance ont d'ailleurs poussé l'US Navy à sortir du service actif 9 navires, résultant en une perte de 34 années de durée de vie des navires.

De même, la disponibilité des navires de la marine britannique connaît d'importantes difficultés. Celle des frégates serait à peine supérieure à la moyenne, selon les informations fournies au rapporteur spécial.

Si les enjeux de disponibilité se retrouvent partout, il n'existe en revanche pas, selon le ministère des armées, de modèle de MCO fonctionnant de manière comparable à la France à l'étranger. À titre d'exemple, le modèle britannique repose sur une très forte externalisation associée à une verticalisation extrêmement poussée de la maintenance. Ainsi, celle-ci est essentiellement externalisée à la société privée BABCOCK, y compris pour les opérations hors du territoire national, avec des résultats peu probants en termes de disponibilité.

b) Le niveau et la portée de la disponibilité technique opérationnelle sont affectés par d'autres facteurs que le système de MCO lui-même

Si la performance du MCO est un élément déterminant pour le niveau de disponibilité des matériels militaires, d'autres facteurs peuvent également avoir une influence sur ce niveau. En outre, les conséquences du niveau de MCO en termes d'activité notamment peuvent varier en fonction des caractéristiques des armées et des matériels.

Tout d'abord, le niveau de disponibilité présente une portée inversement proportionnelle à la taille du parc analysé. À l'échelle d'une armée, moins celle-ci est fournie en matériels, plus leur niveau de disponibilité présente une importance aigue. La France ayant fortement réduit ses parcs au cours des dernières décennies, elle se doit ainsi d'assurer un niveau de disponibilité d'autant plus élevé73(*). L'enjeu est sur le principe moins grand pour une armée très équipée comme l'armée américaine.

À l'échelle d'un parc d'équipements, la logique est la même. S'agissant des armées françaises, les taux de disponibilité des équipements de la marine - relativement peu nombreux, notamment s'agissant des grands navires - présentent ainsi une portée plus grande encore que pour l'armée de terre, qui bénéficie d'une « masse » supérieure. Par ailleurs, les cessions de matériels (vente de matériel d'occasion ou dons à des pays étrangers) qui n'ont pas été anticipées suffisamment à l'avance pour recompléter le parc à temps conduisent mécaniquement à un rétrécissement du nombre de matériels disponibles et donc à la sur-sollicitation des équipements restants, générant à terme plus d'indisponibilité. Cet enjeu s'est notamment posé dans les dernières années à l'occasion de la cession à titre onéreux d'avions Rafale à la Grèce et à la Croatie.

Ensuite, le niveau de disponibilité des matériels est influencé par le niveau d'engagement des armées, sur lequel le système de MCO n'a pas de prise. Une armée d'emploi comme l'armée française, qui se déploie sur l'ensemble du globe, notamment dans le cadre d'opérations extérieures, sollicite fortement ses équipements, générant mécaniquement de la « casse » et donc un besoin de MCO élevé pour maintenir le niveau de DTO. Or, depuis de nombreuses années, l'engagement des armées françaises est très élevé, notamment en opérations extérieures, dans le cadre des activités de forces de souveraineté déployées dans les outre-mer et à l'occasion de l'exécution de missions confiées par l'OTAN, l'ONU et l'Union européenne. Cet engagement s'est encore développé récemment sur le flanc oriental en Europe de l'OTAN74(*), après l'invasion de l'Ukraine par la Russie. En outre, nombre des opérations extérieures des armées ont été effectuées dans des conditions très éprouvantes pour le matériel. Ainsi, les matériels déployés en opération subissent deux phénomènes qui en accélèrent l'usure et donc le besoin de maintenance :

la suractivité, qui traduit l'emploi des matériels utilisés en Opex75(*) au-delà du potentiel alloué et financé en loi de finances ;

la surintensité, qui caractérise les conséquences sur les matériels des conditions d'emploi en opérations extérieures plus « agressives » qu'en métropole, du fait de l'éloignement des théâtres ou encore des conditions climatiques extrêmes (terrains sableux, températures très élevées, niveaux d'humidité très faible ou très élevé, etc.). À titre d'utilisation, un moteur d'hélicoptère pourrait être utilisé en moyenne 3 000 heures dans des conditions habituelles en métropole contre seulement 300 heures en opérations extérieures. De même, un Mirage 2000 en opération extérieure consommerait 100 heures de maintenance par mois alors que le cycle d'entretien normal prévoit 16 heures de maintenance sur la même période. Pour les matériels terrestres, l'usure des véhicules déployés en opérations extérieures serait de 2,5 à 4 fois plus rapide76(*).

Par ailleurs, les caractéristiques du parc de matériels influent directement sur l'efficacité et l'efficience du MCO et donc sur le niveau de disponibilité. La maintenance des matériels jeunes - pour lesquels il faut identifier et régler les défauts de jeunesse - ou vieillissants - pour lesquels les obsolescences sont nombreuses et les pièces détachées difficiles à se procurer - est ainsi plus exigeante que pour les matériels en milieu de vie77(*). L'entretien simultané de matériel anciens et neufs constitue ainsi l'un des principaux enjeux du MCO naval. De même, le degré d'homogénéité des parcs est déterminant dans l'efficacité du MCO et donc sur le niveau de disponibilité : un parc de matériels très hétérogène réduit les économies d'échelle (multiples stratégies de soutien, de contrats de maintenance, de besoins industriels et de matériels, d'effectifs, d'apprentissage des personnels, etc.), tandis qu'un parc homogène simplifie fortement le MCO. La coexistence d'équipements de générations différentes, l'hétérogénéité des missions réalisées, la variété des environnements d'utilisation et la mise en oeuvre d'opérations de « rétrofit » étalées dans le temps sont les principaux facteurs d'hétérogénéité des parcs78(*).

De plus, le nombre et la disponibilité des infrastructures de maintenance constituent un élément majeur sur l'efficacité du MCO, en particulier dans le domaine naval.

Enfin, la résilience et la solidité de la BITD jouent un rôle structurant : la maîtrise des chaînes d'approvisionnement et la fluidité des relations entre les grands maîtres d'oeuvre industriels et les sous-traitants sont nécessaires pour assurer la réalisation des prestations de maintenance externalisées, dans les délais impartis. En l'état, elle n'est pas toujours assurée. De plus, les capacités industrielles de maintenance au sein des industries privées connaissent des limites qui réduisent la cadence d'entretien des matériels. Il en va notamment ainsi pour l'entretien des munitions complexes, MBDA n'ayant pas à ce jour développé de filière spécifiquement à la maintenance, selon les informations recueillies par le rapporteur spécial. En outre, l'état mondial des chaînes d'approvisionnement joue un rôle dans la performance du MCO et donc le niveau de disponibilité, des ruptures d'approvisionnement de sous-composants essentiels, comme c'est le cas aujourd'hui, ayant un impact très fort.

c) Le niveau insuffisant de disponibilité technique opérationnelle des matériels est partiellement compensé à court terme pour certaines flottes par une hausse notable de l'activité par équipement restant disponible

En règle générale, le niveau de DTO des matériels est fortement corrélé au potentiel d'activité des forces. C'est d'ailleurs ce qui fait toute l'importance d'une disponibilité élevée des matériels.

Néanmoins, la corrélation entre le niveau de disponibilité et celui d'activité est plus distendu pour certains matériels. En effet, le taux de disponibilité en réduction d'un parc peut être compensé par une activité plus intense - au-delà des usages habituels - des équipements restant disponibles. Cette solution tend à être mise en oeuvre de plus en plus fréquemment et de manière organisée ces dernières années, pour des parcs d'équipement spécifiques et souvent stratégiques. L'hypothèse est d'ailleurs parfois intégrée dans les contrats verticalisés conclus avec les mainteneurs industriels.

Elle a ainsi été mise en oeuvre notamment s'agissant du Rafale, dans un contexte de réduction du parc lié en particulier au prélèvement pour l'export sur la dotation de l'armée de l'Air et de l'Espace de 24 Rafale, au profit de la Grèce et de la Croatie, et au titre desquels le recomplètement intégral n'est prévu que pour 2027. Le nombre d'heures de vol par appareil est ainsi passé de 200 heures de vol à 300 heures de vol par an.

Cet artifice présente toutefois deux inconvénients principaux, à savoir générer une sur-usure, ce qui accroît à terme les besoins en MCO, et réduire la durée des matériels. Il ne constitue donc pas une solution de long terme.


* 58 Voir infra pour l'avenir, notamment dans le cadre de la LPM pour les années 2024 à 2030.

* 59 Les contrats opérationnels définissent la nature, le volume et le niveau de disponibilité des forces nécessaires pour tenir ces engagements. À titre d'exemple, la LPM pour les années 2024 à 2030 prévoit pour ce qui concerne la force interarmées de réaction immédiate (FIRI) que l'armée de l'air et de l'espace doit disposer d' « 1 état-major C2, 1 système de détection et de commandement aéroporté (AWACS), 10 avions de chasse, 2 avions militaires de transport et de ravitaillement (MRTT), 6 avions de transport tactique, 1 plot de renseignement (ARCHANGE ou avion léger de surveillance et de reconnaissance, ALSR), 1 plot de défense sol-air avec capacité LAD, et 1 plot recherche et sauvetage au combat (RESCO) ».

* 60 Voir infra.

* 61 Idem.

* 62 Projets annuels de performances annexés au projet de loi de finances et rapports annuels de performance annexés au projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année.

* 63 Voir infra.

* 64 Fournies par le rapport annuel de performances de la mission « Défense », annexé au projet de loi relatif aux résultats de la gestion et portant approbation des comptes de l'année 2023.

* 65 Voir infra.

* 66 VBCI.

* 67 Selon les informations générales transmises au rapporteur spécial, les résultats moyens seraient en hausse pour l'armée de terre : « la disponibilité technique globale dépasse 70 % en métropole, atteint 80 % en outre-mer et approche 90 % en opérations extérieures ».

* 68 Voir infra.

* 69 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances sur la disponibilité des hélicoptères du ministère des armées, M. Dominique de Legge, 11 juillet 2018.

* 70 Qui contiennent chaque année un indicateur portant sur le « niveau de réalisation des activités ». Les chiffres ne sont plus publiables à partir de 2023, voir infra.

* 71 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 72 Loi n° 2023-703 du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

* 73 Voir supra.

* 74 Organisation du traité de l'Atlantique nord.

* 75 Opérations extérieures.

* 76 Réponse au questionnaire spécial de Josselin Droff, chercheur, Chaire Économie de Défense, Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN).

* 77 Voir également infra pour les coûts associés.

* 78 Voir infra.

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