B. LE TRIPLE ENJEU DE LA FERMETURE DU CYCLE

La France a choisi depuis plus de 50 ans une stratégie dite de « fermeture du cycle ». Cela signifie que le combustible usé est traité pour récupérer ses matières valorisables (uranium et plutonium), tandis que ses autres composés (produits de fission et actinides mineurs) constituent les déchets ultimes.

L'intérêt de ce choix est triple : il économise de la ressource fissile, réduit le volume de déchets ultimes à vitrifier puis à stocker et vise à diminuer la toxicité de ces stocks.

À terme, l'objectif de la fermeture du cycle est le « recyclage des combustibles usés permettant la complète valorisation des matières nucléaires et ne nécessitant aucun nouvel apport d'uranium naturel pour produire de l'énergie nucléaire. » (Orano).

Lors du conseil de politique nucléaire du 26 février 2024, le président de la République a confirmé les grandes orientations de la politique française sur l'aval du cycle comprenant le retraitement, la réutilisation des combustibles usagés et la fermeture du cycle. Il en résulte que le site Orano de La Hague est pérennisé et que d'importants travaux de renouvellement des infrastructures pourront y être réalisés pour leur permettre d'aller bien au-delà de 2040.

C. L'APPORT INDISPENSABLE MAIS LIMITÉ DU MONORECYCLAGE

La politique actuelle de retraitement-recyclage du combustible est fondée sur le monorecyclage : la partie valorisable des combustibles utilisés est traitée de telle sorte qu'elle puisse repasser une fois dans les réacteurs. Ce monorecyclage permet de valoriser 96 % des matières qui sont issues du combustible passé une première fois en réacteur.

Concrètement, l'usine Orano de La Hague collecte, après une première utilisation, les combustibles nucléaires usés dans des piscines de refroidissement. Puis, elle en extrait les 96 % de matières énergétiques valorisables (95 % d'uranium et 1 % de plutonium) qu'elle va ainsi permettre de recycler.

Le plutonium qui s'est formé dans le réacteur est récupéré pour fabriquer un combustible appelé MOX (« mixed oxyd »), constitué d'un assemblage d'environ 8,5 % de plutonium et 91,5 % d'uranium appauvri. Ce MOX est ensuite consommé une nouvelle et dernière fois dans certains réacteurs. Actuellement, un tiers des réacteurs du parc nucléaire français sont en capacité d'utiliser le MOX, qui permet de produire environ 10 % de l'électricité nationale.

L'autre produit valorisable est l'uranium issu du recyclage, dit uranium de retraitement (URT). Il peut être réenrichi pour alimenter une nouvelle fois le parc. On parle alors d'uranium recyclé enrichi (URE). Une phrase préliminaire à ce réenrichissement est la conversion de l'uranium à recycler, qui consiste en sa purification. Orano ne disposant des équipements pour assurer cette phase de conversion pour l'uranium recyclé elle est pour l'instant réalisé par ROSATOM à Seversk en Russie. Selon les cas, cet uranium URE peut être utilisé en France, comme à la centrale de Cruas, ou dans les réacteurs russes.

Dans les réacteurs actuels le combustible ne peut être recyclé efficacement qu'une seule fois. Après cette seconde vie, il est donc entreposé en piscine dans l'attente de la possibilité technique de nouveaux recyclages, qui seront ultérieurement réalisables dans une nouvelle génération de réacteurs, les réacteurs à neutrons rapides, dits de « 4ème génération ».

Selon les informations communiquées à la commission d'enquête, le recyclage du plutonium, grâce au MOX, permet d'ores et déjà de produire 10 % de l'électricité nucléaire. Cette part pourrait monter à 25 % selon les prévisions d'EDF grâce à une utilisation croissante de l'uranium de retraitement (URT). L'objectif d'EDF est de pouvoir réutiliser l'URT dans certains réacteurs de 1 300 MW dès 2027 pour arriver dans les années 2030 à plus de 30 % d'URT chargé dans le parc nucléaire français.

L'enjeu est évidemment de taille. Toutefois, actuellement, l'usine de Seversk est la seule au monde qui puisse opérer cette conversion de l'URT. La France dispose de la technologie de conversion puisque le site du Tricastin a converti environ 4 000 tonnes d'uranium de retraitement sous forme de nitrate d'uranyle en UF6 (hexafluorure d'uranium) de 1972 à 2008, date à laquelle les dernières installations de conversion dédiées à ces matières ont été fermées. Elle a mis fin à ce processus sur son sol, principalement pour des raisons économiques, liée au surcoût de la filière URT par rapport à la filière uranium naturel, EDF s'adressant à ROSATOM pour sous-traiter à moindre prix la conversion.

Une utilisation croissante de l'URT dans des conditions souveraines exige donc la création d'une nouvelle installation, ce qui suppose un choix politique clair pour un aboutissement d'ici 7 à 10 ans. Cette création est à l'étude par EDF et Orano et a fait l'objet de la proposition n° 22 de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France675(*) ainsi libellée : « étudier la faisabilité industrielle et les options économiques pour installer à court terme une nouvelle usine de réenrichissement sur le sol français », à laquelle la commission d'enquête ne peut que souscrire.

Ce monorecyclage, par lequel l'uranium déjà utilisé refait un tour en réacteur, est déjà effectif dans 24 réacteurs de 900 MW, dits « moxés », sur l'ensemble des 56 réacteurs actuellement en exploitation en France. Selon les informations communiquées à la commission d'enquête par Bernard Salha, directeur de la recherche et du développement d'EDF et directeur technique groupe, EDF souhaite désormais préparer le « moxage » d'une partie du parc de réacteurs de 1 300 mégawatts. L'objectif est à la fois de préserver la ressource en uranium mais aussi de stabiliser les inventaires de combustibles usés, en particulier de plutonium.


* 675 Assemblée nationale, rapport fait au nom de la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France, 30 mars 2023.

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