N° 714

SÉNAT

2023-2024

Rapport remis à M. le Président du Sénat le 2 juillet 2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 juillet 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission d'enquête (1) sur la production, la consommation
et le
prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050,

Président
M. Franck MONTAUGÉ,

Rapporteur
M. Vincent DELAHAYE,

Sénateurs

Tome I - Rapport

(1) Cette commission est composée de : M. Franck Montaugé, président ; M. Vincent Delahaye, rapporteur ; M. Daniel Gremillet, Mme Christine Lavarde, MM. Stéphane Piednoir, Victorin Lurel, Mmes Denise Saint-Pé, Nadège Havet, MM. Fabien Gay, Pierre Médevielle, Henri Cabanel, Daniel Salmon, vice-présidents ; Mme Martine Berthet, MM. François Bonneau, Guillaume Chevrollier, Stéphane Fouassin, Fabien Genet, Daniel Gueret, Mme Christine Herzog, MM. Didier Mandelli, Jean-Jacques Michau, Alexandre Ouizille, Cyril Pellevat.

L'ESSENTIEL

I. LE SYSTÈME ÉLECTRIQUE : UNE LOGIQUE DE MARCHÉ ÉCARTELÉE ENTRE CHOIX SOUVERAINS ET ENCADREMENT EUROPÉEN CROISSANT

A. POUR UNE EUROPE PLUS RESPECTUEUSE DES CHOIX ÉNERGÉTIQUES DE SES ÉTATS MEMBRES AFIN DE RÉUSSIR LA TRANSITION CLIMATIQUE EN 2050

La crise énergétique a mis en lumière le rôle essentiel joué par l'Union européenne dans le domaine de l'énergie, et plus particulièrement dans l'organisation du marché de l'électricité. Dans ce cadre, si l'abandon progressif des énergies fossiles est un objectif à atteindre, les efforts demandés à la France sont proportionnellement plus importants que pour d'autres pays. En effet, elle dispose d'un mix électrique déjà très largement décarboné. Dans 20 des 27 pays de l'Union, les émissions de CO2 par habitant sont supérieures à celles de la France. Pourtant, 19 pays de l'Union se voient imposer des efforts de réduction des émissions de CO2 inférieurs à ceux de la France.

Par ailleurs, la commission d'enquête rappelle que l'article 194 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) garantit le droit, pour chaque État membre, de décider de son bouquet énergétique. Par conséquent, les textes européens qui vont l'encontre du principe de neutralité technologique sont contraires aux traités et doivent être révisés. Ainsi faut-il faire évoluer certaines législations adoptées dans le cadre du paquet « Fit for 55 ».

La commission d'enquête appelle à mettre fin à toute discrimination de l'énergie nucléaire au sein de l'UE. Cette énergie est la seule qui permette de décarboner massivement. Si le nucléaire n'est plus aussi tabou qu'auparavant à Bruxelles et si des progrès ont été faits, depuis 2022, notamment dans le cadre de la réforme du marché européen de l'électricité, la neutralité technologique doit encore s'imposer dans certains domaines : les projets nucléaires doivent être éligibles aux programmes de financement de l'UE en matière d'énergie et bénéficier des prêts de la Banque européenne d'investissement. La création de projets importants d'intérêt commun européen (PIIEC) dans le domaine du nucléaire doit aussi se concrétiser rapidement.

B. LA FRANCE A PLUS QUE JAMAIS BESOIN D'UNE PROGRAMMATION ÉNERGÉTIQUE À LONG TERME

Alors que la loi prévoyait le vote d'une loi de programmation quinquennale sur l'énergie et le climat avant le 1er juillet 2023, un an après ce terme, notre pays affiche toujours une programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) obsolète. Les priorités de sa politique énergétique pour les prochaines années doivent désormais être rapidement définies et présentées à la Représentation nationale. Or, le Gouvernement a annoncé, avant la dissolution de l'Assemblée nationale, qu'aucun texte ne serait présenté au Parlement. La commission d'enquête réaffirme que la France a besoin d'une vision à long terme, fondée sur des bases scientifiques solides et non idéologiques, pour construire l'avenir de sa souveraineté énergétique et industrielle. L'énergie est un secteur où prévaut le temps long, la France doit donc se doter, dans les meilleurs délais, d'une programmation énergétique pluridécennale, qui pourrait ensuite être déclinée dans la PPE précisant objectifs et moyens sur 5 ans.

C. LES DÉFAILLANCES DES MARCHÉS RENDAIENT NÉCESSAIRE LEUR RÉFORME

Les marchés de gros de l'électricité présentent des limites évidentes. Ils ne rémunèrent pas suffisamment les moyens de pointes indispensables pour garantir notre sécurité d'approvisionnement, ils ne donnent pas les signaux de long terme nécessaires aux investissements dans les capacités de production décarbonées et ils fluctuent de façon erratique. Les dispositifs qui ont été mis en oeuvre en France pour remédier à ces défaillances, en particulier l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), le « mécanisme de capacité » ou les dispositifs de soutien aux moyens de production renouvelables, sont eux-mêmes très imparfaits. Ces mécanismes n'ont pas permis de préserver les tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVe) des aléas des marchés et ils ont donné lieu à des phénomènes de fraudes inacceptables, notamment s'agissant de l'Arenh.

À partir de l'automne 2021, les économies européennes ont été confrontées à une hausse très importante des prix des énergies, suite à la reprise économique consécutive à l'épidémie de la Covid-19. Cette crise énergétique s'est intensifiée avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie, en février 2022, provoquant une flambée des prix de gros du gaz et de l'électricité. Cette période a souligné les vulnérabilités de l'Union européenne en matière énergétique et exposé au grand jour les imperfections du fonctionnement du marché européen dès lors que l'Union européenne était confrontée à un déficit d'offre de production électrique.

Sur l'insistance d'un certain nombre d'États membres, en particulier la France, la Commission européenne a présenté, au début de l'année 2023, une réforme du marché européen de l'électricité, qui a été adoptée en décembre 2023. Cette réforme doit contribuer au développement d'un marché de long terme, favorable aux investissements dans la production d'électricité décarbonée et plus protecteur des consommateurs. Afin d'encourager la formation de signaux de prix de long terme sur les marchés, il est proposé aux États membres de déployer deux outils de financement, les Power Purchase Agreements (PPA), et les contrats pour différence bidirectionnels (CfD), lesquels peuvent couvrir l'ensemble des énergies bas-carbone, y compris le nucléaire.

II. UNE CONSOMMATION QUI DEVRAIT AUGMENTER AVEC DE NOMBREUSES INCERTITUDES

A. DEPUIS 15 ANS LA TENDANCE EST À LA CONTRACTION DE LA DEMANDE ÉLECTRIQUE FRANÇAISE

Si la consommation électrique a accompagné l'essor démographique et économique de la France ces cinquante dernières années, le rythme moyen de cette croissance ralentit décennie après décennie. Depuis les années 2000, la consommation électrique stagne et a même reculé ces dernières années, comme le souligne le graphique suivant. Cette tendance s'inscrit dans une demande globale d'énergie en berne, comme chez nos voisins européens.

Évolution entre 2005 et 2023 de la consommation électrique corrigée
des effets météorologiques et calendaires

Source : RTE1(*)

B. AFIN DE DÉCARBONER LE PAYS, L'ÉLECTRIFICATION DES USAGES DOIT CONDUIRE À INVERSER CETTE TENDANCE

Les projections de consommation électrique réalisées par plus d'une dizaine d'organismes convergent pour décrire une électrification des usages, en lien avec la décarbonation de nos sociétés, et une augmentation de la demande d'électricité à moyen et long terme. La commission d'enquête a analysé ces travaux, dont ceux du gestionnaire du réseau de transport d'électricité français (RTE) présentés dans Futurs énergétiques 2050 et le Bilan prévisionnel 2023. La commission d'enquête recommande à cet égard que les prochains travaux prospectifs de RTE associent davantage le Parlement en amont.

Sans prétendre prédire l'avenir, mais après un examen rigoureux des différentes projections, la commission d'enquête estime que le scenario le plus raisonnable et plausible est celui d'un niveau de consommation électrique entre 580 et 615 TWh à l'horizon 2035 et environ 700 TWh à l'horizon 2050. Ce choix suppose néanmoins la nécessité d'un basculement massif des usages vers l'électricité. La commission d'enquête juge dans ce cadre nécessaire l'élaboration d'un plan national d'électrification par le Gouvernement pour fixer un cap clair.

Les scenarios de consommation électrique retenus par la commission d'enquête pour 2035 et 2050

Ce scenario suppose aussi le renforcement des gains d'efficacité énergétique, dont le potentiel est de 100 TWH à l'horizon 2035, mais aussi des efforts de sobriété qui doit faire l'objet d'un plan national ambitieux. Il nécessite par ailleurs d'encourager vivement le rythme de déploiement des équipements bas-carbone, notamment dans l'industrie, les transports et le bâtiment.

III. UNE RELANCE AMBITIEUSE ET DURABLE DE LA FILIÈRE NUCLÉAIRE EST INCONTOURNABLE

A. UN ENJEU CRUCIAL : GARANTIR UNE PARFAITE TRANSPARENCE SUR LES COÛTS DE PRODUCTION ET D'ACHEMINEMENT DE L'ÉLECTRICITÉ

Les méthodes utilisées pour comparer le coût des filières électriques souffrent d'une lacune majeure. Elles ne prennent pas en compte les « coûts systèmes », c'est-à-dire les coûts supplémentaires induits par chacune des filières pour le système électrique dans son ensemble (réseaux, flexibilités, besoins de moyens de production de secours, etc.). En prenant en compte ces « coûts systèmes », plus les scénarios de mix électriques comportent une part significative d'éolien et de photovoltaïque, plus le coût de production moyen du système est élevé (coûts supplémentaires pour des scénarios 100 % renouvelables estimés par RTE à 200 milliards € jusqu'en 2060). Cela s'explique par l'intermittence de ces modes de production et leur caractère diffus qui exigent une multiplication des raccordements au réseau.

Les enjeux d'adaptation des réseaux d'acheminement sont trop souvent négligés. Or, Enedis et RTE prévoient 200 milliards d'euros d'investissements d'ici à 2040. S'ils sont en partie déterminés par les renouvellements liés au réseau de transport vieillissant, ces investissements sont également induits par l'électrification des usages et par le développement de nouvelles capacités de production éoliennes et photovoltaïques.

Les projets de programmes d'investissements annoncés par RTE et Enedis devront faire l'objet d'une expertise minutieuse pour en maximiser l'efficience et en minimiser les conséquences sur les factures des consommateurs. S'il ne fait pas de doute qu'ils conduiront à une augmentation du tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE), répercuté sur les tarifs payés par les consommateurs, la commission d'enquête regrette le manque de transparence sur le sujet. Par ailleurs, elle recommande de limiter la rémunération des capitaux d'Enedis et de RTE et les dividendes qu'ils distribuent afin de contenir la hausse du TURPE dans les années à venir.

De son côté, la compétitivité économique des scénarios de relance ambitieuse de la production nucléaire est solidement étayée mais elle nécessite des modalités de financement adaptées permettant de réduire au maximum le coût de financement des projets.

Un critère essentiel de comparaison entre énergies électriques est leur intensité carbone. En la matière, le nucléaire est le plus vertueux, suivi par les énergies renouvelables intermittentes, puis l'hydroélectricité. Le gaz et le pétrole sont évidemment beaucoup plus émetteurs de carbone.

 
 
 

investissements programmés par Enedis et RTE d'ici à 2040

coût de prolongation des réacteurs nucléaires actuels

Source : données Ademe 2(*)

B. D'ICI À 2050, LA SATISFACTION DE NOS BESOINS ÉLECTRIQUES SERA PRINCIPALEMENT ASSURÉE PAR LA RELANCE DE L'INDUSTRIE NUCLÉAIRE

1. Faire de la flexibilité le coeur du fonctionnement du système électrique

À la suite des difficultés d'approvisionnement en électricité lors des deux derniers hivers, la question d'éventuelles défaillances des systèmes électriques en Europe et en particulier en France est revenue sur le devant de la scène, alors qu'elle avait quasiment disparue. La transformation du système électrique en cours doit entraîner un renouvellement de la réflexion sur la question de la sécurité d'approvisionnement et des flexibilités utiles au système électrique dans son ensemble. La commission recommande que le Parlement soit associé à ces réflexions.

La France a été pionnière avec la politique d'effacement de consommation liée au positionnement de la recharge des ballons électriques sur les heures creuses nocturnes. Développer une flexibilité plus large de la demande est souhaitable et le potentiel estimé est d'environ 15 GW en 2030, voire 20 GW en 2033/2035. Cette flexibilité de la demande contribue à la sécurité d'approvisionnement, à la baisse du recours à des moyens de production carbonés à la pointe mais suppose une politique volontariste d'installation d'équipements de pilotage de la consommation qui aident à la réalisation d'économies pour les particuliers.

La commission d'enquête estime nécessaire de faire évoluer les tarifs réglementés de l'électricité pour qu'ils soient plus incitatifs à la flexibilité. Pour permettre un pilotage intelligent de la consommation électrique profitable au système électrique comme au consommateur, la commission recommande de passer à une collecte automatique, sauf opposition du client, de la courbe de charge des compteurs, c'est-à-dire de la consommation et son enregistrement dans le système d'information du gestionnaire de réseau de distribution. Enfin, il est aussi nécessaire de reconnaître cette flexibilité, à la hausse comme à la baisse, dans le code de l'énergie, qui ne mentionne jusqu'alors que les effacements.

Le stockage et la flexibilité de l'offre de production constituent également des éléments clés mais trop souvent négligés de notre sécurité d'approvisionnement. Les seuls moyens de stockage véritablement efficaces aujourd'hui sont les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP). Malheureusement, leurs perspectives de développement sont entravées par le précontentieux avec la Commission européenne lié aux concessions hydroélectriques ainsi que par la fragilité de leur modèle économique. Il est impératif que ces deux problématiques soient résolues pour libérer ce potentiel.

Pour garantir la sécurité d'approvisionnement nationale, la commission d'enquête estime indispensable de maintenir les capacités de production thermiques actuelles. Par ailleurs, compte-tenu de l'insuffisance maturité des filières thermiques décarbonées, et si la construction de nouvelles centrales fonctionnant au gaz naturel ne doit être qu'une solution de dernier recours en cas de risque avéré pesant sur notre sécurité d'approvisionnement, la commission d'enquête considère qu'il serait imprudent de se priver de cette possibilité.

2. D'ici 2035, la prolongation optimisée du parc nucléaire accompagnera un déploiement ambitieux mais réaliste et efficient de capacités renouvelables
 
 
 

investissements dans le cadre du programme « grand carénage »

objectif de production du parc nucléaire historique à horizon 2030

coût annoncé de la construction des 6 premiers EPR2 du programme de nouveau nucléaire

La prolongation du parc nucléaire en exploitation jusqu'à 60 ans est un enjeu crucial à l'horizon 2035. L'intérêt économique de cette prolongation ne fait aucun doute. Son coût, entre 30 et 40 euros par MWh, est inférieur à toute autre filière de production. Par ailleurs, des études récentes et des exemples internationaux démontrent que techniquement comme en termes de sûreté cette hypothèse est très vraisemblable. La prolongation de la durée de fonctionnement des réacteurs de 900 MW jusqu'à 50 ans est par ailleurs déjà bien engagée grâce aux opérations réalisées dans le cadre du programme de « grand carénage ». La prolongation de la durée de vie des réacteurs actuels ne peut s'envisager cependant sans une optimisation significative de leur performance. Celle-ci passera par une meilleure maîtrise des phases de maintenance ou encore par une augmentation de la puissance et un allongement du cycle de rechargement de certains réacteurs.

D'ici à 2035, le développement des moyens de production renouvelables s'avère également incontournable pour augmenter, en toute sécurité et de façon décarbonée, la production nationale électrique. La commission d'enquête estime que ce développement doit s'appuyer sur une répartition équilibrée entre les différentes technologies, en privilégiant les avancées technologiques et une implantation plus optimale sur l'ensemble du territoire. Il doit aussi tenir compte des différents usages du sol et garantir la préservation des paysages et du patrimoine bâti. Un déploiement raisonnable et équilibré de ces énergies renouvelables doit ainsi guider la décision publique. Dans ce cadre, les installations photovoltaïques et éoliennes devraient continuer à se déployer. Toutefois le parc éolien terrestre pourrait connaître un ralentissement de son étalement en raison des avancées technologiques permettant d'augmenter la puissance par mât. La commission d'enquête considère que l'éolien en mer constitue un pari risqué, compte tenu des coûts réels de ces technologies, de leurs difficultés d'acceptabilité et de la faible maturité technique de l'éolien flottant. Les objectifs très ambitieux qui ont été affichés par le discours de Belfort ne pourront du reste pas être tenus.

Le développement de l'énergie hydraulique, énergie maîtrisée, rentable et décarbonée, dépend aujourd'hui de la résolution du conflit, qui dure depuis plus de quinze ans, avec la Commission européenne concernant le régime juridique des concessions hydroélectriques. Après avoir assuré, en 2008, à la Commission européenne qu'elles procéderaient à une mise en concurrence des concessions arrivées à échéance, les autorités françaises ont refusé cette option. La Commission européenne a mis en demeure la France, en 2015 et 2019, de mettre fin à cette situation. Depuis, les gouvernements successifs ont exploré plusieurs pistes afin de soustraire le renouvellement des concessions hydroélectriques à l'obligation de mise en concurrence, la dernière en date étant celle du passage vers un régime d'autorisation, sans que cela ne débouche sur aucun résultat concret. La commission d'enquête constate que les marges de manoeuvres pour parvenir à une résolution du conflit et échapper à la mise en concurrence sont étroites mais qu'il y a urgence à régler ce différend. C'est pourquoi elle demande la création d'une commission composée de représentants de l'État, de représentants d'EDF et autres concessionnaires et des acteurs de la filière, d'experts notamment en droit et de parlementaires afin d'étudier les solutions qui pourraient être présentées à la Commission européenne.

Au total, à l'horizon 2035, le scénario de mix de production retenu par la commission, composé à 60 % par la filière nucléaire, permettrait de couvrir l'augmentation attendue de la consommation avec une marge suffisante susceptible de contribuer à la sécurité d'approvisionnement et de maintenir un solde exportateur.

Comparaison de la production et de la consommation annuelles à horizon 2035 dans le scenario de la commission d'enquête

(en TWh)

Source : commission d'enquête

3. À l'horizon 2050, prolonger les centrales actuelles au-delà de 60 ans et construire 14 nouveaux réacteurs

Il est nécessaire de prolonger au-delà de 60 ans, dans le respect strict des normes de sûreté, un maximum de réacteurs du parc nucléaire actuel. Cette perspective repose essentiellement sur la maîtrise des conditions de vieillissement des composants irremplaçables d'une centrale que sont la cuve et son enceinte de confinement. Des exemples étrangers permettent d'envisager très sérieusement cette perspective qui fait l'objet de recherches approfondies d'EDF et du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

La commission d'enquête juge également incontournable la construction dans des conditions économiques optimisées d'un nouveau parc nucléaire de 14 réacteurs. Pour se prémunir des mésaventures passées, et alors que l'estimation du coût de construction des 6 premiers réacteurs a déjà été réévaluée de 30 % au printemps 2024, aucun effort ne doit être ménagé pour assurer la maîtrise industrielle du projet. À ce titre, la revue de maturité du programme en cours revêt une importance décisive. Par ailleurs, et dans la mesure où le montant total d'un programme de ce type repose largement sur ses coûts de financement, la commission d'enquête recommande de concevoir un modèle économique sécurisant permettant de réduire le prix de l'électricité qui sera délivrée par les nouveaux réacteurs. Ce modèle de financement impliquera une participation publique ainsi que des rémunérations garanties à EDF pendant les phases de construction et d'exploitation.

En fonction de différentes hypothèses liées, d'une part, au nombre de réacteurs qui pourront être prolongés au-delà de 60 ans3(*) et, d'autre part, au calendrier de déploiement du programme de nouveau nucléaire4(*), le mix de production national résultant des scénarios étudiés par la commission d'enquête5(*) produirait entre 700 et 850 TWh en 2050. Entre 52 % et 61 % seraient assurés par des moyens nucléaires. Sous toutes réserves compte-tenu de l'horizon lointain envisagé, il permettrait de couvrir la courbe d'évolution de la consommation telle qu'elle peut être estimée aujourd'hui.

Comparaison de la production et de la consommation annuelles à horizon 2050 selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête

(en TWh)

Source : commission d'enquête

4. Relancer d'urgence la quatrième génération de réacteurs nucléaires

La commission d'enquête alerte sur un sujet trop peu évoqué, celui du risque de raréfaction de l'uranium naturel à une échéance assez rapprochée. Selon les hypothèses de déploiement de l'énergie nucléaire civile dans le monde, qui doit être massif pour permettre la décarbonation, l'uranium peut se raréfier autour des années 2060. Dans le scenario présenté à la COP 28 d'un triplement mondial de la capacité nucléaire mondiale d'ici 2050, les réserves identifiées à 260 $ le kg pourraient être épuisées autour de 2070, les réserves identifiées à 130 $/kg pourraient l'être un peu après 2060 et les réserves « raisonnablement assurées » un peu après 2055.

La voie d'avenir pour une électricité décarbonée, durable et souveraine, au-delà de 2050 est dans ce cadre constituée par la filière des réacteurs à neutrons rapides (RNR). Ces RNR, qui produisent moins de déchets ultimes en consommant le plutonium, permettraient à la France de disposer d'une énergie nucléaire pour des centaines d'années, compte tenu notamment de leur capacité à utiliser l'uranium appauvri dont la France détient des stocks considérables. Mais pour être en capacité de lancer le déploiement d'un parc RNR à cet horizon, qui exige environ 30 ans, il faut dès à présent reprendre les recherches qui ont été pratiquement bloquées en 2018 (arrêt du programme Astrid) dans le cadre de décisions politiques à courte vue. Par ailleurs, pour être en capacité de démarrer un parc de RNR, la France doit préserver son stock de plutonium. Il en résulte que le projet de multirecyclage dans les réacteurs classiques à eau pressurisée (Multirecyclage en REP) qui risque d'entamer significativement notre stock de plutonium et de mobiliser des ressources financières indispensables ne semble pas pertinent à la commission d'enquête.

IV. UNE VRAIE RÉGULATION DU PRIX DE L'ÉLECTRICITÉ ET UN ALLÈGEMENT DE LA FISCALITÉ POUR À TERME RÉDUIRE DE 40 % LES FACTURES DES CONSOMMATEURS

A. UNE VRAIE RÉGULATION DE LA PRODUCTION NUCLÉAIRE PERMETTRA DE CORRÉLER COÛTS DE PRODUCTION ET PRIX DE L'ÉLECTRICITÉ

La commission d'enquête constate que, malgré les enjeux considérables qu'il sous-tend pour l'ensemble du système électrique et en dépit des promesses gouvernementales, « l'accord » conclu entre l'État et EDF officialisé en novembre 2023 a été négocié dans la plus grande opacité, ne protège ni EDF ni les consommateurs et organise la décorrélation structurelle des coûts de production et des prix de l'électricité en exposant totalement ces derniers aux aléas des marchés de gros. Simple feuille volante non signée, cet accord n'a aucune valeur juridique et l'affichage d'un prix moyen de 70 euros, souvent présenté comme un engagement, ne constitue en fait qu'un simple indicateur sans portée réelle, un pari risqué sur l'évolution des prix de marchés à termes. Un passé récent a pourtant montré à quel point il était imprudent de fonder le prix de l'électricité sur les fluctuations des marchés de gros. En exposant les consommateurs aux aléas du marché, en les privant de toute visibilité et en décorrélant de façon structurelle les prix des coûts de production, le dispositif retenu par le Gouvernement est tout sauf protecteur pour les consommateurs et compromet les perspectives de réindustrialisation du pays. Par ailleurs, puisqu'il ne prévoit aucune garantie de prix de vente, il expose dangereusement EDF à une situation de prix bas prolongés sur les marchés de gros. Les évolutions des marchés depuis novembre 2023 rendent cette hypothèse de plus en plus vraisemblable.

Pourtant, EDF (jusqu'en 2022) comme l'État (jusqu'à l'été 2023) ont longtemps soutenu l'option d'une véritable régulation de la production du parc nucléaire historique à travers un contrat pour différence (CfD). Le Gouvernement s'est même battu avec acharnement à Bruxelles pour obtenir cette possibilité. Les raisons profondes des revirements d'EDF comme de l'État restent mystérieuses. Aucun élément probant venant les corroborer n'a jamais pu être porté à la connaissance de la commission d'enquête. Aussi, et parce qu'elle constitue une solution protectrice pour les consommateurs comme pour EDF qui établira une corrélation structurelle entre les prix de l'électricité et les coûts de production du mix national, la commission d'enquête recommande-t-elle de substituer à l'accord conclu en novembre dernier une véritable régulation prenant la forme d'un CfD sur le parc nucléaire existant ayant vocation à être étendu à terme à l'ensemble des moyens décarbonés. Ce CfD, parce que ses flux financiers seraient imputés aux consommateurs et qu'il serait répercuté dans la construction des tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVe), se traduirait par un prix de la fourniture d'électricité des consommateurs structurellement situé à environ 60-65 euros par MWh, soit une économie annuelle de plus de 300 euros pour un foyer moyen par rapport aux prix actuels.

B. DIMINUER LA FISCALITÉ POUR RÉDUIRE LE PRIX DE L'ÉLECTRICITÉ

Depuis les années 2000 et jusqu'à la crise, les prix de l'électricité ont augmenté en raison des hausses de fiscalité. À l'heure où l'on promeut des objectifs ambitieux de décarbonation de nos sociétés, et alors que l'électricité n'est pas une marchandise comme une autre mais un bien de première nécessité, il est nécessaire d'inverser cette tendance.

Si elle exclut une baisse indifférenciée de la TVA, la commission d'enquête propose trois mesures visant à réduire sensiblement la fiscalité sur l'électricité :

- une accise sur l'électricité différenciée en fonction des volumes consommés : le tarif d'accise serait réduit de 21 euros par MWh aujourd'hui à 9,5 euros par MWh pour les volumes de consommation de base, calculés sur une base annuelle, inférieurs à 4,5 MWh pour un foyer qui n'est pas chauffé à l'électricité et à 6 MWh pour un foyer chauffé à l'électricité. Il serait maintenu à 21 euros par MWh pour les volumes de consommation situés entre les seuils bas ci-dessus et 7, 5 MWh pour les ménages non chauffés à l'électricité et 9 MWh pour les autres. Pour les volumes de consommation supérieurs à 7,5 MWh ou 9 MWh résultants de choix individuels et d'activités de loisirs, le tarif d'accise serait porté à 32 euros par MWh, c'est-à-dire le tarif de droit commun appliqué jusqu'en 2021 ;

- une réduction ciblée de la TVA appliquée à une consommation électrique de base. Le taux de TVA serait ainsi réduit à 5,5 % pour les volumes de consommation annuels situés sous les seuils de : 4,5 MWh pour un foyer qui n'est pas chauffé à l'électricité ; 6 MWh pour un foyer chauffé à l'électricité ;

- la substitution d'une dotation budgétaire à la contribution tarifaire d'acheminement (CTA) qui finance le Régime spécial des industries électriques et gazières (RSIEG), dont le financement n'a pas à reposer sur les consommateurs d'électricité.

Ces mesures s'articulent avec la mise en oeuvre d'une véritable régulation des prix via le dispositif de CfD précité.

En prenant comme référence les tarifs d'électricité moyens observés en 2024 la conjonction de ces deux ensembles de dispositifs permettrait des baisses de prix structurelles équivalentes à :

- près de 7 000 euros sur la facture annuelle d'un boulanger qui consomme en moyenne 99 MWh par an ;

- plus de 600 euros sur la facture annuelle d'un ménage qui consomme en moyenne 6 MWh par an.

Baisse de la facture annuelle d'un ménage chauffé à l'électricité résidant dans un quatre pièces résultant des recommandations de la commission d'enquête

(en euros)

Source : commission d'enquête

LES RECOMMANDATIONS DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

TABLEAU DE MISE EN OEUVRE ET DE SUIVI

RECOMMANDATIONS

DESTINATAIRE(S)

ÉCHÉANCE

SUPPORT/ACTION

1. Réviser le règlement relatif à la gouvernance de l'union de l'énergie et à l'action pour le climat afin de prendre en compte le niveau de décarbonation déjà atteint par la France

Gouvernement
(ministère en charge de l'Énergie) et institutions européennes

2025-2029

Règlement relatif à la gouvernance de l'Union de l'énergie et à l'action pour le climat

2. Proposer un Nuclear Act aux institutions européennes permettant la reconnaissance, dans tous les textes européens, du rôle de l'électricité produite à partir d'énergie nucléaire dans la décarbonation de l'économie et l'atteinte des objectifs climatiques

Gouvernement (ministère en charge de l'Énergie) Institutions européennes

2025-2029

Textes européens

3. Obtenir le lancement de projets d'intérêt commun (PIIEC) dans le domaine de l'énergie nucléaire

États membres Commission européenne

2025-2029

Actions des États membres

4. Garantir l'éligibilité aux financements de la Banque européenne d'investissement (BEI) des projets de construction de nouveaux réacteurs nucléaires

États membres (En France ministère chargé de l'Énergie et ministère chargé de l'Économie) Commission européenne

2025-2029

Actions des États membres

5. Proposer et déposer un texte de programmation énergie-climat afin que les grandes orientations stratégiques de la politique énergétique soient débattues au Parlement

Gouvernement et Parlement

2024

Projet de loi de programmation pluriannuelle

6. Assouplir et simplifier les procédures d'instruction et de sanction des comportements frauduleux des fournisseurs d'électricité

Gouvernement (ministère chargé de l'Énergie), Parlement

CRE

2024

Législatif et réglementaire

7. Mieux contrôler les fournisseurs alternatifs d'électricité en renforçant significativement les règles prudentielles qu'ils doivent respecter

Gouvernement et Parlement

2024

Code de l'énergie

8. Développer l'autoconsommation en ajustant la réglementation et en laissant inchangés la propriété publique et l'équilibre financier des réseaux de distribution d'électricité.

Gouvernement
(ministère de la Transition écologique et ministère de l'Économie et des Finances)

Gestionnaire de réseau (Enedis)

2024

Divers supports en fonction des sous-actions

9. Systématiser la remontée des données de la courbe de charge aux gestionnaires de réseaux, sauf si le consommateur, dûment informé au préalable, s'y oppose

Gouvernement (ministère de l'Économie et des Finances)

Gestionnaire de réseau (Enedis)

2024

Modification du code de la consommation

10. Associer le Parlement à chaque grande étape des travaux prospectifs de RTE

Gouvernement (ministère chargé de l'Énergie)

RTE

2025 et au-delà

Modification du code de l'énergie

11. Renforcer le plan national de sobriété énergétique et mieux intégrer la sobriété comme objectif des politiques publiques en amont.

Gouvernement
(ministère chargé de l'Énergie)

2024

Plan national de sobriété renforcé

12. Rendre accessibles aux tiers (gestionnaires de réseaux, fournisseurs, opérateurs d'effacement) les données de charge des batteries des véhicules électriques afin d'optimiser leur consommation, après information préalable des usagers.

Gouvernement
(ministère chargé de l'Énergie)

2024

Évolution des normes relatives aux batteries électriques

13. Élaborer une stratégie nationale d'électrification afin de donner les signaux adaptés à la réussite de l'électrification des usages

Gouvernement

2024

Plan national d'électrification

14. Tout en veillant à l'équilibre du développement des territoires et aux conditions d'une meilleure répartition des recettes tirées par les collectivités de l'implantation de capacités de production d'énergies renouvelables, il convient de limiter la dispersion des sites de production électrique afin d'optimiser les investissements nécessaires aux réseaux de transports et de distribution.

État
(ministère en charge de l'Énergie)

RTE

ENEDIS

Dès à présent

Schéma directeur et Plan de développement des réseaux

15. Optimiser le calcul du TURPE pour modérer ses augmentations prévisionnelles, notamment en remettant en cause la mutualisation de certaines dépenses de raccordements et en réduisant le taux de rémunération des actifs de Enedis et de RTE.

Gouvernement (ministère chargé de l'Énergie), CRE, RTE, Enedis, actionnaires de RTE et Enedis

2024

Règlementaire

16. Veiller au juste besoin en matière d'interconnexions :

- en conditionnant strictement le développement de nouvelles interconnexions à leur intérêt économique pour la France ;

- en obtenant une contribution européenne au renforcement des réseaux français qui résulte des besoins de transit d'électrons sur le territoire national entre des zones de production et de consommation situées hors de nos frontières.

Gouvernement (ministère chargé de l'Énergie)

CRE

RTE

2024

Négociations européennes

17. Associer le Parlement à l'actualisation de la doctrine de sécurité d'approvisionnement électrique

Gouvernement (ministère chargé de l'Énergie) et RTE

2025

Débat avant décision législative / réglementaire

18. Faire de la flexibilité le coeur du fonctionnement du système électrique, avec notamment le développement de tarifs réellement incitatifs et la reconnaissance de la « flexibilité de consommation » dans le code de l'énergie.

Gouvernement (reconnaissance flexibilité)

Parlement (reconnaissance flexibilité)

CRE (tarifs)

EDF et fournisseurs d'électricité (tarifs)

2025

Modification des tarifs

Modification du code de l'énergie

19. Optimiser dans les meilleurs délais la production du parc nucléaire historique :

- Par l'augmentation de la puissance des réacteurs de 900 MW et, dans un deuxième temps, si l'équation économique, technique et en termes de sûreté est favorable, de la performance des réacteurs de 1300 MW ;

- Par l'amplification des efforts de gains de performance en matière d'arrêts de tranches engagés dans le cadre du programme START ;

- Par l'allongement de la durée des cycles de production entre deux rechargements de combustible pour les réacteurs de 900 MW

EDF

D'ici 2030

Recherche et applications opérationnelles

20. Régler avant mi-2025 le différend sur les concessions hydroélectriques, en créant une commission composée de représentants de l'État, de représentants d'EDF et des acteurs de la filière, d'experts et de parlementaires

Gouvernement (ministère en charge de l'Énergie)

mi-2025

Concertation ouverte

21. Renforcer le développement de filières industrielles liées aux énergies renouvelables

Gouvernement (ministère en charge de l'Industrie)

2024-2029

Législatif et règlementaire

22. Participer à la relance de la filière nucléaire via un plan de communication ambitieux vers le grand public, l'enseignement secondaire, l'enseignement professionnel et technique, l'enseignement supérieur ainsi que les organismes de formation professionnelles et les chambres consulaires

Gouvernement (ministère chargé de l'Énergie), Gifen

UMN

2024

Outils de communication

23. Affirmer sans ambiguïté l'orientation politique stratégique visant à prolonger la durée de vie du maximum de réacteurs au-delà de 60 ans et mobiliser en ce sens dès à présent tous les acteurs concernés

Gouvernement (ministère chargé de l'Énergie)

EDF

ASN

CEA

2024

Orientations stratégiques

24. Tout en soutenant l'ambition et la réalisation du programme Nouveau Nucléaire, ne pas exclure des études sur un modèle de réacteur N4 modernisé si la revue de maturité des EPR2 s'avérait très négative.

Gouvernement (ministère chargé de l'Énergie)

EDF

2025

Réorientation stratégique du programme de nouveau nucléaire

25. Assurer, notamment au moyen d'une nouvelle gouvernance du nucléaire civil, un suivi régulier des performances du groupe EDF par les pouvoirs publics, exécutif et Parlement, pour garantir la réussite du programme du nouveau nucléaire

Gouvernement (ministère chargé de l'Économie et des Finances, ministère chargé de l'Énergie)

Parlement

EDF

2024

Législatif et règlementaire

26. Les solutions de financement possibles, non précisées à la commission d'enquête malgré les demandes réitérées en auditions, doivent être retenues et engagées en fonction de leurs coûts spécifiques. Elles peuvent être combinées pour optimiser les coûts totaux engagés dans la moyenne et longue durée.

Il convient ainsi de concevoir un modèle de financement du programme de nouveau nucléaire qui permette sa réalisation dans des conditions économiques optimales en prévoyant :

- une structure dédiée dont l'État et EDF seraient coactionnaires ;

- un financement de la rémunération des actifs dès la phase de construction ;

- une régulation des prix en phase d'exploitation ;

- des incitations à la performance pour EDF en phase de construction comme en phase d'exploitation.

Gouvernement (ministère chargé de l'Économie et des Finances, ministère chargé de l'Énergie)

Parlement

EDF

2026

Législatif et règlementaire

27. Approfondir l'étude des conditions et impacts d'un maintien d'une part de nucléaire de 60 % dans le mix électrique français à l'horizon 2050.

RTE

Avant fin 2024

Étude

28. Préparer l'avenir en relançant dès à présent les études et recherches sur un prototype de réacteur à neutrons rapides avec comme objectif la mise en service d'un premier réacteur d'exploitation en 2050

Président de la République (conseil de politique nucléaire)

Gouvernement

CEA, EDF, filière nucléaire

2024

Décision politique

Loi

29. Mettre en place un CfD sur le parc nucléaire historique fonctionnant au moyen d'un fonds de compensation géré par la CDC ou tout autre organisme et ayant vocation à être étendu à l'ensemble des moyens de production décarbonés.

État, EDF

2026

Législatif et règlementaire

30. Rendre les TRVe plus protecteurs et plus stables en les adossant sur les volumes d'électricité vendus dans le cadre d'une régulation sous forme de CfD, le cas échéant étendue à l'ensemble des moyens de production décarbonés.

Gouvernement (ministère chargé de l'Énergie)

CRE

2026

Législatif et règlementaire

31. Moduler les tarifs d'accise sur l'électricité en fonction des volumes de consommation.

Parlement et Gouvernement (ministère de l'Économie et des Finances)

2024

Législatif et règlementaire

32. Réduire à 5,5 % le taux de TVA sur la consommation d'électricité des particuliers jusqu'à un seuil différencié selon le mode de chauffage utilisé.

Parlement et Gouvernement (ministère de l'Économie et des Finances)

2024

Législatif et règlementaire

33. Assurer l'équilibre financier du régime des industries électriques et gazières par une dotation du budget de l'État à la place de la contribution tarifaire d'acheminement (CTA).

Parlement et Gouvernement (ministère de l'Économie et des Finances)

2024

Législatif et règlementaire

INTRODUCTION

« Gouverner, c'est prévoir ; et ne rien prévoir, c'est courir à sa perte », selon la formule d'Émile de Girardin.

À partir de l'automne 2021, l'Europe a connu l'une des crises énergétiques les plus brusques et graves de son histoire. Cette crise a été amplifiée par les conséquences de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Elle s'est traduite, dans un premier temps, par une augmentation brutale des prix du gaz puis, par rebond, compte tenu de la corrélation actuelle entre leurs marchés, par une flambée des prix de l'électricité.

Mais si cette crise a pu présenter un aspect aussi critique en France, c'est en raison de la situation de notre parc nucléaire historique qui, affaibli par la fermeture des réacteurs de Fessenheim, a été confronté à la découverte de la désormais fameuse « corrosion sous contrainte ». Celle-ci, en induisant la mise à l'arrêt ou le prolongement des durées de maintenance de 14 réacteurs, a conduit à réduire considérablement la production du parc nucléaire. Plus de 80 TWh ont ainsi été « perdus » au cours de l'année 2022.

La France apprenait alors avec stupéfaction que l'un de ses fleurons industriels et technologiques, qui a constitué un pilier de la compétitivité de son économie et assurait à nos concitoyens une électricité à un prix maîtrisé, était bien plus fragile qu'elle ne le pensait.

Or l'enjeu de la production électrique est crucial. Selon la formule consacrée, l'énergie, et en son sein l'électricité, est le sang de l'économie. Sans une énergie disponible à des prix compétitifs, ce sont toutes les entreprises qui sont menacées de perdre de leurs performances. Certaines industries électrosensibles et électro-intensives pourraient même ne pas survivre. Avec à la clé des centaines de milliers d'emplois en danger. Mais que l'on ne s'y trompe pas, cette épée de Damoclès ne concerne pas que les très grosses entreprises. De très petites entreprises (TPE), comme les boulangeries ou les restaurants, sont aussi menacées.

Au-delà, ce sont tous les Français qui sont touchés par cette crise. La hausse des prix de l'électricité a particulièrement affecté les ménages qui se chauffent au moyen de cette énergie, soit environ 35 % des foyers français, contre seulement 24 % dans les années 1990, dans 8,2 millions de résidences principales. Enfin, l'électricité joue aujourd'hui un rôle sans commune mesure avec celui qu'elle avait ne serait-ce qu'au lendemain de la seconde guerre mondiale. L'informatisation et la numérisation qui ont touché la totalité de la société, État, hôpitaux, entreprises, citoyens... en font une ressource désormais indispensable et absolument stratégique.

Le Gouvernement a certes tenté de réagir en instaurant des mesures de soutiens conjoncturelles telles que le « bouclier tarifaire ». Il n'était cependant pas difficile de s'apercevoir que cela ne réglait en rien les difficultés structurelles de notre système électrique, tout en constituant une brique de plus alourdissant un déficit des finances publiques devenu insupportable et présentant désormais un risque pour les générations à venir et la crédibilité de l'État. Le Gouvernement avait aussi affiché sa volonté de décorréler les prix du gaz et de l'électricité pour que ce dernier reflète les coûts de production réel de notre mix de production électrique, ce qui pouvait être un début de solution. Mais l'enfer est pavé de bonnes intentions et des affirmations médiatiques à la réalité concrète, il y a un gouffre. Toujours est-il que la promesse est restée non tenue.

Le Sénat ne pouvait rester indifférent à cette situation qui engage l'avenir de notre économie comme le pouvoir d'achat des Français. C'est la raison pour laquelle il a créé, le 17 janvier 2024, à la demande du groupe Union centriste, une commission d'enquête sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050.

Par ce champ d'investigation large, le Sénat montrait sa volonté d'un examen systémique et non parcellaire des difficultés de l'électricité en France. Il choisissait délibérément de s'écarter des analyses nécessairement inexactes car incomplètes qui se concentrent sur certains aspects d'un sujet extrêmement dense et complexe en oubliant que le système électrique est un tout. Il se dégageait aussi une tendance de nombreux groupes de pression à privilégier, par intérêt ou idéologie, tel ou tel type d'électricité ou de technologie. Au contraire, il s'agissait pour notre assemblée, de faire la lumière de manière libre, réaliste, étayée, sur la situation présente et l'avenir de notre système électrique.

Le choix des horizons 2035 et 2050 indiquait par ailleurs que nos travaux ne seraient pas un règlement de comptes avec des gouvernements passés dont la politique énergétique depuis plus d'une décennie témoignait au mieux d'une réelle imprévoyance. Du reste, le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France avait déjà fait le récit de 30 ans de politiques énergétiques dont elle avait déduit « six grandes erreurs énergétiques qui ont conduit la France à accumuler un retard considérable en terme de souveraineté énergétique ». Fort de ce constat largement partagé, la commission d'enquête sénatoriale a souhaité se consacrer au présent et à l'avenir.

Le pari n'était pas aisé à relever car, pour être indispensables à la décision politique raisonnée, les exercices de prospective sont toujours complexes. La commission d'enquête s'y est livré sans a priori, en entendant plus de 130 personnalités, en examinant de multiples hypothèses et scénarios, pour retenir, in fine, ce qui peut à ses yeux constituer un cadre d'analyse et de réflexion robuste pour répondre aux questions de fond qu'elle a progressivement dégagées.

La commission d'enquête s'est d'abord penchée sur le contexte dans lequel s'inscrit le système électrique. Un contexte marqué par la prégnance croissante des règles européennes destinées à aboutir à la décarbonation rapide de l'Europe. L'ensemble des textes européens forme désormais un lacis serré de contraintes dont certaines méritent assurément une révision, ne serait-ce que pour respecter les traités et le principe de neutralité technologique laissant les États membres libres de leurs choix de mix énergétique. Un second élément de contexte structurant est constitué par les marchés de l'électricité, apparus depuis la libéralisation des années 2000, dont il fallait évaluer les impacts, à la vérité très critiquables et qui ont justifié la récente réforme du marché de l'électricité en Europe.

Parmi les questions auxquelles la commission d'enquête s'est ensuite attachée à répondre figure celle de l'évaluation de la consommation électrique à venir. De son niveau et de son évolution prévisibles aux horizons 2035 et 2050 dépendent en effet les choix de moyens de production et de mix électrique pour lesquels les autres critères de décision sont les coûts de production, de financement et d'acheminement mais aussi le niveau de rejet de COdans l'atmosphère. Après analyse de très nombreuses projections, elle propose un scénario qu'elle juge plausible, réaliste et raisonnable.

L'hypothèse de consommation arrêtée, il fallait examiner dans quelles conditions la production électrique pouvait y faire face. Ici encore sans a priori, la commission a examiné les atouts de l'ensemble des énergies disponibles ou en voie de l'être : énergies renouvelables intermittentes, solaire et éolienne, énergies pilotables, hydroélectricité et nucléaire. Elle a mis l'accent sur deux éléments trop souvent négligés mais absolument essentiels. Les comparaisons entre énergies n'ont de sens que si elles sont fondées sur leurs coûts complets, qui doivent par exemple intégrer leurs coûts de financement ou le soutien public aux énergies renouvelables intermittentes, soit près de 35 milliards d'euros nets depuis 2003. Elles doivent aussi tenir compte des « coûts systèmes » de ces énergies, liés au renforcement et au développement des réseaux ou encore à la construction de dispositifs de flexibilité, qui peuvent être considérables. C'est ainsi, par exemple, que les analyses économiques montrent sans équivoque que plus les scénarios de mix de long terme intègrent une part élevée de production renouvelable intermittente, plus ces coûts systèmes sont élevés.

Un autre sujet lourd d'enjeux était celui de la capacité de l'État et d'EDF, d'une part, d'obtenir, à l'horizon 2035, l'indispensable remontée de la production du parc nucléaire historique et la prolongation de sa durée de vie et, d'autre part, à l'horizon 2050, de réussir la réalisation dans des conditions compétitives d'un nouveau parc nucléaire de 6 réacteurs EPR2, qui pourrait ensuite passer à 14 réacteurs. La commission d'enquête a analysé les différents paramètres de ce projet et expose sans tabous les conditions dans lesquelles il pourrait être performant.

L'énergie hydroélectrique, maîtrisée, performante, renouvelable et pilotable, n'a pas été oubliée par la commission alors qu'elle a pu paraître négligée par les gouvernements successifs qui, depuis plus de 15 ans, n'ont pas été capables de sortir du conflit qui oppose à son propos l'État et la Commission européenne. Un conflit qui bloque les investissements nécessaires au renforcement d'une énergie qui fait consensus. Sans doute le dossier n'est-il pas simple, mais la commission d'enquête a voulu présenter les solutions en présence. Elles attendent une décision politique désormais extrêmement urgente.

Au total, la commission d'enquête a pu dessiner des scénarios crédibles pour 2035 et 2050 qui tiennent compte tant des capacités renouvelables que de la production nucléaire, sans négliger la très faible proportion d'électricité d'origine fossile qui peut constituer une réserve ultime permettant d'éviter délestage et black-out lors des pointes de consommations les plus fortes.

Par ailleurs, qui dit parc nucléaire dit uranium. La commission d'enquête a souhaité examiner un sujet rarement évoqué mais essentiel compte tenu des enjeux financiers colossaux en cause et de la durée de vie prévisible des réacteurs en gestation, à savoir la disponibilité sur le long terme de cette ressource énergétique. Elle montre, sur la base de scénarios réalistes, que le risque de sa raréfaction relativement rapide, à l'échelle des temps de décision en matière énergétique qui se comptent en décennies, est loin d'être improbable. Une hypothèse à laquelle le récent retrait par le Niger du permis d'exploitation de la mine d'Imouraren par Orano donne une acuité particulière. La commission en tire la conclusion, sous forme d'alerte aux pouvoirs publics, qu'il est urgent de relancer les recherches sur les réacteurs à neutrons rapides, capables non seulement de réduire la production de déchets nucléaires mais de nous offrir une autosuffisance électrique.

Restait à trouver les moyens d'obtenir une électricité compétitive pour nos entreprises et accessible à nos concitoyens. La commission a d'abord analysé les enjeux et impacts du fameux « accord » dit post ARENH de novembre 2023 pour constater qu'il cumulait les inconvénients, ce que le ministre de l'économie lui-même vient d'admettre en affirmant devant le Medef le 20 juin dernier, qu'il souhaitait le renégocier. De fait, cet accord ne garantit ni des prix acceptables pour les consommateurs ni des revenus suffisants pour EDF, indispensables à sa survie et à ses investissements dans le nouveau nucléaire.

Au contraire, la commission d'enquête propose de lui substituer un contrat pour différence (CfD) qui présente l'intérêt d'éviter les variations erratiques de prix, d'abaisser le coût global de production électrique au profit de nos entreprises et de nos concitoyens, de rapprocher les prix de l'électricité des coûts de production et d'aboutir à la décorrélation, souvent promise mais jamais acquise, des prix de l'électricité de ceux du gaz. Conjugué à un ensemble de mesures fiscales qui prennent en compte le fait que l'électricité est un bien de première nécessité, cette proposition offre la perspective d'une baisse significative des factures des Français.

Au terme de ces six mois d'investigations, la commission d'enquête lance un appel aux pouvoirs publics : l'énergie, en général, et l'électricité, en particulier, sont essentielles à la vie de la nation. Elles exigent des choix sur le temps long qui soient fondés non sur des a priori idéologiques mais sur des réalités technologiques, économiques et financières. Après des années de valse-hésitation et de décisions dénuées de fondements scientifiques, il est temps de dessiner un nouvel avenir électrique pour la France au service de la performance économique de notre pays et du bien-être de nos concitoyens.

PREMIÈRE PARTIE : UN SYSTÈME COMPLEXE TIRAILLÉ ENTRE SOUVERAINETÉ, EUROPE ET MARCHÉ

La politique énergétique de la France doit concilier les orientations nationales et ses propres moyens de production avec une stratégie européenne qui vise à offrir, à tous les Européens, une énergie abordable, sûre et durable, et un cadre juridique qui n'a cessé de se renforcer et de se complexifier depuis la libéralisation du marché de l'électricité.

L'Union européenne a ainsi adopté une série de textes dans l'optique d'harmoniser l'organisation et le fonctionnement des systèmes électriques nationaux. En ambitionnant de devenir le premier continent à atteindre la neutralité climatique, elle a donné une nouvelle impulsion à sa politique énergétique. Le Pacte vert pour l'Europe a, en effet, incité les pays européens à s'affranchir de leur dépendance aux combustibles fossiles et à accélérer la transition ver les énergies bas-carbone.

L'Europe a traversé une crise des prix des énergies sans précédent, à partir de la fin de l'été 2021, qui a mis en lumière les insuffisances et les imperfections du marché européen de l'électricité. Cette crise a conduit à l'adoption d'une réforme de ce marché visant à la stabilisation des prix sur le long terme et à une meilleure protection des consommateurs. L'ouverture à la concurrence et les régulations mises en oeuvre au niveau national ont aussi montré leurs limites.

I. UN CHOIX SOUVERAIN À GARANTIR DANS LE CADRE EUROPÉEN

L'Union européenne joue un rôle essentiel dans le domaine de l'énergie, et de l'organisation du marché de l'électricité, qui a été mis en lumière lors de la crise énergétique. Ce rôle a aussi été renforcé par les engagements pris dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe6(*), qui réaffirme, dans la continuité de la « loi européenne sur le climat »7(*), l'ambition de la Commission européenne de faire de l'Europe le premier continent neutre sur le plan climatique d'ici 2050. Afin d'atteindre cet objectif, l'Union européenne doit notamment s'affranchir de sa dépendance aux énergies fossiles et développer la production d'énergies décarbonées à un coût abordable.

Pour autant, les États conservent une large marge de manoeuvre qu'il faut impérativement préserver. En particulier, c'est à chaque État de déterminer librement le mix électrique qu'il souhaite mettre en oeuvre. Ce qui n'est en rien un obstacle à une coopération européenne fructueuse. De son côté, l'Union européenne doit veiller à prendre en compte les efforts déjà accomplis en matière de décarbonation au moment de la fixation de ses objectifs. De ce point de vue, le passé doit inciter la France à avoir une action vigilante déterminée au sein des institutions européennes pour ne pas se voir imposer des obligations disproportionnées.

A. LES PRINCIPES POSÉS PAR L'ARTICLE 194 DU TRAITÉ SUR LE FONCTIONNEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE

Le Traité de Lisbonne a reconnu l'importance de la politique de l'énergie à l'échelle européenne, tout en assurant la préservation de la souveraineté des États membres dans la conduite de leur politique nationale énergétique.

1. L'esprit de solidarité au fondement de la politique de l'énergie de l'Union européenne

Le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), dans son article 194, introduit par le traité de Lisbonne, énonce que l'énergie est une compétence partagée entre l'Union européenne et ses États membres. Il définit ainsi les principes généraux de la politique énergétique de l'Union. Dans ce cadre, il prévoit que la politique de l'Union dans le domaine de l'énergie vise, « dans un esprit de solidarité entre les États membres » à atteindre quatre objectifs : assurer le fonctionnement du marché de l'énergie ; garantir la sécurité de l'approvisionnement énergétique dans l'Union ; promouvoir l'efficacité énergétique et le développement des énergies nouvelles et renouvelables ; et promouvoir l'interconnexion des réseaux énergétiques.

Comme l'a rappelé la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), dans un arrêt rendu le 15 juillet 2021, « l'"esprit de solidarité" doit imprégner les objectifs de la politique énergétique de l'Union et favoriser son développement »8(*). L'exigence de solidarité énergétique est un principe fondamental du droit de l'Union et constitue la base de la politique européenne en matière énergétique, que ce soit dans le cadre du fonctionnement du marché de l'énergie, de la promotion des interconnexions des réseaux énergétiques ou du développement des énergies renouvelables. Cela signifie concrètement que des États disposant de capacités électriques doivent les mettre à disposition d'un autre État qui en manquerait

2. Des garanties apportées en matière de souveraineté nationale

Les textes originaires tendent à protéger la souveraineté des États membres en matière d'énergie. Ils ont été rappelés, à plusieurs reprises, par les dirigeants européens. Lors de sa réunion du 19 décembre 2019, le Conseil européen a ainsi conclu, dans le cadre de la réalisation de l'objectif de neutralité climatique à l'horizon 2050, être conscient « de la nécessité d'assurer la sécurité énergétique, et de respecter le droit des États membres de décider de leur bouquet énergétique et de choisir les technologies les plus appropriées ».

L'article 194 du TFUE stipule très précisément que les mesures prises par l'Union européenne « n'affectent pas le droit d'un État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ». En d'autres termes, l'Union européenne n'a pas compétence pour imposer un mix énergétique à un pays, qui reste de la seule responsabilité des États membres.

Ces principes ont également été insérés dans la « Stratégie de développement à long terme à faibles émissions de gaz à effet de serre » de l'UE, notifiée le 6 mars 2020, à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Plus récemment, les pays réunis dans l'Alliance européenne du nucléaire, créée à l'initiative de la France, ont souligné, dans la feuille de route qu'ils ont présentée, le 11 juillet 2023, à la Commission européenne, intitulée « Une nouvelle stratégie sur l'utilisation de l'énergie nucléaire pour l'Union européenne », que « le principe de neutralité technologique et le droit souverain des États membres à déterminer leur mix énergétique doivent être réaffirmés et dûment pris en compte dans les politiques européennes ».

Article 194 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

1. Dans le cadre de l'établissement ou du fonctionnement du marché intérieur et en tenant compte de l'exigence de préserver et d'améliorer l'environnement, la politique de l'Union dans le domaine de l'énergie vise, dans un esprit de solidarité entre les États membres :

a) à assurer le fonctionnement du marché de l'énergie ;

b) à assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique dans l'Union ;

c) à promouvoir l'efficacité énergétique et les économies d'énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables ; et

d) à promouvoir l'interconnexion des réseaux énergétiques.

2. Sans préjudice de l'application d'autres dispositions des traités, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, établissent les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs visés au paragraphe 1. Ces mesures sont adoptées après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions.

Elles n'affectent pas le droit d'un État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique, sans préjudice de l'article 192, paragraphe 2, point c).

3. Par dérogation au paragraphe 2, le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale, à l'unanimité et après consultation du Parlement européen, établit les mesures qui y sont visées lorsqu'elles sont essentiellement de nature fiscale.

B. LA MISE EN oeUVRE DE LA POLITIQUE ÉNERGETIQUE DOIT DEMEURER UNE RESPONSABILITÉ DES ÉTATS MEMBRES

La Commission européenne définit ainsi les grandes orientations de la politique énergétique, tandis que les États membres fixent les moyens pour leur mise en oeuvre. En tant que compétence partagée, l'énergie est, par conséquent, soumise au respect du principe de subsidiarité, défini par le traité sur l'Union européenne.

1. Le respect du principe de subsidiarité consacré par les traités

L'article 5 du traité sur l'Union européenne (TUE) prévoit, en effet, que l'Union européenne ne peut intervenir, en vertu du principe de subsidiarité, que « si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union ». Il ressort aussi qu'un tel principe est indissociable de celui de proportionnalité. Ainsi, en vertu de ce dernier, les moyens mis en oeuvre par la Commission européenne doivent permettre aux États membres de conserver des marges de manoeuvre suffisantes pour atteindre les objectifs fixés en matière de transition climatique et énergétique, au regard des particularités de leur mix énergétique et des technologies ou procédés retenus, mais aussi du degré actuel de décarbonation de leur production d'énergies.

Le respect du droit des États de choisir leur bouquet énergétique et les technologies les plus adaptées pour atteindre la neutralité carbone, qui s'inscrit dans le cadre des traités, doit fonder la politique énergétique européenne.

Par conséquent, l'application du principe de neutralité technologique est essentielle, en particulier pour les pays européens qui disposent déjà d'une production d'électricité fortement décarbonée, comme la France.

La politique européenne dans le domaine de l'énergie doit ainsi tenir compte de l'ensemble des sources d'énergie bas-carbone et ne pas discriminer certaines technologies, en particulier le nucléaire, qui doivent pouvoir bénéficier des dispositions de la législation européenne qui s'appliquent au titre des énergies renouvelables.

La commission d'enquête considère, par ailleurs, que l'Union ne doit pas imposer aux États membres qui ont réalisé des efforts importants dans la décarbonation de leur mix électrique des objectifs de diversification inadaptés à la structure de leur approvisionnement énergétique ou manifestement disproportionnés. Nous verrons que cela n'a pas toujours été le cas.

2. Le Sénat s'inscrit dans le cadre d'un contrôle vigilant et constant du principe de subsidiarité

Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en décembre 2009, le Sénat et l'Assemblée nationale disposent de compétences en matière de contrôle de la subsidiarité, prévues par l'article 88-6 de la Constitution. Ainsi chaque assemblée peut adopter un avis motivé sous la forme d'une résolution si elle estime qu'un projet d'acte législatif européen ne respecte pas les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Le Parlement peut aussi se prononcer sur le fond des projets de textes européens qui lui sont soumis en adoptant des résolutions adressées au Gouvernement sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution.

Au cours de ces dernières années, le Sénat a pris position sur les conditions de mise en oeuvre de mesures relatives à la politique énergétique de l'Union, en adoptant plusieurs résolutions européennes et avis motivés au titre du contrôle de subsidiarité. Lors de sa visite au Sénat, le 7 janvier 2022, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a d'ailleurs relevé que « le Sénat est l'une des assemblées parlementaires les plus actives de l'Union européenne dans son dialogue politique avec la Commission européenne ».

Liste des prises de position du Sénat dans le domaine de l'énergie
entre le 1er janvier 2017 et le 31 décembre 2023

Texte

Prise de position du Sénat

Agence de l'Union européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie

Avis motivé du 5 avril 2017

Marché intérieur de l'électricité

Avis motivé du 16 mai 2017

Paquet « Énergie propre pour tous les Européens »

Résolution européenne du 8 septembre 2017

Avis politique du 6 juillet 2017

Règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel

Avis motivé du 10 janvier 2018

Cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant la loi européenne sur le climat

Avis motivé du 22 mai 2020

Programme de travail de la Commission pour 2020 - Réalisation du gazoduc Nord Stream 2

Résolution européenne du 21 août 2020

Avis politique du 16 juillet 2020

Inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie des investissements durables

Résolution européenne du 7 décembre 2021

Avis politique du 24 novembre 2021

Paquet « Ajustement à l'objectif 55 »

Résolution européenne du 5 avril 2022

Directive relative aux énergies renouvelables, à la performance énergétique et à l'efficacité énergétique

Avis motivé du 27 juillet 2022

Protection de l'Union contre la manipulation du marché de gros de l'énergie

Avis motivé du 22 mai 2023

Réforme du marché de l'électricité

Résolution européenne du 19 juin 2023

Avis politique du 1er juin 2023

Le Sénat a ainsi souligné, à plusieurs reprises, qu'en imposant des choix technologiques entre les différentes sources d'énergie à l'échelle de l'Union, la Commission européenne ne prenait pas suffisamment en considération les spécificités nationales, notamment en termes de bouquet énergétique et d'adaptation de la structure des systèmes énergétiques des États membres aux enjeux de décarbonation.

Dans sa résolution sur l'inclusion de l'énergie nucléaire dans la taxonomie verte, adoptée le 7 décembre 20219(*), et celle sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », adoptée le 7 avril 202210(*), le Sénat a ainsi rappelé la nécessité de faire prévaloir la neutralité technologique, dans la législation européenne sur l'énergie, de même que des objectifs et des normes adaptés et proportionnés aux différents mix des États membres.

Le Sénat a aussi considéré dans une résolution en date du 27 juillet 2022, portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité,11(*) que le renforcement exigé de la part d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie, « porté à un niveau élevé », et l'obligation envisagée d'installations solaires sur les structures bâties tendaient à remettre en cause le droit, garanti par l'article 194, paragraphe 2, du TFUE, d'un État membre de déterminer son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique, que ces mesures ne tenaient pas assez compte des « spécificités nationales, au regard de la composition du bouquet énergétique et du degré actuel de décarbonation de la production d'énergies dans les différents États membres », et qu'elles représentaient donc une « contrainte excessive ». Dans sa réponse, la Commission a réfuté toute remise en cause du choix, par chaque État membre de son bouquet énergétique national, estimant que la proposition fixait des objectifs globaux, à charge pour les États membres de décider « comment y parvenir ». De telles considérations ont aussi été rappelées dans la résolution du 19 juin 2023 sur la réforme du marché de l'électricité12(*) qui doit ainsi « garantir la compétence des États membres dans la définition de leur bouquet énergétique et assurer à l'énergie nucléaire et à l'hydrogène en étant issus, piliers de notre sécurité d'approvisionnement électrique, une complète neutralité technologique ».

La commission d'enquête rappelle que la France doit défendre à Bruxelles, dans le cadre de l'article 194 du TFUE et du principe de subsidiarité, inscrit à l'article 5 du TUE, la reconnaissance de l'ensemble des technologies et procédés contribuant à l'atteinte des objectifs climatiques et à la transition énergétique.

C. DE L'EURATOM À L'ALLIANCE DU NUCLÉAIRE, LA LENTE CONSTRUCTION D'UNE COOPÉRATION EUROPÉENNE DANS LE DOMAINE DE L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE

En 1957, est signé, en même temps que le traité instituant la Communauté économique européenne, le traité instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom). Il s'agit d'un traité qui s'applique à un seul secteur d'activité économique bien spécifique, l'énergie nucléaire.

1. Une coopération pour construire une industrie nucléaire puissante

Les États fondateurs considèrent alors que la maîtrise de la technologie nucléaire doit contribuer au développement d'une industrie nucléaire puissante et participer à l'équilibre des relations internationales. Après avoir levé les hypothèques liées au nucléaire militaire, des négociations se sont engagées, à partir du milieu des années 1950, pour créer une organisation européenne dans le domaine atomique. Lors de la conférence de Messine en juin 1955, les pays fondateurs estimaient, en effet, qu'il fallait « étudier la création d'une organisation commune à laquelle seront attribués la responsabilité et les moyens d'assurer le développement pacifique de l'énergie atomique en prenant en considération les arrangements spéciaux souscrits par certains gouvernements avec des tiers ».

Selon les termes du Traité Euratom, « l'énergie nucléaire constitue la ressource essentielle qui assurera le développement et le renouvellement des productions et permettra le progrès des oeuvres de paix ». Plusieurs missions sont ainsi confiées à l'Euratom à l'article 2 du traité : favoriser la recherche sur les technologies nucléaires civiles et la diffusion des connaissances ; favoriser les investissements ; constituer des entreprises communes ; assurer l'approvisionnement en minerais et combustibles nucléaires ; édicter des normes de protection ; développer un usage strictement pacifique de l'énergie nucléaire ; promouvoir l'utilisation du nucléaire civil à l'échelle mondiale. Cependant, l'évolution du contexte international, en particulier la baisse des prix du pétrole, va entraver le fonctionnement d'Euratom et conduire à la fin, à l'échelle européenne, d'une politique ambitieuse dans le domaine du nucléaire civil.

Le traité Euratom fournit le cadre juridique dans lequel les institutions formulent et mettent en oeuvre les politiques communes dans le cadre de l'Euratom. Il sert de base juridique pour adopter des recommandations et des décisions, qui bien que non contraignantes, établissent des normes européennes dans les domaines, entre autres, du développement du nucléaire civil, de la recherche fondamentale et de la sécurité de l'approvisionnement en minerais et combustibles fissiles. L'Union européenne permet de disposer d'une approche commune et d'harmoniser les règlementations des États membres en matière d'énergie nucléaire.

2. Des institutions communes au service de cette ambition européenne

Les institutions établies pour la Communauté européenne de l'énergie atomique sont partagées avec celles de l'Union européenne, bien qu'Euratom soit encore une entité juridique distincte. Le traité Euratom donne un rôle prépondérant au Conseil en instaurant un système de vote reposant, selon les thématiques, sur la majorité simple, la majorité qualifiée ou encore l'unanimité. Il prévoit, dans certains cas, la consultation du Parlement européen. En revanche, la procédure de codécision ne trouve pas à s'appliquer dans les différents domaines d'action du titre II du traité.

Les institutions communautaires sont responsables de la mise en oeuvre du traité et des deux organismes propres à l'Euratom :

- l'Agence d'approvisionnement en matières nucléaires, chargée de la coordination des achats européens de minerais et combustibles nucléaires ;

- l'Office de contrôle de sécurité, qui effectue des contrôles comptables et physiques dans toutes les installations nucléaires de la Communauté.

Par ailleurs, le Centre commun de recherche (CCR), institué en vertu de l'article 8 du traité Euratom, qui est un service scientifique interne de la Commission européenne, est engagé dans le développement de l'industrie nucléaire civile européenne, notamment dans le cadre du projet de réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER).

3. Des financements européens qui demeurent modestes

Le neuvième programme de recherche et de formation de l'Euratom, intégré au programme-cadre Horizon Europe, couvre spécifiquement la recherche et l'innovation nucléaires. Il concerne des actions indirectes dans le domaine de la recherche, principalement sur l'énergie de fusion nucléaire et la radioprotection, et des actions directes entreprises par le Centre de recherche de la Commission européenne. Il dispose d'un budget de 1,38 milliard d'euros pour la période 2021-202513(*), répartis ainsi :

- les activités de recherche et de développement dans le domaine de la fusion pour 583 millions d'euros ;

- les activités de recherche dans les domaines de la fission, de la sureté et de la radioprotection pour 266 millions d'euros ;

- les activités nucléaires du Centre commun de recherche de la Commission européenne pour 532 millions d'euros.

Une enveloppe de 30 millions d'euros a été allouée aux projets SMR par le programme Euratom de recherche et de formation.

Autant dire qu'Euratom ne dispose pas de moyens à l'échelle des projets nucléaires qui, pour être performants en termes de coûts variables, sont gourmands en termes de coûts fixes en raison de l'ampleur des investissements à consentir.

La DGEC a indiqué que la France soutenait l'augmentation du budget Euratom de recherche et de formation dans le domaine de l'énergie nucléaire ainsi que la publication d'un nouveau programme portant notamment sur des objectifs indicatifs de production d'énergie nucléaire et sur les investissements nécessaires à leur réalisation.

4. Un traité désormais concurrencé par l'Alliance du nucléaire

L'ambition du traité Euratom d'organiser sur le territoire européen l'ensemble de la filière électronucléaire, alors naissante, ne s'est pas réellement concrétisée, pour des raisons tant juridiques que politiques, comme le soulignait, dès 2000, un rapport du Sénat qui dressait un bilan particulièrement sévère de ses réalisations : « insuffisante adaptation juridique, inadéquation à la diversité des politiques nucléaires des États membres et dilution progressive dans le processus européen d'intégration économique : telles sont les trois causes de la péremption de nombre des dispositions du traité Euratom » 14(*).

Il faisait valoir ainsi que « les pouvoirs attribués à ces structures nationales se sont révélés assez rapidement inadaptés, et elles ont été soit remplacées, soit réformées. La CEEA, elle, continue de présenter une apparence juridique qui ne correspond pas à la réalité ». Par ailleurs, l'énergie nucléaire n'a pas été développée dans l'ensemble des pays européens et cette politique a revêtu une forte dimension nationale. Les fortes divergences sur la place du nucléaire dans la politique énergétique européenne qui se sont manifestées parmi les États membres et au sein des instances européennes n'a pas non plus contribué à assoir et à développer ses missions. Enfin, le programme de recherche et de formation a été intégré au programme-cadre de recherche de la Communauté européenne, puis de l'Union, et a affaibli la spécificité d'Euratom.

Euratom, par nature, comprend les mêmes membres que l'Union européenne alors que certains sont très hostiles au nucléaire. Il n'est pas difficile d'imaginer que son contexte de fonctionnement n'est guère propice aux projets ambitieux.

Cette ambition d'une coopération européenne dans le domaine de l'énergie nucléaire est aujourd'hui portée par le lancement, en février 2023, à l'initiative de la France, d'une Alliance du nucléaire au niveau européen. Cette alliance s'inscrit dans le cadre de projets communs qui visent à promouvoir l'énergie nucléaire et à faciliter le développement des investissements dans ce secteur, comme l'a souligné Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie, lors de son audition devant la commission d'enquête : « les conséquences industrielles sont importantes car il s'agit de construire une vraie filière nucléaire européenne, avec des têtes de pont françaises mais pas uniquement. Des entreprises tchèques pourraient aussi nous aider à construire des réacteurs. C'est une fierté pour nous, de construire une filière nucléaire européenne »15(*).

Cette alliance a vocation à porter la voix des pays européens favorables à cette source d'énergie et, surtout, à peser sur la vision qui devra être celle de la prochaine Commission européenne en matière énergétique. La création de l'Alliance du nucléaire est clairement à mettre au crédit du Gouvernement et de la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.

Alliance européenne du nucléaire

Lancée à l'initiative de la France, le 28 février 2023, l'Alliance du nucléaire a vocation à réunir tous les pays d'Europe souhaitant s'appuyer sur l'énergie nucléaire, aux côtés des renouvelables, pour réussir leur transition énergétique. Elle vise à faire reconnaître le rôle du nucléaire dans la décarbonation de l'économie européenne, à assurer la sécurité de l'approvisionnement et à contribuer à une autonomie stratégique ouverte.

Onze États membres, parmi lesquels, la Bulgarie, la Croatie, la France, la Hongrie, la Finlande, les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie, ont ainsi marqué leur volonté de renforcer la coopération européenne dans le domaine de l'énergie nucléaire.

Cette Alliance doit ainsi favoriser une coopération plus étroite entre les secteurs nucléaires nationaux à travers les chaînes d'approvisionnement, promouvoir des programmes de formation et des projets industriels communs, notamment basés sur des technologies innovantes, et envisager des possibilités de coopération scientifique accrue et de déploiement des meilleures pratiques dans le domaine de la sécurité.

Cette Alliance doit permettre la création d'un cadre européen global propice au développement de l'énergie nucléaire, en étudiant les aspects essentiels des politiques, tels que ceux liés au financement, qui constituent l'un des enjeux essentiels. Des discussions sont ainsi conduites pour créer « un groupe de travail sur les instruments européens permettant le déploiement de réacteurs nucléaires au sein de l'Union européenne et de la chaîne de valeur européenne correspondante ». Son objectif est notamment d'étudier les possibilités en matière d'instruments de financement (notamment, soutien de la BEI, Fonds pour l'innovation, lignes directrices concernant les aides d'État, PIIEC) et leurs avantages, ainsi que la manière dont ils pourraient être utilisés ou actualisés pour soutenir le déploiement de grands réacteurs et de petits réacteurs modulaires.

Enfin, un dernier enjeu vise à renforcer la chaîne de valeur industrielle européenne en matière d'énergie nucléaire.

Plusieurs résultats ont déjà été obtenus dans le cadre de cette coopération :

- la reconnaissance de l'énergie nucléaire dans la décarbonation de l'économie dans le cadre du règlement pour une industrie « Zéro émission net », ainsi que de la dernière communication de la Commission européenne sur l'objectif climatique à l'horizon 2040, qui ouvrent la voie à une approche plus neutre sur le plan technologique dans les politiques de l'UE ;

- le lancement par la Commission européenne de l'Alliance industrielle européenne sur les petits réacteurs modulaires (SMR).

Source : Commission d'enquête d'après le ministère de la Transition énergétique

D. DES OBLIGATIONS DISPROPROTIONNÉES POUR LA FRANCE EN MATIÈRE DE RÉDUCTION DES GAZ À EFFET DE SERRE ET DE DÉVELOPPEMENT DES ÉNERGIES RENOUVELABLES

Pour respecter la trajectoire définie par l'Union européenne, la France s'est donnée des objectifs de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre particulièrement ambitieux, d'au moins 50 % à l'horizon 2030 par rapport à 1990. Les efforts qu'elle doit accomplir s'accompagnent aussi d'un objectif contraignant de développement des énergies renouvelables. Cependant, dans les deux cas, les obligations imposées à la France semblent disproportionnées et ne pas tenir compte du niveau déjà très décarboné de son électricité.

1. Une trajectoire de décarbonation qui ne prend pas en compte le niveau de départ de la France par rapport au mix d'autres pays européens

L'Union européenne a défini des objectifs de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le cadre d'un ensemble de politiques qui visent à mettre en cohérence l'action de l'UE et de ses États membres avec les engagements pris au titre de l'Accord de Paris sur le climat. Toutefois, ces objectifs ne tiennent pas compte du niveau initial d'émissions des différents pays et, par conséquent, de la réalité de l'intensité carbone des activités économiques à l'échelle nationale. Les efforts de décarbonation demandés à la France et aux États membres s'appuient sur des critères purement statistiques et économiques par rapport à des niveaux de référence - 1990 et 2005 - identiques.

Pour la DGEC, « la prise en compte des "efforts passés" est une question complexe qui dépend également du point de référence. Ainsi la référence utilisée de 2005 masque des baisses d'émissions importantes de certains États membres antérieurement (notamment les États membres de l'Est). À l'inverse des États membres ont augmenté leurs émissions entre 1990 et 2005 (Espagne) ou ont eu des émissions stables sur cette période (France) »16(*).

Les objectifs nationaux sont ainsi déclinés dans le règlement dit de partage de l'effort, qui a été révisé en 2023, dans le cadre du paquet « Ajustement à l'objectif 55 »17(*). Le règlement actualisé a ainsi renforcé l'objectif global à l'échelle de l'Union de réduction des émissions de GES de 40 % par rapport à 2005, contre 30 % auparavant, avec des cibles contraignantes pour chaque État membre dans les secteurs non soumis au marché européen du carbone, à savoir une partie de l'agriculture, la gestion des déchets, le transport routier et le bâtiment.

Ces objectifs sont déterminés par rapport aux niveaux d'émissions de 2005, avec une flexibilité de plus ou moins 20 % autour de cette valeur de référence. La répartition des efforts de réduction entre pays est basée sur le PIB par habitant. Les pays ayant un PIB par habitant plus faible sont autorisés à augmenter leurs émissions, tandis que les pays plus riches, ayant un PIB par habitant plus élevé, doivent supporter une charge de réduction plus importante. Le mode de calcul prévoit aussi une correction tenant compte du rapport « coût-efficacité » afin de ne pas imposer aux États membres disposant d'un PIB supérieur à la moyenne européenne des coûts trop élevés pour atteindre leurs objectifs.

Le règlement Gouvernance 2018/1999 est ainsi venu instituer un mécanisme de gouvernance aux fins de :

a) mettre en oeuvre des stratégies et des mesures destinées à atteindre les objectifs généraux et les objectifs spécifiques de l'union de l'énergie ainsi que les engagements à long terme pris par l'Union en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre conformément à l'accord de Paris et, pour la première période de dix ans, qui s'étend de 2021 à 2030, en particulier les objectifs spécifiques de l'Union pour 2030 en matière d'énergie et de climat ;

b) stimuler une coopération entre les États membres, y compris, le cas échéant, au niveau régional, de manière à remplir les objectifs généraux et spécifiques de l'union de l'énergie ;

c) garantir l'actualité, la transparence, l'exactitude, la cohérence, la comparabilité et l'exhaustivité des informations soumises par l'Union et ses États membres au secrétariat de la CCNUCC et de l'accord de Paris ;

d) contribuer à accroître la sécurité réglementaire ainsi que la sécurité pour les investisseurs et à exploiter pleinement les possibilités de développement économique, de stimulation de l'investissement, de création d'emplois et de cohésion sociale.

De nouvelles limites nationales contraignantes, exprimées en quotas annuels d'émissions de GES, sont prévues et devront être fixées par des actes d'exécution pris par la Commission européenne. Des flexibilités sont proposées pour donner la possibilité aux États membres de s'échanger des quotas d'émissions de GES, d'en emprunter ou d'en mettre en réserve d'une année sur l'autre. Le contrôle de l'atteinte de ces objectifs se déroulera en deux phases, d'une part, en 2027, pour la période 2021-2025, et, d'autre part, en 2032, pour la période 2026-2030.

Il faut rappeler que la production électrique n'est pas concernée directement par ces objectifs de réduction des émissions de GES, étant soumise au système d'échange de quotas (SEQE-UE). Ces objectifs ont néanmoins un effet indirect en poussant au développement de l'électrification dans les secteurs concernés.

Avec l'actualisation de ce règlement dit de partage de l'effort, la France s'est vue assigner un objectif nettement plus ambitieux de diminution de 47,5 % de ses émissions d'ici 2030, contre 37 % précédemment, en prenant la même période de référence (2005). À titre d'exemple, l'Allemagne doit les réduire de 50 %, contre 38 % auparavant. Or ces deux pays ne partent pas du même point de départ, comme l'illustre le graphique ci-après.

Émissions totales de COen France et en Allemagne en millions kt équivalents CO2


Source : données Banque mondiale

Émissions de COpar habitant dans l'UE, en France et en Allemagne entre 1990 et 2020 en tonnes

Source : données Banque mondiale

L'effort demandé à la France est donc proportionnellement considérable. La France a, en effet, déjà réduit ses émissions de gaz à effet de 125 millions de tonnes entre 1990 et 2021. Elle se situe au sixième rang des pays de l'UE les moins émetteurs par habitant en 2021.

Par habitant, les émissions de COsont supérieures à celles de la France dans 20 pays de l'Union, pourtant 19 pays se voient imposer des efforts de réduction des émissions de COinférieurs à ceux de la France !

À titre d'exemple, sur le graphe qui suit ont été représentées les courbes d'émissions de COde pays de l'Union, qui tous, sont davantage émetteurs que la France mais qui, tous, ont des obligations de réduction des GES inférieurs à ceux de la France.

Émissions de COpar habitant dans quelques pays de l'UE ayant des obligations de réduction de leurs émissions inférieures à celles de la France 1990 et 2020 (tonnes)

Source : données Banque mondiale

Par ailleurs, il faut noter que la France, contrairement à l'Allemagne, l'Irlande et Malte, a atteint son objectif de réduction des GES fixé pour 2020, sans acheter de quotas d'émissions à d'autres États membres.

Les émissions de COen France suivent ainsi une trajectoire baissière depuis 2005, en moyenne de - 2,8 % par an sur la période 2005-2021. Cette baisse a d'ailleurs tendance à s'accélérer au cours de ces dernières années (- 4,0 % en 2018, -2,1 % en 2019, -9,0 % en 2020, + 5,7 % en 2021 et -2,7 % en 2022). En 2023, les émissions de GES de la France ont continué à diminuer fortement ; la baisse a été de 5,8 % par rapport à 2022, selon les dernières estimations du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa).

Comme l'indique l'étude d'impact, présentée avec l'avant-projet de loi sur la souveraineté énergétique, « pour tenir cet objectif, la France devra désormais baisser ses émissions de gaz à effet de serre de 5 % chaque année entre 2022 et 2030, contre 2 % de réduction annuelle en moyenne de 2017 à 2022 et réduire drastiquement sa consommation énergétique ». Le Gouvernement avait, d'ailleurs, opté pour une formulation moins contraignante en matière de réduction des émissions de GES ou de consommation d'énergie, pour remplir l'objectif fixé au niveau européen d'ici 2030, en remplaçant le mot « réduire » dans le code de l'énergie par l'expression « tendre vers une réduction de »18(*).

2. Des objectifs de développement des énergies renouvelables qui ignorent la structure du mix électrique de la France

L'avance de la France en termes de décarbonation n'est pas non plus prise en compte dans les objectifs de développement des énergies renouvelables qui lui sont assignés par l'UE et qui ont, aussi, été renforcés dans la cadre des négociations sur le paquet « Fit for 55 ». Ces objectifs ignorent, en effet, la structure décarbonée du mix électrique français ainsi que les efforts de déploiement réalisés dans les énergies renouvelables par notre pays.

La révision de la directive sur les énergies renouvelables dite RED III, publiée en octobre 202319(*), a rehaussé l'objectif global contraignant en matière de déploiement des EnR, en le portant à au moins 42,5 % d'énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale d'énergie de l'UE d'ici à 2030, avec comme ambition d'atteindre 45 % pour l'ensemble des États membres (objectif de 32 % dans RED II), ce qui correspond à un effort, pour la France, d'au moins 44 % d'ici 2030, selon les estimations de la Commission européenne.

Les objectifs nationaux fixés par la directive sur les énergies renouvelables sont également modulés en fonction du PIB par habitant de chaque État membre : les pays ayant un PIB par habitant plus élevé se voient assigner des objectifs plus ambitieux en matière d'énergies renouvelables, tandis que ceux avec un PIB par habitant plus faible bénéficient d'objectifs moins contraignants.

Source : ministère de la transition énergétique

Cette accélération des efforts demandés au niveau européen intervient alors même que la France n'a pas atteint ses objectifs de développement des énergies renouvelables fixés pour 2020 par la directive RED II. Comme l'a déclaré la commissaire à l'énergie, Mme Kadri Simson, le 15 février 2024, lors d'un discours devant les membres de la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE) du Parlement européen, « la France doit considérablement revoir à la hausse son ambition en matière de sources d'énergie renouvelable pour atteindre au moins 44 % ».

Pourtant, la France a connu, en 2022, une nette accélération dans le développement des énergies renouvelables. Leur part dans la consommation finale d'énergie a atteint 20,7 %, soit une progression de 1,3 point par rapport à 2021. Ce niveau situe désormais la France au même rang que ses principaux partenaires européens de taille comparable, comme l'Allemagne qui affichait une part de 20,4 % d'énergies renouvelables dans sa consommation finale en 2022. Or la part attribuée à la France dans la directive de 2009 est l'une des plus ambitieuses des États membres, en termes de rythme de développement par rapport au référentiel de 2005, rendant son atteinte d'autant plus complexe.

Pour l'instant, la Commission européenne n'a lancé aucune procédure contentieuse à l'encontre de la France pour n'avoir pas atteint cet objectif. Comme l'a indiqué la directrice générale de l'énergie et du climat, Sophie Mourlon, lors de son audition devant la commission d'enquête, le 9 avril 2024, « [la Commission européenne] a rappelé [à la France] ses obligations et l'a interrogée sur les moyens qu'elle propose pour résoudre cette situation. Les discussions se poursuivent. La France a eu l'occasion d'indiquer à la Commission européenne qu'elle ne se souhaitait pas entrer dans les options qui conduiraient à payer une forme de soulte sans qu'elle ne permette le développement supplémentaire d'énergies, en particulier renouvelables [...] Dans nos discussions avec la Commission européenne, nous avons mis l'accent sur la résorption de l'écart, qui est opérée à une vitesse accélérée, et sur les gages que peut donner la France sur sa politique de développement des énergies renouvelables ». Le Gouvernement écarte, à ce jour, l'hypothèse d'un contentieux ouvert par la Commission européenne. Il plaide pour une prise en compte des efforts réalisés en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre ainsi que du principe de neutralité technologique.

C'est pourquoi le Gouvernement n'a pas souhaité inscrire de cibles chiffrées pour les énergies renouvelables dans le projet de plan national énergie-climat (PNEC), transmis à Bruxelles le 11 novembre 2023, lui préférant des objectifs d'énergies décarbonées. Sophie Mourlon a ainsi fait valoir que « la position de la France pour le futur s'appuie sur le fait que la politique de décarbonation européenne ne peut plus reposer exclusivement sur la fixation d'objectifs de développement des énergies renouvelables. Elles ne sont pas qu'électriques. Elles peuvent être développées sur la chaleur, le liquide, le gaz. Notre politique énergétique doit désormais fixer des objectifs de décarbonation, sans se perdre dans des sous-objectifs détaillés par filière et sous-filière. C'est ce que nous portons au niveau européen pour la discussion des futurs objectifs. Elle devrait s'enclencher après les élections européennes, et après la constitution de la nouvelle Commission. La position de la France consiste à laisser aux États membres la possibilité de choisir les voies de décarbonation les plus efficaces en fonction de leur politique énergétique et de leur situation individuelle »20(*).

La commission d'enquête souscrit à cette approche en relevant que, par nature, un texte européen fixant un objectif portant sur une catégorie d'énergie va à l'encontre du principe de neutralité technologique et est contraire à l'article 194 du TFUE qui garantit le droit, pour chaque État membre, de décider de son bouquet énergétique et de choisir les technologies ou procédés utilisés.

Du reste, la révision du règlement sur la gouvernance, adopté en 201821(*), qui définit un cadre commun pour permettre à l'Union européenne d'atteindre ses objectifs en matière de climat et d'énergie, pourrait être l'occasion de définir un cadre prenant en compte le degré de décarbonation des économies des États membres et la neutralité technologique afin de déterminer l'effort supplémentaire à fournir pour contribuer aux objectifs de l'Union. La révision de ce règlement et les modalités de la révision relèvent d'une décision de la prochaine mandature de la Commission européenne.

La commission d'enquête recommande que la France défende une révision du règlement sur la gouvernance de l'union de l'énergie qui prenne en compte le niveau de décarbonation déjà atteint par les États membres, en particulier la France. La formule qui définit les trajectoires de déploiement des énergies renouvelables par État membre entre 2020 et 2030, telle qu'elle figure à l'annexe II du règlement, pourrait être adaptée en ce sens.

Recommandation n° 1

Destinataire

Échéance

Support/Action

Réviser le règlement relatif à la gouvernance de l'union de l'énergie et à l'action pour le climat afin de prendre en compte le niveau de décarbonation déjà atteint par la France

État (Ministère en charge de l'énergie) et institutions européennes

2025-2029

Règlement relatif à la gouvernance de l'Union de l'énergie et à l'action pour le climat

3. La difficulté pour la France de peser sur les négociations européennes

Le poids de la France au sein des institutions européennes tend à s'affaiblir alors même que les décisions au niveau européen influent de plus en plus sur les législations et réglementations nationales.

Les déclarations du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, s'inquiétant des objectifs trop contraignants en matière de déploiement des énergies renouvelables tels qu'ils ont été fixés par la directive RED III, adoptée en 2023 après d'âpres discussions au Conseil, posent la question de la défense des positions françaises au sein des institutions européennes.

En effet, les élargissements successifs mais aussi les résultats des scrutins européens, qui ont conduit à ce que la France soit proportionnellement à son poids peu représentée dans les groupes politiques dominants au sein de l'Union, ont, dans une certaine mesure, contribué à diluer la position de la France, la conduisant à rechercher plus systématiquement des alliés parmi les autres États membres. L'augmentation du nombre de pays a, en effet, opéré un rééquilibrage du poids des Etats au sein des différentes institutions. Ce nouvel équilibre s'est traduit dans la composition de la Commission européenne, dans le nombre des parlementaires européens et dans la réforme des règles de vote au Conseil. Par ailleurs, les récentes crises sanitaire et énergétique ont contribué à renforcer le rôle et le poids de la Commission européenne dans le processus législatif et décisionnel de l'UE, accentués par le recours de plus en plus systématique aux actes délégués et actes d'exécution dans la mise en oeuvre de la législation européenne. Ce qui pose la question taboue de la capacité d'action de la France au sein de la Commission et de ses services.

a) La co-législation marquée par une fragmentation des eurodéputés français au sein des groupes politiques

Alors que les traités successifs ont donné plus de pouvoirs au Parlement européen, en lui attribuant un rôle de co-législateur de droit commun avec le Conseil européen, la France y a perdu en influence et cette tendance devrait se poursuivre au regard des résultats des dernières élections au Parlement européen.

Selon les résultats provisoires fournis par la Parlement européen, après les élections européennes du 9 juin 2024, les députés français, désormais au nombre de 81, devraient se répartir, comme lors de la précédente mandature, au sein des sept groupes du Parlement européen. Il est vraisemblable que cette répartition continue à apparaître défavorable à l'influence française sur le processus législatif de l'Union européenne. En effet, plusieurs tendances se confirment : les députés français pèsent globalement peu parmi les deux groupes les plus influents, et leur poids numérique reste affaibli en raison de leur appartenance à des groupes marginalisés. Par ailleurs, leur nombre au sein du groupe centriste, en recul numérique, devrait diminuer fortement à l'issue du dernier scrutin.

Au cours de la législature 2019-2024, au regard de la proportion d'eurodéputés français, leur influence, est apparue plus limitée, comparée à celle des parlementaires d'autres grands États membres, en raison même de leur dispersion au sein des différents groupes politiques composant le Parlement européen.

Répartition des députés européens français (79) et allemands (96) dans les groupes politiques du Parlement européen - Législature 2019-2024

 

PPE

S&D

Renew

Verts/ALE

ECR

ID

NI

La Gauche

 

177

140

102

72

68

59

50

37

France

8

7

23

12

1

18

4

6

Allemagne

30

16

7

25

1

9

3

5

Source : Parlement européen

Alors que les eurodéputés allemands, italiens ou espagnols sont généralement concentrés dans un ou deux grands groupes parlementaires influents, les élus français se répartissent de manière plus éclatée entre plusieurs formations politiques, diluant ainsi leur poids collectif. Ainsi, au sein des deux premiers groupes du Parlement européen nouvellement élu, la France devrait se situer, avec 19 députés (contre 15 pour la législature 2019-2024 et 33 pour la législature 2014-2019), loin derrière l'Allemagne (44 élus, contre 46 précédemment), l'Espagne (42 élus, contre 34 précédemment), l'Italie (30 élus, contre 27 précédemment) et la Pologne (26 élus, contre 23 précédemment). Le poids des députés français au sein du premier groupe du Parlement européen, le Parti populaire européen (PPE), pourrait être encore affaibli. Il se situerait autour de 3 % (4,5 % pour la législature 2019-2024), contre près de 16 % pour les Allemands, ce parti ayant gagné de l'ordre de 14 sièges par rapport à la précédente mandature. Cette faible représentation de la France au sein des partis majoritaires serait cependant compensée, dans une certaine mesure, par la progression du nombre de députés français (9,5 %) au sein de l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D). Mais elle serait aussi fragilisée par l'affaiblissement du parti Renew qui devrait perdre 22 sièges dont 10 pour la France. Cette situation apparaît de nature à continuer d'affaiblir la position de la France au sein du Parlement européen et le levier d'influence dont elle pourrait disposer dans les négociations législatives.

En outre, au cours de la législature 2019-2024, sur les vingt commissions permanentes du Parlement européen, quatre commissions ont été présidées par des députés français : la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (Pascal Canfin - Renew), la commission des transports et du tourisme (Karima Delli - Verts/ALE), la commission de la pêche (Pierre Karleskind - Renew) et la commission du développement régional (Younous Omarjee - La Gauche). Six ont eu à leur tête un Allemand, à savoir celles de l'agriculture et du développement durable, du marché intérieur et de la protection des consommateurs, du commerce international, du contrôle budgétaire et des affaires étrangères.

La commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE) était présidée par un député roumain, membre du PPE. Cette commission a notamment négocié la directive sur les énergies renouvelables, la réforme des marchés de l'électricité et du gaz, ou encore le règlement sur l'industrie propre (NZIA). Elle comptait six élus français pour le mandat 2019-2024 - mais seulement trois issus de groupes faisant régulièrement partie des négociations et majorités parlementaires (PPE, Renew et Verts), contre respectivement huit élus allemands (4 PPE, 1 S&D et 3 Verts), qui étaient ainsi deux fois plus nombreux à siéger dans cette commission. La France a ainsi manqué de relais dans une des commissions les plus influentes en raison des sujets traités liés en particulier à la crise énergétique au cours de la mandature qui s'est achevée. Par exemple, l'équipe de négociation22(*), autour du rapporteur socialiste espagnol Nicolás González Casares (S&D), ne comprenait qu'une députée française, membre du groupe La Gauche et élue de La France Insoumise.

Par ailleurs, au cours de la dernière mandature, neuf députés français ont quitté le Parlement européen (quatre pour l'Assemblée nationale, deux pour le Sénat, deux pour le gouvernement, un pour raisons personnelles). Seul un député sur cinq a exercé plus d'un mandat, alors que les députés allemands pour un tiers d'entre eux ont au moins deux mandats à leur actif. Les résultats des dernières élections européennes ne dérogent pas à cette tendance, avec près de 57 % de nouveaux entrants au Parlement européen au 10 juin 2024. L'inexpérience du processus de décision dans l'Union européenne notamment pour traiter de sujets complexes ne joue pas, en l'occurrence, en faveur des positions françaises.

b) Le recours plus systématique aux actes délégués affaiblit le rôle des États membres

Le recours de plus en plus systématique aux actes délégués par la Commission européenne pour appliquer la législation soulève des inquiétudes au regard d'un possible affaiblissement du rôle des États membres dans le processus législatif européen.

Dans le cadre du règlement sur la taxonomie européenne des investissements durables23(*), le recours à des actes délégués avait ainsi été prévu pour établir les critères d'examen technique permettant de déterminer si une activité contribue à l'atténuation du changement climatique. Or la classification de l'énergie nucléaire en tant qu'activité économique durable dans le cadre de ce processus a été suspendue à la décision de la Commission européenne, qui avait, dans un premier temps, décidé d'écarter d'emblée le nucléaire du premier acte délégué, et de reporter son sort à un acte délégué complémentaire. Il a fallu attendre près d'un an et de longs débats au sein des institutions européennes pour obtenir l'adoption de cet acte délégué reconnaissant temporairement le nucléaire comme une activité de transition dans la taxonomie européenne.

Les actes délégués, qui complètent les actes législatifs sur des éléments en principe non essentiels, ne sont pas transmis aux parlements nationaux aux fins de contrôle du respect du principe de subsidiarité. Comme le faisait remarquer l'ancien président de la commission des affaires européennes du Sénat, Simon Sutour, dans un rapport d'information publié en janvier 2014, « la pratique des actes délégués est loin d'être anodine et suppose, et même exige, une grande vigilance politique »24(*). Le recours trop fréquent de la Commission à des actes délégués est régulièrement dénoncé par le Sénat, qui considère que son utilisation trop systématique affaiblit le rôle de contrôle des Parlements nationaux et celui des États membres dans le processus législatif européen, donnant « une responsabilité excessive à la Commission européenne ».

c) Les négociations de la réforme du marché européen de l'électricité démontrent que l'exécutif doit s'impliquer davantage pour influencer les décisions européennes

La crise énergétique a mis sous pression l'Union européenne, confrontée à une hausse d'ampleur des prix du gaz et de l'électricité. Dans ce contexte, la France a joué un rôle majeur dans l'initiative prise par la Commission européenne de réformer l'organisation du marché européen de l'électricité. La bataille a débuté très tôt, le Gouvernement, par la voix des ministres concernés, appelant à une évolution profonde de ce marché dès l'automne 2021. Face aux critiques formulées sur le mécanisme de formation des prix de l'électricité, très corrélés à ceux du gaz, la France n'a eu de cesse tout au cours de l'année 2022 d'appeler la Commission européenne à engager cette réforme au plus tôt.

Lors du débat au Sénat sur la politique énergétique de la France, le 12 octobre 2022, la Première ministre, Mme Élisabeth Borne, a rappelé la position défendue à Bruxelles par le Gouvernement, depuis le début de la crise énergétique : « cette crise nous invite à réformer rapidement et en profondeur le marché européen de l'électricité ».

Après avoir apporté des réponses fluctuantes à cette demande, qui était appuyée par une majorité d'États membres, la Commission européenne a finalement proposé une réforme du marché européen de l'électricité. Ainsi, le 30 août 2022, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé que l'Union européenne préparait « une intervention d'urgence et une réforme structurelle du marché de l'électricité »25(*). Ce fut une première victoire pour la France qui ne cessait de lui demander de formuler des propositions législatives.

L'autre victoire pour la France a été la reconnaissance du nucléaire dans les mécanismes de soutien publics, avec la possibilité de soutenir les actifs nucléaires existants et les nouveaux investissements dans ce secteur au moyen de contrats pour différence. La France défendait, en effet, l'idée d'une véritable neutralité technologique entre toutes les filières bas-carbone, qu'elles soient renouvelables ou nucléaires. Lors de son audition par la commission d'enquête, Agnès Pannier-Runacher, en sa qualité de ministre de la transition énergétique de 2022 à 2024, s'est félicitée de cette avancée obtenue à Bruxelles : « Obtenir un CFD au niveau européen, c'était obtenir une stricte neutralité technologique entre les énergies renouvelables et le nucléaire. En d'autres termes, quel que soit le mode de régulation national que nous choisissions, il était essentiel d'avoir un texte parfaitement miroir entre le renouvelable et le nucléaire, et de permettre à tous nos successeurs d'utiliser les deux leviers avec les mêmes règles du jeu. Il s'agissait là d'un objectif intangible »26(*).

Les négociations de cette réforme du marché européen de l'électricité ont ainsi montré que la France pouvait être en mesure d'influer sur la décision européenne, tant en amont qu'en aval. Mais compte tenu de la fragilité de sa présence au sein des institutions européennes, il faut aux membres de l'exécutif redoubler d'efforts pour obtenir des résultats.

II. RÈGLES EUROPÉENNES : DE L'HOSTILITÉ AU NUCLÉAIRE À LA QUASI NEUTRALITÉ TECHNOLOGIQUE

Face au changement climatique, l'Union européenne s'est engagée dans des objectifs de plus en plus ambitieux en matière d'énergie et de climat. Ces objectifs visent à réduire les émissions de gaz à effet de serre, à développer les énergies renouvelables et à promouvoir l'efficacité énergétique.

Sous la pression française, elle a notablement progressé en direction de la neutralité technologique de la législation européenne. Pour autant, des obstacles restent à franchir.

A. DES OBJECTIFS TOUJOURS PLUS AMBITIEUX EN MATIÈRE DE TRANSITION CLIMATIQUE ET ÉNERGÉTIQUE

Pour mener sa politique, l'Union européenne s'est dotée progressivement d'un cadre juridique qui a permis de fixer des objectifs au niveau de chaque État membre. Il en résulte que la production électrique est désormais encadrée dans un réseau serré d'obligations qui vont largement orienter son évolution.

1. Faire de l'Europe le premier continent neutre en carbone à l'horizon 2050

Afin d'engager le continent européen dans la décarbonation de son économie, l'UE a adopté plusieurs séries de mesures dotées d'objectifs contraignants et indicatifs à l'horizon 2020, puis 2030. Elle est désormais engagée dans des politiques climatiques et énergétiques qui visent à lui permettre d'atteindre la neutralité climatique à l'horizon 2050.

a) Des objectifs fixés aux horizons 2020 et 2030 dans l'UE

Le paquet énergie-climat 2020, adopté en décembre 2008, comprend plusieurs directives, règlements et décisions qui fixent des objectifs précis à l'horizon 2020 dont certains sont juridiquement contraignants pour les États membres :

- réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 ;

- accroître de 20 % l'efficacité énergétique, ce qui correspond à une diminution de 20 % de la consommation énergétique primaire par rapport à un scénario de référence établi en 2007 ;

- augmenter à 20 % la part des énergie renouvelables dans la consommation d'énergie finale, avec des objectifs définis pour chaque État membre.

Cet ensemble de dispositions devait permettre à l'Union européenne de lutter contre le changement climatique, d'accroître sa sécurité énergétique et de renforcer sa compétitivité.

Ce paquet comprenait une directive révisée sur l'échange de quotas d'émissions et la décision relative au partage de l'effort.

Le fonctionnement du système européen d'échange de quotas d'émission (SEQE-UE)

Pilier de la politique climatique européenne, le système d'échange de quotas d'émission (SEQE-UE), ou marché carbone, a été mis en place en 2005. Il vise à contribuer à la réalisation de l'objectif fixé par l'Union européenne de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Ce système repose sur :

- un « plafond » d'émissions de gaz à effet de serre (GES), qui diminue dans le temps ;

- l'allocation de quotas correspondant à ce plafond aux entreprises des secteurs couverts, soit par une vente aux enchères par l'État, soit par une allocation gratuite ;

- la possibilité pour les entreprises d'échanger ces quotas sur un marché européen.

Le SEQE-UE s'applique depuis 2005 à certaines installations industrielles (production d'électricité et de chaleur, industrie lourde), depuis 2013 aux compagnies aériennes, et depuis 2024 aux compagnies maritimes. Les installations doivent être situées sur le territoire de l'Union Européenne, mais également de l'Espace économique européen (Norvège, Islande). Depuis 2021, les installations au Royaume-Uni ne font plus partie du SEQE-UE, à l'exception des centrales électriques en Irlande du Nord. Environ 10 000 installations sont incluses dans le SEQE-UE à l'échelle de l'Union européenne et environ 1 000 en France. En 2022, les émissions couvertes par le SEQE-UE pour les installations s'élevaient à 1 284 Mt COà l'échelle de l'UE, dont 84 Mt COen France et 349 Mt COen Allemagne.

Les données montrent que le SEQE de l'Union contribue avec efficacité à la réduction des émissions de GES, sur la base des secteurs couverts, à savoir l'approvisionnement énergétique et l'industrie.

Une réforme a été adoptée en 2023 qui prévoit un objectif de réduction des émissions de GES à horizon 2030 de -62 % par rapport à 2005 sur les secteurs couverts par le SEQE-UE, contre -43 % actuellement. Elle l'étend au transport maritime et crée, à partir de 2027 ou 2028, un SEQE pour le transport routier et le bâtiment

Le prix du COdécoule de la confrontation entre l'offre et la demande de quotas.

Source : commission d'enquête d'après ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Les objectifs de l'Union Européenne à l'horizon 2030 ont été fixés lors d'un Conseil européen tenu en octobre 2014, puis révisés en 2018 :

- diminuer d'au moins 40 % les émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 ;

- atteindre au moins 30 % d'énergies renouvelables dans la consommation totale de l'énergie ;

- réduire de 32,5 % la consommation d'énergie primaire par rapport au scénario tendanciel pour 2030.

b) L'entrée en vigueur du règlement sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat

En 2019, l'Union européenne a adopté le paquet « une énergie propre pour tous les Européens », qui comprenait huit propositions législatives et trois initiatives non législatives. L'objectif visé était de poursuivre la politique de décarbonation du système énergétique et de mettre en place des mesures lui permettant d'atteindre ses objectifs renforcés à l'horizon 2030.

Ainsi est entré en vigueur le règlement sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat27(*). Dans ce cadre, l'obligation a été introduite pour les États membres d'établir des plans nationaux en matière d'énergie et de climat (PNEC), décrivant les politiques définies pour une période de dix ans, afin d'atteindre les objectifs en matière de climat et d'énergie.

Le règlement (UE) 2018/1999 sur la gouvernance de l'union de l'énergie
et de l'action pour le climat

Les États membres de l'UE doivent :

- produire des plans nationaux intégrés en matière d'énergie et de climat pour 2021 à 2030 avant le 31 décembre 2019 puis, avant le 1er janvier 2029 et tous les dix ans par la suite ;

- préparer des stratégies à faibles émissions sur le long terme dans une perspective de 50 ans et les déclarer à la Commission européenne, dans le but de contribuer aux objectifs de développement durable plus larges et aux objectifs à long terme fixés par l'accord de Paris ;

- produire des rapports d'avancement bisannuels sur la mise en oeuvre des plans, à dater du 15 mars 2023, afin de suivre les progrès dans les cinq dimensions de l'union de l'énergie.

Le règlement établit un processus de consultation répété entre la Commission et les États membres, et facilite la coopération régionale entre les États membres, en particulier avant que les plans ne soient finalisés, et tous les dix ans par la suite pour les périodes de dix ans. Pour la période 2021-2030, les plans devraient être mis à jour pour le 30 juin 2024.

Il demande à la Commission de surveiller et d'évaluer les progrès des États membres vers les objectifs et contributions définis dans leurs plans nationaux.

Il expose les exigences relatives aux systèmes d'inventaire nationaux et européen pour les émissions de gaz à effet de serre, les politiques, les mesures et les projections.

Source : Commission européenne

c) La « loi européenne sur le climat » pour une UE neutre en carbone à l'horizon 2050

La « loi européenne sur le climat », adoptée le 30 juin 202128(*), inscrit dans la législation un objectif de neutralité climatique de l'Union européenne à l'horizon 2050. Pour atteindre plus efficacement cet engagement, elle rehausse de 40 à 55 % l'objectif de réduction des gaz à effet de serre dans l'Union européenne d'ici 2030, par rapport à 1990.

Cette loi constitue l'élément phare du Pacte vert pour l'Europe, présenté en décembre 201929(*), qui réaffirme l'ambition de la Commission européenne de faire de l'Europe le premier continent neutre sur le plan climatique d'ici 2050.

Évolution de l'objectif de l'UE en matière d'émissions de gaz à effet de serre

2. Des mesures concrètes et sectorielles pour atteindre les objectifs climatiques 

Pour atteindre cet objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050, une série de propositions législatives a été présentée par la Commission européenne dans le cadre du paquet « Ajustement à l'objectif 55 ». En outre, la Commission a déployé un ensemble de stratégies dans divers secteurs de l'économie pour répondre aux ambitions climatiques de l'UE.

a) Le paquet « Fit for 55 », « le cadre contraignant le plus ambitieux du monde en matière climatique » 

La mise en oeuvre du Pacte vert pour l'Europe se décline dans un ensemble de textes législatifs, présentés le 14 juillet 2021 et complétés le 15 décembre 2021, dit paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

Ce paquet propose des mesures concrètes et sectorielles pour respecter la trajectoire d'ensemble de neutralité climatique à l'horizon 2050, ainsi que des stratégies thématiques, dont les conclusions ont été approuvées par les ministres de l'UE au cours de l'année 2021. Comme l'indique la DGEC dans sa réponse au questionnaire de la commission d'enquête, il s'agit du « cadre contraignant le plus ambitieux du monde en matière climatique ».

Le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » procède à une révision et à une actualisation de la législation de l'Union en matière de climat ainsi qu'à l'élaboration de nouvelles initiatives pour assurer la conformité des politiques de l'Union avec les ambitions du Pacte vert. Il comprend treize propositions législatives et de nouvelles initiatives interdépendantes relatives au climat, à l'énergie et aux transports. Après de longues négociations, l'ensemble des textes ont finalement été adoptés, à l'exception de la proposition de directive sur la taxation de l'énergie.

Vue d'ensemble du paquet « Ajustement à l'objectif 55 »

Certaines dispositions de ces textes ont déjà été transposées dans le droit français par la loi 22 avril 2024 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole.

Ce texte transpose ainsi la mise en place d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) pour la période transitoire 2024-2025 ainsi que la refonte du système d'échange des quotas d'émission de l'Union européenne (SEQE-UE). L'introduction d'un tel mécanisme a été de longue date défendue par la France, et largement soutenue par le Sénat30(*).

Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières

Le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF), ou CBAM pour l'acronyme anglais (Carbon Border Adjustment Mechanism) est un nouvel instrument règlementaire européen qui vise à soumettre les produits importés dans le territoire douanier de l'Union Européenne à une tarification du carbone équivalente à celle appliquée aux industriels européens fabriquant ces produits.

Ce mécanisme vise à faciliter l'atteinte de l'objectif européen de réduction des émissions de gaz à effet de serre en luttant notamment contre les fuites de carbone. Les industries européennes sont en effet exposées à un risque de « fuites de carbone », phénomène par lequel une activité est déplacée en dehors de l'Union européenne pour échapper à une norme environnementale, soit du fait d'une délocalisation, soit du fait d'une perte de compétitivité vis-à-vis de concurrents étrangers.

Précédemment l'allocation de quotas gratuits dans le cadre du marché carbone a été mise en place pour limiter les risques de fuite de carbone. Toutefois ce système a montré ses limites au regard des ambitions climatiques fixées par l'Union européenne. Le MACF est conçu comme une alternative à l'allocation de quotas gratuits en tant qu'outil de lutte contre les risques de « fuites de carbone ».

Le MACF créé de nouvelles obligations règlementaires pour les importateurs, c'est-à-dire les acteurs économiques responsables de la mise en libre pratique des produits listés à l'annexe I du règlement européen dans le territoire douanier de l'Union Européenne, à savoir l'acier, l'aluminium, les engrais azotés, le ciment, l'hydrogène et la production d'électricité. Ces secteurs représentent en cumulé environ la moitié des émissions industrielles dans l'UE.

Sa mise en oeuvre se fera en deux temps, une période de transition, du 1er octobre 2023 au 31 décembre 2025, qui se limite à une obligation de déclaration trimestrielle de l'empreinte carbone des produits importés, et une période de fonctionnement effectif à partir du 1er janvier 2026. À compter de 2026, une période de dix ans permettra de réduire progressivement l'allocation de quotas gratuits dans les secteurs couverts, selon un facteur MACF31(*). Pour les productions concernées, le MACF viendra donc se substituer pleinement à l'allocation gratuite au titre du SEQE-UE dès 2036.

Il est prévu l'instauration d'un régime de sanctions applicable aux importateurs en cas de non-respect de leurs obligations de déclaration.

Source : commission d'enquête d'après ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

En outre, plusieurs dispositions relatives à l'énergie visant à favoriser le déploiement des infrastructures de recharge en carburants alternatifs et à consolider les critères de durabilité de l'hydrogène renouvelable et bas-carbone sont introduites dans le droit français.

b) Des stratégies orientations non contraignantes pour certains secteurs

Dans le cadre des nouveaux objectifs européens, la Commission européenne a présenté plusieurs stratégies dans le secteur de l'énergie :

- une stratégie de l'UE pour l'intégration des systèmes énergétiques ;

- une stratégie dédiée à l'hydrogène32(*) ;

- une stratégie de l'Union sur les énergies renouvelables en mer33(*).

Cette dernière stratégie, publiée le 19 novembre 2020, fixe des objectifs très ambitieux aux États membres. Ils se sont ainsi mis d'accord sur des objectifs, non contraignants toutefois, pour la production d'énergie renouvelable en mer d'ici à 2050, avec des objectifs intermédiaires pour 2030 et 2040 : environ 111 GW de capacité de production d'énergie renouvelable en mer d'ici à 2030 et 317 GW d'ici à 2050. Des accords régionaux non contraignants sont également prévus dans le cadre de la coopération des États membres sur des objectifs de production d'énergies renouvelables en mer, qui tient compte des spécificités et du développement de chaque région, en application du règlement RTE-E34(*), entré en vigueur en juin 2022.

En janvier 2014, la Commission a publié son plan d'action sur l'énergie bleue35(*), qui vise à soutenir le développement de l'énergie océanique, notamment de l'énergie houlomotrice et marémotrice ou de l'énergie produite par la conversion de l'énergie thermique et l'exploitation de la différence de salinité.

c) Le plan REPowerEU propose de s'affranchir plus rapidement des combustibles fossiles

Avec l'aggravation de la crise des prix des énergies liée au conflit ukrainien, la Commission européenne a présenté, le 18 mai 2022, le plan REPowerEU, qui vise à économiser de l'énergie, produire de l'énergie propre et à diversifier les approvisionnements énergétiques.

Ce plan propose de renforcer deux objectifs dont la modification était déjà proposée dans le cadre du paquet « Fit for 55 ». Il s'agit de porter de 39 % à 42 % l'objectif d'efficacité énergétique, et de 40 % à 45 % celui concernant la part d'énergie produite à partir de sources renouvelables à l'horizon 2030. Il prévoit un déploiement accéléré de l'énergie éolienne et solaire ainsi que la création d'un mécanisme d'achats groupés de gaz. Il permet d'accroître les possibilités de financement au titre de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR).

3. Vers un nouvel objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2040

La loi européenne sur le climat prévoit que la Commission européenne propose un objectif intermédiaire pour 2040. Cette initiative doit être présentée à l'issue d'un délai de six mois après le premier bilan mondial de l'Accord de Paris, qui s'est déroulé en décembre 2023.

Ainsi, la Commission européenne a publié, le 6 février 2024, une communication36(*) qui marque le début de ce processus d'élaboration d'un objectif à l'horizon 2040. Elle est accompagnée d'une analyse d'impact détaillée sur les pistes envisageables pour parvenir à la neutralité climatique d'ici à 2050. Elle recommande ainsi une réduction de 90 % des émissions nettes de GES d'ici à 2040. Il reviendra à la prochaine Commission européenne de présenter une initiative législative en ce sens. Seuls les Pays-Bas, la Finlande, l'Espagne, le Danemark, le Luxembourg et la Bulgarie se sont explicitement positionnés en faveur de ce nouvel objectif, la France se situant plutôt dans une position d'attente.

La décarbonation de l'économie repose très largement sur le secteur de l'énergie et la production d'une électricité décarbonée. L'objectif climatique préconisé pour 2040 vise à une décarbonation presque totale de l'électricité au cours de la seconde moitié de la décennie 2031-2040, en utilisant des réseaux plus intelligents, l'intégration des systèmes, la flexibilité de la demande et des solutions de stockage.

La Commission européenne préconise d'utiliser toutes les solutions à émissions de carbone nulles ou faibles pour décarboner le système énergétique d'ici à 2040, y compris l'énergie nucléaire : « toutes les solutions énergétiques à émissions de carbone faibles ou nulles (y compris les énergies renouvelables, le nucléaire, l'efficacité énergétique, le stockage, le CSC, le CUC, les absorptions de carbone, la géothermie et l'hydroénergie, ainsi que toutes les autres technologies énergétiques « zéro net » actuelles et futures) sont nécessaires pour décarboner le système énergétique d'ici à 2040 ».

B. LE PROGRÈS VERS LA NEUTRALITÉ TECHNOLOGIQUE

Au cours de ces derniers mois, en particulier sous la contrainte de la crise énergétique, l'Union européenne a avancé vers la neutralité technologique alors que jusqu'à il y a peu elle marquait une hostilité non dissimulée à l'égard du nucléaire.

Plusieurs étapes marquent cette inflexion au niveau européen : la reconnaissance de l'hydrogène bas-carbone produite à partir d'énergie nucléaire, le respect du principe de neutralité technologique entre les différentes sources d'énergie bas-carbone éligibles aux contrats pour différence (CfD), l'inclusion du nucléaire dans la taxonomie européenne des investissements durables et dans les futurs objectifs 2040 ou, plus symboliquement, la participation de la présidente de la Commission européenne au Sommet européen sur le nucléaire en mars 2024.

1. Le nucléaire, un sujet qui n'est plus tout à fait tabou à Bruxelles

La hausse inédite des prix des énergies, à partir de l'automne 2021, ainsi que la guerre en Ukraine, ont contraint l'Union européenne à reconsidérer sa politique dans le domaine de l'énergie. Cette période marque, en particulier, un changement dans la prise en compte de l'énergie nucléaire en tant que technologie clé pour répondre aux défis de la décarbonation de l'économie et de l'indépendance énergétique de l'UE.

Alors que cette énergie a longtemps été considérée avec méfiance voire hostilité au sein des institutions européennes, plusieurs textes révèlent un changement relatif de position de la Commission européenne et du Parlement européen quant à son rôle dans le mix énergétique européen pour les années à venir. En marge du Sommet européen des 23 et 24 mars 2023, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a ainsi déclaré que « le nucléaire peut jouer un rôle dans notre effort de décarbonation, c'est important ». Cette affirmation a été d'autant plus agréablement surprenante que la Commission européenne faisait jusqu'alors des énergies renouvelables et de l'efficacité énergétique l'alpha et l'oméga de la politique climatique européenne, à l'exclusion de toute autre, sous la conduite de l'ancien vice-président exécutif de la Commission européenne en charge du climat, Frans Timmermans37(*).

Longtemps technologie non grata à la Commission européenne, l'énergie nucléaire commence à connaître un timide regain de faveur à l'automne 2021, lorsque la présidente Ursula von Leyen reconnaît, à l'issue de la réunion du Conseil européen des 21-22 octobre 2021, que « nous avons également besoin d'une source stable, le nucléaire, et pendant la transition, bien sûr, le gaz naturel. C'est pourquoi nous présenterons notre proposition de taxonomie ». Le contexte de hausse des prix de l'énergie en Europe a sans doute contribué à faciliter cette évolution.

Le conflit ukrainien qui contraint l'UE à s'affranchir plus rapidement que prévu de son approvisionnement en gaz russe participe aussi évidemment d'un contexte favorable à une prise en considération du rôle que peut jouer l'énergie nucléaire en matière de décarbonation de l'économie européenne.

Lors d'un évènement de la Commission européenne, en avril 2024, consacré à l'énergie de fusion, la commissaire européenne à l'énergie, Kadri Simson, et le vice-président exécutif, Maro efèoviè, ont ainsi réaffirmé le soutien de la Commission européenne au développement de l'énergie de fusion, considérée comme l'une des plus prometteuses pour réaliser les objectifs de décarbonation de l'UE. « Il s'agit d'une nouvelle source d'énergie sans carbone susceptible de devenir un élément important du futur bouquet énergétique », a ainsi déclaré Mme Simson dans le discours prononcé à cette occasion.

2. L'inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables

Dans le cadre du « Plan d'action pour la finance verte de l'Union européenne »38(*), présenté en mars 2018, la Commission européenne a décidé d'élaborer sa propre taxonomie des investissements durables. La « taxonomie verte » consiste en une classification des activités économiques au regard de leur impact environnemental, notamment en matière d'atténuation du changement climatique ou d'adaptation à ses effets, afin de faciliter le financement des plus vertueuses d'entre elles à ce titre. La taxonomie européenne s'inscrit dans un double objectif, d'une part, encourager les investissements qui contribuent à la transition écologique, et, d'autre part, lutter contre le « green-washing » ou l'éco-blanchiment.

Le règlement sur la taxonomie de l'UE39(*) a été adopté en 2020 Il a établi un référentiel qui classifie, au niveau de l'Union européenne, les activités économiques qui peuvent être considérées comme durables au regard d'objectifs environnementaux et dont les critères d'examen technique doivent être établis par des actes délégués.

La taxonomie verte doit contribuer à orienter les investissements vers des projets respectueux de l'environnement, mais comporte aussi un enjeu de nature politique en termes de définition des activités qui contribuent à la transition climatique de l'économie. En effet, elle fournit une information aux marchés de capitaux sur ce qui constitue des investissements durables et doit inciter à une orientation des flux financiers vers ceux-ci.

La taxonomie de l'Union européenne comprend trois catégories d'activités :

- les activités durables qui contribuent substantiellement à l'un de six objectifs environnementaux40(*). Il s'agit des activités à faibles émissions de carbone ;

- les activités dites « habilitantes », qui permettent le développement des secteurs durables, en habilitant d'autres activités à contribuer à l'un des objectifs ;

- les activités dites « transitoires », pour lesquelles il n'existe pas d'alternative bas carbone économiquement ou technologiquement viable mais dont les émissions de gaz à effet de serre correspondent aux meilleures performances du secteur.

Dans ce cadre, un premier acte délégué relatif au volet climatique a été adopté le 4 juin 2021, qui mentionnait quatre-vingt-huit activités41(*). Ces activités concernent les forêts, l'industrie, l'énergie (production d'électricité renouvelable, stockage, systèmes de chauffage), l'approvisionnement en eau, l'assainissement et la gestion des déchets, le transport, l'immobilier, les technologies de l'information et de la communication, la recherche...

Ce texte pris par la Commission européenne n'avait pas inclus certains secteurs de l'énergie, notamment le nucléaire. Un acte délégué complémentaire42(*) a finalement été adopté, après deux ans de discussions en mars 2022. Ce texte intègre cette fois, mais sous certaines conditions, les activités économiques de l'énergie nucléaire en tant qu'activités de transition43(*) nécessaires pour sortir des énergies fossiles et favoriser la décarbonation des économies. Ainsi, sont notamment inclus les projets d'extension de la durée de vie des centrales nucléaires existantes autorisés avant 2040, les projets de nouvelles centrales nucléaires de troisième génération ou plus pour la production d'électricité, dont le permis de construire a été délivré avant 2045, et les activités de recherche et d'innovation dans les technologies futures en termes de normes de sécurité et de réduction des déchets nucléaires. L'ensemble du cycle du combustible n'est cependant pas inclus dans la taxonomie européenne.

La commission d'enquête regrette que, s'agissant des financements privés, la taxonomie verte européenne assimile l'énergie nucléaire à une énergie de transition, et non durable, alors que cette énergie est très peu émettrice de gaz à effet de serre. En outre, l'acte délégué définit des délais contraignants et n'intègre pas les activités du cycle ou de maintenance. La commission d'enquête demande que ces contraintes soient levées.

3. Le nucléaire devenu une technologie stratégique pour l'Union européenne

Le règlement « industrie zéro net »44(*), qui a été présenté en réaction à l'IRA (Inflation Reduction Act), vise à renforcer, dans l'UE, la capacité de production de technologies « zéro émission », tout en réduisant l'influence des pays tiers sur le marché unique. Il reconnaît le nucléaire en tant que technologie stratégique pour l'UE.

Le texte de l'accord, conclu en trilogue le 6 février 2024, établit une liste unique de 19 technologies innovantes pouvant faire l'objet de projets stratégiques, parmi lesquelles l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables, le choix des projets stratégiques relevant de la compétence des États membres. Le nucléaire qui ne figurait pas dans la proposition de la Commission européenne est finalement reconnu comme une technologie stratégique pour la décarbonation de l'UE. Ce texte vise à relocaliser une partie de la production de technologies énergétiques propres en Européen en créant des conditions favorables à l'investissement dans ces technologies.

C. DE NOUVELLES AVANCÉES SONT ENCORE À ACCOMPLIR VERS CETTE NEUTRALITÉ

Alors que les législations européennes proposées par la prochaine Commission européenne45(*) devront prendre en compte l'ensemble des énergies bas-carbone pour l'atteinte des objectifs climatiques, et que la reconnaissance de l'énergie nucléaire est de plus affirmée au sein des institutions européennes, des progrès restent encore à accomplir vers la neutralité technologique dans le domaine des énergies.

1. Le nucléaire ne doit plus être exclu des programmes de financement de l'UE

Dans le domaine de l'énergie, les fonds européens financent essentiellement des projets de développement des énergies renouvelables, de rénovation de logements ou de transports urbains durables. Il y a lieu de rappeler l'importance de ces vecteurs financiers qui, pour l'instant, n'apportent guère d'aides aux projets de décarbonation fondés sur l'énergie nucléaire.

Doté d'une enveloppe d'environ 200 milliards d'euros sur la période 2021-2027, le Fonds Européen de Développement Régional (FEDER) vise à promouvoir la cohésion économique, sociale et territoriale entre les régions. Il joue un rôle important dans la réduction des disparités économiques et sociales entre les différentes régions européennes. Il investit dans des projets et des initiatives qui contribuent à la transition énergétique, en particulier dans le domaine des énergies renouvelables, sous forme de subventions accordées aux porteurs de projets.

Le Fonds pour une Transition Juste46(*), qui est doté de 17,5 milliards d'euros, pour la période 2021-2027, doit contribuer à la mise en oeuvre du Pacte vert pour l'Europe. Il relève de la politique de cohésion qui vise à soutenir des territoires en grandes difficultés socio-économiques pour leur transition écologique, en prenant compte les conséquences sociales. La France devrait en être bénéficiaire à hauteur de 5,35 % de l'enveloppe, soit 937 millions d'euros. Les fonds sont mis à disposition sur la base de plans territoriaux de transition juste, que doivent élaborer les États membres avec les autorités locales et régionales compétentes des territoires « les plus durement touchés par les conséquences économiques et sociales résultant de la transition ». Ils soutiennent des activités listées dans le règlement, notamment les investissements dans les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique. Le démantèlement ou la construction de centrales nucléaires sont explicitement exclus du champ d'application du soutien.

Le Fonds européen pour l'innovation a pour objectif de soutenir des projets qui font la démonstration de technologies, de procédés ou de produits hautement innovants qui sont suffisamment matures et qui ont un potentiel significatif de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les domaines des énergies renouvelables, des industries à forte intensité carbone, du stockage d'énergie, et de la capture, utilisation et stockage du carbone. Ce fonds est doté de 10 milliards d'euros jusqu'en 2030.

La commission d'enquête considère que les programmes et actions de financement de l'Union européenne qui concourent aux objectifs européens en matière de transition climatique et énergétique doivent respecter le principe de neutralité technologique entre énergies et doivent pouvoir ainsi contribuer au financement de tous les projets de développement des énergies bas-carbone dès lors qu'ils respectent les autres critères définis.

Recommandation n° 2

Destinataire

Échéance

Support/Action

Proposer un Nuclear Act aux institutions européennes permettant la reconnaissance, dans tous les textes européens, du rôle de l'électricité produite à partir d'énergie nucléaire dans la décarbonation de l'économie et l'atteinte des objectifs climatiques

Gouvernement (Ministère en charge de l'énergie) Institutions européennes

2025-2029

Textes européens

2. Des projets importants d'intérêt commun européen (PIIEC) doivent être lancés dans le domaine de l'énergie nucléaire

Le recours au mécanisme des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) doit également être considéré pour le financement public de l'énergie nucléaire, en particulier dans le cadre de l'Alliance pour le nucléaire. Ce sujet a, en effet, été exposé depuis le lancement d'une Alliance industrielle européenne sur les petits réacteurs européens. Cela permettrait d'assouplir le cadre de financement de tels projets au regard des règles en matière d'aides d'État ; ce mécanisme autorise en effet les pouvoirs publics des États membres à financer des initiatives au-delà des limites habituellement fixées par la réglementation européenne en matière d'aides d'État. Il pourrait en résulter, par conséquent, une diminution de leur coût de financement, et un encouragement au développement d'une filière nucléaire européenne.

Les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC)

Les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), qui ont été mis en oeuvre à la fin 2018, visent à renforcer la politique industrielle de l'Union européenne (UE) tout en préservant la concurrence sur le marché unique. Le cadre de ces projets permet aux États membres d'accorder des subventions à certains projets industriels majeurs dont la Commission européenne considère qu'ils revêtent un intérêt commun européen. Les financements publics apportés dans le cadre des PIIEC sont strictement encadrés et établis de façon à enclencher un changement de position stratégique de l'entreprise. Ils ne proviennent pas d'un programme de financement de l'UE, mais sont octroyés par les États membres sur leurs budgets nationaux.

Afin de limiter les distorsions de concurrence, un PIIEC n'est autorisé par la Commission européenne que si des défaillances de marché sont identifiées et conduisent à une situation économiquement inefficace en l'absence d'intervention publique. Cela permet de financer les projets qui n'auraient pas lieu sans le versement de l'aide. Une clause de retour en cas d'amélioration de la situation permet, par ailleurs, à l'État de récupérer une partie de l'aide versée si la rentabilité du projet s'avère plus importante que prévue, afin de garantir la proportionnalité du dispositif d'aide.

Quatre domaines ont été définis comme prioritaires par l'Union européenne, la microélectronique, les batteries, l'hydrogène et le cloud. Les projets dans ces secteurs sont portés par des entreprises sélectionnées par les États membres.

Source : commission d'enquête d'après Commission européenne

La France est, à ce jour, engagée dans sept PIIEC dans les domaines des batteries, de l'électronique, de l'hydrogène ou encore du numérique. Le dernier a été autorisé par la Commission européenne, le 5 décembre 2023, « Next-Generation Cloud Infrastructure and Services ». Il comprend dix-neuf projets soutenus par sept États membres dont ceux de deux entreprises françaises.

La commission d'enquête considère que cet instrument doit aussi bénéficier au domaine de l'énergie nucléaire et plaide pour le lancement de projets d'intérêt commun (PIIEC) en la matière.

Recommandation n° 3

Destinataire

Échéance

Support/Action

Obtenir le lancement de projets d'intérêt commun (PIIEC) dans le domaine de l'énergie nucléaire

États membres Commission européenne

2025-2029

Actions des États membres

3. La Banque européenne d'investissement doit infléchir sa position sur le financement des projets nucléaires

Les enjeux de financement du nucléaire sont essentiels notamment pour permettre le déploiement de nouveaux réacteurs en Europe, ou des investissements pour prolonger la durée de vie des centrales existantes. L'Union européenne dispose d'une institution de financement, la Banque européenne d'investissement (BEI), qui est chargée d'octroyer des prêts et des garanties pour financer certains projets dans l'UE dans le domaine de l'énergie notamment.

La technologie nucléaire est, en principe, éligible aux financements de la BEI. Pour être admissibles à un financement de la BEI, les projets relatifs à l'énergie nucléaire doivent être justifiés sur le plan technique, environnemental, financier et économique, y compris au regard des coûts encourus pendant toute la durée de vie, et ils doivent avoir reçu un avis favorable de la Commission européenne. Ils peuvent couvrir la production d'électricité d'origine nucléaire, le cycle complet du combustible nucléaire, la gestion des déchets, le renforcement de la sécurité, l'extension de la durée de vie, le déclassement et les travaux de R&D. La politique de prêt de la BEI doit être technologiquement neutre entre les énergies décarbonées.

La Banque européenne d'investissement (BEI)

Créée par le Traité de Rome, la Banque européenne d'investissement (BEI) est l'institution de financement de l'Union européenne, dont les États membres sont actionnaires. Elle facilite, par l'octroi de prêts et de garanties, sans poursuivre de but lucratif, le financement de projets, dans tous les secteurs de l'économie, en particulier dans le soutien aux PME, à l'innovation, aux villes et régions durables, aux politiques de l'énergie. Sa feuille de route, pour la période 2021-2025, fixe des objectifs en matière de financement climatique qui s'inscrivent dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe. Ainsi un volume global de 1 000 milliards d'euros doit être investis dans le climat d'ici 2030. Les investissements dans le domaine de l'énergie devraient bénéficier de 45 milliards d'euros supplémentaires d'ici 2027 afin de financer des projets dans les secteurs de l'énergie renouvelable, de l'efficacité énergétique et de l'innovation. La France est le deuxième pays bénéficiaire des prêts de la BEI, et elle occupe le premier rang pour les prêts dans le secteur du climat et de l'environnement (11 milliards d'euros en 2023 et 12 milliards d'euros prévus pour 2024).

Source : Commission d'enquête d'après l'audition de M. Ambroise Fayolle, vice-président de la Banque européenne d'investissement (BEI), par la commission des affaires européennes

Or, dans les faits, les projets soutenus financièrement par la BEI en matière nucléaire, au cours des dix dernières années, relèvent, pour l'essentiel, du seul domaine de la sûreté des installations existantes. Elle a ainsi financé deux projets nucléaires, l'un en Finlande, en 2016, à hauteur de 100 millions d'euros, et l'autre en Slovaquie, en 2018, à hauteur de 60 millions d'euros, pour renforcer la sureté de centrales nucléaires en service. Pourtant, jusqu'au milieu des années 80, elle a financé de nombreux projets relatifs à la production d'électricité d'origine nucléaire et au cycle du combustible nucléaire, et sur la période 2007-2012, trois projets concernant des installations d'enrichissement d'uranium.

Le conseil d'administration de la BEI a compétence exclusive pour décider des prêts, des garanties et des emprunts. Les décisions sont prises à une majorité constituée d'au moins un tiers des membres ayant droit de vote et représentant au moins 50 % du capital souscrit. Ce système permet de faire en sorte que l'avis des actionnaires minoritaires - les plus petits États membres - soit pris en compte. Dans la pratique, de nombreuses décisions sont prises par voie de consensus, ce qui confère aux actionnaires minoritaires une influence encore plus grande. Par ailleurs, si la Commission européenne, qui est consultée pour chaque opération, émet un avis négatif, cela implique un vote unanime du conseil d'administration pour l'approbation de l'opération.

Force est de constater que les questions de financement des projets nucléaires ont rencontré, jusqu'à présent, au sein de la BEI, de fortes oppositions pour des raisons tant politiques que techniques (les projets sont alors jugés risqués) au sein de l'UE et que les équilibres au sein des instances dirigeantes de la banque n'ont pas été favorables à de tels projets ces dernières années, ce qui constitue un frein au financement d'opérations dans ce domaine.

La nouvelle présidente de la BEI, Nadia Calviño, s'est montrée plus ouverte au financement de projets dans le secteur du nucléaire que son prédécesseur, l'Allemand Werner Hoyer, ouvertement opposé à cette énergie. Elle a ainsi estimé que chaque projet devrait être évalué au regard de ses avantages, de sa viabilité économique et financière, de sa compatibilité environnementale et de sa faisabilité technique. Elle a aussi reconnu le rôle et l'importance des petits réacteurs modulaires. Ces évolutions se sont récemment traduites par la mention de financements destinés au nucléaire dans le projet de feuille de route stratégique de la BEI pour 2024-2027, qui doit être adopté par le conseil des gouverneurs de la banque à la fin du mois de juin. Les petits réacteurs nucléaires (SMR) figurent parmi les exemples « d'investissement à fort impact dans un nombre limité de domaines stratégiques » pour lesquels la banque pourrait « adopter une approche plus proactive ». La BEI pourrait ainsi amorcer une rupture avec des années pendant lesquelles la question du nucléaire n'a pas été abordée, même si l'avancée envisagée apparaît limitée. La commission d'enquête ne peut qu'être favorable à une approche de la BEI qui respecte la neutralité technologique entre énergies bas-carbone et qui est d'ailleurs conforme à ses statuts. Elle demande l'ouverture des prêts de la BEI aux projets d'installations nucléaires.

Compte tenu de l'importance potentielle des financements de la BEI, la commission d'enquête estime nécessaire que le Gouvernement poursuive ses efforts pour que soit garantie l'éligibilité des projets de construction de nouveaux réacteurs nucléaires aux financements de la Banque européenne d'investissement (BEI).

Recommandation n° 4

Destinataire

Échéance

Support/Action

Garantir l'éligibilité aux financements de la Banque européenne d'investissement (BEI) des projets de construction de nouveaux réacteurs nucléaires

États membres (En France ministère chargé de l'énergie et ministère chargé de l'économie) Commission européenne

2025-2029

Actions des États membres

III. OÙ EN EST LA STRATÉGIE NATIONALE EN MATIÈRE D'ÉLECTRICITÉ ?

A. LE DISCOURS DE BELFORT : UN BON DÉPART ?

Point n'est besoin de refaire l'histoire du quasi-abandon de l'énergie nucléaire par les Gouvernements successifs depuis 2015, la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France47(*) a établi avec clarté le constat des responsabilités.

Rappelons simplement quelques étapes structurantes :

- En 2015, la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV), fixe un objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % à l'horizon 2025, au lieu des 75 % d'alors ;

- La même loi prévoit le plafonnement à 63,2 GW de la capacité nucléaire totale installée. Pour être implicite, l'objectif de cette disposition n'en est pas moins clair : ce plafonnement empêche en effet la mise en service de l'EPR de Flamanville, alors supposé être prêt en 2017, sans la déconnexion définitive d'une capacité nucléaire équivalente. Il s'agit donc de contraindre le Gouvernement, et EDF, à fermer une centrale nucléaire.

- Relevons que la loi a failli comporter, à la demande du ministère de l'Écologie, une autre disposition visant à imposer « une limitation de la durée de vie des centrales à 40 ans »48(*), ce qui apparaît aujourd'hui lunaire.

- Dans la foulée, la programmation pluriannuelle de l'énergie 2016-2023, adoptée via le décret no 2016-1442 du 27 octobre 2016, confirme l'objectif de 50 % de nucléaire dans la production d'électricité à l'horizon 2025. Elle précise que cet objectif « pourrait se traduire par une adaptation du parc nucléaire actuel, étape par étape, avec :

- des fermetures de certains réacteurs, avec à court terme la fermeture des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim ;

- des prolongations de l'exploitation de certains réacteurs au-delà de 40 ans, pour garantir la sécurité d'approvisionnement et éviter le recours à de nouveaux moyens de production à combustible fossile. »

L'élection d'Emmanuel Macron à la présidence de la République, en 2017, ne modifie pas substantiellement ces axes politiques. Du reste, le programme du candidat assumait l'objectif de faire baisser la part du nucléaire vers 50 % à l'horizon 2025 et de favoriser le développement des énergies renouvelables en doublant les capacités installées à l'horizon 2022. Pour le reste, il restait dans le flou. Par ailleurs, certaines déclarations pouvaient laisser penser que le candidat était, dans son for intérieur, moins défavorable que d'autres au nucléaire49(*).

Pour autant, après son élection, les actes sont là : la politique antérieure de fragilisation du nucléaire est poursuivie, avec deux dates particulièrement importantes :

le 27 novembre 2018, le président de la République présente les grandes orientations de la nouvelle programmation pluriannuelle de l'énergie et annonce que 14 réacteurs nucléaires seraient arrêtés d'ici 2035, dont quatre à six d'ici 2030 et que la centrale de Fessenheim fermera à l'été 2020. Il confirme que la part du nucléaire sera ramenée à 50 % de la production d'électricité, avec une amodiation toutefois, l'horizon de cette réduction est repoussé de 2025 à 2035.

La programmation pluriannuelle de l'énergie 2019-2023 adoptée via le décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 reprend ces objectifs et établit une « trajectoire d'évolution du parc électronucléaire » ainsi conçue :

- « 14 réacteurs nucléaires seront arrêtés d'ici 2035, dont ceux de la centrale de Fessenheim ;

Le principe général sera l'arrêt des réacteurs, hors Fessenheim, à l'échéance de leur 5ème visite décennale, soit des arrêts entre 2029 et 2035.

- Afin de lisser l'arrêt des réacteurs pour en faciliter la mise en oeuvre sur le plan social, technique et politique, le Gouvernement demande à EDF de prévoir la fermeture de 2 réacteurs par anticipation des 5èmes visites décennales en 2027 et en 2028 au titre de la politique énergétique.

- Le Gouvernement pourrait également demander à EDF l'arrêt de deux réacteurs supplémentaires, en 2025 - 2026 », en cas de risque de surcapacités ou de prix de marché trop bas.

Cependant, le 9 novembre 2021, lors d'une allocution télévisée le président de la République lance : « Nous allons, pour la première fois depuis des décennies, relancer la construction de réacteurs nucléaires dans notre pays. ». Le propos reste flou et peut englober aussi bien une véritable relance du nucléaire que le simple remplacement de certains réacteurs en fin de vie pour respecter l'objectif du mix à 50 %.

Il faudra néanmoins attendre le discours de Belfort du 10 février 2022 pour en savoir plus sur les intentions du chef de l'État.

Contrairement à une idée répandue, le discours de Belfort est loin de ne porter que sur le nucléaire. Au contraire, il dresse un panorama de la future politique énergétique de la France telle que souhaitée par le président de la République et évoque très largement les énergies renouvelables intermittentes.

Ainsi rappelle-t-il en premier lieu que l'enjeu central de cette politique doit être la compétitivité des entreprises et le pouvoir d'achat des ménages avec deux objectifs : « faire en 30 ans de la France le premier grand pays du monde à sortir de sa dépendance aux énergies fossiles » et « renforcer notre indépendance énergétique industrielle dans l'exemplarité climatique ».

Les « chantiers structurants » de cette politique énergétique seraient :

- la sobriété, non par la décroissance mais « par l'innovation »

- la production de davantage d'électricité décarbonée, ce qui suppose, selon le chef de l'État, d'augmenter de 60 % la production d'électricité et d'en modifier le mix.

Pour cela, le président de la République envisage de « développer massivement les énergies renouvelables », essentiellement parce qu'elles sont plus rapides à mettre en oeuvre que le nucléaire.

Les objectifs chiffrés en matière d'EnR sont ambitieux puisque sont préconisés :

- Le décuplement de la puissance installée d'énergie solaire pour la hisser à 100 GW en 2050 ;

- Le passage d'environ 1 GW en 2022 à...40 GW pour l'éolien en mer en 2050 ;

- Le doublement de la puissance installée d'éoliennes terrestres de 18,5 à 37 GW.

S'agissant des barrages hydroélectriques, le chef de l'État se garde bien de donner une cible chiffrée, compte tenu du différend qui oppose l'État à Bruxelles (Voir infra), mais appelle de ses voeux la reprise de l'investissement, « tout en gardant la pleine maîtrise, et en évitant les mises en concurrence ».

S'agissant du nucléaire, le président de la République appelle, dans une formule ambigüe, à « reprendre le fil de la grande aventure du nucléaire civil en France » et annonce avoir pris « deux décisions fortes ».

- « La première est de prolonger tous les réacteurs nucléaires qui peuvent l'être sans rien céder sur la sûreté. » ;

- La seconde est de « lancer dès aujourd'hui un programme de nouveaux réacteurs nucléaires ». Plus précisément, il s'agirait de la construction de 6 EPR2 et du lancement d'études pour 8 EPR2 additionnels et...éventuels. Mais, en l'espèce, serait-on tenté de dire, rien de vraiment nouveau sous le soleil, car il était nécessaire d'envisager le remplacement de certains réacteurs du parc historique et les 6 EPR2 étaient évoqués dès ...201950(*).

À côté de ces EPR2, le président de la République évoquait officiellement les pistes des SMR « Small Modular Reactor », ou petits réacteurs modulaires, et des réacteurs innovants dits « Advanced Modular Reactor », ou AMR, appartenant à la 4ème génération de réacteurs, « permettant de fermer le cycle du combustible et de produire moins de déchets ».

Au total, était évoqué « la mise en service de 25 GW de nouvelles capacités nucléaires d'ici 2050. »

Pour mener à bien le programme de construction des EPR2, bientôt appelé Nouveau nucléaire France (NNF), était annoncée la création d'une « direction de programme interministérielle dédiée au nouveau nucléaire sera créée pour en assurer le pilotage, coordonner les procédures administratives, s'assurer du respect des coûts et des délais des chantiers. EDF construira et exploitera les nouveaux EPR. »

Si on synthétise ce discours, on peut dire qu'il a donné un coup de fouet très attendu à la filière nucléaire. Mais c'était plus sa tonalité que son contenu même qui pouvait permettre d'évoquer une véritable « relance du nucléaire ». En matière de parc électrique, des pistes sont annoncées, mais somme toute assez modestes. On doit ainsi relever que l'ambition chiffrée porte surtout sur...les EnR, puisque que le président de la République annonce un total de 177 GW installée pour l'éolien et le solaire en 2050 contre.... 41, 6 GW en 2023.

B. LES INCERTITUDES QUI DEMEURENT DOIVENT ÊTRE LEVÉES PAR DES DÉCISIONS À PRENDRE RAPIDEMENT

S'il permet à la filière nucléaire de reprendre espoir sans pour autant mécontenter les filières des énergies intermittentes, le discours de Belfort, bel exercice de « en même temps », est loin de clarifier l'ensemble de la politique énergétique française.

D'abord, parce que tout ne relève pas du président de la République. Une politique énergétique engageant toute la nation devrait être concertée, débattue. Or, le moins que l'on puisse dire est que ce n'est pas le cas et, en particulier, que la Représentation nationale n'est pas associée aux choix structurants pour l'avenir. Le chef de l'État annonce des décisions, mais le Gouvernement, notamment du fait de son absence de majorité à l'Assemblée nationale et de dissensions internes, semble bien en peine de proposer au Parlement les textes qui devraient préciser la stratégie de l'État sur le long terme et donner une visibilité aux acteurs. Or, en tout état de cause, l'aval du Parlement sera nécessaire, en particulier pour permettre certaines évolutions législatives ou inscrire les ambitions de l'exécutif dans les lois de finances.

Plus profondément, tous les acteurs de la commission d'enquête ont souligné à quel point le secteur énergétique fonctionnait sur le temps long, qui se compte en décennies plus qu'en années, et avait besoin de stabilité. Cette stabilité suppose que la nation s'approprie les objectifs de l'État et que celui-ci les inscrive dans des vecteurs juridiques durables. Comment y parvenir sans ouvrir le débat largement avec la Représentation nationale ? En réalité, contourner le débat sur la politique énergétique de long terme de la France est un pari tactique qui permet de faire l'impasse sur une Assemblée nationale supposée rétive, mais c'est aussi l'assurance de fragiliser les choix opérés pour l'avenir.

Sur le fond, l'incertitude demeure sur l'ampleur et les modalités de mise en oeuvre du programme NNF. Sera-t-il de 6 ou de 14 EPR2, ou plus ? Sera-t-il financé par l'État, totalement, partiellement ? ou par EDF ? D'autres investisseurs seront-ils de la partie ?

Toujours sur le nucléaire, la timide avancée sur la 4ème génération, via les AMR, est à la fois très modeste, noyée dans l'ensemble SMR-AMR, et semble fâcheusement abandonnée à des start-up privées, soutenues par l'État et qui doivent être accompagnées par le CEA. Modeste, car l'annonce n'est manifestement pas à la hauteur de l'enjeu qui n'est rien moins que le passage le plus rapide possible à une nouvelle génération de réacteurs nous donnant une totale souveraineté en nous libérant du besoin d'uranium naturel 235 (cf. 3ème partie). Noyée dans l'ensemble SMR-AMR car, l'engouement pour les SMR, qui ne semble pas totalement justifié au rapporteur, risque de distraire d'importants moyens qui devraient prioritairement aller à la 4ème génération. Fâcheusement abandonnée aux start-up privées, car si l'apport de sociétés nouvelles et dynamiques peut être un atout, le nucléaire doit rester un élément régalien étroitement supervisé et coordonné par l'État. Le risque est ici une fuite de compétences (et de propriété intellectuelle ?) des organismes publics, comme le CEA, vers ces sociétés et une dispersion des efforts. À cet égard, relevons que les start-up retenues par le Gouvernement dans le cadre de France 2030 envisagent fréquemment des technologies différentes et, pour certaines, peu mâtures : réacteur à haute température (HTR)51(*), réacteur à neutrons rapides à caloporteur sels fondus52(*), réacteur à neutrons rapides à caloporteur plomb53(*), voire fusion nucléaire en « stellarator »54(*).

Ceci, alors même que la France a développé avec succès, y compris à de hauts niveaux de puissance, la technologie des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium. Nous reviendrons en 3ème partie sur cet enjeu absolument essentiel. L'une des carences essentielles du discours de Belfort est ainsi d'oublier l'avenir post-EPR qui, avec la raréfaction de l'uranium, exige que la France reprenne ses recherches sur les réacteurs à neutrons rapides.

S'agissant des EnR, des inconnus demeurent aussi et les objectifs lancés par le président de la République ressemblent un peu à la bouteille à l'encre. Notons d'abord que leur acceptabilité n'est pas garantie et sera décroissante à mesure de leur déploiement. Déjà, la saturation est proche pour l'éolien terrestre, l'éolien en mer provoque de nombreuses protestations eu égard notamment à sa visibilité depuis des côtes emblématiques du patrimoine naturel français (Champ de Belle-Île en mer et Groix par exemple), le solaire, à coup sûr, induira des crispations dans sa version parc photovoltaïque.

Cette faible acceptabilité sera souvent en lien, mais pas toujours, avec des conflits d'usage, par exemple avec la pêche55(*) ou l'agriculture, qui ne sont pas toujours bien évalués pour l'avenir. Rappelons que les énergies intermittentes comme l'éolien et le solaire sont très gourmandes en espaces. Jean-Marc Jancovici rappelait à raison que « sur 10 hectares, vous mettez 10 mégawatts de puissance (de solaire). 10 hectares, (...), c'est également l'emprise d'une centrale nucléaire sur laquelle vous avez 4 gigawatts de puissance. Donc 10 mégawatts, 4 gigawatts : 400 fois plus. Donc, le photovoltaïque au sol est très consommateur d'espace. C'est un de ses inconvénients. »56(*). Les éoliennes flottantes au sud de la Bretagne devraient occuper plus de 50 km2, soit l'équivalent de...5000 ha, pour générer environ 250 MW de puissance. Le ratio est à peine inférieur pour le parc éolien posé de Saint-Nazaire-Guérande, avec 480 MW de puissance pour 78 km2. Autrement dit, à puissance égale, un parc éolien en mer a besoin d'un espace entre 1 500 à 2 000 fois supérieur à celui d'une centrale nucléaire.

Les EnR intermittentes ne sont pas sans coût écologique, même si celui-ci est mal mesuré. En tout état de cause, les parcs éoliens sont contraints de demander et d'obtenir, pour fonctionner, des dérogations « espèces protégées » permettant aux exploitants la destruction ou le dérangement d'individus appartenant à des espèces protégées. C'est une des raisons qui ont poussé des ONG de protection de l'océan, comme Sea Shepherd, à demander un moratoire sur l'éolien en mer et, a minima, l'interdiction de toute éolienne à moins de 40 km des côtes57(*).

D'autres coûts écologiques sont identifiables et, au premier chef, un coût carbone58(*) qui, s'il est bien meilleur que celui du charbon, du gaz naturel, ou du pétrole59(*), est nettement moins favorable que celui du nucléaire ou de l'hydraulique :

- nucléaire et hydraulique : 6 Kg de CO2/Mwh ;

- éolien terrestre : 14,1 ;

- éolien en mer : 15,6 ;

- solaire : 43.

Enfin, l'analyse des énergies intermittentes ne peut faire l'impasse sur leurs coûts réels, trop souvent minorés dans les présentations officielles, qui doivent notamment prendre en compte, les coûts de raccordements, les coûts de maintenance, les coûts « système », notamment pour l'intégration au réseau et son équilibre. Ces éléments sont développés dans la 3ème partie.

C. PPE, SNBC, SFEC, PNIEC... DES TEXTES INSUFFISAMMENT COORDONNÉS ET POUR CERTAINS OBSOLÈTES

La stratégie française dans le domaine de l'énergie repose sur un ensemble de textes, certes structurants pour la définition des politiques publiques, mais qui nuisent, par leur pluralité et leur redondance, mais aussi, disons-le par leur caractère très évolutif pour ne pas dire éphémère, à la bonne articulation et à la lisibilité de l'action des pouvoirs publics. Par ailleurs nombre d'objectifs qui ont été définis dans ce cadre ne sont plus adaptés ni aux orientations fixées au niveau européen ni aux annonces formulées dans le discours de Belfort par le président de la République, ni surtout aux enjeux des prochaines années et décennies.

1. Une stratégie française, déclinée en une pluralité de documents, toujours en cours de révision
a) Un scénario commun pour des documents pluriels

La stratégie française en matière d'énergie et de climat (SFEC) vise à réussir la transition vers la neutralité carbone à l'horizon 2050, en :

- décarbonant complètement l'énergie utilisée à l'horizon 2050 (à l'exception du transport aérien) ;

- diminuant de moitié les consommations d'énergie dans tous les secteurs d'activité, en développant des équipements plus performants et en adoptant des modes de vie plus sobres ;

- réduisant au maximum les émissions non énergétiques, issues très majoritairement du secteur agricole et des procédés industriels ;

- augmentant et sécurisant les puits de carbone.

Elle s'inscrit dans le cadre de la loi relative à l'énergie et au climat du 8 novembre 2019. Cette loi fixe le cadre, les ambitions et la cible de la politique énergétique et climatique de la France aux horizons 2030 et 2050. 

La SFEC comporte deux volets :

- la deuxième stratégie nationale bas-carbone (SNBC2), adoptée le 21 avril 2020, qui fixe la feuille de route pour réduire les émissions de gaz à effet de serre jusqu'à 2050 avec des objectifs détaillés et des indicateurs de suivi pour chacun des grands secteurs émetteurs ;

- la deuxième programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE2), adoptée le 21 avril 2020, qui détermine les priorités d'actions des pouvoirs publics dans le domaine de l'énergie afin d'atteindre les objectifs de politique énergétique définis par la loi, sur deux périodes quinquennales successives, 2019-2023 et 2024-2028.

La SFEC s'articule par ailleurs avec différents plans, programmes et stratégies de niveau national qui déclinent de manière opérationnelle ses priorités d'action, tels que la stratégie de développement de la mobilité propre, annexée à la PPE, le plan de réduction des émissions de polluants atmosphériques, la stratégie nationale de recherche énergétique, la stratégie nationale de mobilisation de la biomasse. Elle est complétée par le Plan national d'adaptation climatique 2018-2022 (PNACC-2) qui doit mettre en oeuvre les actions nécessaires pour adapter, d'ici 2050, les territoires de la France métropolitaine et outre-mer, aux changements climatiques régionaux attendus.

En outre, la réglementation européenne prévoit que les États membres établissent, à intervalles réguliers, des plans nationaux intégrés en matière d'énergie et de climat (PNIEC)60(*), couvrant des périodes de dix ans, qui sont transmis à la Commission européenne. Le plan de la France est fondé sur les deux documents nationaux de programmation et de gouvernance sur l'énergie et le climat, la SNBC et la PPE.

La stratégie française en matière d'énergie et de climat vise ainsi à traiter de manière cohérente et intégrée les enjeux de la décarbonation et à renforcer l'articulation nécessaire entre les politiques d'atténuation et d'adaptation au changement climatique. Toutefois, sa structuration en plusieurs documents qui ont tendance à s'imbriquer sans se correspondre parfaitement ne contribue pas à en appréhender toutes les composantes ni à garantir la lisibilité d'une politique énergétique et climatique nationale dont les volets sont nécessairement interdépendants. Trop de stratégies nuisent à la stratégie, et trop de plans nuisent à la planification.

b) Une révision législative qui se fait attendre

Depuis la loi relative à l'énergie et au climat du 8 novembre 2019, les objectifs ainsi que les priorités de la politique nationale en matière de climat et d'énergie doivent, en principe, être inscrits dans la loi. La loi de 2019 a, en effet, inséré un article L 100-1-A, toujours en vigueur, au code de l'énergie disposant que « Avant le 1er juillet 2023, puis tous les cinq ans, une loi détermine les objectifs et fixe les priorités d'action de la politique énergétique nationale pour répondre à l'urgence écologique et climatique.

« Chaque loi prévue au premier alinéa du présent I précise :

« 1° Les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour trois périodes successives de cinq ans ;

« 2° Les objectifs de réduction de la consommation énergétique finale et notamment les objectifs de réduction de la consommation énergétique primaire fossile, par énergie fossile, pour deux périodes successives de cinq ans, ainsi que les niveaux minimal et maximal des obligations d'économies d'énergie prévues à l'article L. 221-1 du présent code, pour une période de cinq ans ;

« 3° Les objectifs de développement des énergies renouvelables pour l'électricité, la chaleur, le carburant et le gaz pour deux périodes successives de cinq ans ;

« 4° Les objectifs de diversification du mix de production d'électricité, pour deux périodes successives de cinq ans ;

« 5° Les objectifs de rénovation énergétique dans le secteur du bâtiment, pour deux périodes successives de cinq ans ;

« 6° Les objectifs permettant d'atteindre ou de maintenir l'autonomie énergétique dans les départements d'outre-mer.

« II.- Sont compatibles avec les objectifs mentionnés au I :

« 1° La programmation pluriannuelle de l'énergie mentionnée à l'article L. 141-1 ;

« 2° Le plafond national des émissions de gaz à effet de serre, dénommé “ budget carbone ”, mentionné à l'article L. 222-1 A du code de l'environnement ;

« 3° La stratégie nationale de développement à faible intensité de carbone, dénommée “ stratégie bas-carbone ”, ainsi que les plafonds indicatifs des émissions de gaz à effet de serre dénommés “ empreinte carbone de la France ” et “ budget carbone spécifique au transport international ”, mentionnés à l'article L. 222-1 B du même code ;

« 4° Le plan national intégré en matière d'énergie et de climat et la stratégie à long terme (...) ;

« 5° La stratégie de rénovation à long terme, mentionnée à l'article 2 bis de la directive 2010/31/ UE du Parlement européen et du Conseil du 19 mai 2010 sur la performance énergétique des bâtiments (...). »

Tel qu'il figure toujours sur le site du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, le calendrier d'actualisation de la Stratégie française sur l'énergie et le climat prévoit une adoption de la toute première loi de programmation de l'énergie et du climat (LPEC) en 2023.

Le calendrier d'élaboration de la SFEC selon le ministère de la Transition écologique

Le calendrier d'élaboration de la SFEC est le suivant :

- Octobre 2021 : lancement des travaux d'élaboration de la Stratégie française sur l'énergie et le climat ;

- Du 2 novembre 2021 au 15 février 2022 : concertation publique volontaire sur les grandes orientations de la politique climatique ;

- Du 20 octobre 2022 au 22 janvier 2023 : concertation nationale sur le mix énergétique « Notre avenir énergétique se décide maintenant » ;

- 2023 : adoption de la première loi de programmation sur l'énergie et le climat (LPEC) à l'issue du débat parlementaire ;

- 2023-2024 : concertations préalables « réglementaires » sur la PPE et la SNBC à l'issue de l'adoption de la LPEC, consultations obligatoires (Conseil supérieur de l'énergie, Conseil national de la transition énergétique, consultation du public, etc.) sur les projets de PPE et de SNBC ;

- 2024 : adoption de la 3ème Stratégie nationale bas-carbone, de la 3ème Programmation pluriannuelle de l'énergie, et du 3ème Plan national d'adaptation au changement climatique.

Source : ministère de la transition écologique

Dans les faits, le Gouvernement a renoncé à présenter un projet de loi de programmation de l'énergie et du climat et a annoncé qu'il se contenterait de la voie réglementaire, via les décrets adoptant la programmation pluriannuelle de l'énergie et la stratégie nationale bas-carbone, pour fixer objectifs et trajectoires de la politique énergétique.

Dans ce cadre, il a soumis à consultation publique, le 22 novembre 2023, un document présentant les grandes orientations envisagées pour la prochaine PPE et devrait produire prochainement, pour consultation publique, un document exposant les grandes orientations envisagées à l'horizon 2030 pour la prochaine SNBC.

Ce faisant, non seulement l'exécutif ne respecte pas la loi de 2019, mais plus profondément, comme cela a déjà été exposé, une telle méthode n'est absolument pas adaptée au temps long de la politique énergétique. Celle-ci exige une concertation large, incluant des experts et acteurs du secteur énergétique, et la consultation de la Représentation nationale afin que toutes les hypothèses puissent être présentées et évaluées, puis que les choix deviennent effectivement ceux de la nation et bénéficient d'une légitimité incontestable leur conférant la stabilité indispensable.

La commission d'enquête estime indispensable que la politique énergétique de la France soit portée par un texte pluriannuel de valeur législative. Elle recommande d'examiner l'hypothèse de programmations pluridécennales glissantes, qui pourraient ensuite être précisées par tranches quinquennales.

2. Des objectifs obsolètes au regard des enjeux de la transition énergétique et climatique

La SNBC, adopté en 2020, n'est d'ores et déjà plus compatible avec les objectifs fixés par l'Union européenne pour 2030. Il en va de même de la programmation pluriannuelle de l'énergie 2019-2028, en raison notamment de l'obsolescence d'un certain nombre d'objectifs climatiques qui nécessitent de renforcer les ambitions nationales, en particulier dans le secteur de la production énergétique décarbonée et de l'électrification, mais aussi du fait des inflexions que l'exécutif lui-même a voulu donner à la politique énergétique.

La SNBC devra ainsi s'inscrire dans le cadre de la neutralité carbone à l'horizon 2050 en définissant une trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre compatible avec cet objectif. La mise en oeuvre du règlement européen relatif à la réduction des émissions de gaz à effet61(*) requiert des mesures d'adaptation visant à retranscrire, dans cette stratégie, l'objectif de réduction des gaz à effet de serre pour 2030 dans les secteurs des transports, du bâtiment, de l'agriculture, des déchets et des industries hors marché carbone européen. Le Gouvernement prévoit de procéder à cette adaptation par voie réglementaire en 2025. Elle devra prendre notamment en compte l'objectif réhaussé de réduction de 50 % des émissions brutes de gaz à effet de serre en 2030 par rapport au niveau de 1990.

La nouvelle PPE devra définir la transformation du système énergétique français sur les périodes 2025-2030 et 2030-2035, et prendre en compte le renforcement des objectifs climatiques de l'UE. Outre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle devra réévaluer l'objectif de baisse de la consommation d'énergies fossiles et de la consommation finale d'énergie. Le Gouvernement prévoit de réduire cette part respectivement, de 42 % en 2030 et de 29 % en 2035, et, de 40 à 50 % d'ici à 2050 par rapport à 2021, et de 30 % en 2030 par rapport à 2012, soit un doublement des objectifs précédents.

La PPE devrait aussi prendre en compte les objectifs fixés par la directive européenne sur les énergies renouvelables dite RED III62(*) qui prévoit que « les États membres veillent collectivement à ce que la part d'énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d'énergie de l'Union en 2030 soit d'au moins 42,5 % » et « les États membres s'efforcent collectivement de porter à 45 % la part d'énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d'énergie de l'Union en 2030 », ce qui représente un quasi-doublement par rapport à l'objectif précédent. Ces dispositions devraient être intégrées dans le cadre de la révision de la PPE pour la période 2024-2028. Cela étant, comme cela a été précisé, ces objectifs de proportion d'énergies renouvelables dans le bouquet énergétique vont directement à l'encontre des principes de l'article 194 du TFUE qui laisse les États membres seuls maîtres de leur mix.

Enfin, - et c'est sans doute le point le plus important -, la PPE actuelle prévoit la réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 % en 2035, avec la fermeture de quatorze réacteurs nucléaires, en parfaite contradiction avec les annonces du président de la République sur la relance du nucléaire, et avec la loi du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes.

D. L'ÉVALUATION DU PROJET FRANÇAIS DE PNEC PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE

L'élaboration d'une stratégie nationale sur l'énergie et le climat s'inscrit aussi dans un cadre européen qui a, dès 2018, introduit des obligations de programmation, de planification et de suivi des progrès réalisés aux États membres, considérant qu'ils induisaient des vecteurs de changement au niveau national.

1. Des recommandations de la Commission européenne qui s'imposent aux États membres

Comme cela a été indiqué, les plans nationaux en matière d'énergie et de climat (PNEC) ont été instaurés par le règlement sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat (UE) 2018/199963(*), adopté dans le cadre du paquet « Une énergie propre pour tous les Européens ».

Les plans font état des mesures que les États membres prévoient de prendre en matière de décarbonation, d'énergies renouvelables, d'efficacité énergétique, de sécurité d'approvisionnement énergétique, de marché intérieur de l'énergie, de recherche et d'innovation.

La Commission européenne est chargée d'évaluer les projets de plans nationaux intégrés en matière d'énergie et de climat et peut formuler des recommandations par pays aux États membres. Chaque État membre est tenu de prendre en compte les recommandations éventuelles de la Commission dans son plan national intégré. S'il ne donne pas suite à une recommandation, il doit en fournir et en publier la justification. Les échéances de publication de ces plans sont fixées par le règlement européen.

Les États membres devaient ainsi définir les politiques qu'ils entendaient mettre en place pour la période 2021-2030 afin d'atteindre les objectifs que l'UE avait fixés en 2018 dans le cadre de plans nationaux en matière d'énergie et de climat (PNEC), présentés à la Commission en 2019 et 2020. Ils devaient faire rapport, au plus tard le 15 mars 2023 et tous les deux ans par la suite, sur les mesures qu'ils ont prises. Pour le 30 juin 2023 au plus tard, les États membres devaient soumettre à la Commission un projet de mise à jour de leur PNEC afin de tenir compte du niveau d'ambition accru des objectifs de l'UE, à moins d'être en mesure de fournir à la Commission une justification du fait que le plan ne nécessite pas de mise à jour. La Commission a évalué ces projets actualisés et formulé des recommandations, dont les États membres devaient tenir compte avant de soumettre leurs plans définitifs, au plus tard le 30 juin 2024.

Les pays de l'UE étaient également tenus d'élaborer des stratégies nationales à long terme, au plus tard le 1er janvier 2020, et d'assurer la cohérence entre les stratégies à long terme et les PNEC décennaux. Pour la France, ces derniers sont construits sur la base des projets de SNBC et PPE établis à date. Dans ce cadre, la DGEC a d'ailleurs précisé que « la synchronisation imparfaite entre l'exercice PNIEC, qui s'achèvera en juin 2024 avec la remise du rapport final, et les exercices PPE et SNBC, dont les versions finales ne seront disponibles qu'en 2025, pourront conduire à quelques évolutions de chiffres entre le rapport PNIEC et les PPE et SNBC révisés »64(*).

Disons-le clairement, l'articulation entre des plans français en perpétuelle évolution et des textes européens eux-mêmes très évolutifs n'est pas une mince affaire. Il ne s'agit plus d'électricité mais d'une véritable « usine à gaz ». On peut du reste se demander sur quelle base se fondent les négociateurs français lors des négociations à Bruxelles des objectifs européens.

2. Des éléments manquants pour atteindre les objectifs en matière d'énergies renouvelables

La France a présenté son projet de mise à jour de son plan national intégré en matière d'énergie et de climat, le 11 novembre 2023, soit avec quelques mois de retard par rapport au calendrier de la Commission européenne.

Résumé des principaux objectifs, cibles et contributions
du projet de PNEC actualisé de la France

Objectifs européens

Cible proposée par la France pour 2020

Progrès réalisés en 2020

Cible UE pour 2030

Évaluation de l'ambition par la CE du PNEC

Objectif contraignant pour les émissions de GES par rapport à 2005 dans le cadre du règlement ESR65(*)

 

2021 : -19,4 %

2022 : -21,6 %

- 47,5 %

Non conforme (PNEC : - 46,4 %)

Objectif contraignant pour la réduction des GES dans le cadre du règlement LULUCF66(*)

 

Éliminations nettes déclarées CO2 : 17,06 Mt en 2021 et 16,92 Mt en 2022

- 6,69 Mt éq. CO(supplémentaire)

-34 Mt éq. CO(total des absorption totales)

Ambitions insuffisantes qui ne permettent pas d'atteindre l'objectif

Part de l'énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale brute d'énergie

2020 : 23 %

2021 : 19,34 %

 

La France n'a pas atteint l'objectif de 2020 et n'a pas ne fournit pas d'indications sur la manière dont elle a l'intention d'atteindre son niveau de référence contraignante. La France n'a pas soumis contribution pour 2030.

Niveau de consommation d'énergie primaire

226,4 Mtep

2021 : 224,8 Mtep

157,3 Mtep

Conforme

Consommation d'énergie finale

137.9

Mtep

2021 : 143.6

Mtep

104 Mtep

Conforme

Interconnexions électriques

8.5 %

5 %

15 %

n.c.

Source : Commission d'enquête d'après la recommandation de la Commission européenne

Après un examen détaillé des engagements de la France, la Commission européenne a formulé un certain nombre de remarques et de recommandations portant notamment sur le secteur de l'énergie67(*). Elle lui a demandé de revoir plusieurs objectifs et cibles en cohérence avec les ambitions européennes en matière climatique et énergétique. La France doit ainsi :

- définir des actions et mesures supplémentaires présentant un bon rapport coût-efficacité pour combler l'écart prévu de 1,1 point de pourcentage, afin de respecter son objectif national, fixé par le règlement sur la répartition de l'effort, de réduire les émissions de gaz à effet de serre de - 47,5 % en 2030 par rapport à 2005 à l'échelle de l'UE ;

- revoir fortement à la hausse, en la portant à au moins 44 %, la part des énergies renouvelables qu'elle ambitionne d'atteindre à titre de contribution à l'objectif contraignant de l'Union en matière d'énergies renouvelables à l'horizon 2030 ; ces mesures doivent permettre de combler le retard pris par rapport à son objectif national contraignant en matière d'énergies renouvelables fixé pour 2020 ;

- fournir une estimation des trajectoires et un plan à long terme pour le déploiement des technologies dans le domaine des énergies renouvelables au cours des dix prochaines années, avec une perspective à l'horizon 2040, d'inclure un objectif indicatif pour les technologies innovantes en matière d'énergies renouvelables, d'ici à 2030 ;

- poursuivre l'élaboration de politiques et de mesures détaillées et quantifiées, de manière à pouvoir apporter, avec un bon rapport coût-efficacité, la contribution nationale de la France à l'objectif contraignant de l'UE en matière d'EnR de 42,5 % en 2030 (assorti d'un objectif indicatif supplémentaire de 2,5 % qui devrait permettre d'atteindre 45 %).

Force est de remarquer que la Commission européenne concentre ses recommandations sur les énergies renouvelables. Le Gouvernement n'a délibérément communiqué à la Commission aucun objectif dans ce domaine. D'ici la fin du mois de juin, la France devait cependant justifier auprès de celle-ci la manière dont les politiques nationales envisagées en matière d'énergie et de climat permettront d'atteindre les objectifs fixés par l'UE à l'horizon 2030. La commission d'enquête réaffirme avec force son opposition à ce que la Commission européenne et les textes de l'Union fixent des objectifs nationaux portant sur une ou plusieurs catégories d'énergie, dès lors qu'elles sont décarbonées, ce qui va à l'encontre du principe de neutralité technologique et est contraire à l'article 194 du TFUE qui garantit le droit, pour chaque État membre, de décider de son bouquet énergétique et de choisir les technologies ou procédés utilisés.

E. L'ABSOLUE NÉCESSITÉ D'UNE PROGRAMMATION DE LONG TERME SUR L'ÉNERGIE

Avant le 1er juillet 2023, le Parlement aurait dû adopter la loi de programmation quinquennale sur l'énergie et le climat, comme le prévoit le code de l'énergie dans son article L. 100-1 A. Il revient, en effet, à la Représentation nationale de définir « les objectifs et de fixer les priorités d'action de la politique énergétique nationale pour répondre à l'urgence écologique et climatique ». Dans les six mois, c'est-à-dire au début de l'année 2024, une programmation pluriannuelle de l'énergie et une stratégie nationale bas-carbone actualisée devaient aussi être adoptées.

La commission d'enquête constate qu'aucun texte n'a été déposé sur le Bureau d'une des assemblées près d'un après le terme fixé par la loi. Un avant-projet de loi relatif à la souveraineté a bien été présenté au mois de janvier 2024. Pourtant il n'a toujours pas été inscrit à l'ordre du jour du Parlement. Et le Gouvernement, après nombre d'atermoiements, a annoncé qu'en définitive ce texte ne verrait pas le jour.

Roland Lescure, ministre de l'Industrie et de l'Energie a clairement assumé ce choix devant la commission d'enquête : « Après mes discussions avec les parlementaires qui suivent les sujets énergétiques de près, j'ai abouti à la conclusion que le mix énergétique nécessitait un passage par décret. En effet, je considère que les incertitudes, plutôt à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, d'ailleurs, sur la capacité à aboutir à un consensus autour du mix énergétique français dans les cinquante années à venir, étaient trop grandes. »68(*)

Or, notre pays a évidemment besoin d'une programmation qui définisse les grandes orientations sur le long terme des politiques énergétique et climatique.

Cette absolue nécessité de disposer d'une loi de programmation en matière d'énergie et de climat a aussi été rappelée avec force, à de nombreuses reprises, par les acteurs économiques du secteur. « Nous avons besoin d'une loi de programmation sur l'énergie. Elle devait être adoptée, au titre de la loi « climat et résilience », avant juillet 2023. Il faut s'y engager sans tarder, car l'ampleur de ces transformations et des obstacles à franchir nécessite un peu de consensus et de la visibilité », a ainsi déclaré Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), lors de son audition devant la commission d'enquête, le 6 mars 2024.

Nicolas Goldberg, associé énergie et environnement chez Colombus Consulting, en a signalé l'importance majeure à la commission d'enquête, lors de son audition : « Cependant, tous ces leviers seront vains en l'absence de programmation énergétique sérieuse. Si nous ne programmons pas nos objectifs en termes d'évolutions de notre système énergétique, de maîtrise de la consommation, de décarbonation de l'économie et d'électrification, nous serons condamnés à payer des boucliers tarifaires et à éponger la casse sociale et industrielle. Nous avons besoin de cette programmation énergétique pour le climat mais aussi pour notre compétitivité économique et la préservation de notre tissu social »69(*).

Les acteurs de la filière nucléaire ont aussi rappelé que leurs projets avaient besoin de stabilité et se concevaient sur le temps long. À titre d'exemple, Nicolas Maès, directeur général d'Orano, avait présenté à la commission d'enquête un véritable plaidoyer pour inscrire la stratégie française en matière de cycle du combustible nucléaire dans un texte législatif : « Si nous admettons ensuite que, quels que soient le mix énergétique et la part du nucléaire dans ce mix, il y aura besoin du cycle, dans son amont et dans son aval, alors cela ne sert à rien de repousser des décisions inévitables. Puisqu'il va falloir les prendre, prenons-les ! Cela permet de les gérer ensuite dans le temps et de ne pas démarrer les projets en retard.

Faire voter par la représentation nationale la pérennisation de la stratégie de traitement-recyclage l'ancrerait dans la loi et lui offrirait une légitimité politique, à l'instar de la loi Bataille, qui a créé un consensus politique autour de la légitimité du projet de stockage géologique des déchets, Cigéo, dont vous parliez tout à l'heure. Il peut y avoir d'autres moyens, mais la préférence d'Orano va vers la loi, pour la légitimité politique qu'elle confère.

Faut-il décider très vite maintenant ? Cela ne sert à rien de repousser des décisions inéluctables. Pour mobiliser la chaîne de sous-traitance, il faut y aller maintenant, et se lancer dans des décisions pour l'aval du cycle. »70(*)

Tout cela, sans compter que la France doit avoir une stratégie au sein de l'Union européenne et disposer d'un socle solide, expertisé, concerté et légitime pour la défendre.

Yves Bréchet, ancien Haut-commissaire à l'énergie atomique, a ainsi souligné la nécessité impérieuse de tenir compte des « échelles de temps » spécifiques de l'énergie : « Dans un monde ou le discours prime l'action et l'évènement sur la durée, on a juste oublié les échelles de temps nécessaires pour une politique énergétique rationnelle : compte tenu des investissements nécessaires, et de leur durée d'exploitation, une politique énergétique doit être définie à l'échelle de plusieurs décennies. Les « programmations pluriannuelles de l'énergie » qui portent sur quelques années seulement, sont des outils de communication, pas des outils de programmation, il est urgent d'en prendre conscience. »71(*)

La commission d'enquête fait sienne cette vision à long terme et estime nécessaire que la France se dote d'une stratégie pluridécennale, fondée sur un socle scientifique et non idéologique, dont les programmations pluriannuelles, les PPE, devraient être une déclinaison concrète glissante et non un outil de communication. Sa réussite dépend de notre capacité à anticiper ce qui sera notre futur énergétique. Il en va de l'avenir de notre souveraineté énergétique et industrielle.

La commission d'enquête estime donc que la France doit se doter, dans les meilleurs délais, d'une loi de programmation sur trente ans qui doit définir ses objectifs énergétiques. Le rôle du Parlement est d'être au coeur de ces débats qui seront l'occasion d'une véritable concertation avec les acteurs industriels mais, au-delà, méritent de faire l'objet d'une large appropriation par les Français. C'est dans cet esprit, et avec l'intention de fournir une base rationnelle, équilibrée et pragmatique à de tels débats que la commission d'enquête a travaillé.

Recommandation n° 5

Destinataire

Échéance

Support/Action

Proposer et déposer un texte de programmation énergie-climat afin que les grandes orientations stratégiques de la politique énergétique soient débattues au Parlement

Gouvernement

Parlement

2024

Projet de loi de programmation pluriannuelle

IV. LES MARCHÉS DE L'ÉLECTRICITÉ : DES IMPERFECTIONS RÉDHIBITOIRES QUI NECESSITAIENT UNE RÉFORME

À côté du cadre européen et des règles nationales, un troisième élément détermine largement l'évolution des stratégies énergétiques et électriques en Europe : les marchés. Ceux-ci sont devenus essentiels dans la fixation des prix de l'électricité depuis la libéralisation des années 2000. Cependant, l'analyse de leur fonctionnement conduit à s'interroger sur leur pertinence et leur capacité à orienter les investissements électriques de façon correcte. Les régulations mises en place se sont révélées défaillantes. Au total, les marchés de détail, c'est-à-dire les contrats de fourniture réellement payés par les consommateurs, n'ont pas offert une protection et une stabilité des prix suffisantes aux consommateurs, comme l'a démontré la récente crise de l'énergie.

A. LES DÉFICIENCES MANIFESTES DES MARCHÉS DE GROS

La libéralisation du marché de l'électricité en Europe a conduit à la création de marchés de gros qui organisent les échanges et assurent la formation du prix. Ces marchés, qui répondent à des caractéristiques et des modes de fonctionnement différents, permettent aux acteurs - producteurs et consommateurs - qui le souhaitent d'acheter et de vendre de l'électricité à tous les horizons de temps, de quelques heures à plusieurs années à l'avance.

L'organisation des marchés de gros a été conçue autour de quatre principes : la solidarité entre pays de l'Union, la sécurité d'approvisionnement, l'efficacité économique et la transparence. Ils contribuent aussi par leur intégration à l'échelle européenne à l'optimisation des moyens de production et de consommation disponibles, permettant à la France à la fois d'assurer ses besoins d'importation d'électricité lors des pointes de consommation et d'exporter ses excédents de production dans les États voisins.

Or, l'architecture de ces marchés, fondée sur une optimisation à court terme du système électrique, présente des déficiences qui sont autant de freins à la réalisation des investissements nécessaires à la transition énergétique.

1. Une architecture organisée entre marché spot et marchés à terme

Le marché de gros de l'électricité est ainsi structuré en deux catégories, le marché spot et les marchés à terme. Son fonctionnement repose sur un mécanisme de formation des prix fondé sur un ordre de priorité entre les offres de production d'électricité.

a) Une optimisation du système électrique, le principe du « merit order »

Le marché européen de l'électricité est régi par un principe d'efficacité économique, le principe du « merit order », reposant sur un coût marginal de production croissant. Le coût marginal est le coût de production d'une unité supplémentaire d'électricité indépendamment des frais fixes (amortissements, coûts fixes d'entretien et d'exploitation, etc.). Ce coût marginal correspond donc largement au coût du combustible nécessaire pour produire cette unité supplémentaire d'électricité. Il peut être inexistant, voire nul dans le cas des énergies renouvelables72(*), puisqu'en eux-mêmes le soleil et le vent ne coûtent rien.

Sachant que la production d'électricité relève de technologies très différentes et substituables, la priorité est ainsi donnée aux offres de production les moins chères, et en général les plus propres, pour répondre à la demande. À chaque instant, la centrale la moins coûteuse, selon le coût marginal, en Europe est appelée, puis, celle un peu plus coûteuse, jusqu'à ce que l'ensemble de la demande soit couverte. Pour répondre aux pics de consommation ponctuels et pour maintenir l'équilibre du réseau, des centrales additionnelles que sont les centrales à gaz et au charbon sont ainsi régulièrement mises en fonctionnement. Or, elles présentent des coûts marginaux de production plus importants, principalement déterminés par le coût du combustible utilisé et par le prix du carbone, contribuant à faire augmenter le prix de l'électricité.

Comme le souligne EDF dans sa réponse à la commission d'enquête73(*), « il s'agit d'un principe fondamental de formation d'un prix en économie de marché qui révèle la tension de l'équilibre entre offre et demande. Il permet d'assurer en permanence l'appel efficient des installations partout en Europe au moindre coût et l'utilisation la plus pertinente des interconnexions entre marchés nationaux, pour répondre efficacement à la demande depuis plus de vingt ans. Il permet d'inciter à une utilisation efficace, au meilleur moment des stocks d'énergie limités, comme par exemple les stocks hydrauliques des lacs, et d'indiquer le meilleur moment auquel activer des effacements de consommation. Il constitue en cela un élément important dans l'intégration européenne en matière d'énergie, au bénéfice de notre sécurité d'approvisionnement au meilleur coût ».

Le graphique ci-après présente le classement des différents moyens de production en fonction de leur coût marginal. Le prix s'établit donc au niveau de la dernière centrale appelée qui fonctionne avec des énergies fossiles, ce qui, du reste, apparaît paradoxal pour la France qui dispose d'un parc électrique très largement décarboné et particulièrement compétitif. Ce mécanisme, associé à l'utilisation optimale des interconnexions, assure cependant que le coût global de production est le moins cher possible à l'échelle européenne. Les prix peuvent donc être très faibles, voire négatifs, en cas de faible consommation et de forte production d'énergies renouvelables.

La commission d'enquête suggère de confier à RTE une étude relative au mécanisme de détermination du prix de gros sur le marché spot de l'électricité dans le cadre d'un mix électrique totalement décarboné, ce qui est l'objectif commun européen à 2050.

Le merit order par type d'énergie appelée

Source : Engie

b) Le marché spot repose sur une optimisation des capacités d'échange à l'échelle européenne

La formation des prix spot de l'électricité se réalise au travers du couplage des marchés européens, qui repose sur une enchère journalière pour la journée du lendemain, et un marché continu pour livraison le même jour. Le prix spot détermine, à l'échelle européenne, le programme d'appel des centrales ainsi que les flux d'électricité entre les pays, qui sont ensuite ajustés sur le marché infra-journalier. Il peut aussi refléter la propension à payer du dernier demandeur servi. La production offerte et valorisée sur le marché spot est rémunérée à ce prix par les demandeurs.

Le prix spot varie en fonction des variations de la consommation (jour-nuit, week-end-semaine...) et de la production (vent, soleil, hydraulicité, disponibilité du parc de production...). Les règles de formation des prix sont uniformes en Europe, mais les prix qui en résultent ne sont pas uniformes et ils peuvent différer fortement dès lors que les capacités d'échange d'électricité entre deux pays sont saturées.

Ces enchères sont réalisées sur différentes plateformes européennes de bourses. Les deux principales bourses qui opèrent notamment sur le marché de l'électricité en Europe sont EPEX Spot et Nord Pool Spot.

Lors de la table ronde sur le fonctionnement des marchés de l'électricité, Philippe Vassilopoulos, directeur du développement de produits d'EPEX SPOT, a ainsi défini le rôle de ce marché spot : « Nous ne sommes pas négociateurs d'électricité ; nous n'en achetons pas ni n'en vendons ; nous organisons la confrontation la plus large possible entre l'offre et la demande et c'est notre métier au quotidien. Tous les jours, on réalise une enchère dite « day-ahead » - la veille pour le lendemain - qui permet la confrontation entre acheteurs et vendeurs sur une zone de prix donnée, en France, en Allemagne, en Autriche, en Suisse et dans pratiquement la quasi-totalité des marchés européens. L'objectif de cette enchère, où les principaux volumes vont se retrouver, est bien entendu de définir un prix qui joue un rôle fondamental car il va permettre à des installations à travers toute l'Europe de démarrer ou de s'arrêter au bon moment »74(*).

Les couplages de marché, qu'ils soient journaliers et infrajournaliers, visent à optimiser l'utilisation des capacités d'interconnexions et, par conséquent, les capacités transfrontalières entre les différents pays européens. Ils cherchent ainsi à maximiser les échanges permettant de substituer des productions d'électricité plus coûteuses par des productions moins onéreuses dans d'autres pays. L'intégration de cette optimisation des échanges transfrontaliers au sein du marché de l'énergie incite les producteurs à révéler leurs vrais coûts variables au travers de leurs offres sur le marché.

On relèvera une spécificité française qui donne une plus grande place au prix de court terme que dans les pays voisins. Comme l'a noté Stéphane Michel, directeur général Gaz, électricité et énergies renouvelables de TotalEnergies lors de son audition par la commission d'enquête : « Un client qui souhaiterait, en France, acheter de l'électricité sur une durée de cinq ans, n'y parviendrait pas. La raison en est simple. Au départ, de la concurrence a été instillée dans un marché où étaient présents des acteurs historiques. L'objectif était de permettre aux clients de quitter ces derniers en toute facilité, pour changer de contrat. Le corollaire de cette situation, a abouti à ce que les prix se fixent sur le court terme, alors même que l'énergie n'est pas un marché de court terme. Sur ce marché en effet, les investissements doivent être amortis sur le long terme, de la même manière que sur le marché du pétrole ou du gaz »75(*). La fixation des prix sur les marchés à terme à court terme apparaît, à ce titre, inadapté aux enjeux d'investissements de long terme nécessaires dans le secteur de l'énergie.

c) Des marchés à terme moins volatiles que le marché spot mais qui ne sont pas à l'abri de brusques envolées

Le marché spot est complété par le marché à terme qui permet de fixer le prix de l'électricité plusieurs années à l'avance. Les prix payés par les consommateurs sont le plus souvent déterminés par les prix sur les marchés à terme et non par les prix spot. Sur les marchés à terme, les transactions sont conclues pour une livraison future de l'électricité, de quelques semaines à trois ans, à un prix ferme négocié à la date de négociation du contrat. Les indices de prix sont calculés en fonction des prix des transactions effectivement échangées par les acteurs du marché. Les prix sur les marchés à terme sont le reflet de l'anticipation des prix spots futurs majorés d'une prime de risque marché. Ils sont par nature d'autant plus stables que leur horizon est éloigné car ils dépendent alors uniquement des fondamentaux physiques et économiques de l'équilibre entre l'offre et la demande et sont d'autant moins sensibles à la conjoncture.

Les contrats à terme, également appelés futures, qui peuvent être annuels, trimestriels, mensuels, hebdomadaires ou journaliers, permettent donc de sécuriser la base des prix payés par les clients finaux et d'être au plus proche de la demande de consommation. Ils sont moins volatiles et plus stables que les prix spot. Toutefois, ils peuvent s'envoler si les anticipations des opérateurs sur les marchés sont particulièrement mauvaises. C'est ce qui s'est passé en 2021-2022. Comme le note la CRE76(*), la hausse observée durant le mois d'août s'explique par la forte croissance des prix du gaz, dans un contexte de fortes inquiétudes pour la sécurité d'approvisionnement en gaz, en lien avec la réduction des livraisons de gaz transitant par Nord Stream.

Évolution des prix des produits Base trimestriels hivernaux et annuel 2023 français

Source : CRE

La situation des prix en France a été particulièrement défavorable dans la mesure où les opérateurs avaient des anticipations très négatives en termes de production électrique du fait des difficultés du parc nucléaire. C'est ce qui explique que, dans un contexte global haussier, les prix français aient atteint des records. Cela est particulièrement net sur le graphe suivant qui décrit l'évolution du différentiel de prix entre la France et l'Allemagne.

Évolution des écarts de prix entre la France et l'Allemagne pour les produits Base trimestriels et annuel 2023

Source : CRE

Les prix des marchés à terme servent de référence pour les tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVE), par le biais desquels ils sont répercutés sur les consommateurs, mais aussi pour la plupart des contrats de fourniture, pour la part de l'énergie non approvisionnée par de l'Arenh.

2. Des marchés de gros en échec

Les marchés de gros jouent leur rôle qui est celui de produire des prix reflétant l'équilibre entre l'offre et le demande à courte échéance. En ce sens, au cours de la crise énergétique, le marché de l'électricité n'a pas présenté de dysfonctionnement majeur, mais ses règles du jeu, en particulier celles du fonctionnement des marchés de gros, ont montré leurs insuffisances pour répondre sur le long terme aux défis de la transition climatique et énergétique. En n'envoyant que des signaux de court terme aux acteurs du marché, ils ne créent pas les conditions favorables pour encourager les investissements dans les installations de production d'électricité décarbonée, à un coût abordable, et au développement d'outils de couverture à long terme.

a) Un marché de gros exposé au phénomène de « missing money »

Le marché de gros rémunère insuffisamment les capacités de pointe, nécessaires pour répondre aux pics de consommation. Les périodes de forte demande correspondent à des périodes de prix élevés qui devraient inciter à investir dans de nouvelles installations de production. Or les détenteurs de capacités de production ou d'effacement ne reçoivent qu'une rémunération pour l'énergie produite ou la consommation effacée pendant les périodes de pointe, mais dont le prix est plafonné par la Commission de régulation de l'énergie pour protéger les consommateurs. Ce plafonnement du prix ne crée pas, par conséquent, d'incitation au développement de capacités de production décarbonées dans les équipements sécurisant le fonctionnement du système, y compris en période de pointe, puisque la rémunération qui dépend de ces périodes de forte demande, par nature incertaine, n'est pas suffisante pour couvrir les coûts d'investissement et ainsi rémunérer les investissements dans le secteur électrique. Il se produit alors un phénomène dit de « missing money »77(*).

Cette insuffisance de la tarification de gros, inhérente au fonctionnement du marché de l'électricité, a été exposée par Dominique Bureau, délégué général du Conseil économique pour le développement durable (CEDD), lors de la table ronde sur les prix organisée par la commission d'enquête : « Lors de la pointe, on ne peut donc pas fixer les prix au niveau qui serait nécessaire pour financer les investissements : c'est inhérent au secteur électrique et c'est ce que les anglo-saxons appellent la « missing money » pour désigner le cas où la tarification de gros est insuffisante. La tarification idéale que préconisait Marcel Boiteux permettrait de financer l'investissement ; cependant, avec les tarifications réelles qu'on est obligé de mettre en place, et comme vous le soulignez à juste titre, les marchés de gros n'y suffisent pas »78(*).

En outre, « cette défaillance du marché est exacerbée par le développement des énergies renouvelables qui amplifie la volatilité des prix en période de pointe du fait de leur intermittence », comme le font observer les auteurs de la note du Conseil d'analyse économique sur la réforme du marché européen de l'électricité79(*).

b) Un marché de gros peu favorable aux investissements dans les énergies décarbonées

Les signaux de long terme sont essentiels pour encourager les consommateurs qui le souhaitent à s'engager dans des contrats au-delà du court terme et ainsi favoriser les investissements dans les énergies décarbonées. Or les marchés de gros n'envoient pas de signal de long terme aux acteurs économiques « qui assurerait à l'investisseur la couverture de ses coûts complets pour des équipements capitalistiques »2.

Ce cadre de marché nécessite d'être complété afin de favoriser l'apparition de signaux de marché de moyen et long terme qui offrent de la stabilité et qui incitent à investir dans des technologies bas-carbone. En effet, les actifs bas-carbone sont caractérisés par une part élevée de coûts d'investissements, qui nécessitent une visibilité de long terme sur leurs revenus futurs. Or, un prix bas du carbone nuit à la rentabilité des investissements dans la décarbonation. À ce titre, la volatilité des prix du marché du carbone ne favorise pas l'émergence de ces signaux de long terme et recentre le marché de l'électricité sur le court terme. Il ne crée pas d'incitation à développer des projets structurants de décarbonation sur le long terme.

c) Un marché de gros très sensible à la fluctuation des prix

Comme nous l'avons vu, la crise énergétique a montré que les spécificités propres au système électrique - le fait que l'électricité ne soit pas stockable, la fluctuation de la demande et la structure de la production - avaient pour conséquence une très forte volatilité du prix de l'électricité sur les marchés de gros. Or cette instabilité des prix est inhérente au fonctionnement des marchés de gros. Les revenus des producteurs sont, dans ces conditions, également volatils et ne garantissent pas un juste niveau de rémunération qui assurerait la soutenabilité économique et industrielle des investissements nécessaires à la transition énergétique.

Il est pourtant nécessaire de limiter cette volatilité, d'une part, pour réduire l'exposition des consommateurs à des prix de gros très variables, et d'autre part, pour assurer les investissements nécessaires dans des capacités de production décarbonées. « Sans visibilité et perspective de rentabilité stable et suffisante, le seul marché de court terme ne garantit pas que les investissements nécessaires soient réalisés au bénéfice de la transition du système énergétique et de la sécurité d'approvisionnement »80(*), comme le fait observer EDF dans sa réponse à la commission d'enquête.

B. LES RÉGULATIONS DESTINÉES À PALLIER LE CARACTÈRE DYSFONCTIONNEL DES MARCHÉS, SONT ELLES MÊMES DÉFAILLANTES

Les défaillances manifestes du marché de l'électricité ont imposé la mise en oeuvre de mesures de régulation qui font du système électrique un modèle hybride. Cependant, les régulations mises en oeuvre en France n'ont pas suffi à résoudre les insuffisances du marché de l'électricité et elles ont elles-mêmes généré des effets indésirables.

1. Une organisation hybride qui a circonscrit l'ouverture à la concurrence

L'ouverture à la concurrence des marchés de l'électricité ne s'est pas appliquée dans toute sa plénitude en France. Le cadre national se caractérise par une certaine forme d'hybridité entre un principe d'ouverture à la concurrence et la préservation d'un service public de l'électricité qui s'organise autour d'un acteur intégré dominant désormais détenu à 100 % par l'État et seul possesseur du parc nucléaire français.

L'État est désormais l'unique actionnaire d'EDF

Le 6 juillet 2022, lors de la déclaration de politique générale de la Première ministre, celle-ci a annoncé l'intention de l'État de détenir 100 % du capital d'EDF. Le gouvernement a déposé le 4 octobre 2022 une offre publique d'achat visant à acquérir les actions et obligations convertibles en actions nouvelles ou existantes (Oceane) d'EDF.

D'après la note d'information accompagnant l'offre, celle-ci « s'inscrit dans un contexte d'urgence climatique et alors que la situation géopolitique impose des décisions fortes pour assurer l'indépendance et la souveraineté énergétique de la France, dont celle de pouvoir planifier et investir sur le très long terme les moyens de production, de transport et de distribution d'électricité. »81(*)

Le prix a été fixé à 12,00 euros par action82(*) (elle avait été introduite à 32 euros en 2005) et à 15,64 euros pour les OCEANE83(*). Alors que la participation de l'État dans EDF s'élevait à 83,69 %84(*) (pour 89,13 % des droits de vote), les actionnaires institutionnels et individuels représentaient 14,75 % du capital, et l'actionnariat salarié 1,54 %.

L'OPA simplifiée a pu être mené à son terme et le retrait obligatoire est intervenu cet été, de sorte que l'État est désormais l'unique actionnaire de l'entreprise.

Source : Sénat, Rapport général n° 128 (2023-2024) fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2024, novembre 2023

Ce modèle hybride est également caractérisé par le maintien de tarifs réglementés, même si le périmètre des personnes morales qui y étaient éligibles s'est progressivement restreint avant que, très récemment, la tendance ne s'inverse avec leur élargissement à l'ensemble des très petites entreprises (TPE), petites communes et autres personnes morales qui emploient moins de dix personnes pour un budget inférieur à 2 millions d'euros85(*).

Le segment de la production demeure dominé à environ 85 % par EDF suivi de Engie (4 %), Gazel Energie et Total (moins de 1 % chacun). Le poids du caractère intégré d'EDF, qui est en mesure de fournir ses clients avec sa propre production, explique qu'en France, la liquidité des marchés de gros est limitée, notamment par rapport à un pays comme l'Allemagne. Le mécanisme d'Arenh conduit également à réduire cette liquidité. Pour ces raisons, dans un rapport sur l'organisation des marchés de l'électricité, la Cour des comptes constatait en 2022 que jusqu'à 75 % de la production d'électricité française pouvait en réalité ne pas transiter sur les marchés de gros.

Répartition des échanges commerciaux d'électricité en France en 2019

Source : Cour des comptes, L'organisation des marchés de l'électricité, 2022

2. L'Arenh : une régulation largement dysfonctionnelle
a) Un dispositif temporaire et baroque qui devait mettre le pied à l'étrier de la concurrence

Mis en place à la suite des conclusions du rapport de la commission « Champsaur », le mécanisme d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) a été créé par la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite « Nome ».

La définition de l'Arenh par la Cour des comptes

Depuis le 1er juillet 2011 et jusqu'au 31 décembre 2025, l'Arenh permet ainsi aux fournisseurs alternatifs d'accéder, à un prix régulé, à l'électricité produite par les centrales nucléaires d'EDF en service à la date de promulgation de la loi Nome.

La quantité d'Arenh qu'un fournisseur alternatif peut obtenir sans encourir de pénalités est assise sur son « droit Arenh », calculé par la CRE sur la base de la consommation de son portefeuille de clients français pendant certaines heures « creuses » durant l'année. Cette limitation vise à garantir que les fournisseurs alternatifs n'utilisent pas l'Arenh à des seules fins de revente sur les marchés de gros.

Le « produit » Arenh correspond quant à lui à la livraison d'une puissance fixe toutes les heures d'une année donnée (soit l'équivalent d'un produit dit « calendaire en base » sur les marchés à terme).

Source : Cour des comptes, L'organisation des marchés de l'électricité, 2022

Le mécanisme d'Arenh donne un droit aux fournisseurs alternatifs, selon des caractéristiques relatives à leur portefeuille de clients, à bénéficier, hors marchés, de volumes d'électricité produits par le parc nucléaire d'EDF à un prix réglementé. Le volume total d'électricité inclus dans le dispositif est fixé par arrêté ministériel, après avis de la Commission de régulation de l'énergie, sans pouvoir excéder la limite de 120 TWh par an établie par l'article L. 336-2 du code de l'énergie. Hormis en 2022 où ce plafond a été effectivement porté à 120 TWh, le dispositif d'Arenh est plafonné depuis son origine à 100 TWh par an.

Ce dispositif devait répondre à plusieurs objectifs dont la conciliation s'est en fait révélée difficile : permettre aux consommateurs français de bénéficier de la compétitivité d'un parc nucléaire déjà largement amorti, financer ce même parc et enfin mettre le pied à l'étrier à la concurrence sur le marché aval de la fourniture de détail. Une idée connexe était que celle-ci pourrait s'étendre en amont à la production de façon à stimuler les investissements dans cette dernière.

Si le premier objectif de répercussion de la compétitivité du parc nucléaire historique sur les consommateurs a été globalement atteint, au moins jusqu'en 2019, les autres ne l'ont pas été et le mécanisme s'est révélé porteur de plusieurs défauts majeurs.

Le dispositif d'Arenh a été pensé et conçu comme transitoire. Ses concepteurs considéraient que la concurrence sur le marché de la production devait se développer et que ce mécanisme ne serait plus nécessaire après sa fin, prévue en 2025. Cette espérance ne s'est pas réalisée. Dans leurs évaluations respectives du mécanisme, la CRE comme l'Autorité de la concurrence ont constaté que l'Arenh n'avait pas conduit à développer la concurrence sur le marché de la production. L'Autorité de la concurrence considère ainsi que « l'Arenh ne semble pas être une solution efficace pour modifier la structure du marché amont de la production »86(*).

b) Un mécanisme unidirectionnel déresponsabilisant pour les fournisseurs et dont le prix n'a jamais été réévalué
(1) Un prix fixé à 42 euros par MWh en 2012 et qui n'a jamais pu être réévalué depuis

L'article L. 337-13 du code de l'énergie dispose que le prix de l'Arenh est fixé par arrêté ministériel. Les dispositions de l'article L. 337-14 du même code prévoient les conditions de détermination et d'actualisation annuelle du prix de l'Arenh qui doit « afin d'assurer une juste rémunération à EDF », être « réexaminé chaque année, (et) représentatif des conditions économiques de production d'électricité par les centrales nucléaires ».

Les coûts devant être intégrés au prix de l'Arenh

En vertu des dispositions de l'article L. 337-14 du code de l'énergie, le prix de l'Arenh doit tenir compte de l'addition :

- d'une rémunération des capitaux prenant en compte la nature de l'activité ;

- des coûts d'exploitation ;

- des coûts des investissements de maintenance ou nécessaires à l'extension de la durée de l'autorisation d'exploitation ;

- des coûts prévisionnels liés aux charges pesant à long terme sur les exploitants d'installations nucléaires de base mentionnées à l'article L594-1 du code de l'environnement.

Source : article L. 337-14 du code de l'énergie

L'article L. 337-15 prévoit quant à lui que les méthodes de calcul des coûts qui doivent permettre de déterminer le prix de l'Arenh et son actualisation annuelle doivent être précisées par un décret pris en Conseil d'État. Or, ce décret, dont une version avait été proposée en 2015, n'est jamais entré en vigueur faute d'avoir pu trouver un accord consensuel en France sur ces méthodes et d'avoir obtenu l'approbation de la Commission européenne. La commission d'enquête de l'Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté énergétique de la France87(*) a décrit l'historique des débats qui ont conduit à cette impasse dont les facteurs explicatifs ont aussi été analysés en 2022 par la Cour des comptes (voir l'encadré ci-après).

Les raisons pour lesquelles le prix de l'Arenh n'a jamais été réévalué depuis 2012

L'actualisation du prix de l'Arenh est soumise à l'approbation par la Commission européenne de sa méthode de calcul, depuis la décision soldant le contentieux européen relatif à l'existence, d'une part, des tarifs réglementés de vente « verts » et « jaunes » et, d'autre part, au Tartam pour les grands et moyens consommateurs.

Or l'établissement de cette méthodologie de calcul s'est avéré conflictuel. Des divergences de positions entre le Gouvernement, la CRE, l'Autorité de la concurrence (ADLC), la Commission européenne et EDF, ont émergé concernant les différents paramètres à prendre en considération.

La CRE s'est in fine prononcée favorablement sur le projet de décret devant établir cette méthodologie, tandis que l'ADLC a émis un avis plus mitigé et que la Commission a exprimé des réserves.

Les échanges n'ayant pas abouti, le décret n'a pas été adopté et la situation s'est enlisée. La direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) estime d'ailleurs aujourd'hui que « compte-tenu de l'évolution du droit sectoriel européen intervenue depuis la décision de 2012, qui interdit désormais toute intervention sur les prix en dehors de cas limitativement énumérés, il semble, si elle fait une lecture stricte des textes, difficilement envisageable que la Commission européenne se prononce en faveur d'une telle révision de sa décision de 2012 ».

Le prix de l'Arenh semble ainsi structurellement bloqué, pour la période résiduelle de la régulation (c'est-à-dire jusqu'en 2025).

Source : Cour des comptes, L'organisation des marchés de l'électricité, 2022

Le prix de l'Arenh a ainsi été fixé à 42 euros par MWh en 2012 et, contrairement à ce qui était prévu et aux dispositions du code de l'énergie, il n'a jamais été réévalué depuis. Il n'a donc jamais pu être ajusté aux coûts de production réels du parc nucléaire.

(2) Un dispositif asymétrique défavorable à EDF et déresponsabilisant pour les fournisseurs alternatifs

Le dispositif d'Arenh présente un caractère optionnel. C'est-à-dire que les fournisseurs alternatifs sont libres d'y recourir ou non. Et une fois bénéficiaires du mécanisme, ils peuvent sans retirer librement. En pratique, ils réalisent un arbitrage en comparant les prix de l'électricité sur les marchés de gros avec le prix de l'Arenh. Cette situation induit une asymétrie très préjudiciable à EDF puisque l'Arenh conduit à plafonner les prix auxquels elle vend une part très significative de son électricité nucléaire (jusqu'à 270 TWh en tenant compte de la fourniture de ses propres clients à ce même prix) sans en revanche lui garantir un prix plancher lorsque les prix de l'électricité sur les marchés de gros descendent sous le prix de l'Arenh. Dans cette hypothèse, les fournisseurs alternatifs peuvent cesser de se fournir via l'Arenh pour acheter sur le marché. Le parc nucléaire d'EDF se trouve ainsi intégralement exposé au risque de marché en cas de prix bas.

Pourquoi les volumes de production d'électricité valorisés au prix de l'Arenh excèdent très largement le plafond de 100 TWh ?

L'impact de l'Arenh sur les revenus du nucléaire dépasse la vente des strictes quantités du produit Arenh par EDF. En effet, la production d'électricité par EDF sert en grande partie à alimenter directement les clients d'EDF, sur la base d'échanges internes entre EDF producteur et EDF fournisseur et dans le cadre du pilotage exercé par la direction optimisation amont/aval et trading d'EDF.

Or une grande partie de la production nucléaire, support à ces échanges internes, est valorisée aux mêmes conditions que l'Arenh, même s'il ne s'agit pas à proprement parler du produit Arenh tel que défini par la loi. C'est le cas de la production nucléaire permettant l'approvisionnement en base des clients aux tarifs réglementés, mais également de celle permettant l'approvisionnement en base des clients aux offres de marché d'EDF. En effet, les offres de marché d'EDF se fondent sur un approvisionnement réparti entre une électricité « équivalent Arenh » et des achats sur les marchés de gros, dans les mêmes proportions que les fournisseurs alternatifs.

Source : Cour des comptes, L'organisation des marchés de l'électricité, 2022

Cette situation s'est déroulée entre 2015 et 2017, période au cours de laquelle les prix de marché étaient inférieurs au prix de l'Arenh. Les fournisseurs alternatifs s'approvisionnaient alors sur les marchés sans activer leurs droits d'Arenh.

Volumes d'Arenh demandés et livrés aux fournisseurs alternatifs (2011-2023)

(en TWh)

Source : CRE, Observatoire des marchés de détail de l'électricité et du gaz naturel, troisième trimestre 2023

Inversement, lorsque les prix de l'électricité sur les marchés de gros sont significativement supérieurs au prix de l'Arenh, ce qui est le cas depuis 2019, les fournisseurs alternatifs recourent massivement à ce dispositif, à hauteur de la totalité de leurs droits théoriques. Lorsque ces demandes excèdent le plafond, les volumes d'Arenh accordés aux fournisseurs sont alors « écrêtés » avec des conséquences extrêmement inflationnistes sur les tarifs réglementés qui seront évoquées infra.

Au-delà même de ces problématiques, et comme la Cour des comptes l'a mis en exergue dans son rapport précité de 2022 sur l'organisation des marchés de l'électricité (voir encadré ci-après), l'optionalité de l'Arenh incite certains fournisseurs à des comportements opportunistes de court terme parfois imprévisibles qui peuvent fortement pénaliser EDF.

Pour la Cour des comptes, l'asymétrie de l'Arenh conduit à des comportements opportunistes des fournisseurs alternatifs au détriment d'EDF

L'Arenh a été pensé avant tout pour des périodes où les prix de marché seraient supérieurs à 42 euros par MWh. La période 2015-2017, ayant au contraire connu des prix de marchés inférieurs à ce niveau, a mis en évidence les inconvénients de l'optionalité du dispositif et du calendrier des guichets.

En effet, certains fournisseurs ont pu avoir, à cette période, des comportements opportunistes : indépendamment de la sécurisation de l'approvisionnement de leurs clients (qui était a priori déjà acquise en bonne partie, à partir d'achats sur les marchés de gros à des prix inférieurs à 42 euros par MWh), ils ont pu faire valoir leurs droits Arenh, pour acheter de l'électricité à 42 euros MWh, probablement à des fins de revente sur les marchés de l'énergie à un prix supérieur. Ainsi, en 2017 et 2018 notamment (conséquence des approvisionnements aux guichets Arenh de novembre 2016 et novembre 2017), alors qu'EDF avait vendu régulièrement sa production nucléaire pendant les deux années précédant sa livraison aux prix de marché à terme constatés sur la période (puisque ceux-ci étaient inférieurs à l'Arenh et qu'il n'y avait donc pas d'attractivité du produit Arenh), la brusque remontée des prix, juste avant les guichets Arenh, a conduit les fournisseurs alternatifs à demander de l'Arenh de façon assez imprévisible. La satisfaction de ces demandes a contraint EDF à racheter sur les marchés suffisamment d'électricité pour pouvoir honorer ses obligations, ce qui a entraîné des surcoûts significatifs pour EDF. Comme la Cour l'avait souligné dans son référé sur l'Arenh, ces situations pénalisent de façon indue l'opérateur historique.

Malgré les quelques modifications du dispositif intervenues depuis sa mise en oeuvre, EDF considère ainsi que l'asymétrie du dispositif, en vertu de laquelle les fournisseurs alternatifs peuvent choisir ou non de demander à bénéficier de l'Arenh, alors qu'EDF est tenu d'honorer leurs demandes, l'expose aux variations des prix de marché et aux possibilités d'arbitrage des fournisseurs alternatifs, ce qui représente un risque dont le coût de couverture n'est pas reflété par la tarification de l'Arenh : il s'agit d'une option gratuite pour les fournisseurs alternatifs.

Les fournisseurs alternatifs contestent toutefois que l'asymétrie s'opère à leur seul bénéfice, dans la mesure où EDF fournisseur ne doit pas souscrire des volumes à l'avance, n'est pas soumis aux clauses de monotonie, ni aux compléments de prix, ni aux mêmes conditions de paiement.

Source : Cour des comptes, L'organisation des marchés de l'électricité, 2022

Malgré toutes les insuffisances du dispositif, la Cour des comptes a estimé dans son rapport sur l'organisation des marchés de l'électricité qu'il a pu, jusqu'à la crise, de façon indirecte et à la faveur du mécanisme d'écrêtement, rémunérer le parc nucléaire historique à la hauteur de ses coûts comptables. Cependant, elle souligne que ce résultat est essentiellement dû au hasard. Ce résultat purement aléatoire s'explique par le phénomène d'écrêtement constaté depuis 2019. Ce phénomène a un effet inflationniste sur les prix de détail puisque, pour subvenir aux besoins de leurs clients, les fournisseurs alternatifs se trouvent dans l'obligation de s'approvisionner, pour couvrir leurs droits d'Arenh non satisfaits et dans des délais contraints, sur les marchés de gros à des prix supérieurs à l'Arenh. De même qu'EDF fournisseur réplique à ses propres clients le prix de l'Arenh, il leur réplique également les conséquences inflationnistes de son écrêtement qui par ailleurs est automatiquement intégré dans le calcul des TRVe réalisé par la CRE.

Pourquoi la valorisation par EDF de sa production nucléaire augmente en cas d'écrêtement des demandes d'Arenh ?

Quand la demande d'ARENH excède le plafond de 100 TWh, l'écrêtement des livraisons Arenh aux fournisseurs alternatifs est répliquée dans les TRV et les offres de marché d'EDF. Cela signifie que la part des « équivalents Arenh » diminue dans ces tarifs et offres de marché et que les prix de marché de gros étant alors plus élevés que le prix de l'Arenh, les tarifs et offres de marché augmentent, ce qui accroît la recette moyenne tirée de la production nucléaire.

Ainsi, on peut estimer qu'en 2019, 2020 et 2021, l'écrêtement de l'Arenh a permis d'accroître les revenus de la production nucléaire d'EDF de respectivement 1 085, 851 et 932 millions d'euros.

Source : Cour des comptes, L'organisation des marchés de l'électricité, 2022

Entre 2019 et 2021, la Cour des comptes estime que ce phénomène a permis d'augmenter le prix auquel EDF a vendu sa production nucléaire de 2,9 milliards d'euros.

Décomposition de la valorisation par EDF de sa production nucléaire en isolant notamment l'effet inflationniste généré par le phénomène d'écrêtement

Source : Cour des comptes, L'organisation des marchés de l'électricité, 2022

La comparaison réalisée par la Cour des comptes entre les coûts complets de production du parc nucléaire et les revenus qu'a pu en tirer EDF depuis la mise en place de l'Arenh permet de dégager trois périodes :

- entre 2011 et 2015, la valorisation de la production nucléaire a été en moyenne supérieure à ses coûts ;

- à l'inverse, entre 2016 et 2018, du fait de la faiblesse des prix de gros et du caractère asymétrique de l'Arenh, les revenus du parc nucléaire étaient inférieurs à ses coûts ;

- entre 2019 et 2021, la hausse des prix de gros et l'écrêtement de l'Arenh se sont traduits par une augmentation de la valorisation du nucléaire qui n'a cependant pas permis de couvrir les coûts qui ont fortement augmenté en 2020 du fait de la baisse de production liée à la crise sanitaire.

Sur l'ensemble de la période, la Cour des comptes conclut que les coûts comptables du parc nucléaire ont bien été couverts par ses revenus avec un excédent de 1,7 milliard d'euros.

c) Un dispositif qui a donné lieu à des fraudes et des détournements inacceptables qui méritent des sanctions exemplaires

En juillet 2023, le rapport d'information de nos collègues Dominique Estrosi Sassone et Fabien Gay sur les conditions d'utilisation de l'Arenh88(*) a mis en évidence des « comportements opportunistes » inacceptables de certains fournisseurs alternatifs qui, en pleine crise de l'énergie, se sont servis du dispositif de l'Arenh pour s'enrichir au détriment de leurs propres clients et de l'ensemble des consommateurs.

Les demandes d'Arenh effectuées par les fournisseurs alternatifs faisaient historiquement l'objet d'un contrôle de la CRE. Mais il n'intervenait qu'a posteriori. Ce mécanisme, baptisé « complément de prix », conduit à pénaliser un fournisseur qui a surestimé sa demande d'Arenh89(*). C'est-à-dire qu'au moment de la demande effectuée par un fournisseur, la CRE n'était pas en droit de la remettre en cause et ce, même si cette demande ne correspondait manifestement pas aux droits Arenh du demandeur au regard des évolutions prévisionnelles réalistes de son portefeuille de clients pour l'année à venir.

À la faveur d'un décret du 29 octobre 202290(*), désormais codifié à l'article R. 336-14 du code de l'énergie, cette lacune a heureusement été comblée et un nouveau contrôle a priori permet à la CRE de réviser à la baisse les demandes des fournisseurs qui lui apparaissent comme manifestement surestimées.

L'encadrement du contrôle a priori de la CRE par l'article R. 336-14 du code de l'énergie

La CRE corrige la quantité de produit théorique du fournisseur lorsque les hypothèses de consommation ou de développement commercial présentent un risque de surestimation manifeste de cette quantité ou lorsque cette quantité est manifestement disproportionnée par rapport à la consommation des consommateurs finals antérieurement constatée et aux prévisions d'évolution de cette consommation.

Source : article R. 336-14 du code de l'énergie

Des sanctions peuvent être prises, selon une procédure très longue et très complexe, par un organisme placé auprès de la CRE, le comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS).

L'article 181 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023 a par ailleurs créé une nouvelle procédure de saisine en urgence du CoRDiS pour examiner des demandes d'interruption de livraison d'Arenh qui lui auraient été soumises par la CRE.

Les pouvoirs de la CRE et du CoRDiS

La CRE contrôle l'accès à l'Arenh, en surveillant les transactions effectuées par les fournisseurs d'électricité et en s'assurant de la cohérence entre les volumes d'électricité nucléaire historique bénéficiant de l'Arenh et la consommation des consommateurs finals desservis sur le territoire métropolitain continental (article L. 336-9 du code de l'énergie).

Pour ce faire, elle peut saisir le comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS), qui consiste en une formation de quatre membres, chargée de régler les différends portant sur l'accès aux réseaux publics d'électricité et de gaz naturel et leur utilisation entre gestionnaires et utilisateurs, ainsi que de sanctionner les infractions au code de l'énergie.

Le président de la CRE peut, à tout moment, saisir en urgence le CoRDiS d'une demande tendant à ce que soit ordonnée l'interruption de tout ou partie de la livraison des volumes d'Arenh à un fournisseur alternatif, pour une durée qui ne peut excéder celle de la période de livraison en cours (même article). Le président du CoRDis peut mettre l'auteur de l'abus, de l'entrave ou du manquement en demeure de se conformer aux dispositions législatives ou règlementaires, ou aux décisions, règles et obligations, dans un délai déterminé, le cas échéant en rendant publique cette mise en demeure (article L. 134-26 du même code).

Le même article L. 134-26 définit l'abus du droit d'Arenh comme : « tout achat d'électricité nucléaire historique dans le cadre du dispositif d'accès régulé à celle-ci sans intention de constituer un portefeuille de clients y ouvrant droit, en particulier tout achat de quantités d'électricité nucléaire historique excédant substantiellement celles nécessaires à l'approvisionnement de sa clientèle et sans rapport avec la réalité du développement de son activité et les moyens consacrés à celui-ci, et plus généralement toute action participant directement ou indirectement au détournement des capacités d'électricité nucléaire historique à prix régulé ».

Source : Sénat, Rapport d'information n° 833 (2022-2023) fait au nom de la commission des affaires économiques sur les conditions d'utilisation de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, juillet 2023

Le rapport sénatorial précité a décrit les mécanismes par lesquels certains fournisseurs avaient commis des abus d'utilisation de l'Arenh en 2022, alors que le volume du dispositif avait été réhaussé de 20 TWh et que les prix de marchés étaient au plus haut. Ces abus relèvent notamment de la pratique consistant pour un fournisseur à « maximiser son portefeuille de clients, sur la période d'avril à octobre, afin de bénéficier des droits à l'Arenh, qui sont calculés sur cette période, puis se séparer de ce portefeuille de clients, en augmentant fortement ses prix, pour revendre ses droits à l'Arenh sur les marchés ».

Les pratiques d'optimisation saisonnières abusives de certains fournisseurs

Les modalités de détermination des droits Arenh peuvent donner lieu à des pratiques abusives de la part des fournisseurs.

Ces droits sont en effet calculés sur la base des consommations effectives des clients sur des périodes précises de l'année civile, en l'occurrence uniquement entre les mois d'avril à octobre, alors que le produit Arenh consiste en une livraison d'électricité « en ruban » tout au long de l'année. Dès lors, un fournisseur qui démarcherait ses futurs clients en vue de prise en contrat en avril, puis résilieraient les contrats en novembre, peut, tout en justifiant de droits Arenh suffisant, avoir un besoin d'approvisionnement annuel inférieur à son volume d'Arenh et donc revendre la différence sur les marchés, avec profit dès que les prix de gros excèdent 42 euros par MWh.

Cette pratique est abusive dès lors qu'elle conduit les fournisseurs à présenter une demande d'Arenh en vue d'obtenir des volumes non conformes à leur meilleure prévision de consommation pour l'ensemble de l'année concernée.

Source : Cour des comptes, Les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l'énergie, mars 2024

Des phénomènes de ce type ont en effet été détectés par la CRE en 2022. En réponse à la commission d'enquête, la CRE a ainsi indiqué que « plusieurs fournisseurs, représentant moins de 1 % des consommateurs d'électricité, sont soupçonnés d'avoir eu pendant la crise une stratégie de revente de volumes d'Arenh obtenus à 42 euros par MWh sur les marchés à des prix très élevés. Dans ce but, ils auraient incité leurs clients à rejoindre un autre fournisseur en augmentant fortement les prix avant l'hiver. Selon toute probabilité, un grand nombre de ces clients ont rejoint le TRVe d'EDF ». Ces comportements frauduleux inadmissibles ont eu des conséquences financières graves pour certains consommateurs qui n'avaient pas résilié leurs contrats et ont été exposés à des hausses considérables de leurs factures. D'autres fournisseurs alternatifs qui estiment que leur image est injustement ternie par de tels agissements n'hésitent pas à dénoncer fermement ces pratiques et à qualifier leurs auteurs de « brebis galeuses ».

En septembre 2022, la CRE a ouvert des enquêtes contre trois fournisseurs suspectés de telles pratiques. Son travail d'instruction est clôturé et les dossiers ont été transmis au CoRDiS qui les instruits à son tour91(*).

Pour la commission d'enquête, les sanctions des fournisseurs qui se sont prêtés à de tels abus méritent d'être exemplaires.

Il est regrettable cependant que les procédures mettent si longtemps à aboutir. Aussi, la commission d'enquête recommande-t-elle d'assouplir et de simplifier la procédure d'instruction et de sanction des abus d'Arenh, en particulier en n'exigeant plus à l'avenir que le CoRDiS ait à reproduire l'intégralité des travaux réalisés par la CRE. Ces contraintes inefficientes et inutiles affaiblissent le dispositif et le rendent moins dissuasif.

La commission d'enquête partage par ailleurs les constats et soutient les recommandations qui avaient été formulées par le rapport des sénateurs Dominique Estrosi Sassone et Fabien Gay pour mieux protéger les consommateurs en renforçant les contrôles et les sanctions à l'encontre des comportements abusifs des fournisseurs alternatifs.

Recommandation n° 6

Destinataire

Échéance

Support/Action

Assouplir et simplifier les procédures d'instruction et de sanction des comportements frauduleux des fournisseurs.

Gouvernement (Ministère chargé de l'énergie), Parlement

CRE

2024

Législatif et réglementaire

3. Des dispositifs de soutien massifs assurent le développement des énergies renouvelables

Afin d'encourager le développement des énergies renouvelables en France et de leur assurer la rentabilité minimale nécessaire à leur déploiement, l'État a mis en place, depuis plus de vingt ans, des dispositifs de soutien public aux énergies renouvelables spécifiques à chaque filière.

Ces dispositifs peuvent soutenir soit l'investissement initial, soit rémunérer l'énergie produite et peuvent être attribués selon deux modalités en fonction de critères d'éligibilité déterminés par décret92(*) : le guichet ouvert, qui ouvre pour toute installation éligible un droit à bénéficier d'un soutien, ou les procédures de mise en concurrence qui peuvent prendre la forme d'appels d'offres ou de dialogues concurrentiels, et pour lesquelles le soutien est octroyé aux seuls lauréats de ces procédures.

L'enjeu de ces dispositifs de soutien public est la sécurisation des revenus des producteurs. Le risque prix est ainsi à la charge de l'État, le gain ou le coût pour ce dernier n'étant connu qu'à la fin du contrat.

a) Des modalités de rémunération qui peuvent prendre deux formes

Les dispositifs de soutien à la rémunération des producteurs d'énergie peuvent alors prendre deux formes, en fonction de la puissance d'installation : l'obligation d'achat ou le complément de rémunération, par le biais de contrats pouvant porter sur une durée de vingt ans. Les premiers contrats ont été signés au début des années 2000, sous la forme d'obligation d'achat, et viennent très progressivement à échéance.

Le développement des énergies renouvelables repose largement sur un soutien public de long terme. L'impact de ces mécanismes sur les finances publiques, très variable, en fonction de la conjoncture des marchés de l'électricité, doit être pris en considération dans l'évaluation des différentes trajectoires d'évolution du mix électrique français aux horizons 2035 et 2050.

Les dispositifs de soutien aux énergies renouvelables ont fait l'objet d'adaptations afin de tenir compte des évolutions techniques et économiques et de se conformer aux lignes directrices pour les aides d'État93(*), arrêtées par la Commission européenne, au titre du droit de la concurrence. Ces aides encadrent les conditions dans lesquelles les États membres peuvent accorder des aides publiques pour favoriser le développement des énergies renouvelables, tout en veillant au respect des règles de concurrence au sein du marché intérieur européen.

(1) L'obligation d'achat

L'obligation d'achat, qui a contribué à soutenir la production électrique renouvelable depuis le début des années 2000, concerne surtout les installations de petites tailles, d'une puissance installée inférieure à 500 KW. Elle est contractée pour une durée de quinze à vingt ans, selon les technologies et leur degré de maturité.

Les revenus du producteur sont ainsi indépendants des prix des marchés de gros de l'électricité. Seule la quantité produite d'électricité fait varier la rémunération du producteur. Dans le cadre du guichet ouvert, des arrêtés tarifaires94(*) spécifiques à chaque filière fixent les modalités du contrat d'obligation d'achat et le niveau du tarif. Dans le cadre de la procédure d'appel d'offres, le cahier des charges de l'appel d'offres détermine les modalités contractuelles et le tarif d'achat dépend de l'offre du lauréat.

Les contrats d'obligation d'achat sont conclus par EDF Obligation d'achat, ou éventuellement par une entreprise locale de distribution. Les installations ne peuvent bénéficier, sauf dérogation prévue par la loi, qu'une seule fois d'un contrat d'obligation d'achat.

Source : DGEC

Les conditions d'achat de l'électricité

Les conditions dans lesquelles les ministres chargés de l'économie et de l'énergie arrêtent, après avis de la Commission de régulation de l'énergie, les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations mentionnées à l'article L. 314-1, sont précisées par voie réglementaire.

Les conditions d'achat prennent en compte notamment :

a) Les frais de contrôle ;

b) Les investissements et les charges d'exploitation d'installations performantes représentatives de chaque filière ;

c) La compatibilité de l'installation bénéficiant du contrat d'obligation d'achat avec les objectifs ;

d) Les cas dans lesquels l'installation est qualifiée d'agrivoltaïque.

Les conditions d'achat peuvent comprendre une prime tenant compte des coûts qui ne sont pas couverts par la vente à l'acheteur de l'électricité.

Les conditions d'achat font l'objet d'une révision périodique afin de tenir compte de l'évolution des conditions économiques de fonctionnement des installations performantes représentatives des filières concernées.

Les conditions dans lesquelles les ministres chargés de l'économie et de l'énergie arrêtent, après avis de la Commission de régulation de l'énergie, les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations mentionnées à l'article L. 314-1, sont précisées par voie réglementaire.

Source : code de l'énergie

(2) Le dispositif de complément de rémunération

Introduit par la loi n° 2015 992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, dite « LTECV », le dispositif de complément de rémunération concerne les projets plus importants. Les producteurs qui ont conclu des contrats de complément de rémunération commercialisent leur énergie directement sur les marchés de gros. Une prime vient compenser l'écart entre les revenus tirés de cette vente et un niveau de rémunération de référence, fixé selon le type d'installations par la puissance publique dans le cadre d'un arrêté tarifaire ou par le producteur dans le cadre d'une procédure de mise en concurrence par le biais d'appel d'offres. Si le prix de vente est supérieur à la rémunération de référence, ce sera au producteur de rembourser l'État. La durée maximale du contrat offrant un complément de rémunération ne peut excéder vingt années. Ce dispositif est prévu aux articles L. 314-18 à L. 314-27 du code de l'énergie. 

C'est aussi EDF Obligation d'achat qui est chargée de conclure ce type de contrats avec les producteurs d'EnR, et qui verse les primes qui leur sont dues. EDF fait ensuite l'objet de compensations de l'État dans le cadre du mécanisme des charges de service public de l'énergie (CSPE).

Dans un contexte d'intégration croissante des énergies renouvelables au système électrique, le complément de rémunération permet d'exposer les producteurs aux signaux des prix de marché de court terme, tout en leur garantissant une rémunération raisonnable. Cette rémunération des actifs du producteur doit lui permettre de couvrir les coûts de son installation et de lui garantir un niveau de rentabilité raisonnable.

Source : DGEC

(3) Les EnR sont majoritairement soutenues dans le cadre du dispositif de l'obligation d'achat

Au 31 décembre 2023, 66 % de la puissance installée de production d'électricité renouvelable est soutenue dans le cadre d'un de ces mécanismes de soutien. Ces mécanismes pour lesquels la puissance publique s'engage généralement sur toute la durée du contrat, souvent vingt ans, représentent des charges budgétaires sur le long terme.

Les conditions d'achat et de complément de rémunération sont réexaminées périodiquement et, le cas échéant, sont révisées, afin de prendre en compte le niveau des coûts et des recettes des installations ainsi que la maturité de la filière.

Puissances installées par filière des centrales de production électrique renouvelable selon le dispositif de soutien au 31 décembre 2023
France métropolitaine hors Corse

(En MW)

 

Puissance installée sous obligation d'achat

Puissance installée sous complément de rémunération

Puissance installée sans dispositif de soutien

Total

Éolien terrestre

8 568

4 624

8 604

21 796

Éolien en mer

731

0

0

731

Photovoltaïque

13 699

3 572

1 546

18 817

Hydraulique95(*)

906

20

6 620

7 546

Total

23 904

8 216

16 770

48 890

 

49 %

17 %

34 %

100 %

Source : RTE, d'après les données transmises par EDF OA96(*)

L'obligation d'achat représente actuellement, en puissance installée, près des trois quarts des dispositifs de soutien. Elle constitue le principal mécanisme de soutien pour les filières moins matures telles que les petites installations solaires ou la petite hydroélectricité. En effet, les installations photovoltaïques présentent des caractéristiques particulières ; elles sont souvent de petite taille, en raison de la forte croissance des petites installations résidentielles.

Dispositif de soutien pour le photovoltaïque au 31 décembre 2023

Source : Commission d'enquête, d'après les données de la CRE

Le complément de rémunération est davantage privilégié pour l'éolien terrestre. Il s'est développé progressivement pour remplacer l'obligation d'achat, pour les grandes installations des filières les plus matures. Force est de noter que cette filière, jusqu'en 2017, était exclusivement soutenue par l'octroi d'un tarif d'obligation d'achat.

Dispositif de soutien pour l'éolien terrestre au 31 décembre 2023

Source : Commission d'enquête, d'après les données de la CRE

b) Des dispositifs très coûteux pour les finances publiques

Les coûts résultant de ces dispositifs de soutien aux énergies renouvelables électriques représentent une partie des charges de service public de l'énergie (CSPE), qui sont compensées aux opérateurs les supportant. Depuis la réforme de la CSPE introduite dans la loi de finances rectificative pour 2015, ces charges sont inscrites au budget de l'État.

Elles correspondent principalement aux coûts des obligations d'achat et des compléments de rémunération versés aux producteurs d'électricité renouvelable. Les délibérations annuelles de la Commission de régulation de l'énergie permettent de suivre leur évolution.

Ce surcoût varie mécaniquement à la hausse, en cas de baisse du prix de marché, de hausse de la rémunération de référence ou du niveau de production. Les charges de service public de l'énergie deviennent négatives lorsque le prix de marché dépasse la rémunération de référence.

L'article R.314-49 du code de l'énergie prévoit, en effet, que, dans le cas où le prix de marché est supérieur au tarif de référence déterminé par le contrat, le producteur devient redevable à l'État, via la société EDF, des sommes correspondant à ce qui est alors devenu une prime négative.

Article R314-49 du code de l'énergie

« Dans les cas où la prime à l'énergie mensuelle mentionnée à l'article R314-34 est négative, le producteur est redevable de cette somme. Ce montant est versé par le producteur à Électricité de France sous forme d'avoir accompagné du règlement correspondant. Il est déduit des charges de service public de l'électricité constatées pour Électricité de France pour l'exercice considéré ».

(1) Près de 44 milliards d'euros de soutien public apportés aux énergies renouvelables électriques en vingt ans

Depuis 2003, les soutiens accordés par l'État aux EnR électriques, en métropole continentale, atteignent près de 44 milliards d'euros, soit environ 2 milliards d'euros par an en moyenne (charges prévisionnelles pour les années 2023 et 2024).

Leur montant n'a cessé de croître, passant de 142 millions d'euros au titre des charges de 2003 à 5 ,794 milliards d'euros au titre de 2020, soit une augmentation de près de 4 000 % en moins de vingt ans, avant de décroître en raison de la crise des prix de l'énergie, à partir du deuxième semestre 2021.

Ces charges ont ainsi connu des progressions très dynamiques, avec une montée en puissance à partir du début des années 2010, en lien avec le déploiement soutenu des installations d'énergies renouvelables électriques, conformément aux objectifs fixés par les pouvoirs publics.

Avant la hausse des prix de l'énergie, sur la période la plus récente, les revenus garantis par les contrats d'obligation d'achat ou de complément de rémunération étaient inférieurs aux prix de marché et les compensations versées par l'État au titre des charges de service public de l'énergie pour soutenir la production d'EnR en métropole évoluaient chaque année entre 5 et 6 milliards d'euros.

Évolution des CSPE relatives au soutien à la production
d'énergies renouvelables électriques entre 2003 et 2024

(en millions d'euros)

Source : commission d'enquête d'après les délibérations de la CRE

Les producteurs d'énergies solaire et éolienne mettent fréquemment en avant le retournement intervenu à partir de 2022 avec des prix de marché supérieurs au complément de rémunération qui ont entraîné l'obligation pour ces producteurs de reverser à l'État une partie de leurs gains, pour un total de 9,1 milliards d'euros de 2022 à 2024. Toutefois, même en prenant en compte ce reversement, sur la période globale de soutien public, ce sont tout de même 34,8 milliards d'euros nets qui ont été dépensés par l'État au profit des énergies intermittentes.

La commission d'enquête ne peut que constater l'effort considérable sur le plan financier qu'a représenté le développement des énergies renouvelables dans notre pays.

(2) Un soutien qui a principalement profité à la filière photovoltaïque

Les délibérations de la CRE détaillent la répartition des charges par filière de production renouvelable. Ainsi, entre 2003 et 2024, les dépenses de soutien aux énergies renouvelables ont été principalement orientées vers la filière photovoltaïque et dans une moindre mesure vers l'éolien terrestre.

En 2020, par exemple, le photovoltaïque représentait 50 % des charges de service public de l'énergie et l'éolien terrestre 33,6 %, alors qu'ils comptaient respectivement pour 10,4 % et 33 % dans la production d'énergies renouvelables électriques. Ces éléments attestent de la prédominance du soutien à l'énergie solaire par rapport aux autres filières.

Répartition des CSPE au soutien à la production d'EnR 2003-2024

Source : Commission d'enquête, d'après les délibérations de la Commission de régulation de l'énergie

Ainsi le coût du soutien moyen, du photovoltaïque a été de 215,9 €/MWh en 202397(*), dans le cadre de l'obligation d'achat ou du complément de rémunération, soit un montant de près de 4 fois plus important que pour l'éolien terrestre (90,4 €/MWh).

Évolution des CSPE relatives au soutien à la production
d'énergies renouvelables électriques par filière entre 2003 et 2024

(en millions d'euros)

Source : commission d'enquête d'après les délibérations de la CRE

Poids du soutien / Poids production EnR

Le poids des engagements antérieurs, et notamment des contrats en obligation d'achat avant 2014, a fortement pesé sur le soutien public apporté aux énergies renouvelables électriques. S'agissant du photovoltaïque, la Commission de régulation de l'énergie relevait dans une analyse sur le coût et la rentabilité des énergies renouvelables, publiée en avril 201498(*), que « Les tarifs très incitatifs, qui avaient été mis en place par les arrêtés tarifaires de 2006 et 2010, ont conduit à des rentabilités très supérieures au CMPC de référence, voire excessives, qui confirment les conclusions de la délibération de la CRE du 3 décembre 2009. Cette rentabilité excessive a conduit à un développement spéculatif de la filière. La diminution des tarifs d'achat et le recours aux appels d'offres ont permis de ramener la rentabilité des projets à des niveaux plus proches du CMPC de référence ».

En effet, en 2006, le nouvel arrêté tarifaire (dit « S06 »), valable jusqu'en 2010, a relevé ces tarifs à un niveau trop élevé, ce qui a produit un effet d'aubaine pour des contrats d'une durée de vingt ans. Ainsi, entre 2006 et 2010, 235 000 contrats ont été signés pour un soutien public moyen de 480 €/MWh. Parallèlement, les coûts d'installation des centrales ont été divisés par quatre. Le dispositif a fait l'objet d'une refonte en 2011, après un moratoire instauré en urgence.

En outre, la tentative de réviser à la baisse les tarifs d'achat de ces contrats de soutien à la production d'électricité photovoltaïque, signés entre 2006 et 2011, envisagée par la loi de finances initiale pour 2021, s'est soldée par un cuisant échec pour le Gouvernement. Il a, en effet, été contraint de renoncer à ce dispositif qui devait pourtant rapporter quatre milliards d'euros aux finances publiques, après l'annulation de l'arrêté d'application par le Conseil d'État en janvier 2023. 1 071 installations étaient visées dans le cadre de ce nouveau dispositif dont 400 auraient pu voir leurs tarifs révisés ; elles auraient cependant pu se saisir de la clause de sauvegarde au titre de la viabilité économique du producteur, comme l'avait fait valoir Christine Lavarde dans le cadre du contrôle budgétaire de la commission des finances consacré à la révision des tarifs d'obligation d'achat des contrats photovoltaïques 2006-2010, réalisé en septembre 202199(*).

La politique de soutien à la filière du solaire intégré au bâti

La politique de soutien à la filière du solaire intégré au bâti (IAB), qui se voulait être une stratégie d'excellence technologique et d'innovation française, n'a quant à elle pas connu les résultats escomptés. Dès sa mise en oeuvre, la prime IAB a créé un fort appel d'air chez les producteurs qui a essentiellement profité aux entreprises existantes, la plupart allemandes. L'offre des entreprises françaises n'était pas encore suffisamment mature pour investir ce marché de niche. À cette époque également, les panneaux solaires connaissaient une chute vertigineuse de leurs coûts de production alimentée par la concurrence asiatique. Ce sont finalement des produits inattendus mais répondant parfaitement au dispositif réglementaire qui se sont imposés. L'effet d'aubaine subi par le dispositif de soutien au bâti a eu pour conséquence une explosion des volumes financiers supportés par l'État.

L'IAB a ainsi créé des obligations d'achat pour l'État pour vingt ans, dont le montant total a été estimé par la Cour à 8,6 milliards d'euros (dont 7,4 milliards d'euros pour les engagements pris avant 2011). De nombreuses fraudes ont également été constatées dans l'attribution de la prime IAB et aucune évaluation de son efficacité économique ou énergétique n'a été établie. Malgré cet échec, quelques grandes entreprises françaises, positionnées sur l'aval de la chaîne de valeur (travaux publics, habitat ou services), continuent aujourd'hui de croire en ces technologies et d'investir dans des matériaux totalement intégrés, en dépit de l'absence de soutiens publics

Source : Rapport Cour des comptes - Le soutien aux énergies renouvelables - mars 2018

La commission d'enquête ne peut que regretter le manque d'anticipation et les failles de la politique menée ces dernières années par le Gouvernement en soutien aux énergies intermittentes.

S'agissant de la filière de l'éolien terrestre, elle a été financée exclusivement par l'octroi d'un tarif d'obligation d'achat jusqu'en 2017, qui n'avait pas fait l'objet d'une révision depuis 2006. Le basculement au complément de rémunération a donc été réalisé tardivement afin de se mettre en conformité avec les règles de l'UE.

La Cour des comptes relevait dans son rapport sur le soutien aux énergies renouvelables, publié en mars 2018, que « Face à une acceptabilité sociale limitée des éoliennes, les dispositifs de soutien ont longtemps cherché à préserver la filière en limitant la pression sur la baisse des prix »1.

Les compensations versées par l'État au titre des charges de service public de l'énergie pour soutenir la production d'énergies renouvelables électriques sur la période 2003 à 2024, s'élèvent à :

- 26,392 milliards d'euros pour le photovoltaïque ;

- 2,301 milliards d'euros pour l'éolien terrestre ;

- 1,996 milliards d'euros pour les bio-énergies (dont biogaz et bois-énergie) ;

- 4,346 milliards d'euros pour les autres énergies (dont petite hydraulique, incinération d'ordures ménagères et géothermie).

Compensations versées par l'État au titre des charges de service public de l'énergie pour le soutien aux énergies renouvelables électriques
entre 2003 et 2024

(en millions d'euros)

Source : commission d'enquête d'après les délibérations de la CRE

Sur la période qui précède la hausse des prix des énergies, au titre des années 2003 à 2020, elles se répartissent ainsi :

- 22,323 milliards d'euros pour le photovoltaïque ;

- 11,329 milliards d'euros pour l'éolien terrestre ;

- 1,739 milliard d'euros pour les bio-énergies (dont biogaz et bois-énergie) ;

- 5,640 milliards d'euros pour les autres énergies (dont petite hydraulique, incinération d'ordures ménagères et géothermie).

(3) Les bienfaits de la crise de l'énergie sur les finances publiques

Toutefois, depuis le début de la crise de l'énergie, les prix de l'électricité sur les marchés de gros se sont durablement établis à des niveaux supérieurs aux rémunérations garanties par les dispositifs de soutien public, si bien que celles-ci se sont transformées en rémunérations plafonnées qui, pour les installations concernées par ces mécanismes, se traduisent par un prélèvement mécanique des revenus excédentaires qui auraient été perçus par les producteurs d'électricité renouvelable du fait de la flambée des prix de l'électricité. Ces derniers se sont donc retrouvés à devoir reverser des primes négatives à l'État.

Dans sa délibération du 13 juillet 2023, la CRE estime qu'entre 2022 et 2024, la production d'EnR électriques en métropole continentale devrait se traduire par des recettes exceptionnelles cumulées prévisionnelles d'environ 9,3 milliards d'euros pour l'État :

- 1,9 milliard d'euros au titre de 2022 ;

- 4,7 milliards d'euros au titre de 2023 ;

- 2,7 milliards d'euros au titre de 2024.

Ces recettes exceptionnelles versées par les producteurs représentent 20 % des subventions accordées par l'État aux producteurs, dans le cadre de ces mêmes mécanismes de soutien, entre 2003 et 2021. Force est de noter que toutes les filières n'y contribuent pas dans les mêmes proportions. Elles dépendent, comme l'indique la Commission de régulation de l'énergie, « de l'écart entre le niveau moyen du tarif de soutien à la filière et les références de prix de marché, ainsi que de la production totale de la filière »100(*). Par ailleurs, le petit photovoltaïque en obligation d'achat ne contribue pas à ce dispositif.

Subventions et contributions des énergies renouvelables par filière
au titre de la CSPE entre 2003 et 2024

(en millions d'euros)

Source : commission d'enquête d'après les délibérations de la CRE

La filière éolienne terrestre est le plus gros contributeur à hauteur d'environ 9,2 milliards d'euros, soit l'essentiel des recettes constatées au titre de l'année 2022 et attendues au titre des années 2023 et 2024. Elle représentait 42 % de la production d'électricité renouvelable soutenue en métropole continentale en 2022.

La filière photovoltaïque devrait bénéficier des mécanismes de soutien pour un montant de l'ordre de 1,6 milliard d'euros au titre de ces trois années. Cette filière pèse davantage que l'éolien terrestre dans les dispositifs de soutien, mais n'est à l'origine que de 24 % de la production soutenue en 2022. Cette situation s'explique très largement du fait du poids des contrats passés à des prix élevés, sous obligation d'achat. Ainsi la Commission de régulation de l'énergie dans sa délibération de septembre 2023 fait observer qu'« il convient cependant de noter la forte disparité entre les coûts des installations photovoltaïques, selon leurs tailles et caractéristiques et selon qu'elles bénéficient ou non d'un dispositif de soutien antérieur au moratoire de 2010 sur le soutien aux installations photovoltaïques ».

Le dispositif de déplafonnement des contrats de complément de rémunération, prévu par la loi du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022, a, par ailleurs, eu un impact pour les finances publiques, comme le note la Commission de régulation de l'énergie dans sa délibération de septembre 2023 : « le déplafonnement des contrats de complément de rémunération représente une part considérable de cette recette cumulée prévisionnelle, de l'ordre de 30 à 50 % »101(*).

En effet, certains contrats de complément de rémunération, principalement dans le cadre d'appels d'offres lancés entre 2016 et 2019, disposaient de mécanismes de plafonnement qui limitaient les primes négatives que les producteurs devaient reverser à l'État en cas de dépassement de la rémunération de référence par rapport aux rémunérations perçues.

Or, avec la hausse imprévue des cours de l'électricité en 2022, ce plafonnement aurait conduit à des taux de rentabilité très élevés, bien au-delà d'une rémunération raisonnable pour les producteurs. Environ 3 200 contrats étaient concernés, représentant un enjeu financier d'environ 2,4 milliards d'euros pour 2022 selon une évaluation préalable. La CRE estimait l'enjeu à 2,4 milliards d'euros pour 2022 et 2 milliards pour 2023 dans sa délibération de juillet 2022102(*).

Contrairement à ce que notait la Cour des comptes dans son rapport sur le soutien aux énergies renouvelables103(*), publié en mars 2018, selon lequel « la charge annuelle des engagements passés ne diminuera donc significativement que postérieurement à 2030, lorsque le poids des engagements antérieurs à 2011 s'estompera », la crise énergétique, qui a provoqué une flambée des prix de l'électricité sur les marchés de gros européens, a contribué à diminuer, temporairement, cette charge qui pèse sur les finances publiques. Les mécanismes de soutien se sont alors transformés en dispositifs de prélèvement automatique de revenus exceptionnels liés à cette hausse des prix. Toutefois, la baisse des prix de l'énergie, qui a été plus rapide que prévue, a conduit à réviser à la baisse ces recettes exceptionnelles en 2023.

La commission d'enquête prend acte de cet effet conjoncturel sur les finances publiques, mais imprévisible sur le long terme, qui ne peut fonder une politique de développement des énergies renouvelables.

(4) Des effets d'aubaine qui n'avaient pas été anticipés

La hausse inédite des prix de l'électricité observée au cours de l'année 2022 a conduit certains producteurs d'électricité renouvelable à résilier unilatéralement leurs contrats par pur effet d'aubaine. Certes, cette hausse ne pouvait pas être raisonnablement anticipée par les producteurs mais elle a révélé des stratégies opportunistes de certains acteurs économiques.

Des producteurs ont ainsi décidé de résilier leur contrat d'achat ou de complément de rémunération avant son échéance pour bénéficier de cette tendance, au lieu de percevoir l'éventuel soutien financier de l'État prévu initialement. En effet, certains contrats ne prévoyaient pas de pénalités ou trop faibles en cas de résiliation unilatérale des producteurs, ce qui témoigne d'un manque de vigilance blâmable des administrations conceptrices de ces contrats.

Selon la délibération de la CRE du 13 juillet 2023, à la fin du mois de mai 2023104(*), 4,7 GW d'installations ont demandé à résilier de manière anticipée leur contrat de soutien au périmètre d'EDF. Ce phénomène, certes limité, a été particulièrement marqué à l'été et l'automne 2022, lors des périodes de très fortes hausses des prix de gros, et a surtout concerné les filières éolienne et hydraulique. En outre, même si un certain nombre de ces contrats n'avaient pas ou peu bénéficié de ce soutien public, la garantie apportée par l'État avait permis aux producteurs concernés d'assurer le financement de leur projet.

Les contrats résiliés ont été principalement ceux qui :

- arrivaient à échéance à un horizon de temps où les producteurs peuvent se couvrir sur les marchés à terme ;

- et sans clause de pénalités en cas de résiliation anticipée à l'initiative du producteur (certains contrats ne prévoient pas notamment le remboursement par les producteurs de l'ensemble du soutien perçu depuis la date de prise d'effet du contrat).

Source : Commission de régulation de l'énergie

Les derniers appels d'offres disposent qu'en cas de résiliation à l'initiative du producteur, le montant de l'indemnité de résiliation est égal aux sommes du complément de rémunération déjà versées par celui-ci. Force est de constater cependant, qu'en cas de résiliation proche de l'entrée en vigueur du contrat de soutien, ce montant est très faible.

Or le développement de ces installations a été permis par la garantie et le soutien financiers de l'État pendant une longue période, généralement vingt ans. La commission d'enquête s'interroge sur cette possibilité de sortie anticipée des contrats de soutien qui permet à ces producteurs de bénéficier d'un effet d'aubaine en captant les rentes liées aux prix de gros élevés, sans contrepartie pour l'État, et sans avoir à reverser les aides perçues. La Commission de régulation de l'énergie estime ainsi que « les conditions de résiliation des contrats de complément de rémunération devraient être davantage encadrées et mises en cohérence avec le préjudice induit pour l'État »105(*).

Le minimum serait que soit proscrit la possibilité pour ces producteurs, leurs filiales ou sociétés mères et leurs mandataires sociaux, de bénéficier à nouveau des mécanismes de soutien public.

4. Le marché de capacités : l'impératif d'un recentrage sur l'objectif de sécurité d'approvisionnement

Au cours des années 2010, la baisse des prix sur les marchés de gros a mis en péril le modèle économique des capacités de production nécessaires pour couvrir les pointes de consommation, en particulier les centrales à gaz. Leurs fermetures pour des motifs économiques menaçaient de compromettre la sécurité d'approvisionnement. Pour cette raison, de nombreux États européens ont instauré des mécanismes de capacité destinés à assurer la viabilité de ces centrales indispensables pour satisfaire la demande en période de tension sur le système électrique.

Le « missing money » ou pourquoi le marché ne permet pas de rémunérer les capacités de pointe

L'incertitude en termes de prix sur les marchés de l'électricité est telle que les investissements sur les moyens de pointe peuvent apparaître trop risqués et que les détenteurs de capacités de pointe peuvent anticiper que le marché de l'énergie ne leur permettra pas de couvrir les coûts fixes associés à leur présence dans le système électrique.

Cette dernière imperfection du marché, connue sous la terminologie de « missing money » (« argent manquant »), a été identifiée par Paul Joskow106(*) comme étant l'un des éléments majeurs pouvant remettre en question l'efficacité économique et la fiabilité de la libéralisation des marchés de l'électricité.

Par ailleurs, pour des moyens de production qui ne sont pas « de pointe » mais dont le fonctionnement fait appel à une gestion de stock sur l'année (stock hydraulique au sein d'un lac ou d'une retenue, ou stock de combustible nucléaire au sein d'une recharge), l'incitation à être disponible lors des pointes de consommation dépend des différentiels de prix horaires de l'énergie entre ces périodes de pointe et le reste de l'année. Si les différentiels de prix ne sont pas suffisants, la disponibilité de ces moyens pourrait ne pas être assurée.

Source : Cour des comptes, L'organisation des marchés de l'électricité, 2022

Le dispositif français a été prévu par l'article 6 de la loi Nome à partir des propositions du rapport dit Poignant-Sido sur la maîtrise de la pointe électrique107(*). Après la publication des textes réglementaires d'application et l'approbation de la Commission européenne en 2016, puisqu'il constitue une aide d'État au bénéfice des détenteurs de capacité, le dispositif est entré en vigueur en 2017 pour une durée de dix ans. Il repose sur deux principes.

Il est dit « décentralisé » au sens où les fournisseurs ont la responsabilité de détenir des garanties de capacité suffisantes pour assurer la couverture de la pointe de consommation correspondant à leur portefeuille de clients. Les coûts d'acquisition de ces garanties sont ensuite répercutés sur la facture des consommateurs et intégrés dans le calcul des TRVe.

Le mécanisme français est également neutre technologiquement au sens où il n'est pas réservé à certaines filières de production et qu'il concerne aussi bien les installations déjà existantes que les nouvelles centrales. La Cour des comptes note que ce choix d'absence de ciblage « confère au dispositif une assiette financière importante et conduit donc à la facturation au consommateur d'un coût potentiellement élevé »108(*).

Les garanties de capacité sont échangées sous formes d'enchères sur un marché de capacité géré par la société Epex spot. En parallèle à ce marché de capacité a été instauré, depuis 2019, un mécanisme d'appels d'offres pour des contrats de long terme destinés aux acteurs qui proposent de nouvelles capacités de production permettant de répondre aux pointes de consommation. Un mécanisme similaire d'appels d'offres est également destiné à développer les effacements de consommation.

Les typologies de mécanismes de capacité varient d'un pays à l'autre

En Europe, treize États (douze dans l'Union européenne et le Royaume-Uni) ont fait le choix d'introduire des mécanismes de capacité pour atteindre leurs objectifs de sécurité d'approvisionnement. Toutefois, la notion de sécurité d'approvisionnement recouvre des définitions variées selon les États membres, et se traduit par conséquent par des indicateurs de suivi dissemblables.

Ces différents mécanismes peuvent être segmentés selon une typologie établie en 2016 par la Commission européenne dans le cadre de son enquête sectorielle sur le mécanisme de capacité.

Elle distingue les mécanismes ciblés, qui ne vont rémunérer que la capacité additionnelle mobilisée durant les périodes de pointe de consommation, des mécanismes « market wide » ou « capacity wide » (cas du mécanisme français), qui rémunèrent l'ensemble des capacités existantes. Elle distingue également les mécanismes basés sur le volume (« volume-based »), où le volume de capacité à pourvoir est fixé, des mécanismes basés sur le prix (« price-based »), dans lesquels le prix de rémunération de la capacité est fixé.

De ce fait, des différences apparaissent entre les pays sur les critères d'éligibilité des filières.

En Allemagne, les mécanismes de capacité sont ciblés vers certaines filières qui constituent des réserves stratégiques : les capacités de production spécifiquement dédiées à la sécurisation de la pointe ne sont activées qu'en cas de besoin.

Au Royaume-Uni, mécanisme le plus proche du modèle français, l'ensemble des capacités de production est éligible au mécanisme de capacité, à l'exception toutefois de celles qui bénéficient par ailleurs de subventions publiques, comme les énergies renouvelables.

Source : Cour des comptes, L'organisation des marchés de l'électricité, 2022

Dans le bilan du mécanisme qu'il a réalisé en 2021109(*), RTE a considéré que celui-ci avait permis d'éviter la fermeture de centrales de pointe dont la viabilité économique était sérieusement menacée (telles que les cycles combinés au gaz ou les turbines à combustion par exemple) pour une puissance équivalente de 2 à 3,5 GW.

Toutefois, ce dispositif est coûteux pour les consommateurs. D'après RTE, selon les années, il pèse entre 500 millions d'euros et 1,2 milliard d'euros sur les factures. Il est donc nécessaire, dans la perspective de son renouvellement après 2026, de mesurer l'efficience du mécanisme tel qu'il a été conçu en France.

À ce titre, dans son rapport de 2022 précité, la Cour des comptes considère que les paramètres du mécanisme de capacité français génèrent des « effets d'aubaine » pour les filières hydroélectrique et nucléaire qui seraient rémunérées « de façon disproportionnée au regard des besoins de sécurité d'approvisionnement ». En effet, d'après la Cour des comptes, rien ne prouve aujourd'hui que le mécanisme de capacité conduise à augmenter la disponibilité de ces deux filières lors des épisodes de pointe. Elle estime en effet qu'il n'existe pas à ce jour de « démonstration robuste quant aux effets du mécanisme de capacité sur les décisions de disponibilité des moyens de production nucléaires ou hydrauliques lors des périodes précises de pointe de consommation ».

La Cour des comptes considère que, tel qu'il est actuellement conçu en France, le mécanisme apporte une rémunération qui excèderait la couverture des coûts de production de ces deux filières. Dans le cadre de la future révision du mécanisme de capacité, la Cour des comptes estime ainsi qu'une « réforme proportionnant les rémunérations capacitaires des filières aux strictes nécessités de la sécurité d'approvisionnement pourrait permettre de préserver la facture du consommateur sans dégradation du niveau de service en termes de sécurité d'approvisionnement ». Cette réforme pourrait passer par un ciblage du dispositif ou, à tout le moins par l'instauration de plafonds de rémunération spécifiques pour les unités de production existantes, plafonds qui seraient inférieurs à ceux appliqués aux nouvelles capacités.

C. LES MARCHÉS DE DÉTAIL N'OFFRENT PAS DE GARANTIE DE PROTECTION ET DE STABILITÉ DES PRIX AUX CONSOMMATEURS

1. Une ouverture à la concurrence dont les apports sont discutables

La réalisation du marché intérieur a contribué, à partir de 1996, à la libéralisation progressive du marché de l'énergie afin de supprimer les entraves aux échanges d'électricité et de gaz entre les États membres. L'ouverture à la concurrence devait permettre, pour la Commission européenne, d'assurer la sécurité d'approvisionnement à un prix abordable pour l'ensemble des consommateurs européens.

Cette libéralisation a ouvert le marché de détail de l'électricité à des fournisseurs alternatifs et a mis fin au monopole des acteurs historiques que sont EDF et les entreprises locales de distribution (ELD). Depuis, les consommateurs français, particuliers et entreprises, peuvent se procurer de l'électricité auprès de différents types de fournisseurs.

a) L'émergence de la concurrence sur le marché de détail de l'électricité : une réalité en demi-teinte
(1) L'ouverture à la concurrence du marché de détail de l'électricité

La libéralisation du marché européen de l'électricité et du gaz s'inscrit dans le mouvement général d'ouverture à la concurrence des différents secteurs de l'économie dans l'UE. La directive du 19 décembre 1996 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité110(*) prévoyait une ouverture à la concurrence des marchés nationaux, en plusieurs étapes : 1997, 2000 et 2003. Le deuxième paquet « énergie »111(*) a généralisé la concurrence dans le secteur de l'électricité, en établissant le libre choix du fournisseur d'électricité pour les clients professionnels, entreprises et collectivités, à partir du 1er juillet 2004, et pour les particuliers, à partir du 1er juillet 2007. De nouveaux textes européens sont venus renforcer la libéralisation de ce secteur ainsi que la protection des consommateurs.

Ouverture progressive du marché de l'électricité et du gaz

Source : Médiateur national de l'énergie

Ce processus impliquait de mettre fin aux monopoles pouvant régir les marchés nationaux. En France, il s'est notamment traduit par une privatisation partielle d'EDF, pour l'électricité, et GDF (devenu Engie suite à sa fusion avec Suez), pour le gaz. Il s'agissait, d'une part, de donner aux consommateurs le libre choix de leur fournisseur et, d'autre part, de garantir la liberté d'établissement pour les producteurs. Cette libéralisation du secteur induisait aussi pour les producteurs et fournisseurs, un droit d'accès aux réseaux de transport et de distribution d'énergie, dans des conditions non discriminatoires et transparentes.

À partir du 1er juillet 2007, le marché français de l'électricité est devenu totalement ouvert à la concurrence ; de nouveaux fournisseurs112(*) d'électricité, dits « alternatifs », sont alors entrés sur le marché de détail proposant leurs offres aux particuliers et aux professionnels, lesquels disposaient de la liberté de choisir librement leur fournisseur. Les consommateurs dont la puissance souscrite est inférieure ou égale à 36 kVA peuvent désormais résilier leur contrat et changer d'offre ou de fournisseur à tout moment, sans frais, et sans coupure de fourniture. 

La loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (loi Nome) a introduit plusieurs mesures visant à favoriser la concurrence sur le marché de l'électricité en France et à permettre l'entrée effective de fournisseurs alternatifs à EDF. La création de l'Arenh (Accès régulé à l'énergie nucléaire historique) leur a ainsi permis d'accéder à une partie de la production électrique nucléaire d'EDF à un prix régulé afin de pouvoir proposer à leurs clients des prix compétitifs. Chaque fournisseur d'électricité était également tenu de disposer de capacités de production ou d' effacement suffisantes pour approvisionner à tout moment ses clients.

Source : Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Les consommateurs, particuliers et professionnels, ont donc eu la possibilité de choisir entre deux types d'offres : les offres de marché dont les prix sont fixés librement par les fournisseurs et proposés par les fournisseurs alternatifs et historiques, ou les tarifs réglementés de vente (TRVe), fixés par les pouvoirs publics et proposés par les fournisseurs historiques, EDF et les entreprises locales de distribution.

À la fin de l'année 2015, les tarifs réglementés de vente ont été supprimés pour les gros et moyens consommateurs (puissance souscrite supérieure à 36 kVA) en France métropolitaine continentale, ceux-ci étaient alors tenus de souscrire une offre de marché au 1er janvier 2016 et à défaut, ceux qui n'avaient pas basculé vers une offre de marché à cette date, ont été affectés à des fournisseurs retenus selon une procédure concurrentielle, organisée par la Commission de régulation de l'énergie. Les TRVe ont été maintenus pour les particuliers, et pour les très petites entreprises, sous certaines conditions. Dans les zones non-interconnectées (ZNI) en revanche, les tarifs réglementés s'appliquent encore à l'ensemble des consommateurs.

(2) Une dynamique concurrentielle sans remise en cause de la position de leader d'EDF

L'arrivée sur le marché aval de l'électricité de nouveaux fournisseurs, à partir de la fin des années 2000, qui viennent défier la position dominante d'EDF, était censée créer une dynamique concurrentielle.

(a) Un marché concentré autour d'un nombre limité de fournisseurs

La France connaît alors une augmentation progressive du nombre de fournisseurs alternatifs qui proposent des offres visant à concurrencer celles de l'opérateur historique. Cette tendance tend à se stabiliser au début des années 2020 avant de se contracter lors de la crise des prix de l'énergie. Le marché reste toutefois concentré autour d'un nombre relativement limité de fournisseurs d'électricité, comme le notait la Cour des comptes dans son rapport sur l'organisation des marchés électriques113(*), « la France fait ainsi partie des 30 % de pays européens aux indices de concentration les plus élevés sur le marché de détail ».

Évolution du nombre de fournisseurs alternatifs depuis 2012

Source : Commission d'enquête d'après observatoire des prix de détail de la CRE

Au 31 décembre 2022, on comptait 31 fournisseurs alternatifs sur le marché résidentiel de l'électricité, contre 32 au 31 mars 2021 et 29 au 31 décembre 2019. Ils n'étaient que 6 en 2012. S'agissant du marché des grands et moyens sites résidentiels, leur nombre a augmenté à partir du milieu des années 2010, pour s'établir à 36 à la fin de l'année 2022, après un pic à 38 en 2021. La crise a eu tendance à renforcer la concentration du marché français de fourniture d'électricité.

Progressivement, le profil des nouveaux entrants sur ce marché s'est diversifié avec l'arrivée notamment d'acteurs de la grande distribution.

(b) Des fournisseurs alternatifs très présents sur le marché des professionnels

À partir du début des années 2010, la concurrence s'est progressivement développée avec l'émergence sur le marché de l'électricité tant pour les particuliers que pour les professionnels de nouvelles offres proposées par les fournisseurs alternatifs.

Malgré la multiplication des offres commerciales des fournisseurs alternatifs, les consommateurs, particuliers comme professionnels, ont été relativement attentistes et ne se sont que progressivement tournés vers ces offres de marché. Une large majorité des particuliers est ainsi restée fidèle aux TRVe proposés par les fournisseurs historiques.

Après avoir été peu présents sur le marché de détail, les fournisseurs alternatifs ont commencé à gagner des parts de marché significatives à partir du milieu des années 2010, en particulier auprès des moyennes et grandes entreprises. La part de marché en nombre de sites des fournisseurs alternatifs a ainsi doublé sur la période 2012 à 2016, passant de 7 % à respectivement, 14 % pour les résidentiels et 17 % pour les non résidentiels. Ce dynamisme s'est accéléré à la fin des années 2010, puisque ces fournisseurs représentaient, en 2020, environ 28 % de parts de marché. Elle s'est légérement contractée pour la première fois, en 2022, sous l'effet de la crise énergétique.

Évolution des parts de marché des fournisseurs alternatifs en nombre de sites et en consommation (en %)

Clients résidentiels

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

sites

6,9

7,9

9,6

11,6

14,2

17,9

21,9

25,7

28,3

30,6

29,1

29,2

consommation

7,2

8,9

7,4

9,2

11,9

15,5

19,5

23,4

26,2

28

26,7

27

Clients non résidentiels

 

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

2023

sites

7,6

8

8,8

11,7

17,4

20,1

23,3

26

28,9

36,5

35,2

34,2

consommation

20,8

22,2

21,5

29

37,4

38,7

43

46,1

50

54

51,9

49,3

Source : Commission de régulation de l'énergie

À partir de 2020, la part de marché en sites et en consommation des fournisseurs alternatifs se stabilise pour les sites résidentiels et non résidentiels. Les offres alternatives pour les entreprises ont progressivement pénétré le marché : en 2023, plus d'un tiers des sites non résidentiels, représentant près de 50 % de la consommation en électricité, ont recours aux offres des fournisseurs alternatifs. L'ouverture à la concurrence a été d'abord une réalité pour les industriels électro-intensifs.

Le bilan de l'ouverture à la concurrence des marchés de l'électricité est toutefois en demi-teinte. Les tarifs réglementés de vente ne sont pas concurrencés par les offres de marché proposées par les fournisseurs alternatifs. Les offres aux tarifs réglementés représentent encore, au 31 décembre 2023, 57 % des sites, dont 61 % des sites résidentiels. En temps de crise, elles deviennent même une « valeur refuge » pour les consommateurs qui ont eu tendance à se détourner des offres de marché. D'après l'observatoire des marchés de détail de la CRE114(*), les fournisseurs alternatifs ont perdu 423 400 clients (374 000 résidentiels et 49 400 non résidentiels) en 2022, après une forte croissance en 2021. En 2023, ils ont continué à perdre des clients professionnels (49 000 non résidentiels), en raison du passage aux TRVe des petites entreprises, mais ils en ont regagné chez les particuliers (110 000 résidentiels).

Selon les chiffres de la Commission de régulation de l'énergie115(*), au 31 décembre 2023, environ 43 % des sites sont en offre de marché, dont 30 % auprès d'un fournisseur alternatif et environ 74 % de la consommation est fournie par des offres de marché, dont 41 % auprès d'un fournisseur alternatif.

Répartition de sites par type d'offres au 31 décembre 2023

(3) La concurrence a favorisé le développement d'offres innovantes

La fourniture d'électricité ne représentant que le tiers de la facture et la plupart des fournisseurs ne produisant pas d'électricité, la concurrence sur les prix a été limitée. Les fournisseurs alternatifs se sont donc orientés vers une diversification des services proposés. Ils ont alors mené des campagnes d'information et de publicité auprès des consommateurs axées sur une différenciation des offres proposées avec celles de l'acteur historique.

« Les fournisseurs alternatifs ont de faibles marges de différenciation par les prix de vente. Mais ils pourraient se différencier par leurs offres commerciales, en lien avec les profils de consommation des clients »116(*), relevait, d'ailleurs, le rapport public de la Cour des comptes dans son chapitre sur l'ouverture du marché de l'électricité à la concurrence, publié en février 2015.

Cette ouverture à la concurrence a ainsi permis le développement d'offres innovantes, allant de l'électricité verte à l'intégration de services numériques pour une consommation plus maîtrisée. Des services de maîtrise de consommation ou d'efficacité énergétique, tels que l'intégration de services numériques comme le suivi en temps réel ou le pilotage des installations à distance, ont été proposés par les fournisseurs à leurs clients. Ces offres alternatives ont ainsi contribué à proposer un ensemble de services complétant la simple fourniture d'électricité. Les acteurs historiques ont, par conséquent, été incités à enrichir les services proposés à leur clients résidentiels, en particulier.

Lors de la table ronde sur les fournisseurs alternatifs organisée par la commission d'enquête, Fabien Choné, président de Fabelsi, a ainsi souligné leur apport au marché, « je suis persuadé que là où la concurrence a le plus apporté, c'est sur la fourniture. Il faut absolument que les fournisseurs, qui sont en lien avec les consommateurs, les fassent participer aux enjeux de la transition énergétique, leur fassent acheter des véhicules électriques et des bornes de recharge, mais en les gérant intelligemment au regard du système électrique. Idem pour les panneaux photovoltaïques ou le chauffage bas-carbone intelligent qu'il va falloir piloter »117(*).

b) Une ouverture à la concurrence qui a aussi eu un coût pour les consommateurs
(1) Des comportements opportunistes révélés par la crise énergétique

L'ouverture à la concurrence sur le marché de la fourniture d'électricité nécessitait d'offrir aux nouveaux entrants des conditions favorables au développement de leurs activités. Ainsi, conformément aux préconisations du rapport Champsaur, a été mis en place l'Arenh, déjà évoqué plus haut, qui leur a permis de s'approvisionner en électricité nucléaire à un prix régulé, pour un certain volume, aux mêmes conditions qu'EDF. En dehors de l'Arenh, les fournisseurs alternatifs peuvent se fournir sur les marchés de gros.

Or, comme nous l'avons vu, la hausse des prix sur les marchés de gros sur la période récente a renforcé l'attractivité de l'Arenh et a contribué à une très forte augmentation des demandes de la part des fournisseurs alternatifs. Ces demandes ont alors rapidement dépassé le plafond de 100 TWh jusqu'au 31 décembre 2019 et 150 TWh à partir du 1er janvier 2020, contraignant l'ensemble des acteurs à se fournir en électricité à prix élevé sur les marchés de gros et induisant une pression à la hausse de ces marchés118(*).

(2) Une exposition aux fluctuations des prix qui a conduit à des défaillances de certains fournisseurs

En contrepartie de l'Arenh, les fournisseurs alternatifs sont soumis à une obligation de capacité, c'est-à-dire qu'ils doivent disposer de garanties de capacités pour couvrir la consommation de l'ensemble de leurs clients, y compris en périodes de pointe de consommation nationale. RTE, le gestionnaire de transport d'électricité, se charge de vérifier que chaque fournisseur respecte bien ses obligations. Pour cela, un système de garanties par voie de marché a été mis en place.

« Chaque fournisseur d'électricité doit disposer de garanties directes ou indirectes de capacités d'effacement de consommation et de production d'électricité pouvant être mises en oeuvre pour satisfaire l'équilibre entre la production et la consommation sur le territoire métropolitain continental »119(*). À défaut, le fournisseur risque une sanction pécuniaire, voire la suspension immédiate de son autorisation à revendre de l'électricité en France.

Certains fournisseurs d'électricité avaient adopté des stratégies commerciales trop exposées aux risques des marchés de gros et aux fluctuations de leurs prix, et ne s'étaient pas couverts sur les marchés. Ainsi, ces fournisseurs qui proposaient à leurs clients résidentiels et professionnels des offres à prix fixes, sur plusieurs années, ont été, pour certains, mis en difficulté lorsque les prix de marché ont fortement augmenté. Ils ont alors été dans l'incapacité de faire face à leurs engagements commerciaux. Cette situation les a contraints à procéder à des modifications de prix unilatérales en cours de contrat, en invoquant auprès de leurs clients une clause d'imprévision ou de force majeure. Les fournisseurs les plus en difficulté, dans l'incapacité de faire face à leurs pertes financières, ont ainsi fait faillite.

Les défaillances de fournisseurs ont eu des conséquences sur les acteurs du système électrique :

- des impayés sur les factures d'utilisation des réseaux de réseaux et de transport ;

- des coûts d'équilibrage supplémentaires afin de compenser les déséquilibres ;

- une perte de confiance des consommateurs dans le fonctionnement concurrentiel du marché de l'électricité.

Toutefois, comme le précise la Commission de régulation de l'énergie120(*), ces défaillances ont été relativement limitées, et n'ont concerné, en France, que quatre fournisseurs d'électricité. À la fin de l'année 2021, Hydroption, qui comptait parmi ses clients la Ville de Paris, a été placé en liquidation judiciaire. Par ailleurs, certains ont fait le choix de sortir volontairement du marché.

Source : Commission de régulation de l'énergie

Face à ces défaillances, la crise énergétique a mis en lumière la nécessité de revoir le cadre réglementaire encadrant les pratiques tarifaires et commerciales des fournisseurs pour assurer un bon fonctionnement du marché.

La Commission de régulation de l'énergie, dans son rapport sur le fonctionnement du marché, mais aussi les associations de consommateurs et l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz (Afieg), ont ainsi appelé à renforcer les conditions requises pour l'obtention d'une autorisation de fourniture, avec des obligations prudentielles. Cette recommandation a aussi été formulée par François Carlier, délégué général de l'Association nationale de défense des consommateurs et usagers (CLCV), lors de la table ronde sur le prix de l'électricité pour les « petits consommateurs organisée par la commission d'enquête : « il faut mettre des règles prudentielles, sur lesquelles la CRE travaille. On ne peut plus entrer dans ce marché avec seulement quelques millions d'euros »121(*).

La commission d'enquête préconise, afin de renforcer la prévention des stratégies risquées des fournisseurs, de soumettre les fournisseurs à des obligations prudentielles, consistant à couvrir en amont les engagements pris en aval dans les contrats à l'égard de leurs clients. La réforme du marché européen de l'électricité prévoit des obligations de nature prudentielle pour les fournisseurs, concernant notamment la couverture en amont des engagements pris vis-à-vis des clients.

Recommandation n° 7

Destinataire

Échéance

Support/Action

Mieux contrôler les fournisseurs alternatifs en renforçant significativement les règles prudentielles qu'ils doivent respecter

Gouvernement et Parlement

2024

Code de l'énergie

(3) Des fournisseurs qui sont très rarement devenus des producteurs

Alors qu'ils y étaient incités par la loi, les fournisseurs alternatifs ont rarement investi dans des moyens de production d'électricité. L'obligation de pouvoir disposer de garanties de capacités a aussi constitué une alternative au développement de moyens de production en propre. L'article 6 de la loi Nome avait, en effet, prévu que « chaque fournisseur d'électricité contribue, en fonction des caractéristiques de consommation de ses clients, en puissance et en énergie, sur le territoire métropolitain continental, à la sécurité d'approvisionnement en électricité », sans fixer d'obligation en termes d'investissement dans les moyens de production.

Les fournisseurs d'électricité étaient ainsi incités à développer des capacités de production d'électricité. Or seul un très faible nombre de fournisseurs s'est engagé dans une activité de production d'électricité, tels que Enercoop ou Energie d'ici, par exemple, qui sont aussi des producteurs d'énergies renouvelables. Comme le notait la Cour des comptes, « par ailleurs, les investissements des fournisseurs alternatifs dans des moyens de production de base sont inexistants et aucun contrat de long terme n'a permis à ces derniers de préparer la fin de l'Arenh après 2025 »122(*).

Les fournisseurs ont le plus souvent considéré, comme l'a indiqué l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode) à la commission d'enquête, que la structure très concentrée de la production française, liée en particulier à la place dominante d'EDF, n'était pas favorable à orienter leurs activités vers la production d'électricité : « force est de constater que la production d'électricité par les fournisseurs alternatifs se heurte à divers obstacles pratiques : le monopole sur la production de base. En effet, en l'absence de renouvellement des concessions hydroélectriques et en situation de monopole dans l'exploitation nucléaire, il reste peu de place pour les fournisseurs alternatifs d'investir la production. Cette situation est exacerbée par le manque réel d'ouverture à la concurrence dans le domaine des grandes énergies renouvelables, telles que l'éolien en mer, dont le profil de production est similaire à celui de la base »123(*). Cette difficulté a aussi été soulignée par Géry Lecerf, président de l'Afieg124(*), lors de la table ronde sur les fournisseurs alternatifs, : « la volonté d'investir est manifeste chez nombre de nos membres. Mais la capacité à investir sur du pilotable aujourd'hui, en France, est impossible »125(*).

En effet, pour l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (Anode)126(*), « tous les fournisseurs n'ont pas vocation à être producteurs (on ne reproche pas aux producteurs de ne pas être fournisseurs par exemple). Rester indépendant de la production d'énergie n'empêche pas les fournisseurs de contribuer fortement au développement de la production d'énergie, renouvelable en particulier : par la fourniture d'offres vertes (électricité et gaz) ; par l'achat de garanties d'origine, qui représentent un surplus de rémunération pour les producteurs ; par la contractualisation de contrat d'achat de long terme, ou d'achats conjoints ; par le développement de l'autoconsommation individuelle ou collective (les fournisseurs aident leurs clients à produire leur propre énergie) ».

2. Les prix de l'électricité pour les entreprises étaient compétitifs jusqu'à la crise mais, aujourd'hui, la compétitivité du secteur industriel est menacée

Globalement, avant la crise, les prix de l'électricité acquittés par les entreprises étaient compétitifs, notamment à l'échelle européenne. Cependant la crise des prix de l'énergie a modifié les équilibres au niveau mondial et des secteurs industriels électro-intensifs voient désormais leur compétitivité gravement affaiblie vis-à-vis de leurs concurrents internationaux. Cette situation fait peser un risque majeur sur les perspectives de réindustrialisation du pays.

a) Jusqu'à la crise, les entreprises françaises bénéficiaient de prix de l'électricité compétitifs à l'échelle de l'Europe

Les prix de l'électricité constituent un élément essentiel de la compétitivité de notre tissu économique. Cet aspect est exacerbé pour les gros industriels, grands consommateurs d'électricité, mais il est également important pour de très nombreuses entreprises de taille intermédiaire (ETI), petites et moyennes entreprises (PME) ou encore très petites entreprises (TPE).

Avant la crise énergétique, le prix moyen toutes taxes comprises (TTC) de l'électricité en France pour les entreprises avoisinait les 100 euros par MWh, dominé à plus de 50 % par le coût de la fourniture d'énergie. Le tarif d'acheminement représentait quant à lui un peu plus 25 % et la fiscalité 20 %.

Décomposition du prix TTC de l'électricité pour
les entreprises en France entre 2019 et 2022

(en euros par MWh)

Sources : Ministère de la transition énergétique, Prix de l'électricité en France et dans l'Union européenne en 2022

Le niveau du tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE) pour les entreprises

Les tarifs d'acheminement dépendent de la tension de raccordement :

- 7 euros par MWh pour les plus gros sites raccordés directement au réseau de transport ;

- 22/25 euros par MWh pour les sites raccordés en moyenne tension ;

- 50 euros par MWh environ pour les sites raccordés en basse tension ;

Les sites industriels sont principalement raccordés en haute ou en moyenne tension et s'acquittent d'un niveau moyen de TURPE situé entre 10 euros et 20 euros par MWh.

Source : commission d'enquête

Avant même le déclenchement de la crise énergétique, le prix de l'électricité moyen des entreprises en France suivait une tendance haussière. Ainsi, avait-il progressé d'environ 60 euros en 2007 à environ 100 euros en 2020. Cependant, sur cette même période, le prix TTC comme hors taxe de l'électricité pour les entreprises en France est resté nettement inférieur à la moyenne européenne.

Évolution des prix de l'électricité TTC pour les entreprises en Europe
entre 2007 et 2022

(en euros par MWh)

Sources : Cour des comptes, L'organisation des marchés de l'électricité, 2022

Les entreprises s'approvisionnent principalement via des contrats adossés sur les marchés à terme pour des maturités de deux à trois ans. Il existe trois principales typologies de contrats :

- les contrats à prix fixes, principalement conclus par des TPE et des PME ;

- les contrats dits « à clics » qui ne fixent pas le prix à l'avance mais seulement la marge du fournisseur ;

- les contrats de types « bloc + spot », plus souples, mais plus exposés aux aléas des marchés de court terme, ne sont accessibles qu'aux plus grosses entreprises127(*).

En moyenne l'Arenh, facturé à 42 euros par MWh représente entre 50 % et 65 % de l'approvisionnement des grosses entreprises industrielles. Elles s'approvisionnent pour le complément à travers des contrats principalement adossés sur les marchés à terme sur des durées qui dépassent rarement les trois ans. Certaines entreprises électro-intensives sont par ailleurs parties prenantes du consortium Exeltium, un contrat de long terme avec EDF qui représente entre 20 % et 30 % de leur approvisionnement total. Ce dernier aspect explique que seulement environ 25 % des 120 TWh d'électricité consommés chaque année par l'industrie soient exposés au marché.

Une proportion très restreinte de grosses entreprises, principalement industrielles, s'approvisionne directement sur les marchés de gros sans passer par des fournisseurs. Une telle capacité, qui nécessite de disposer d'une véritable salle de marchés et d'équipes d'experts dédiés, n'est à la portée que de rares sociétés.

b) Un « risque existentiel » pour certains secteurs industriels gros consommateurs d'électricité

Les entreprises industrielles sont classées en différentes catégories selon la part que représente la consommation électrique dans leur valeur ajoutée. Ainsi, les entreprises industrielles sont qualifiées :

- d'hyper électro-intensives128(*) si leur consommation électrique représente plus de 6 kWh par euro de valeur ajoutée ;

- d'électro-intensives129(*) si leur consommation électrique représente entre 2,5 kWh et 6 kWh par euro de valeur ajoutée ;

- d'électrosensibles130(*) si leur consommation électrique représente entre 1 kWh et 2,5 kWh par euro de valeur ajoutée.

Avant la crise, le prix de l'électricité pour les industriels en France était globalement compétitif, en particulier vis-à-vis de nos partenaires européens. D'après les réponses de France industrie au questionnaire de la commission, les prix moyen TTC représentaient ainsi environ 36 euros par MWh pour les secteurs hyper électro-intensifs, 46 euros pour les électro-intensifs, 61 euros pour les électrosensibles et 76 euros pour les autres industriels.

En 2023 encore, le prix moyen de l'électricité acquitté par les entreprises industrielles grandes consommatrices restait nettement plus compétitif en France qu'en Allemagne :

- 90 euros par MWh contre 127 euros par MWh pour les électro-intensifs ;

- 60 euros par MWh contre 105 euros par MWh pour les hyper électro-intensifs.

Cependant, de nombreux secteurs industriels se trouvent confrontés à une concurrence qui va bien au-delà du seul continent européen. Or, face à des régions du monde telles que l'Amérique du Nord ou l'Asie, l'écart de compétitivité lié aux prix de l'électricité se creuse dans des proportions très inquiétantes depuis le déclenchement de la crise des prix de l'énergie.

S'agissant des industries électro-intensives, l'Uniden a ainsi souligné dans ses réponses écrites au questionnaire de la commission d'enquête que des concurrents extra-européens avaient accès à des prix compris entre 25 et 50 euros par MWh. Les industriels hyper-électro-intensifs peuvent par exemple avoir accès à des prix situés entre :

- 20 et 30 dollars par MWh au Canada ;

- 35 et 40 dollars par MWh aux Etats-Unis ;

- 25 et 30 dollars par MWh en Norvège ;

- 25 dollars par MWh au Moyen Orient.

Pour les représentants des industriels, l'absence de régulation spécifique des prix de l'électricité, en dehors du cas de l'Arenh, constitue un grave désavantage concurrentiel vis-à-vis de leurs concurrents internationaux. Ils soulignent d'ailleurs que, sur ce point, l'Europe fait figure d'exception. Dans ses réponses écrites au questionnaire de la commission d'enquête, France industrie signale ainsi que « dans les autres régions du monde, la plupart des industriels électro-intensifs ont accès soit à un tarif régulé particulièrement favorable à l'industrie soit à des actifs de production d'électricité extrêmement compétitifs (hydraulique en particulier) ».

Le Comité de liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité sur le marché libre de l'électricité (CLEEE) a procédé à une comparaison internationale sur cette question dont les résultats sont présentés dans le tableau ci-après. Pour lui, « il ressort de cette comparaison que l'Europe est assez unique en ce que les entreprises, hors TPE, n'ont jamais accès aux tarifs réglementés ».

Types de prix de l'électricité appliqué aux entreprises à travers le monde

Pays

Type de prix de l'électricité payé par les entreprises

Canada

Réglementé ou marché selon les États

Etats-Unis

Réglementé ou marché selon les États

Australie

Au choix des entreprises

Japon

Réglementé

Inde

Réglementé et PPA

Chine

Réglementé et PPA

Turquie

Réglementé et PPA

Nouvelle-Zélande

Marché

Corée du Sud

Mixte

Afrique du Sud

Réglementé et PPA

Mexique

Au choix des entreprises

Brésil

Au choix des entreprises

Source : commission d'enquête, d'après les réponses du CLEEE au questionnaire

Aujourd'hui, le secteur de la chimie en France et en Europe semble directement et gravement menacé du fait d'une perte de compétitivité substantielle vis-à-vis des Etats-Unis et de la Chine. Les analyses menées récemment par France chimie131(*) sont à ce titre édifiantes et témoignent d'un « risque existentiel » pour la filière.

Un risque majeur pèse sur la compétitivité du secteur de la chimie

La crise énergétique, entamée dès l'été 2021, a d'abord impacté les entreprises industrielles électro-intensives comme celles de la chimie en France. L'énergie est de loin le premier poste de coûts des activités « amont », représentant jusqu'à 40 % voire 85 % des coûts de production en France. Le coût du gaz est le principal poste de coût pour la production d'ammoniac (79 % à l'été 2022) ou d'hydrogène (85 %), le coût de l'électricité pour le chlore (44 %) et le coût de la vapeur et de l'électricité pour le carbonate de sodium (45 %).

Du fait de l'importance de leur facture d'énergie, les entreprises intervenant dans ces sous-secteurs ont vu leurs coûts de revient fortement augmenter et l'écart avec leurs concurrents internationaux se creuser. Une étude menée par France chimie en 2022 a estimé une décote de 30 à 68 % en faveur des Etats-Unis par rapport à la France sur la production d'éthylène, de polyéthylène, d'hydrogène, d'ammoniac, de carbonates et de PVC. Cela représente un doublement des écarts de coût par rapport à la situation d'avant crise. La France souffre également d'un écart de compétitivité avec la Chine, sauf pour l'éthylène.

Dans un premier temps, entre l'été 2021 et l'été 2022, la désorganisation des chaînes logistiques mondiales a freiné la concurrence des Etats-Unis et de la Chine. Mais la tendance s'est ensuite brusquement inversée à l'été 2022 et la France a vu les importations en provenance des Etats-Unis s'envoler en 2022 (éthylène, PVC, ammoniac...) mettant en risque les emplois, créant de nouvelles dépendances sur des filières stratégiques et détériorant la balance commerciale nationale.

Aujourd'hui, le contexte de la crise énergétique fragilise la chimie en Europe et en France. En particulier la chimie de base affiche une production en recul de plus de 17 % en 2023. Nos entreprises perdent des parts de marché, notamment à l'export, en faveur des Etats-Unis et de la Chine qui bénéficient de prix de l'électricité respectivement autour de 40 euros par MWh et 70 euros par MWh (net rendu site), parfois encore moins pour les usines les plus électro-intensives.

Le résultat est sans appel : le taux d'utilisation des capacités de la chimie européenne tangente les 70 %, un niveau exceptionnellement bas, proche du plus bas atteint pendant la crise sanitaire. Avec la crise énergétique actuelle, les industriels européens de l'amont de la chimie se voient évincés par leurs concurrents d'autres régions du monde. Résorber l'écart de compétitivité de l'Europe et de la France devient un enjeu existentiel pour une part substantielle de notre industrie.

Source : réponses écrites de France chimie au questionnaire de la commission d'enquête

Dans ses réponses écrites au questionnaire de la commission d'enquête, France chimie souligne notamment à quel point la production de la chimie européenne a massivement décroché depuis 2022, en particulier par rapport à la production manufacturière, comme l'illustre le graphique ci-après.

Comparaison des évolutions de la production de l'industrie manufacturière et de la chimie en Europe (2016-2023)

Source : réponses de France chimie au questionnaire de la commission d'enquête

À rebours des promesses de réindustrialisation si souvent affichées, la situation actuelle semble au contraire extrêmement inquiétante et laisse entrevoir une possible nouvelle vague de désindustrialisation en France et en Europe qui commencerait par le secteur de la chimie.

Dans ses réponses écrites au questionnaire de la commission d'enquête, France chimie s'est montrée particulièrement alarmiste considérant que la survie même du secteur était désormais gravement menacée si des mesures fortes n'étaient pas prises pour assurer sa compétitivité : « alors que la France était parvenue à constituer, puis préserver, un tissu industriel d'entreprises électro-intensives sur son territoire (la France détient 25 % des capacités de production de PVC), la crise énergétique actuelle et l'absence de perspectives positives sur l'approvisionnement en électricité met en péril ces activités. Compte tenu des niveaux de benchmark ci-dessus, l'enjeu pour les entreprises électro-intensives est d'obtenir un prix net rendu site autour de 30 euros par MWh. Pour les entreprises électro-intensives, ce prix pourrait aller jusqu'à 60 euros par MWh maximum, mais il faudrait un prix inférieur pour enclencher les projets d'électrification des procédés ».

3. Les TRVe ont perdu leur caractère protecteur et sont largement corrélés aux fluctuations intempestives des prix de marchés

D'après l'observatoire des marchés de détail de l'énergie du quatrième trimestre 2023132(*), à la fin de l'année 2023, 20,9 millions de sites résidentiels avaient souscrit une offre de fourniture au tarif réglementé, soit 60 % du total. Par ailleurs, parmi les 40 % restant, 44 % disposent d'un contrat de marché indexé sur les TRVe. Concernant les clients non résidentiels, c'est-à-dire les personnes morales éligibles aux TRVe133(*), 32 % avaient souscrits un contrat au tarif réglementé à la fin de l'année 2023.

Au total, environ 80 % de la consommation des ménages et plus de 50 % de celle des petits professionnels sont ainsi « dirigés » par les TRVe.

a) Les tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVe) viennent d'être étendus à l'ensemble des TPE et des petites communes

La directive du 5 juin 2019134(*) concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité135(*) autorise les États membres à mettre en place des interventions publiques en matière de fixation des prix de l'électricité pour les ménages et les « microentreprises »136(*) à condition de respecter une série de conditions. En droit national, les TRVe sont régis par des dispositions du code de l'énergie. Le périmètre d'éligibilité de ces tarifs réglementés est ainsi défini par les articles L. 337-7 et L. 337-8 de ce code.

L'article L. 337-7 réserve l'accès aux TRVe aux ménages ainsi qu'aux petits « consommateurs finals non domestiques », c'est-à-dire les TPE, petites communes ou autres personnes morales qui emploient moins de dix personnes et dont le chiffre d'affaires ne dépasse pas deux millions d'euros. Une disposition imposait cependant une condition restrictive supplémentaire. Les sites éligibles devaient disposer d'un compteur électrique d'une puissance inférieure à 36 kilovoltampères (kVA). Cette disposition excluait ainsi du périmètre les TPE137(*) qui consomment des quantités d'électricité significatives ainsi que de nombreuses petites communes ou encore certaines associations. Cette disposition inopportune et qui n'était pas exigée par le droit de l'Union européenne a exposé de plein fouet ces consommateurs à la flambée des prix de l'électricité au cours des années 2022 et 2023. Elle a exigé la mise en place en catastrophe de mesures d'aides exceptionnelles coûteuses et complexes.

En avril dernier, l'article 2 de la loi visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement138(*) a supprimé ce critère à compter de la prochaine actualisation des TRVe par la CRE en février 2025. Cette mesure permettra ainsi d'étendre l'éligibilité aux tarifs réglementés à l'ensemble des TPE, des petites communes et autres personnes morales employant moins de dix personnes pour un budget n'excédant pas deux millions d'euros.

L'article L.337-8 du même code prévoit quant à lui que les TRVe bénéficient à l'ensemble des consommateurs finals pour leurs sites localisés dans des zones non interconnectées (ZNI) au réseau métropolitain continental.

b) Contrairement à leur raison d'être, les TRVe sont de plus en plus exposés aux aléas des marchés

La raison d'être des TRVe est qu'ils doivent apporter une forme de sécurité aux consommateurs en les prémunissant des aléas des marchés. Leur légitimité est donc directement liée à leur relative stabilité dans le temps. Cette légitimité a d'ailleurs été reconnue par la jurisprudence du Conseil d'État139(*) qui considère que les TRVe ne sont valables juridiquement que dans la mesure où ils poursuivent un objectif économique général de stabilité des prix de l'électricité140(*). Si cet objectif venait à ne plus être garanti, le Conseil d'État pourrait être amené à réviser sa jurisprudence à l'instar de la position qu'il a adopté concernant les tarifs réglementés de vente de gaz (TRVg) dont il a considéré que le maintien était contraire au droit de l'Union européenne. Du fait d'une large corrélation avec les prix de marchés, à travers notamment une actualisation mensuelle, leur existence ne pouvait se justifier par l'objectif de stabilité sur lequel repose jusqu'à aujourd'hui la validité juridique des TRVe. Néanmoins, comme décrit dans les développements infra, il apparaît que la stabilité des TRVe a été très sérieusement malmenée, en particulier depuis 2019.

Les TRVe sont qualifiés de tarifs « intégrés » dans la mesure où ils doivent couvrir tant les coûts de production que les coûts de commercialisation et d'acheminement de l'électricité. La CRE a pour mission de transmettre aux ministres chargés de l'économie et de l'énergie des propositions motivées pour en calculer le montant.

Pour sa partie hors taxes, la méthodologie de calcul des TRVe appliquée par le CRE répond au principe de « l'empilement des coûts »141(*). Cette méthodologie a vocation à assurer que ce tarif puisse être reproductible et « contestable » par les fournisseurs alternatifs, c'est-à-dire, selon l'exigence formulée par le Conseil d'État, « la faculté pour un opérateur concurrent d'EDF présent ou entrant sur le marché de la fourniture d'électricité de proposer, sur ce marché, des offres à prix égaux ou inférieurs aux tarifs réglementés »142(*).

Les TRVe résultent ainsi de l'addition :

- des coûts d'approvisionnement de la part relevant des droits théoriques au dispositif d'Arenh (42 euros par mégawattheure) ;

- des coûts d'approvisionnement du complément de fourniture après achat des volumes d'Arenh (dit « complément de marché ») et relevant des achats de produits à terme sur les marchés de gros de l'électricité ;

- des coûts d'approvisionnement en capacité, établis à partir des références de prix issues des enchères du mécanisme d'obligation de capacité ;

- des coûts d'acheminement par les réseaux de transport et de distribution d'électricité ;

- des coûts de commercialisation143(*) ;

- et enfin de la rémunération de l'activité de fourniture d'électricité.

Le complément de marché calculé par la CRE correspond à la moyenne des prix de marché à terme pour une année donnée lissée sur 24 mois.

En règle générale, les droits théoriques d'Arenh, valorisés à 42 euros par MWh, devraient représenter en moyenne un peu moins de 70 % du volume d'électricité pris en compte dans le calcul des coûts d'approvisionnement des TRVe. Ainsi, à titre d'exemple, dans le calcul qui avait été réalisé par la CRE pour 2023144(*) le complément de marché ne représentait-il en volume que 33 % de la part d'approvisionnement en électricité dans la construction des TRVe.

Pour mesurer l'exposition globale en volume des TRVe aux prix du marché de gros de l'électricité, il convient d'ajouter la part relative au complément d'approvisionnement consécutif à l'écrêtement de l'Arenh. En effet, dans la mesure où, depuis 2019, les demandes d'Arenh sont systématiquement supérieures au plafonnement du dispositif, le volume d'Arenh pris en compte pour la détermination des TRVe, qui correspond aux droits théoriques des clients, est écrêté et une part complémentaire d'approvisionnement de marché est alors intégrée dans le calcul. Pour calculer cette part, la CRE prend en compte une moyenne des prix à terme des deux derniers mois de l'année qui précède l'année de livraison.

Dans un rapport de juillet 2022 sur l'organisation des marchés de l'électricité, la Cour des comptes souligne ainsi l'exposition de plus en plus forte depuis 2019 des TRVe aux prix de marché en raison du complément de marché consécutif à l'écrêtement des volumes d'Arenh.

Au total en 2023, avant application des mesures de « bouclier tarifaire », les TRVe se sont ainsi trouvés exposés aux prix de marché à hauteur d'environ 50 % du volume de la part approvisionnement.

Répartition en volumes d'électricité de la part approvisionnement des TRVe 2023 entre l'Arenh, le complément de marché et le complément de marché supplémentaire résultant de l'écrêtement des droits à l'Arenh

Source : commission d'enquête, d'après les délibérations de la CRE

Compte-tenu des prix de marché extrêmement élevés qui ont servi à valoriser les parts de compléments d'approvisionnement au marché et en particulier de complément d'approvisionnement au marché consécutif à l'écrêtement des droits d'Arenh, en valeur, les prix de marché ont même été jusqu'à représenter près de 90 % de la part approvisionnement des TRVe en 2023, contre 54 % en 2021.

Répartition en valeur de la part approvisionnement des TRVe 2023 entre l'Arenh, l'exposition aux prix de marchés et la capacité

Source : commission d'enquête, d'après les délibérations de la CRE

La conjugaison entre la flambée des prix de l'électricité à partir de l'automne 2021 et le phénomène d'écrêtement des droits à l'Arenh est à l'origine de la hausse considérable entre 2021 et 2023 des coûts d'approvisionnement en énergie pris en compte dans le calcul des TRVe. Ces coûts représentaient ainsi 246 euros par MWh en 2023, contre 55 euros par MWh en 2021, dont 218 euros par MWh liés à l'exposition des TRVe aux prix des marchés de gros.

Décomposition en valeur de la part approvisionnement des TRVe 2023

(en euros par MWh)

Source : commission d'enquête, d'après les délibérations de la CRE

En 2023, en raison de la crise des prix de l'énergie, les propositions de TRVe faites par la CRE145(*) ont ainsi conduit à des augmentations de près de 80 % par rapport aux TRVe proposés en 2022146(*) qui avaient déjà augmenté de 45 % par rapport à 2021. Aussi, en 2023, avant application des mesures dites de bouclier tarifaire par lesquelles le Gouvernement a plafonné leurs augmentations pour des coûts budgétaires extrêmement élevés, le niveau des TRVe hors taxe résultant de leur modèle de construction a atteint 340 euros par MWh pour les particuliers et 343 euros par MWh pour les petits professionnels contre respectivement 128 euros par MWh en 2021.

À travers le dispositif de bouclier tarifaire, le Gouvernement a plafonné par arrêté la hausse des TRVe qui aurait résulté de la méthode de calcul habituelle de façon à limiter les augmentations moyennes des TRVe TTC à + 4 % en 2022, + 15 % au premier semestre 2023 et + 10 % au second semestre 2023.

Évolution des TRVe hors taxe destinés aux particuliers entre 2021 et 2023 en distinguant les TRVe « théoriques » résultant du calcul de la CRE et les TRVe « appliqués » dans le cadre du dispositif de « bouclier tarifaire »

(en euros / MWh)

Les TRVe « théoriques » sont ceux qui auraient résulté de la méthode de calcul appliquée par la CRE et les TRVe « appliqués » sont les TRVe gelés qui ont été réellement mis en oeuvre par arrêté ministériel dans le cadre du dispositif de « bouclier tarifaire »

Source : commission d'enquête

La baisse des prix de l'électricité constatée sur les marchés de gros s'est traduite par une baisse sensible des TRVe calculés par la CRE en 2024. Leurs niveaux hors taxe ont diminué d'environ 40 % pour s'établir à 214 euros par MWh pour les particuliers et 211 euros par MWh pour les petits professionnels. Sans le relèvement du tarif de l'accise sur l'électricité décidé par le Gouvernement dans le cadre de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, cette évolution aurait conduit à une stabilisation des TRVe en 2024 pour les particuliers et même à une diminution pour les petits professionnels par rapport à leur montant réel de 2023 gelé en application du dispositif de bouclier tarifaire.

Depuis 2019, en lien avec le phénomène d'écrêtement des droits d'Arenh et avec l'augmentation des coûts d'approvisionnement qui en résultent, les TRVe hors taxe réellement facturés aux consommateurs147(*) ont ainsi subi des augmentations continues. Toutes taxes comprises (TTC)148(*), les TRVe réellement appliqués aux consommateurs ont augmenté d'environ 60 % depuis 2019.

Évolution des TRVe TTC entre 2019 et 2024

(en euros par MWh)

Sources : commission d'enquête

Avant la crise, entre 2010 et 2021, le niveau des TRVe TTC a principalement augmenté du fait de sa composante de fiscalité, elle-même essentiellement portée par le coût croissant des dispositifs de soutien à la production d'énergies renouvelables intermittentes (voir encadré ci-après).

Évolution du prix de l'électricité pour les ménages en France (2007-2022)

(en euros par MWh)

Source : Ministère de la transition énergétique, Prix de l'électricité en France et dans l'Union européenne en 2022

La Cour des comptes a notamment mis en exergue cet effet dans son rapport de 2022 sur l'organisation des marchés de l'électricité : « depuis 2010, les taxes ont augmenté deux fois plus (+ 78,5 %) que le reste de la facture des TRVe (+ 33,9 %). Elles représentent aujourd'hui environ 33 % de la facture totale, contre seulement 27 % en 2010. Cette forte hausse tient essentiellement à l'augmentation de l'ancienne contribution au service public de l'électricité (CSPE), en lien avec le coût du soutien public aux EnR, à laquelle a succédé la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE) » désormais appelée accise sur l'électricité.

L'accroissement de la fiscalité appliquée aux TRVe en lien avec les dispositifs de soutien à la production d'énergies renouvelables intermittentes

La création, en 2003, d'une contribution unitaire sur les volumes d'électricité consommés (CSPE), pour financer notamment le soutien public aux EnR, a conduit à répercuter sur le prix TTC payé par les consommateurs d'électricité le coût de ce soutien, c'est-à-dire la différence entre les tarifs publics d'achat des EnR et leur prix de vente sur le marché de gros.

Le montant unitaire de la CSPE a fortement progressé entre 2003 et 2016 (+ 19,5 euros par MWh), principalement pour couvrir l'accroissement du soutien annuel aux EnR électriques sur la période, lié au développement des capacités installées.

À partir de 2016, le principe d'une répercussion dans le prix TTC de l'électricité de l'évolution du soutien public aux EnR a été abandonné au profit d'un financement par le budget de l'État, via un compte d'affectation spécial auquel a été affectée une partie des recettes de la taxation des consommations de produits « carbonés ». La contribution jusqu'alors prélevée sur les volumes d'électricité consommés a néanmoins été conservée, sous forme d'une imposition de toute nature (la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité ou TICFE élargie), et son montant unitaire, désormais fixé en loi de finances, a été gelé à son niveau de 2016. Dès lors, les évolutions significatives de prix de marché, qui impactent les charges de soutien aux EnR électriques, n'affectent plus le niveau de taxation des prix de détail de l'électricité. Dans ces conditions, l'effet des variations de prix du marché de gros sur le niveau HT des prix de détail, de plus en plus sensible depuis la mise en place du calcul des TRV « par empilement », n'est plus automatiquement compensée, pour les consommateurs d'électricité, par un effet en sens inverse sur le niveau de taxation de l'électricité.

Ainsi, les baisses de prix de gros enregistrées en 2020 dans le sillage de la crise sanitaire ont-elles pesé à la baisse sur le niveau des TRV pour 2021, sans que l'augmentation concomitante du coût du soutien public aux EnR n'impacte ce niveau.

Source : Cour des comptes, L'organisation des marchés de l'électricité, 2022

c) Jusqu'à la crise, à l'instar des entreprises, les ménages français payaient leur électricité moins chère qu'ailleurs en Europe même si cet avantage comparatif avait tendance à s'effriter

Historiquement, les ménages français bénéficient de tarifs de l'électricité plus bas que leurs homologues européens. Si cette observation reste vraie, l'écart tend à se réduire de plus en plus. La différence avec la moyenne européenne est ainsi passée de 38 % en 2008 à 17 % en 2021 avant le déclenchement de la crise des prix de l'énergie.

Dans son rapport de 2022, la Cour des comptes a confirmé ce constat : « depuis l'ouverture à la concurrence, le prix hors taxes de l'électricité pour un ménage français est resté inférieur à la moyenne européenne. À l'exception de 2020, marquée par une forte baisse des prix de marché dans le sillage de la crise sanitaire, il est demeuré plus bas que chez nos principaux partenaires d'Europe de l'Ouest (notamment la Suède, l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, le Royaume-Uni), même si les écarts se sont réduits ces dernières années, avant les effets de la récente flambée des prix du gaz ».

Évolution du prix TTC de l'électricité pour les ménages dans l'Union européenne (2008-2020)

(en euros par MWh)

Source : Cour des comptes, L'organisation des marchés de l'électricité, 2022

D'après les données comparatives les plus récentes exploitées par le service des données et études statistiques (SDES)149(*), en 2022, les prix TTC de l'électricité en France étaient sensiblement inférieurs à l'Allemagne, à l'Espagne ou encore à la Belgique. D'autres pays comme la Suède ou la Pologne affichaient néanmoins des prix inférieurs. La situation avant la crise, en 2021, était relativement similaire, les prix en France étant sensiblement plus compétitifs que chez ses principaux voisins.

Prix TTC de l'électricité pour les ménages dans l'Union européenne en 2021

(en euros par MWh)

Source : Ministère de la transition énergétique, Prix de l'électricité en France et dans l'Union européenne en 2021

D. LA CRISE DES PRIX DE L'ÉNERGIE A EXPOSÉ AU GRAND JOUR TOUTES LES INSUFFISANCES DU SYSTÈME ACTUEL

L'année 2021, avec la reprise économique mondiale qui a suivi la crise de la Covid-19, a marqué le début d'une crise historique des prix des énergies d'une ampleur exceptionnelle, qui a fortement impactée l'Union européenne et la France. L'économie mondiale a ainsi été confrontée à de fortes tensions sur l'approvisionnement en ressources énergétiques, qui ont eu des répercussions conséquentes sur le prix des énergies.

L'invasion de l'Ukraine a durablement affecté la livraison de gaz par la Russie à l'Europe ainsi que la menace d'un arrêt complet des importations de gaz russe. Les sanctions adoptées par l'UE qui ont suivi ont ensuite contribué à aggraver la situation et ont eu des répercussions directes sur les marchés des énergies. Les économies européennes ont alors pris conscience de leur vulnérabilité et de leur dépendance aux énergies fossiles, en particulier au gaz russe.

1. Une hausse inédite des prix du gaz qui s'est répercutée sur les prix de gros de l'électricité
a) La hausse du prix du gaz et son impact sur le prix de l'électricité ont été très forts

À partir du deuxième semestre 2021, les prix du gaz sur les marchés de gros ont connu une hausse quasi continue, avec des disparités selon les pays. Cette hausse a été accentuée par le faible niveau de remplissage des stocks de gaz en Europe en raison des faibles injections de Gazprom dans ses propres stockages, atteignant ainsi des niveaux très élevés en fin d'année. L'invasion de l'Ukraine, le 24 février 2022, a aggravé la situation, contribuant à une crise des prix des énergies sans précédent.

Dans ce contexte de pénurie et de risque de rupture d'approvisionnement, les États membres ont accéléré leurs achats de gaz pour constituer des stocks dans la perspective de l'hiver 2022/2023. Les prix du gaz ont ainsi atteint des niveaux records et même historiques au cours de la deuxième quinzaine du mois d'août 2022, avec une hausse de plus de 1 000 % par rapport aux prix moyens observés lors de la précédente décennie. Le choc a été d'autant plus ressenti que les prix du gaz étaient relativement stables depuis plus de dix ans.

Cette hausse s'est répercutée sur le prix spot de l'électricité qui a alors atteint des niveaux élevés, à partir du dernier semestre 2021, en raison du rôle joué par le gaz dans la formation des prix de l'électricité du fait du mécanisme du merit order, avec un pic à 367,9 €/MWh en décembre 2021. Entre le printemps 2020 et la fin septembre 2022, le prix de l'électricité, échangée sur le marché spot est passé de moins de 20 à plus de 300 €/MWh, soit une multiplication par 15.

Sur le marché français, les prix mensuels moyens de l'électricité sont ainsi passés de moins de 60 €/MWh au début de l'année 2021 à 490 €/MWh en août 2022. Au mois d'août 2022, le prix de l'électricité sur le marché de gros français a augmenté de 98 % par rapport au mois de juin de la même année, pour atteindre en moyenne 492,5 €/MWh. Le pic journalier a été atteint le 30 août 2022 avec 743,8 €/MWh, ce qui constitue son plus haut niveau historique.

Évolution du prix spot moyen hebdomadaire de l'électricité en France
entre septembre 2021 et janvier 2023

Source : RTE / Données EPEX

b) Une hausse du prix du carbone qui s'est aussi répercutée sur le prix de gros de l'électricité

La reprise de l'activité économique, après la pandémie de la Covid-19, mais aussi les ambitions de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'Union européenne, ont entraîné, à partir de 2020, une hausse de la demande en quotas d'émission, exerçant par conséquent une pression à la hausse sur les prix du carbone sur le système européen d'échanges de quotas d'émission (SEQE-UE).

La mise en place de la réserve de stabilité du marché européen du carbone en 2019, en réduisant le surplus de quotas d'émission en circulation, avait précédemment contribué à la diminution de l'offre et, par conséquent, provoqué un premier épisode de hausse des prix sur ce marché, avec une progression de 37 % en 2020.

Le prix du COétant un coût de production intégré dans le calcul du coût marginal des centrales électriques thermiques, cette hausse s'est aussi répercutée sur le prix de gros de l'électricité. Cette augmentation a représenté une majoration en moyenne de 30 €/MWh du prix de l'électricité sur le marché spot en France.

c) Une crise renforcée par des facteurs spécifiques au marché français

La crise énergétique en France n'est pas seulement liée aux tensions sur les marchés européens de l'énergie, mais aussi à des facteurs internes spécifiques à son système électrique.

La baisse importante de la disponibilité du parc nucléaire français, avec la mise à l'arrêt de près de la moitié des réacteurs nucléaires, pour maintenance ou en raison de la découverte de défauts de corrosion dans plusieurs centrales, à partir de la fin de l'année 2021, ainsi que la vague de chaleur qu'a connue la France, au cours de l'été 2022, qui ont affecté la production hydroélectrique et nucléaire, ont aussi eu un impact important sur l'évolution des prix de gros de l'électricité en France. « Le problème de production nucléaire a été un des facteurs majeurs de la crise énergétique à l'échelle européenne », comme l'a fait observer Julien Teddé, directeur général d'Opéra Énergie devant la commission d'enquête150(*).

La production électrique française a alors atteint son niveau le plus bas depuis 1992151(*). Ces moindres capacités de production ont donc obligé, pour l'année 2022, la France à importer de l'électricité, principalement d'Allemagne, de Belgique, du Royaume-Uni et d'Espagne, alors qu'elle était précédemment exportatrice. La France est devenue sur cette période importatrice nette d'électricité, à l'exception des mois de février et de mai 2022, ce qui était une situation inédite au regard des niveaux atteints.

Le manque de moyens de production pilotables et l'absence d'investissements dans de nouvelles centrales nucléaires ont ainsi contraint la France à acheter chez ses voisins européens de l'électricité notamment produite à partir du gaz et du charbon. Comme le relève la Cour des comptes dans son rapport sur les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l'énergie152(*), « en réduisant les volumes d'offre à faible coût marginal, [la chute du parc de production nucléaire] entraîne un appel plus fréquent aux moyens de production les plus coûteux, utilisant des combustibles fossiles, ce qui renchérit la moyenne des prix fixés par le marché spot ».

En outre, la prime de risque en matière de détermination des prix sur les marchés de gros a aussi pris une ampleur importante, en particulier en France, en raison notamment des difficultés de production du parc nucléaire. Comme le relève la CRE, les « prix à terme incluent des primes de risques qui paraissent très élevées par rapport à une anticipation raisonnable des prix journaliers, que les acteurs souhaitant couvrir leur exposition aux prix de marché sont prêts à payer », comme la CRE l'a indiqué dans sa communication du 26 juillet 2022. L'écart de prix entre la France et l'Allemagne des contrats à terme livrés pendant l'hiver 2022-2023 met en lumière ce phénomène qui, selon la CRE, « reflète un doute significatif des acteurs de marché vis-à-vis de la disponibilité annoncée du parc nucléaire »153(*). La Cour des comptes154(*) précise que ce différentiel entre la France et l'Allemagne a atteint près de 70 €/MWh en moyenne, alors qu'il est en général peu significatif sur des produits annuels.

Cette considération a, d'ailleurs, été formulée par RTE dans ses perspectives pour la sécurité d'approvisionnement en électricité pour l'été, l'automne et l'hiver 2023. L'étude souligne que la corrélation entre les prix du gaz et de l'électricité ne suffit pas à expliquer le niveau des prix de l'électricité sur les marchés à terme en France, qui se situaient à des niveaux très élevés pour l'hiver 2023 et le début de l'année 2024, mais que ce niveau révèle « l'existence, sur les marchés, d'une prime de risque spécifique », mise en évidence au cours du dernier trimestre 2022.

2. Des mesures de soutien exceptionnelles extrêmement coûteuses pour les finances publiques

Pour atténuer les conséquences de la crise des prix de l'énergie sur les factures des consommateurs, une série de mesures d'aides exceptionnelles ont été mises en oeuvre en France, comme ailleurs en Europe, à partir de l'automne 2021. Dans un rapport publié en juin 2023155(*), notre collègue Christine Lavarde avait dressé un premier bilan des mesures mises en oeuvre en France pour atténuer les effets de la crise sur les factures des consommateurs. Elle avait alors constaté l'impréparation manifeste du Gouvernement avec une multitude de dispositifs d'une rare complexité, bien souvent illisibles, souvent dénués de tout ciblage, occasionnant d'importants « effets d'aubaine » et avec un coût considérable pour les finances publiques.

En mars 2024, dans un rapport consacré à ces mesures156(*), la Cour des comptes a dressé les mêmes constats, soulignant que le contribuable avait supporté des sommes phénoménales pour pallier les défaillances du système sans que l'État parvienne en parallèle à capter les gains indus réalisés pendant cette période. Des gains qu'elle estime à environ 30 milliards d'euros, notamment au profit des intermédiaires intervenant sur les marchés de l'électricité.

Depuis 2022, plusieurs mesures ont ainsi été mises en oeuvre pour atténuer les conséquences de la crise sur les factures d'électricité des consommateurs. En 2022, en 2023 puis dans une moindre mesure en 2024, un dispositif dit de « bouclier tarifaire » sur les prix de l'électricité a notamment été institué. Sa vocation principale était de limiter les effets de la hausse des prix de marché sur les factures des petits consommateurs éligibles aux tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVe).

Ce dispositif a permis, en moyenne, de limiter les augmentations de factures à 4 % en 2022 puis, en 2023, à 15 % en février auxquels se sont ajoutés 10 % supplémentaires au mois d'août. Il s'est traduit par un gel de l'augmentation des TRVe par voie réglementaire. La différence entre le niveau des TRVe tels qu'ils auraient résulté du calcul habituel réalisé par la CRE et le niveau des TRVe gelés a été compensée aux fournisseurs par l'État au titre du système de compensations des charges de service public de l'énergie (CSPE). Cette compensation a également été versée aux fournisseurs au titre de leurs clients éligibles aux TRVe, ce qui les rend également éligibles au dispositif de bouclier tarifaire, mais qui ne disposent pas de contrats au TRVe.

En 2022, le dispositif de bouclier tarifaire a été largement financé par EDF à travers un relèvement à hauteur de 20 térawattheures (TWh) du volume d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh). Cette mesure, qui s'est répercutée sur l'ensemble des contrats de fourniture d'électricité, a d'ailleurs bénéficié à l'ensemble des consommateurs, particuliers comme professionnels, très au-delà du périmètre des personnes et entités éligibles au bouclier à proprement parler.

En 2022 comme en 2023, le gel des TRVe a également été en partie financé par la minoration des taux d'accise sur l'électricité à leur niveau minimum autorisé par le droit de l'Union européenne. Cette disposition a également profité à l'ensemble des consommateurs d'électricité. Elle n'a été prolongée que très partiellement en 2024 puisque le Gouvernement a pris la décision de majorer par voie réglementaire les tarifs d'accise pour les particuliers et les professionnels non éligibles à des taux réduits de 20 euros par MWh.

À partir de 2023 un mécanisme qualifié « d'amortisseur » a également été créé pour soutenir les PME ainsi que d'autres personnes morales, y compris publiques qui n'étaient pas éligibles aux TRVe et, par voie de conséquence, au bouclier tarifaire. Ce dispositif extrêmement complexe n'a que très partiellement compensé les hausses de prix considérables dont ont été victimes de nombreuses PME. En raison des difficultés toutes particulières rencontrées par les boulangers et les autres TPE non éligibles au bouclier tarifaire, le Gouvernement a dû improviser en catastrophe, par voie réglementaire, un dispositif spécifique destiné à celles de ces TPE qui avaient renouvelé leur contrat de fourniture d'électricité en 2022, au moment de l'acmé de la crise des prix. Ce mécanisme, a été baptisé « sur-amortisseur », car il a été adossé au dispositif d'amortisseur et fonctionne selon les mêmes principes. En 2023, il a garanti à ses bénéficiaires un prix de leur électricité plafonné à 230 euros par MWh.

Les mesures mises en oeuvre ont effectivement permis d'atténuer très sensiblement les conséquences de la crise sur les ménages qui ont continué de bénéficier de prix plus bas qu'ailleurs en Europe157(*). Cependant, il n'en a pas toujours été de même pour les entreprises. En effet, dans son rapport de mars 2024, la Cour des comptes note que « les clients professionnels ont fait face, en moyenne, à partir de début 2023 à des prix de l'électricité plus élevés que chez nos principaux voisins »158(*).

Évolution des prix moyens de l'électricité hors TVA payés en France par les ménages (2021-2023)

(en euros par MWh)

Effet Arenh + : effet lié à la hausse de 20 TWh du plafonnement du dispositif d'Arenh en 2022

Effet bouclier : effet lié au gel du TRVe et ses répercussions sur tous les consommateurs éligibles au TRVe via le mécanisme des compensations pour charges de service public de l'énergie

Effet TICFE : effet lié à la minoration des tarifs de l'accise sur l'électricité en 2022 et en 2023

Source : Cour des comptes, Les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l'énergie, mars 2024

Évolution des prix de l'électricité payés par les ménages dans l'Union européenne

(en euros par MWh)

Source : Cour des comptes, Les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l'énergie, mars 2024

Évolution des prix de l'électricité payés par les clients professionnels dans l'Union européenne

(en euros par MWh)

Source : Cour des comptes, Les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l'énergie, mars 2024

Les effets de ces mesures ont par ailleurs été obtenus au prix d'une dégradation majeure des finances publiques. C'est le constat que dresse la Cour des comptes dans ce même rapport : « les différentes études existantes concluent à un impact positif des boucliers tarifaires en termes d'atténuation des effets de la crise sur les prix et le PIB, au prix cependant d'une détérioration de la situation des finances publiques ». La Cour a ainsi évalué à 72 milliards d'euros le coût cumulé pour les finances publiques de l'ensemble des mesures exceptionnelles mises en place depuis la fin de l'année 2021. Les mesures relatives à l'électricité ont été nettement les plus onéreuses puisque leur coût devrait dépasser les 44 milliards d'euros.

Coût cumulé pour les finances publiques des mesures mises en oeuvre dans le cadre de la crise pour atténuer les prix de l'électricité

(en millions d'euros)

Source : commission d'enquête, d'après les données du rapport de la Cour des comptes de mars 2024 sur les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l'énergie

V. L'INDISPENSABLE RÉFORME DE L'ORGANISATION DU MARCHÉ EUROPÉEN DE L'ÉLECTRICITÉ POUR REMEDIER À LA DÉFICIENCE DES MARCHÉS

Confrontée à une crise énergétique sans précédent, la Commission européenne, notamment sous la pression de la France, s'est finalement engagée, au cours de l'année 2022, à conduire une réforme structurelle de l'organisation du marché européen de l'électricité, réclamée en particulier par la France, alors qu'elle y était plutôt réticente auparavant.

Un an après le début de l'agression de l'Ukraine, pour pallier les limites et les insuffisances de son fonctionnement, mises en lumière par la crise énergétique en Europe, la Commission européenne a donc proposé, le 14 mars 2023, une réforme du marché européen de l'électricité159(*). Cette proposition de règlement a fait l'objet d'un accord en trilogue, le 13 décembre 2023. Cet accord a été approuvé par le Parlement européen, le 11 avril 2024, et adopté, le 21 mai 2024, par le Conseil de l'UE. Le règlement et la directive modifiant respectivement les règlements et directives en ce qui concerne l'amélioration de l'organisation du marché de l'électricité de l'Union ont été publiés au Journal officiel de l'UE, le 26 juin 2024. Le règlement REMIT sur la transparence des marchés de gros de l'énergie, qui constitue le deuxième volet de la réforme, a été publié, lui, au Journal officiel de l'UE, le 17 avril 2024.

La réforme s'articule autour de trois objectifs principaux qui s'inscrivent dans le cadre de la transition énergétique de l'UE :

- accélérer les investissements, en particulier dans les énergies renouvelables, en garantissant un revenu stable aux producteurs ;

- réduire l'impact de la volatilité des prix des combustibles fossiles sur les factures d'électricité ;

- protéger les consommateurs contre d'éventuelles futures hausses de prix.

Comme l'a précisé le représentant permanent adjoint de la France auprès de l'UE, Cyril Piquemal, lors du déplacement de la commission d'enquête à Bruxelles, la réforme du marché de l'électricité vise à réduire l'exposition des consommateurs à des risques de flambée des prix alors que les États membres disposent de plus en plus d'énergies décarbonées.

Cette réforme doit ainsi contribuer au développement d'un marché de long terme, favorable aux investissements dans la production d'électricité décarbonée et plus protecteur des consommateurs, particuliers, entreprises et collectivités.

Toutefois, la commission d'enquête tient à souligner, comme l'avait déjà déploré le Sénat dans sa résolution sur le marché européen de l'électricité160(*), que les dispositions prévues ne permettent pas de prévenir tout risque de répercussion à court terme d'une nouvelle hausse des prix du gaz sur le prix de l'électricité.

A. VERS UN DÉVELOPPEMENT DES MARCHÉS DE LONG TERME AU BÉNÉFICE DES CONSOMMATEURS ET DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

Tout en préservant le fonctionnement actuel du marché, notamment la fixation du prix spot au prix marginal, la réforme, qui a été adoptée par l'UE, introduit des mesures visant à stimuler les marchés de l'électricité de long terme, à améliorer la liquidité des marchés à terme, et à encadrer l'aide publique pour les nouveaux investissements dans la production d'électricité à partir de sources d'énergies renouvelables et non fossiles.

Le développement d'offres de fourniture d'électricité à plus long terme doit ainsi favoriser une plus grande stabilité des prix, en particulier pour les entreprises et l'industrie, en se rapprochant des coûts de production. Il s'agit aussi d'encourager les investissements dans les technologies décarbonées, permettant de contribuer à l'atteinte des objectifs de neutralité carbone à l'horizon 2050, de renforcer la sécurité d'approvisionnement et la compétitivité des économies européennes.

Lors d'une conférence organisée par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), en décembre 2022, sur la réforme du marché de l'électricité, des universitaires avaient formulé cette recommandation161(*) à propos des contrats de long terme : « les contrats à long terme sont essentiels à l'efficacité des marchés de l'électricité. Choisir de les limiter à un seul type (soit les PPA, soit les contrats futurs, soit les CfD) réduirait les possibilités de couverture et augmenterait peut-être les situations propices à l'exercice d'un pouvoir de marché, ce qui n'est pas souhaitable. Ceci est d'autant plus important que chaque État membre a un mix différent et une taille/un nombre différent de parties prenantes disposées à conclure des contrats ».

La réforme européenne propose ainsi deux instruments pour encourager la formation de signaux prix de long terme sur les marchés :

- les Power Purchase Agreements (PPA), qui sont insuffisamment développés dans l'UE, en particulier en France ;

- les contrats pour différence bidirectionnels (CfD).

1. Des PPA pour renforcer la stabilité et la prévisibilité des prix de l'électricité

Une série de mesures est introduite, au niveau européen, pour faciliter et encourager le déploiement des PPA, qui sont des contrats bilatéraux de droit privé, librement négociés entre deux acteurs privés - un producteur et un consommateur, souvent de grandes entreprises -, de long terme, entre cinq et vingt ans, et fondés sur les conditions de prix de marché sans intervention publique dans la fixation de ces derniers.

Ces contrats doivent donner de la visibilité aux producteurs et aux gros consommateurs, étant donné qu'ils sont souscrits sur une durée longue, assurant ainsi aux producteurs la couverture de leurs coûts de production et sécurisant leurs investissements, et aux consommateurs, une stabilité des prix payés sur toute la durée du contrat.


Source : TotalEnergies

L'accord final sur l'organisation du marché européen de l'électricité dispose que les États membres tiennent compte de la nécessité de créer un marché dynamique des PPA dans la définition de leurs politiques visant à atteindre les objectifs de décarbonisation de l'énergie, fixés dans les plans nationaux en matière d'énergie et de climat. Les États membres sont donc encourager à créer les conditions de marché pour développer ces instruments de long terme.

Les PPA

Les PPAs apportent une protection contre la volatilité des prix et permettent de limiter de fait l'impact des prix de court terme pour ceux qui les souscrivent. Leur développement au sein du marché européen constitue ainsi un élément essentiel d'un marché qui donne davantage de place aux maturités longues et davantage de visibilité sur les prix à long terme pour les consommateurs comme pour les producteurs. Actuellement, les PPA sont très divers (profilés, pay as produced, physiques, financiers, etc.) et leurs caractéristiques peuvent s'adapter aussi bien au projet qu'à l'acheteur (paiement d'avance en tête, garanties que peut apporter l'acheteur, etc.). La standardisation prévue des contrats, sur différents modèles, permettra de faciliter la contractualisation et le transfert des produits correspondants, et donc de construire un marché plus profond et liquide, ce qui sera un grand progrès dans le développement du marché européen et national et l'émergence de signaux de prix de plus long terme, cohérents avec les besoins de la transition énergétique.

Source : DGEC - Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Seul un petit nombre d'États membres, plutôt les pays nordiques, dispose actuellement de marchés de PPA actifs, qui concernent essentiellement de grandes entreprises. Le développement de ces contrats se heurte, en effet, à une série d'obstacles, que doit permettre de lever la réforme adoptée par l'UE, à savoir les difficultés liées à la couverture du risque de perte de production ou de défaut de paiement de l'acheteur.

L'accord prévoit ainsi que les États pourront mettre en place un système de garanties publiques pour couvrir les risques de crédit des acheteurs et permettre à davantage d'entreprises de souscrire à ces contrats, notamment les petites et moyennes entreprises. En effet, les banques exigent souvent une prime de risque élevée pour financer les projets au motif que le risque de défaut du consommateur est non négligeable. À ce titre, la réforme encourage la mise en place de fonds de garantie, privés et publics, qui agissent comme une assurance contre le défaut de l'acheteur. En cas de besoin, le fonds compense en partie le producteur pour réduire le risque marché. Ces régimes de garantie ne sont pas limités au soutien exclusif aux énergies renouvelables, la décision de leur champ d'application relevant des États membres. En outre, les régimes de garantie pour les PPA soutenus par les États membres comprennent des dispositions qui visent à éviter de réduire la liquidité des marchés de l'électricité et ne fournissent pas de soutien à l'achat de la production à partir de combustibles fossiles.

La France a déjà mis en place un tel fonds qui est actif depuis septembre 2023. C'est un outil essentiel qui permet de dé-risquer ces contrats de long terme sans financement de l'État puisque ce sont les producteurs et les consommateurs qui paient pour une telle assurance. L'enjeu aujourd'hui est d'élargir le périmètre d'éligibilité de ce fonds qui ne s'adresse qu'aux très gros consommateurs. En effet, l'Union européenne souhaite encourager les petites et moyennes entreprises à recourir aux PPA pour atténuer leur risque de surexposition à la volatilité des prix.

La neutralité technologique est préservée dans le cadre des PPA, comme la France l'a défendu tout au long des négociations. Certains États, comme l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark et le Luxembourg, souhaitaient, en effet, les recentrer sur l'achat à long terme d'énergies renouvelables.

Le développement des PPA, qui constitue un des enjeux importants de la réforme, doit contribuer à ce que les prix de l'électricité reflètent mieux les coûts de production des énergies décarbonées et qu'à ce titre ils soient moins dépendants des variations des prix des énergies fossiles, en particulier du gaz. Il s'agit d'un instrument qui doit permettre de rapprocher la facture du consommateur et la rémunération du producteur des coûts complets de l'actif faisant l'objet du contrat, mais aussi de prendre le relais des mécanismes de soutien public. La CRE fait ainsi observer que certains pays parviennent à combiner efficacement le développement d'énergies renouvelables par le biais de mécanismes de soutien et par les PPA162(*). Il correspond à la logique de fonctionnement du système électrique européen dans lequel la production et la commercialisation sont des activités concurrentielles.

EDF devrait ainsi pouvoir proposer des contrats de long terme à des industriels électro-intensifs pour répondre à leurs besoins très spécifiques, et qui sont aussi en mesure de s'engager sur des durées très longues, de l'ordre de dix à quinze ans, de prendre une part du risque industriel d'exploitation des installations de production et d'assurer des services au système électrique.

2. Des contrats pour différence (CfD) pour financer les investissements dans les énergies décarbonées

Les CfD sont au coeur de la réforme du marché européen de l'électricité. Cet outil doit aussi permettre de faire bénéficier les consommateurs de prix cohérents avec les coûts de long terme des installations de production et favoriser le développement des investissements dans les énergies bas-carbone.

« Le second instrument, qui a vocation à être utilisé notamment lorsque l'installation ne peut trouver une valorisation pour sa production sur le marché, par exemple si, bien que nécessaire à l'atteinte d'objectifs de politique publique comme le développement des énergies renouvelables ou la décarbonation du mix énergétique, les recettes marché ne couvrent pas ses coûts, permet à la puissance publique de continuer à jouer son rôle d'offreur de dernier recours de sécurisation-prix par la conclusion de CfD » précisent les négociateurs français de l'accord163(*).

Les CfD bidirectionnels

Les CfD bidirectionnels garantissent sur les volumes d'électricité considérés et sur la maturité du contrat un strike price déterminé : si le prix est inférieur au strike price, le consommateur s'acquitte de la différence entre ce prix et le prix de marché, qui est versé au producteur par l'intermédiaire de l'État ou d'une caisse ad hoc. Si le prix de marché est supérieur au strike price, les recettes du CfD sont redistribués au consommateur. L'État joue alors le rôle de consommateur.

Les contrats d'écart compensatoire bidirectionnels, ou des régimes équivalents dont les contours doivent être précisées ultérieurement, deviennent obligatoires, en cas de financement public, sous la forme de régimes de soutien direct des prix dans des contrats à long terme. Ces contrats s'appliqueront aux investissements dans de nouvelles installations de production d'électricité à partir de l'énergie éolienne, solaire, géothermique, de l'hydroélectricité sans réservoir et de l'énergie nucléaire.

Le règlement prévoit aussi, dans un considérant, la possibilité d'utiliser volontairement ce mécanisme pour les centrales nucléaires existantes sous certaines conditions. Dans ce cas, l'investissement dans une centrale de production existante doit viser à prolonger sa durée de vie, à accroître substantiellement sa capacité ou consister en un « repowering » substantiel, dans le respect des règles en matière d'aides d'État. Pour la Commission de régulation de l'énergie, cependant, « il demeure à ce stade une incertitude sur les assiettes de coûts et de production à prendre en compte pour qu'un éventuel CfD sur la production nucléaire existante entre dans le champ de cet accord »164(*).

Néanmoins, cette possibilité constitue, comme le souligne la DGEC, « une avancée majeure », tout particulièrement pour la France : « Jusqu'à présent, il était nécessaire de justifier la pertinence même d'un soutien public à des actifs existants (le principe par défaut étant qu'un tel soutien était exclu) : nous avons obtenu la reconnaissance que ces actifs pouvaient eux-aussi avoir à réinvestir massivement et qu'à ce titre ils devaient pouvoir bénéficier d'un soutien public »165(*).

Le cas de l'aide tchèque à la construction d'une centrale nucléaire

La Commission européenne a autorisé, en vertu des règles de l'UE en matière d'aides d'État, une mesure d'aide tchèque destinée à soutenir la construction et l'exploitation d'une nouvelle centrale nucléaire à Dukovany en Tchéquie.

En mars 2022, la Tchéquie a notifié à la Commission son intention de soutenir la construction et l'exploitation d'une nouvelle centrale nucléaire à Dukovany, laquelle serait dotée d'une capacité de production d'électricité pouvant atteindre 1 200 MW. Les essais de fonctionnement de la centrale sont prévus pour 2036 tandis que son exploitation commerciale devrait débuter en 2038. La centrale aura une durée de vie opérationnelle de 60 ans et son déclassement est prévu pour 2096. Il existe déjà une centrale nucléaire sur le site de Dukovany.

Le bénéficiaire de la mesure est Elektrárna Dukovany II (ci-après « EDU II »), filiale à 100 % du groupe ÈEZ, le seul exploitant de centrales nucléaires en Tchéquie. La Tchéquie prévoit d'octroyer un soutien direct des prix sous la forme d'un contrat d'achat d'électricité conclu avec une structure publique ad hoc. Ce contrat garantira des revenus stables à la centrale nucléaire pour une période de 40 ans. Le bénéficiaire se verra également accorder un prêt bonifié de l'État destiné à couvrir une majorité des coûts de construction et bénéficiera d'un mécanisme de protection contre les événements imprévus ou les changements d'orientation politique qui pourraient mettre en péril la réalisation du projet.

Le 30 juin 2022, la Commission a ouvert une enquête approfondie pour apprécier le caractère approprié et proportionné de la mesure.

Au cours de l'enquête approfondie, la Tchéquie a modifié les modalités de l'aide publique qu'elle entendait octroyer au projet, afin de répondre aux préoccupations de la Commission.

Pour garantir que l'aide sera proportionnée et ne perturbera pas indûment le fonctionnement du marché de l'électricité, la Tchéquie :

- a introduit une formule de rémunération assimilable à un contrat d'écart compensatoire bidirectionnel ;

- a ramené de 60 à 40 ans la durée du soutien direct des prix ;

- a fixé le prix d'exercice en se fondant sur un modèle de flux de trésorerie actualisés qui garantit que le montant total de l'aide, prêt bonifié compris, n'excède pas le déficit de financement du projet.

Pour parer le risque de surcompensation, la Tchéquie mettra en oeuvre un mécanisme de récupération, qui garantira que tous les gains supplémentaires susceptibles d'être générés par le projet seront partagés avec l'État tchèque. Ce mécanisme restera en place pendant toute la durée de vie opérationnelle de la centrale.

Pour éviter la concentration du marché et éliminer le risque que la mesure procure un avantage à certains consommateurs d'électricité, la Tchéquie s'est engagée à faire en sorte qu'au moins 70 % de l'électricité produite sera vendue sur la bourse ouverte de l'électricité - à savoir les marchés à un jour, à moins d'un jour et à terme - pendant toute la durée de vie de la centrale. Le reste de la production sera vendu aux enchères à des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires.

À la suite de ces changements, la Commission a conclu que l'aide est appropriée pour réaliser les objectifs poursuivis et qu'elle est proportionnée car limitée au minimum nécessaire, tandis que les distorsions de concurrence causées par la mesure sont réduites au minimum. Sur cette base, la Commission a autorisé la mesure tchèque en vertu des règles de l'UE en matière d'aides d'État.

Source : Commission européenne

La distinction majeure entre CfD et PPA réside dans la nature des ressources financières engagées. Les CfD bénéficiant de ressources publiques doivent, en conséquence, faire l'objet d'une notification à la Commission européenne, pour valider leur compatibilité avec le marché intérieur, et être alors autorisés au titre des aides d'État. La Commission européenne a, en effet, indiqué qu'elle veillera à ce que ces instruments soient conçus de manière adéquate pour éviter des distorsions de concurrence. « Il sera donc nécessaire, le cas échéant, de montrer que cette aide, dans ses modalités, est bien compatible avec le marché unique »166(*), précise la DGEC.

Les recettes générées par l'État au moyen de CfD - lors des périodes où le prix de marché est supérieur au prix-pivot du contrat - devront être redistribuées sous la forme d'un versement pour l'ensemble des consommateurs. Elles pourront également être utilisées pour financer les coûts des régimes de soutien direct des prix en période de prix bas ou les investissements visant à réduire les coûts de l'électricité pour les clients finals, à savoir le financement des instruments nationaux d'aide à l'efficacité énergétique. Enfin, le texte prévoit que la redistribution puisse maintenir des incitations à réduire la consommation ou à la déplacer à des heures de prix bas. Cela ouvre la voie à des mécanismes d'incitation à la consommation dans les périodes dites creuses.

Les règles applicables aux contrats d'écart compensatoire bidirectionnels ne s'appliqueront qu'après une période transitoire de trois ans après l'entrée en vigueur du règlement, afin de préserver la sécurité juridique des projets en cours.

Ces contrats permettent de sécuriser le revenu du producteur et de diminuer ainsi les primes de risque, par conséquent les coûts de financement des actifs, afin de minimiser le coût de production. Comme cela a été souligné par RTE, dans son étude sur les Futurs énergétiques 2050, « toutes les politiques publiques aboutissant à dé-risquer l'investissement dans les technologies bas-carbone ont donc une influence directe sur le coût du système et donc sur la réduction de la facture à long terme des consommateurs ». Les CfD ont ainsi joué un rôle majeur en faveur des investissements dans les énergies renouvelables.

Pour le Syndicat des énergies renouvelables, « l'obligation de structurer les soutiens publics aux énergies renouvelables au moyen des contrats pour différence est essentielle. D'une part, c'est un moyen efficace de sécuriser le revenu pour le producteur réduisant ainsi le coût de financement des projets et, d'autre part, le coût d'approvisionnement est connu sur le long terme et les revenus peuvent être redistribués vers les consommateurs en cas de forte hausse des prix sur le marché de l'électricité »167(*).

B. VERS UNE PLUS GRANDE INTÉGRATION DES ÉNERGIES NON FOSSILES DANS LE SYSTÈME ÉLECTRIQUE

La réforme tend aussi à stimuler les investissements dans les énergies renouvelables et leur intégration dans le système énergétique. Ainsi plusieurs dispositions sont prévues afin d'accroître la flexibilité du marché de l'électricité et de renforcer la sécurité d'approvisionnement électrique.

1. La définition d'un objectif national de flexibilité non fossile

Les États membres doivent évaluer, tous les deux ans, les besoins estimés de flexibilité pour une période d'au moins 5 à 10 ans, sur la base des informations fournies par les gestionnaires de réseaux de transport et de distribution d'électricité. Il reviendra ensuite à l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) d'établir un rapport les analysant et formulant des recommandations sur les questions d'intérêt transfrontalier.

En outre, les États membres devront fixer, au niveau national, un objectif indicatif unique pour la flexibilité non fossile, en tenant compte de différents types de flexibilité ou ressources, en particulier la participation de la demande et le stockage. La Commission pourra aussi élaborer une stratégie de l'Union relative à la participation de la demande et au stockage de l'énergie en cohérence avec les objectifs européens pour 2030 en matière d'énergie et de climat.

Enfin, les États membres peuvent concevoir des régimes de soutien pour les différents types de flexibilités non fossiles afin d'atteindre leurs objectifs.

2. Une rationalisation des mécanismes de capacité

La réforme vise aussi à simplifier le mécanisme de capacité, dont les règles étaient jugées trop contraignantes par les États membres qui le mettent en oeuvre, afin d'encourager les investissements dans les énergies renouvelables et leur intégration dans le système électrique.

Les États membres pourront appliquer des régimes de soutien à la flexibilité sur la forme de paiements pour la capacité disponible de la flexibilité non fossile. En outre, ceux qui ont déjà mis en place un mécanisme de capacité devront encourager l'utilisation d'autres flexibilités, telle que le stockage et l'effacement de consommation ou la demande flexible, pour répondre aux besoins en flexibilité sans avoir recours aux énergies fossiles.

Sur la base de l'orientation générale adoptée par le Conseil, il a été introduit une éventuelle dérogation exceptionnelle à l'application des limites d'émissions de COpour les mécanismes de capacité déjà autorisés, dans des conditions strictes et jusqu'au 31 décembre 2028. La demande de dérogation doit être accompagnée d'un rapport contenant une évaluation de l'impact de la dérogation en termes d'émissions de gaz à effet de serre, de même qu'un plan pour acquérir la capacité de remplacement nécessaire conformément à la trajectoire nationale indicative pour la part globale de l'énergie renouvelable. L'accord final prévoit, à ce titre, une exception pour les usines à charbon de la Pologne.

C. VERS UNE MEILLEURE PROTECTION DES CONSOMMATEURS

La réforme du marché européen de l'électricité prévoit aussi certaines mesures qui visent à une meilleure protection des consommateurs.

1. La mise en place d'un mécanisme de déclenchement de crise

La réforme instaure un mécanisme de déclaration de crise des prix de l'électricité permettant aux États membres de procéder à des interventions publiques sur les prix de fourniture en cas de prix très élevés. Il revient au Conseil, sur la base d'une proposition de la Commission, de déclarer une crise des prix de l'électricité dès lors que les conditions suivantes sont remplies :

- une moyenne très élevée des prix de gros de l'électricité, d'au moins deux fois et demie le prix moyen des cinq années précédentes, avec un seuil minimum de 180 euros/MWh, sur une durée prévisible d'au moins six mois ;

- ou une augmentation des prix de détail de l'ordre de 70 %, sur une durée prévisible d'au moins trois mois.

Dès lors que la crise sera déclarée par le Conseil, les États membres pourront appliquer des interventions sur les prix dans la limite de 70 % de la consommation des petites et moyennes entreprises et de 80 % de celle des ménages. La Commission européenne conserve, cependant, un rôle décisionnaire dans le déclenchement du mécanisme.

Cette nouvelle procédure est sans doute bienvenue mais compte tenu du mécanisme proposé et des durées de crise envisagées, on peut imaginer qu'elle risque d'être peu réactive.

2. De nouvelles obligations imposées aux fournisseurs

Le texte adopté fixe des nouvelles obligations aux fournisseurs d'électricité qui devront, d'une part, démontrer à l'autorité de régulation nationale qu'ils sont couverts de manière cohérente avec les offres qu'ils proposent, et, d'autre part, proposer aux consommateurs des offres à prix fixe ou dynamique et à durée déterminée d'au moins un an, en étant pleinement informés de leurs conditions et de leurs effets.

Le nouveau cadre européen prévoit ainsi un renforcement du contrôle des fournisseurs qui permet aux autorités de régulation de suspendre ou d'annuler l'autorisation d'exercer leur activité si certaines obligations prudentielles ne sont pas remplies, en particulier l'obligation d'assurer la couverture des offres qu'ils commercialisent.

La réforme crée aussi un dispositif de fournisseur de dernier secours, qui devra être mis en oeuvre par les États membres. Il permet d'assurer aux consommateurs qu'ils ne subiront pas de coupure en cas de défaillance de leur fournisseur et qu'ils trouveront un fournisseur leur proposant une offre. Le fournisseur de dernier recours pourrait être désigné, dans le cadre d'une procédure équitable, transparente et non discriminatoire, avant ou au moment de la défaillance du fournisseur et serait alors considéré comme un prestataire de service universel. Ce dispositif est encadré dans le temps ; il est ainsi limité au temps nécessaire au client concerné pour trouver un nouveau fournisseur.

3. L'encadrement des déconnexions des consommateurs vulnérables

Les États membres devront veiller à ce que les clients vulnérables et ceux en précarité énergétique soient assurés de bénéficier d'une protection contre les déconnexions ou d'autres actions équivalentes. Il est ainsi proposé un ensemble de mesures afin d'éviter les déconnexions des consommateurs.

4. Un encouragement à l'autoconsommation et au partage d'énergie

Les nouvelles règles adoptées créent un encouragement au partage de l'énergie pour l'ensemble des consommateurs, particuliers et entreprises. Ainsi le droit de participer au partage d'énergie s'applique aux petites et moyennes entreprises ainsi qu'aux ménages, dans la même zone de couverture et dépôt des offres, ou dans une zone géographique plus limitée déterminée par un État membre. Les États peuvent aussi décider d'appliquer ce droit aux grands clients d'électricité. Le texte oblige également à rendre accessible aux clients vulnérables et en situation de précarité énergétique, l'électricité partagée par des projets appartenant à des autorités publiques, représentant au moins 10 % des volumes concernés, selon une appréciation laissée aux États membres.

DEUXIÈME PARTIE : UNE CONSOMMATION QUI DEVRAIT AUGMENTER AVEC DE NOMBREUSES INCERTITUDES

La demande nationale d'énergie est aujourd'hui satisfaite à 60 % par des énergies fossiles qui contribuent au dérèglement climatique.

Or, la France, à l'instar de ses partenaires européens, a décidé d'atteindre la neutralité carbone en 2050.

Le chemin pour y parvenir est ambitieux et nécessite des ruptures, puisque ces consommations carbonées doivent quasi intégralement disparaitre.

Pour atteindre cette neutralité carbone, le point de départ repose sur une diminution de la consommation d'énergie via des actions de sobriété, d'efficacité énergétique. Si ces actions y contribueront, elles ne suffiront pas.

Il est surtout nécessaire de transférer des usages fossiles vers d'autres vecteurs décarbonés, en particulier l'électricité.

Ce mouvement implique de se projeter dans une France qui consomme plus d'électricité et d'examiner comment la consommation d'électricité pourrait évoluer aux horizons 2035 et 2050. C'est à partir de ces projections que la question des moyens de production pourra être abordée.

Bien sûr, la commission d'enquête ne prétend pas prédire l'avenir. Elle a souhaité évoquer le champ des possibles pour essayer d'approcher celui du plausible.

I. UNE CONSOMMATION QUI STAGNE PUIS DÉCLINE DEPUIS 15 ANS

Avant de s'intéresser aux projections de consommation électrique pour l'avenir, il convient de revenir brièvement sur l'évolution de la demande en matière d'électricité depuis les années 1970 avec un focus sur les quinze dernières années. Il convient également d'analyser quels usages se cachent derrière la consommation électrique.

Le moment où cette électricité est consommée est un paramètre aussi important que le niveau de cette consommation compte tenu de la nécessité de réaliser un équilibre en temps réel entre offre et demande électrique.

Enfin, la situation et les enjeux des zones non interconnectées mériteront une attention particulière.

A. LA DEMANDE D'ÉLECTRICITÉ A BEAUCOUP PROGRESSÉ DEPUIS UN SIÈCLE

De quoi parle-t-on quand on parle de consommation d'électricité ?

La consommation finale est l'électricité réellement consommée par les différentes typologies de consommateurs.

La consommation corrigée est la consommation finale corrigée des aléas climatiques. C'est-à-dire que les températures réellement observées dans l'année sont remplacées par des températures de référence pour lisser les effets du climat. De plus des effets calendaires, comme les années bissextiles, sont aussi gommés. Cette donnée permet d'observer les évolutions structurelles en les débarrassant des effets conjoncturels liés à la météo.

La consommation brute représente la consommation totale d'électricité. Elle regroupe la consommation finale des consommateurs mais également la consommation utilisée pour fournir l'électricité, les pertes dues à la transformation et au transport sur le réseau et les écarts statistiques telles que la météorologie. Les conditions climatiques, ou les effacements, font logiquement varier la consommation électrique tant sur le temps court que d'une année sur l'autre.

La consommation brute, qui intègre ces variations, n'est donc pas le meilleur moyen d'analyser les évolutions tendancielles. Elle corrige les consommations des effets climatiques, des effacements ainsi que des effets liés aux années bissextiles.

Source : commission d'enquête à partir des éléments de RTE

1. Sur le temps long, l'évolution de la consommation électrique accompagne l'essor démographique et économique de la France

L'analyse des séries statistiques issues des publications annuelles des bilans énergétiques français publiés par le service des données et études statistiques (SDES), rattaché au Commissariat général au développement durable (CGDD) permet de retracer la consommation d'électricité sur le temps long168(*). Elle permet aussi de suivre la décomposition sectorielle de la consommation finale d'électricité (voir graphique ci-dessous).

Évolution de la consommation d'électricité détaillée par secteur en France de 1960 à 2022

Source : RTE169(*)

2. Cependant, décennies après décennies, le rythme de croissance de la consommation électrique ralentit

Cette évolution se traduit aussi par une tendance continue au ralentissement progressif du rythme de croissance de la demande électrique.

Dans les années 1960 - 1970 : la croissance annuelle de la consommation électrique était de l'ordre de 7 %, notamment sous l'effet de l'arrivée massive des appareils électroménagers dans les foyers.

Dans les années 1970 - 1980 : la croissance annuelle de la consommation électrique ralentit pour s'établir à 5 % ; cette décennie est notamment marquée par la mise en place de la première réglementation thermique dans les bâtiments.

Dans les années 1980 - 1990 : la croissance annuelle de la consommation électrique continue de ralentir à hauteur d'un taux de croissance annuel de 4 %, malgré le développement du chauffage électrique qui a commencé à se déployer après les chocs pétroliers de 1973 et 1979.

Dans les années 1990 - 2020 : la croissance annuelle de la consommation électrique continue de ralentir et la consommation se stabilise même à partir de la fin des années 2000, notamment en lien avec la crise économique et la désindustrialisation de la France.

Il est à noter que l'ouverture des marchés de l'électricité à la concurrence, engagée en 1996, ne semble pas avoir eu d'impact directement observable sur la dynamique d'évolution de la consommation d'électricité des secteurs en France.

En synthèse, alors que le taux de croissance annuel moyen de la consommation électrique dépassait 7 % dans les années 1950 et 1960, il a progressivement ralenti, avant de s'établir à 1,1 % durant la décennie 2000-2010 et d'être proche de zéro entre 2010 et 2019.

B. DES BESOINS D'ÉLECTRICITÉ EN BAISSE CES DERNIÈRES ANNÉES ?

1. Une consommation électrique qui stagne puis décline depuis 15 ans

En cohérence avec les développements précédents sur le temps long, la commission d'enquête a souhaité pousser l'analyse de l'évolution de la consommation électrique sur ces dernières années.

En 2023, la consommation corrigée d'électricité en France a représenté 445,4 TWh.

Ce chiffre est en recul de 3,2 % par rapport à l'année précédente, où la consommation avait déjà atteint un creux de 460,2 TWh du fait de la crise énergétique.

Il est aussi de 6,9 % en retrait par rapport à la consommation d'avant crise (moyenne 2014-2019).

Comme le signale RTE dans son Bilan électrique 2023 « il faut désormais remonter au début des années 2000 pour trouver des niveaux de consommation comparables à celui de 2023 ».

Évolution entre 2005 et 2023 de la consommation corrigée des effets météorologiques et calendaires

Source : RTE170(*)

Sur la période allant de 2000 à 2020, les consommations d'électricité des secteurs résidentiel et tertiaire conservent une dynamique importante, liée à l'augmentation du nombre de logements et à la croissance des activités de service. La réglementation thermique RT2012 qui a entraîné une baisse des parts de marché des solutions électriques de chauffage dans la construction neuve au profit du gaz a cependant limité pendant plusieurs années l'accroissement de la consommation électrique du secteur du bâtiment.

La consommation d'électricité de l'industrie culmine dans les premières années de la décennie 2000 pour ensuite diminuer à cause de la désindustrialisation progressive observée pendant ces années, le phénomène étant accentué au moment du choc de la crise économique de 2008.

Depuis 2010, on observe une quasi-stabilité de cette consommation qui résulte d'effets antagonistes : électrification versus amélioration de l'efficacité énergétique.

En corollaire, la structure de la demande intérieure d'électricité de la France continentale a sensiblement évolué au cours des deux dernières décennies, avec en particulier un poids relatif de la consommation électrique de l'industrie qui s'élevait encore à 32 % en 2001 et s'est contracté pour s'établir à 24 % en 2019. En parallèle, le secteur du bâtiment (résidentiel et tertiaire) a représenté 61 % de la consommation électrique intérieure en 2019 contre 54 % en 2001.

Les secteurs du transport et de l'agriculture enfin sont deux secteurs pour lesquels peu de changements sont observés sur cette période ; le secteur du transport restant actuellement un secteur prioritaire en ce qui concerne les politiques de décarbonation.

Malgré la croissance du niveau d'électrification de certains usages sur la période, ce ralentissement progressif s'explique globalement par les mêmes déterminants que ceux affectant la consommation énergétique globale, à savoir :

- la diffusion progressive des effets de maîtrise de la demande, et en particulier le développement croissant de l'efficacité énergétique des bâtiments et des équipements en lien avec les développements technologiques ou poussée par les réglementations ;

- le ralentissement tendanciel de la croissance économique depuis plusieurs décennies ;

- l'évolution de la structure de la consommation, due notamment à la tertiarisation de l'activité économique, les services étant moins consommateurs d'électricité que l'industrie ;

- la modification du tissu industriel français : délocalisation, recentrage sur une industrie de haute technologie, au détriment des industries électro-intensives.

De façon plus conjoncturelle, l'évolution 2023 s'explique tout particulièrement par deux facteurs :

- d'une part, la réaction de la population et des acteurs économiques vis-à-vis de la hausse des prix de l'électricité combinée à l'effet d'une inflation persistante171(*) dans une économie dont la situation générale s'est dégradée. À titre d'illustration, plus d'un quart de cette baisse de consommation (27 %) est attribuable aux grands consommateurs industriels, alors que ces derniers ne représentaient qu'environ 14 % de la consommation d'électricité sur la période 2014-2019 ;

- d'autre part, les démarches de sobriété, volontaires ou subies, en faveur des économies d'énergie.

La consommation brute atteint 438,7 TWh, soit son niveau le plus faible depuis 2002. Cela s'explique par des températures élevées en 2023, deuxième année la plus chaude jamais enregistrée en France.

Quelle est la consommation d'électricité sur mon territoire ?

RTE a mis en place un outil, « éCO2mix » simple d'utilisation pour aider les consommateurs à mieux connaître et mieux consommer l'électricité.

Cette application numérique gratuite permet, de façon ludique ou experte, de suivre les données du système électrique à la maille du pays, des régions et des métropoles.

Elle offre d'autres fonctionnalités qui seront présentées plus avant dans le rapport.

Source : commission d'enquête

2. Une tendance qui n'est pas démentie sur les 6 derniers mois

Les derniers chiffres disponibles au moment de la rédaction de ce rapport sur les six derniers mois (décembre 2023 - mai 2024) font état d'un niveau de consommation quasiment identique à la consommation observée sur ces mêmes mois lors de l'année précédente.

Évolution de la consommation électrique sur les derniers mois

Lecture : en bleu la courbe de 2022-2023, en noir la courbe 2023-2024. Il est possible de constater que les courbes sont très proches. En zone grise il s'agit de la zone des courbes 2014 - 2019.

Source : RTE172(*)

3. Une tendance qui s'inscrit dans une demande globale d'énergie en berne

Il faut remettre cette courbe de la consommation électrique dans le contexte général de la consommation d'énergie en France. Les deux courbes sont en cohérence puisque la consommation d'énergie a légèrement décru depuis 2005. Cette moindre consommation provient essentiellement du secteur industriel, signe de gains d'efficacité énergétique et d'un probable affaiblissement de celui-ci, alors que la consommation des autres secteurs est stable.

La consommation primaire d'énergie en France (en TWh)

Source : SDES173(*)

4. Une tendance européenne

Il convient également de remettre cette évolution relative à la consommation électrique dans un contexte européen.

Le graphique ci-dessous met en évidence que la consommation électrique des principaux pays européens sur les 8 dernières années suit une tendance similaire à celle qui affecte la France.

Évolution de la consommation non corrigée d'électricité pour les six pays principaux consommateurs en Europe

Source : RTE174(*)

Ces éléments sont corroborés par les rapports trimestriels sur le marché de l'électricité175(*) publiés par la Commission européenne en février 2024 qui révèle que la consommation d'électricité dans l'Union européenne (UE) était, au troisième trimestre 2023, inférieure aux niveaux historiquement bas des années covid. Les auteurs du rapport expliquent cette baisse par « la réduction de la demande industrielle, des changements de comportement de consommation en raison des prix élevés en 2022, combinés à des facteurs météorologiques ».

Consommation mensuelle d'électricité en Europe comparée sur les 5 dernières années

Source : Eurostat and ENTSO-E

C. PAR QUI L'ÉLECTRICITÉ EST-ELLE CONSOMMÉE ?

Une manière de mieux cerner cette consommation électrique, consiste à analyser d'où provient la demande électrique.

Répartition de la consommation brute par grands secteurs en TWh (moyenne sur 2020-2023)

Source : Commission d'enquête, données transmises par RTE

1. Une majorité de la demande provient des professionnels et des entreprises, notamment dans le secteur industriel

Entreprises et professionnels raccordés aux réseaux de distribution constituent le premier groupe de consommateurs d'électricité. Les entreprises du secteur industriel représentent à elles seules environ 27 % de la consommation électrique du pays soit environ 120 TWh.

Consommant des volumes importants d'électricité, la question du coût auquel ces acteurs ont accès à l'électricité est évidemment essentielle pour leur modèle économique.

Inquiétudes sur l'impact du coût de l'énergie dans les comptes des entreprises

La Confédération des PME (CPME) a mené plusieurs enquêtes sur l'impact du coût de l'énergie dans les entreprises.

Globalement, la CPME constate qu'au fil des enquêtes et de la crise, la facture énergétique augmente quels que soient les secteurs d'activités et qu'il représente déjà pour une partie des entreprises plus de 3 % du CA.

À titre d'exemple, dans une enquête CPME menée auprès de 2 428 dirigeants de TPE-PME, le coût de l'énergie était supérieur à 3 % du chiffre d'affaires pour 21 % des entreprises en 2021.

Interrogées sur les années suivantes, ce serait 41 % des entreprises qui auraient eu un coût de l'énergie supérieur à 3 % en 2022 et 60 % en 2023.

Le secteur le plus marquant reste l'hébergements-restaurations (HCR) avec, selon les estimations des dirigeants interrogés, 88 % d'entre eux considérant que le coût de l'énergie serait supérieur à 3 % de leur CA en 2023.

Plus récemment, dans la dernière enquête GHR/UMIH (syndicats adhérents à la CPME), les professionnels du secteur font savoir que « plus de la moitié des professionnels (59 %) restent tenus par des contrats d'approvisionnement en énergie à des prix extrêmement élevés, c'est-à-dire supérieurs à 180 le MWh alors que le prix du MWh a diminué depuis la fin de 2022 et qu'il se situe actuellement à moins de la moitié de ce prix. 15 % des professionnels seraient même liés à des contrats avec des tarifs dépassant les 350 € Mwh ».

Conséquence des factures de l'électricité dans les comptes des entreprises : ces contrats pèsent sur la rentabilité des entreprises et certaines ne peuvent même plus faire face à leurs charges d'exploitation et au remboursement de leur PGE.

Pendant la crise, cette enquête mettait en exergue que : près d'un dirigeant sur deux (45 %) déclare que la hausse des prix de l'énergie aura un impact significatif sur les résultats 2022 de l'entreprise, c'est-à-dire qu'ils seront négatifs ou diminueront de plus de moitié par rapport à ceux de 2021. Ils sont enfin 9 % à envisager un arrêt de leur activité du fait de la hausse des prix de l'énergie.

Source : CGPME176(*)

Le coût énergétique représente en général une part relativement faible (1 à 2 % environ) des coûts de production d'une entreprise manufacturière et de son chiffre d'affaires.

À l'inverse, dans certains secteurs industriels qui se situent plutôt en amont de la chaîne de fabrication le coût d'électricité de ces entreprises, qu'il soit direct ou indirect, peut atteindre 5 % du chiffre d'affaires et jusqu'à 20 % dans certains secteurs comme celui de la fabrication des gaz industriels.

Sur la base des retours des réponses au questionnaire de la commission d'enquête adressé à l'Union des Industries Utilisatrices d'Énergie (UNIDEN) 177(*) et de France Industrie, il est possible de répartir les 120 TWh de consommation électrique du secteur de l'industrie ainsi :

- 50 TWh sont du fait de la consommation des non électrosensibles ;

- 30 TWh des électrosensibles, soit environ 3 000 à 5 000 sites industriels des secteurs de la mécanique, de la forge, de la chimie fine, de la métallurgie, l'automobile, le verre, etc. Leur électro-intensivité est entre 1,5 et 2,5 kWh / € de valeur ajoutée. Pour ces industriels, l'accès à un prix de l'électricité compétitif a été un véritable atout face à la concurrence internationale dans le passé ;

- 25 TWh des électro-intensifs, soit 200 sites industriels des secteurs du raffinage, du ciment, le papier et du carton, de la micro-électronique, etc. Leur électro-intensivité est entre 2,5 et 6 kWh / € de valeur ajoutée. Ces industriels ont besoin d'un accès compétitif à de l'électricité en base pour résister face à la concurrence internationale ; 

- 15 TWh des hypers électro-intensifs, soit 30 sites des secteurs de l'aluminium, du zinc, de l'acier, la sidérurgie, les métaux non ferreux, la chimie et les fonderies. Leur électro-intensivité dépasse les 6 kWh / € de valeur ajoutée. Ils se sont développés historiquement sur des prix de l'électricité extrêmement compétitifs à partir d'électricité nucléaire ou hydraulique.

Les entreprises qui remplissent les conditions précisées à l'article D351-1 du code de l'énergie sont dites « électro-intensives ».

L'UNIDEN estime dans sa réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête que « les prix `rendus sites' de l'électricité pour l'industrie électro-intensive ont augmenté de 30 à 75 % en 2022 et en 2023 par rapport à 2021, soit avant la crise énergétique, le prix de l'électricité rendu site passant de 40-50 €/MWh à 60-90 €/MWh ».

Le poids des entreprises électro-intensives en France

En 2021, 650 établissements de l'industrie manufacturière de plus de 20 salariés peuvent être qualifiés d'électro-intensifs. Ils représentent 3 % du nombre total d'établissements de plus de 20 salariés de l'industrie manufacturière et 4 % de leur valeur ajoutée. Ces établissements électro-intensifs emploient 72 000 salariés en 2021 et représentent 42 % de la consommation électrique du secteur manufacturier et 10 % de la consommation nationale d'électricité178(*).

Source : DGE179(*)

Un consortium appelé Exeltium, regroupant une partie des électro-intensifs en France, a été constitué en 2006 pour négocier des prix préférentiels avec EDF et un pool bancaire pour 24 ans. Les entreprises qui peuvent attester de ces caractéristiques bénéficient d'un prix du MWh préférentiel afin de préserver leur compétitivité notamment vis-à-vis de leurs concurrentes étrangères.

Le service rendu par les industries électro-intensives durant la période de tension de l'hiver 2023 au prix d'une contraction de leur production

RTE, dans sa synthèse hebdomadaire180(*) relative à l'hiver 2023, estime que les industries électro-intensives ont réduit sur cette période hivernale leur consommation de l'ordre de 20 % (voir l'exemple du mois de février ci-dessous).

L'indice de production industrielle des 5 secteurs concernés (verre et produits en verre ; pâte à papier, papier et carton ; sidérurgie ; métaux précieux et non ferreux ; chimie de base) s'est fortement contracté par rapport à l'hiver précédent avec des réductions comprises entre 6 et 26 %. Cette réduction de la consommation d'électricité des industries électro-intensives semble donc essentiellement provenir d'une contraction de leur production, bien plus que de gains d'efficacité.

Consommation de l'industrie électro-intensive en TWh, le mois de février 2023 par rapport au mois de février des années précédentes

Source : Note d'analyse de l'institut énergie développement 181(*)

Il faut rappeler que l'interruptibilité est prévue dans le code de l'énergie. Elle consiste à rémunérer certains industriels électro-intensifs en contrepartie de l'interruption de leur consommation d'électricité dans un délai très court (5 secondes) à la demande de RTE. Il existe, indépendamment du fournisseur d'électricité, des opérations d'effacement qui proposent des solutions de valorisation de l'effacement industriel.

En s'engageant sur un contrat d'effacement électrique, les entreprises et industries peuvent bénéficier d'une prime « puissance effaçable ». À titre d'exemple, l'Agence de la transition écologique (Ademe) a fait un calcul en 2021 pour une industrie dont la puissance souscrite est de 1 500 kW avec un engagement d'effacement de 1 150 kW sur 1 an.

Enfin, depuis l'avis n° 13-A-25 du 20 décembre 2013 de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), l'effacement de consommation dans le secteur de l'électricité peut être valorisé sur les marchés de l'énergie et de la capacité et bénéficie d'un mécanisme de soutien dédié par appels d'offres (voir partie 3, les enjeux de flexibilité de la demande).

L'Ademe estime qu'une prime d'effacement pour une industrie dont la puissance souscrite est de 1 500 kW et un engagement d'effacement de 1 150 kW sur 1 an, est de 28 800 € de part fixe/an et 138 €/h d'effacement pour sa part variable.

Source : Commission d'enquête

La commission d'enquête souhaite souligner qu'avec l'électrification des procédés industriels, indispensable pour atteindre les objectifs de décarbonation du pays, le nombre d'entreprises présentant les caractéristiques d'électro-intensivité devrait logiquement croître.

Ces industriels qui ont des projets importants de décarbonation par électrification ou qui participent à la décarbonation des autres secteurs économiques ont besoin, pour valider le lancement de leurs projets, d'un accès durablement compétitif à de l'électricité en quantité suffisante pour les besoins de leur décarbonation.

2. La demande du secteur résidentiel est importante notamment pour des usages liés à la chaleur

L'autre partie de la consommation électrique provient de la consommation résidentielle qui est, pour moitié environ, liée à des usages en rapport avec la chaleur (chauffage, eau chaude sanitaire, cuisson, ...).

La consommation d'électricité résidentielle par usages en France

Source : Ademe182(*)

Comment connaître les offres disponibles et mes droits de consommateur ?

Le médiateur national de l'énergie, et son site Energie-info.fr, propose une information complète sur la fourniture d'électricité et de gaz naturel. Cette autorité publique indépendante183(*), a pour mission d'informer les consommateurs d'énergie sur leurs droits et de proposer des solutions amiables aux litiges avec les entreprises du secteur de l'énergie. Il propose gratuitement un comparateur d'offres indépendant, le seul mis en place par les pouvoirs publics accessible sur internet : https://comparateur.energie-info.fr/compte/profil . Il propose aussi des fiches pratiques avec de nombreuses informations et conseils en énergie (facturation, changement de fournisseurs, taxes, etc.).

Source : commission d'enquête

3. L'autoconsommation en France est en retard comparée aux pays voisins en dépit d'une accélération récente
a) Un terme unique embrassant plusieurs formules

L'autoconsommation désigne le fait de consommer tout ou partie de sa propre production d'énergie, l'autoproduction le fait de produire soi-même tout ou partie de l'énergie qu'on consomme. Autoconsommation et autoproduction sont le même phénomène vu de deux points de vue différents : celui du consommateur ou celui du producteur.

L'autoconsommation / autoproduction d'électricité prend deux formes définis dans la réglementation française :

L'autoconsommation individuelle (ACI) définie à l'article L. 315-1 du code de l'énergie suit une définition littérale (« consommer sa propre production ») et précise que la production et la consommation ont lieu sur un même site. L'ACI peut être sans injection, c'est-à-dire que toute l'électricité produite par le site est autoconsommée sur place ou qu'un dispositif d'écrêtement a été installé pour éviter toute injection sur le réseau de distribution ou de transport, ou avec injection, le surplus de production non autoconsommé par le site étant injecté sur le réseau de distribution ou de transport.

L'autoconsommation collective (ACC) définie à l'article L. 315-2 du code de l'énergie, est une fourniture d'électricité à une échelle locale entre un ou plusieurs producteurs et un ou plusieurs consommateurs liés entre eux au sein d'une personne morale. Cette définition qui s'éloigne assez fortement de la définition littérale de l'autoconsommation individuelle, se rapproche davantage de la notion de « partage d'énergie » du droit communautaire.

L'autoconsommation collective regroupe des cas d'usage très différents :

- Un producteur qui consomme sa propre production, entre plusieurs sites distincts pour lesquels il est producteur et/ou consommateur, via le réseau de distribution : ce cas suit la définition littérale et ne se distingue de l'autoconsommation individuelle que par son caractère multisite. Il est souvent désigné dans la pratique par le terme d'« autoconsommation patrimoniale ». Par exemple, une collectivité produit de l'électricité sur le toit du gymnase municipal et autoconsomme cette production, via le réseau de distribution, sur d'autres équipements municipaux.

- Un groupe de consommateurs qui produisent ensemble ou mettent en commun une production électrique qu'ils se répartissent pour la consommer : ce cas reste proche de la définition littérale d'autoconsommation, dans un sens collectif, c'est un groupe qui consomme ce qu'il a lui-même produit. Par exemple, des copropriétaires qui se partagent la production d'une installation photovoltaïque située sur le toit de l'immeuble dans laquelle la copropriété a investi ou encore un groupe de voisins en maison individuelle, autoproducteurs à titre individuel, qui se partagent leurs surplus de production.

- Un producteur qui fournit sa production à des tiers pour consommation : ce cas d'ACC n'a plus rien à voir avec la définition littérale d'autoconsommation et s'apparente à une situation classique de fourniture d'électricité dont elle ne se distingue que par les limites réglementaires (notamment géographiques) et le dispositif opérationnel propres au mécanisme ACC. Par exemple, un bailleur social qui fournit « gratuitement » en électricité ses locataires en amortissant les frais dans un loyer ou des charges révisés à la hausse ; un développeur qui investit lui-même dans la réalisation d'une installation de production et la rentabilise en vendant la production à des consommateurs des environs ; un industriel autoproducteur à titre individuel qui vend son excédent de production à l'industriel voisin.

L'ACC repose sur des règles particulières, notamment dû au fait qu'elle n'est pas un phénomène physique mais un dispositif contractuel qui offre des possibilités d'arbitrage. ACI et ACC sont combinables.

b) Un développement particulièrement rapide depuis 2022

Les dernières données disponibles184(*) font état de près de 495 000 installations au périmètre Enedis. Le photovoltaïque représente 92 % en puissance raccordée (2593 MW), les autres équipements de production d'électricité recensés pour l'autoconsommation incluent les centrales de bioénergies (158 MW, 68 unités), les unités de cogénération gaz (42 MW, 36 unités), les centrales éoliennes (13 MW, 168 centrales), les centrales hydroélectriques (6 MW, 120 unités) et quelques autres types d'équipements (ex : incinérateurs pour 10 MW).

Le volume total raccordé en ACI atteint 2,8 GW dont 1,9 GW pour les particuliers (presque exclusivement du photovoltaïque) et 0,9 GW pour les entreprises.

En dynamique, comme l'illustre les deux graphiques ci-dessous, l'autoconsommation se développe fortement en nombre et en puissance raccordée. De 2018 à 2022, le nombre d'installations en autoconsommation a doublé tous les deux ans. La croissance s'est fortement accélérée en 2022 et 2023. En 2024, la tendance se poursuit avec plus de 54 000 installations raccordées en un trimestre contre 37 500 en 2023 pour 1,1 GW raccordé. Cette tendance est portée par les installations des particuliers ainsi que des entreprises puisque le taux de croissance est proche du doublement sur un an dans les deux cas. Seulement, 3 % de ces installations sont combinées avec des moyens de stockage de l'électricité.

Évolution annuelle du nombre d'installation en autoconsommation raccordées au réseau concédé à Enedis sur la période 2015-2024

Source : ENEDIS185(*)

Puissance raccordée en matière d'autoconsommation

 

· mars 2023

· mars 2024

· centrales PV < 9 kWc

· 0,97 GW

· 1,8 GW

· centrales > 9 kWc

· 0,5 GW

· 1,0 GW

Source : EDF186(*)

L'autoconsommation / autoproduction chez nos voisins européens

En matière d'ACI, certains pays sont plus avancés que la France. Plus de 30 % des maisons individuelles sont déjà équipées aux Pays-Bas (33 %), en Pologne (30 %) et en Belgique (28 %).

En Allemagne, davantage d'installations photovoltaïques se développent sur les toits et les surfaces libres pour atteindre plus d'un million de nouvelles installations mises en service en 2023 pour un total de 14,6 GW dont 7 GW ont été mises en place sur des bâtiments résidentiels avec une part significative en autoconsommation187(*). Plus de 4 millions de maisons sont désormais équipées188(*). L'ACI photovoltaïque résidentielle s'est très fortement développée en Allemagne sous l'effet d'une tarification élevée de l'électricité pour les ménages, qui supportent l'essentiel des taxes au profit des industriels moins taxés.

Les installations photovoltaïques en autoconsommation ont crû de 1,7 GW en 2023 en Espagne189(*) pour atteindre 7 GW, avec néanmoins une croissance plus contenue qu'en 2022 (+ 2,6 GW).

En matière d'ACC, le marché est encore émergent dans la plupart des pays européens. Il est très lié à l'existence d'un cadre réglementaire, qui est le plus souvent en évolution voire en construction et avec des disparités potentiellement plus importantes d'un pays à l'autre que pour l'ACI. Le dispositif opérationnel mis en place en France dès 2017, notamment par Enedis, apparaît cependant aujourd'hui comme relativement mature par rapport à de nombreux pays européens.

Source : Commission d'enquête à partir d'éléments d'EDF.

c) Des perspectives délicates à fixer à horizon 2050

Les projections de RTE190(*) dans l'étude Futurs énergétiques 2050 font état de 8 millions de foyers équipés en 2050. Il s'agit d'une projection reposant sur un équipement de la moitié du parc de maisons individuelles considéré comme éligible à une installation PV, soit un parc entre 14 et 16 millions d'unités.

Les autres projections proposées par l'Ademe, ou d'autres associations font état de chiffres très variables à l'horizon 2050 tout comme lors des points de passage intermédiaires.

Néanmoins des estimations191(*) basées sur l'ensemble du corpus disponible permettraient d'envisager une puissance cumulée installée de l'ordre de 100 GW en 2050.

d) Une dynamique utile au système électrique

L'autoconsommation présente un double intérêt du point de vue du système électrique. D'une part, elle est un vecteur de développement des énergies renouvelables utiles au mix électrique et contribue de ce fait à leur acceptabilité. D'autre part, elle est susceptible de rendre les consommateurs actifs, attentifs à leur consommation et flexibles pour contribuer au bon fonctionnement du système électrique. « Le développement de l'autoconsommation photovoltaïque facilitera le développement de la flexibilité sur les usages dans le résidentiel » rappelle RTE dans son étude192(*).

La contribution à ces objectifs dépend d'un cadre réglementaire adapté donnant les bons signaux et assurant une intégration durable de l'autoconsommation dans le fonctionnement plus global du système électrique.

À défaut d'adaptation du cadre, plusieurs risques existent :

- une plus grande difficulté à piloter le système électrique (prévisibilité de l'équilibre offre demande, gestion des flexibilités) ;

- des surcoûts potentiels pour les pouvoirs publics et les acteurs du système électrique (complexification des échanges et développements systèmes d'information, effets d'aubaine du fait des dispositifs de soutien ou arbitrages économiques, provisions pour risque des fournisseurs faute de moyens d'anticiper...) supportés in fine par les contribuables et/ou les consommateurs ;

- voire de nouvelles formes d'éco-délinquance. EDF a signalé, en réponse au questionnaire de la commission d'enquête, que « depuis plus d'un an, nous constatons le développement de nombreux projets d'autoconsommation collective basés sur une vente d'électricité engageant des consommateurs dans l'ignorance complète, réelle ou simulée, des porteurs de projets des différentes règles applicables à la fourniture d'électricité, notamment en matière de protection des consommateurs, ce qui met ces derniers en danger. » Afin que l'autoconsommation collective se développe sur un terrain sain et propice, l'entreprise recommande que « soient rapidement rappelés de manière claire et synthétique : l'ensemble des obligations encadrant cette activité qui sont disséminées dans la loi ; que l'autoconsommation collective est un cas de « vente directe d'électricité » et que, par conséquent, les dispositions de l'article L. 333-1 du code de l'énergie, qui prévoient l'obligation de détention d'une autorisation de fourniture, sauf en cas de délégation par le producteur à un tiers autorisé de ses obligations liées à la fourniture, lui sont applicables (confirmé par la DGEC) ; que des dispositifs de contrôle des pratiques contractuelles mises en oeuvre dans le cadre des opérations d'autoconsommation collective seront mis en place. »193(*) et 194(*)

e) L'autoconsommation doit être encouragée

Le cadre de soutien actuel pourrait être amélioré de plusieurs façons.

Au regard des enjeux de flexibilité. Si la valorisation du surplus de production à un tarif d'obligation d'achat garanti sur 20 ans apparaît comme un atout alliant simplicité, sécurité et visibilité pour les particuliers qui investissent dans un projet photovoltaïque, la structure de ce tarif n'incite en revanche pas assez les autoproducteurs à adopter des comportements répondant aux besoins du système électrique.

La commission d'enquête estime qu'il faudrait synchroniser au mieux les différents signaux économiques perçus par les autoconsommateurs en lien avec les besoins du système électrique de sorte qu'ils perçoivent une incitation à déplacer leurs usages ou stocker l'électricité en période de pics de production.

Cela implique de développer des signaux tarifaires195(*) reflétant au mieux la réalité des coûts et du fonctionnement du marché pour inciter l'autoproducteur à déplacer sa consommation au moment de la production photovoltaïque. Cela nécessite par ailleurs de renforcer les mécanismes incitatifs à l'investissement dans des dispositifs de stockage fixes (type batteries stationnaires) ou mobiles (type bornes compatibles vehicule-to-grid).

Au regard des coût d'utilisation du réseau. L'autoconsommation individuelle réduit les recettes des gestionnaires de réseau de distribution puisqu'elle ne sollicite pas la part variable du TURPE. Il convient de noter qu'elle réduit aussi la « pression » sur le réseau.

Au regard des choix d'investissement. La différence de TVA entre les installations de moins de 3 kWc (10 %) et celles de plus de 3 kWc (20 %) conduit à des effets pervers. Pour des questions d'effet de seuil fiscal, il arrive qu'un sous-dimensionnement non optimal soit retenu limitant l'installation à 3 kWc alors qu'une installation plus importante aurait pu être retenue compte tenu des caractéristiques et besoins du site. Dans d'autres cas signalés par Enedis, cette différence de TVA conduit certains installateurs à découper l'installation de 6 kW en deux fois 3 kW en intervenant deux fois chez le client. Cette désoptimisation pour la collectivité occasionne des coûts de gestion supplémentaires chez les gestionnaires de réseau qui sont ensuite payés par tous les consommateurs via le TURPE, mais aussi chez les acteurs responsables de la contractualisation de l'obligation d'achat.

Cette différence de taux de TVA ne peut qu'interroger sur les effets pervers qu'elle induit.

Afin de réduire le coût de financement des projets et le frein psychologique que constitue la mise initiale, notamment sur le marché résidentiel, le versement de la prime à l'investissement devrait intervenir au plus près du moment où l'investissement est réalisé. Aujourd'hui les modalités de versement de cette prime sont complexes et trop éloignées de l'effort d'investissement196(*).

La commission d'enquête estime qu'un versement au plus près de la mise en service de l'installation constituerait par conséquent une réelle amélioration.

Les délais de signature du contrat étant eux-mêmes souvent assez longs, il faudrait viser une réduction de la durée du processus complet.

D'autre part, le délai moyen entre la date d'installation de la centrale de production photovoltaïque et la mise en service déclarée par Enedis, est d'environ 20 jours sur le marché résidentiel, avec des situations ponctuelles où ce délai peut s'étendre à plusieurs mois197(*). Tant que le producteur-auto-consommateur n'a pas signé de contrat d'accès au réseau de distribution en injection avec le gestionnaire de réseau de distribution, et tant que ce dernier n'a pas mis en service le raccordement, le producteur n'est pas censé produire et encore moins injecter sur le réseau. S'il produit et injecte néanmoins sur le réseau, alors il est susceptible de mettre en danger des agents du gestionnaire de réseau de distribution qui interviendraient sur le réseau. L'énergie éventuellement injectée sur le réseau avant la mise en service officielle est de facto récupérée gratuitement par le gestionnaire de réseau de distribution, qui l'utilise pour la compensation des pertes sur le réseau. En Espagne, le délai moyen n'est que de 12 jours. La commission d'enquête estime qu'une réduction de ce délai en France serait souhaitable.

Toujours en matière de simplification, le processus actuel prévoit, à date anniversaire du contrat d'obligation d'achat, de déclarer les index d'injection sur le compte créé par le producteur chez EDF OA (obligation d'achat) et de générer ainsi la facture de surplus qui en découle. Le paiement est ensuite effectué par EDF OA sur le RIB communiqué à l'ouverture du compte. Ce processus de déclaration et de facturation annuel est mal compris par les producteurs, qui s'attendent à un traitement automatique et à des paiements plus fréquents.

La commission d'enquête estime que dans la mesure où le gestionnaire du réseau dispose des informations nécessaires et que celles-ci sont fiables et font référence, une évolution vers un dispositif s'appuyant sur un flux d'index ou de courbes de charge entre le gestionnaire de réseau et l'acheteur obligé, et une facturation et un paiement automatisés par l'acheteur obligé serait pertinente.

S'agissant de l'autoconsommation collective, les producteurs participant à une opération ACC exercent une activité de fourniture d'électricité à des consommateurs finaux, il serait normal qu'ils bénéficient des mêmes protections que celles des autres consommateurs et producteurs fournissant de l'énergie.

Il convient donc de clarifier et contrôler l'application des obligations relatives à la fourniture d'électricité lorsqu'elle s'exerce dans un cadre d'ACC, pour protéger les consommateurs et garantir une équité entre les différentes formes de fourniture.

La commission d'enquête estime qu'il faut renforcer l'information des consommateurs en ACI et ACC sur leurs droits et sur les effets de l'autoconsommation sur leur structure de prix.

Recommandation n° 8

Destinataires

Échéance

Support/Action

Développer l'autoconsommation en ajustant la réglementation et en laissant inchangés la propriété publique et l'équilibre financier des réseaux de distribution d'électricité.

Gouvernement

(Ministère de la Transition écologique et Ministère de l'économie et des finances)

Gestionnaire de réseau (Enedis)

2024

Divers supports en fonction des sous-actions

D. QUAND L'ÉLECTRICITÉ EST-ELLE CONSOMMÉE ?

La consommation d'électricité fluctue au cours du temps, en fonction du cycle des saisons et des températures ainsi que des besoins liés au rythme des activités économiques et domestiques. La combinaison de ces facteurs fait qu'elle est structurellement plus élevée le jour que la nuit, en jours ouvrés qu'en week-end, en hiver qu'en été.

1. La consommation électrique est sujette à de nombreuses fluctuations

Les appels de puissance lié à l'activité présentent un profil cyclique similaire sur l'ensemble des jours ouvrés. La montée de charge à partir de 6 h, liée à la reprise d'activité, conduit à la formation d'un « plateau du matin » constitué d'une succession de pointes : résidentielle autour de 8 h-9 h (surtout l'hiver), puis tertiaire autour de 10 h-11 h, et à nouveau résidentielle autour de 12 h. Un rebond en fin d'après-midi signe une reprise de la consommation résidentielle.

La première série de graphiques illustre deux profils journaliers de puissance de la consommation, un en été, un en hiver. La seconde illustre, l'évolution de la consommation hebdomadaire rapportée à chaque mois de l'année.

Profil journalier de puissance de la consommation par usages aujourd'hui

Source : RTE 198(*)

Profil mensuel de puissance de la consommation sur une année

Source : RTE, site internet

Le système électrique français se caractérise par une forte thermosensibilité induite par le chauffage électrique. RTE indique dans les Futurs énergétiques 2050, qu'en hiver, en dessous de 15°C, une baisse de la température de 1°C conduit à une augmentation de l'ordre de 2 400 MW de la consommation199(*) comme illustré sur ce graphique.

Appel de puissance moyen du chauffage en fonction de la température lissée

Source : RTE 200(*)

2. Les niveaux de consommation les plus élevés et la pointe

Les niveaux de consommation les plus élevés en 2023 ont été concentrés sur dix-sept journées, principalement sur fin janvier.

Nombre de jours différents pendant lesquels les niveaux de consommation demi-horaires font partie des 1 % les plus élevés de l'année

Lecture des données : le graphique représente le nombre de jours différents pendant lesquels s'observent les demi-heures ayant un niveau de consommation supérieur à 99 % de l'ensemble des demi-heures lors de chacune des années. Par exemple, les demi-heures ayant les niveaux de consommation électrique les plus élevée de l'année 2023 se sont produites lors de 17 jours différents. La couleur des histogrammes représente le nombre de jours consécutifs. Par exemple en 2023, les niveaux de consommations électriques les plus élevées sont été observés sur 17 jours différents dont un bloc de six jours consécutifs, un bloc de quatre jours consécutifs, deux blocs de trois jours consécutifs et un jour isolé.

Source : RTE201(*)

La pointe de consommation annuelle correspond au pic de consommation atteint en France. Les besoins du système électrique risquent d'atteindre des niveaux de pointe dans deux types de situation : les périodes de tension relativement courtes de quelques heures telles que la pointe du matin ou du soir, particulièrement lors d'un épisode froid ; les périodes plus longues de l'ordre de plusieurs jours ou semaines liés à la combinaison d'une vague de froid et d'un phénomène anticyclonique conduisant à une faible production solaire et éolienne sur une partie de l'Europe.

La pointe électrique a cru environ 2,5 fois plus rapidement que la croissance de la consommation depuis les années 2000. Depuis 2015, les deux courbes sont proches.

La pointe de consommation de 2023 a été de 84,2 GW atteinte le lundi 23 janvier 2023 à 19h202(*). Ce niveau est resté similaire à ceux des années précédentes et est dans la moyenne des 20 dernières années. Le record historique de consommation de la France remonte à la vague de froid de début 2012, avec une pointe montée à 102,98 GW le 8 février à 19h00.

Évolution des pics de consommation d'électricité en France entre 1990 et 2023 

Source : RTE 203(*)

3. L'enjeu du développement de l'information sur les moments propices d'utilisation

Connaître sa consommation d'électricité permet de mieux adapter cette dernière dans le temps. C'est pour cette raison que plusieurs outils ont été développés ces dernières années. RTE déploie d'ailleurs le slogan suivant : « comprendre l'électricité, c'est déjà mieux la consommer ».

À cette fin, plusieurs outils ont été développés ces dernières années. Il s'agit essentiellement d'outils de datavisualisation des données de consommation. Ils ont une vocation pédagogique d'information.

EcoWatt est un service numérique gratuit qui délivre une « météo de l'électricité » en temps réel fonctionnant avec un code couleur. Le code vert signifie qu'il est possible de garder une « consommation normale ». Le code orange indique que le système électrique est « tendu » et que « les écogestes sont les bienvenus ». Le code rouge correspond à un système électrique « très tendu » ou la baisse de consommation est attendue pour éviter que les coupures soient « inévitables ». L'application donne cette « météo » de l'électricité sur quatre jours ce qui permet d'être alerté par exemple sur l'arrivée d'un jour rouge. EcoWatt envoie un SMS aux inscrits sur sa plateforme afin de les inciter à réduire leur consommation. Ce service a été développé par RTE, Enedis et l'Agence de la transition écologique (Ademe) et soutenu par le ministère de la transition écologique. D'abord déployé en Bretagne, en PACA, en Normandie et en Île-de-France, régions historiquement concernées par la sécurité d'alimentation en électricité, Écowatt a été étendu à l'ensemble de la France en 2020. De nombreuses collectivités ou grandes entreprises ont déjà rejoint le dispositif et mobilisent leurs salariés ou administrés.

L'appli Eco2mix est une application de suivi de production et de consommation d'électricité en France. Plus de 15 millions de données sont compilées afin de pouvoir synthétiser et délivrer une information précise. Cette deuxième application de RTE entre plus dans le détail de la consommation nationale, mais aussi régionale et même par métropole. L'utilisateur peut moduler et choisir les régions qu'il souhaite voir en priorité et une carte permet de comparer la production, la consommation et le flux de chaque région, grâce à une carte interactive. L'application permet aussi de connaître en temps réel la production d'électricité par filière (nucléaire, solaire, charbon...), ainsi que les émissions de CO2.

Wattris est un outil pour mieux comprendre et piloter sa consommation d'électricité. Développé par RTE en partenariat avec l'Ademe, cet outil invite les particuliers à consommer l'électricité aux meilleures heures. Il simule la consommation d'électricité d'un ménage et les gestes permettant de réduire leur facture d'énergie.

Trois applications complémentaires ?

Ces applications visent le même objectif, à savoir améliorer la compréhension et le pilotage de sa consommation d'électricité afin d'éviter les tensions sur le réseau et de réduire sa facture. Elles se veulent complémentaires :

Eco2mix aide à mieux comprendre la consommation d'électricité en donnant des informations très détaillés sur les consommations par appareils ou encore les émissions de CO2 générées, ou aussi les prix spot.

Ecowatt est beaucoup plus simple, car il permet de s'informer en temps réel du rapport entre la consommation et la production sur le réseau. L'application envoie trois signaux d'alertes faciles à interpréter : vert, orange et rouge.

Wattris informe concrètement des ordres de grandeur sur l'appel de puissance de 25 appareils de son foyer alimentés avec de l'électricité (plaques de cuisson, ballon d'eau chaude, lave-linge, chargeur de portable, etc.). L'utilisateur peut alors prendre conscience de ses sources de consommation électrique. Si Écowatt lui indique quand moduler sa consommation, Wattris lui précise les ordres de grandeur de la consommation de chaque appareil.

Source : Commission d'enquête

Ces applications jouent désormais un rôle dans la modulation de la consommation : à titre d'exemple, le site internet d'EcoWatt indique que suite à l'alerte lancée par RTE, 800 MW ont été économisés à la pointe de consommation le lundi 4 avril 2022 grâce à la mobilisation des Français, ce qui correspond à deux fois la consommation d'une ville comme Montpellier.

Ces applications participent à l'effacement « comportemental » qui se matérialise souvent par un environnement ludique, peu contraignant, sous forme de challenges et qui met en avant le rôle actif du consommateur engagé. Ce type de dispositif mobilise à peu de frais et rapidement des millions de consommateurs sur la thématique de la flexibilité.

Il présente cependant une limite importante. Il n'a pas la capacité de mobiliser la majorité du gisement de flexibilité chez un consommateur : absence d'automatisation impliquant une répétition des gestes individuels, limite dans le nombre de sollicitations du consommateur, etc.

4. Les données de consommation sous-exploitées
a) L'exploitation de ces données présente plusieurs intérêts

L'utilisation de données de consommation présente un bénéficie direct pour le consommateur résidentiel. Il peut mieux connaître son profil de consommation et donc retenir les offres tarifaires les plus adaptées à ses besoins. Ce sont ces données qui lui permettent, par exemple, d'arbitrer entre l'offre de « base » et une offre « heures pleines/heures creuses » ou encore d'ajuster sa souscription de puissance. Ces données collectées permettent également de comprendre sa consommation, d'identifier les sources de forte consommation, voire les dysfonctionnements de certains appareils.

Au-delà d'une vision statique cette connaissance des données est un préalable à un pilotage de sa consommation pour l'optimiser et réaliser des économies. Ce pilotage se réalise directement ou avec l'aide d'un tiers. Il permet par exemple de pratiquer les effacements d'énergie ou la programmation de recharges comme celle des ballons d'eau-chaude. Les opérations sont en quelque sorte programmées par des technologies nouvelles qui permettent d'envoyer automatiquement des ordres d'effacement chez les particuliers volontaires. Cette connaissance de la consommation permet aussi en dynamique d'éclairer les décisions d'investissement : isolation de son logement, changement de système de chauffage, anticipation de mesures d'entretien ou de remplacement de matériel...

L'utilisation de données de consommation présente également un bénéfice pour le système énergétique. Un pilotage fin de la demande renforce la flexibilité du système énergétique. Cette flexibilité est d'autant plus importante que l'augmentation de la part des ENR variables dans la production électrique la rend progressivement de plus en plus nécessaire. En complément d'un lissage des pics de consommation grâce au pilotage par la donnée, il devient possible de placer la consommation de certains équipements sur les plages ou les ENR produisent - le midi et l'après-midi par exemple s'agissant de l'énergie solaire - afin de s'ajuster aux capacités de production à ce moment-là. La donnée prend également tout son sens avec le développement de certains appareils électriques, comme les batteries, qui permettent de stoker à certains moments ou le système électrique le permet et de redéployer cette capacité stockée soit vers les besoins du domicile, soit dans le réseau au moment des pics de consommation. Aussi, la connaissance précise des profils de consommation permet de développer des offres et services innovants.

Enfin, ces données, agrégées au niveau d'un territoire, ont du sens pour les collectivités qui sont de plus en plus impliquées dans la mise en oeuvre de la politique énergétique nationale. Connaître les données de consommation de son territoire et l'agrégation anonymisée des données de ses administrés permet de construire des politiques adaptées en termes de lutte contre la précarité énergétique, de développement de filières locales de production, de mobilité durable ou encore de rénovation thermique par exemple.

En complément de ces données relatives à la consommation, les données relatives aux réseaux sont aussi utiles pour accroître la sécurité du système électrique. Les réseaux électriques intelligents, ou smart grid en anglais, se caractérisent par le fait de favoriser la circulation d'information entre les fournisseurs et les consommateurs afin d'ajuster le flux d'électricité en temps réel et d'en permettre une gestion efficiente. Une étude récente204(*) estimait que leur développement entraînerait des gains de l'ordre de 400 millions d'euros par an pour la collectivité.

L'intérêt d'enregistrer ces données de consommation

Les données fines de consommation rendues disponibles par les compteurs évolués peuvent permettre la fourniture de nouveaux services aux consommateurs, tels que :

- l'analyse de la consommation et la comparaison avec des clients similaires pour évaluer les pistes de maitrise de la consommation ;

- la recommandation d'offres de fournitures adaptées au client au regard de ses habitudes de consommation ;

- une meilleure prise de conscience par les consommateurs de l'énergie nécessaire à leurs différents usages ;

- des offres de fournitures innovantes valorisant la flexibilité des consommateurs, par exemple pour le pilotage de la recharge des véhicules électriques ;

- la valorisation de la sobriété des consommateurs grâce à des bonus récompensant les économies d'énergie ;

- la valorisation de la flexibilité des consommateurs grâce à des effacements explicites, indépendants de l'offre de fourniture ;

- la participation à des opérations d'autoconsommation collective.

Cette liste n'est pas exhaustive et l'émergence de nouveaux services est toujours possible.

Source : réponse de la CRE au questionnaire de la commission d'enquête

b) Les compteurs dit « intelligents » sont paramétrés pour relever finement les informations relatives à la consommation

Les compteurs dit « intelligents », également appelés « communicants » ou « de nouvelle génération », de type Linky, sont un volet important de la politique énergétique européenne.

Dans le cadre de la libéralisation du marché européen de l'énergie, trois ensembles législatifs ont été adoptés entre 1996 et 2009.

Dans le cadre du troisième paquet énergie, deux directives européennes sur le gaz et l'électricité (2009/72/CE et 2009/73/CE) incluent une obligation pour les États membres d'établir un calendrier pour un déploiement progressif de compteurs dits intelligents. L'objectif affiché était d'équiper au moins 80 % des consommateurs d'ici à 2020 pour les compteurs électriques.

La directive 2002/91/CE sur la performance énergétique des bâtiments prévoit que les États membres élaborent un plan national pour l'installation de compteurs intelligents.

Enfin, la directive 2012/27/UE relative à l'efficacité énergétique soutient le développement de services énergétiques fondés sur des données provenant de compteurs intelligents.

Où en sommes-nous en Europe et en France dans le déploiement de compteurs intelligents ?

La version 2024 de l'étude de référence du marché européen des compteurs intelligents205(*) relate que fin 2023, plus de 60 % des clients d'électricité de l'Union européenne disposaient d'un compteur de ce type. Le marché devrait connaître une croissance stable avec un total de plus de 88 millions d'unités supplémentaires qui devraient être déployées entre 2024 et 2028. Le taux de pénétration sera de 78 % d'ici 2028. Elle inclut le déploiement de compteurs intelligents de première génération en Europe centrale et orientale ainsi qu'en Europe du Sud-Est et d'équipements de comptage intelligent de deuxième génération en Italie, dans les pays nordiques, en Espagne et aux Pays-Bas.

L'installation du compteur Linky est généralisée en France depuis décembre 2015. On dénombre sur le territoire desservi par Enedis (95 % du territoire métropolitain) 37 millions de compteurs Linky (94,1 % du parc) et 2,3 millions de compteurs anciens à résorber avant fin 2024. À noter que l'équivalent pour le gaz naturel, Gazpar, a été déployé par  GRDF depuis 2017 et plus de 11 millions de compteurs sont déployés actuellement.

Source : Commission d'enquête

En réalité, ces compteurs n'ont rien d'intelligent : ils ne font que transmettre les informations affichées et sont directement connectés aux bases de données des fournisseurs d'énergie (voir l'encadré sur leur potentiel).

Quelles sont les réelles potentialités du compteur évolué Linky ?

Le compteur Linky du gestionnaire de réseaux publics de distribution d'électricité, Enedis, mesure les consommations sur des plages de 10 minutes et les agrège dans un maximum de dix « index fournisseur » permettant une tarification de l'électricité différente selon les heures. Les tarifs réglementés (heures pleines/heures creuses, ou EJP) comme les offres de marché peuvent s'appuyer sur cette fonctionnalité. Le compteur dispose également d'« index production », permettant notamment de mesurer l'énergie injectée par le consommateur lors d'une opération d'autoconsommation.

Les informations dont « dispose » le compteur sont exportables via la télé-information client (TIC). Celle-ci peut être assurée par liaison filaire ou via un « Émetteur radio Linky » (ERL). En sens inverse, le gestionnaire de réseau transmet en temps réel des informations au compteur Linky, en particulier à l'occasion du basculement entre plages tarifaires.

Cette nouvelle génération de compteur permet :

- le pilotage des équipements des consommateurs (via un gestionnaire d'énergie ou équivalent), contribuant ainsi à la limitation de leur consommation pendant les périodes de forte demande d'électricité ;

- la simplification de certaines opérations (télé-relevés et interventions à distance) ;

- une aide à la maîtrise des dépenses des consommateurs, notamment par l'intermédiaire de nouveaux services, par la transmission d'informations plus précises et enrichies sur leur consommation réelle, la possibilité de se comparer avec des consommations comparables ;

- des offres tarifaires, par les fournisseurs, adaptées aux besoins spécifiques des consommateurs, avec des prix différents selon les périodes de l'année ou de la journée ;

- le développement des réseaux électriques intelligents (Smart grids).

Source : Rapport du comité de prospective de la CRE, intitulé « donner du sens aux données du consommateur », décembre 2019.

c) L'enregistrement des données de consommation dans le système d'information du gestionnaire de réseau de distribution doit être la norme

L'entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD)206(*) a eu un impact sur les règles applicables au traitement des données de consommation individuelle issues des compteurs dit intelligents. Les « données brutes traitées par un compteur intelligent » constituent désormais des données à caractère personnel. Les obligations de la loi Informatique et Libertés de 1978 et du RGPD s'appliquent par conséquent à leur traitement.

Le code de l'énergie encadre les modalités de mise à disposition des données du consommateur selon les fins poursuivies. Trois modalités principales existent : le recueil obligatoire signifiant que le client ne peut s'opposer à la collecte de ces données de consommation ; « l'opt-out » signifiant un traitement automatique, sauf si le consommateur s'y oppose ; « l'opt-in » signifiant un traitement uniquement si le consommateur l'a explicitement autorisé ou demandé.

Dans une délibération du 11 février 2010, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) évaluait l'expérimentation d'Électricité Réseau Distribution France (ERDF) en vue de l'évolution du comptage électrique basse tension de faible puissance. Cette délibération prévoyait que le compteur Linky aurait, entre autres fonctionnalités, la possibilité de « mesurer et enregistrer la courbe de charge (puissance active) avec un pas de temps paramétrable a minima avec les valeurs 30 et 60 minutes, pour une capacité minimale de 2 mois glissants au pas demi-horaire ».

La Commission nationale informatique et libertés (CNIL) a estimé, peu de temps après, que ces données étaient trop sensibles et ne pouvaient pas être transmises sans avis express du client.

Il résulte de cette décision que les données disponibles sur la consommation des ménages pour eux-mêmes, et pour le système d'informations des gestionnaires de réseaux, sont partielles. Aujourd'hui, l'enregistrement de la courbe de charge à la demi-heure dans les compteurs intelligents résidentiels est systématique, sauf si le client s'y oppose (opt-out). Mais ces mêmes données remontent aux gestionnaires de réseaux uniquement si le client en fait la demande explicitement (opt-in). Au 1er avril 2024, seulement 10,2 millions de clients ont donné leur accord pour que la courbe de charge soit activée, soit 27 % des clients équipés du compteur communicant Linky.

Évolution du nombre d'abonnements à la courbe de charge

Source : Enedis207(*)

Natacha Hakwik, présidente de l'association Luciole208(*), déclarait lors de son audition par la commission d'enquête : « Le fonctionnement en opt-in a pour conséquence que lorsqu'un consommateur s'intéresse à sa consommation - ce qui est de plus en plus le cas - et qu'il interroge un fournisseur ou un opérateur de service, celui-ci va tenter de récupérer l'historique de ses courbes de charge pour l'analyser. Mais si le consommateur n'a pas expressément autorisé l'enregistrement de sa consommation dans le compteur et sa transmission au gestionnaire de réseau, alors l'opérateur de service ou le fournisseur est dans l'incapacité de les récupérer. Il doit attendre un an, parfois deux ans. Nous proposons donc que la consommation soit par défaut enregistrée dans le compteur, et transmise à Enedis - qui, je le rappelle, est une entreprise publique : il ne s'agit pas de confier des données à Google ! Ainsi, lorsque le consommateur a besoin d'une analyse, l'opérateur ou le fournisseur peut y accéder après en avoir obtenu l'accord. Cela fait dix ans que nous défendons cette idée. Des rapports du comité de prospective de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) l'ont également réclamé. Pourtant, rien ne bouge. Nous serions très heureux de lever enfin cette barrière. »209(*)

La commission d'enquête constate que la CRE, dans sa contribution à la stratégie française énergie-climat de septembre 2023, avance désormais une recommandation comparable : « la réglementation doit évoluer pour faciliter l'accès aux données de consommation d'énergie aujourd'hui insuffisamment développé, tout en veillant à leur transparence et leur protection. L'enregistrement des données horaires dans les systèmes d'information des gestionnaires de réseaux, tout en maintenant un droit de refus (« opt-out ») pour les consommateurs, leur permettrait de disposer à tout moment et immédiatement, sur simple requête informatique, de leur historique de consommation. »

Le consentement en matière de recueil des données est un sujet sensible, mais des récentes évolutions, dans d'autres secteurs, démontrent qu'il est possible de trouver un chemin entre intérêt individuel et intérêt général (voir encadré ci-dessous).

L'exploitation de données sensibles en matière de Santé

La loi Santé du 24 juillet 2019 semble avoir trouvé un équilibre entre intérêt général et protection des données individuelles.

Elle prévoit ainsi que tous les administrés, y compris les nouveau-nés, se verront automatiquement doter d'un espace numérique de santé, sauf opposition de la personne ou de son représentant légal (opt-out). Pourtant, les données de santé, encore plus que les données d'énergie, revêtent un caractère éminemment sensible. L'introduction de ce mécanisme d'opt-out devrait avoir des conséquences importantes sur la collecte des données de santé.

Source : Commission d'enquête

Compte tenu de son intérêt pour le réseau électrique et le pilotage intelligent de la consommation, la commission d'enquête estime nécessaire que la collecte de la courbe de charge des compteurs et leur enregistrement dans le système d'information du gestionnaire de réseau de distribution soit automatique, sauf opposition du client dûment informé au préalable.

La mesure des données horaires, qui étaient justement l'un des apports des compteurs dit intelligents, doivent pouvoir être transmises aux gestionnaires de réseau, sauf si le consommateur s'y oppose. Cette évolution, afin de se faire dans la confiance, devra porter une attention particulière à la bonne information du consommateur : clarté sur l'usage fait de ses données, outil de visualisation et d'appropriation simple d'usage, sécurité des traitements, etc.

La commission d'enquête propose de systématiser la remontée des données de la courbe de charge aux gestionnaires de réseaux, tout en laissant aux consommateurs la possibilité de s'y opposer. Le passage en « opt-out » pour l'enregistrement des données par les gestionnaires de réseau peut se combiner avec un maintien d'un « opt-in » pour la transmission de ces données à un tiers, société privée notamment, qu'il soit le fournisseur ou un prestataire de service comme un agrégateur d'effacement.

Cette évolution devrait se faire après discussion de telle sorte que les contestations et inquiétudes comme celles qui avaient accompagné le déploiement de Linky soient apaisées.

La commission est consciente du coût que cela peut représenter pour Enedis, dont le système d'informations n'est aujourd'hui paramétré que pour remonter 20 % des courbes de charges. Une certaine progressivité, pour faciliter l'atteinte de l'objectif proposé, pourrait être visée.

Elle note cependant que les spécifications du projet Linky arrêtées dans la délibération de la CRE de 2007 visaient un potentiel de remontées des courbes de charge de 100 % des clients équipés. Ce choix faisait suite à une étude technico-économique de CapGemini, que la commission a pu consulter, et qui montrait que cette caractéristique correspondait bien à un optimum de rentabilité du projet pour la collectivité.

En conclusion, la commission considère que le développement des remontées de données de consommation électrique est un impératif dans le cadre de l'enjeu de sobriété et de stabilité du système électrique et appelle le Gouvernement à engager rapidement une concertation avec les acteurs intéressés et notamment les consommateurs.

Recommandation n° 9

Destinataires

Échéance

Support/Action

Systématiser la remontée des données de la courbe de charge aux gestionnaires de réseaux, sauf si le consommateur, dûment informé au préalable, s'y oppose

Gouvernement (Ministère de l'économie et des finances)

Gestionnaire de réseau (Enedis)

2024

Modification du code de la consommation

E. LES OUTRE-MER ET LA CORSE FONT FACE À DES ENJEUX SPÉCIFIQUES

En France, la loi désigne comme zones non-interconnectées (ZNI), les territoires qui, du fait de leur insularité, ne sont pas reliés au réseau électrique métropolitain continental et qui bénéficient du dispositif de péréquation tarifaire nationale.

Les ZNI regroupent :

- les départements et régions d'outre-mer : Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion, Mayotte ;

- les collectivités territoriales à statut particulier : Corse ;

- certaines collectivités d'outre-mer : Saint-Martin, Saint-Barthélemy, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis et Futuna. À noter que Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont dans une situation atypique : elles détiennent la compétence énergie tout en disposant de la péréquation tarifaire ;

- quatre des îles du Ponant : les îles de Sein, Molène, Ouessant et Chausey.

La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie Française, qui exercent une compétence propre en matière d'énergie, ne sont pas considérées comme des ZNI.

Ces territoires, exceptée la Corse raccordée pour partie à la Sardaigne et au réseau continental italien, doivent assurer leur approvisionnement électrique à partir de leur seule production locale et garantir par eux-mêmes la stabilité et l'équilibre de leur réseau. Autrement dit, leur électricité doit être produite sur place.

Une réglementation dérogatoire au droit commun européen s'applique. Chaque territoire élabore sa propre programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), îles du Ponant exceptées.

1. Consommation, production et soutien de l'État dans les ZNI

La singularité des ZNI se mesure sur l'ensemble des sujets énergétiques : consommation, production et soutien de l'État.

a) La consommation d'électricité des ZNI

La consommation totale d'électricité des ZNI est en croissance constante depuis quinze ans, passant de 7,2 TWh en 2005 à 9,1 TWh en 2021 (+ 26 %). Près de 60 % de cette consommation, soit 5,5 TWh en 2021, est celle des ménages et petits professionnels ayant souscrit une puissance inférieure à 36 KVA, ce qui est proche de l'hexagone.

Consommation électrique dans les ZNI en 2021

Territoires

Nombre de Clients

Consommation Totale (GWh)

Corse

269 361

2 074

Guadeloupe

222 943

1 737

Guyane

75 732

828

Martinique

203 673

1 367

Réunion

409 679

2 822

Mayotte

49 414

353

St Pierre et Miquelon

4 500

 

Wallis et Futuna

3 850

22.2

Ile de Chausey

119

0.5

Ile de Sein

387

1.5

Ile de Molène

333

1.3

Ile d'Ouessant

1 077

7.1

Saint Barthélémy

6 404

118

Saint Martin

17 872

163

Total

1 265 344

9 657,1 (*)

Source : DGEC210(*)

(*) Les écarts avec le chiffre annoncé précédemment d'une consommation de 9,1 TWh en 2021 proviennent des pertes électriques.

En réponse au questionnaire de la commission d'enquête, la direction générale des outre-mer (DGOM) du ministère de l'intérieur évoque pour ces dernières années, une « augmentation de la consommation en électricité bien supérieure à l'hexagone : 3,8 %/an contre 1 %/an, en raison de l'augmentation démographique et du développement des usages domestiques. »

Cette dynamique de consommation est assez disparate d'un territoire à l'autre compte tenu des évolutions démographiques : croissance très forte et constante à Mayotte avec un doublement depuis 2005, plus modérée à la Réunion et en Guyane, quasi stabilisation en Guadeloupe et en Corse, légère baisse en Martinique depuis dix ans.

La consommation par habitant n'est pas homogène : celle des territoires ultramarins est environ de moitié inférieure à celle du continent, sauf celle de Mayotte encore très basse, alors que celle de la Corse en est assez proche.

L'autoconsommation reste faible, même si les ZNI bénéficient, globalement, de conditions d'ensoleillement très favorables au développement du photovoltaïque. Le récent alignement des règles de l'autoconsommation dans les ZNI sur celles de l'hexagone semble de nature à susciter leur développement à venir (voir encadré).

Autoconsommation et autoproduction dans les ZNI : enfin le décollage ?

La puissance cumulée des installations en autoconsommation totale et partielle sur les territoires relevant de EDF systèmes énergétiques insulaires (EDF SEI) était d'environ 26 MW fin 2023 contre à 10MW fin 2020. La dynamique de développement de l'autoconsommation collective en ZNI est similaire à celle de la France continentale en 2021. Cependant, l'autoconsommation individuelle est en retrait par rapport à l'hexagone. Le tarif d'obligation d'achat précédent ne favorisait pas l'autoconsommation pour les installations inférieures à 100kWc (pas de prime à l'investissement) et il n'y a pas eu de période de candidature d'appel d'offres autoconsommation pour les installations supérieures à 100kWc depuis 2020.

Le cadre législatif et règlementaire de l'autoconsommation est désormais identique à la métropole continentale même si la publication du mécanisme de soutien de l'Obligation d'Achat (OA) pour les installations PV inférieures à 500 kWc (arrêté tarifaire211(*) du 5 janvier 2024) a été publié un peu plus de deux ans après celui applicable en métropole continentale.

Il permet désormais le développement de l'autoconsommation PV individuelle et collective et sur tous les secteurs économiques.

Depuis janvier 2024, les projets PV inférieurs à 500 kWc rentrent dans le cadre de l'OA qui prévoit une prime à l'autoconsommation pour la vente au surplus, sur le même modèle que la métropole continentale, ainsi que la possibilité participer à une opération d'autoconsommation collective.

Ces changements ont entraîné une hausse brutale des demandes de raccordement de projets en autoconsommation : plus de 500 demandes reçues en 2 mois. EDF SEI, en tant que gestionnaire de réseau de distribution (GRD) et fournisseur historique de certaines de ces ZNI a fait évoluer ses outils et son organisation pour accompagner l'augmentation importante de ces raccordements et des contractualisations associées.

D'un point de vue du fonctionnement des systèmes électriques des ZNI, le développement des EnR intermittentes sans apport d'inertie (photovoltaïque, éolien) conduit le gestionnaire de système à développer et mettre en oeuvre des outils spécifiques pour assurer la stabilité et la résilience du système ainsi que sa conduite en toute sureté.

Source : Commission d'enquête sur la base des éléments fournis par EDF.

b) La production d'électricité dans les ZNI

L'approvisionnement énergétique des ZNI repose en grande majorité sur les importations d'énergies fossiles exposant ces territoires aux fluctuations de prix. Trois graphiques permettent de cerner les problématiques affectant la production.

Le premier graphique ci-dessous met en évidence que la production de ces territoires est majoritairement carbonée, c'est à dire issue de centrales fossiles utilisant du pétrole ou du gaz importés.

Cette caractéristique induit un taux d'importation énergétique important, représenté par le deuxième graphique.

Le troisième graphique, centré sur les sources de production d'électricité, permet de se rendre compte, quand bien même les situations sont diverses, de l'importance du photovoltaïque, de l'hydraulique et de la biomasse.

Photographie de la production d'électricité dans les ZNI en 2022

Source : DGEC212(*)

Taux d'importation énergétique

Source : Fedom213(*)

Détail des sources des EnR électriques

Source : DGEC214(*)

En dynamique, malgré les objectifs très volontaristes inscrits dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) de 2015, la composition du mix de production dans les ZNI a peu évolué depuis dix ans.

L'évolution constatée sur le périmètre de l'ensemble des ZNI, illustrée par le graphique ci-dessous, est très lente. « Cette lenteur s'explique par les délais inhérents aux investissements et au décalage inévitable entre les annonces, les décisions et le raccordement d'un site au réseau »215(*) précise la Cour des comptes.

Évolution du mix électrique dans les ZNI de 2002 à 2020

Source : CRE216(*), hors Saint-Pierre et Miquelon, Îles bretonnes et Wallis et Futuna.

Ce graphique illustre également le fait que depuis 2009, l'augmentation de la consommation globale d'énergie a été en partie couverte par les EnR, essentiellement le solaire. Comme le souligne la Cour des comptes « le taux de pénétration des EnR, près de 30 % en moyenne en 2021, peut être trompeur si on perd de vue que l'essentiel de la production renouvelable provient de l'hydroélectricité (Guyane, Réunion, Corse) et de la biomasse de canne à sucre (bagasse) à partir de sites qui étaient déjà en place avant le vote de la loi de 2015 ».217(*)

c) L'engagement financier de l'État compense des coûts de production de l'électricité non couverts par les recettes
(1) Des coûts de production de l'électricité supérieurs à ceux de la métropole

Les coûts de production de l'électricité dans les ZNI sont supérieurs à ceux de la métropole comme l'illustre le graphique ci-dessous. C'est le reflet d'une forte dépendance à l'approvisionnement extérieur et à l'utilisation de combustibles fossiles. C'est aussi le reflet du faible dimensionnement des moyens de production et des réseaux électriques ce qui ne permet pas de réaliser les économies d'échelle atteignables dans les systèmes électriques de grande taille.

Coûts de production d'électricité dans les ZNI

Source : CRE218(*)

Comme le relevait le rapport Les entreprises au coeur de la transition énergétique219(*), produire de l'électricité revient donc sensiblement plus cher outre-mer que dans l'hexagone « un niveau entre quatre et cinq fois supérieur à celui de la France continentale (...) Ces coûts varient fortement d'un territoire à l'autre en fonction des caractéristiques du mix énergétique et du réseau. Ainsi, en 2021, le prix du MWh atteignait 489 € à Saint-Pierre-et- Miquelon contre 347 € à Mayotte et 253 € en Guyane ».220(*)

(2) Un soutien financier structurel de l'État

Le soutien financier de l'État se concrétise sous la forme de charges de service public de l'électricité (CSPE), qui visent à compenser pour les ZNI les mécanismes de solidarité et le coût de la transition énergétique.

Sur le premier point, les ZNI bénéficient de la péréquation tarifaire. Cela signifie que les particuliers payent un prix similaire à celui de l'hexagone grâce aux tarifs réglementés de vente (TRVe) fixés par le Gouvernement sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Ces TRVe évoluent donc indépendamment des coûts réels de production locaux de l'électricité et sont fonction des prix pratiqués en France continentale. Les habitants dont la puissance souscrite est inférieure ou égale à 36 kVA sont considérés comme des usagers d'un service public national et à ce titre se voient proposer les mêmes barèmes des tarifs réglementés bleus résidentiels et non résidentiels que ceux de la métropole continentale. Pour les professionnels, la notion de péréquation tarifaire est « beaucoup moins claire », selon la Cour des comptes, même s'il existe des tarifs préférentiels (vert, jaune, bleu...).

Les CSPE couvrent aussi les coûts liés aux investissements pour décarboner les moyens de production électrique de ces territoires.

Le service public de l'électricité (SPE), assuré par le budget de l'État, compense donc intégralement les surcoûts de production non couverts par les recettes tarifaires ainsi que les surcoûts de la production électrique à partir d'énergies renouvelables (EnR).

La Cour des comptes précise que la dépense totale de soutien aux ZNI s'est établie en 2023 à 2,5 milliards d'euros.

Dépense totale de soutien aux ZNI rapportée au client

 

Nombre de clients

Dépense totale de soutien aux ZNI

Soutien de l'État par client

Total des ZNI

1 265 344

2,5 milliards

1975,7 euros

Source : commission d'enquête avec les données DGEC221(*)

Par ailleurs, en dynamique, le graphique ci-dessous illustre une augmentation de 30 % des crédits budgétaires du programme 345 de 2017 à 2022. La diminution des charges de service public s'établissant à 2 478 M€ au lieu de 2 549.2 M€ à la suite de la baisse des prix des fossiles et de la re-prévision concernant l'exercice 2022.

Évolution du soutien public aux ZNI de 2017 à 2023

Source : DGEC222(*)

La conversion des centrales aux bioliquides est un élément majeur de hausse de ces montants.

2. Les défis auxquels sont confrontées les ZNI

Les ZNI sont schématiquement confrontées à trois grandes difficultés : maîtriser le coût d'un système énergétique qu'elles ne financent qu'en partie ; repositionner correctement les trois objectifs de sécurité énergétique, de production électrique décarbonée et d'autonomie énergétique ; et enfin construire une vision prospective plus solide.

a) Contenir le coût de la transition énergétique

Les dynamiques haussières de ces dernières années sont préoccupantes et nécessitent une action résolue pour contenir les coûts dans un contexte de croissance de la demande électrique et de besoin d'investissements relatifs à la transition énergétique.

(1) Une hausse attendue de la consommation électrique

Les projections de consommation sont réalisées par les gestionnaires de réseau conformément au L.141-9 du code de l'énergie. Les projections actuelles prévoient toutes une croissance de la consommation électrique dans les prochaines années. Pour certains territoires, les prévisions hautes envisagent des augmentations très importantes.

Prévisions de production à horizon 2033

Territoires

Consommation 2021

Scénario bas (GWh) pour 2033

Scénario haut (GWh) pour 2033

 % d'augmentation dans les scénarios haut

Corse

2 074

2 803

3 015

45,4 %

Guadeloupe

1 737

1 548

1 826

5,1 %

Guyane

828

1 171

1 299

56,9 %

Martinique

1 367

1 186

1 447

5,9 %

Réunion

2 822

3 131

3 888

37,8 %

Mayotte

353

482

905

156,4 %

St Pierre et Miquelon

49

53

59

21,0 %

Wallis et Futuna

22

33

46

108,1 %

Saint Barthélémy

118

178

224

89,8 %

Saint Martin

163

233

262

60,7 %

Total

9 533

10 818

12 972

36,1 %

Source : DGEC223(*)

Face à cette croissance attendue de la demande électrique, il convient de constater que l'évolution des coûts de production est déjà assez soutenue ces dernières années. Elle peut en partie s'expliquer par le développement progressif de projets d'EnR dans le cadre des plans énergie climat dans les ZNI, mais également par la hausse du coût des intrants fossiles. Les coûts de production prévisionnels pour 2024 se chiffrent à 3 734 milliards d'euros.

Évolution des coûts de production en volume sur les 4 dernières années (millions d'euros)

Source : DGEC224(*)

En complément de ces dépenses en progression constante, la Cour des comptes a mis en évidence que les coûts de production augmentent beaucoup plus vite que les recettes tarifaires. Autrement dit, la part des recettes tarifaires est de plus en plus réduite, ce qui conduit la Cour à considérer que « la maîtrise des coûts est de moins en moins assurée ».225(*)

(2) La nécessité de développer les actions de maîtrise de la demande d'énergie

Le code de l'énergie prévoit que les actions de maîtrise de la demande d'énergie (MDE) puissent être prises en charge par les charges de service public d'électricité dans la limite des surcoûts de production qu'elles permettent d'éviter. Initialement limitée aux coûts supportés dans les ZNI par le fournisseur historique, cette disposition a été étendue aux collectivités et aux opérateurs publics, dont la liste sera fixée par un décret à venir. Seule la collectivité de Corse a signé une telle convention avec EDF et la CRE.

En janvier 2019, la CRE a délibéré sur les « cadres de compensation », qui constituent des plans d'aide à l'investissement. C'est au niveau de chaque foyer, entreprise ou collectivité que ces aides sont apportées. Elles ciblent, entre autres, les projets d'isolation des bâtiments, l'installation de chauffe-eaux solaires ou de climatiseurs performants.

Ce programme représente un investissement de 530 M€ jusqu'à fin 2024 dans les ZNI. Sur la durée vie des équipements nécessaires, soit entre 20 et 30 ans, il est attendu une réduction de 1,7 Md€ des charges de service public qui financent la péréquation tarifaire. L'accent est mis sur les clients en situation de précarité : 35 % des aides leur sont destinés, soit plus de 180 M€ sur 5 ans.

Une fois déployées, les actions ainsi engagées devraient engendrer des économies d'énergie d'environ 880 GWh/an, près de 10 % de la consommation d'électricité de ces territoires. La réduction des émissions de gaz à effet de serre sera d'environ 590 000 tonnes de COpar an soit une baisse de 8 % des émissions liées à la production d'électricité dans ces territoires.

Comme le signale EDF dans la réponse au questionnaire de la commission d'enquête, il faut un accompagnement de ces mesures de maîtrise de la demande : « Ces actions s'inscrivent sur le temps long pour permettre le changement des mentalités et des comportements mais pour autant, nécessitent un accompagnement politique local indispensable. »

La mise en place de signaux tarifaires adaptés doit également être utilisée comme un outil permettant d'obtenir des modifications dans les comportements.

b) Distinguer l'objectif de production électrique décarbonée de l'objectif de souveraineté énergétique et phaser ces objectifs dans le temps
(1) L'actuel objectif « d'autonomie énergétique » est flou, perturbant et inatteignable à horizon 2030

L'article L.100-4 du code de l'énergie établit que « pour répondre à l'urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs (...) 8° de parvenir à l'autonomie énergétique et à un mix de production d'électricité composé à 100 % d'énergies renouvelables dans les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution à l'horizon 2030 ».

La Cour des comptes, dans son rapport sur Les soutiens publics aux Zones Non Interconnectés relève que la notion d'autonomie énergétique n'est pas clairement définie dans la loi.

Elle signale que, jusqu'à présent, la recherche de l'autonomie énergétique s'est focalisée sur l'objectif de supprimer toute importation d'énergie primaire destinée à la production électrique. La recherche de la sécurité d'approvisionnement participe à l'autonomie énergétique. Toutefois, la poursuite de plusieurs objectifs, à savoir la décarbonation de l'énergie, la sécurité des réseaux électriques et la maîtrise des coûts de l'énergie peut conduire à des divergences

Aussi, poser cet objectif d'autonomie énergétique a perturbé l'élaboration des PPE locales dans la mesure où sa logique propre peut entrer en conflit avec d'autres paramètres. L'objectif d'autonomie conduit parfois à faire des choix plus coûteux notamment en termes de moyens de production, de flexibilité et d'investissements dans le réseau.

Supprimer toute importation d'énergie primaire destinée à la production électrique ne se confond pas avec l'autonomie énergétique. En effet, l'électricité consomme environ un tiers du combustible importé. Les deux tiers sont destinés au secteur du transport. Aussi, s'il est possible d'avoir un mix électrique décarboné en 2 ou 3 ans en recourant aux bioliquides, tel n'est pas le cas pour le transport. Aussi, l'objectif d'autonomie énergétique paraît difficilement atteignable pour l'ensemble du mix énergétique à horizon 2030.

En revanche, cette autonomie énergétique entendue comme une production électrique sans importation d'énergie primaire carbonée est à portée de main.

(2) L'objectif de mix électrique décarboné est atteignable pour la majorité des ZNI à horizon 2030

La plupart des territoires sont engagés dans une dynamique de verdissement de leur mix électrique via des moyens décarbonés pilotables.

Les évolutions se concrétisent d'ores et déjà dans deux ZNI. À l'été 2024, la Réunion sera la première ZNI à avoir un mix électrique renouvelable à hauteur 99,9 % avec la conversion finalisée de la centrale EDF de Port-Est aux bioliquides et la conversion à la biomasse solide des deux centrales Albioma de Bois-Rouge et du Gol. En 2028, la Guyane devrait, à son tour, avoir un mix énergétique à 99 % renouvelable avec l'arrivée sur le réseau de la centrale du Larivot en cours de construction.

De nouveaux chantiers ont été actés par les PPE et devraient prochainement débuter en Guadeloupe, avec la conversion de la centrale Albioma du Moule à la biomasse solide d'ici 2027, et à Miquelon, avec le remplacement de la centrale thermique de Miquelon par une centrale thermique conçue pour fonctionner au fioul léger et aux bioliquides, et d'ici 2026.

Par ailleurs, d'autres réflexions sont également en cours dans le cadre des travaux de révision des PPE. En Guadeloupe et en Martinique, il est question de la conversion des centrales au fuel lourd d'EDF d'ici 2030. À Mayotte, est envisagée la conversion des centrales au fuel léger d'EDM d'ici 2030. À Wallis et Futuna, il est aussi prévu la conversion des centrales au fuel léger d'EEWF d'ici 2030. Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont concernées par la conversion à la biomasse ou aux bioliquides de leur parc de production d'ici 2030.

Cette première étape de la transition énergétique est essentielle pour maintenir une sécurité d'approvisionnement. Ces équipements jouent un rôle majeur en terme d'inertie et de garantie assurantielle dans ces petits systèmes fragiles et exposés à des aléas climatiques violents.

À terme, ces moyens pilotables décarbonés resteront probablement nécessaires, sans pour autant être largement sollicités, pour garantir l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité, en particulier dans certaines situations défavorables.

(3) L'objectif d'autonomie énergétique pour 2050 semble irréaliste

Interrogé par la commission d'enquête, EDF estime « qu'il sera nécessaire de confirmer par une étude d'impact le caractère réaliste à la fois d'un point de vue technique et économique » de l'objectif d'autonomie énergétique à date, ZNI par ZNI.

Il serait donc pertinent de repousser l'objectif d'autonomie énergétique à 2050.

C'est d'ailleurs ce que prévoyait l'article 2 du projet de loi « Souveraineté énergétique » en ajoutant au II de l'article L.100-4 du code de l'énergie un 6° ainsi rédigé :« 6° De parvenir à un mix de production d'électricité composé à 100 % d'énergies renouvelables dans les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution à l'horizon 2030 et à l'autonomie énergétique en 2050. »

(4) Cette clarification donnerait à chaque ZNI le temps de construire un mix de production cible optimal

À court terme, le choix qui a été fait de convertir les centrales existantes à la biomasse, solide ou liquide, est la seule solution qui permette d'atteindre rapidement la décarbonation massive des mix électriques insulaires tout en conservant un coût maitrisé, une garantie de bon fonctionnement de ces systèmes. Le maintien de moyens pilotables joue un rôle assurantiel essentiel pour ces systèmes électriques fragiles et isolés.

Les coûts unitaires potentiellement élevés de ces moyens seront compensés par une utilisation moindre au fur et à mesure de l'utilisation de plus en plus massives des EnR intermittentes.

Ce choix n'obère pas l'évolution des mix à plus long terme.

EDF SEI, en réponse à la commission d'enquête, signalait que « la pérennité de l'utilisation des biomasses dans des installations de production d'électricité, à horizon 2050 par exemple, doit être étudiée tout à la fois d'un point de vue technique (fonctionnement des réseaux et systèmes électriques selon que de telles installations sont présentes ou non), d'un point de vue économique (couts de production d'électricité selon leur présence ou non), d'un point de vue sociétal (impact sur le tissu économique et les emplois locaux) et enfin d'un point de vue « autonomie » (disponibilité et localisation des ressources et des matériels nécessaires selon les scénarios) ».226(*)

La mise en place de mix de production reposant sur le développement massif d'EnR n'est pas sans poser quelques questionnements.

Les sujets sont d'abord techniques et liés à la sûreté d'exploitation. EDF SEI signale à la commission d'enquête qu'il est, par exemple, « essentiel de renforcer la résilience des réseaux électriques pour pouvoir accueillir davantage d'énergies locales intermittentes »227(*). L'entreprise précise « avoir réalisé des études et mis en place des solutions techniques, notamment sur des microsystèmes isolés qui montrent qu'un taux d'insertion élevé du PV passe par un développement également important du stockage afin de rendre des services systèmes nécessaires. L'atteinte de taux d'insertion EnR intermittentes et non-synchrones très élevés de manière pérenne, obtenue sur des micro-réseaux (Ile de Sein, St Georges de l'Oyapock en Guyane par exemple) se heurte à des obstacles technologiques encore importants qui ne permettent pas d'envisager à court terme le passage à l'échelle de ces solutions sur de plus grands systèmes insulaires ».228(*)

Ces enjeux se traduisent ensuite par des questions de coûts. EDF ajoute sur ce point :« la question du coût très élevé d'une solution de production EnR proche de 100 % se pose et il appartient aux pouvoirs publics de se prononcer sur l'optimum technico-économique socialement acceptable »229(*). À titre d'exemple, les moyens de stockage devant être impérativement être mis en place doivent aussi être financés.

Cet horizon de temps est plus à même de pouvoir construire une transition écologique sur des technologies matures, à coût global maîtrisé et soutenable.

L'Islande, une source d'inspiration pour certaines ZNI ?

L'Islande fait partie des rares zones non interconnectées présentant un mix électrique 100 % EnR et un bouquet énergétique primaire composé à plus de 80 % d'EnR.

En 2018, l'île était le 8ème producteur mondial d'électricité géothermique. Sa puissance installée a atteint 755 MW, à comparer avec les 16 MW en France dont 15 MW en Guadeloupe. Cette puissance couvre 30 % de la production électrique islandaise230(*).

Source EnR non-intermittente, la géothermie électrique présente un intérêt pour stabiliser le réseau et pour relever la part d'EnR des zones non interconnectées. À comparer aux mix électriques de la Guadeloupe et de la Martinique peuplées également de plus de 300 000 habitants, et fonctionnant à 80 / 90 % grâce à de l'énergie fossile. L'usage de la géothermie pour le chauffage des bâtiments est également très développé en Islande : 90 % des habitants sont connectés au réseau de chaleur.

Le programme cadre énergétique national nommé « Master Plan »231(*) va plus loin que la Programmation Pluriannuelle de l'Énergie en France pour la géothermie, car il sélectionne des sites potentiels stratégiques pour le développement de futurs actifs de production géothermiques et détaille la faisabilité économique et l'impact environnemental de ces projets afin de faciliter la prise de décision des investisseurs.

Le Master plan232(*) entré en vigueur en 2013 répertorie et analyse plus de 90 sites potentiels de centrales hydroélectriques et géothermiques qui sont classés en 3 catégories : les sites qui peuvent donner lieu à des licences, les sites qui demandent des études complémentaires et les sites exclus de l'exploitation. Le rendement énergétique potentiel des sites et leur impact sur l'environnement sont communiqués.

La valeur juridique du Master Plan est forte : les collectivités locales ne peuvent pas s'opposer aux décisions du Plan sur les sites identifiés. Il existe un dispositif de révision permettant de reclasser les sites.

La France et l'Islande ont une coopération technique en matière de géothermie : accord de coopération industrielle entre les entreprises Verkis et Clemessy, partenariat de coopération universitaire entre l'INSA de Strasbourg et l'Université de Reykjavik, etc.

Un renforcement de cette coopération pourrait être bénéfique aux ZNI : Guadeloupe, Martinique, La Réunion, etc.

Source : Commission d'enquête233(*)

c) Construire une prospective globale et transverse sur tout le périmètre énergie
(1) Les faiblesse de la programmation actuelle

Dans son rapport de 2023, la Cour des comptes a livré une appréciation sévère des PPE locales : « il n'est ainsi à ce stade pas démontré que les PPE constituent un instrument adapté à un développement rationnel des capacités électriques des ZNI qui tout en garantissant la sécurité et l'équilibre de leurs réseaux électriques permettrait une décarbonation de la production électrique au moindre coût »234(*). Elle concluait sur l'échec d'un processus paralysé par des retards préoccupants235(*).

Les PPE pourraient être améliorés en tant qu'outils :

- la Cour des comptes a formulé plusieurs recommandations sur ce point, dont celle de « systématiser, homogénéiser et publier l'évaluation de la mise en oeuvre des PPE de chacune des ZNI » ;

- la DGOM propose, dans sa réponse à la commission d'enquête « d'alléger les procédures d'adoption des PPE, en réduisant le nombre d'avis préalables afin de débloquer les PPE en retard. Cela nécessitera le cas échéant une modification des articles de référence du code de l'énergie »236(*) ;

- EDF, en réponse au questionnaire de la commission d'enquête, avance qu'il serait utile de « mettre en place une gouvernance locale et nationale de l'élaboration des PPE pour garantir des délais d'élaboration compatibles avec les échéances de renouvellement des PPE » ;

- EDF indique aussi qu'il faudrait « adapter les travaux et les attendus des PPE pour une meilleure prise en compte, lors de l'élaboration des PPE, des enjeux économiques de ces PPE, et leur acceptabilité par la collectivité nationale ; de la faisabilité technique et temporelle des PPE promulguées (maturité des technologies, adaptation des systèmes électriques, adaptation et prise en compte des réseaux électriques) ; de la faisabilité « opérationnelle » des PPE promulguées (taille et dynamisme des entreprises locales, capacités d'investissement du tissu économique et des particuliers) ».

Au-delà, il convient d'apporter deux changements majeurs à la programmation actuelle.

(2) La nécessité d'une projection stratégique à moyen et long terme

La Cour des comptes souligne le déficit de projection stratégique à long terme. Ces territoires n'ont pas de document exposant les différentes options détaillant des mix de production cibles à l'horizon 2050 et évaluant le chemin critique pour y arriver à l'image de ce qui existe pour éclairer, en métropole, les décisions politiques à prendre.

« Aucun scénario cible n'est adopté pour chacun des territoires et le point d'aboutissement de la succession des cycles de 5 ans n'est jamais explicité ex ante. Il ne peut donc pas faire l'objet d'une décision politique claire. Pourtant, la notion de parc de production cible est indispensable pour traiter des investissements qui, du fait de leur longue durée de vie, engagent les charges de SPE à moyen et long terme. ».237(*)

Le Cour des comptes en tirait la recommandation suivante : « demander aux gestionnaires de réseau des ZNI des scénarios chiffrés de mix de production cible à l'horizon 2040 selon les territoires, assortie d'une analyse des besoins de développement et de renforcement des réseaux en découlant ».238(*)

Les PPE pourraient suivre cette tendance et porter sur des périodes plus longues pour donner plus de visibilité aux différents acteurs sur les objectifs énergétiques de chaque territoire.

Cet horizon permettait aussi de poursuivre la réflexion pour les territoires qui disposent d'un faible potentiel de développement des énergies renouvelables locales, notamment Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi que de ceux qui connaissent des risques cycloniques qui nécessitent la mise en place de solutions techniques non intermittentes, comme les Antilles et les départements de l'océan indien.

(3) L'impératif d'une vision globale sur tout le périmètre énergie

Les PPE locales restent encore aujourd'hui très centrées sur la production d'électricité, et les économies d'énergie électrique. Le sujet des mobilités devrait y prendre plus de place, compte-tenu du poids de ce secteur dans la demande énergétique de ces territoires, dans les ressources apportées aux collectivités.

L'augmentation des périodes couvertes par les PPE pourrait en ce sens aider à s'interroger sur le paradigme actuel du tout véhicule individuel à une complémentarité des différents modes de déplacement.

Ce cadre permettrait d'organiser une visibilité / régularité suffisante pour assurer le développement effectif des moyens définis par les PPE : prix des obligations d'achat alignés avec les coûts des filières et les objectifs des PPE, appels d'offre réguliers et avec visibilité suffisante, etc.

Les transports : angle mort impensé de la transition énergétique dans les ZNI ?

« La DGOM attire l'attention sur le nécessaire développement de l'électrification de la mobilité dans les ZNI, qui va représenter un défi majeur.

Ce point d'attention a d'ailleurs été souligné par la Cour des comptes, qui recommande la mise en oeuvre de plusieurs actions auxquelles souscrit la DGOM :

- le renforcement les aides à l'acquisition des véhicules électriques pour les consommateurs ultramarins adaptées à leur pouvoir d'achat ;

- la conception d'un modèle fiscal alternatif pour les collectivités en remplacement des recettes perçues sur les produits pétroliers : un recours massif aux véhicules électriques réduit la consommation de carburants, dont la taxation finance environ 50 % du budget des collectivités ;

- la nécessité d'agir notamment sur le pilotage automatisé des recharges (bornes de recharge intelligentes) et de développer les solutions de stockage pour accueillir un nombre croissant de véhicules électriques

Ainsi, en articulation avec les PPE en cours de révision, il pourrait être proposé la mise en place de plans régionaux de déploiement des infrastructures de recharge pour véhicules électriques, par les collectivités avec les parties prenantes concernées, comme recommandé par la cour des comptes. »

Source : DGOM239(*)

II. L'ÉLECTRICITÉ EST UN ENJEU ÉCOLOGIQUE, ÉCONOMIQUE ET DE SOUVERAINETE

Dans une dimension avant tout idéologique, le débat énergétique en France s'est longtemps cristallisé sur les questions de mix avec l'opposition nucléaire / renouvelable. Il est désormais concentré sur la dépendance, beaucoup plus forte et problématique, aux énergies fossiles. En effet, 60 % de l'énergie consommée en France est d'origine fossile qui est quasi-intégralement importée.

Projeter une progression de la demande électrique est une perspective positive pour la réduction de notre empreinte carbone, pour la compétitivité de nos entreprises et plus généralement notre économie, ainsi que pour renforcer notre souveraineté.

A. UNE ÉNERGIE QUI PEUT ÊTRE DÉCARBONÉE

La production d'électricité est assurée par des centrales électriques utilisant différentes sources d'énergie primaire.

Ces énergies primaires sont toutes d'origine naturelle : elles comprennent les énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) et les énergies faiblement carbonées (nucléaire, énergies renouvelables) qui émettent peu ou pas de COdans l'atmosphère.

L'impact carbone de l'électricité dépend donc directement de l'énergie utilisée pour assurer sa production.

1. L'électricité peut être décarbonée

Il existe plusieurs manières de produire de l'électricité dite « décarbonée » car produite sans émissions significatives de gaz à effet de serre (GES).

Le tableau suivant illustre l'intensité carbone des différentes sources d'énergie qui peuvent concourir à fabriquer de l'électricité. Il s'agit de chiffres fournis par l'Ademe, mais chaque institution dispose de ses propres estimations.

Comparaison de l'intensité carbone des différentes sources d'énergie

(gCO2e/kwh)

Source : réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête, données Ademe240(*)

Pour illustrer l'impact COde l'énergie utilisée par des exemples concrets, il est possible de rappeler que remplacer une chaudière à gaz, même à condensation, par une pompe à chaleur réduit les émissions annuelles par un facteur supérieur à 5 ; remplacer une cuisinière à gaz par une cuisinière à induction réduit les émissions annuelles d'un facteur de plus de 6 ; remplacer un véhicule à moteur thermique par un véhicule électrique divise par environ 2,5 l'énergie consommée en déplacement et par 2 à 3 les émissions induites suivant les batteries.

Combien de CO2 émet le nucléaire français ? Des estimations variables mais qui convergent toutes vers la réalité d'une électricité décarbonée

Le GIEC considère que, à l'échelle du monde, le nucléaire émet 12 g eq CO2/kWh. L'Ademe, dans les chiffres présentés précédemment, estime que c'est la moitié, soit 6 g eq CO2/kWh.

EDF a réalisé une étude récente sur le parc nucléaire en exploitation, en suivant une méthodologie normée. L'étude « analyse du cycle de vie »241(*) a fait l'objet d'une revue critique par un panel d'experts indépendants. Ces experts considèrent « que les résultats apportés répondent de façon adéquate et crédible aux objectifs mentionnés et qu'ils ont été établis dans le respect des normes mentionnées ».

Cette étude porte non seulement sur le critère changement climatique, mais également sur 9 autres critères de l'impact environnemental, afin d'apprécier non seulement les transferts entre étape du cycle de vie, mais également entre critères.

Le résultat est que le parc nucléaire français d'EDF émet 4 g équivalent CO2. Les phases amont du cycle (57 %) apparaissent majoritaires : L'étape « production » représente 28 % de l'indicateur changement climatique du cycle. La construction représente 16 % de l'indicateur. Les principaux contributeurs sont le ciment (6 %), l'acier non allié (3 %) et le fer à béton (2 %). Le démantèlement ultérieur ne représente qu'une part marginale : 3 %. L'exploitation représente quant à elle 9 %.

Source : Commission d'enquête

Substituer l'électricité à l'utilisation des combustibles fossiles permet d'éteindre progressivement les émissions de gaz à effet de serre à condition bien sûr que cette électricité soit produite de façon décarbonée.

Elle doit également ne pas être produite avec des énergies non ou faiblement carbonée qui pourraient être utilisées directement avec une meilleure efficacité d'ensemble. Ainsi, l'énergie solaire, la biomasse242(*), la géothermie, les déchets (via le chauffage urbain), le biogaz, peuvent être utilisés pour des usages thermiques à basse température (eau chaude et chauffage, soit 30 % environ de la consommation totale d'énergie) sans passer par l'électrification. Le projet de PPE 3 (2024-2035) mis en consultation à la fin 2023 prévoit une augmentation de la consommation de chaleur renouvelable et de récupération (ENR&R) de 183 TWh en 2021 jusqu'à 419 TWh en 2035 avec la ventilation précisée dans le graphique ci-après.

Source : DGEC, réponse aux questionnaires de la commission d'enquête

Il est à noter que la source de production sollicitée pour produire de l'énergie dépend également du moment où cette énergie est consommée (voir encadré).

Qu'est-ce qu'une heure décarbonée ?

Observé heure par heure sous l'angle de sa production de carbone, le système électrique français peut pratiquement tout le temps être qualifié de « bas-carbone ». Seuls quelques pics d'intensité carbone interviennent pour satisfaire la demande. Il s'agit notamment des situations ou la France est contrainte d'importer de l'électricité de ses voisins qui peut être très carbonée car produite avec du charbon ou du gaz.

RTE mesure ces valeurs en calculant l'intensité carbone de la consommation. « Les trois-quarts du temps, l'intensité carbone en émissions directes de la production française est inférieure à 40 gCO2eq/kWh ; un quart du temps, elle est même inférieure à 20 gCO2eq/kWh, une valeur particulièrement faible. Sur le quart du temps où l'intensité est la plus élevée, celle-ci se situe entre 40 et 80 gCO2eq/kWh, une plage relativement élevée pour le système électrique français, mais qui reste tout de même faible par rapport à l'intensité moyenne de la production dans d'autres pays comparables. Enfin, l'intensité carbone de la production d'électricité en France ne dépasse que très rarement les 80 gCO2eq/kWh (moins de 0,3 % du temps, soit 30 heures dans l'année) ; au périmètre consommation, l'intensité en émissions directes dépasse moins de 0,3 % du temps la valeur de 120 gCO2eq/kWh ; ces valeurs peuvent être mises en regard, par exemple, de l'intensité d'un parc de production qui serait entièrement composé des centrales au gaz les plus efficaces, soit 331 gCO2eq/kWh. Ainsi, même lors des heures de forte consommation, où la production est la plus carbonée et le recours aux importations élevé, la production décarbonée représente un socle important de la production ».243(*)

C'est ce qui conduit à la mise en place de systèmes pour inciter les consommateurs à privilégier leur consommation dans les heures à faible intensité carbone tels que l'application Écowatt évoquée précédemment.

Source : Commission d'enquête

2. Le système électrique français est largement décarboné

Cette question s'analyse, comme le résume le schéma ci-dessous, d'un double point de vue.

D'une part, les émissions de gaz à effet de serre liées au système électrique français peuvent être évaluées selon les périmètres de la production ou de la consommation d'électricité. Cette distinction est analogue à la distinction entre émissions territoriales (production) et empreinte carbone (consommation).

D'autre part, il est aussi possible de distinguer les émissions directes des émissions sur le cycle de vie.

Synthèse des notions mises en jeu dans le calcul des émissions de gaz à effet de serre liées à l'électricité

Source : RTE244(*)

a) Les émissions liées à la production

L'intensité carbone relative à la production d'électricité peut être calculée de deux manières. En ne retenant que les émissions directement produites lors du processus de production de l'électricité ou en intégrant les émissions indirectes liées au cycle de vie des installations de production.

(1) Les émissions directes

Dans son Bilan électrique 2023, RTE souligne que les émissions de gaz à effet de serre du système électrique français ont atteint 16,1 MtCO2eq245(*) ce qui constitue « leur niveau le plus faible depuis le début des années 1950 ». Elles sont également parmi les plus faibles d'Europe.

L'intensité carbone de la production d'électricité française est également au plus bas : elle a été de 32 gCO2eq246(*) par kilowattheure produit sur l'année 2023. Les émissions sont essentiellement dues au fonctionnement des centrales au gaz (voir ci-dessous).

Émissions directes de gaz à effet de serre liées à la production d'électricité en France (axe de gauche) et intensité en émissions de la production d'électricité française (axe de droite) entre 2017 et 2023

Source : RTE247(*)

La baisse constatée en 2023 a été permise grâce à la baisse de la consommation et à l'amélioration de la disponibilité des moyens de production bas-carbone : amélioration de la disponibilité du parc nucléaire français et de la production hydraulique, volumes historiquement élevés de production éolienne et solaire.

(2) Les émissions indirectes

Il est aussi possible d'inclure dans ce calcul toutes les émissions liées au cycle de vie des installations de production : extraction, transport des combustibles et des matières premières ou des équipements, construction des infrastructures. À titre d'exemple, les sources de production renouvelables qui n'entrainent presque pas d'émissions directes génèrent pour autant des émissions indirectes.

En tenant compte des émissions liées au cycle de vie, les émissions liées à la production d'électricité en France ont atteint 22,6 MtCO2eq en 2023, ce qui reste faible. Tout comme les émissions directes, les émissions sur le cycle de vie restent très inférieures en France par rapport à celles des autres pays européens.

À souligner que, malgré une part croissante dans le mix, la contribution cumulée de l'éolien, du solaire et de l'hydraulique aux émissions sur le cycle de vie de la production d'électricité reste très faible. Elles ont représenté en 2023 moins de 10 % des émissions totales sur le cycle de vie liées à la production d'électricité en France (2,1 MtCO2eq) et moins de 0,5 % de l'empreinte carbone du pays.

b) Les émissions liées à la consommation d'électricité

Elles correspondent donc « aux émissions de la production française desquelles ont été retranchées les émissions liées aux exportations, et auxquelles ont été ajoutées celles liées aux importations » explique RTE dans son Bilan électrique 2023 qui précise que « en moyenne plus de 60 % des importations françaises sont décarbonées ».248(*)

Ainsi, en 2023, les émissions directes au périmètre de la consommation se sont élevées à 15,3 MtCO2eq. Si l'on prend en compte toutes les émissions sur le cycle de vie, la consommation d'électricité en France a émis 21 MtCO2eq en 2023.

Émission de gaz à effet de serre liées à la consommation d'électricité en France entre 2017 et 2023

Source : SDES249(*)

Compte tenu du fait que la France est majoritairement exportatrice, malgré le recours ponctuel aux importations pour couvrir les périodes de forte consommation en hiver, ou pour tirer profit de la forte production renouvelable à l'étranger, les émissions liées aux importations sont « tout à fait marginales » selon RTE. Ainsi, en 2023, les importations n'ont représenté que 5 % des émissions liées à la consommation d'électricité en France, soit moins de 1 MtCO2eq.

À noter également que les exportations d'électricité de la France, largement bas-carbone, contribuent non seulement à la performance carbone du système électrique national, mais également à celles des autres pays avec lesquels la France est interconnectée. RTE estime que depuis 2017, les exportations d'électricité françaises ont permis d'éviter l'émission de près de 150 MtCO2eq en Europe, dont la moitié en Italie.

En synthèse, le mix électrique français est donc très largement décarboné, à hauteur de 92 % selon RTE. Les émissions de gaz à effet de serre du système électrique français pèsent moins de 5 % dans le bilan carbone national250(*) alors que le système électrique représente plus d'un quart de la consommation finale d'énergie.

Cette décarbonation singularise la France en Europe comme l'illustre le graphique et la carte ci-dessous.

Notre pays émet ainsi près de 3 fois moins de COpour produire 1 kWh qu'au Royaume-Uni, 4 fois moins qu'en Italie et 5 fois moins qu'en Allemagne qui présente un des mix électriques les plus carbonés d'Europe. Les émissions du système électrique pèsent 21 % dans le bilan carbone en moyenne dans les pays de l'Union européenne.

Émissions de COpour produire 1 kWh d'électricité dans l'UE

Source : SDES, Bilan énergétique de la France 251(*)

Impact sur le climat par zone

Classé par intensité carbone de l'électricité consommée (gCO2eq/kWh)

Source : Electricity maps252(*)

3. Une énergie aux propriétés physiques avantageuses

Si l'électricité n'est pas la seule énergie décarbonée253(*) ses propriétés physiques lui confèrent de nombreux avantages.

L'électricité est un vecteur énergétique polyvalent et flexible :

- il peut provenir de multiples sources : hydraulique, éolien, nucléaire, photovoltaïque, électrochimie, chaleur... ;

- il peut être produit avec un niveau d'émission de CO2 très faible comme nous l'avons rappelé ;

- il est transportable sur de grandes distances, sans difficulté technique majeure, pour des pertes relativement limitées ;

- il circule avec une très grande vitesse. Dans un fil de cuivre par exemple, le signal électrique se déplace à une vitesse proche de celle de la lumière dans le vide (300 000 Km/s) ;

- il est distribué et accessible grâce au réseau électrique en permanence, pour une qualité égale pour tous, quel que soit sa source de production, ou son lieu de consommation ;

- il est utilisable pour pratiquement tous types d'usages : domestiques, industriels, transport et mobilité, numérique... ;

- il se transforme facilement en un autre vecteur : hydrogène, chaleur, etc. Avec des procédés qui sont connus même s'ils continuent d'évoluer pour plus d'efficacité.

B. UNE ÉNERGIE QUI CONTRIBUE À LA COMPÉTITIVITÉ ÉCONOMIQUE

Cette question s'analyse tout d'abord d'un point de vue microéconomique compte tenu de l'impact direct du prix de l'électricité sur les facteurs de production des entreprises.

Cependant, il existe aussi un débat sur l'influence macroéconomique de l'énergie sur la croissance des pays.

1. L'énergie constitue un facteur important de la compétitivité des entreprises

La récente crise des prix de l'énergie a permis de se rendre compte de l'importance que revêt l'électricité pour les entreprises, particulièrement celles soumises à la concurrence internationale.

Les entreprises peuvent être exposées à la hausse des prix de l'énergie, de façon directe et/ou indirecte. « L'exposition directe résulte de l'impact de la hausse du prix de l'énergie sur leur facture énergétique tandis que l'exposition indirecte prend en compte le renchérissement des consommations intermédiaires induit par la hausse des prix de l'énergie »254(*).

Les dépenses directes en énergie peuvent dépasser parfois plus de 15 % du chiffre d'affaires des secteurs intensifs en énergie. En ajoutant les expositions indirectes, la dépense totale peut dépasser 30% du chiffre d'affaires comme l'illustre le graphique ci-après.

Il existe aussi des secteurs comme l'industrie automobile ou l'industrie agroalimentaire, par exemple, qui consomment peu d'énergie directement (moins de 2 % de leur chiffre d'affaires) mais ont une dépense totale qui avoisine les 10 % de leur chiffre d'affaires en raison des consommations indirectes.

Dépenses énergétiques directes et indirectes rapportées au chiffre d'affaire par secteur industriel en France et en Allemagne en 2019

Source : Fabrique de l'industrie255(*)

L'impact cumulé de ces consommations est dépendant du prix de l'énergie dans d'autres pays. En effet, les consommations indirectes, dont on voit dans le graphique précédent qu'elles sont généralement plus importantes que les consommations directes, dépendent de prix de l'énergie en France et souvent d'autres pays.

D'après les auteurs d'un rapport de la Fabrique de l'industrie256(*), en France, en 2019, presque la moitié (44 %) de l'énergie nécessaire à la production d'un bien industriel est consommée dans un autre pays. Dans le cas particulier de l'électricité, cette part consommée hors du territoire national est moindre (35 %). Elle dépend donc de politiques énergétiques et de tarifications étrangères. Cette consommation indirecte d'électricité en provenance de l'étranger représentait 74 TWh en 2019, soit un volume largement supérieur aux 30 TWh importés la même année sous forme d'énergie pour satisfaire la demande en électricité.

Dépenses électrique totale des industriels français en 2019 par lieu de consommation de l'électricité

Source : Fabrique de l'industrie257(*)

Le prix de l'énergie peut avoir aussi un autre impact indirect en termes de compétitivité lié aux facteurs de production. À première vue « une hausse mondiale uniforme du prix de l'énergie affecte tout le monde de manière identique, donc n'a pas d'impact sur la compétitivité »258(*). Mais, en réalité, une variation de prix affecte le poids relatif des autres facteurs de production dans le coût final. Une hausse « réduit donc l'avantage comparatif des pays où un de ces facteurs est moins cher ». Ainsi, une hausse identique du coût de l'énergie pour deux entreprises de deux pays différents, conduit à réduire l'avantage comparatif de celle qui bénéficie d'un coût de la main d'oeuvre moindre. Par ailleurs, « une énergie plus chère augmente les coûts de transport, limitant la sensibilité des marchés nationaux à de faibles variations des coûts de production ». Enfin, « cette hausse confère un avantage à ceux qui maîtrisent les technologies de production les plus sobres, ce qui favorise les pays qui auront le plus investi dans l'efficacité énergétique de leurs procédés »259(*).

Comme nous l'avons vu précédemment, le prix de l'électricité a été un facteur important de compétitivité pour les entreprises françaises.

2. La croissance économique a besoin d'énergie
a) La relation de dépendance entre PIB et énergie

Jean Marc Jancovici, président du Shift Project, auditionné par la commission d'enquête, résumait le lien entre énergie et croissance économique ainsi : « ce qui fait fonctionner la machine industrielle mondiale, c'est avant tout l'énergie, et non avant tout le travail des hommes. Comme le tertiaire est assis sur l'industrie, et ne fonctionne pas `à côté' sans en dépendre, du coup cela signifie que l'énergie est le véritable moteur de la civilisation industrielle, bien avant nos bras et nos jambes, qui ne sont là que pour actionner des manettes et des interrupteurs, bref ce qui libère la force brute de l'énergie ! Il est donc logique que la contrepartie économique de notre production, traditionnellement mesurée par le PIB, varie comme la consommation d'énergie - c'est à dire la quantité de machines au travail - bien avant de varier comme la population - c'est à dire la quantité d'hommes au travail »260(*).

Cette dépendance de la croissance du PIB à celle de la consommation énergétique s'illustre par le graphique ci-dessous. Sur les 50 dernières années, l'économie mondiale (hors inflation) a crû en moyenne de 3,7 % par an et l'énergie consommée a crû en volume de 2,6 % par an. Leur corrélation apparait explicite.

Lien entre croissance du PIB mondial et de la consommation mondiale d'énergie primaire

Source : La revue de l'énergie261(*)

La littérature économique nomme « Energy-GDP elasticity » ou élasticité du PIB par rapport à l'énergie, cette corrélation entre énergie disponible et PIB.

Gaël Giraud, chef économiste à l'Agence française de développement et directeur de la chaire « énergie et prospérité » (ENS, X, ENSAE), précise que « pour désigner et évaluer cette dépendance, les économistes parlent plutôt d'élasticité du PIB par rapport à l'énergie : la plupart l'estiment voisine de 8-10 %. Pourtant, l'analyse de séries temporelles longues de consommation d'énergie primaire sur une trentaine de pays montre qu'en fait elle est durablement et structurellement proche de 60-70 %. Pour être plus précis, lorsque la consommation d'énergie primaire augmente de 10 %, le PIB tend à croître de 6-7 % en moyenne, avec éventuellement un retard pouvant aller jusqu'à dix-huit mois. »262(*)

Ces éléments sont confirmés par des études plus précises, comme celle des économistes Paul J. Burke et Zsuzsanna Csereklyei263(*), qui démontrent que lorsque la consommation d'énergie primaire augmente de 10 %, le PIB tend à croître de 6 à 7 % en moyenne.

La thèse du découplage

Cette dépendance historique entre croissance de la consommation d'énergie primaire et croissance du PIB ne traduit pas, pour certains économistes, une fatalité pour l'avenir.

Les tenants de la thèse du « découplage » considèrent qu'il est possible de poursuivre une croissance économique, qui se traduira par une hausse du PIB, mais en consommant moins de ressources et en ayant moins d'impact environnementaux négatifs264(*). Cette « croissance verte » serait notamment permise grâce à de très importants gains en termes d'efficacité énergétique.

Dans les faits, certains éléments semblent donner raison à cette analyse. La hausse de la consommation finale d'énergie a été limitée à 8 % entre 1992 et 2019, malgré une hausse du PIB de 55 % entre temps. Depuis 2001, la consommation a entamé une tendance baissière toujours en cours, à rebours de la croissance du PIB. Pour l'électricité, entre 2001 et 2019, la consommation n'a cru que de 6 %, alors que le PIB croissait de 25 %.

Pour autant, cette thèse reste critiquée sur deux points.

D'une part, il existe un « effet rebond ». L'amélioration de la productivité matérielle de l'économie conduit souvent à un accroissement des volumes de ressources naturelles consommées. Pierre Veltz dans son ouvrage L'économie désirable264(*), relevait qu'en 1960 il fallait 85g d'aluminium pour produire une canette, contre 10 grammes aujourd'hui. Pourtant, dans la même période, la consommation d'aluminium pour la production de canettes a augmenté de 50 % face à la généralisation de leur utilisation.

D'autre part, la consommation des ressources associées à la production, dont l'énergie, se déplace vers d'autres pays. Concrètement, depuis les années 2000, des activités industrielles ont été délocalisées, entrainant un certain découplage dans les pays riches. Mais ce découplage serait plus apparent que réel. PIB et consommation d'énergie semblent bien rester très liés lorsque sont analysées les données agrégées à l'échelle mondiale.

Source : Commission d'enquête

b) La nécessaire extinction de l'utilisation des énergies fossiles implique de renforcer le rôle de l'électricité

En France, ce lien entre consommation énergétique et PIB est particulièrement marqué par le rôle de l'électricité.

Dans la branche de l'énergie265(*), l'électricité est une énergie qui contribue très majoritairement au PIB, comme l'illustre le graphique ci-dessous. Autrement, dit, dans notre pays le lien entre énergie et croissance est avant tout un lien entre électricité et croissance.

Contribution de la branche énergie au PIB et à l'emploi intérieur en % de la valeur ajoutée brute à prix courants et de l'emploi intérieur en équivalent temps plein

Source : SDES266(*)

Si l'énergie fossile doit quasiment disparaitre de nos consommations, cela revient à considérer que l'électricité tiendra un rôle encore plus essentiel dans la croissance du PIB de demain. Comme le résume l'économiste Gaël Giraud : « si la prospérité économique d'un pays comme la France dépend de manière cruciale de son aptitude à consommer de l'énergie (...) alors il devient vital d'engager une transition énergétique. »267(*)

Même si croissance de la consommation énergétique et croissance du PIB suivent globalement une courbe identique, il convient d'être prudent puisque beaucoup d'autres variables ont aussi une influence sur le PIB. De même, les innovations technologiques et l'efficacité énergétique qui en résulte peuvent conduire à produire plus avec moins d'énergie ou à permettre des usages étendus pour moins d'énergie consommée.

Pour terminer sur les impacts macroéconomiques de l'électricité, il convient de rappeler que, selon sa provenance, elle pèse également sur la balance commerciale. En France, la facture des énergies fossiles (pétrole, gaz) constitue aujourd'hui le premier poste du déficit commercial du pays. Se passer de ces intrants et exporter de l'électricité grâce à un parc dimensionné à cet effet est une plus-value pour notre balance commerciale.

C. UNE ÉNERGIE QUI RENFORCE NOTRE SOUVERAINETÉ ÉCONOMIQUE

La commission d'enquête de l'Assemblée Nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France de mars 2023 s'est particulièrement penchée sur cette question.

Ce rapport définit la souveraineté énergétique comme la capacité de l'État de prendre ses décisions en matière énergétique en ayant une liberté de choix : une capacité à faire, à agir dans un sens souhaité, à résister ou à s'adapter aux décisions qui pourraient être imposées par d'autres. Une perte de souveraineté se manifesterait alors par une limitation volontaire ou involontaire, interne ou externe, de ces possibilités d'action.

Le taux d'indépendance énergétique de la France expose le pays à plusieurs risques.

Le rapport de l'Assemblée nationale rappelle que « l'indépendance énergétique, au sens d'une autonomie complète de production, n'existe pas, elle est un mirage ». Aussi, il convient de raisonner en mesurant le « taux d'indépendance énergétique ». En dépit de débats techniques et méthodologiques sur cet outil, la commission conclut que le taux de la France s'élève à 44,2 % ce qui la place dans une position plutôt meilleure que la moyenne des pays européens.

Taux de dépendance énergétique par États membres de l'Union européenne en 2021 

Lecture : le taux de dépendance aux importations mesure le rapport entre les importations nettes (importations déduction faite des exportations) et l'énergie brute disponible.

Source : Assemblée nationale268(*)

La vulnérabilité de la France provient du fait qu'elle consomme encore une très grande majorité d'énergies fossiles qui est quasi intégralement importée. Notre pays importe environ 60 % de l'énergie primaire qu'il consomme : essentiellement de produits pétroliers (de l'ordre de 40 %), de gaz fossile (de l'ordre de 20 %) et, marginalement, de charbon (moins de 1 %).

Or, les pays producteurs d'énergie fossile sont issus de zones politiques n'offrant pas toujours de grandes garanties de stabilité. S'agissant des produits pétroliers par exemple, les principaux fournisseurs de la France (avant la guerre en Ukraine) étaient l'Arabie saoudite, le Kazakhstan, la Russie, le Nigeria, et l'Algérie. Il s'agit désormais du Kazakhstan, des Etats-Unis, de l'Arabie saoudite, la Norvège et l'Algérie.

Par ailleurs, la facture énergétique nationale oscille ces dernières années entre 25 et 80 Mds avec un pic spectaculaire à 116 Mds en 2022 et dépend largement du niveau des prix des hydrocarbures. Comme nous l'avons vu, la facture des énergies fossiles constitue le premier poste du déficit commercial de la France et contribue ainsi au déficit commercial chronique de l'ordre de 10 à 20 Md€ (hors crise 2022). En miroir, dans son Bilan prévisionnel 2023, RTE a estimé que l'électrification des usages permettrait à elle seule de réduire de 5 à 10 milliards d'euros par an la facture énergétique de la France à l'horizon 2030-2035.

Évolution de la facture énergétique de la France 1970- 2022 en milliards d'euros

Source : SDES, Bilan énergétique 2023

L'exceptionnelle facture énergétique de 2022

La perte de disponibilité du parc nucléaire intérieur, liée aux problèmes de corrosion sous contrainte (voir infra), cumulée à une faible production hydraulique, liée aux faibles précipitations et à des stocks hydrauliques assez bas, ont massivement accentué ce déficit commercial en 2022

Alors que la France était structurellement exportatrice nette d'électricité depuis 1980, elle a été importatrice nette d'électricité en 2022, avec un solde de 16,5 TWh. De plus, ces achats réalisés pour répondre à la demande intérieure, l'ont été au moment où le prix de l'électricité était extrêmement haut.

À l'effet prix lié aux hausses des prix des énergies fossiles et électrique, c'est donc ajouté un effet volume lié aux importations d'électricité. La facture énergétique a donc atteint un sommet de 115 Md€ en 2022, soit une augmentation de 187 % en un an, selon les chiffres du SDES au Commissariat général au développement durable (CGDD).

Source : commission d'enquête

III. SCÉNARIOS DE CONSOMMATION ÉLECTRIQUE D'ICI À 2030 ET 2050

La maxime « gouverner, c'est prévoir » semble avoir une valeur particulière en matière de politique énergétique tant il est nécessaire d'anticiper sur les moyens de production à mettre en place pour faire face aux besoins d'avenir.

Anticiper le niveau de consommation électrique attendu à moyen et long terme est un exercice essentiel pour permettre de fournir un outil d'aide à la décision politique. Or, nous allons constater que cet exercice est tout sauf simple à réaliser.

A. 1970-2020 : 50 ANS DE PRÉVISIONS À L'ÉPREUVE DU RÉEL

Un regard rétrospectif sur cinquante ans de prévisions électriques et une comparaison avec les évolutions réellement constatées permet de tirer quelques leçons utiles en matière de prévision tant en termes de méthode, qu'en ce qui concerne les risques de biais de l'exercice.

1. La prévision : un exercice imposé qui a beaucoup évolué en termes de méthode

L'élaboration d'une trajectoire énergétique consiste à projeter l'évolution de la demande d'énergie en fonction de différents paramètres. Cet exercice s'est transformé au cours du temps et il est possible de décrire schématiquement trois temps de cette évolution.

Dans les années 1970, ces prévisions étaient souvent cantonnées au court / moyen terme, souvent raccrochées au plans quinquennaux avec un horizon de 5 - 7 ans. Elles reposaient sur des modèles centrés sur l'économie et dont la caractéristique fondamentale était d'extrapoler les corrélations statistiques passées. La prévision se posait comme une forme de prédiction technique de ce qui était susceptible d'arriver toutes choses égales par ailleurs.

Avec la crise des années 1970, des écarts considérables sont constatés entre les prévisions et la réalité observée. L'exercice de prévision doit évoluer pour tenir compte d'une économie beaucoup moins prédictible et en pleine mutation. « La forte divergence entre l'évolution réelle de la consommation électrique et celle prévue à l'appui du programme Messmer (...) a bien sûr renforcé la nécessité de changer de méthode » 269(*)270(*) résume Bertrand Château, économiste de l'énergie spécialiste de la prospective271(*).

Les modèles s'ouvrent donc à des variables exogènes de nature techniques, politiques, socio-économiques. En jouant sur la variation de ces paramètres, les prévisions peuvent proposer différents scénarios construits de façon cohérente. Si elles restent des analyses prévisionnelles à court/moyen terme, ces prévisions énergétiques intègrent les politiques publiques en vigueur et les effets qu'elles sont susceptibles de produire. La démarche « prévision - prédiction » devient une démarche plus exploratoire dans les années 1980- 2010.

Dans les années 2010, cette méthode exploratoire change encore de nature et devient une méthode prospective. Il s'agit désormais de partir des objectifs publics, comme celui de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, pour en tirer les conséquences sur les trajectoires de consommation qui permettent d'y répondre. La question n'est plus « comment la consommation va-t-elle probablement évoluer à moyen terme ? », mais « comment la consommation doit-elle évoluer à long terme pour atteindre les objectifs publics ? ». Autrement dit, les prévisions de consommation visent à tracer des futurs possibles afin d'éclairer les décisions publiques dans le cadre d'un objectif fixé. Elle se traduit par différents scénarios reprenant les différentes trajectoires d'évolution possible du secteur électrique. L'intérêt de ce changement est de poser les prévisions en amont des choix de politique énergétique et de mieux analyser l'impact des choix publics ensuite272(*).

Le gestionnaire du réseau, RTE, opère cette mue en 2017. RTE précise ainsi que ses « prévisions, étant désormais de nature prospective, n'ont pas de finalité prédictive »273(*).

Ces évolutions peuvent créer une forme de confusion sur comment il faut comprendre ce qu'est une prévision de consommation et sur ce qu'il faut en attendre. Comme le résume Bertrand Château : « beaucoup de gens continuent à associer prévision et prédiction pour la consommation d'électricité, ce qui entretient une certaine confusion, dans les débats publics notamment. C'est la raison pour laquelle on parle souvent de « projections » pour les prévisions à long terme établies pour différents scénarios, avec toutefois le risque que pour certains, une « projection » apparaisse moins scientifiquement robuste qu'une « prévision », alors que c'est exactement l'inverse »274(*).

Les prévisions de RTE, un exercice qui a changé de nature en 25 ans

Les projections de consommation réalisées par RTE ont évolué en 25 ans et l'exercice a également changé de nature.

Les publications de RTE portaient une préoccupation essentiellement technique liée à sa responsabilité du gestionnaire de réseau : assurer la sécurité d'approvisionnement. Il s'agit d'analyses de court terme, qui évaluent principalement l'impact des fermetures de moyens de production sur le risque de défaillance, et n'envisagent que les politiques publiques en vigueur. Elles ne fournissaient pas ou peu d'éléments en lien avec les évolutions économiques, industrielles, climatiques, sociologiques ou encore de politique publique.

À compter de l'année 2017, RTE change d'approche : « il est devenu nécessaire de changer la nature de l'exercice de projection de la consommation : davantage qu'une vision prévisionnelle à politiques inchangées, il a été nécessaire de développer une vision prospective de ce que serait la consommation électrique dans une France neutre en carbone » résume RTE. Ce changement conduit à intégrer l'évolution du contexte pour apprécier ses conséquences sur l'offre et la demande, à une consultation publique de toutes les parties prenantes intéressées, à la rédaction de cinq scénarios présentant des trajectoires détaillées permettant d'atteindre les configurations étudiées à horizon 2035.

C'est désormais dans cette orientation prospective que se situent les publications de RTE, comme les Futurs énergétiques 2050 et le Bilan prévisionnel 2023.

Source : RTE en réponse aux questionnaires de la commission d'enquête

2. Surestimer la croissance de la demande : une constante de 50 ans de projections

La période des 50 dernières années peut être découpée en deux temps : le temps de la gestion intégrée par EDF et le temps lié à la mise en place du gestionnaire de réseau, RTE, dont l'une des missions principales est d'élaborer cette prospective.

a) 25 ans de projections réalisées avant la création de RTE

L'analyse de ces 25 ans de projections à l'aune des trajectoires réelles, ainsi que les échanges de la commission d'enquête avec Bertrand Château, chercheur spécialisé sur ces questions de prospective énergétique275(*) mettent en évidence une constante.

Rétrospectivement, les projections apparaissent systématiquement très au-delà de la réalité de la croissance observée de la demande.

Annoncé le 6 mars 1974, le programme Messmer, premier programme de développement de l'électronucléaire, était basé sur des projections de consommation électrique très élevées. Pour une consommation réelle de 160 TWh en 1973, le programme prévoyait 360 TWh pour l'année 1985 et 1000 TWh pour l'an 2000. Les consommations réelles observées ont été de l'ordre de 249 TWh en 1985 et 441 TWh en 2000 soit respectivement une surestimation de 144 % et 226 %.

Un retour en arrière sur plusieurs sources de prévisions énergétiques (Commissariat au Plan, EDF, ministère des finances...) réalisées entre 1970 et 1983 et qui tendent vers l'horizon 1985, laisse penser que les prévisions énergétiques ont été « constamment surestimées »276(*), comme le montre le graphique ci-après.

Évolution des prévisions de croissance électrique en lien avec le réel durant la période 1970 - 1985

Source : Bertrand Château, La revue de l'énergie, La prévision énergétique en mutation ? janvier 1985 

Ce graphique met en évidence qu'à mesure que les prévisions se rapprochent de cette année 1985, elles se réajustent mais en restant toujours très au-delà de la consommation réelle de cette année 1985. À titre d'exemple, l'article cite la prévision de consommation produite par EDF pour l'année 1985 qui s'est révélée au-dessus de la consommation réelle observée cette année-là avec « une surestimation de 56 % »277(*).

Dans un autre article de 2020, il revient sur l'analyse des prévisions de la demande finale d'énergie à l'horizon 2020 réalisées par des entités officielles278(*) entre 1995 et 2004. Le « premier constat, valable quasiment pour toutes les prévisions et tous les scénarios, quelle que soit l'année de base des prévisions » et que « globalement l'accroissement de consommation d'énergie a été plus faible qu'anticipé »279(*).

Plus finement, cette surestimation est plus forte pour la famille des scénarios « extrapolatoires », qui extrapolent les tendances du passé, que pour celle des scénarios de type « référence », qui tiennent compte des politiques mises en place pour l'avenir et moindre pour les scénarios de type « environnementaux », centrés sur des objectifs environnementaux.

b) 25 ans de projections réalisées depuis la création de RTE

Cette tendance à la déconnexion avec le réalisé, même si elle s'amenuise, semble se poursuivre sur ces 25 dernières années comme l'illustre le graphique suivant en forme de hérisson : le « dos » du hérisson représente la consommation réelle, alors que les « piques » du hérisson représentent les projections antérieures.

Projections réalisées dans les différents rapports de RTE depuis le début des années 2000 en comparaison de la consommation réalisée (TWh)280(*)

Source : Commission d'enquête, données transmises par RTE

Dans les années 2000, les prévisionnistes de RTE anticipaient une croissance relativement linéaire de l'électricité jusqu'en 2020. Cette tendance se vérifie dans les faits, tirée par la croissance économique, le développement de nouveaux usages électriques (chauffage numérique...) et une faible incitation à la sobriété.

Après la crise de 2008, les projections restaient haussières, mais les niveaux de consommation réalisés sont très en-deçà des projections.

À partir de 2011, les estimations de RTE s'infléchissent progressivement. En cela, elles décrivent le mouvement qui s'opère en phase avec le reflet des politiques publiques en vigueur à l'époque.

À compter de l'année 2017, comme nous l'avons vu dans l'encadré précédent, le gestionnaire du réseau change d'approche. Dans les Futurs énergétiques 2050, RTE présente une évolution en rupture avec l'historique des dernières années, dans ses scénarios « A », scénarios qui permettent d'atteindre les objectifs en matière de décarbonation et de réindustrialisation. C'est aussi pour explorer d'autres possibles, moins souhaitables, que RTE étudie des scénarios « B » d'atteinte partielle des objectifs et des scénarios « C » se réalisant dans un cadre macroéconomique dégradé et se matérialisant par des niveaux de consommation plus faibles, à l'instar de ce qui est observé actuellement.

B. 2020 : UN DÉBAT PUBLIC AUTOUR DE PROJECTIONS DE CONSOMMATION À LONG TERME REFLÉTANT DES CHOIX OUVERTS ET PLURIELS

Suite à la signature de l'Accord de Paris en 2015, la France s'est engagée, notamment au travers de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), adoptée en 2015, pour la première fois à atteindre la neutralité carbone à horizon 2050.

Afin d'éclairer les décisions à prendre sur ces sujets énergétiques, le Gouvernement a demandé en 2019 à RTE, dans le cadre de ses missions légales, de mener une large étude sur l'évolution du système électrique à l'horizon 2050 : les Futurs énergétiques 2050.

Antérieurement aux Futurs énergétiques 2050, il n'existe aucune analyse de RTE sur les besoins à long terme pour atteindre la neutralité carbone.

Le premier jalon de cette étude consiste à essayer de décrire ce qui doit être l'évolution de la consommation électrique sur cette période pour correspondre à cet objectif.

Les Futurs énergétiques 2050 : un exercice d'une ampleur sans précédent

Réalisés en réponse à une saisine Gouvernement et cadencés par plusieurs points d'étape entre 2019 et 2021, les Futurs énergétiques 2050 sont le résultat d'un travail collectif de deux années. Ce travail repose sur plusieurs piliers :

Un travail technique de grande ampleur qui s'est appuyé sur un important effort de simulation et de calcul. La phase I de cette étude a été consacrée au cadrage des objectifs, des méthodes et des hypothèses. La phase II concerne la délivrance des résultats et des analyses approfondies.

Un dispositif de concertation particulièrement poussé qualifié « d'inédit » par RTE et qui a contribué à faire évoluer le contenu de l'étude et « enrichir le dispositif en intégrant de nombreux scénarios et variantes qui n'étaient pas initialement prévus ». Cette concertation s'est principalement déroulée dans neuf groupes de travail thématiques qui se sont réunis à plus de 30 reprises entre mai 2019 et septembre 2021. Plus de 210 organisations et organismes sont cités comme partie prenante. La commission perspectives système et réseaux (CPSR) qui chapeautait ces groupes de travail s'est réunie en format plénier à sept reprises sur cette même période. Une consultation publique a également été organisée auprès des citoyens. Plus de 4000 réponses d'organismes et de particuliers ont été collectées sur le cadrage et la définition des hypothèses de l'étude.

Un conseil scientifique de sept membres a été installé auprès du président du directoire de RTE, afin d'apporter un avis indépendant sur les travaux et sa méthodologie. Il s'est réuni neuf fois.

L'étude a également mobilisé des expertises pointues dans de nombreux champs disciplinaires à travers des collaborations et des partenariats spécifiques : MétéoFrance, Agence internationale de l'énergie (AIE), bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), etc.

Source : Commission d'enquête et graphique RTE

1. Les Futurs énergétiques 2050
a) Un travail de projection fondé sur la SNBC2

Le code de l'énergie, dans son article L.100-4 dispose que la politique énergétique nationale a, notamment, pour objectifs : « 1° De réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 et d'atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050 en divisant les émissions de gaz à effet de serre par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050. (...) ; 2° De réduire la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à la référence 2012, en visant les objectifs intermédiaires d'environ 7 % en 2023 et de 20 % en 2030. »

Tous les scénarios de l'étude des Futurs Énergétiques 2050 sont construits pour atteindre l'objectif de la neutralité carbone en 2050 visé par la Stratégie Nationale Bas-Carbone 2 adoptée en 2020 (SNBC2).

L'étude documente et évalue plusieurs hypothèses et options pour que le système électrique évolue conformément à cet objectif.

Les prévisions de consommation s'inscrivent dans une projection finale de la consommation d'énergie en France de la SNBC à l'horizon 2050 qui vise une baisse de 40 % en 30 ans soit 930 TWh en 2050 contre près de 1600 TWh aujourd'hui.

Consommation d'énergie finale en France et projection visée par la SNBC2

Source : RTE 281(*) Les chiffres différents entre le code de l'énergie et le visuel ci-dessus sont liés à une différence de l'année de référence, respectivement 2012 et 2019.

Cette ambition très forte repose en premier lieu sur l'efficacité énergétique permise par la baisse de la demande et sur la substitution de la consommation des énergie fossiles par une électricité décarbonée qui devrait passer de 27 % de la consommation d'énergie finale à 55 % en 2050. Elle suppose en outre une mobilisation intense de la biomasse produite sur le territoire censée passer de 11 % de la consommation d'énergie finale à 24 %en 2050.

Au final, il était alors prévu que la consommation nationale d'électricité atteigne 600 TWh à l'horizon 2050.

Consommation nationale d'électricité hors pertes réseau (en TWh)

Source : ministère de la Transition écologique, SNBC282(*)

Les deux approches possibles en matière de prévision

Les modèles dits « bottom up » utilisés en matière de consommation électrique consistent à décrire très précisément tous les usages et les consommations associées et de les empiler pour reconstituer brique par brique la consommation totale. Tous les usages n'ayant pas le même profil de consommation heure par heure, ces modèles combinent donc des évolutions différenciées pour chaque usage, en fonction des tendances, des évolutions réglementaires, etc. Ils débouchent donc sur des conséquences sur les appels de puissance en chronique horaire.

Les modèles dits « top down », ou modèles d'économiste, se fondent plutôt sur des analyses économétriques multivariées dans lesquelles la consommation globale est directement reliée à de grandes variables agrégées comme le PIB ou la population.

Source : commission d'enquête

Rappelons, en conclusion, que la rapide analyse de l'histoire de la prévision énergétique effectuée précédemment laisse penser que la famille de scénarios « environnementaux », dans le cadre desquelles s'inscrit celle de la SNBC, a montré sur les trente dernières années sa plus grande capacité à saisir les évolutions réelles des consommations énergétiques.

b) Une projection qui s'écarte de la SNBC pour rehausser les projections de consommation électrique

RTE produit trois trajectoires de consommation : « sobriété », « référence », « forte industrialisation » qu'il croise ensuite avec six mix de production.

Dans les Futurs énergétiques 2050, RTE repart de l'hypothèse centrale de consommation d'électricité de la SNBC2. La prévision de consommation n'est pas réalisée en fonction des politiques publiques en vigueur à date, mais de celles qu'il faudrait mettre en oeuvre pour atteindre cet objectif spécifique. Cependant, RTE a effectué un travail spécifique de modélisation très documenté de type bottom-up.

Plus précisément, l'étude des Futurs énergétiques 2050 s'écarte de la SNBC2 à plusieurs titres :

- les hypothèses de la modélisation et ses premiers résultats ont fait l'objet d'un examen croisé des parties prenantes dans le cadre des groupes de concertation qui ont conduit à des amendements et des modifications importantes de l'étude283(*) ;

- le contexte macroéconomique de référence a été ajusté284(*) pour tenir compte de la crise sanitaire et de l'évolution des perspectives démographiques285(*) ;

- les nouvelles politiques publiques décidées entre 2018 et 2021 ont été intégrées286(*).

- l'impact croissant du changement climatique est intégré dans tous les scénarios, y compris celui de la trajectoire de référence. Ce point contribue à l'écart même si l'impact n'est pas majeur sur les projections.

Elle extrait deux éléments de la SNBC2 relativement peu sourcés pour en faire deux scénarios complémentaires au scénario de référence : des scénarios « sobriété » et « réindustrialisation profonde » qui ont leurs propres cadrages sociaux, politiques et économiques.

Sur ces bases, RTE corrige la trajectoire centrale de la projection de consommation électrique en France métropolitaine continentale de la SNBC en 2050 en la faisant évoluer de 600 TWh à 645 TWh dans le scénario de référence.

La modélisation des différents scénarios, variantes et trajectoires, fait évoluer la projection de la demande électrique à horizon 2050 dans un couloir de plus ou moins 100 TWh autour de cette trajectoire de référence : soit 555 TWh dans la combinaison des hypothèses les plus contraintes et 755 TWh dans les plus haussières287(*).

c) Les trajectoires de consommation à horizon 2050

Scénarios étudiés par RTE

Source : RTE288(*)

Le graphique suivant met en évidence qu'un cône de variation des différentes trajectoires de consommation des Futurs énergétiques 2050 d'environ 100 TWh existe autour de la trajectoire de référence.

Évolution de la consommation d'électricité dans les différents scénarios à l'horizon 2050

Source : RTE289(*)

2. D'autres organismes avancent des projections plus ou moins documentées

Des acteurs, ayant participé à la concertation ouverte lors de l'élaboration des Futurs Énergétiques 2050, avancent des projections de consommation différentes pour 2050. La commission d'enquête a analysé quelques-uns des principaux scénarios défendus par ces organismes.

a) Les Académies

L'Académie des technologies

L'Académie des technologies est un établissement public administratif national placé sous la tutelle du ministre chargé de la recherche et sous la protection du Président de la République. Elle compte plus de 300 membres élus, issus d'horizons variés qui reflètent la diversité des technologies.

Source : commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.

L'Académie des technologies a publié en mars 2021 un scénario290(*) qui estime que la consommation électrique devrait monter jusqu'à une fourchette comprise entre 730 et plus de 840 TWh en 2050. Lors des échanges avec la commission d'enquête, l'Académie a fourni des éléments actualisés à février 2024 qui évaluent finalement la demande d'électricité à 598 TWh en 2035 et 816 TWh en 2050.

Évolution de la demande d'électricité a horizon 2050 dans le scénario de l'Académie des technologies

Source : Académie des technologies291(*)

Les principaux déterminants qui conduisent l'Académie des technologies à cette prévision sont schématiquement de deux ordres :

Une hypothèse de mobilité routière électrique (véhicules légers, utilitaire, poids lourds et bus) de 100 % en 2050 avec une stabilité du trafic. Une décarbonation complète du transport routier reviendrait, d'après les calculs de l'Académie des technologies à passer d'une consommation de 475 TWh en produits fossiles actuellement292(*) à une consommation de 185 TWh en 2050.

Une hypothèse de développement plus intense de la demande d'électricité pour fabriquer des carburants de synthèse, pour le secteur aérien et maritime notamment, et de l'hydrogène pour l'industrie. Les calculs de l'Académie permettent de considérer que le besoin en électricité sera alors augmenté en 2050 de 87 TWh pour les transports maritimes et aériens et de 20,5 TWh pour l'hydrogène utilisé par l'industrie.

Cet avis se base sur une référence de consommation énergétique en 2019 qui peut néanmoins sembler trop élevée (plus de 2108 TWh au lieu d'environ 1600 TWh selon le Bilan énergétique de la France293(*)). En ajustant ce point de point de départ, l'estimation serait proche des scénarios étudiés par RTE dans les Futurs énergétiques 2050.

L'Académie des sciences

Créée par Colbert en 1666, l'Académie des sciences conduit des réflexions relatives aux enjeux politiques, éthiques et sociétaux que posent les grandes questions scientifiques, actuelles et futures. Elle produit des avis et des recommandations. L'Académie des sciences soutient en outre la recherche, s'engage pour la qualité de l'enseignement des sciences et encourage la vie scientifique sur le plan international.

Source : commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.

L'Académie des sciences est en accord avec l'analyse proposée par l'Académie des technologies294(*) qui évaluait le besoin d'électricité en 2050 à 840 TWh. Elle n'a pas mené d'analyse détaillée mais a essentiellement considéré les travaux de RTE et de l'Académie des technologies pour arriver à la conclusion que les scénarios les plus convaincants mais aussi les plus ambitieux (réindustrialisation) conduisaient à cette évaluation.

RTE estimait dans les Futurs Énergétiques, que les perspectives plus élevées exprimées par l'Académie des sciences et l'Académie des technologies ont été retenues « sans procéder à un travail de modélisation de la consommation : une fois retraitées des différents effets, les estimations en ordre de grandeur de l'Académie des technologies sont cohérentes avec les trajectoires hautes de RTE. »

b) L'Ademe

L'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe)

L'Ademe est un établissement public à caractère industriel et commercial créé en 1991. Cette agence est régie par les articles L.131-3 à L.131-7 et R.131-1 à R.131-26 du code de l'environnement.

L'Ademe suscite, anime, coordonne, facilite ou réalise des opérations de transition environnementale et de maîtrise de l'énergie. Le budget 2023 de l'Ademe est de 4,2 milliards d'euros incluant les fonds alloués dans le cadre du plan France 2030, dont l'ADEME est l'un des opérateurs. L'Agence regroupe environ 1000 collaborateurs.

Source : commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.

En 2019, l'Ademe a lancé un important travail de prospective qui décrit quatre chemins pour atteindre la neutralité carbone en France en 2050. L'étude a mobilisé pendant deux ans une centaine de ses experts et des partenaires réunis dans un comité scientifique. L'étude s'appuie sur le rapport du Giec 2018, ainsi que sur la Stratégie nationale bas carbone (SNBC). L'étude a été présenté le 30 novembre 2021.

Si les Futurs énergétiques 2050 de RTE et Transition 2050 de l'Ademe peuvent se comparer dans leur temporalité (deux ans de travail pour chacune), elles utilisent des méthodologies différentes. RTE construit sa trajectoire de consommation de référence autour de la trajectoire de la SNBC, qu'elle corrige d'ailleurs comme nous l'avons vu.

L'Ademe construit ses scénarios autour d'un récit homogène assumant la représentation du monde et les dimensions sociétales et politiques de la trajectoire choisie. La vision est globale : sobriété, gouvernance, place de la technologie, etc., et ne couvre pas seulement le sujet énergétique. Puis, les récits sont déclinés par une modélisation poussée en termes technico-économique, avec des hypothèses, secteur par secteur, dans des modèles existants ou créés pour l'occasion.

Ce travail met ainsi en lumière les interdépendances entre plusieurs secteurs : le bâtiment, la mobilité et le transport, l'alimentation, l'agriculture, les forêts, l'industrie, les déchets et les services énergétiques.

Résumé des quatre scénarios de l'Ademe à horizon 2050 

Source : Ademe, site internet

Fondamentalement, l'Ademe essaye de rendre cohérent le récit politique et sociétal du scénario avec le mix électrique qui lui est associé. « Ce travail va donc bien au-delà de la seule modélisation du système énergétique et décrit des transitions de société contrasté »295(*).

L'Ademe précise ses prévisions de consommation électrique pour chacun de ses scénario, reprises dans les graphiques ci-dessous.

Consommation totale d'électricité dans les 4 scénarios Ademe en 2050.

Source : Ademe, contribution écrite

Le S1 intitulé « génération frugale » retient un niveau de consommation de 408 TWh, soit 60 TWh de moins que la consommation actuelle, alors même que tous les autres exercices prospectifs convergent sur une hausse à horizon 2050.

Le S2 intitulé « coopérations territoriales » retient un niveau de consommation électrique de 537 TWh toujours inférieur à la variante sobriété de RTE (555 TWh). Là encore, ce scénario repose sur des inflexions majeures, volontaires ou imposées, sur nos modes de vie.

Le S3 « technologies vertes », qui semble être le scénario central de l'Ademe, retient un niveau de consommation de 656 TWh en 2050, à comparer à la trajectoire de consommation de référence décrite dans « Futurs énergétiques 2050 » de RTE. Cette hausse de la consommation est portée par la croissance du secteur des transports, de l'industrie et du tertiaire.

Le S4 intitulé « pari réparateur » retient un niveau de consommation de 839 TWh, à comparer aux 755 TWh de la trajectoire de « réindustrialisation forte » de RTE. Cet écart s'explique pour moitié par des hypothèses sur l'électrification du secteur des transports et pour moitié sur les autres secteurs, l'Ademe évoquant des « modes de vie sans frein ou sans limites sur leur consommation ».

L'Ademe a légèrement actualisé ces chiffres296(*) à la hausse dans ses derniers documents. Les écarts constatés portent sur + 2 TWh pour S2 et + 4 TWh pour les scénarios S3 et S4 soit des écarts inférieurs à 0,5 %.

Si la modélisation de l'Ademe est moins fine sur l'électricité, elle couvre un plus grand périmètre, explore d'autres équilibres entre les différents leviers nécessaires pour la décarbonation. Les scénarios prennent non seulement en compte l'électrification mais aussi plus de sobriété ou plus d'efficacité ou encore le changement des pratiques agricoles et forestières pour renforcer les puits naturels de carbone.

Malgré des approches, des méthodologies et des modalités de modélisation différentes, à hypothèses équivalentes les conclusions des deux études convergent en matière de consommation électrique. La modélisation de l'Ademe met en évidence que les scénarios dans lesquels la consommation d'électricité est la plus maîtrisée sont ceux qui mettent le plus en oeuvre la sobriété et l'efficacité.

Deux points de différence sont à signaler.

D'une part, les hypothèses de l'Ademe reposent sur une mobilisation des flexibilités plus importantes : 25-30 GW de demande effaçable pour l'Ademe contre seulement 17 GW pour RTE.

D'autre part, il y a une différence entre l'utilisation de l'hydrogène pour alimenter les centrales de pointe dans le cas de RTE, et l'utilisation du gaz, essentiellement décarboné, dans le cas de l'ADEME.

c) Le Cérémé

Le Cercle d'Étude Réalités Écologiques et Mix Énergétique (Cérémé)

Le Cérémé est une association qui a pour vocation de nourrir le débat avec des études comparatives sur les différentes énergies, au regard du critère principal de la réduction des émissions de COet autres gaz à effet de serre. Le Cérémé est enregistré au répertoire des représentants d'intérêts auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).

Source : commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.

Le Cérémé a publié en octobre 2021, une première note intitulée Un programme nucléaire pour 2050 qui évoque une consommation électrique de « 900 TWh comme objectif prudent de la consommation en 2050 ».

Le Cérémé a rendu publique en janvier 2022, une nouvelle note Notre scénario alternatif à ceux de RTE. Sur la consommation électrique, le Cérémé estime que RTE ne prend pas assez en compte les hypothèses de très forte hausse des besoins en électricité. En rappelant sa projection à 900 TWh en 2050, il précise « qu'il n'y aura aucune difficulté à gérer un éventuel « trop plein » de production électrique » alors que « en revanche, l'hypothèse inverse d'un accroissement des besoins d'électricité qui créerait une pénurie, aurait en France des conséquences dramatiques sur le mode de vie, l'activité économique, la croissance et l'emploi. ». Le Cérémé avance aussi que « RTE retient des hypothèses très discutables sur les moyens permettant de faire face aux pointes de consommation », avec un bouquet de flexibilité reposant sur « des paris », une flexibilité des usages décrites comme « des coupures acceptées par les consommateurs » ou encore la dépendance vis-à-vis d'importations électriques.

Quelques mois plus tard, en avril 2021, le Cérémé publie un rapport intitulé Scénario alternatif aux Futurs énergétiques 2050 de RTE297(*) qui présente un scénario basé sur un travail de modélisation technique réalisé avec un cabinet en stratégie (Roland Berger) concernant les projections de consommation. L'approche est bottom-up, à l'exception d'objectifs volontaristes : la souveraineté énergétique, l'accompagnement de la réindustrialisation et la réussite du plan hydrogène. Les auteurs disent présenter ainsi un « scénario complet en phase avec les objectifs stratégiques majeurs du pays ».

Le scénario retient une demande d'électricité de 616 TWh en 2035 quand la demande en électricité en 2019 était de 470 TWh, ce qui représente une croissance annuelle de 1,7 % sur la période. La demande électrique atteindrait 836 TWh en 2050.

Il peut être relevé que cette vision assez haussière de la consommation repose sur le corps d'hypothèses suivant : électrification forte, peu d'efficacité énergétique, réindustrialisation forte, peu de sobriété.

Le scénario proposé par le Cérémé serait comparable à une combinaison des hypothèses et variantes les plus haussières de RTE, à savoir la réalisation combinée du scénario réindustrialisation profonde et des variantes « efficacité moins » et « électrification plus ».

Fin juin 2024, le Cérémé s'apprête à publier un nouveau scénario 2050, toujours modélisé par le cabinet Roland Berger qui porte sur l'ensemble du mix énergétique

Sur la partie électrique, le nouveau rapport du Cérémé, après déduction des pertes du système électrique et des consommations intermédiaires destinées à la production d'hydrogène et de carburants de synthèse, prévoit pour 2050 une consommation finale nette de 487 TWh, et 723 TWh de consommation finale brute. Cette nouvelle projection à 723 TWh (contre 836 TWh dans le rapport d'avril 2022), s'explique par :

- un moindre impact de la réindustrialisation en matière d'électrification ;

- la hausse marquée des effets attendus des programmes d'efficacité énergétique dans le résidentiel et le tertiaire.

d) Électricité de France

Électricité de France (EDF) et les projections de consommation d'électricité

EDF réalise depuis sa création des projections de consommation couvrant des périodes variées (du jour pour lendemain à des horizons de plusieurs décennies). Elle les réalise indépendamment de RTE depuis la création du gestionnaire du réseau.

EDF réalise des projections de 2 natures différentes : des projections de type prospective, c'est-à-dire qu'elles visent à éclairer ce qui pourrait advenir, sans définition ex ante du point d'arrivée, et des projections de type normative, c'est-à-dire qu'elles éclairent le chemin permettant d'atteindre un objectif prédéfini, typiquement l'atteinte de la neutralité carbone en 2050.

En matière de projection, EDF mobilise environ 10 ETP pour la réalisation de ses trajectoires de demande à long terme pour la France, répartis sur une trentaine de personnes.

EDF collabore activement avec les fédérations et le monde académique. Une thèse a été soutenue l'année dernière avec les Mines de Paris sur l'évolution de la pointe liée au chauffage résidentiel français dans le cas de la pénétration massive de pompes à chaleur. Une seconde thèse, en collaboration avec l'IFPEN et l'université de Nanterre, est en cours sur les scénarios de décarbonation de l'industrie française et sera soutenue cet été. Une autre thèse est en cours de montage sur la prise en compte de la sobriété dans les scénarios prospectifs.

Source : commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.

Les prévisions d'EDF et leurs modalités d'élaboration ne sont pas publiques.

L'entreprise a néanmoins accepté que la commission d'enquête fasse état de son scénario normatif d'atteinte de la neutralité carbone (« Net Zero »).

EDF projette à l'horizon 2035, une consommation finale nette en France de 504 TWh. Ce chiffrage correspond à une consommation finale brute de 587 TWh en lui ajoutant la consommation électrique pour production d'hydrogène (26 TWh) et les pertes & consommations du secteur énergie (57 TWh).

EDF a également partagé les tendances structurelles que le groupe anticipe sur la hausse de la demande électrique. Elle serait portée par l'électrification des usages dans l'industrie et le transport, ce qui ferait plus que compenser une éventuelle stagnation de la demande dans le bâtiment. Cette stagnation résulterait d'une compensation entre rénovation et électrification des bâtiments.

EDF a également partagé les incertitudes sur les consommations d'électricité et les émissions de COdes secteurs d'activités.

Ces tendances et ces incertitudes évoquées ci-dessous sont exprimées pour les horizons 2035 et 2050.

Dans le résidentiel, la vision d'EDF est une stabilité des niveaux de consommation électrique, la part de marché croissante des pompes à chaleur (PAC) dans le chauffage étant compensée par l'efficacité de ces équipements, qui viennent également se substituer à des chauffages électriques, conduisant à une maîtrise de l'évolution de la pointe électrique, et des rénovations des bâtiments. Des incertitudes sur le développement des appareils blancs (type sèche-linge, congélateur, taille des écrans, ...) ou sur la pénétration des pompes à chaleur en remplacement des équipements fossiles induisent des incertitudes autour de 20 TWh sur la consommation électrique. 

Pour le tertiaire, la vision d'EDF est une stabilité des consommations à horizon 2035 et une baisse de 10 TWh par rapport à 2021 en 2050. L'incertitude est principalement portée sur l'activité économique et le développement du télétravail et dans une moindre mesure le développement des technologies de l'information et de la communication. L'incertitude se situe autour de 20 TWh sur la consommation électrique.

Dans l'industrie, hors production d'hydrogène, la projection d'EDF est une hausse de 10 TWh à l'horizon 2035 et de 15 TWh en 2050. Pour une décarbonation effective de ce secteur, la hausse pourrait être beaucoup plus forte et supérieure à 50 TWh en 2050. L'activité économique est un facteur important d'incertitude qui se traduit par des écarts de consommation de 50 TWh entre scénarios macro-économiques extrêmes.

Dans le transport, la hausse des consommations électriques, hors production d'hydrogène, est de 50 TWh en 2035 et 120 TWh en 2050, portée par l'électrification des usages. La mobilité constitue donc un secteur essentiel de la croissance de la demande électrique. L'ampleur et la rapidité de déploiement des voitures électriques induit des incertitudes autour de 40 TWh à 2050. L'électrification des poids lourds induit des incertitudes supplémentaires de 20 TWh sur les consommations d'électricité du transport.

Pour l'hydrogène, la vision des consommations d'électricité nécessaires à la production d'hydrogène est d'environ 15 TWh en 2035 et 30 TWh en 2050. L'atteinte de la neutralité carbone pousse EDF à considérer des niveaux de consommation électrique autour de 80 TWh pour la production d'hydrogène électrolytique en 2050. Les incertitudes sont grandes d'ici 2050 : plus de 70 TWh (50 TWh pour le transport notamment international et 20 TWh pour l'industrie).

Dans une vision synthétique, les plus grandes divergences entre les travaux d'EDF et de RTE reposent sur les trois sujets suivants.

La vision de RTE sur l'hydrogène et notamment la production d'e-fuels est jugée « très volontariste, notamment au regard des horizons considérés. Sur l'hydrogène, nous privilégions en effet un usage direct de l'électricité par rapport à un usage indirect (effet rendement) dans une optique de vision efficace des énergies décarbonées qui seront nécessaires dans de grands volumes. EDF considère avec prudence les volumes annoncés d'e-fuels pour les transport international (aviation et maritime) au regard des couts, de la maturité technique encore faible et de possibles carburants alternatifs ».

La vision sur la sobriété de RTE jugée est « optimiste ». EDF signale rester « en attente des détails des hypothèses prises dans leurs scénarios car les différents éléments disponibles dans le rapport ne sont pas concluants, typiquement sur les modes de sobriété dans le tertiaire. Par ailleurs, les niveaux de sobriété affichés dans le rapport ne sont pas cohérents avec les leviers évoqués, par exemple dans les transports, en contradiction avec les effets mesurés ».

L'hypothèse de rénovation énergétique des bâtiments dans le rapport est estimée « difficilement réaliste ». EDF précise que « les rythmes actuels montrent toute la difficulté d'avoir une politique de rénovation efficace dans le bâtiment. Par ailleurs, nos propres estimations, sur la base des données ADEME, supposent un gisement de rénovation moindre en 2035. EDF pense que l'électrification du chauffage, via le meilleur rendement des pompes à chaleur, est un élément essentiel dans la baisse de consommation en énergie des bâtiments. Le manque d'information détaillées dans le tertiaire ne nous permet pas de juger du réalisme de la mise en oeuvre effective du décret tertiaire dans les scénarios RTE ».

e) ENGIE

Le Groupe Engie

Engie, groupe industriel énergétique français né en 2008 est issu de la fusion entre Gaz de France (GDF) et Suez.

Engie intervient dans 31 pays, compte près de 100 000 employés dans le monde, et son chiffre d'affaires est de proche de 94 Milliards d'euros.

Engie est amené à faire ses propres prévisions depuis plus de 20 ans, pour trois raisons principales :

- maitriser l'ensemble des hypothèses utilisées, celles-ci étant débattues et validées au sein du Groupe et pouvant différer de celles de RTE ;

- développer une vision de la projection de consommation pour les autres vecteurs énergétiques, notamment pour le méthane et la biomasse (ce que ne fait pas RTE) ;

- intégrer l'ensemble des pays où le groupe est implanté.

Source : commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.

ENGIE utilise les scénarios énergétiques non seulement à des fins de prospectives et d'analyses de marché long terme mais également pour estimer les prix des différentes commodités énergétiques. Ces courbes de prix, utilisées pour évaluer les projets d'investissement du Groupe, sont donc stratégiques et non publiques. Environ 5 équivalents temps plein travaillent sur ces prévisions chez Engie pour le périmètre européen. La modélisation actuelle d'Engie est basée sur un modèle « bottom-up ».

Au cours de l'année 2022, soit l'année la plus proche de la publication des Futurs énergétiques 2050, les projections d'Engie reposaient sur une consommation électrique de 559 TWh en 2030, 616 TWh en 2035 et 664 TWh en 2050, correspondant à un taux de croissance annuel moyen de 1.3 %par an sur la période 2022-2050. Le détail de cette évolution s'apprécie par secteur dans le graphique ci-dessous.

Évolution de la consommation électrique à horizon 2050 selon Engie

Source : Engie, réponse aux questionnaires de la commission d'enquête

Les points de différence principaux avec les analyses de RTE sont les suivants :

Engie privilégie un nombre de rénovations plus limité (250 000 rénovations complètes par an contre près de 700 000 pour RTE sur la période 2023-2035) et un ciblage sur des rénovations globales visant essentiellement les passoires thermiques.

Engie est plus prudent sur le nombre de pompes à chaleur installées en 2035 (environ 9 millions contre 11 millions pour RTE). L'entreprise insiste sur l'importance des PAC hybrides (1 million contre 400 000 pour RTE) car cette solution de chauffage permet une meilleure maîtrise de la pointe électrique et des possibles surcoûts associés à son évolution.

Engie est aussi plus prudent sur la vitesse de développement des véhicules électriques, particulièrement pour les poids lourds (qui passe de 8 % du stock électrique en 2035 dans les Futurs énergétiques 2050 à 26 % dans le Bilan prévisionnel 2023).

Engie projette une électrification massive de l'industrie dans les branches à faible et moyenne température (<150°C). Mais estime une électrification modérée des industries hautes températures, comme l'industrie du verre, en raison de contraintes techniques plus importantes. Le niveau visé par RTE, à savoir 50 % de la demande totale de l'industrie électrique en 2035 « parait improbable au vu du contexte géopolitique et des contraintes techniques inhérentes à ce secteur » selon Engie.

Les prévisions de consommation réalisées par Engie ont légèrement été revues à la baisse depuis la période de publication des Futurs énergétiques 2050. Engie projette un reflux d'environ 20TWh en 2030 par rapport aux prévisions évoquées ci-dessus et maintient ses chiffres pour 2050.

Cette contraction s'explique par trois facteurs :

La consommation électrique des datacenters a été revue fortement à la hausse au vu des derniers développements d'usages digitaux liés à l'intelligence artificielle générative ;

En sens inverse, la consommation électrique dans les transports tient compte d'une moindre pénétration des véhicules électriques ;

Certaines industries, suite à la crise énergétique de 2022-2023 se sont délocalisées aboutissant à une perte de demande permanente d'électricité.

f) La Fabrique de l'industrie

La Fabrique de l'industrie

La Fabrique de l'industrie est une plateforme de réflexion consacrée aux perspectives de l'industrie en France et à l'international. Cette association créée en 2011, se donne pour mission d'apporter une vision sur les enjeux industriels et les défis économiques auxquels la France est confrontée, d'organiser des débats et de rendre accessible la diversité des points de vue. La Fabrique produit des ouvrages, des synthèses et des documents de travail multimédias pour nourrir le débat public. Son conseil d'administration rassemble les représentants de ses financeurs : l'UIMM, France Industrie et le GIM et certains experts.

Source : commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.

Dans un rapport intitulé Couvrir nos besoins énergétiques : 2050 se prépare aujourd'hui298(*), la Fabrique de l'industrie réalise ses propres hypothèses de consommation électrique. Le modèle est essentiellement bottom up, soit par ses propres modélisations soit indirectement par la reprise des modélisations de RTE.

La modélisation du système électrique dans les différents scénarios de production et de consommation est une optimisation (linéaire) du coût complet du système électrique sous contrainte d'équilibrer consommation et production à chaque heure d'une année météo de référence (2019 dans cette étude299(*)).

Sur la consommation, cette optimisation a été réalisée aux horizons 2030, 2040, 2050 et 2060 dans trois scénarios : maintien de l'industrie, réindustrialisation selon les hypothèses RTE, et réindustrialisation plus ambitieuse calée sur les hypothèses de l'Uniden.

La projection de la demande électrique s'étalonne, pour 2050, de 671 TWh (maintien de l'industrie) à 779 TWh (réindustrialisation RTE) et jusqu'à 846 TWh (réindustrialisation Uniden). Comme le concluent les auteurs : « nos hypothèses se situent donc dans le haut des estimations déjà publies et s'approche des estimations de l'Académie des sciences, de l'Académie des technologies et d'EDF ».

La spécificité de ces travaux vis-à-vis des Futurs énergétiques 2050 est triple.

D'une part, en matière de réindustrialisation, les auteurs se calent sur une hypothèse plus ambitieuse en reprenant les projections réalisées par une étude du cabinet Yggdrasil pour l'Uniden. Sur la base d'une note300(*) intitulée « Projection à 2050 de la consommation électrique de l'industrie manufacturière française » de l'Uniden, les auteurs construisent un scénario de réindustrialisation équilibrant la balance commerciale dans la plupart des secteurs et avec un solde global positif de 69 milliards d'euros en 2050, sans augmentation de la part de l'industrie dans le PIB mais avec une électrification très forte des procédés. Ce scénario conduit donc à une consommation industrielle de 271 TWh d'électricité et de 77 TWh d'hydrogène en 2050. Ces projections s'expliquent car l'étude prend pour hypothèse qu'un volume important d'hydrogène sera consacré à la chimie organique (23 TWh d'hydrogène, soit 34 TWh d'électricité) pour produire une partie des plastiques autrement que par de la pétrochimie classique (environ 1/3 du plastique actuel).

D'autre part, les auteurs estiment qu'il est nécessaire de développer, dès maintenant, le stockage de l'électricité car leurs simulations identifient des besoins en 2030 pour minimiser le coût du système électrique, dans un contexte de prix du carbone élevé (120 €/tCO2). Disposer de capacités de stockage permet alors de réduire le recours aux sources carbonées en période de pointe. Outre des capacités supplémentaires en STEP, ils ajoutent que seules les batteries répondront aux besoins.

De plus, les auteurs avancent un scénario de référence un peu plus prudent en matière d'efficacité énergétique. Si la Fabrique se cale sur le rythme de rénovation retenu par RTE, elle considère cependant que ces rénovations seront moins efficaces avec 30 % de gains pour une rénovation ce qui correspond aux standards actuels au lieu des 55 % visés en 2035 par RTE et l'Ademe.

Enfin, en matière de transport, la Fabrique va plus loin que les hypothèses RTE puisqu'elle considère que tous les véhicules lourds neufs vendus seraient bas Carbone à partir de 2040. L'impact sur la consommation électrique serait en 2050 de 103,6 TWh et 15,3 d'hydrogène.

g) La Fondation Concorde

La Fondation Concorde

La Fondation Concorde est un think tank économique indépendant crée en 1997. Elle se qualifie elle-même « l'un des premiers think tank généraliste de la droite modérée dans notre pays ». Elle produit des rapports couvrant différentes thématiques à l'attention du débat et des pouvoirs publics. Il a la particularité de faire travailler ensemble universitaires, experts, hommes et femmes d'entreprise. Il regroupe environ 2500 membres. Il se dit être « tourné vers TPE/PME et la petite industrie (...). La Fondation Concorde a pour préoccupation permanente la compétitivité des entreprises, la création d'emplois, tout en exigeant un État allégé ».

Source : commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.

La Fondation Concorde, dans son rapport Stratégie pour une électricité décarbonée et bon marché pour le XXème siècle301(*), estime les besoins en électricité' a` 900 TWh en 2050.

La méthode bottom up utilisée propose un cadrage très simple des besoins en électricité décarbonée à partir de 3 hypothèses de coefficient de substitution des consommations d'énergies fossiles actuelles par de l'électricité décarbonée sans même les rehausser avec les traditionnelles évolutions à la hausse de la population ou de la croissance économique. En effet, la décarbonation se réalisera principalement par la substitution d'électricité décarbonée aux énergies fossiles dans les usages énergétiques.

Cette substitution repose sur un facteur de conversion généralement admis qui va de 1 KWh électrique pour une fourchette de 2 KWh fossiles pour les substitutions difficiles ou une vision pessimiste, à 2,5 ou 3 KWH pour les substitutions les plus performantes ou une vision optimiste.

La France consommant actuellement 1242 TWh d'énergie fossile (gaz 430 et pétrole 812 en 2021), le transfert de cette consommation en électricité conduirait à une demande complémentaire de 414 TWh d'électricité' par an (hypothèse optimiste) à 621 TWh par an (hypothèse pessimiste), à comparer au 468TWh de consommation actuelle en 2021.

Il convient de souligner que ce calcul, très théorique, suppose ici implicitement que la demande d'énergie en 2050 resterait au même niveau à mix énergétique inchangé, et que le principal déterminant de baisse de la consommation d'énergie serait le gain énergétique obtenu lors de l'électrification.

Le calcul ne prend donc pas en compte les gains d'efficacité énergétique hors électrification, tels que ceux permis par la rénovation des bâtiments ou plus simplement l'amélioration de la performance des équipements au fil du temps, ni les effets de la sobriété, ni les impacts des réglementations tels que ceux portant sur les exigences d'amélioration de la performance énergétique des équipements, procédés ou des bâtiments.

Il ne tient pas non plus compte de la contribution de la biomasse à la décarbonation du mix énergétique quand bien même son potentiel est limité.

L'analyse ne prend pas non plus en considération le développement des besoins d'électricité pour produire de l'hydrogène électrolytique ou des électro carburants, ou d'autres facteurs de premier ordre comme l'évolution de la population, du nombre de ménages ou du PIB.

h) L'association négaWatt

L'association négaWatt

L'association négaWatt est une organisation sans but lucratif fondée en 2001. Elle porte « le développement du concept et de la pratique négawatt (unité théorique mesurant une puissance économisée) dans la société française ».

La vision de négaWatt repose sur trois piliers : la réduction des besoins par la sobriété dans les usages individuels et collectifs de l'énergie, en prônant des changements de mode de vie et d'organisation de la société ; l'efficacité énergétique pour diminuer la quantité d'énergie nécessaire à la satisfaction de ces besoins et la priorité donnée aux énergies renouvelables au détriment des énergies fossiles et du nucléaire.

Fondée en 2001, l'association appuie sa démarche sur la sobriété énergétique, l'efficacité énergétique et le recours aux énergies renouvelables. Elle publie, tous les cinq ans, un « scénario négaWatt » qui détaille une transition énergétique visant à se passer de l'énergie nucléaire et presque totalement des énergies fossiles à l'horizon 2050.

Source : Commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.

NégaWatt propose une vision énergétique globale qui dépasse les seuls sujets électriques. Elle inclut le rôle de l'agriculture avec le scénario Afterres 2050, réalisé par l'association Solagro, qui propose une vision de la transition agricole, sylvicole et alimentaire et un travail sur l'aspect matériaux et notamment la question de leur disponibilité.

Comme le rappelle l'association, « le but d'un scénario prospectif n'est pas de prédire l'avenir ; à ce titre, la trajectoire qu'il dessine n'est ni vraie, ni fausse, et on peut même être certain que l'avenir ne sera pas celui décrit dans un exercice prospectif. L'enjeu est d'éclairer, avec autant de justesse et de précision que possible, la manière dont les actions que nous choisirons collectivement peuvent permettre d'atteindre un certain nombre d'objectifs, à quel horizon de temps et avec quelles implications. »

L'approche de négaWatt est systémique et utilise une méthode bottom-up. Elle retient une seule trajectoire et non plusieurs variantes. Le scénario négaWatt vise l'objectif d'une division par deux de la consommation d'énergie finale d'ici 2050 (contre -40 % pour RTE).

Entendu par la commission d'enquête, Yves Marignac, expert énergie à l'association négaWatt, précise que la particularité du scénario de négaWatt était d'envisager une forte augmentation des services rendus par l'électricité « qui ne va cependant pas forcément de pair avec une augmentation de la consommation d'électricité, dans la mesure où l'efficacité, d'une part, et la sobriété, d'autre part, qui permet d'éliminer des usages électriques ne rendant pas véritablement de service, permettent un certain découplage entre les deux facteurs. Cela se traduit dans le scénario de négaWatt, par exemple, par une forte augmentation de l'électricité dans le chauffage avec 60 % de logements chauffés, notamment avec des pompes à chaleur installées dans des bâtiments rénovés. Il y a là un énorme enjeu d'efficacité. Par ailleurs, selon notre analyse, ne pas rénover les bâtiments dans lesquels on installe les pompes à chaleur conduit à un risque d'augmentation de la pointe électrique associée au passage hivernal, de l'ordre de 7 %, 8 %, à 10 %. Toujours selon notre scénario, on projette évidemment une électrification de la mobilité, un doublement à peu près des procédés s'appuyant sur l'électricité dans l'industrie. Tout cela contribue à une part de l'électricité qui approche 50 % de nos besoins énergétiques mais avec une baisse de la demande électrique de 10 % hors augmentation pour les besoins en hydrogène, qui situe notre scénario autour de 550 TWh au total en 2050. Cette évolution se traduit pour nous par un scénario compatible avec le maintien d'un haut niveau de service, une réindustrialisation, la création d'emplois et avec de multiples co-bénéfices. »302(*) 

« La condition nécessaire de la réussite des objectifs d'électrification et de réindustrialisation, qui sont au coeur de la neutralité carbone, de la compétitivité et de la souveraineté, passent par une accélération de la sobriété et de l'efficacité » résumait Yves Marignac.

Le scénario vise donc avant tout à identifier et actionner les leviers pour maîtriser la demande. Pour négaWatt, la demande doit être traitée en premier car elle permet plus facilement et à moindre coût d'atteindre l'objectif environnemental et social. Le scénario repose donc sur un fort volontarisme en matière d'efficacité et de sobriété.

Le scénario de négaWatt est construit sur la généralisation massive des meilleures pratiques actuelles déjà éprouvée, sans pari technologique, déjà en matière d'efficacité et de sobriété.

Le scénario repose sur une consommation finale brute de 513 TWh d'électricité en 2035 et 546 TWh en 2050.

i) TotalEnergies

TotalEnergies

TotalEnergies, entreprise française de production et de fourniture d'hydrocarbures et d'autres sources d'énergies, est présente dans plus de 130 pays et compte plus de 100 000 salariés dont presque 25 % en France.

TotalEnergies a publié son scénario, TotalEnergies Energy Outlook (TEO) en novembre 2023. Le TEO modélise l'évolution du système énergétique en considérant l'offre et/ou la demande en énergie de l'ensemble de la planète. Il utilise donc une méthode top-down. Pour certains secteurs lorsque les données sont disponibles, elle mène des études pour mieux comprendre les enjeux secteur par secteur.

Source : Commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.

Le tableau ci-dessous met en regard les éléments des scénarios du TotalEnergies Energy Outlook (TEO) avec les scénarios de RTE.

Consommation d'énergie finale pour les postes différenciant entre les scénarios TotalEnergies et la trajectoire de référence RTE (en TWh)

 

2035

2050

 

TotalEnergies Outlook 2023

(scénario Momentum)

RTE

Scénario A-REF 2023

TotalEnergies Outlook 2023

(scénario Momentum)

RTE* scénario de référence

Résidentiel

162

150

165

134

Tertiaire

138

139

138

113

Transports

64

55

142

99

Industrie

123

135

131

180

Production d'H2

42

65

128

50

Autres (yc énergie)

64

71

102

69

Total

592

615

807

645

Source : TotalEnergies, contribution écrite

Dans le scénario de référence TEO, qui suppose que la France et l'Europe atteignent la neutralité carbone en 2050, la France voit sa consommation d'électricité augmenter de l'ordre de + 1,5 % par an entre 2019 et 2050.

Cette hausse provient de l'électrification des usages dans l'industrie et le transport, et de la production d'hydrogène par électrolyse. L'industrie voit ainsi sa demande d'électricité augmenter de 13 % (+ 15 TWh) entre 2019 et 2050, les transports, portés par l'essor des véhicules électriques, atteindre 142 TWh en 2050 (contre 8 TWh en 2019), et l'électrolyse 128 TWh. Quant au résidentiel et aux services, leur demande d'électricité reste constante sur la période.

Il est cependant délicat d'effectuer la comparaison des projections de consommation électrique entre TotalEnergies et RTE à l'horizon 2050 pour plusieurs raisons.

Le scénario de référence de TotalEnergies et les scénarios des Futurs énergétiques 2050 utilisent des hypothèses différentes relatives au contexte macroéconomique de la France. Par exemple, le TEO formalise ses hypothèses en tenant compte d'un niveau de PIB d'environ + 1,5 % sur la période 2022-2035, alors que RTE fait varier cette métrique selon ses scénarios (la valeur oscillant entre + 0,6 et + 1,1 % sur la même période).

Par ailleurs, selon le rapport RTE Futurs énergétiques 2050, « dans une trajectoire de neutralité carbone, l'utilisation du gaz fossile pour la production d'électricité est amenée à disparaître. Au cours des dix prochaines années, la stratégie définie par l'État dans la PPE, consistant à développer les énergies renouvelables en maintenant une base nucléaire importante, aura pour effet de réduire les durées de fonctionnement des centrales au gaz. Celles-ci devraient fonctionner selon les prix sur le marché européen, mais n'être appelées qu'épisodiquement. » En conséquence, RTE ne communique pas publiquement sur la proportion de production de gaz contribuant au mix électrique français, contrairement à TotalEnergies qui modélise la production prévisionnelle des centrales à gaz à horizon 2050.

Enfin, les prévisions de TotalEnergies sont bien plus récentes (2023) que celles des Futurs énergétiques 2050 (2021).

La comparaison est plus pertinente à l'horizon 2035.

Le scénario de référence 2023 du TEO estime que c'est entre 2025 et 2035 que devrait s'opérer la majeure partie de la transformation du mix électrique.

À court terme, la demande d'électricité continue en effet de suivre la tendance historique baissière. La demande d'électricité totale de la France en 2025, à 486 TWh est environ égale à celle de 2019 et 2021.

En revanche, en 2035, elle atteint 592 TWh, soit une hausse de + 22 % surtout attribuable aux transports (+ 56 TWh) et à l'électrolyse (+ 42 TWh), l'industrie n'augmentant sa consommation que de + 7 TWh sur la période.

D'une façon générale, les prévisions de TotalEnergies relatives à la consommation d'électricité en 2035 dans le scénario de référence du TEO sont cohérentes avec celles du Bilan prévisionnel 2023 de RTE : 592 TWh à comparer aux scénarios A-bas (580 TWh) et A-référence (615 TWh), et scénarios B-bas (550 TWh) et B-haut (600 TWh) du bilan RTE 2023.

Par rapport au scénario A référence de RTE, TotalEnergies voit en 2035 des besoins d'électricité inférieurs dans l'industrie et la production d'hydrogène par électrolyse (respectivement 123 TWh et 42 TWh en 2035, versus 135 TWh et 65 TWh dans le scénario A référence de RTE). L'électrification des transports y est légèrement plus rapide, et la consommation dans le résidentiel, en légère augmentation nette par rapport à 2021 (+ 5 TWh), portée par l'essor des pompes à chaleur, tandis que le scénario A référence de RTE prévoit plutôt une baisse (-7 TWh) engendrée par l'efficacité énergétique.

j) Les Voix du nucléaire

Les Voix du nucléaire

Les Voix Du Nucléaire est « une association citoyenne de bénévoles, indépendante de toute attache économique, institutionnelle, syndicale ou politique ». Créée en mars 2018, elle vise à mettre en lumière la contribution de l'énergie nucléaire aux enjeux humains et environnementaux actuels. « Nous ne demandons pas qu'un traitement d'exception lui soit accordé, mais nous ne voulons pas non plus qu'il soit victime de fake news ou d'instrumentalisation politique ou idéologique ». Elle est inscrite au répertoire des représentants d'intérêts auprès de la HATVP.

L'association a développé un outil de visualisation des scénarios existants :  https://metawatt.fr/.

Source : Commission d'enquête notamment à partir du site internet de l'organisme.

Les Voix du nucléaire ont réalisé le scénario TerraWater303(*) a peu près au même moment que les Futurs énergétiques 2050.

Le scénario, reposant sur une approche top-down, prend le parti d'une électrification extrêmement poussée des usages : « Le but du scénario énergétique des Voix est de supprimer le maximum d'énergies fossiles le plus vite possible, et si possible également de biomasse, par l'électrification » résume l'orientation retenue.

Sur cette base, l'association estime que la consommation d'électricité devrait passer de 480 TWh/an (dont 30 de pertes) en 2021, à un peu moins de 800 TWh/an (dont 50 de pertes) en 2050.

Le tableau ci-dessous renseigne sur la comparaison entre les hypothèses retenues par RTE lors de sa première édition d'octobre 2021 des Futurs Énergétiques 2050, et celles retenues dans le scénario TerraWater.

Consommation d'énergie finale pour les postes différenciant entre les scénarios TerraWater et la trajectoire de référence RTE (en TWh)

 

Poste de consommation

Industrie

Transport routier

Chauffage

Sous-total

     

Dont VL*304(*)

Dont camions**305(*)

Résidentiel + tertiaire

 

Référence 2019

Énergie finale

317

262

148

~400

~1220

Dont électricité

115

~0

~0

60

~175

RTE (scénario référence)

Énergie finale 2050

280~290

80

120

150 (pour produire 210 de chaleur)

~635

Dont électricité

180 (+ 25 pour l'hydrogène)

65

15 (+ 10 pour H2)

45

~340

Dont biomasse

80

15

95

105

~295

TerraWater

Énergie finale 2050

280~290

65

50

125 (pour produire 280 de chaleur)

~525

Dont électricité

280 (dont hydrogène)

65

50

85

~480

Dont biomasse

0

0

0

40

~40

Source : Les Voix du nucléaire, réponse aux questionnaires de la commission d'enquête

Si la demande électrique est très différente entre les deux scénarios comparés dans ce tableau, c'est parce que le scénario RTE, dans la droite ligne des hypothèses de la SNBC, recourt davantage à la biomasse et aux nouveaux gaz.

L'évolution de la consommation dans le scénario TerraWater est essentiellement influencée par 3 usages :

La consommation industrielle devrait subir une augmentation d'un facteur au moins 2.5, passant de 115 TWh/an aujourd'hui à près de 300 TWh/an afin d'évincer un maximum de biomasse de ces usages stationnaires qui s'accommodent d'une électrification. La production d'hydrogène pour l'industrie est intégrée à ce chiffre.

Pour les transports routiers, le scénario fait l'hypothèse d'une électrification de la quasi-totalité du parc de véhicules : léger, mais aussi camions et bus. Cette future consommation se répartirait en 75 TWh pour la mobilité légère et 35 TWh pour la mobilité lourde. Les écarts avec RTE s'expliquent aussi parque ce que le périmètre retenu n'est pas exactement le même puisque les « soutes internationales », sont incluses dans ce scénario et exclues des Futurs énergétiques 2050.

Dans le secteur résidentiel/tertiaire, l'éviction des combustibles fossiles et d'une partie de la biomasse (actuellement, 80 TWh de bois sont utilisés chaque année pour chauffer des habitations) nécessite le passage quasi-exclusif des systèmes de chauffage aux pompes à chaleur en unités individuelles ou collectives via des réseaux de chaleur. Le scénario est ici plus conservateur que l'hypothèse SNBC et suppose un simple prolongement de la tendance actuelle observée depuis 3 décennies qui est d'1 % de gain par an (ce qui nous donne environ -30 % d'ici à 2050, à comparer avec les -40 % visés par RTE).

3. Une mise en perspective de ces travaux est possible à condition d'en mesurer les limites

De nombreux acteurs conduisent des démarches prospectives et ont communiqué à la commission d'enquête leurs propres prévisions. Ces prévisions sont parfois évoquées de telle façon qu'elles peuvent apparaître comme concurrentes ou alternatives à celles du gestionnaire du réseau. Il appartient à la commission d'enquête de mettre en évidence les points de convergence mais de mettre en garde contre toute comparaison trop rapide.

a) Des points de convergence à relever

En synthèse, la commission d'enquête souhaite souligner les points de convergences qui existent dans la quasi-totalité de ces analyses :

- les projections visent des baisses importantes de consommation d'énergie (45 % - 60 %) en 2050 ;

- les vecteurs de réduction de la consommation d'énergie sont dus aux effets combinés des politiques d'efficacité, de sobriété et d'électrification ;

- le rôle du vecteur électrique s'accroit substantiellement (entre 40 et 60 % du total de la consommation d'énergie). L'électricité est le vecteur énergétique principal d'un pays décarboné ;

- des efforts importants d'électrification sont à réaliser dans tous les secteurs ;

- les hausses prévues sont des projections qui marquent une inversion de la tendance observée depuis 15 ans.

- La probable tendance à surestimer la croissance de la demande électrique n'a pas disparu d'une bonne partie de ces projections. Comme le rappelait en effet Tanguy de Bienassis, analyste investissement énergie et climat à l'Agence internationale de l'énergie lors de son audition « les projections tendent à être légèrement surestimées, et ce, pour plusieurs raisons. La première obéit à la sécurité d'approvisionnement. Tous les énergéticiens et bureaux d'études, comme l'Agence, ayant pour rôle d'informer sur le bon dimensionnement des moyens de production et de distribution, vont donc naturellement fournir des « estimations un tout petit peu plus hautes ». En effet, les investissements devant être réalisés très en amont, toute erreur ou sous-estimation peut être très préjudiciable, en conduisant notamment à un sous-dimensionnement du système et à l'incapacité de répondre à la demande »306(*).

Malgré ces convergences, ce qui fait débat c'est l'ampleur et le rythme de cette hausse de consommation électrique.

D'un scénario à l'autre, d'une prévision à l'autre, les niveaux de consommation électrique peuvent varier très largement : du S1 de l'Ademe projetant 408 TWh à l'horizon 2035 à plusieurs scénarii qui avoisinent les 750 / 800 TWh.

Ces hausses parfois spectaculaires sont à rapporter avec la stagnation voire la baisse de consommation électrique depuis 15 ans.

b) Des travaux instructifs
(1) Plusieurs comparaisons peuvent être réalisées.

RTE se livre à une comparaison de ses hypothèses avec d'autres scénarios307(*) issus de l'Ademe, la Commission européenne et la DGEC à horizon 2030. Cette comparaison n'existe pas pour 2050 puisque les Futurs énergétiques 2050 furent une des premières études sorties à cet horizon temporel.

Taux de croissance annuel moyen de la consommation d'électricité en France à l'horizon 2030 dans différentes études

Source : RTE308(*)

Ce graphique délivre trois enseignements. Les projections avant 2020 prévoient une continuation de la tendance observée, soit le déclin de la croissance électrique. Les projections réalisées depuis sont plus nuancées avec des hausses modérées. Les dernières projections de la croissance de la demande électrique réalisées dans le bilan prévisionnel 2023 sont de l'ordre de 1 et 1,5 % pour les trajectoires de référence et haute.

Le tableau suivant récapitule les prévisions des acteurs consultés par la commission d'enquête.

Tableau de comparaison des différentes projections de consommation électrique à horizon 2035 et 2050 

Organisme

Source

Année de publication des prévisions

Consommation observée en 2019 (TWh)

Projection de Consommation en 2035 (TWh)

Projection de consommation en 2050 (TWh) principaux scénarios

Méthode : bottom-up ou

top-down ?

Consommation

(voir * )

Intégration des soutes internationales ?

Consommation d'énergie à usages non énergétiques (comme le plastique...)

Modélisation au pas horaire ?

Intégration des références météo ? Si oui nombre de références

Prise en compte du changement climatique ?

modélisation des aléas ?

Prise en compte des interconnexions

Modélisation production et consommation des pays européens

Académie des Technologies

Avis Perspective de la demande française d'électricité d'ici 2050 et contribution écrite

2021

473

598

816

BU

CFB

oui

partielle

partielle

partielle

non

partielle

non

non

Ademe

Transition(s) 2050et contribution écrite

2021

 

408 - 537 - 656 - 839

BU

CFB

oui

oui

oui

9

oui

oui

oui

oui

Cérémé

Un programme nucléaire pour 2050 et contribution écrite

2021 puis 2022

616

836

BU

CFB

non

non

oui

-

partielle

partielle

partielle

non

EdF

Contribution écrite

2024

587

 

BU

CFB

oui

oui

oui

93

oui

oui

oui

oui

Engie

Contribution écrite

2022

616

664

BU

CFB

oui

oui

oui

1

oui

non

oui

oui

Fabrique de l'industrie

Rapport Couvrir nos besoins énergétiques : 2050 se prépare aujourd'hui et contribution écrite

2022

 

671 - 779

BU

CFB

non

oui

oui

1

non

partielle

oui

oui

Fabrique de l'industrie scénario UNIDEN

Idem

2022

 

846

TD

CFB

non

oui

non

non

non

non

non

non

Fondation concorde

Rapport Stratégie pour une électricité décarbonée et bon marché pour le XXème siècle et contribution écrite

2022

 

900

BU

CFB

non

oui

non

1

non

non

non

non

Negawatt

Scénario négaWatt 2022 et contribution écrite

2021

513

546

BU

CFB

oui

oui

oui

1

partielle

oui

non

non

TotalEnergies

TotalEnergies Outlook 2023 (scénario Momentum)

2023

592

807

TD

CFB

oui

oui

oui

1

non

non

oui

oui

Voix du nucléaire

Rapport Scénario énergétique pour la neutralité carbone de la France en 2050 et au-delà et contribution écrite

2022

 

800

TD

CFB

partielle

partielle

oui

7

non

non

non

non

RTE

Les Futurs énergétiques 2050, publication des principaux résultats à l'automne 2021 et de leur analyse complète en février 2022.

2021

 

Les trajectoires de consommation s'échelonnent de 555 à 752

Le scénario référence est de 645

La variante électrification + est de 700

BU

CFB **

oui

oui (aux conditions de l'époque)

oui

200

oui

oui

oui

oui

RTE

Bilan prévisionnel 2023, 19 septembre 2023

2021

La famille des scénario A s'échelonne de 580 (bas), à 615 (référence) et à 640 (haut)

 

BU

CFB **

oui

oui

oui

200

oui

oui

oui

oui

* CFN : La consommation finale nette correspond à la consommation délivrée au consommateur final dans les différents secteurs de consommation (bâtiment, transport, industrie, agriculture).

* CFB : La consommation finale brute englobe les consommations d'électricité intermédiaires, notamment celles destinées au secteur énergétique pour la production d'hydrogène par exemple.

** RTE calcule la consommation intérieure d'électricité de la France métropolitaine continentale qui correspond à la consommation à couvrir avec les moyens de production d'électricité français ou en recourant éventuellement à des imports. Cette notion de rapproche de la CFB.

Source : Commission d'enquête sur la base de rapports et questionnaires (voir colonne dédiée pour le détail)

(2) Le travail réalisé par RTE reste sans équivalent

Comme le déclarait Thomas Veyrenc, directeur général économie, stratégie et finances de RTE, lors de son audition : « les projections de consommation constituent un produit technique. Il peut arriver, dans le débat, qu'elles soient un peu déformées, voire caricaturées, notamment en fonction de l'agenda de certains groupes de pression qui les utilisent. Avec mes équipes d'ingénieurs et de spécialistes, nous essayons de résister à ces détournements, en livrant une expertise documentée et donc nécessairement nuancée. C'est un combat constant de documenter précisément les scénarios et de présenter les différentes options. 

Dans le cadre de notre étude de 2021, nous avons démontré que nous étions en capacité de dépolitiser une partie des débats et de mobiliser pendant deux années, de manière technique, un grand nombre d'acteurs travaillant sur un produit technique. Quant aux grandes options, elles appartiennent à la discussion publique. C'est notre objectif. Je suis persuadé qu'au-delà des postures, notre travail a permis de disposer d'un socle de convictions techniques. »309(*).

Bien que la commission d'enquête se soit intéressée à des projections réalisées par des acteurs très différents, propositions synthétisées dans le tableau ci-dessus, elle ne considère pas pour autant que toutes ces sources sont équivalentes.

Les prévisions de RTE occupent une place à part, pour quatre raisons principales :

Comme l'on souligné de nombreux experts du secteur, RTE a réalisé l'exercice de modélisation le plus complet d'Europe. Dans le cadre des Futurs énergétiques 2050, RTE a étudié 18 configurations différentes combinant six scénarios de production et trois configurations principales de consommation. De nombreuses variantes et stress tests ont été réalisés avec une modélisation des scénarios climatiques intégrant différents niveaux de réchauffement climatique, correspondant à plusieurs trajectoires du GIEC et basés sur 200 chroniques météorologiques.

La plupart des travaux alternatifs évoqués ci-avant reposent sur une approche économétrique « top-down » qui ne permet pas de représenter finement l'évolution de la consommation d'électricité pour chacun des usages. En ce sens ils ne peuvent aboutir à une modélisation aussi fine que celle du gestionnaire de réseau qui utilise une modélisation de type « bottom up ». RTE est par ailleurs le seul à élaborer une modélisation du fonctionnement de l'équilibre offre / demande du système électrique au pas horaire dans une grande variété de scénarios.

De plus, l'analyse fine réalisée par la commission d'enquête de plus d'une dizaine de scénarios permet de mettre en évidence les effets de modélisations plus frustres. Une différence qui peut sembler légère dans un paramétrage, ou un choix de tendance un peu trop linéaire, peut sembler presque anodin. Mais lorsque la projection s'étire sur 30 ans, ces paramètres peuvent aboutir à des résultats nettement différents.

L'expertise de RTE en termes de prévisions électriques

« Au total, les analyses sur l'évolution de la consommation électrique et l'élaboration des trajectoires mobilisent l'équivalent d'une quinzaine de personnes à temps plein, sachant que cela ne représente qu'une partie des personnes réalisant des études prospectives ».

Source : RTE, réponse aux questionnaires de la commission d'enquête

Ce qui fait la différence avec certains autres travaux poussés d'expertise, c'est le fait que RTE a largement confronté ce travail à des analyses externes de tous les acteurs du système. « Aucune autre institution à l'échelle internationale (AIE), européenne (Commission européenne, ENTSO-E) ou nationale (ADEME) ne soumet ses analyses à un tel travail minutieux de concertation » souligne le gestionnaire du réseau dans sa réponse aux questionnaire de la commission d'enquête. À l'inverse, de nombreux scénarios d'autres organismes sont des productions qui reposent sur des hypothèses orientées dans le même sens qui n'ont pas été concertées et ne font pas consensus, par exemple sur des effets haussiers cumulés, ou des choix ayant des conséquences lourdes sur les modes de vies ou d'organisation de la société par exemple.

Par ailleurs, il faut rappeler que parmi tous les acteurs émettant des prévisions de consommation, RTE est celui qui est le plus directement intéressé à leur qualité ainsi qu'à leur précision, puisqu'elles servent à l'exploitation en temps réel du système électrique et au dimensionnement de l'infrastructure. Le coeur de métier du gestionnaire de réseau est de maîtriser cet exercice de prévision indispensable à la planification long terme.

La plupart des projections réalisées par les divers organismes évoquées précédemment raisonnent en couverture du volume annuel d'électricité. Elles ne reposent pas toutes sur une modélisation détaillée et probabiliste de l'équilibre offre-demande c'est-à-dire sur une simulation au pas horaire des appels de puissance et de la production, dans de nombreux scénarios météorologiques.

Enfin, le travail de modélisation mené par RTE relatif aux projections de consommation permet de simuler l'ensemble du système électrique européen et de réaliser des études d'équilibre offre-demande sur un grand nombre de configurations climatiques et de disponibilité des moyens de production et des interconnexions. Ceci est un élément-clé de l'analyse qui permet de s'assurer que les scénarios énergétiques projetés permettent de répondre aux exigences françaises en termes de sécurité d'approvisionnement en électricité.

C. 2022-2024 : LES PROJECTIONS DE CONSOMMATION ÉLECTRIQUE SE PRÉCISENT À HORIZON 2035

Dès la publication des Futurs énergétiques 2050, RTE avait signalé que l'exercice avait vocation à être complété par une analyse centrée sur le passage du cap de 2035.

Seulement deux ans après les Futurs énergétiques 2050, le contexte a largement changé sur plusieurs points : guerre en Ukraine, crise énergétique, durcissement des ambitions environnementales, etc. Il en résulte une évolution nécessaire de la prévision à horizon 2035 ainsi qu'une actualisation de la vision pour 2050.

1. Un contexte qui a fortement évolué et qui impacte les projections

L'actualisation des trajectoires d'évolution est liée à une évolution de contexte par rapport à la période 2019-2021 qui était celle de l'élaboration des Futurs énergétiques 2050.

Globalement, trois grandes évolutions ont eu lieu depuis 2021 qui ont entrainées cette actualisation des trajectoires d'évolution de la demande d'électricité.

Premièrement, elle découle d'ambitions réaffirmées et renforcées en matière de politique énergétique et climatique au niveau européen.

Deuxièmement, elle s'inscrit dans une évolution défavorable du contexte international qui a conduit la France, comme d'autres pays européens, à reprendre sa réflexion sur sa dépendance énergétique et la souveraineté de ses approvisionnements. L'invasion de l'Ukraine par la Russie, suivie d'une vague de sanctions contre ce pays, et l'insécurité relative à l'approvisionnement en gaz, a changé la donne pour les pays européens. Plus largement, l'exacerbation de la concurrence internationale et de la compétition pour la sécurisation des approvisionnements énergétiques (minerais, terres rares, ...), le contrôle des flux de transports et la maitrises des technologies de, et technologiques entraînent des risques de frictions accrus. La montée du protectionnisme et de la défiance entre grandes puissances (Chine, Etats-Unis, ...) accroît les risques de dépendance énergétique.

Troisièmement, la France a connu une inflexion des décisions du pouvoir politique en matière énergétique. D'une part, le discours sur la politique de l'énergie tenu à Belfort le 10 février 2022 par le président de la République fixe une orientation en termes d'offre et de production d'électricité. La vision en matière de prévision de consommation est désormais : « le deuxième chantier structurant, chantier du siècle si je puis dire (...) est de produire davantage d'électricité décarbonée (...). Je reprends les chiffres qui ont été produits par nos experts, nous devrons être en mesure de produire jusqu'à 60 % d'électricité en plus qu'aujourd'hui (...) nous aurons besoin de produire beaucoup plus d'électricité. ». Il faut noter que cette croissance de 60 % de 2019 à 2050 est bien supérieure à cette retenue par la SNBC qui est de 40 %.

Quel est le scénario des Futurs énergétiques 2050 le plus proche du discours de Belfort ?

Le discours de Belfort, prononcé par le président de la République, semble s'appuyer sur les éléments suivants des Futurs énergétiques 2050 :

- le scénario « réindustrialisation profonde » pour la consommation (environ + 60 %).

- le scénario N03 pour le nucléaire (prolongation des réacteurs existants ; construction de 6 + 8 nouveaux EPR 2 d'ici 2050 ; développement des SMR)

- le scénario N02 pour ce qui concerne les énergies renouvelables

Il intègre également un choix politique sur les renouvelables qui se concrétise par plus d'éolien en mer et de solaire et moins d'éolien terrestre.

Source : Commission d'enquête

D'autre part, l'ambition de réindustrialiser le pays prend un tour renforcé avec les enjeux de souveraineté économique. Dans la droite ligne du plan France relance de 2021, le plan d'investissement France 2030 est doté de 54 milliards d'euros. Ce plan poursuit la stratégie du Gouvernement en faveur de l'investissement, de l'innovation et de la réindustrialisation. Il doit permettre de rattraper le retard de la France dans certains secteurs historiques. Il vise aussi la création de nouvelles filières industrielles et technologiques.

Ces orientations nouvelles se déclinent notamment avec deux lois.

La loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables qui vise notamment, à faciliter l'instruction des projets EnR, sécuriser ces projets face aux risques de recours, permettre leur réalisation en priorité sur les terrains déjà artificialisés.

La loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes. Cette loi facilite les procédures administratives pour accélérer la construction de nouveaux réacteurs de type EPR2, prévus sur des sites nucléaires existants. Plusieurs dispositions traitent aussi de la planification énergétique, de la prolongation des vieilles centrales et des sûreté et sécurité nucléaires. Cette loi supprime ainsi l'objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire dans le mix électrique à l'horizon 2035, de même que le plafonnement de la capacité de production nucléaire à 63,2 gigawatts310(*). Là encore, pour accélérer les projets de réacteurs EPR2, y compris de SMR, et certains projets d'entreposage de combustibles, les procédures sont temporairement simplifiées.

Enfin, les travaux sur la planification écologique ont livré leurs premiers enseignements, dont la révision à la baisse des puits de carbone et du volume de biomasse disponible pour décarboner l'économie française, ce qui renforce mécaniquement le besoin d'électrification et d'économies d'énergie pour respecter les objectifs climatiques.

2. L'actualisation des prévisions de RTE à horizon 2035 à travers le bilan prévisionnel 2023

Le Bilan prévisionnel 2023 : une projection à horizon 2035, complémentaire aux Futurs énergétiques 2050

Le code de l'énergie, dans son article L141-8, dispose que le gestionnaire du réseau public de transport d'électricité établit chaque année un bilan électrique national qui couvre l'année précédant la date de sa publication et un bilan prévisionnel pluriannuel évaluant le système électrique sur une période minimale de cinq ans311(*).

À ce titre, RTE a publié fin septembre 2023, le Bilan prévisionnel 2023 qui « enrichit, complète et actualise » la première période de la trajectoire de transformation du système énergétique français jusqu'à la neutralité carbone. Cette mise à jour intervient dans un contexte qui a fortement évolué depuis 2021.

Source : Commission d'enquête

Le Bilan prévisionnel 2023 actualise donc et complète les Futurs énergétiques 2050 de 2021 compte tenu de l'évolution des objectifs publics, à savoir une décarbonation plus rapide et une réindustrialisation affirmée, et du contexte géopolitique et macroéconomique. Le Bilan prévisionnel 2023 se consacre à la « première marche » de la transition que constitue l'échéance 2030/2035. RTE insiste sur le fait que « tous les éléments de contexte évoqués précédemment tendent dans le même sens : la nécessité d'une transformation plus rapide du secteur électrique, à la fois au nom de l'impératif climatique de long terme et du besoin de renforcer sa souveraineté énergétique. »

Les nouvelles projections de consommation annuelle d'électricité s'échelonnent entre 580 et 640 TWh d'ici à 2035. Pour mémoire, le scénario de référence des Futurs énergétiques estimait ce niveau à 540 TWh pour 2030 (pas de prévision 2035) et 567 TWh en 2040.

Ainsi, selon le Bilan prévisionnel, la consommation électrique devrait bondir de 25 à 40 % en l'espace de 12 ans ce qui est un changement considérable et remettrait la France sur le rythme soutenu des années 1980.

Les courbes ci-dessous permettent de comparer les trajectoires d'évolution de la demande entre les deux études.

Comparaison des trajectoires d'évolution de la consommation d'électricité dans le Bilan prévisionnel 2023 et les Futurs énergétiques 2050

Source RTE 312(*)

Scénarios étudiés par RTE

Source : RTE313(*)

3. Évolutions du Bilan prévisionnel 2023 par rapport aux Futurs énergétiques 2050

Comme nous venons de le voir, le Bilan prévisionnel 2023 tient compte d'évolutions majeures depuis la publication de l'étude des Futurs énergétiques 2050. Sans rendre obsolète l'étude précédente, il intègre un nouveau contexte qui a un impact important sur la trajectoire de long terme.

Trois points essentiels peuvent être mentionnés.

Premièrement, la nécessité d'une transformation plus rapide du secteur électrique d'ici 2035, à la fois au nom de l'impératif climatique de long terme et du besoin de renforcer sa souveraineté énergétique. D'après le Bilan prévisionnel 2023, les projections de la consommation électrique devraient être comprises entre 580 et 640 TWh d'ici 2035. Si l'on retient la trajectoire médiane à l'horizon 2035, soit 615 TWh, cela entraînerait une progression annuelle de 3 % sur la base de la consommation constatée en 2023 soit 445 TWh. Pour mémoire, les Futurs énergétiques 2050 envisageaient un rythme de croissance d'environ 1 % par an sur la période 2020 - 2050.

Deuxièmement, le gisement de biomasse considéré dans les Futurs énergétiques 2050 a été revu à la baisse pour tenir compte d'une perspective plus conforme à la réalité. Comme l'indique le Bilan prévisionnel 2023, « l'un des traits distinctifs de la SNBC réside dans le pari d'une très forte croissance de la mobilisation de la biomasse pour la production d'énergie, qui serait multipliée par 2,5 par rapport à aujourd'hui ». Pour rappel, la Stratégie nationale bas-carbone prévoit un potentiel énergétique de production en biomasse atteignant 430 TWh en 2050, dont 250 TWh pour la biomasse agricole. En 2021, France Stratégie estimait même la ressource plutôt aux alentours de 350 TWh/an314(*). La biomasse agricole actuellement mobilisée pour des usages énergétiques, tels que la combustion, la méthanisation ou l'usage de biocarburants, représente actuellement moins de 40 TWh.

France stratégie rappelle qu'en tenant compte des disponibilités additionnelles des gisements existants, le potentiel énergétique maximal identifié de la biomasse agricole pourrait, en théorie, atteindre 120 TWh. Or, la SNBC estime un potentiel de production de biomasse agricole proche de 250 TWh. L'objectif mentionné dans les Futurs énergétiques apparaît donc comme irréaliste.

La révision en cours de la Stratégie française pour l'énergie et le climat (SFEC) intégrera une révision baissière du puits de carbone et du gisement de biomasse et logiquement une augmentation de la sollicitation du vecteur électrique.

Troisièmement, si la SNBC actuelle table sur une décarbonation quasi complète de la consommation d'énergie à l'horizon 2050, elle considère que celle des transports aériens et maritimes internationaux (appelés « combustibles soutes ») sont difficilement compressibles via de nouveaux carburants. Elle devrait donc passer par des puits de carbone qui n'apparaissent pas dans l'équation électrique.

Thomas Veyrenc soulignait ce point lors de son audition plénière : « il y a encore quelques années, le secteur aérien n'avait pas une feuille de route très claire sur sa stratégie de décarbonation. Puis il a privilégié l'utilisation de vecteurs énergétiques issus de la biomasse. Aujourd'hui (...) étant donné que l'évolution du débat sur le multi-énergie nous a plutôt conduit, ces derniers temps, à réévaluer à la hausse la part relative de l'électricité par rapport à la biomasse, un grand nombre de transporteurs aériens sont venus nous dire que si le volume de biomasse se révèle insuffisant, le secteur aérien utiliserait dans la mesure du possible des électrocarburants ou e-kérosènes. Or la production de ces électrocarburants, sans changement de la trajectoire projetée sur l'évolution du trafic aérien, nécessiterait à terme une très importante production supplémentaire d'électricité. Si ces électrocarburants devaient être produits en France, les quantités d'électricité nécessaires seraient à l'horizon de 2040-2050 plus élevées que ce que nous avons écrit dans les Futurs énergétiques 2050 »315(*).

À la suite du paquet Fit for 55 et des règlements « ReFuelEU Aviation »316(*) et « FuelEU Maritime »317(*), les transports aériens et maritimes ont donc des objectifs d'incorporation de carburants bas carbone.

Le règlement « ReFuelEU Aviation » prévoit notamment l'obligation pour les fournisseurs de carburant d'aviation de veiller à ce que tout le carburant mis à la disposition des exploitants d'aéronefs dans les aéroports de l'Union contienne une part minimale de carburants durables d'aviation à partir de 2025 et, à partir de 2030, une part minimale de carburants de synthèse, ces parts augmentant progressivement318(*) jusqu'en 2050.

Réglementation ReFuelEU Aviation 

Source : Conseil de l'Union européenne, site internet319(*)

En intégrant les nouvelles règles qui s'appliquent aux énergies utilisées par les transports aériens et maritimes internationaux, RTE estime, dans la trajectoire référence du Bilan prévisionnel 2023, que ces secteurs représenteront 17 TWh pour l'aérien et 6 TWh pour le maritime à l'horizon 2035. Pour ces nouveaux usages, le besoin en électricité est estimé en 2050 entre 44 TWh et 175 TWh par l'Ademe320(*).

Le rapporteur attire l'attention sur ces éléments d'actualisation issus du Bilan prévisionnel 2023. Ces trois éléments peuvent laisser penser que la trajectoire d'électrification sera plus forte que celle décrite dans les Futurs énergétiques 2050.

D. LES PROJECTIONS INTERNATIONALES SONT PLUS HAUSSIÈRES QUE LA TRAJECTOIRE DE RÉFÉRENCE DE RTE

Rappelons qu'en synthèse, les projections de RTE, pour leur trajectoire de référence, soit 645 TWh en 2050, correspondent à une perspective de hausse modérée de la consommation d'électricité de 35 % en 30 ans, soit 1 % de croissance moyenne annuelle environ.

1. Les prévisions de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) à l'échelle mondiale

L'Agence Internationale de l'énergie (AIE) a publié en 2021 un premier scénario pour atteindre l'objectif de neutralité carbone en 2050 qui prévoyait que la part de l'électricité dans la consommation finale mondiale d'énergie passe de 20 % en 2020 à 49 % en 2050. En valeur absolue, cette consommation pourrait ainsi passer d'environ 25 000 TWh en 2020 à presque 60 000 TWh en 2050.

Comme a pu le présenter Tanguy de Bienassis, analyste investissement énergie et climat à l'Agence internationale de l'énergie (AIE) lors de son audition, l'AIE constate que la demande électrique mondiale « augmente constamment depuis les années 2000. Celle-ci est fortement corrélée à la démographie et à la croissance du PIB dans le monde. Elle a augmenté en moyenne de 3 % depuis le début des années 2000 (...). Si on regarde maintenant les projections de la demande à horizon 2050, dans le scénario STEPS, scénario de référence qui utilise les lois et les régulations en vigueur, on observe une continuation de la tendance globale ainsi qu'une demande d'électricité qui croit d'environ 2 % par an pour venir s'établir un niveau de 46 000 TWh par an en 2050. J'ai également comparé cette projection à celles d'autres rapports réalisés en 2010, 2015 et 2020 pour constater qu'elle était cohérente. Si on étudie le scénario qui prend en compte les engagements annoncés, c'est-à-dire toutes les annonces des pays concernant leur neutralité carbone, on obtient une croissance de la demande électrique beaucoup plus forte, qui s'explique par des politiques d'électrification beaucoup plus ambitieuses. Dans ce scénario, la demande croit de 3 % par an en moyenne entre 2022 et 2050 et s'établit autour de 57 000 TWh par an. Enfin dans le troisième scénario intégrant la neutralité carbone en 2050, la demande totale atteint 64 000 TWh par an, correspondant à une croissance de 4 % par an de la demande électrique. Un point de pourcentage peut ne pas paraître signifiant dans l'augmentation, mais quand vous le projetez jusqu'à 2050, on obtient une demande qui est de 23 % supérieure dans le scénario APS et de 40 % de plus dans le scénario NZE, comparé au scénario STEPS de la même année. »321(*)

Ces chiffres, supérieurs aux projections de la France, s'expliquent par le fait qu'ils agrègent des pays aux caractéristiques différentes du nôtre et parce que les modalités et méthodologies de calculs sont aussi différentes.

Certains pays ont effectivement des taux de croissance élevés qui tirent la demande vers le haut. D'autant plus qu'ils partent en général d'un niveau d'électrification plus faible que celui de la France.

Plus finement, les pays concernés calent leurs prévisions sur des hypothèses très hautes de croissance économique et d'activité industrielle, en ligne avec les objectifs gouvernementaux, mais qui ont parfois peu de chances de se matérialiser. Pour la construction de ses scénarios, RTE s'appuie sur les orientations publiques mais intègre régulièrement des prudences ou des ajustements sur ce type d'hypothèses macro-économiques : à titre d'exemple, pour l'élaboration des Futurs énergétiques 2050, l'hypothèse de croissance du PIB retenue par la SNBC a été jugée trop élevée au regard de l'historique des années passées et des perspectives existantes et a donc été revue à la baisse322(*). De même, les scénarios récents de RTE n'intègrent pas strictement l'objectif de réindustrialisation de 15 % de part de l'industrie manufacturière dans le PIB parfois mis en avant par le gouvernement, celui-ci apparaissant extrêmement difficile à atteindre.

D'autre part, il convient de constater que les questions d'efficacité et surtout de sobriété sont moins bien appréhendées dans certaines projections internationales. À l'image du débat public en France avant les hivers 2022 et 2023, la question de la sobriété peut être quasiment absente des projections réalisées par certains pays. Les pays qui portent une réflexion poussée sur l'évolution des modes de vie vers moins de consommation énergétique restent peu nombreux.

Enfin, certains pays ne disposent pas du même gisement de biomasse ni des mêmes volumes de puits de carbone que la France.

2. Les prévisions du Réseau européen des gestionnaires de réseaux de transport d'électricité

Le Réseau européen des gestionnaires de réseau(x) de transport d'électricité (TYNDP ou ENTSO-E en anglais323(*)) représente 42  gestionnaires de réseau de transport d'électricité (GRT) de 35 pays à travers l'Europe allant même au-delà des frontières de l' Union européenne.

Cet organisme a compilé les scénarios des pays membres de l'UE dans le rapport324(*) TYNDP 2022.

Dans le graphique ci-dessous, le scénario « National Trends » représente une poursuite des tendances nationales fondées sur les orientations politiques définies avant la crise énergétique, puisqu'il repose sur les orientations issues des plans nationaux énergie-climat (PNEC) des différents États membres arrêtés en 2022. Depuis, beaucoup d'États européens ont modifié leurs objectifs et souvent très fortement tenu compte de ce changement de contexte en renforçant notamment l'électrification des usages. Ces prévisions s'arrêtent en 2040.

Consommation finale d'électricité des pays de l'Union européenne dans les scénarios TYNDP d'ENTSO-E

Lecture : Les trois couleurs représentent les trois scénarios d'évolution de la demande d'électricité dans le temps. Les pourcentages indiqués au-dessus des barres indiquent le taux de croissance estimé de la demande électrique dans chaque scénario par rapport au dernier niveau de demande mesuré (2018).

Source : Commission d'enquête sur la base de données ENTSOS325(*)

Les scénarios « distributed energy » et « global ambition » ont été construits par les fédérations européennes des gestionnaires réseaux (ENTSO-E et ENTSO-G) comme scénarios d'atteinte des objectifs de la COP21, avec point de passage à -55 % d'émissions en 2030. Le scénario « distributed energy » mise davantage sur le développement des ENR décentralisées et le déploiement de projets portés par les acteurs locaux avec des efforts de sobriété et d'efficacité plus prononcés. Le scénario « global ambition » représente un scénario d'action volontariste à l'échelle mondiale avec fort développement des technologies bas-carbone ainsi que de nouveaux échanges d'énergies bas-carbone entre pays, ainsi que davantage de grands projets centralisés.

En effectuant un parallèle schématique avec les scénarios français de l'Ademe, « distributed energy » correspondrait plutôt au scénario 2 de l'Ademe « coopération territoriale » et « global ambition » au scénario 3 « technologies vertes ».

Le pourcentage de croissance de la demande électrique est donc de 40 % dans le scénario de « global ambition » en cohérence avec les 35 % visés par RTE dans son scénario de référence. Si, comme mentionné précédemment la crise a probablement conduit à rehausser ces prévisions, elles convergent vers des ordres de grandeurs comparables, même si cette évolution globale traduit des situations hétérogènes en fonction des pays.

Là encore, les écarts peuvent s'expliquer en partie par les hypothèses choisies en termes de croissance économique, par un taux d'électrification actuellement plus élevé en France (27 %) que dans le reste de l'Union européenne (23 %) et par un recours plus fort au levier de la sobriété qui est quasiment absent dans d'autre pays. De même, certains pays ont des ressources en biomasse très faibles, comme les pays denses.

3. Les prévisions de l'Allemagne sont très au-delà de celle de la France

À une échelle de comparaison plus modeste, il est possible d'évoquer les prévisions de croissance de la demande électrique en Allemagne.

Le gouvernement allemand n'a pas publié de scénario de référence chiffré pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050.

Dans une étude de 2018, réalisée avant les Futurs énergétiques 2050 mais qui a le même horizon temporel, l'Agence de l'énergie allemande326(*) (DENA) présente cinq scénarios explorant la décarbonation du pays. Son scénario médian prévoit que la consommation brute d'électricité en Allemagne passait d'environ 600 TWh aujourd'hui à 910 TWh en 2045.

Agora EnergieWende est un think tank indépendant visant à éclairer les décisions publiques concernant l'atteinte de la neutralité carbone. Il a aussi publié en 2020 un scénario complet du système énergétique visant la neutralité carbone à l'horizon 2050 qui repose sur un mix 100 % renouvelable. Ce scénario a été actualisé en 2021 pour atteindre la neutralité carbone en 2045, qui constitue désormais l'objectif de l'Allemagne, inscrit dans la loi.

Ses hypothèses de croissance de la demande électrique sont très fortes, de l'ordre de + 11 % à + 34 % en 10 ans (2021-2030), soit + 190 TWh (19 TWh par an) avec notamment une hausse attendue dans le secteur des transport (+ 75 TWh) et dans les bâtiments (électrification via des pompes à chaleur de l'ordre de 45 TWh).

Projections de consommation électrique de Agora Energiewende à horizon 2035 en Allemagne (en TWh)

Source : Commission d'enquête sur la base de données Agora Energiewende327(*)

À horizon 2050, est souvent repris le chiffre de + 70 % de croissance de la demande électrique allemande, à comparer aux + 35 % présentés dans le scénario médian des Futurs énergétiques 2050.

Cette croissance est tirée par le fait que l'Allemagne souhaite réaliser sa transition carbone 5 ans avant la date fixée au niveau européen et qu'elle part de plus loin que le France en termes d'électrification de certains usages. À titre d'exemple, environ 80 % des systèmes de chauffage y utilisent des énergies fossiles. L'Allemagne vient d'ailleurs d'adopter une réglementation imposant le remplacement des chaudières au gaz et au fioul par des systèmes fonctionnant à 65 % à partir d'énergie renouvelable dès 2024 dans les nouveaux bâtiments et en 2028 pour le bâti existant.

IV. LA PERSPECTIVE RÉALISTE RETENUE PAR LA COMMISSION

Comme tout exercice prospectif, les scénarios sont empreints d'une part d'incertitude importante, notamment sur la réalité du décollage de la consommation, la pérennité des efforts de sobriété, la poursuite de l'efficacité énergétique ou encore la rapidité de l'électrification des usages.

Cependant, ces analyses ont permis à la commission de retenir une hypothèse privilégiée de consommation électrique, qui est importante car elle dimensionne le parc de production et le niveau de flexibilité nécessaire. Retenir une trajectoire, c'est aussi analyser plus finement les jalons qui permettent de l'atteindre : en termes d'efficacité, de sobriété et des secteurs où l'électrification des usages doit sérieusement progresser. Enfin, se projeter en 2050 permet de constater, qu'au-delà du sujet du niveau de la demande, celle-ci va être affectée par des évolutions plus qualitatives.

A. UNE CROISSANCE DE LA CONSOMMATION QUI S'AFFERMIT AVEC LE TEMPS

Le fait d'avoir cerné les grandes évolutions de l'exercice de prévisions/ projections, ainsi que la mise en regard sur le temps long des biais traditionnels de cet exercice, conduit la commission d'enquête à proposer une approche qu'elle estime raisonnable et réaliste.

1. Une rupture par rapport à la tendance actuelle mais une vision réaliste pour 2035 et 2050

Actuellement, même pour 2030 - 2035, il existe un écart certain entre la trajectoire qu'il faudrait atteindre pour respecter les objectifs de l'État, et celle qui s'est dessinée depuis plusieurs années ; écart qui s'est renforcé avec la crise énergétique. Les trajectoires de type « B », qualifiée « d'atteinte partielle » des objectifs de la France et de type « C » qualifiée de « mondialisation contrariée » décrites par RTE dans son Bilan prévisionnel 2023, semblent ainsi les plus probables à court terme.

Pour l'horizon 2035, la commission d'enquête estime raisonnable de se retenir la fourchette basse de la trajectoire de référence du Bilan prévisionnel 2023, soit un niveau de consommation électrique entre 580 et 615 TWh.

Par ce choix, la commission d'enquête souligne la nécessité d'un basculement massif des usages vers l'électricité.

Pour l'horizon 2050, la commission d'enquête, compte tenu des éléments entendus lors des auditions et présentés dans la partie consacrée aux prévisions des différents acteurs, estime que la consommation d'électricité devrait tourner autour de 700 TWh, niveau envisagé dans les Futurs énergétiques 2050 dans le scénario médian réhaussé de la variante « électrification plus ».

Cette projection semble notamment la plus en phase avec la réalité du gisement en termes de biomasse et de puits de carbone, qui étaient surestimés dans les Futurs énergétiques 2050. Elle permet, par ailleurs, de tenir compte de l'intégration des transports aérien et maritime dans l'équation.

Le rapporteur insiste sur le fait que cette vision est un choix sans regret. Il y a un plus grand risque à sous-estimer les projections de consommation que l'inverse328(*).

Anticiper cette hausse future de la consommation électrique permet de se doter de moyens de production à un niveau ambitieux et crée une dynamique favorable à l'électrification des usages, notamment en l'assurant par une base de production solide et un prix durablement maitrisé.

Le risque de surdimensionner le système productif, tiré par des projections trop optimistes de la demande, est moindre que le risque de le sous-dimensionner. Une hypothèse de consommation trop basse conduirait à risquer d'avoir une offre de production électrique insuffisante, entraînant un besoin important de centrales thermiques pour l'appoint, des besoins potentiellement accrus en matière d'importation, des risques de rupture d'approvisionnement aggravés et une pression à la hausse des prix.

À l'inverse, une hypothèse de consommation soutenue permet d'entrainer une production conséquente, contribuant à la modération des prix. Or le niveau des prix sera un puissant facteur incitatif pour l'électrification des usages. La compétitivité des entreprises sera également entretenue par des prix bas mais justes. Dans une hypothèse ou la demande met encore du temps à augmenter, les surplus de cette électricité décarbonée pourront être exportés participant à l'équilibre du système électrique européen et aux rentrées de la balance commerciale française.

Le cap de 2030 permettra de procéder aux ajustements nécessaires. La trajectoire que la commission fixe pour 2035 et, a fortiori 2050, n'est pas un cap inflexible à suivre. C'est un choix stratégique qu'il faudra adapter et ajuster en fonction des évolutions constatées de la consommation électrique et des capacités de production. Il est donc absolument nécessaire de permettre à cette stratégie de s'ajuster par l'observation des tendances et des effets d'accélération ou de massification.

La commission enquête est consciente que ce choix doit faire l'objet de quelques points de vigilance : risquer de disposer de trop de capacités de production, d'avoir des actifs sous-utilisés voire même échoués, de connaître un prix de l'électricité trop bas qui fragiliserait les producteurs et donc l'investissement des acteurs du secteur. Les recommandations que formule ce rapport en partie 3 et 4 visent à lever ces risques.

Par ailleurs, désigner une trajectoire, qui correspond à la somme des consommations d'électricité agrégées sur une année, ne rend pas compte, à elle seule, des évolutions qui sont amenées à se produire.

La courbe de consommation va aussi évoluer en fonction des moments de la journée, de la semaine et de l'année. Ces évolutions structurelles vont affecter considérablement la gestion du système électrique notamment dans son objectif d'équilibre permanent entre l'offre et la demande.

Du côté de la demande, deux changements sont attendus. D'une part, les nouveaux usages de l'électricité vont venir « déformer » le profil de consommation. Et d'autre part, ces nouveaux usages de l'électricité présentent, pour nombre d'entre eux, des opportunités de flexibilité importantes. Ces deux points seront analysés plus avant.

2. Une pente encore incertaine d'ici 2030 

La hausse de la demande résulte d'impulsions contraires : efficacité énergétique et sobriété la tirent à la baisse, alors que l'électrification des processus et des usages la tirent à la hausse.

Tout l'enjeu consiste à savoir quel va être l'intensité de chacune de ces dynamiques pour dessiner le mouvement de la courbe d'ici à 2030 - 2035. L'augmentation de la demande électrique consistera en une inflexion par rapport à la tendance constatée ces dernières années dont le démarrage effectif n'est pas encore constaté. Il est délicat de savoir quand et avec quelle intensité cette hausse de la demande va se matérialiser.

RTE évoque, dans les Futurs énergétiques 2050, une inflexion qui intervient de manière graduelle d'ici 2025 puis une accélération : « rythme régulier avec une tendance à l'accélération progressive : un taux de croissance annuel moyen de 0,6 % sur la décennie 2020, de 1,1 % sur la décennie 2030 et 1,3 % sur la décennie 2040. Ensuite, la consommation se stabiliserait pour n'évoluer que marginalement en fonction des évolutions de la population et de l'économie. Les variantes évoluent autour de cette trajectoire ». Le graphique ci-dessous met en regard la trajectoire de référence des Futurs énergétiques à 2050 avec celle des scénarios d'atteinte des objectifs de la famille A du Bilan prévisionnel 2023.

Trajectoire d'évolution de la consommation d'électricité (Futurs énergétiques et Bilan prévisionnel 2023)

Source : RTE 329(*)

Cette illustration montre que l'atteinte des niveaux de consommation électrique conformes à ce qui serait en phase avec nos objectifs nationaux reste éloignée. Faute d'un décollage suffisant, les révisions de la pente ces trois dernières années sont faites dans le même sens : un décollage de plus en plus abrupt pour rattraper la tendance espérée.

Comme le déclarait Thomas Veyrenc, directeur général économie, stratégie et finances chez RTE, lors de son audition : « en matière de pure prévision, il n'existe pas, à court terme, de signal évident d'une augmentation très rapide de la consommation d'électricité ».

Compte tenu de la tendance de court terme, la commission estime que le démarrage de la dynamique de croissance pourrait s'observer aux alentours de 2028.

Dans cette hypothèse, et en prenant en compte une hypothèse de stagnation de la consommation d'aujourd'hui à 2028 à un niveau de 445 TWh, atteindre une consommation de 615 TWh en 2035 impliquerait une croissance annuelle de 4,7 %.

La commission d'enquête constate que la réalisation de ce rythme de croissance très soutenu, suppose d'augmenter le rythme de déploiement des équipements bas carbone et d'accroître les signaux pour accélérer l'électrification des usages, tout en poursuivant les dynamiques d'efficacité et de sobriété.

3. Le Parlement doit être mieux impliqué dans les prochains exercices prospectifs de RTE

Le cycle d'étude des Futurs énergétiques 2050 prend de l'ordre de cinq années entre la formalisation des bases climatiques, la mise à jour et les ajustements du modèle, les divers calculs et retour d'expérience. La phase de concertation de l'étude a pris deux ans. L'étude elle-même a aussi pris deux ans entre son lancement en 2019, la publication de ses principaux résultats en 2021 et celle de ses résultats complets courant 2022.

Ce travail doit être conduit à intervalles réguliers, en fonction des évolutions et du contexte.

La publication d'une actualisation glissante des Futurs énergétiques 2050 semble un exercice utile.

Un lancement des travaux fin 2024 permettrait de sortir une étude publiable en 2027, soit plus de cinq ans après l'étude initiale.

Ce calendrier permettrait de prendre en compte les recommandations de la commission d'enquête.

La commission estime que cette actualisation des études de RTE sera également l'occasion de mieux intégrer le Parlement dans les travaux prospectifs relatifs au système électrique. Le Parlement pourrait contribuer à préciser les scénarios qu'il souhaiterait voir étudiés, les hypothèses qu'il compte privilégier, et les variantes à explorer. De même, il pourrait être invité à réagir lors des points d'étape intermédiaire. Cette recommandation serait sans doute de nature à améliorer la qualité du débat et peut être aboutir à forger un niveau de consensus supérieur sur certains points, sur des sujets stratégiques mais complexes et en évolution constante.

Recommandation n° 10

Destinataires

Échéance

Support/Action

Associer le Parlement à chaque grande étape des travaux prospectifs de RTE

Gouvernement (Ministère chargé de l'énergie)

RTE

2025 et au-delà

Modification du code de l'énergie

B. UNE PERSPECTIVE QUI REPOSE SUR UNE INDISPENSABLE POURSUITE DES DYNAMIQUES D'EFFICACITÉ ET DE SOBRIÉTÉ

« L'énergie la moins chère et la moins polluante, c'est encore celle que l'on ne consomme pas »330(*) semble une idée neuve en Europe, mais pourtant la formule a 20 ans. Elle souligne à quel point efficacité et sobriété sont plus que jamais au centre de toute politique énergétique.

Il faut rappeler que l'intérêt de ces deux leviers dépassent la question de l'électricité. La première manière de réduire nos dépendances et notre facture énergétique reste la réduction de notre consommation d'énergie et en particulier d'énergies fossiles, via la sobriété et l'efficacité.

La maîtrise de la demande en électricité, dans ses deux composantes efficacité énergétique et sobriété, est indispensable pour atteindre les objectifs de la France. RTE, l'Ademe et de nombreux autres acteurs mettent ce point en évidence. Les volumes concernés sont significatifs, comme l'illustre le schéma ci-dessous qui correspond à la trajectoire de « A référence » retenue par la commission d'enquête.

Décomposition en grands effets de l'évolution de la consommation d'électricité entre 2019 et 2035 dans la trajectoire A - référence

Source : RTE331(*)

1. La recherche des gains d'efficacité énergétique doit être encouragée
a) Un potentiel de 100 TWH à horizon 2035

L'efficacité énergétique permet de consommer moins en améliorant les performances des appareils, équipements, installations, procédés ou encore des bâtiments.

Les exigences environnementales se sont fortement accentuées ces dernières années, se traduisant notamment par l'objectif de neutralité carbone en 2050 pour l'ensemble des pays de l'UE et de beaucoup d'autres pays dans le monde. En France, l'objectif de diviser par deux la consommation énergétique finale d'ici 2050 est inscrit dans la loi.

Ces objectifs et contraintes pèseront fortement sur l'innovation et l'orientation technologique dans le sens d'un renforcement considérable de l'efficacité énergétique des procédés industriels et des équipements de toutes natures, et ce dans quasiment tous les grands pays industriels. Cette situation sera « un puissant accélérateur de la tendance baissière de la consommation d'énergie pour au moins les trois décennies à venir »332(*) selon Bertrand Château, expert en matière de prévisions énergétiques.

Dans le scénario retenu par la commission, le potentiel de réduction de la consommation électricité est estimé à environ 100 TWh à l'horizon 2035.

b) Ce potentiel repose sur l'amélioration de la performance des équipements et de la performance thermique des bâtiments

Schématiquement, cette efficacité se joue sur l'amélioration de la performance des équipements et de la performance thermique des bâtiments.

Comme le rappelait Thomas Veyrenc lors de son audition « un réfrigérateur performant aujourd'hui, c'est 45 % d'économie d'énergie par rapport au parc moyen de réfrigérateurs. Remplacer nos ordinateurs fixes des années 2000 avec la grosse tour par des ordinateurs portables, constitue un facteur 5 d'économie d'énergie »333(*). Les données ci-dessous permettent, d'illustrer concrètement ce que représente l'efficacité énergétique.

Exemples de gains en termes d'efficacité énergétique pour certains équipements domestiques sur 12 ans

Source : Ademe334(*)

Ces chiffres, ramenés à la consommation collective d'un pays, pèsent réellement sur le niveau de demande électrique. Ainsi le développement des éclairages à LED a par exemple permis de réduire en cumulé de 10 TWh la consommation d'éclairage entre 2010 et 2020.

Au-delà du rythme de renouvellement des équipements, ce gisement justifie des actions volontaristes adaptées : réglementations ciblées sur les équipements présentant les meilleurs gains, mesures favorisant le renouvellement de certains appareils, amélioration de l'information sur la performance énergétique, directives d'écoconception, prix du carbone... Pour rester sur l'exemple des LED, leur généralisation pourrait encore permettre de faire baisser la consommation dans les secteurs résidentiel et tertiaire de 15 TWh, ce qui est considérable.

Les pouvoirs publics ont également un rôle à jouer pour éviter que les efforts obtenus en termes d'efficacité énergétique ne se traduisent pas par des évolutions qui consistent à annuler ces gains. L'exemple des véhicules individuels, aux moteurs plus performants mais au poids toujours plus conséquent, est significatif de gains d'efficacité énergétique affectés à d'autres finalités que la maîtrise de la demande d'énergie.

L'autre gisement d'efficacité énergétique concerne l'efficacité thermique des bâtiments qui sera traitée plus avant dans ce rapport.

2. La sobriété, un levier indispensable pour maitriser la hausse de la demande, mérite d'être mieux travaillée sur le fond

« La sobriété n'est plus une option » déclarait Xavier Pierchaczyk, le président de RTE, dans la presse en juin 2023.

La sobriété, un temps message revendicatif de quelques ONG est devenue aujourd'hui un levier qualifié d'indispensable de la politique énergétique.

Définition de la sobriété

Dans la SNBC, elle est définie comme consommer avec modération (moins consommer) les biens et services à fort impact environnementaux (typiquement réduire sa température de chauffage)

L'Ademe la définit comme la recherche de moins, de modération tout en recherchant un mieux notamment de la qualité de vie

Source : Commission d'enquête

La sobriété renvoie donc à une baisse de la consommation énergétique via une modification des habitudes ou des modes de vie.

a) La sobriété : chasse au gaspillage ou évolution des mode de vie ?

Plus finement, il est possible de distinguer deux types de sobriété.

La sobriété qui se manifeste par la chasse au gaspillage est plutôt bien acceptée dans une mise en oeuvre rapide. Cette forme de sobriété s'est illustrée par les gestes simples demandés aux Français lors de l'hiver 2022 : baisser la température, éteindre les lumières inutiles ainsi que les appareils en veille, adopter des modes de cuisson économes...

La sobriété lors de l'hiver 2022-2023

Lors de l'hiver 2022-2023 il a été constaté une baisse inédite de la consommation d'électricité de l'ordre de 12 % entre octobre et décembre 2022, soit 20 TWh, à météorologie constante, par rapport aux autres hivers335(*).

Le dispositif d'alerte comme l'appel à la mobilisation de tous et le Plan national de sobriété semblent avoir rencontré un accueil positif auprès des Français.

Il reste délicat de distinguer parmi les raisons de la baisse de consommation la part de gestes souhaités et des ajustements subis liés à l'augmentation du coût de l'électricité ou plus généralement du coût de la vie (inflation). Il est cependant à noter que la consommation a baissé avant même que le prix de l'électricité connaisse une hausse. Cette anticipation du signal prix a indéniablement joué.

Source : Commission d'enquête

Une sobriété plus structurelle nécessite des actions individuelles et collectives conduisant à une évolution plus ou moins conséquente des modes de vie. Cette dernière produit des effets plus importants mais repose sur des évolutions comportementales individuelles et collectives qui semblent se réaliser sur des périodes de temps plus longues et surtout qui reposent sur des questions d'acceptabilité.

Thomas Veyrenc revenant sur ce point lors de l'audition déclarait : « On sait maintenant que la consommation en temps de crise peut baisser de manière assez spectaculaire. La question est de déterminer ce qui est pérenne dans cette diminution. On pense qu'une partie de ce qui constitue la chasse au gaspillage peut être assez largement prolongée. Aller plus loin en matière de sobriété, ce qu'on appelle la sobriété structurelle, conduit à des transformations de l'aménagement de notre territoire et des modes de vie qui relèvent d'une autre ampleur. »336(*)

Pour enrichir la réflexion sur les conséquences sociétales des différentes trajectoires, RTE a commandité une enquête à Ipsos auprès d'un large panel de Français (13 000 personnes). L'enquête évalue l'écart entre les hypothèses des scénarios et la perception des habitants actuelle et à moyen terme sur certaines évolutions des modes de vie. Ce travail permet de classer les transformations en trois groupes :

- celles qui semblent déjà acceptées par les Français, qui reposent sur des gestes simples ou des changements d'habitude évoquées précédemment ;

- celles qui induisent des modifications dans les modes de vie mais qui semblent accessibles pour une partie des Français : réduction de la taille des véhicules, augmentation de l'usage des transports en commun, rénovation énergétique de l'habitat etc. ;

- celles qui nécessitent un changement profond de modèle de société et qui sont, à ce jour, très décalées par rapport aux aspirations des Français, se heurtent à des freins culturels et organisationnels importants et peuvent aller directement à l'encontre des principes d'une société libre : renoncement au véhicule individuel, bascule vers le logement collectif, partage des espaces de vie, etc.

b) La sobriété reste un levier délicat à activer qui mérite un travail de fond

Thomas Veyrenc partageait ce constat avec la commission d'enquête lors de son audition : « au cours des débats publics que j'ai animé pendant deux ans autour de nos scénarios, le sujet le plus conflictuel n'a pas été celui des énergies renouvelables ou du nucléaire mais celui de la projection sur la sobriété et de la perception de l'équité des efforts demandés aux différentes catégories de la population. Ce thème de l'équité revient systématiquement : chacun est prêt à baisser sa consommation à condition d'être certain que les autres font les mêmes efforts. »337(*)

Sur ce même thème d'acceptation de la sobriété, le représentant de l'association négaWatt déclarait lors de la table ronde du 1er février 2024 : « beaucoup de sondages, de conventions citoyennes ou d'exercices délibératifs montrent que les citoyens, dès lors qu'on les amène à réfléchir à la sobriété, sont prêts à y participer moyennant un certain nombre de conditions.

La première, c'est d'être accompagnés : ils refusent l'idée selon laquelle il suffirait de s'en remettre à des changements individuels de comportement ou à la responsabilité de chacun. Il est donc nécessaire de créer des offres et des politiques publiques de sobriété.

En deuxième lieu, les citoyens demandent à disposer d'alternatives (...)

Le troisième pilier est d'identifier les co-bénéfices de la sobriété en termes de santé, de confort de vie et d'environnement urbain. Par exemple, en réduisant la taille ou le nombre des véhicules en milieu urbain, tout en les électrifiant, il en résultera une diminution de la pression urbaine ainsi que de la pollution. Mettre en avant ces éléments positifs favorise bien plus que ne le pensent spontanément les décideurs politiques l'adhésion des citoyens aux politiques de sobriété bien conduites. »338(*)

Pour mémoire, la sobriété ne concerne pas que les particuliers. Elle est aussi un thème essentiel pour les entreprises.

La mise en place d'initiatives nouvelles, comme celle mentionnée dans l'encadré ci-dessous, est à saluer, pour mieux comprendre et accompagner le phénomène.

Création d'un observatoire multidisciplinaire de la sobriété énergétique et des pratiques d'adaptation aux crises énergétiques

Le CEA, l'Université Caen/MRSH, Mines Paris-PSL, le Dôme de Caen et l'IRTS Normandie-Caen ont signé le 30 novembre 2022 un contrat de collaboration de trois ans portant sur la mise en place de PROMETHEE, un observatoire exploratoire des pratiques d'adaptation aux crises énergétiques. Son objet est d'observer les pratiques de sobriété, de comprendre si cette sobriété est subie ou choisie, et de mieux identifier les leviers qui pourront également être actionnés prioritairement et sur le long terme pour faire face à la crise climatique.

Source : Commission d'enquête

Pour la France, dans le scénario retenu par la commission d'enquête, les gains espérés en termes de sobriété, à horizon 2030, seraient dans une fourchette de 25 TWh à 60 TWh selon l'intensité des politiques publiques menées et des résultats obtenus.

La sobriété pourrait se révéler particulièrement indispensable, pour atteindre nos objectifs climatiques, dans la période qui ira jusqu'à la mise en service du nouveau nucléaire. Par prudence, l'incertitude sur les délais de mise en service des réacteurs EPR, peut aussi conduire à compter encore sur ce levier au-delà de 2035.

Le rapporteur s'étonne que la sobriété soit à la fois avancée comme indispensable à la réussite de tous les scénarios de transition énergétique et vitale pour assurer la sécurité d'approvisionnement à moindre coût, et en même temps, un sujet peu intégré aux politiques publiques.

Le plan sobriété339(*) du Gouvernement présenté en octobre 2022, rassemble des mesures intéressantes qui ont contribué à passer la période de tension du système électrique.

La commission d'enquête regrette que ce plan, qui se voulait « la première marche de cette réduction de 40 % de notre consommation d'énergie », ne semble pas faire l'objet d'un portage dans la durée, d'un suivi plus rigoureux et d'une actualisation de ses mesures.

Il serait intéressant qu'une véritable évaluation en soit faite, que les mesures de communication grand public qu'il contient fassent l'objet de rappels réguliers et que les acteurs concernés (collectivités locales, acteurs économiques...) soient concertés pour ajuster les mesures qu'il contient.

La commission d'enquête estime que la sobriété doit devenir un élément structurant à prendre en compte dans l'action collective et pas seulement l'objet d'un plan d'urgence qui surgit en cas de tension sur le système électrique.

Le sujet doit faire l'objet d'un travail de longue haleine, avec un suivi et une évaluation spécifique.

Recommandation n° 11

Destinataire

Échéance

Support/Action

Renforcer le plan national de sobriété énergétique et mieux intégrer la sobriété comme objectif des politiques publiques en amont.

Gouvernement

(ministère chargé de l'énergie)

2024

Plan national de sobriété renforcé

3. Au croisement des efforts d'efficacité et de sobriété, l'exemple des certificats d'économies d'énergie
a) Un mécanisme complexe et peu lisible

Les Certificats d'économies d'énergie (CEE ou C2E) participent à la politique de maîtrise de la demande énergétique en France depuis 2005. Ce dispositif a été créé par les articles 14 à 17 de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique (loi POPE). Ils financent environ la moitié de la rénovation énergétique en France.

Contrairement aux aides de l'Anah, qui sont imputées sur des crédits budgétaires, les certificats d'économie d'énergie (CEE) sont financés par les entreprises de l'énergie. Le dispositif ne passe donc pas par les comptes de l'État, ce qui est un élément vertueux qui justifie sa pérennisation.

La philosophie des CEE est de contraindre les fournisseurs d'énergie, dénommés « les obligés » à inciter leur client à améliorer leur consommation énergétique. C'est une mise en pratique du principe du pollueur-payeur. L'évolution des comportements des particuliers et des entreprises est lente à se produire. Aussi, le dispositif responsabilise les obligés pour aider ces acteurs à accélérer le processus.

Pour chacune de leurs actions oeuvrant à la réduction énergétique des bâtiments (travaux effectués, conseils apportés, diagnostics immobiliers effectués, etc.), les vendeurs d'énergie reçoivent des CEE. Ces obligés ont des quotas à respecter selon leurs volumes de ventes, les seuils étant fixés par période d'obligation de 3 ans sous peine de sanctions financières.

Les obligés sont principalement les fournisseurs d'électricité, de gaz, de chaleur et de froid (EDF, Engie, CPCU ...), les distributeurs de fioul domestique (Ecofioul, Brico Dépôt, Bricorama, ...) et les fournisseurs de carburants automobiles (Total, BP, SIPLEC, Auchan, Leclerc...). D'autres acteurs peuvent être éligibles et jouer un rôle sur le marché d'échange des CEE : les collectivités territoriales, l'agence nationale de l'habitat (Anah), les bailleurs sociaux, certaines sociétés d'économie mixte (SEM).

Concrètement les obligés ont trois options complémentaires pour réaliser leurs objectifs. Ils peuvent diminuer leurs propres consommations (bâtiments, installations, transports). Ils sont surtout incités à stimuler les économies d'énergie des non obligés (particuliers, professionnels, collectivités) en conseillant, accompagnant et finançant les travaux de rénovation énergétique. Ils peuvent aussi acheter des CEE à des particuliers ou des entreprises ou encore déléguer à un ou à plusieurs tiers une partie de leur quota à respecter, ces intermédiaires devenant à leur tour des obligés. 

Les clients ont aussi intérêt à optimiser l'efficacité énergétique de leurs bâtiments et de leurs équipements. Les ménages et les entreprises qui réalisent des travaux éligibles aux CEE touchent la prime énergie qui se matérialise sous différentes formes. Ils peuvent aussi revendre leur CEE aux obligés afin de se faire rembourser une partie du financement des travaux dans certains cas, de bénéficier d'un prêt à taux bonifié dans d'autres. Tous les travaux d'économies d'énergie ne donnent pas droit aux CEE. Il faut par exemple viser des travaux d'isolation, de chauffage écologique ou d'énergies renouvelables. Mais plus la performance des équipements utilisés et de la région climatique est élevée, plus le montant du CEE et de la prime énergie seront élevés.

Les CEE sont donc financés par les entreprises de l'énergie. Ils prennent comme référence des « opérations standardisées d'économies d'énergies », qui correspondent à des opérations couramment réalisées, pour lesquelles une valeur forfaitaire a été définie. Le catalogue des opérations standardisées le plus récent (16 mars 2023) comporte 218 fiches, et est disponible en ligne sur le site du ministère de la transition écologique.

Le dispositif des CEE s'inscrit sur une période de 3 ans pendant laquelle chaque fournisseur d'énergie doit atteindre un quota préalablement fixé par le législateur. Actuellement, ils sont à la 5ème période qui couvre les années 2022-2025. Entre chaque période de 3 ans, une période dite transitoire est dédiée au bilan et à la concertation pour le prochain CEE.

Source : ministère de la Transition écologique, site internet

Après chaque période de trois ans bouclée, les entreprises devront prouver qu'elles ont bien réalisé les travaux imposés par l'État et en faire un compte-rendu auprès du ministère de l'Énergie. En cas de non atteinte de leur objectif, les obligés sont pénalisés financièrement à hauteur de 0,02 €/ KWh Cumac340(*).

L'unité de compte des CEE est le kWh Cumac, contraction du terme cumulés (économies cumulées durant la période triennale) et actualisés (coefficient d'actualisation annuel prenant en considération la dégradation dans le temps des performances énergétiques).

Les certificats d'économies d'énergie en résumé

Source : ministère de la Transition écologique, brochure CEE341(*)

b) Une évaluation délicate

Dans son rapport sur L'impact environnemental du budget de l'État342(*), en annexe du projet de loi de finances (PLF) de 2023, le Gouvernement avance que sur leur quatrième période (2018-2021), les actions déclenchées par les CEE ont mobilisé environ 16 Md€ en 4 ans, et permettront aux consommateurs d'économiser plus de 150 Md€ sur leurs factures énergétiques (10 Md€ chaque année, soit 92 TWh, pendant 15 ans). La moitié des volumes de CEE bénéficient directement aux ménages en situation de précarité énergétique.

En réalité, il est difficile d'évaluer l'efficacité de ce dispositif. Le rapport du Sénat de juin 2023, de Dominique ESTROSI SASSONE, et Guillaume GONTARD relatif à l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique signalait, qu'en raison de la nature du dispositif « qui n'est pas une aide de l'État au même sens que MaPrimeRénov' mais une aide obligatoire des entreprises de l'énergie, il est difficile d'obtenir des chiffres agrégés récents sur les certificats d'économie d'énergie »343(*).

L'étude la plus récente de l'office national pour la rénovation énergétique (Onre) sur le sujet présente des chiffres jusqu'en 2020 tout en signalant que les données relatives aux CEE ne sont disponibles qu'avec un délai important. On constate une forte augmentation des CEE distribués en 2019 et en 2020, qui, d'après l'Onre, correspond à « un contexte de forte augmentation des objectifs quantitatifs qui encadrent ce dispositif entre les 3e et 4e périodes des CEE2. » Les gains en termes d'économie d'énergie auraient également fortement augmenté, passant de 3,1 TWh à 6,2 TWh.

Comme le mentionne le rapport du Sénat, « il faut toutefois à nouveau rappeler que les gains d'énergie formulés sont théoriques (...) Cette estimation théorique, fondée sur une modélisation technique des logements, peut toutefois différer des économies d'énergie réelles associées aux rénovations, tant pour des raisons liées à la qualité effective des travaux qu'à d'éventuels changements de comportement concernant la température ambiante après rénovation. Le ménage choisit alors de "reconvertir" une partie des gains énergétiques en gains de confort : c'est ce que l'on appelle « l'effet rebond ». Plus largement, la consommation conventionnelle peut s'éloigner de la consommation réelle, celle-ci dépendant des usages du ménage occupant » .

L'Ademe s'est aussi intéressée à l'efficacité de ce dispositif dans son rapport intitulé évaluation du dispositif des CEE en 2020344(*). Dans ce document l'agence estime ainsi que les gains d'énergies réels ne représentent que 59 % des gains d'énergie théoriques : « l'efficacité est également affectée par les problèmes de qualité, de travaux non réalisés et de surestimation des fiches (particulièrement dans le secteur résidentiel). Pour toutes ces raisons, déterminées par les enquêtes et les visites terrain sur les fiches prépondérantes, on estime ainsi qu'à 100 MWhc comptabilisés par le dispositif correspond une économie réelle de 59 MWhc. »

Le rapport de l'Ademe décompose le « manque à gagner » de 41 % de la manière suivante : 23 % en raison de la surestimation du volume forfaitaire d'économies d'énergies prévu par les fiches standardisées ; - 14 % en raison des bonifications et des programmes qui n'entraînent pas d'économie d'énergie ; - 2 % en raison des travaux non réalisés ; - 2 % en raison de la qualité insatisfaisante des travaux. Par ailleurs, l'effet rebond n'est pas intégré à ce décompte, que l'enquête estime concerner un ménage sur 10, ni l'effet d'aubaine, que le rapport chiffre à 12 % en ce qui concerne l'effet d'aubaine certain et à 20 % l'effet d'aubaine « incertain » ou « possible ».

Mesure de l'efficacité réelle du dispositif des CEE sur une base 100

Source : Ademe345(*)

Le rapport du Sénat conclut ainsi : « À partir de cette étude [de l'Ademe], on peut approximer les gains d'énergie réels à environ la moitié de ce qui est présenté dans le rapport de l'Onre c'est à 3,1 TWh en 2020 ».

Par ailleurs, le coût du CEE facturé aux obligés est variable, car il correspond à la loi de l'offre et de la demande. Les « délégataires », qui gèrent les travaux, revendent leurs CEE aux « obligés » qui sont tenus de remplir leurs quotas. Par exemple, le mégawattheure d'économie d'énergie était facturé en 2020 entre 8 ou 9 euros, contre 4,70 euros en 2017. Les obligés répercutent ces coûts dans leurs tarifs qui sont supportés par les ménages. Selon l'Ademe, ce coût s'élève à environ 100 à 150 euros par foyer, soit 3 % à 4 % de leur facture annuelle d'énergie.

Le système alimente sa propre inflation, selon l'établissement public : « Une même économie d'énergie générée par le dispositif revient, en 2019, près de 50 % plus cher à réaliser que deux ans auparavant, pointe-t-elle dans son bilan 2019. Il apparaît qu'une partie de la valeur [des CEE] est directement captée par les professionnels de la filière, notamment les délégataires. »

De plus, les CEE génèrent des effets d'aubaine car ils ne prennent pas en compte les besoins en financement des opérations soutenues et le prix d'un CEE est le même quelle que soit l'opération. Des opérations très fructueuses ne sont pas financées car l'effet de levier est faible, alors que des opérations à peu d'impact peuvent être couvertes par un financement presque intégral.

Enfin, ils ne sont pas mis en cohérence avec la planification écologique, car ils se fondent sur des fiches proposées par des acteurs privés ou des opérations spécifiques, suivant une logique de marché.

En dépit des incertitudes relatives à l'impact des CEE, la commission d'enquête estime que, sur son principe, ce dispositif est vertueux. Il est à la main des autorités nationales sans pour autant reposer sur les crédits de l'État. Il mériterait un meilleur contrôle.

C. UN SCÉNARIO QUI NÉCESSITE D'ENCOURAGER VIVEMENT LE RYTHME DE DÉPLOIEMENT DES ÉQUIPEMENTS BAS CARBONE, NOTAMMENT DANS L'INDUSTRIE, LES TRANSPORTS ET CERTAINS DOMAINES CLÉS

En dépit des gains en termes d'efficacité et de sobriété, la hausse de la demande électrique est attendue dans plusieurs secteurs clés. Elle est même souhaitable en tant que condition de réussite des stratégies de décarbonation.

Il convient d'écarter tout d'abord une évidence qui sera traitée ultérieurement dans le rapport : le prix auquel les acteurs peuvent se fournir en électricité sera évidemment un facteur essentiel dans les décisions d'électrification des usages. Dans cette composante prix, le prix du carbone joue un rôle important pour compenser l'écart qu'il peut y avoir avec le prix de l'électricité, aujourd'hui bien souvent supérieur à ces alternatives fossiles.

Il apparait à la commission d'enquête que les secteurs ou la hausse de la demande électrique est stratégique sont les transports, l'industrie, le bâtiment et le numérique. La commission a également porté son attention sur un sujet complémentaire : les besoins potentiels en hydrogène décarboné. Sans pouvoir analyser tous les secteurs de manière exhaustive, elle souhaite porter une attention particulière sur l'électrification du parc de véhicules,

1. Accélérer l'électrification du parc de véhicules et développer des réseaux de recharge est indispensable
a) L'électrification du secteur des transports est stratégique

Le secteur des transports représente environ 30 % des émissions françaises de COet une consommation énergétique finale de près de 500 TWh, dont 13 TWh environ d'électricité (essentiellement le ferroviaire). Il s'agit donc d'un secteur hautement stratégique : il est à la fois le plus émetteur de COet le moins électrifié. Les transports sont le seul secteur à avoir vu ses émissions progresser de façon continue (de 11 % depuis 1990). Cependant depuis ces quinze dernières années, les gains en efficacité ont plutôt compensé l'augmentation du trafic. Enfin, plus de la moitié des émissions de COest due aux véhicules individuels.

Le graphique suivant permet de visualiser que l'enjeu principal de substitution des énergies fossiles en France se trouve dans le secteur des transports encore très peu consommateur d'électricité.

Consommation électrique et énergétique par grand secteurs (en milliards d'euros)

Source : SDES, Bilan énergétique de la France 2023

Aussi, l'essentiel du chemin reste à parcourir ce qui explique la priorité partagée en Europe sur les politiques publiques visant ce secteur. Le graphique ci-dessous illustre la révolution qui se prépare.

Consommation d'électricité des transports dans la trajectoire « A - référence » de RTE

Source : RTE346(*)

b) L'électrification représente la principale voie de décarbonation du secteur des transports

L'électrification des usages a plusieurs vecteurs : report modal vers les transports en commun ou la mobilité douce, développement du covoiturage et sobriété, mais surtout développement de véhicules plus propres : électriques, hybrides rechargeables, véhicules à hydrogène, véhicules au gaz naturel, etc.

Le fort développement de la vente de véhicules électriques fait de ces derniers la principale solution envisagée pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du transport routier.

Pour les véhicules lourds, l'électrification via des batteries semble désormais privilégiée face aux alternatives décarbonées ou la solution hydrogène. Il convient néanmoins de développer les études relatives à l'hydrogène natif (hydrogène blanc). Elle permet également de maintenir une utilisation de la biomasse pour d'autres usages que celle des biodiesels ou bioGNV. À titre d'exemple, la trajectoire « A - référence » de RTE compte 23 % de camions électriques et 3 % de camions à hydrogène, 41 % d'autobus électriques et 13 % d'autocars électriques dans le parc français à l'horizon 2035, chiffres de référence des Futurs énergétiques 2050. Le Bilan prévisionnel 2023 entérine le rehaussement des perspectives d'électrification des véhicules lourds (bus, camions) du fait des nouvelles exigences européennes quant aux émissions de ce type de véhicules.

Le transport ferroviaire, déjà électrifié, devrait progresser grâce aux annonces de RER métropolitains au niveau local et des objectifs ambitieux de progression notamment liés au report modal (fret, passager).

Comme mentionné antérieurement, la réglementation relative au transport maritime et aérien est postérieure à la publication des Futurs énergétiques 2050 et n'a donc pas été prise en compte à ce moment-là.

L'électrification du secteur des transports sera vraisemblablement progressive avec une concentration sur les véhicules légers et véhicules plus lourds circulant en zone urbaine dans la décennie 2020 puis une électrification plus massive au cours de la décennie 2030.

Toutes modalités de transport comprises, dans les Futurs énergétiques 2050, la consommation du secteur avoisinerait les 125 TWh en 2050 dans la trajectoire de référence réhaussée de la variante « électrification plus », contre un peu moins de 13 TWh en 2019. Il est donc légitime de penser que la nouvelle réglementation sur le transports maritimes entrainera une révision à la hausse de ce chiffre.

c) La tendance actuelle en termes de vente de véhicules électriques correspond aux objectifs espérés

L'électrification du secteur progresse et les prévisions de ces dernières années ont été régulièrement revues à la hausse. À titre d'exemple, une étude intitulée Enjeux du développement de l'électromobilité pour le système électrique347(*) publiée par RTE en collaboration avec Avere-France, en mai 2019, proposait plusieurs scénarios. Les projections médianes et fortes prévoyaient entre 11,7 et 15,6 millions de véhicules électriques légers en 2035 en intégrant les véhicules hybride rechargeable (VHR).

Interrogé, Avere-France estime que la dynamique actuelle est plus proche du scénario haut que du scénario central. D'autres acteurs, comme l'Ademe ou Enedis font des prévisions encore plus élevées (voir supra).

En effet, le baromètre des immatriculations de véhicules électriques et hybrides rechargeables de février 2024 produit par Avere-France précise : « ces données continuent de témoigner d'une tendance durable qui devrait être renforcée avec la commercialisation en 2024 de nouveaux véhicules développant les offres du segment B à moins de 25.000€, et aussi les offres des segments C/C-SUV avec des autonomies/rapidité de recharge supérieurs à 500km/130 kW ».

Évolution des ventes de véhicules hybrides et électriques en France

Source : RTE348(*)

Les véhicules hybrides rechargeables (VHR) représentent aujourd'hui de l'ordre 9 % des parts de ventes annuelles dans les véhicules neufs.

Des évolutions réglementaires laissent présager une érosion progressive de la part des VHR dans la vente de véhicules neufs à moyen terme. En particulier, le règlement européen349(*) entré en vigueur au mois d'avril 2023 qui fixe l'objectif de zéro émission pour les véhicules légers neufs en 2035, interdit de fait les véhicules thermiques, mais également les véhicules hybrides rechargeables fonctionnant en partie avec des carburants fossiles. En France, les subventions à l'achat des VHR ont été revues à la baisse à deux reprises : en juillet 2022 via une baisse des aides à l'achat et en janvier 2023 avec la fin de l'éligibilité au bonus écologique.

Plusieurs études récentes, de l'Ademe350(*), de France Stratégie351(*), de l'AIE352(*), et de la Commission européenne353(*), confortent l'idée que parmi les véhicules légers, les solutions 100 % électriques vont être largement majoritaires.

Par ailleurs, l'offre de véhicules « tout électrique » s'étoffe rapidement : selon l'Agence internationale de l'énergie354(*), 150 modèles étaient disponibles à la vente en 2022, soit un triplement par rapport à 2018. La majorité des grands constructeurs automobiles indiquent désormais viser l'électrification complète de leurs gammes avant l'échéance européenne de 2035, voire pour certains d'ici 2030.

Pour autant, les débats restent vifs à la fois sur l'objectif de la pente de montée en puissance du parc de véhicules électriques et, d'autre part, sur la capacité réelle à réaliser les objectifs fixés par l'Union européenne, notamment en raison des incertitudes quant à la disponibilité à long terme des matériaux nécessaires à la fabrication des batteries.

En la matière, les aides semblent un levier important de ce marché, en dehors même du prix de l'électricité. À titre d'exemple, la Norvège a réussi à déployer une électromobilité à l'échelle nationale (voir encadré). À l'inverse, l'Allemagne a supprimé, pour des motifs budgétaires, l'aide à l'achat de véhicules électrique fin 2023, entraînant une baisse des ventes (- 15,4 % en février 2024). En France, depuis janvier 2023, le montant de la prime à la conversion est fixé à 27 % du coût d'acquisition toutes taxes comprises, augmenté le cas échéant du coût de la batterie si celle-ci est prise en location. Depuis le mi-février 2024, le bonus est plafonné à 4 000 euros pour les particuliers, majoré de 1000 euros pour les foyers fiscaux aux revenus les plus faibles.

Le très incitatif bonus écologique à l'achat d'un véhicule électrique en Norvège

La Norvège démontre que le déploiement à grande échelle de l'électromobilité est techniquement possible : la majorité des véhicules vendus355(*) sont désormais rechargeables. Le parc norvégien a plus de 250 000 véhicules électriques particuliers rechargeables, soit 10 % du stock roulant. Environ 40 % du parc norvégien devrait être électrique d'ici 2025, selon la presse spécialisée. La vente de véhicules thermiques est interdite en 2025 et celle des camions en 2030.

La mesure clé en termes d'acceptabilité pour le consommateur est la compensation financière. Les deux principales aides norvégiennes à l'achat sont les exonérations de la TVA de 25 % (soit un rabais de près de 5 500 €356(*) pour une e-Golf) et de la taxe sur l'immatriculation qui est basée sur la masse du véhicule et ses émissions CO2-NOx (6 300 €). Ces deux aides cumulées (11 800 € pour la e-Golf) sont ainsi bien plus élevées que le « bonus » de 7 000 € accordé en France. Elles permettent au modèle électrique d'être moins cher que la version fossile (8000 € de moins pour la e-Golf).

En complément, le législateur impose aux communes et régions de proposer une réduction d'au moins 50 % du coût des péages routiers, des parkings et du transport par ferries pour les véhicules électriques. Certaines communes leur donnent également accès aux files de circulation réservées initialement aux bus et aux taxis. Le gouvernement a lancé un programme pour équiper toutes les routes nationales d'au moins deux bornes de recharge rapide tous les 50 km.

Le coût de ces aides représente une dépense publique d'1,4 Md€/an357(*) financée indirectement grâce à l'exploitation de pétrole en mer du Nord.

Source : Direction générale du Trésor, ministère de l'économie et des finances

Les développements de la mobilité électrique conduisent à avoir une vigilance sur deux sujets : le déploiement du réseau des bornes de recharge et le pilotage de la recharge des batteries.

d) Le réseau de bornes de recharges doit suivre le mouvement

Comme le notait Marianne Laigneau, présidente du directoire d'Enedis entendue par la commission d'enquête : « aujourd'hui, 1,6 million de véhicules électriques et hybrides sont en circulation en France. Selon les prévisions de l'Ademe et d'Enedis, nous devrions passer à 8 millions en 2030 et 17 millions en 2035. Il faut donc raccorder des ouvrages de recharge de ces véhicules sur la voie publique, les autoroutes, les parkings des grandes surfaces, les ombrières, etc. Il existe aujourd'hui 1,7 million de points de charge ouverts sur la voie publique. La recharge des véhicules électriques s'effectuant à 90 % à domicile, il faudra raccorder les maisons individuelles, mais aussi les parkings des immeubles collectifs, un exercice plus complexe impliquant l'assemblée générale des copropriétaires, pour permettre un véritable accès à la mobilité électrique. »358(*)

L'enjeu de la recharge est essentiel pour l'expérience utilisateur, notamment en ce qui concerne le réseau de bornes de recharge accessibles au public.

L'objectif de 100 000 points de recharge accessibles au public déployés sur le territoire national, prévu pour 2020, n'a été atteint qu'en mai 2023. Le schéma si dessous montre que cet objectif de points accessibles au public n'est qu'une petite partie de l'ensemble des points de recharge.

Évolution du nombre de points de charge en France

Source : Avere et Enedis359(*)

Le nouvel objectif fixé par l'État de points de recharge accessibles au public est de 400 000 points en 2035.

Ce besoin est en phase avec les modélisations réalisées par l'étude d'Avere-France intitulée Hit the Road360(*) qui présente un besoin compris entre 300 000 et 400 000 points de charge à horizon 2035. Il ne s'agit pas d'atteindre une répartition homogène des bornes sur toute la France, mais de répondre aux besoins spécifiques de chaque territoire, en fonction du parc de véhicules électriques, des usages et des distances parcourues ou encore de la disponibilité de la recharge à domicile.

Si une récente accélération du déploiement a récemment été constatée, « les retards accumulés mettent en péril l'objectif de 400 000 points de recharge disponibles en 2035 » selon l'UFC-Que-Choisir361(*). En effet, différentes projections établies par cet organisme362(*) évaluent que 60 000 à 150 000 bornes pourraient venir à manquer.

Par ailleurs, la disponibilité des bornes reste une difficulté. Selon cet organisme « 26 % des points de recharge ne fonctionne pas en permanence et cette part monte à 39 % dans le cas de la recharge rapide ».

Enfin, l'absence d'une stratégie globale d'implantation sur le territoire peut conduire à des concurrences territoriales ou à l'inverse l'existence de « zones blanches » de la recharge publique. Si la loi encourage à la réalisation de schémas directeurs pour les infrastructures de recharge pour véhicules électriques, ces schémas ne sont ni obligatoires, ni toujours construits à la bonne échelle.

Schéma Directeur pour les Infrastructures de Recharge pour Véhicules Électriques (SDIRVE)

La loi d'Orientation des Mobilités (LOM) a conféré aux collectivités territoriales la possibilité de réaliser des Schéma Directeur pour les Infrastructures de Recharge pour Véhicules Électriques (SDIRVE). Ce document stratégique vise à planifier, organiser et structurer l'offre de recharge pour véhicules électriques et hybrides rechargeables ouverte au public.

Il s'agit d'un dispositif facultatif qui donne à la collectivité un rôle de « chef d'orchestre » du développement de l'offre de recharge sur son territoire, pour aboutir à une offre coordonnée entre les maîtres d'ouvrage publics et privés, cohérente avec les politiques locales de mobilité et adaptée aux besoins.

Les collectivités peuvent transférer cette compétence (2ème alinéa de l'article L.2224-37 du CGCT) à d'autres entités telles que les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ou les autorités organisatrices de la distribution d'électricité (AODE), notamment les syndicats d'énergie ou encore les autorités organisatrices de la mobilité (AOM). Il est également possible de réaliser un unique SDIRVE commun entre plusieurs entités titulaires de la compétence IRVE, à condition que leurs territoires soient adjacents (article R.353-5-7 du Code de l'énergie).

Source : Commission d'enquête

La question de l'intermodalité et du prix d'accès de l'électricité à la borne de recharge se pose. Le consommateur qui recharge son véhicule électrique sur une borne accessible au public doit disposer d'une carte de recharge vendue par un opérateur de mobilité et permettant l'accès à l'ensemble des réseaux de bornes de recharge. Comme le souligne l'UFC-Que-Choisir « la multiplicité des acteurs et l'absence de règles assurant aux consommateurs la possibilité de comparer les prix laissent libre cours à toutes les aberrations tarifaires ...). Par exemple, en ville, le kWh peut revenir entre 0,24 et 2,25 € selon l'opérateur, soit un écart de 830 % »363(*).

Les bornes de recharge sur les autoroutes

L'une des recommandations du rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières de septembre 2020, dont le rapporteur était Vincent Delahaye, était d'accélérer le déploiement de bornes de recharge électriques sur les aires d'autoroutes pour accompagner le développement des mobilités propres.

L'annexe 3 fait un point sur ce déploiement. Malgré une accélération manifeste ces dernières années, il risque d'être insuffisant pour répondre à une demande croissante. Plusieurs mesures sont susceptibles de lui donner un nouvel élan.

Deux sujets de vigilance sont détaillés. Le premier concerne la disponibilité des bornes et le temps de charge pour les utilisateurs, notamment les jours de grande circulation. Le second porte sur le prix payé par l'usager des autoroutes qui est un client captif.

Source : commission d'enquête

e) Le pilotage de la recharge des batteries des véhicules électriques doit être facilité

Le système électrique doit être en capacité d'absorber le développement de ce nouvel usage et gérer l'adéquation entre production et consommation, notamment pendant les heures pleines. RTE, dans son dernier bilan prévisionnel, considère que l'électrification ne poserait pas de problèmes majeurs sur le réseau électrique à condition que la recharge soit pilotée.

Sans ce pilotage, la puissance appelée par les véhicules électriques à la pointe pourrait se traduire par une sollicitation de moyens de production de pointe avec pour conséquence des prix plus élevés et une augmentation des émissions de CO2. Les marges du système électrique seront réduites face à une puissance appelée à la pointe de l'ordre de 700 MW pour 1 million de véhicules électriques.

Tous les scénarios RTE accordent une place significative au pilotage de la recharge pour 2050. Entre 45 % et 68 % des électromobilistes devront recourir aux différents modes de pilotage unidirectionnel de la recharge (pilotage statique et dynamique) et entre 2 % et 20 % à la recharge bidirectionnelle V2X. Le pilotage de la charge présente un gisement de valeur majeur : il permet d'économiser entre 400 et 700 millions d'euros annuels à partir de 2035 et réduire les émissions de COselon Avere France.

Une recharge électrique pilotée, pour un véhicule parcourant 14 000 km par an, pourrait faire passer le coût de son fonctionnement de 420 euros sans pilotage et 1240 euros pour un véhicule thermique à environ 280 euros 364(*). En cas de flux bidirectionnels (charge et décharge) la batterie du véhicule électrique serait rechargée pendant les pics de production, notamment ceux des ENR variables, pour injecter de l'électricité dans le foyer (vehicle-to-home) ou dans le réseau (vehicle-to-grid) au moment des heures pleines. D'après RTE, ce mécanisme permettrait de réaliser 0,6 Md€ d'économie par an pour 20 / 50 % de véhicules pilotés, contre 0,2 Md€ d'économie dans une situation sans flux bidirectionnels.

Le comité de prospective de la CRE, intitulé donner du sens aux données du consommateur365(*), note qu'« afin d'utiliser pleinement les potentialités de la batterie (vehicle to something, effacement), de contribuer à l'équilibrage du réseau et d'apporter des services supplémentaires au consommateur, il est nécessaire que toutes les parties prenantes puissent avoir accès, potentiellement, c'est à dire avec l'accord des utilisateurs, à ces données. Il pourrait donc être utile que les constructeurs automobiles mettent en place un système d'accès aux données enregistrées par le véhicule (état de charge du véhicule, état de la connexion entre la prise et la borne, localisation, etc.). L'accès à ces données permettrait à des tiers, dès lors qu'il y consent, de proposer aux propriétaires de véhicules des services reposant par exemple sur l'effacement de la recharge. »366(*)

Pour faciliter ce pilotage, la commission d'enquête souhaite que soit étudiée la faculté de rendre techniquement accessibles en temps réel au profit des tiers les données collectées par les véhicules équipés de puces GSM, sous réserve du consentement des utilisateurs.

Le comité de prospective de la CRE évoquait également la nécessité d'ouvrir plus facilement les données de charge de la batterie du véhicule de façon non discriminatoire afin de permettre à son utilisateur de conjuguer ses besoins de déplacement avec les périodes les plus intéressantes pour recharger sa réserve électrique. La transparence sur la charge est nécessaire pour permettre au consommateur d'agir de façon optimale.

La commission d'enquête estime qu'il faut rendre techniquement accessible aux tiers (fournisseurs, opérateurs d'effacement) les données de charge des batteries électriques des véhicules, pour permettre l'optimisation de la consommation électrique.

Il s'agit d'une obligation qui s'appliquerait aux constructeurs de batteries pour l'automobile afin que cette mise à disposition en temps réel, à des tiers, soit techniquement possible. La remontée de ces données au gestionnaire du réseau serait automatique, sauf opposition explicite de l'automobiliste dûment informé au préalable.

Recommandation n° 12

Destinataire

Échéance

Support/Action

Rendre accessibles aux tiers (gestionnaires de réseaux, fournisseurs, opérateurs d'effacement) les données de charge des batteries des véhicules électriques afin d'optimiser leur consommation, après information préalable des usagers.

Gouvernement
(ministère chargé de l'énergie)

2024

Évolution des normes relatives aux batteries électriques

2. Accélérer l'électrification des procédés industriels par des soutiens publics

Plus encore que sur les autres secteurs, il faut rappeler que le prix de l'électricité et la visibilité dans le temps de son évolution, sont des facteurs clés pour les industriels.

a) L'électrification des procédés industriels est indispensable

Le secteur industriel représente environ 18 % des émissions françaises de CO2éq et une consommation énergétique finale de près de 320 TWh, dont 115 TWh environ d'électricité. Ces consommations sont en baisse continue depuis 25 ans, baisse qui s'est accélérée avec la crise sanitaire et la crise énergétique, signe de la désindustrialisation et d'une transformation du tissu industriel français.

Dans les Futurs énergétiques 2050, RTE projette une consommation à 192 TWh en 2050 dans la trajectoire de référence réhaussée de la variante « électrification plus ». À titre de comparaison, l'étude du cabinet Yggdrasil pour l'Uniden367(*) qui reflète le point de vue des industriels français, fait état de projections de consommation électrique de l'industrie manufacturière en 2050 de 178 TWh pour une hypothèse d'électrification « limitée » des procédés, et de 386 TWH pour une hypothèse « forte ». Dans le Bilan prévisionnel 2023, les niveaux attendus sont de 160 TWh pour le scénario A référence et 165 TWh pour le scénario A réindustrialisation, tous les deux à horizon 2035.

La décarbonation de l'industrie passe essentiellement par trois vecteurs qui sollicitent l'électricité : l'électrification des procédés industriels, le remplacement de l'utilisation de l'hydrogène fossile par de l'hydrogène bas-carbone et la production de la chaleur par des procédés électriques. Cependant, l'électrification complète du secteur n'est pas possible car certains procédés nécessiteront toujours des combustibles fossiles. L'efficacité énergétique joue également un rôle central dans la capacité de l'industrie à atteindre ses objectifs climatiques. Cette efficacité énergétique résulte de la conversion de procédés à base de combustibles fossiles vers des techniques électriques plus performantes réductrices de consommation. Elle résulte également d'actions d'économie d'énergie, même si ces leviers semblent avoir déjà été sollicités, voire de sobriété en fonction de l'évolution des comportements.

Une étude récente368(*) conclut que 85 % les émissions de COpeuvent être réduites dans la plupart des secteurs industriels grâce à des technologies déjà existantes à maturité moyenne et élevée. Autrement dit, sans pari technologique majeur, les solutions actuelles permettent de décarboner, même si elles impliquent des coûts d'investissements et d'exploitation non négligeables et un coût énergétique supplémentaire. Par exemple, les coûts de production de l'acier pourraient augmenter de 15 %.

b) Cette mutation nécessite des investissements très lourds appelant l'État à jouer un rôle d'animateur et de financeur

Les projets d'électrification, touchant souvent au coeur du procédé de production, nécessitent des investissements très importants, qui ne sont pas directement productifs, en ce sens qu'ils ne consistent pas à augmenter la capacité de production ou à réduire les coûts de production. Les industriels sont donc en attente de soutien public dans de tels projets. Sans ce soutien, un tel investissement pourrait se faire au détriment de leurs investissements productifs nécessaires chaque année pour faire face à leurs concurrents.

L'Uniden déclarait à ce sujet en réponse à la commission d'enquête « les industriels n'ont en général pas la capacité d'investir seuls et sans soutien dans de tels projets. Et, même s'ils en avaient les moyens, ce serait au détriment de leurs investissements productifs nécessaires chaque année pour faire face à leurs concurrents qui eux ne doivent pas investir dans la transition énergétique. »369(*)

L'État a lancé successivement deux grands plans d'investissements d'avenir. Le plan France Relance, engagé en septembre 2020, a été doté de 100 Md€ dont 30 Mds d'€ destinés au financement de la transition écologique notamment via des aides à la décarbonation de l'industrie (1,2 Mds). Le Plan France 2030 lancé en octobre 2021, doté de 54 Md€ sur 5 ans, dont 8 Md€ pour le secteur de l'énergie contenant 5,6 milliards pour la décarbonation de notre industrie. L'action de l'État se concrétise par des aides directes au déploiement de solutions de décarbonation des sites industriels notamment sur les sites les plus émetteurs. Le plan France 2030 doit permettre de tenir l'engagement de la France de réduire de 35 % les émissions de l'industrie d'ici à 2030 (objectifs de la Stratégie Nationale Bas Carbone).

Afin de stimuler les acteurs à accélérer leur transition, au-delà des aides financières, l'État joue un rôle d'impulsion et de pilotage de ces dynamiques conduisant à une augmentation de la demande électrique, à travers l'outil des feuilles de route de décarbonation.

Fixer un cap collectif : l'enjeu des feuilles de route de décarbonation

En septembre 2020, le plan gouvernemental France Relance a initié le principe de feuilles de route de décarbonation pour l'industrie. L'objectif était de décliner les objectifs de baisse des émissions de GES posés par la SNBC2 pour l'industrie (-35 % entre 2015 et 2030) dans une feuille de route spécifique par filières entre 2021 et 2022.

En août 2021, la loi « climat et résilience » prévoit à son article 301, un élargissement de cet outil à d'autres secteurs visant la neutralité carbone pour 2050. La feuille de route est une démarche prospective et indicative (analyse du champ des possibles, des solutions crédibles et soutenables).

En novembre 2022, le ministère en charge de l'industrie a demandé aux 50 sites les plus émetteurs de gaz à effet de serre de France d'élaborer leurs propres feuilles de route de décarbonation et d'accélérer leurs projets, en contrepartie d'une enveloppe d'aide publique accrue dans le cadre du plan d'investissement d'avenir (PIA) France 2030.

Courant 2023, les différentes propositions de feuilles de route de décarbonation des filières sont adressées aux pouvoirs publics pour alimenter les chantiers de la planification écologique. Le Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) conduit un travail d'alignement de ces propositions avec les orientations de la planification écologique nationale et territoriale en cours.

Source : Commission d'enquête

c) Des effets d'annonce qu'il faut concrétiser par une budgétisation rapide

La commission d'enquête s'est intéressée à l'engagement des crédits mentionnés par ces plans. Le tableau ci-dessous couvre les engagements de France relance (1,2Mds €), et de France 2030 (2,3Mds€ en 2023 ; les montants restants 3,3Mds€ seront engagés en 2025 et 2026).

Synthèse des engagements financiers pour la décarbonation de l'industrie à date

 

2020

2021

2022

2023

2024
Estimation

France Relance
Fonds décarbonation industrie

199 M€

536 M€

467,5 M €

5 M €

0 €

France 2030
Acier, chimie, ciment verts

0€

0 €

0 €

1,1 Mds€

Env. 1 Md €

France 2030
Stratégie d'accélération

0 €

0 €

0 €

138 M €

Total

199 M €

536 M €

467,5 M€

1, 28 Md€

Env. 1 Md €

Source : DGEC, réponse aux questionnaires de la commission d'enquête

Dans un rapport récent370(*), le Sénat a montré qu'une partie des aides à la décarbonation de l'industrie du plan France 2030 a servi à compenser la réduction des crédits budgétaires du ministère chargé de l'écologie. En effet, « le Gouvernement a, dans le cadre d'un exercice de reprogrammation du plan France 2030 décidé en octobre 2023 qu'il n'a pas rendu public, réduit d'un milliard d'euros l'enveloppe dédiée à la décarbonation de l'industrie du plan France 2030. » Les rapporteurs ont relevé que « l'absence de publicité et de communication au Parlement autour de cette reprogrammation nuit à la crédibilité de l'engagement public en faveur de la décarbonation de l'industrie et à la visibilité des industriels sur le soutien public aux investissements de décarbonation. »371(*)

La commission d'enquête a relevé que dans un discours prononcé le 8 novembre 2022 face aux dirigeants des 50 sites industriels qui émettent le plus de gaz à effet de serre en France, le président de la République a annoncé « nous doublerons les moyens consacrés à cet enjeu (la décarbonation) et passerons l'enveloppe de 5 à 10 milliards d'euros d'accompagnement public. Parce qu'on a des effets de levier qui sont massifs sur ces projets de décarbonation. »372(*)

Autrement dit, les 5 milliards prévus pour soutenir cette décarbonation, qui devaient se voir abondés par une nouvelle enveloppe de 5 milliards conformément aux engagements du président de la République, sont finalement revus à la baisse à seulement 4 milliards.

Aides au déploiement des solutions de décarbonation de l'industrie
du plan France 2030
(en milliards d'euros)

Source : commission des finances373(*)

Le Gouvernement ne peut se contenter d'effets d'annonce en matière de décarbonation. La commission d'enquête plaide pour que l'enveloppe complémentaire de 5 milliards annoncée soit budgétée le plus rapidement possible afin d'accélérer la décarbonation des 50 sites les plus émetteurs.

Le rapporteur constate que l'État a créé une attente qu'il ne faut pas décevoir. Les contrats de transition écologique ont tous été signés, les industriels sont prêts et les sites sont identifiés. Les projets ont désormais besoin de visibilité dans leurs cofinancements pour qu'ils se traduisent par le déclenchement des investissements des industriels.

d) Un renforcement vital du réseau à très haute tension dans les zones stratégiques

Chloé Latour, directrice chargée de la stratégie industrielle chez RTE, a indiqué à la commission d'enquête : « la réindustrialisation arrive plus vite. Nous le voyons dans les investissements dans les grandes zones industrialo-portuaires. Le Bilan prévisionnel 2023 publié en septembre dernier tend à ramener vers la période 2025-2035 une partie des investissements qui étaient prévus dans les Futurs énergétiques 2050 dans la période 2035-2050. C'est le cas pour la production d'électricité et la consommation d'électricité, ainsi que pour les réseaux. Nous le voyons très concrètement dans notre trajectoire d'investissement avec les projets qui démarrent pour la décarbonation »374(*).

Cette électrification des procédés industriels nécessite un renforcement rapide du réseau à très haute tension, notamment dans une dizaine de grandes zones industrielles.

À la demande de la commission d'enquête, RTE a précisé par écrit que « depuis près de deux ans, les demandes de raccordement de nouvelles installations industrielles de forte puissance au réseau public de transport se sont succédées à un rythme inédit depuis les Trente Glorieuses. Il peut s'agir de projets de décarbonation d'industrie existante, de nouvelles implantations industrielles liées à l'industrie verte ou de projets de production d'hydrogène à des fins diverses (décarbonation industrielle, fabrication de e-fuels, etc.). »

Plus précisément, RTE évoquait depuis deux ans « environ 200 demandes émanant de consommateurs industriels et 85 de datacenters contre une cinquantaine de demandes réceptionnées entre 2018 et 2020 pour les consommateurs industriels et une trentaine pour les datacenters. Au-delà du nombre de demandes, la puissance moyenne de ces dernières a triplé sur la période triennale 2021 - 2023 par rapport à la période 2018 - 2020 (de 50 à 150 MW environ par demande) ».375(*)

Répartition géographique des industries les plus émettrices de cO2 en France et impact sur les besoins en électricité sur les zones de Dunkerque, Fos-sur-Mer et Le Havre

Source : RTE376(*)

La commission d'enquête est entrée dans le détail des projets à réaliser dans ces grandes zones.

Consistance des projets à réaliser dans les premières grandes zones industrielles

Zone

Consistance générale

Capacité d'accueil créée

Dunkerque

Un poste et 20 km de lignes aériennes à 400 kV

5 000 MW

Fos-sur-Mer

et région Provence-Alpes

-Côte d'Azur

Plusieurs postes et 80 à 100 km de lignes aériennes à 400 kV

2 500 à 3 500 MW

(le cas échéant, avec limitations)

Le Havre

Un poste et 20 à 30 km de lignes aériennes à 400 kV + 2 lignes souterraines à 225 kV

1 500 MW

Région lyonnaise

Un poste et 20 à 30 km de lignes souterraines à 225 kV

500 MW

Saint-Avold

Travaux dans ou à proximité de postes à 400 kV et 225 kV

1 400 MW

Total

 

11 000 à 12 000 MW

Source : RTE, réponse aux questionnaires de la Commission d'enquête

Au-delà de ces grandes zones industrielles, RTE a prévu contractuellement des « droits d'accès au réseau », à la fin du premier trimestre 2024, pour 17,4 GW de puissance de consommation supplémentaire avec des consommateurs industriels et des data centers. Les demandes d'études exploratoires, qui n'engagent pas les acteurs, sont à hauteur de 21 GW d'ici 2027.

La réalisation de ces infrastructures prendra plusieurs années. L'augmentation de capacité se fait souvent par paliers successifs : un premier palier de capacité immédiatement disponible, un second palier accessible à 3-4 ans mais limité en volume, et un troisième palier qui multiplie par 2 à 4 la puissance des installations industrielles raccordées au réseau public de transport, mais à l'horizon 2028-2030 et qui repose sur la construction de nouvelles infrastructures.

Il y a cependant un enjeu de rapidité pour tenir le premier palier. Chloé Latour a relevé au sujet des « des infrastructures de réseau 400 kilovolts déjà planifiées dans les zones de Dunkerque, Fos-sur-Mer, Le Havre » que leur tracé précis est en cours de concertation et qu'elles doivent être mises en service entre 2028 et 2030. « Nous sommes engagés dans une véritable course contre la montre pour ce premier réseau 400 kilovolts que nous redéveloppons pour être au rendez-vous de la réindustrialisation du pays. » concluait-elle.

Par écrit, RTE a précisé que « pour renforcer les principales zones avant 2030 comme il s'y est engagé, RTE devra réussir à diviser par deux le temps de mise en service de grands ouvrages à très haute tension (postes et lignes) par rapport à la décennie précédente, ce qui implique des solutions aériennes pour les nouvelles lignes THT et l'utilisation de simplifications dans les procédures d'autorisation. »

Diverses dispositions législatives contenues dans la loi d'accélération des énergies renouvelables, prévoient des mesures concrètes pour accélérer et favoriser ces raccordements.

e) L'impératif de ne pas retarder l'électrification des industries

La commission d'enquête a poursuivi ces investigations auprès de la DGEC afin d'évaluer les besoins377(*) complémentaires en électricité de ces 50 sites.

Environ le tiers des projets est à horizon 2035, ce qui implique de réaliser les investissements dans la période actuelle plutôt que de les reporter. Ce sont les investissements d'aujourd'hui qui conduiront à la hausse de la demande électrique demain.

Consommation additionnelle estimée par rapport à 2022 des 50 sites industriels les plus émetteurs

Année

En TWh

2030

14,7

2035

26,1

2040

36,6

2050

47,7

Source : DGC, réponse aux questionnaires de la Commission d'enquête

La commission d'enquête rappelle qu'il est absolument nécessaire que les ouvrages électriques projetés disposent d'autorisations administratives d'ici la fin de l'année 2025, afin de pouvoir mettre en service ces ouvrages entre 2027 et 2029.

3. Obtenir des rénovations énergétiques bâtimentaires plus performantes et renforcer l'utilisation de solutions de chauffage bas carbone implique des dispositifs de soutien renforcés
a) L'électrification du secteur des bâtiments est stratégique

Le secteur du bâtiment représente environ 20 % des émissions nationales et une consommation énergétique finale autour de 1 800 TWh soit 40 % de la consommation annuelle d'énergie finale en France378(*).

Au sein des consommations mesurées dans le secteur du bâtiment, environ 60 % est consacrée au chauffage qui constitue donc un quart de la consommation totale d'énergie finale en France. Dans notre pays, le chauffage reste un usage dominé par les combustibles fossiles, qui alimentent 52 % des besoins avec 3,4 millions de logements chauffés au fioul, et plus de 12 millions au gaz379(*).

À horizon 2050, la SNBC projette ainsi que la part de l'électricité dans la consommation d'énergie de chauffage atteindrait 28 % de la consommation en énergie finale de chauffage contre environ 15 % aujourd'hui. Dans ce scénario, les modes de chauffage dominants en 2050 seraient les réseaux de chaleur, la biomasse et les pompes à chaleur.

S'il existe une marge importante d'électrification des usages, cela ne signifie pas pour autant que la consommation électrique va augmenter. Dans les scénarios de la famille A de RTE les évolutions de consommation électrique attendues sont globalement modérées. Le développement du chauffage électrique ne devrait pas entraîner d'impact significatif sur la consommation d'électricité à l'horizon 2035, sous réserve de voir se vérifier les efforts de rénovation thermique des bâtiments, l'amélioration du rendement des solutions de chauffage, via des pompes à chaleur par exemple, et le transfert des systèmes actuels de chauffage utilisant des énergies fossiles vers des solutions bas carbone, dont l'électricité.

Puisque nous avons déjà évoqué les questions de sobriété, deux points d'attention sont à préciser : l'amélioration de la performance des logements et la pénétration de moyens de chauffage bas carbone.

b) Les projections reposent sur une massification d'une rénovation énergétique à l'efficacité renouvelée

Avec un taux de renouvellement du parc de bâtiments de l'ordre de 1 % par an, l'amélioration de la performance du parc existant constitue l'enjeu essentiel du secteur. La répartition de ce parc en termes de performance énergétique, illustrée ci-dessous, permet de cerner les marges existantes.

Parc des logements par intensité énergétique au 1er janvier 2022

Source : SDES, Bilan énergétique de la France 2021

Selon le dernier rapport de Onre, le nombre de passoires énergétiques est en baisse significative. Les logements qui possédaient l'étiquette F ou G du DPE, sont passés de 4,8 millions de logements, soit 15,7 % du parc, au 1er janvier 2023, contre 5,1 millions et 17,1 % du parc l'année précédente380(*).

Cet enjeu se décline en deux directions : accélérer le rythme de rénovation, qui semble à ce stade plus un pari qu'une réalité, et obtenir des rénovations performantes, alors que leur efficacité fait toujours débat.

(1) Accélérer le rythme de rénovation semble, à ce stade, plus un pari qu'une réalité,

La SNBC2 relevait que le rythme actuel de 0,2 % de logements bénéficiant d'une rénovation énergétique par an doit fortement s'accélérer pour atteindre 1,9 % par an d'ici 2030.

Il s'agit de passer, dans le secteur du résidentiel, à 500 000 logements rénovés10 en moyenne par an d'ici à 2030 puis 700 000 rénovations complètes équivalentes en moyenne sur la période 2030-2050.

La trajectoire retenue par RTE dans le Bilan prévisionnel 2023, déjà très ambitieuse, est un rythme de 380 000 logements rénovés 381(*)en moyenne par an jusqu'à 2035. Cette trajectoire devrait permettre de baisser la consommation électrique liée au chauffage des bâtiments résidentiels et tertiaires de l'ordre de 20 TWh en 2035.

Or le rythme actuel observé est de l'ordre de 60 000 rénovations réellement performantes et d'autres rénovations de performance moindre équivalentes à 170 000 rénovations performantes, soit un total de 230 000 rénovations performantes.

La capacité à atteindre le rythme visé fait débat puisque les décisions relèvent des propriétaires, copropriétaires voire locataires. D'autres acteurs, comme vu dans les scénarios de projection de la demande d'électricité, retiennent des hypothèses plus prudentes. La massification d'une rénovation efficace des logements est un facteur d'incertitude majeur sur cette trajectoire. Règlementation et aides publiques jouent un rôle majeur.

(2) Obtenir des rénovations performantes, alors que leur efficacité fait toujours débat

L'efficacité de la rénovation énergétique, toujours questionnée, semble s'améliorer. La Cour des comptes estime que « la notion même de rénovation énergétique reste imprécise, y compris après l'adoption de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ». En effet, la rénovation énergétique peut recouvrir différentes formes d'intervention, dépend de la configuration architecturale des lieux et les besoins énergétiques spécifiques du maître d'ouvrage et est globalement un marché marqué par l'asymétrie de l'information382(*).

Aussi, mesurer l'efficacité de la rénovation énergétique est une opération difficile qui nécessite un suivi dans le temps et l'analyse de données sur les travaux réalisés et les résultats obtenus.

Dans son rapport d'activité383(*), l'Onre précise par exemple que « l'estimation des économies d'énergie associées aux rénovations se fonde sur des calculs de gains énergétiques conventionnels, à partir des types de gestes réalisés » sauf pour certains dispositifs ou la différence entre consommation avant et après travaux peut être réalisée. L'appréciation de la politique d'aides se fonde également plus volontiers sur les moyens déployés que sur les résultats. Par ailleurs, le gain énergétique visé est décorrélé de la performance initiale du bâtiment et, à l'achèvement des travaux, un nouveau DPE est rarement réalisé, ce qui complique le suivi de l'évolution de la performance du parc.

Par ailleurs, plusieurs études mettent en évidence un écart de performance entre l'attendu et le réalisé qui s'explique par trois facteurs384(*) :

- l'effet « rebond », qui conduit les utilisateurs à prélever une partie des gains d'efficacité énergétique pour accroître leur niveau de confort ;

- un effet dit « pré-bond », ensuite, qui tend à systématiquement surestimer les consommations énergétiques avant travaux, amplifiant artificiellement les économies d'énergie modélisées. En France, cet écueil porte en particulier sur les ménages en situation de précarité énergétique, dont les comportements de restriction de chauffage sont mal pris en compte ;

- un effet lié aux écarts entre les effets attendus théoriquement en termes d'économies d'énergie et la réalité constatée à l'issue des travaux.

L'Onre relève qu'« à ce jour, la seule étude qui quantifie les trois effets dans un cadre unifié - un programme de rénovation conduit entre 2009 et 2016 sur 9 800 logements dans l'Illinois - conclut à une contribution au performance gap de 6 % pour l'effet rebond, 41 % pour les erreurs de modélisation des consommations et 43 % pour les défauts de qualité »385(*).

En France, plusieurs études se sont penchées sur cette efficacité.

Une étude386(*) de l'Ademe de 2018, relative à des travaux de rénovation énergétique réalisés entre 2014 et 2016 en maison individuelle, montre des résultats décevants. Sur cette période, 5 millions de propriétaires de maisons individuelles ont réalisé des travaux ce qui représente 32 % du parc d'habitat individuel. Cependant, le gain d'efficacité énergétique se révèle minime, avec seulement 25 % des rénovations qui ont permis de gagner au moins une classe de DPE et seules 5 % ont eu un impact énergétique très important avec un gain de 2 classes énergétiques sur le DPE, ou plus. Autrement dit, 75 % des logements resteraient, après travaux, dans la même classe énergétique, loin de l'objectif d'un parc 100 % rénové au niveau bâtiment basse consommation (BBC ) visé pour 2050.

Au-delà, des résultats réglementaires lié au classement DPE, l'étude Quel est l'impact des travaux de rénovation énergétique des logements sur la consommation d'énergie ?387(*) réalisée par Gaël Blaise et Matthieu Glachant indique que pour 1000 euros investi dans la rénovation énergétique la facture énergétique annuelle ne diminuerait que d'environ 8,39 €.

Cette faible efficacité semble se confirmer dans la comparaison entre les économies d'énergies revendiquées et l'évolution de la consommation d'énergie réelle du secteur résidentiel. En effet, le secteur résidentiel ne connait pas de baisse notable de consommation énergétique ces dernières années.

Résidentiel : 492 TWh en 2022 (donnée corrigée des variation climatiques en TWh)

Source : SDES, Bilan énergétique de la France

L'enquête sur les travaux de rénovation énergétique dans les maisons individuelles (Tremi) 2020 et le rapport de l'Onre qui a suivi en mars 2022 semble présenter des résultats légèrement améliorés. Sur 3,1 millions de maisons individuelles ayant fait l'objet d'une rénovation « potentiellement » énergétique en 2019, 2,3 millions ont effectivement conduit à une réduction de la consommation d'énergie finale conventionnelle. Les rénovations énergétiques réduisent de manière significative la consommation d'énergie conventionnelle des logements. Les économies réalisées par les ménages habitants en maison individuelle étaient de 8,1 TWh/an, soit 2,5 % de la consommation conventionnelle d'énergie finale de l'ensemble du parc de maisons individuelles. Les travaux portant sur les systèmes de chauffage et/ou d'eau chaude sanitaire apparaissent globalement les plus efficaces

Enfin, dans une étude388(*) de mars 2024, l'Apur a analysé l'évolution des consommations avant et après travaux de 9000 logements sociaux rénovés au titre du Plan Climat Parisien. Elle fait ressortir l'impact déterminant du mode de chauffage sur le niveau de consommation389(*). Elle constate par ailleurs qu'après les travaux de rénovation, l'économie d'énergie annuelle moyenne est de l'ordre de 28 % en moyenne (18 % à 31 % selon les opérations, ci-dessous le détail pour les logements chauffés à l'électricité). « Par logement, cela correspond en moyenne à une consommation évitée de 2236 kWh par an, soit une économie de 200 à 450 € par an et par ménage selon l'énergie de chauffage considérée (coûts 2023) ».390(*)

Détails relatifs aux logements chauffés à l'électricité

Source : étude Apur de mars 2024391(*)

Enfin, « l'effet rebond (...) n'a pas été observé dans les opérations parisiennes. Il peut néanmoins être à l'origine de baisses modérées des consommations d'énergie observées sur certaines opérations. ».

Si cette dernière étude est encourageante, il conviendra d'observer si la professionnalisation de la filière, la capitalisation d'expérience de ces dernières décennies, la qualité d'accompagnement et le meilleur ciblage des aides permet de consolider des résultats meilleurs au fil du temps.

c) Améliorer la pénétration de moyens de chauffage bas carbone

La bascule vers des solutions de chauffage bas-carbone dans le parc existant repose sur les aides aux opérations de conversion (dispositif MaPrimeRenov' par exemple) et la modification du DPE.

La trajectoire de référence des Futurs énergétiques 2050 retient un accroissement constant du flux annuel de logements convertis à l'électricité afin « de passer de 65 000 logements par an à 250 000 à l'horizon 2050. Le parc immobilier passerait ainsi de 40 % des logements chauffés à l'électricité aujourd'hui à 70 % en 2050 »392(*). Cette trajectoire n'est pas irréaliste lorsque l'on voit ce qu'a réussi la Suède en moins de 20 ans, à savoir la décarbonation totale du secteur du chauffage des bâtiments, même si le prix de l'électricité y est très bas.

Cependant, cette dynamique en faveur des solutions de chauffage bas-carbone semble encore fragile en France. Malgré une progression régulière des ventes depuis 2012, à l'exception de l'année 2020 touchée par les confinements successifs, et une forte accélération en 2021 et 2022, les ventes de pompes à chaleur (PAC) de l'année 2023 ont marqué une baisse de 14 % selon l'association PAC&Clim'Info qui gère le dispositif de statistiques des industriels de ce secteur.

Marché de la pompe à chaleur sur boucle à eau chaude - chauffage principal

Source : Syndicat des industries thermiques, aérauliques et frigorifiques, réponse aux questionnaires de la Commission d'enquête

Le ralentissement s'est accentué au fil de l'année 2023. Les industriels estiment que la baisse de la construction neuve commence seulement à se ressentir mais devrait s'accentuer en 2024. C'est donc la rénovation qui diminue en raison de la conjoncture économique, du flou et de la complexité des nouvelles aides publiques à la rénovation orientées vers la rénovation globale au détriment des gestes simples.

Sur les premiers mois de l'année 2024, la baisse a été très marquée jusqu'à présenter une division par quasiment deux des ventes des pompes à chaleur. Or, c'est tout particulièrement sur ce marché que se basent les objectifs de décarbonation du mix énergétique national pour le secteur du résidentiel et les enjeux de réindustrialisation de la filière pompe à chaleur en France.

L'association Française de la pompe à chaleur (AFPAC) a élaboré une prospective des marchés de la pompe à chaleur en phase avec les objectifs de la France et le plan d'action du gouvernement. Elle prévoit 2 jalons importants : 1 million de PAC dès 2027 et un marché de près de 2 millions de pompes à chaleur en 2050. Toutefois, pour pouvoir suivre cette feuille de route, il est indispensable de maintenir un dispositif de soutien du marché de la pompe à chaleur qui offre de la lisibilité, et de la stabilité pour les professionnels et surtout les consommateurs. Ceci constitue un pas essentiel pour aider le consommateur à passer à l'acte d'achat.

Lié au marché de la pompe à chaleur, le marché de l'hybridation des installations de chauffage à combustibles avec des PAC doit également s'accélérer à court terme. Il est donc nécessaire d'embarquer dans les dispositifs de soutien les solutions d'hybridation des systèmes de chauffage et de production d'eau chaude existants : en effet, l'hybridation du chauffage de sa maison constitue un premier pas vers la décarbonation qui facilitera dans le temps la transition vers une solution encore plus décarbonée.

4. Être attentif aux développements des besoins du numérique pour ne pas casser sa dynamique
a) Pourquoi l'expansion attendue du numérique est à surveiller ?

Le secteur numérique, terminaux ou équipements utilisateurs et centres de données à titre principal, est en pleine extension.

Selon le Shift Project393(*), chiffres repris par France Stratégie394(*), en seulement cinq ans, entre 2013 et 2017, la consommation électrique mondiale du numérique a augmenté de 50 %, passant de 2 000 à 3 000 TWh par an. À titre de comparaison, sur cette même période, la consommation électrique mondiale a crû d'un peu moins de 10 % et atteignait 21 500 TWh en 2017.

D'ici 2025, la consommation énergétique du numérique devrait continuer à croître au niveau mondial à un rythme annuel de 10 % et pourrait se situer entre 5 700 et 7 300 TWh en 2025.

En France, les données et informations qui ont été utilisées pour le Bilan prévisionnel 2023 de RTE indiquent que les consommations du numérique en France pourraient représenter de l'ordre de 45 à 50 TWh en 2019 et 2020.

Ces chiffres sont à mettre en regard des estimations de l'Ademe et de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) de mars 2023 qui évoquent 52 TWh pour l'année 2020. Les prévisions de croissance du secteur sont importantes : le nombre d'équipements pourrait augmenter de 65 % d'ici à 2030 par rapport à 2020, le trafic de données serait quant à lui multiplié par six395(*).

De son côté, un rapport de synthèse de l'Institut Thomas More souligne la nécessité de calibrer correctement le système électrique européen pour faire face aux nouveaux besoins du numérique396(*).

b) Efficacité énergétique des équipements et saturation des usages vont modérer la croissance de la demande électrique

La tendance constatée à l'intensification des équipements et usages numériques est une source d'augmentation de la demande électrique.

Cependant, grâce à l'efficacité énergétique de ces équipements, cette croissance de la demande pourrait être modérée. L'étude Ademe, Arcep et Deloitte estime ainsi que cette croissance n'entraînerait une augmentation de la consommation électrique finale que de 5 % d'ici à 2030.

Le Baromètre du numérique397(*) publié par l'Arcep fait bien état des croissances de nature exponentielles de certains usages et équipement. Il reflète aussi des phénomènes de saturation comme, par exemple, l'utilisation d'internet par les Français qui est stable depuis plusieurs années, autour de 18h par semaine. Enfin, le temps disponible pour s'adonner à des activités numériques n'est pas extensible à l'infini.

c) Les facteurs de croissance de la demande électrique du numérique seront liés aux nouveaux usages, aux centres de données voire au développement de l'intelligence artificielle et des crypto monnaies
(1) Une consommation électrique liée aux nouveaux usages

Le Conseil général de l'économie (CGE) a analysé ce que pourrait être la consommation de certains des nouveaux usages numériques398(*). Le chiffrage de deux usages nouveaux, parmi de nombreux autre identifiés, correspondant à l'augmentation de la résolution des vidéos (HD puis 4K puis 8K) et aux objets connectés, pourraient à eux-seuls induire une croissance de la consommation de 21 % entre 2018 et 2030.

(2) Une consommation électrique dépendante du développement de centres de données

La réglementation européenne incite fortement les entreprises opérant sur le territoire européen à stocker les données personnelles de leurs clients sur le territoire de l'Union européenne. Dans le même temps, différents pays ou métropoles européennes ont récemment limité le développement des data centers sur leurs territoires, ce qui ajoute un effet report des installations de nouveaux centres vers la France.

La France, qui est un des leaders européens du secteur, présente depuis quelques années une forte dynamique pour répondre au développement des services digitaux, notamment lié à l'effet post-Covid et au développement du télétravail et aux besoins liés aux nouvelles technologies dont la 5G et l'intelligence artificielle.

RTE observe nettement cette augmentation dans la multiplication et le niveau des demandes de raccordement à son réseau émises par les opérateurs de centres de données.

Le Bilan prévisionnel 2023 précise que « la consommation des data centers estimée autour de 10 TWh au début de la décennie 2020 pourrait ainsi atteindre 15 à 20 TWh en 2030, et entre 23 et 28 TWh en 2035, l'essentiel de cet accroissement étant le fait de grands sites raccordés directement au réseau de transport d'électricité ».

À titre de comparaison, à l'échelle mondiale, l'AIE estime que la consommation d'énergie des data centers s'élevait en 2022 à 460 TWh (soit 2 % de la consommation d'électricité totale) et qu'elle pourrait atteindre dans son scénario central le niveau de 800 TWh dès 2026399(*).

(3) Une consommation électrique dépendante du développement de l'intelligence artificielle et des crypto monnaies

Le développement des intelligences artificielles (IA) risque de se traduire par une demande complémentaire non encore constatée. L'Agence internationale de l'énergie prévoit ainsi que la quantité d'énergie requise pour faire fonctionner l'IA va doubler d'ici 2026. D'autant que ce développement nourrit celle des centres de données.

À titre d'exemple, Google a récemment annoncé que l'IA pourrait engendrer une croissance supplémentaire de sa consommation énergétique totale400(*). Microsoft, qui anticipe la croissance de la consommation électrique de ses programmes d'IA, envisage d'alimenter directement ses datacenters avec des mini-réacteurs nucléaires modulaires (SMR)401(*). OpenAI, entreprise américaine spécialisée dans le raisonnement artificiel, vient ainsi de participer à un tour de table de financement de 20 milliards de dollars dans la start-up Exowatt, qui a mis au point une technologie pour fournir les centres de données en énergie solaire.

Certaines pistes existent cependant pour limiter le coût énergétique de l'IA. La première est l'optimisation du fonctionnement des processeurs utilisés, puisque ces processeurs ne travaillent qu'entre 30 et 50 % du temps mais consomment 100 % du temps. De plus, certains chercheurs s'efforcent d'optimiser l'entraînement des algorithmes en limitant au maximum les opérations inutiles ce qui pourrait réduire de près de 80 % l'énergie nécessaire pour entraîner un modèle de haute qualité.

Une autre source de croissance de la demande électrique réside dans l'utilisation des cryptomonnaies et/ou des cryptoactifs402(*). « La seule activité des cryptomonnaies représente un tiers de la consommation électrique de toutes les infrastructures numériques dans le monde ». La Commission européenne évoquant la consommation énergétique des cryptoactifs manifeste également son inquiétude : « la hausse substantielle de l'utilisation des cryptomonnaies a fait quasiment doubler leur consommation d'énergie par rapport à il y a deux ans, la portant à environ 0,4 % de la consommation mondiale d'électricité »403(*). Elle invite instamment les États membres : 1) « à mettre en oeuvre des mesures ciblées et proportionnées en vue de réduire la consommation d'électricité des activités de minage des cryptoactifs » 2) « à abolir les allègements fiscaux et les autres mesures fiscales en faveur des activités de minage des crypto-monnaies actuellement en vigueur dans certains États membres » 3) « et dans le cas où un délestage électrique404(*) serait nécessaire, les États membres devront se tenir prêts à interrompre le minage des cryptoactifs ».

Pour tenir compte de ces perspectives, RTE a revu à la hausse ses scénarios d'évolution des consommations des centres de données dans son Bilan prévisionnel 2023 par rapport aux Futurs énergétiques 2050 publiée fin 2021. Les évolutions mentionnées pourraient porter la consommation des usages numériques entre 50 et 60 TWh en 2030 et entre 58 et 68 TWh en 2035.

5. Dimensionner et phaser correctement la montée des besoins électriques liés aux utilisations de l'hydrogène bas carbone

Les perspectives liées à l'hydrogène sont à ce jour très incertaines. Après une phase très optimiste il y a quelques années, il semble que la difficulté à amorcer la dynamique de développement des projets hydrogène contribue à avoir une approche plus prudente et plus experte sur ce sujet. « Il y a une alternance de cycles d'euphorie et de négation de la potentialité de ce vecteur (...) dans les perspectives d'augmentation du besoin en électricité, un challenge particulier concerne l'hydrogène, car cette énergie est celle qui consomme le plus d'électricité pour sa production. »405(*) résumait Thomas Veyrenc lors de son audition par la commission d'enquête.

La production d'hydrogène décarboné représente potentiellement un levier de croissance massif de la demande d'électricité d'ici à 2050 

L'hydrogène existe à l'état naturel et peut se produire de plusieurs façons. Parmi celles-ci, le procédé de l'électrolyse de l'eau fait intervenir l'électricité et donc peut mobiliser de l'électricité bas-carbone.

Cet hydrogène décarboné présente deux grands intérêts, distincts et échelonnés dans temps, comme le résume ce schéma de RTE : un enjeu de décarbonation sur du moyen terme et un apport en termes de flexibilité, appréciable dans un mix électrique reposant sur une part de la production significative issue de sources renouvelables, à long terme.

Deux raisons distinctes de développer la production d'hydrogène bas-carbone

Source : RTE406(*)

Les usages de l'hydrogène sont potentiellement très nombreux. Il peut alimenter certains usages directs, peut être transformé en combustibles ou carburants de synthèse qui pourront eux-mêmes servir à des usages énergétiques ou encore peut être réutilisé pour produire de l'électricité dans des centrales thermiques. Les perspectives ouvertes par l'hydrogène bas-carbone ont été détaillées, par un rapport407(*) de l'Agence internationale de l'énergie qui fait référence sur le sujet. RTE conduit une étude408(*) centrée sur la France à horizon 2035 qui va être prochainement réactualisée.

Cette diversité d'usages se reflète dans les projections des organismes. À titre d'exemple, l'Académie des technologies prévoit 33 TWh d'électricité pour produire de l'hydrogène en 2030 et 107,5 TWH en 2050.

Pour RTE, la consommation d'électricité nécessaire pour la production d'hydrogène couvre un spectre particulièrement large compte tenu de l'existence d'une variante « Hydrogène + » détaillée dans les Futurs énergétiques.

Le volume estimé d'électricité nécessaire à la production d'hydrogène est ainsi de 15 TWh en 2035 (Bilan prévisionnel 2023) et 50 TWh en 2050 pour la trajectoire de référence (Futurs énergétiques) à comparer avec les 40 TWh en 2030 et 171 TWh en 2050 dans la variante « Hydrogène + ».

a) Afin de maîtriser cette augmentation de la demande, il convient de réserver l'hydrogène à des usages stratégiques

Dans un contexte ou d'ici à 2050 la production électrique est sous tension face à une prévisible augmentation de la demande, il convient d'être attentif à ce que l'augmentation de cette dernière reste maîtrisée, notamment en lien avec la production d'hydrogène.

D'autant plus que le rendement de l'hydrogène est faible : « le processus de production d'hydrogène par électrolyse conduit à une perte énergétique de l'ordre de 30 %. Lorsque cet hydrogène est ensuite utilisé pour produire de l'électricité, via une pile à combustible (par exemple pour un moteur électrique) ou une turbine (pour injecter de l'électricité sur le réseau), un volume supplémentaire d'énergie, de l'ordre de 30 % à 40 % est perdu dans la conversion. Au total, quand l'hydrogène est utilisé comme vecteur intermédiaire pour le stockage d'électricité et non une utilisation directe, les deux tiers de l'électricité sont perdus au cours des transformations. » rappelle RTE409(*).

Compte tenu de cette faible efficacité énergétique l'hydrogène, les experts s'interrogent sur l'identification des degrés de priorité de ses utilisations possibles.

Si l'hydrogène est déployé dans un très grand nombre de nouveaux usages, le risque est ce que les besoins en hydrogène, et donc en électricité sous-jacents, soient plus conséquents que prévu « et qu'ils appellent à mobilité des gisement plus chers, même pour les usages incontournables pour la neutralité »410(*), sans même évoquer la possible pression à la hausse sur les prix de l'électricité liée au dynamisme de la demande.

Un relatif consensus semble exister sur un socle de production qualifié de « sans regret » qui consiste à remplacer les usages actuels d'hydrogène carboné par de l'hydrogène non carboné. Au-delà, il existe un débat entre les tenants d'une position prudente soucieuse d'éviter des investissements onéreux dans des actifs et des infrastructures présentant le risque de coûts échoués importants et des acteurs soutenant des perspectives de développement de l'hydrogène à très grande échelle.

La commission d'enquête estime qu'il faut prioriser les usages où l'hydrogène est incontournable.

La révision de la SNBC et de la PPE sera une opportunité pour discuter de ces choix, qui pourront faire l'objet de clause de revoyure pour mieux s'adapter aux avancées technologiques et aux enseignements tirés des expérimentations en la matière.

b) Cette orientation justifie le développement d'une offre d'hydrogène dédiée et d'un soutien public ciblé

Le développement d'un soutien public à une filière industrielle de l'hydrogène décarboné se justifie d'au moins deux points de vue :

D'une part, les usages incontournables de l'hydrogène nécessitent des volumes qu'il faut produire de façon dédiée. Comme le mentionne l'étude précédemment citée : « Si une partie de la demande en hydrogène pourrait être fournie par les excédents électriques issus de l'équilibrage du réseau électrique, les volumes produits ne seraient pas suffisants pour approvisionner les usages de l'hydrogène incontournables. Cela justifie le développement d'une offre d'hydrogène dédiée »411(*).

D'autre part, l'hydrogène produit par électrolyse est plus coûteux que l'hydrogène fossile et le restera probablement durablement. Le delta entre les deux coûts doit être rapporté à la valorisation de l'externalité CO2. Dans les hypothèses de faible valorisation, le coût complet de l'hydrogène produit par électrolyse apparait très supérieur à l'hydrogène fossile. Les régimes d'aides, et la taxation sont donc essentiels pour soutenir ce delta.

La stratégie française, plutôt précoce en la matière semble poursuivre cette orientation. Après un premier plan hydrogène lancé en 2018 émaillé de soutiens publics notamment à la recherche412(*), la France a annoncé en septembre 2020, une stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné en France413(*) appuyée sur 7 Mds€.

L'objectif est de déployer 6,5 GW de capacités d'électrolyseurs décarbonés en 2030. Un plan de déploiement, plus opérationnel, a été adopté en décembre 2023 (voir encadré) qui devrait s'accompagner d'une révision de la Stratégie nationale hydrogène d'ici à l'été 2024.

Le plan de déploiement de l'hydrogène pour la transition énergétique de décembre 2023.

Cette stratégie nationale repose sur différentes briques :

Un objectif : installer une capacité de production électrolytique d'hydrogène bas-carbone de 6,5 GW en 2030 et de 10 GW en 2035. Cette production sera alimentée par le mix électrique français, bas-carbone, ou par des installations de production d'électricité nucléaire ou renouvelable, en fonction des choix d'approvisionnement de chaque installation, et en cohérence avec le principe de neutralité technologique entre hydrogène renouvelable et bas-carbone.

Le déploiement en France de l'hydrogène décarboné et de ses infrastructures de transport. La priorité sera donnée au développement d'un réseau au sein de hubs hydrogène (infrastructures dites « intra-hubs »), notamment les hubs de Fos-sur-Mer, Dunkerque, Havre-Estuaire de la Seine, et Vallée de la chimie, et de leur connexion aux infrastructures de stockage. En complément, les déploiements locaux resteront nécessaires, y compris pour alimenter les usages intensifs de mobilité.

Un soutien du Gouvernement en faveur du déploiement de la production d'hydrogène décarboné sur le territoire national en assurant aux industriels le modèle économique nécessaire pour accélérer leur décarbonation, grâce notamment à un mécanisme de soutien de 4 Md€ sécurisant sur 10 ans la compétitivité de l'hydrogène décarboné par rapport à l'hydrogène fossile.

Une stratégie ouverte sur le monde, accompagnant la filière française dans son développement commercial à l'international, et assumant l'émergence d'un marché mondial de l'hydrogène et ses dérivés.

Une attention portée à la maîtrise de l'ensemble des équipements de l'hydrogène et de ses technologies pour assurer l'industrialisation des projets précédemment soutenus, renforcer l'intégration de l'écosystème autour des fleurons français et assurer la couverture de l'ensemble des produits et technologies clés de la chaîne de valeur.

Un déploiement de l'hydrogène comme opportunité pour flexibiliser notre système énergétique en améliorant la capacité d'effacement des électrolyseurs et en développant des capacités de stockage.

Une garantie des conditions cadres nécessaires au développement de la filière hydrogène française, que ce soit en matière d'accès aux compétences, d'accès au foncier, de délais des procédures, de raccordement au réseau électrique, ou encore de développement d'un cadre réglementaire complet, lisible et stable.

Source : ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires414(*)

Les degrés d'ambition de nos voisins européens sont proches même si les stratégies de développement de l'hydrogène sont très diverses415(*) : la France prévoit d'installer 6,5 GW d'électrolyseurs d'ici 2030, contre 5 GW en Allemagne et au Royaume-Uni.

Projections de la consommation d'hydrogène en Europe

Source : ENTSO-E416(*)

c) D'autant plus que les signaux actuels indiquent un retard des projets
(1) Le développement de cette filière est encore empreint d'incertitudes de différentes natures

Plusieurs incertitudes pèsent sur le développement de la filière hydrogène :

- incertitudes économiques. L'étude du CEA417(*) met en évidence que l'engagement des industriels dans l'usage de l'hydrogène électrolytique « pourrait être freiné par un coût de l'électricité bas carbone élevé en Europe, ne permettant de produire l'hydrogène à un coût compétitif. »418(*) Au-delà du prix de l'électricité, le prix de production de l'hydrogène par électrolyse reste très élevé. Le bureau d'étude Bloomberg New Energy Finance (BNEF)419(*) vient de révéler que le coût de production et d'installation d'électrolyseurs a augmenté de plus de 50 % entre 2023 et 2024 bien loin des estimations antérieures, qui projetaient une diminution des coûts de 10 % par an de 2022 à 2025. Le coût d'un électrolyseur fabriqué en Chine est d'environ 550 €/kW à comparer avec 2 300 €/kW lorsqu'il est fabriqué en Europe ou aux États-Unis ;

- incertitudes sur la fabrication des électrolyseurs. Des retards dans les commandes des usines de fabrication d'électrolyseurs entrainant des retards dans la livraison sont signalés par la presse spécialisée420(*), qui relaie aussi des dysfonctionnements de certains équipements ;

- incertitudes sur la réglementation européenne jugée « trop contraignante ou trop fluctuante ». Le rapport précédemment cité pointe également « le retard de versement des subventions européennes prévues ». À titre d'exemple, les fonds de la Banque européenne d'investissement promis en 2023 ne sont encore pas disponibles ;

- enfin incertitudes sur les réseaux. Il existe aussi un risque de retard dans le raccordement des sites au réseau électrique de grande puissance et absence d'infrastructures de transport d'hydrogène.

(2) Face à ces incertitudes, les prévisions de production d'hydrogène décarboné sont largement revues à la baisse

Tanguy de Bienassis, analyste investissement énergie et climat à l'Agence internationale de l'énergie (AIE), a insisté sur les incertitudes concernant l'hydrogène : « l'hydrogène est une des grandes incertitudes à laquelle est confrontée l'AIE. Pour perfectionner nos scénarios, nous essayons d'observer les évolutions actuelles et, pour ma part, j'examine les investissements qui vont dans les différents secteurs énergétiques. Dans le secteur de l'hydrogène, il ne se passe pas grand-chose, ce qui nous a amené à réviser nos scénarios. »422(*)

Conformément à cette déclaration, l'AIE a, en janvier 2024, revu à la baisse toutes ses prévisions de production d'hydrogène décarboné423(*).

À horizon de fin 2028, 45 GW de nouvelles capacités de production d'hydrogène vert seront opérationnelles « soit seulement 7 % de ce que les précédentes projections prévoyaient » précise l'étude.

À l'horizon 2030, l'AIE estime que sur les 360 GW annoncés, seuls 12 GW sont en cours de construction ou ont atteint une décision finale d'investissement. La Chine est pratiquement le seul pays à progresser et elle pourrait représenter à elle seule, 70 % des installations mondiales pour l'année 2024.

Parmi les publications les plus récentes, l'étude Sisyphe Dynamique de la demande européenne en hydrogène bas carbone d'ici 2040424(*) du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives confronte la projection de la demande en hydrogène bas carbone de l'Europe d'ici 2040 avec la réalité des projets engagés et la vision de quelques 70 industriels européens interrogés sur leurs besoins potentiels en hydrogène. La demande en Europe ne serait que de 2,5 millions de tonnes en 2030 et de 9 millions en 2040, c'est-à-dire très loin des 20 millions de tonnes par an prévues pour 2030 par le plan REPowerEU, adopté en 2022 par l'Union européenne.

(3) La France n'échappe pas à cette tendance

En France, à ce jour, la part d'électrolyseurs déjà opérationnels est encore infime. Au décompte de la fin de 2023, elle était de l'ordre de 0,03 GW, malgré un objectif gouvernemental fixé en 2020 de 6,5 GW pour 2030.

Au titre des grands projets à venir, Air Liquide prévoit de construire, d'ici 2026, un électrolyseur d'une puissance de 200 mégawatts, près du Havre, pour la décarbonation du bassin industriel normand. Il devrait être un des plus gros électrolyseurs du monde dédié à la production d'hydrogène. La production atteindrait 80 tonnes d'hydrogène par jour. Le projet est estimé à 400 millions d'euros, dont près de la moitié sous forme d'aide publique. Autre exemple, avec Engie, qui en février 2024 a annoncé avoir décalé de cinq ans son objectif, affiché en 2021. Il vise désormais 4 GW d'hydrogène décarboné pour 2035 et non plus pour 2030.

La commission d'enquête estime que l'hydrogène comme vecteur énergétique présente encore de nombreuses d'incertitudes et recommande la prudence dans son intégration dans les prévisions électriques.

Si l'hydrogène peut soulever des incertitudes, notamment quant à son rendement, les conditions de son développement à des prix compétitifs méritent néanmoins d'être explorées. Au reste, de nombreux industriels, en France comme à l'étranger, plaident pour développer ce vecteur, afin de décarboner l'industrie ou la mobilité lourde. De plus, des stratégies de déploiement de l'hydrogène décarboné sont mises en oeuvre depuis plusieurs années, en France comme en Europe et doivent être poursuivies. Le Sénat s'est d'ailleurs montré précurseur, en faisant adopter un objectif de 20 à 40 % d'hydrogène décarboné d'ici 2030, dans le cadre de la loi Énergie-climat de 2019, et un objectif de 6,5 gigawatts (GW) d'hydrogène par électrolyse d'ici 2030, dans le cadre de la loi Nouveau nucléaire de 2023. En effet, en France, la relance de l'énergie nucléaire offre un potentiel d'essor de l'hydrogène à des coûts maîtrisés.

6. Pour une stratégie nationale d'électrification

Les analyses qui précédent mettent en évidence que les pouvoirs publics disposent de leviers pour favoriser cette électrification des usages à travers le rythme de déploiement des équipements bas carbone.

Ce sont ces leviers qui avaient été mis en avant par Tanguy de Bienassis, analyste investissement énergie et climat à l'Agence internationale de l'énergie (AIE) : « les réglementations qui ont été mises en place, actant la fin du véhicule thermique et les soutiens aux politiques de rénovation du parc immobilier, sont notamment à la source de cette vague d'électrification »425(*).

La commission d'enquête estime nécessaire qu'une stratégie nationale d'électrification soit élaborée.

Elle donnerait des objectifs clairs en la matière, compatibles avec nos objectifs de décarbonation, serait un gage de lisibilité un signal incitatif à l'accélération de l'électrification des usages.

Recommandation n° 13

Destinataire

Échéance

Support/Action

Élaborer une stratégie nationale d'électrification afin de donner les signaux adaptés à la réussite de l'électrification des usages

Gouvernement

2024

Plan national d'électrification

D. LA DEMANDE DEVRA SE DÉPLACER AU MOMENT DE LA JOURNÉE OÙ LA PRODUCTION SERA LA PLUS FORTE

L'exercice de projection à horizon 2050 réalisé par la commission d'enquête a permis d'explorer la question du niveau futur de la demande électrique.

Mais cet exercice permet de comprendre d'autres évolutions structurelles qui vont affecter cette demande.

La consommation résiduelle, définie comme la consommation qui n'est pas couverte par les moyens pilotables, va devenir le nouvel élément dimensionnant de la consommation électrique et le besoin de flexibilité de la demande va augmenter. En miroir, le profil de la demande va évoluer d'usages traditionnellement assez rigides, vers des usages plus flexibles.

1. La consommation non couverte par les moyens pilotables sera le nouvel élément dimensionnant du système électrique

Le système électrique va, dans les 30 prochaines années, connaître de nombreuses évolutions : électrification des usages, développement de l'autoconsommation, déploiement de la proportion d'énergie renouvelables... Ces évolutions vont entraîner une déformation structurelle de la consommation résiduelle.

Au sein de ces évolutions, le développement de la production photovoltaïque est le plus structurant. Il conduit à un afflux de production électrique décarbonée en milieu de journée en particulier de mars à octobre, modifie la courbe de charge résiduelle et crée des opportunités de décalage de consommation vers ces périodes où l'électricité est abondante et bon marché.

La courbe de consommation résiduelle présente désormais tous les jours ouvrés deux périodes de creux la nuit et l'après-midi, et deux pointes relativement courtes, en début de matinée et en début de soirée. Le week-end, la période de pointe du matin n'existe pas : la période de creux va généralement de la nuit à la fin d'après-midi.

D'ici 2030, le développement attendu de la production solaire en France et plus encore en Europe est tel que ce creux d'après-midi sera également significatif durant les mois d'hiver.

Projection de l'évolution de la consommation résiduelle moyenne un jour ouvré dans le scénario « A - référence » du Bilan Prévisionnel 2023

Source : RTE, réponse aux questionnaires de la Commission d'enquête

À ce premier élément structurel quotidien se superposent les variations liées aux productions des éoliennes, s'étalant généralement sur plusieurs jours. Ces variations sont moins prévisibles, et ne privilégient a priori pas d'horaires ou de jours de la semaine particuliers. Mais elles sont pour l'essentiel connues quelques jours à l'avance et bien quantifiées quelques heures avant le temps-réel.

Face à ces évolutions, l'objectif doit devenir non pas seulement de diminuer ponctuellement la consommation lors de pointes annuelles, mais plus généralement de faire coïncider au plus près la courbe de demande et la courbe de production, notamment en déplaçant les usages qui peuvent l'être sans impact sur le confort vers les moments où la production décarbonée est la plus disponible.

La problématique de la pointe évolue à long terme

Les situations les plus tendues ne seront plus les pointes de demande mais les combinaisons de demandes élevées et de creux d'offre, notamment en lien avec le développement de production ENR variable.

Du fait de la flexibilité accrue, notamment de la consommation, les profils journaliers d'appel de puissance n'auront plus le caractère relativement cyclique qu'ils présentent aujourd'hui.

Les pointes de consommation ne refléteront plus des situations de tension sur l'équilibre du système électrique mais résulteront au contraire de l'optimisation de ce pilotage.

Source : Commission d'enquête

Cela conduira à maximiser l'utilisation du productible bas-carbone et bon marché, afin de positionner la consommation lorsque la production d'énergie renouvelable et nucléaire est abondante. À l'inverse, cela conduira à limiter la consommation lorsqu'il est nécessaire d'utiliser des centrales thermiques à combustibles fossiles, plus coûteuses et plus polluantes.

Le schéma ci-dessous illustre que ces éléments sont liés. Mieux positionner la consommation permet de réduire les pointes de consommation et donc réduire le besoin de moyens dédiés pour assurer l'équilibre offre et demande électrique.

Rôle des flexibilités vis-à-vis de la courbe de demande résiduelle

Source : RTE, réponse aux questionnaires de la Commission d'enquête

L'élément dimensionnant pour l'exploitation du système électrique de demain sera donc la consommation résiduelle, c'est-à-dire la consommation qui n'est pas couverte par les moyens pilotables. « Les instants qui présenteront le plus de contraintes sur l'équilibre offre-demande seront les instants à plus forte consommation résiduelle, et non pas les instants de plus forte consommation » résume RTE426(*).

2. Le besoin d'une demande plus flexible

Faire coïncider une production moins pilotable avec une consommation électrique en croissance implique de renforcer le caractère flexible de cette dernière.

Le schéma suivant de RTE résume le bouquet de flexibilités nécessaire à horizon 2035 dans la configuration de référence. Il met en évidence que le déficit de puissance potentiel par rapport au critère réglementaire de sécurité d'approvisionnement, entendu comme le risque d'une défaillance induisant le recours aux moyens exceptionnels pour assurer l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité, est de 10 GW.

Pour faire face à ce besoin, les flexibilités de la demande sont les premières mobilisées et peuvent apporter une réponse à hauteur de 5 GW. Atteindre au moins ce niveau est donc indispensable pour contribuer à la sécurité d'approvisionnement et pour éviter de recourir aux autres moyens signalés dans ce tableau, dont les moyens carbonés.

Solutions pour assurer l'équilibrage en puissance au sens du critère réglementaire à l'horizon 2030 : les différents « bouquets de flexibilité » possibles

Source : RTE427(*)

Cette action de positionnement de la consommation en phase avec la production sera facilitée par le fait qu'une partie de ces nouveaux usages repose sur des temps d'utilisation courts qui sont facilement programmables : véhicules électriques, stockage, pompes à chaleur... De sorte qu'ils constitueront des éléments de flexibilité au bénéfice du système électrique comme nous l'analyserons plus avant dans ce rapport. La part de la consommation flexible, estimée à 4 % par RTE aujourd'hui, passerait à 15 % en 2050 dans la trajectoire de référence.

Il est donc important d'évaluer quelles sont les puissances maximales pilotables de la demande à horizon 2035 et 2050. Dans la configuration de référence du Bilan prévisionnel 2023, elles sont de 30 GW à horizon 2035 (premier graphique) et de l'ordre de 44 GW en 2050, dans la configuration la plus haute des Futurs énergétiques 2050 (deuxième graphique).

Évolution des puissances maximales effaçables et modulables de la demande d'électricité dans la configuration de référence du Bilan prévisionnel 2023

Lecture : le graphique évalue les puissances maximales effaçables et modulables de la demande d'électricité. Il précise à quel point chaque type d'usage permet de contribuer à cette flexibilité.

Source : RTE428(*)

Puissances moyennes effaçables de la demande d'électricité et nature du pilotage (statique ou dynamique) à l'horizon 2050 dans les différentes configurations considérées et dans les études externes

Lecture : le graphique évalue les puissances maximales effaçables et modulables de la demande d'électricité. Il précise à quel point chaque type d'usage permet de contribuer à cette flexibilité.

Source : RTE429(*)

La mobilisation des flexibilités de la demande modifie sensiblement le profil de la courbe de consommation.

TROISIÈME PARTIE : ASSURER LES BESOINS ÉLECTRIQUES DE LA FRANCE AUX HORIZONS 2035 ET 2050...

I. PRODUIRE ET ACHEMINER L'ÉLECTRICITÉ À UN COÛT OPTIMAL

A. UN MIX ÉLECTRIQUE FRANÇAIS LARGEMENT DÉCARBONÉ QUI S'APPUIE SUR UN SOCLE NUCLÉAIRE COMPÉTITIF

Décarboné à plus de 90 %, le mix de production français a aussi l'avantage de présenter un coût complet moyen de production particulièrement compétitif grâce à l'ampleur de son parc nucléaire. Les stratégies de politique énergétiques devront absolument permettre à la France de conserver cet avantage comparatif essentiel dans la compétition économique internationale.

1. Le mix de production électrique français aujourd'hui

S'il s'est progressivement diversifié avec le déploiement d'installations de production éoliennes et photovoltaïques, principalement depuis le début du XXIème siècle, le mix électrique français reste encore très largement dominé par la filière nucléaire qui lui assure tout à la fois compétitivité et décarbonation.

a) Toujours dominé par le nucléaire, le mix de production français s'est néanmoins diversifié

La puissance installée du parc de production d'électricité français représentait 148,4 gigawatts (GW) en 2023. Toujours dominé à 41 % par les capacités nucléaires, le parc de production est marqué par la montée en puissance progressive des moyens renouvelables : 17 % pour l'hydraulique, 15 % pour l'éolien et 13 % pour le solaire.

En 2023, la puissance installée du parc de production électrique nationale est ainsi composée à 88 % de moyens décarbonés.

Répartition de la puissance installée du parc de production électrique
par filières en 2023

(en GW)

Source : commission d'enquête, d'après les données du bilan électrique 2023 de RTE

En 2023, la puissance installée du parc de production a augmenté de 4,7 GW en raison de la mise en service de moyens de production photovoltaïques (+ 3,1 GW), éoliens terrestres (+ 1,2 GW) et éoliens en mer (+ 0,4 GW).

Compte tenu de la chute de la production nucléaire résultant du traitement du phénomène de corrosion sous contrainte conjuguée à la faiblesse historique de la production hydroélectrique du fait d'un déficit de précipitation, la production du parc électrique français a présenté un caractère atypique en 2022. En 2023, le niveau et la répartition de la production ont retrouvé des configurations plus habituelles.

Répartition de la production annuelle d'électricité par filières (2018-2023)

(en TWh)

Source : RTE, Bilan électrique 2023

À 495 TWh, le niveau de production constaté en 2023 est cependant toujours significativement plus faible que celui constaté avant les crises sanitaire et énergétique. Entre 2014 et 2019, la production annuelle moyenne d'électricité s'était ainsi établie à 538 TWh. Cette faiblesse s'explique principalement par le niveau historiquement bas de la consommation d'électricité.

En 2023, la production nucléaire (320,4 TWh) a représenté 64,8 % du volume de production totale contre 11,9 % pour la production hydraulique, 10,3 % pour la production éolienne, 6,1 % pour la production à partir de gaz ou encore 4,4 % pour la production solaire. Les filières éolienne et solaire ont atteint leur record de production en 2023.

Répartition de la production annuelle d'électricité par filières en 2023

(en TWh)

Source : commission d'enquête, d'après les données du Bilan électrique 2023 de RTE

À titre de comparaison, en 2019, avant les crises sanitaire et énergétique, la répartition par filières était la suivante :

- Nucléaire 70,6 % ;

- Hydraulique 11,2 % ;

- Gaz 7,2 % ;

- Éolien 6,3 % ;

- Solaire 2,2 %.

Si elle reste toujours largement dominante, la proportion d'électricité nucléaire dans la production annuelle totale d'électricité est orientée à la baisse. Entre 2005 et 2023 elle s'est ainsi rétractée de 78 % à 65 %.

Évolution de la part de production nucléaire dans le total de la production d'électricité annuelle en France (2005-2023)

(en % de la production annuelle totale)

Source : commission d'enquête, d'après les données des bilans électriques annuels de RTE

En 2023, la proportion décarbonée de la production nationale a atteint 92,2 %430(*) et, d'après le bilan électrique 2023 de RTE, les émissions de gaz à effet de serre du système électrique français ont atteint leur plus bas niveau depuis le début des années 1950 : 16,1 millions de tonnes (Mt) d'équivalent CO(e CO2). Cette part très significative de la production d'électricité décarbonée du parc français repose très majoritairement (à 70 %) sur les moyens de production électronucléaires.

Toujours d'après le bilan électrique 2023, l'intensité carbone de la production électrique nationale431(*) est aussi descendue en 2023 à son plus bas historique : 32 g e COpar kilowattheure (kWh), soit un niveau nettement inférieur à la moyenne de 37 g e COpar kWh constatée sur la période 2018-2021. RTE souligne par ailleurs que « les émissions du système électrique français sont restées en 2023 parmi les plus faibles d'Europe et pèsent relativement peu dans le bilan carbone national (moins de 5 %, contre 22 % pour l'Allemagne, 19 % pour l'Espagne et 21 % en moyenne pour l'Union européenne) ».

Ces constats prévalent même si l'on tient compte des exportations et des importations d'électricité ou encore des émissions sur le cycle de vie et non des seules émissions directes.

En outre, comme l'illustre RTE dans son bilan électrique 2023, à travers les exportations d'électricité, le parc de production français contribue aussi à décarboner le système électrique du continent européen dans son ensemble. Le gestionnaire des réseaux de transport considère ainsi que « depuis 2017, les exportations d'électricité françaises ont permis d'éviter l'émission de près de 150 Mt e COen Europe, dont la moitié en Italie ».

(1) Le mix électrique français repose principalement sur un parc nucléaire mis en service au cours des décennies 1980 et 1990

Le parc de réacteurs nucléaires français est composé de 56 réacteurs à eau pressurisée répartis sur 18 sites. La puissance totale installée de ce parc nucléaire historique représente 61,3 GW. Ces réacteurs dits de « deuxième génération » se distinguent selon leur puissance :

- 32 unités d'une puissance de 900 mégawatts (MW) ;

- 20 d'une puissance de 1 300 MW ;

- 4 d'une puissance de 1 450 MW.

Ce parc de réacteurs se répartit en 5 paliers technologiques et de puissance standardisés :

- le palier « CP0 » se compose de 4 réacteurs d'une puissance de 900 mégawatts (MW) installés sur le site de la centrale du Bugey ;

- le palier « CPY » comprend 28 réacteurs d'une puissance de 900 MW également ;

- le palier « P4 » est constitué de 8 réacteurs d'une puissance de 1 300 MW ;

- le palier « P'4 » se compose quant à lui de 12 réacteurs de 1 300 MW ;

- quatre unités de 1 450 MW composent le palier « N4 », le plus récent des réacteurs de « deuxième génération ».

À ce parc historique doit venir s'ajouter le réacteur EPR construit sur le site de Flamanville dit « Flamanville 3 » pour une puissance de 1 650 MW. Le 7 mai 2024, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a autorisé la mise en service de ce nouveau réacteur.

Son parc nucléaire fait de la France le premier producteur européen d'électricité nucléaire et le troisième au niveau mondial. Hérité du plan Messmer432(*), ce parc nucléaire a pratiquement été intégralement construit en l'espace de deux décennies.

Évolution du parc de réacteurs nucléaire français entre 1970 et aujourd'hui

Source : commission d'enquête

C'est en 2005 que le parc a atteint son apogée avec 64 GW de puissance installée répartie entre 60 réacteurs. L'arrêt des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim a significativement contribué à la réduction de la puissance de ce parc avec une perte de 1,8 GW.

Orientée à la baisse depuis 2005 avec une accélération depuis le lancement du programme dit de « grand carénage » en 2015, la production nucléaire a, elle, atteint un niveau historiquement faible en 2022 (279 TWh) en raison de la crise dite de la « corrosion sous contrainte ». En 2023, le niveau de production s'est redressé tout en demeurant extrêmement faible (320 TWh) au regard des comparaisons historiques. Dans les prochaines années, avec notamment le raccordement du réacteur EPR de Flamanville, EDF a pour ambition de redresser structurellement le niveau de production annuel au-dessus de 360 TWh avec l'ambition d'atteindre un objectif de 400 TWh. Les enjeux relatifs à la production du parc nucléaire historique sont plus particulièrement décrits infra au II de la présente partie III.

Évolution de la production annuelle d'électricité nucléaire depuis 2005

(en TWh)

Source : commission d'enquête, d'après les données des bilans électriques annuels de RTE

(2) La montée en puissance des énergies renouvelables ne permet pas encore d'atteindre les objectifs nationaux et européens

Le parc de production d'électricité renouvelable en France représente une puissance installée de 70 229 MW au 31 décembre 2023433(*), en progression de 8 % sur l'année 2023. Les filières éolienne et solaire constituent désormais plus de 60 % de ce parc en puissance installée.

Entre 2012 et 2022, la France a augmenté la part d'énergies renouvelables dans son bouquet énergétique de 40 %, une augmentation comparable à celle de ses grands voisins européens, selon la DGEC. Néanmoins, cet accroissement ne lui a pas permis d'atteindre ni les objectifs européens prévus par la directive sur les énergies renouvelables, dite RED II434(*), ni les objectifs nationaux fixés dans le cadre de la stratégie française énergie-climat (93,4 %).

Sans doute d'ailleurs faut-il se réinterroger sur la pertinence de ces objectifs. S'agissant des obligations imposées par les textes européens, la commission d'enquête rappelle qu'ils ne sont conformes ni au principe de neutralité technologique ni à l'article 194 du TFUE qui garantit le droit, pour chaque État membre, de décider de son bouquet énergétique et de choisir les technologies ou procédés utilisés. En ce qui concerne les objectifs nationaux, il est essentiel qu'ils soient calibrés avec réalisme en fonction des coûts complets des différentes énergies et des besoins liés à la consommation d'électricité. Fixer des chiffres de GW à atteindre dans l'absolu sans se préoccuper de ces éléments n'est guère plus qu'une opération de communication.

Source : Agence ORE, RTE, Enedis, SER - Panorama de l'électricité renouvelable 2023

Les installations de production d'électricité renouvelable se répartissent inégalement sur le territoire métropolitain. Ainsi la région Auvergne-Rhône-Alpes abrite plus d'un cinquième du parc installé (21 %), en grande partie constitué d'installations hydroélectriques. Les deux autres régions qui accueillent un parc relativement important sont l'Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine, avec respectivement 15 % et 13 % du parc. Cette dernière région a, d'ailleurs, connu une forte progression de son parc renouvelable au cours de l'année 2023, en raison du développement des installations solaires photovoltaïques.

La production d'électricité renouvelable s'établit à 135,6 TWh en 2023, en forte hausse par rapport à 2022, de près de 23 %. Elle a progressé de plus de 50 % par rapport à 2014. Cette forte croissance s'explique par trois facteurs, l'augmentation des capacités installées, le rétablissement des stocks hydrauliques et une météorologie plus venteuse.

Production d'énergies renouvelables par filières en 2023 en TWh

 

Éolien terrestre

Éolien en mer

Solaire

Hydraulique

Production 2023

49

1,5

21,6

54,8

Croissance / 2022

27,7 %

216,67 %

16,5 %

23,4 %

Production 2018

27,8

---

10,2

63,1

Croissance/2018

76 %

---

112  %

- 13 %

Source : ORE, RTE, Enedis, SER - Panorama de l'électricité renouvelable 2018 et 2023

Toutefois, toutes les énergies renouvelables n'ont pas rempli leurs objectifs fixés par la PPE adoptée en 2020, en dépit de leur forte progression au cours des dernières années.

Source : ORE, RTE, Enedis, SER - Panorama de l'électricité renouvelable 2023

Le taux de couverture de la consommation électrique par les énergies renouvelables dépasse les 30 % en 2023, ce qui correspond à une hausse de plus de 6 points par rapport à l'année précédente. Il était de 22,7 % en 2018.

Taux de couverture de la consommation électrique
par énergies renouvelables en 2023

Total ENR

Éolien terrestre

Éolien en mer

Solaire

Hydraulique

30,9 %

11,1 %

0,4 %

4,9 %

12,5 %

Source : ORE, RTE, Enedis, SER - Panorama de l'électricité renouvelable 2023

(a) La filière hydraulique reste la première source d'énergies renouvelables

La France dispose, en métropole, du plus important parc hydroélectrique de l'Union européenne, d'une puissance installée de 25,7 GW en 2023, le parc d'EDF Hydro représentant une puissance installée de 20 GW (77 % du parc). La filière hydraulique constitue la deuxième source d'électricité après l'énergie nucléaire et la première source d'énergie renouvelable.

Le parc comprend quatre principaux types d'ouvrages :

- les centrales de lac, qui sont principalement situées en zone de montagne ;

- les centrales au fil de l'eau, qui sont implantées sur le cours de grands fleuves ou de grandes rivières ;

- les centrales d'« éclusées », qui sont surtout installées en moyenne montagne et dans les régions de bas-relief ;

- les petites centrales hydrauliques (PCH), qui produisent environ 10 % de l'hydroélectricité ;

- les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), qui sont des sortes de batteries géantes fonctionnant sur le principe de l'énergie potentielle existante entre deux réservoirs d'eau situés à des altitudes différentes.

La filière hydraulique est essentiellement concentrée sur la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui dispose de plus de 44 % du parc hydraulique national, ainsi que sur la région Occitanie (21 % du parc hydraulique national), en raison de leurs caractéristiques topographiques.

Les installations hydrauliques ont produit 54,8 TWh d'électricité sur l'année 2023, en augmentation de 23,4 % par rapport à l'année précédente, qui avait été marquée par des épisodes de sécheresse. La production hydraulique avait alors atteint son plus bas niveau depuis 1976 (49,6 TWh).

Source : RTE

La part de la consommation d'électricité couverte par la production du parc hydraulique renouvelable est estimée à 12,5 % en 2023. La PPE 2019-2028 a fixé des objectifs de développement de cette source d'énergie particulièrement ambitieux, ce qui suppose de réaliser des investissements importants. Or l'avenir incertain et discuté du régime juridique des concessions hydroélectriques qui fait l'objet d'un pré-contentieux avec la Commission européenne - la France ayant été mise en demeure à trois reprises, en 2003, 2015 et 2019 - pèse sur le développement de l'énergie hydraulique dans notre pays. C'est d'autant plus dommage que l'hydroélectricité est une énergie qui fait consensus, à la fois décarbonée, pilotable, au contraire du solaire et de l'éolien, et dont les équipements sont largement amortis.

Par ailleurs, le parc hydroélectrique à retenue d'eau, avec ses capacités de stockage, joue un rôle important dans l'optimisation de l'ensemble du parc électrique. Mme Emmanuelle Verger-Chabot, directrice d'EDF Hydro, a ainsi noté devant la commission d'enquête : « Surtout, il peut produire jusqu'à 25 % de l'électricité au moment des pointes, dans ces moments les plus difficiles en termes d'équilibre offre-demande »435(*). Avec le changement climatique et la raréfaction de la ressource, les barrages auront la mission à enjeu croissant d'assurer l'équilibre entre le refroidissement des centrales nucléaires, l'hydroélectricité et les autres usages comme l'irrigation et la navigation. Mme Karine Revcolevschi, directrice de la direction optimisation amont aval trading (DOAAT) d'EDF, entendue par le rapporteur436(*), a de son côté souligné leur rôle essentiel notamment pour optimiser la production en lien avec le parc nucléaire.

(b) Le parc éolien terrestre est devenu la première source de croissance de la production d'énergie bas-carbone

La puissance du parc éolien terrestre est de 21 815 MW en 2023, soit une croissance de 5,9 % en 2023. Cette source d'énergie manque de peu son objectif inscrit dans la PPE de plus de 2 GW, soit une réalisation à 90 %. Elle représente la première source de croissance de la production d'énergie bas-carbone en France et connaît un rythme de développement régulier, de l'ordre d'1,34 GW installé par an, depuis 2019.

Évolution de la capacité installée par année
pour la filière de l'éolien terrestre

Source : RTE

Comme l'a souligné Michel Gioria, délégué général de France Renouvelables, devant la commission d'enquête, « Environ la moitié des installations se trouve dans deux régions, Grand-Est et les Hauts-de-France. Nous assistons à un mouvement vers l'ouest et à des développements nouveaux vers la façade atlantique, notamment en Bretagne, en Pays de la Loire, en Normandie et dans une certaine mesure en Occitanie et en Centre-Val de Loire »437(*). Les Hauts-de-France dépassent ainsi les 6 GW et le Grand-Est n'est pas loin d'atteindre les 5 GW.

La production d'énergie éolienne a atteint 48,9 TWh en 2023, en hausse de 27,7 % par rapport à 2022 et de près de 45 % par rapport à 2019, ce qui constitue un niveau jamais atteint par la filière. Comme le fait remarquer RTE dans son bilan électrique France 2023, « le volume de production éolienne a largement dépassé celui des centrales au gaz et se place au troisième rang des filières de production française ».

Le facteur de charge mensuel moyen est de l'ordre de 26 % en 2023 ; il tend à s'améliorer pour les éoliennes installées entre 2009 et 2014. Ce niveau, lié aux évolutions météorologiques, reste faible et nous rappelle que l'éolien est l'électricité intermittente par excellence.

Pour l'année 2023, 11,1 % de la consommation d'électricité en France a été couverte par l'éolien terrestre, soit une hausse de près de trois points par rapport à 2022.

(c) L'éolien en mer connaît un démarrage plus tardif que dans d'autres pays européens

La puissance installée de l'éolien en mer atteint une capacité raccordée de 1 477 MW, correspondant à 61,5 % de l'objectif fixé par la PPE pour la fin de l'année 2023. Le premier parc éolien en mer, d'une capacité de 0,5 GW, a été mis en service en 2022 à Saint-Nazaire. La progression du parc éolien en mer en 2023 s'explique par la mise à disposition du raccordement pour les parcs de Saint-Brieuc en Bretagne et de Fécamp en Normandie. La France accuse un retard important dans ce domaine par rapport à certains pays voisins (Allemagne, Royaume-Uni).

L'électricité produite par l'éolien en mer progresse de façon significative par rapport à 2022, pour atteindre 1,9 TWh en 2023, couvrant ainsi 0,4 % de la consommation annuelle en 2023.

Si l'éolien en mer est censé bénéficier de vents plus forts et réguliers, ses principaux handicaps sont la maturité encore imparfaite des technologies, surtout pour l'éolien flottant, les incertitudes sur l'évolution mécanique des matériaux et les coûts de raccordements. Comme pour l'éolien terrestre, il est vigoureusement contesté quant à son impact sur les milieux d'implantation et les espèces naturelles qui y sont installées, quant à sa consommation d'espace et quant à ses nuisances (visibilité, bruits et vibrations...).

(d) La filière solaire photovoltaïque atteint des niveaux historiques

La filière solaire photovoltaïque s'est développée de façon importante au cours de ces dernières années du fait principalement de la multiplication des petites installations de moins de 36 kW raccordées au réseau basse tension.

Sa puissance installée s'établit à 19 047 MWh en 2023, en progression de 19,7 % par rapport à 2022, avec une accélération marquée ces dernières années. Elle se répartit entre installations au sol et sur toitures (petites et grandes). « Le marché du solaire se trouve en très forte croissance avec une répartition sensiblement constante entre le sol (55 %), et les toitures (45 %), aussi bien en stock qu'en flux » a ainsi précisé Mme Carlotta Gentile Latino, directrice des activités terrestres France d'EDF Renouvelables lors de la table ronde organisée par la commission d'enquête438(*).

Évolution du parc photovoltaïque

Source : RTE

L'énergie produite par la filière solaire a atteint un niveau historique, en 2023, avec 21,6 TWh, en augmentation de 16,5 % par rapport à l'année précédente, qui se situait déjà à un niveau record. Plusieurs régions contribuent fortement à cette progression, la Nouvelle-Aquitaine (5,4 TWh), l'Occitanie (4,3 TWh) et Provence-Alpes-Côte d'Azur (3,1 TWh). Le rythme de déploiement reste cependant à des niveaux très inférieurs à ceux d'autres pays européens, à l'exemple de l'Allemagne (+ 5,3 GW/an depuis 2019), l'Espagne (+ 3,7 GW/an depuis 2019), les Pays-Bas (+ 4 GW/an en 2022), ou encore la Pologne (+ 4,9 GW/an en 2022),

Cette production couvre ainsi 4,9 % de la consommation d'électricité en 2023.

Le solaire a pour lui d'être mieux accepté par les habitants, en particulier lorsqu'il se trouve sur toiture. Il souffre pour l'instant du fait que les matériaux sont essentiellement produits en Chine, souvent avec des processus fortement émetteurs de CO2. Par ailleurs, le solaire est fortement consommateur d'espace, s'agissant des parcs photovoltaïques et génère d'importants frais de raccordement lorsqu'il est diffus.

(3) Le déclin du parc de production thermique contribue à fragiliser la sécurité d'approvisionnement

En France, la puissance installée du parc de centrales thermiques fossiles actuel a été réduite à 18 GW alors qu'elle totalisait encore 30 GW au début des années 2000. Cette réduction s'explique principalement par l'arrêt de centrales fonctionnant à partir de fioul et de charbon. Entre 2010 et 2020, la puissance installée du parc de production thermique français a ainsi été réduite de 10 GW. La mise à l'arrêt des grandes installations fonctionnant au fioul, qui représentaient encore 5 GW de puissance installée en 2016, occupe une part essentielle de ce déclin. La puissance installée du parc de centrales à charbon s'est quant à elle rétractée à 1,8 GW alors qu'elle totalisait encore 7 GW en 2013.

Si le rapporteur partage l'objectif de lutter contre les dérèglements climatiques en réduisant nos émissions de gaz à effet de serre, il souligne que cet enjeu ne doit pas conduire à négliger notre sécurité d'approvisionnement en électricité. En effet, les centrales thermiques présentent le grand avantage d'être pilotables et de pouvoir satisfaire rapidement le surcroît de demande en cas de pic de consommation. Aussi, la fermeture prématurée de ces capacités de production peut-elle conduire à de graves désagréments. En la matière, le rapporteur considère que les décisions de mises à l'arrêt de centrales thermiques appliquées depuis la décennie 2010, qui ont abouti à réduire le parc d'un tiers de ses capacités, ont été prises sans suffisamment tenir compte des risques qu'elles faisaient peser en matière de sécurité d'approvisionnement.

Pourtant, l'illusion surcapacitaire qui avait cours jusqu'alors et la conviction que le développement de la production à partir d'EnR intermittentes suffirait à sécuriser l'approvisionnement des Français se sont brutalement heurtées aux conséquences de la crise survenue en 2022. À l'approche de l'hiver 2022-2023, la France a soudain pris conscience de ces capacités de production perdues, ce qui a notamment conduit le Gouvernement à revenir en catastrophe sur la perspective de fermeture des dernières centrales à charbon. Cependant, le manque d'anticipation et les réactions de court terme, aussi pragmatiques soient-elles, ne font pas une politique énergétique sérieuse.

Si la production du parc thermique fossile français a rebondi en 2022 pour compenser la faiblesse historique des volumes de production nucléaire et hydroélectrique, sa tendance est néanmoins orientée à la baisse. Cette évolution a pour origine le développement des filières éolienne et solaire ainsi que la fermeture de centrales dans une perspective de transition énergétique et de réduction des émissions de CO2. La production des centrales alimentée par des combustibles fossiles s'est établie à 32,6 TWh en 2023 (dont 30 TWh produit à partir de gaz), un niveau historiquement faible. Depuis 2014, la moyenne annuelle de production du parc thermique fossile est de 39,4 TWh quand entre 2004 et 2013 elle s'élevait encore à 53,3 TWh.

La commission tient à rappeler que, même réduit, le parc thermique a fortement participé à garantir la sécurité d'approvisionnement en électricité de la France au plus fort de la crise, lors de l'hiver 2022. En effet, en 2022, il a fourni près de 10 % de la production d'électricité nationale.

Les équilibres internes au parc de production fossile ont également fortement évolué à travers un remplacement progressif des centrales fonctionnant au charbon et au fioul par des centrales à gaz moins émettrices de CO2. Un cycle d'investissement significatif dans les centrales à gaz a ainsi été observé entre 2000 et 2015.

Ce mouvement s'est essentiellement traduit par la construction d'un parc de centrales thermiques dites à « cycle combiné au gaz » (CCG) plus efficaces que les unités dites « classiques » ou « à flamme » qui composaient le parc thermique historique.

Les centrales thermiques à cycle combiné au gaz (CCG)

Une centrale thermique à cycle combiné gaz (CCG) produit de l'électricité grâce à la chaleur dégagée par la combustion de gaz naturel. Ce type de centrale combine deux types de turbine : une turbine à combustion et une turbine à vapeur reliées à un alternateur. Avec le même volume de combustible, ces deux turbines permettent de produire une quantité plus importante d'électricité.

Grâce à l'utilisation du gaz naturel comme combustible, les émissions de COsont divisées par deux par rapport à une centrale au charbon. Flexible et réactive, une centrale à cycle combiné a un rendement supérieur à celui des centrales thermiques classiques. Capable de monter à pleine puissance en moins d'une heure, elle répond aux fortes variations de consommation, notamment pendant les jours de grand froid.

Source : site internet d'EDF

Les centrales thermiques classiques dites « à flamme »

Les centrales thermiques classiques, appelées également centrales thermiques à flamme, fonctionnent avec l'énergie produite par une chaudière à vapeur alimentée par du charbon, du gaz naturel, du fuel mais aussi de la biomasse. Cette vapeur actionne une turbine qui, à son tour, entraîne un alternateur pour produire de l'électricité.

Source : site internet d'Engie

RTE souligne dans son bilan prévisionnel 2023 que « la technologie du cycle combiné bénéficie d'un rendement énergétique élevé et son impact sur les émissions de COest moindre que celui d'une centrale thermique classique (à vapeur), avec un facteur d'émission de COréduit de moitié par rapport au charbon ».

Le parc français de CCG est composé de 15 centrales qui représentent 6,7 GW de puissance installée. Ce parc est récent puisque ces centrales ont été principalement mises en service entre 2008 et 2012. La centrale cycle-combiné gaz de Landivisiau en Bretagne, mise en service en 2022, est la dernière centrale à gaz construite en France. Les CCG du parc français sont exploités par TotalEnergies (2,7 GW), Engie (2 GW) et EDF (2 GW).

D'après le dernier bilan prévisionnel 2023-2035 de RTE, les CCG ont fonctionné en moyenne 4 000 heures par an au cours des dernières années439(*).

Le parc thermique fossile français est également composé d'unités dites « turbines à combustion » (TAC) qui ne sont pas dotées d'un cycle combiné. Exclusivement utilisé pour répondre aux situations de pointe et pour équilibrer la tension sur le réseau, le parc des TAC dispose d'une puissance installée de 2 GW. Les centrales fonctionnant à partir de fioul représentent 1,4 GW de la puissance totale et les centrales à gaz 0,6 GW. Le parc de TAC est exclusivement exploité par EDF.

Dans son Bilan prévisionnel 2023, RTE souligne que « si plus de la moitié de ce parc est relativement jeune (moins de 20 ans), les turbines à combustion les plus anciennes, toutes situées en Bretagne (quatre des cinq turbines à combustion au fioul de Brennilis et Dirinon, environ 360 MW de puissance installée) ont eu 40 ans en 2021. Bien que leur exploitant n'ait pas annoncé à ce jour de dates de fermeture, le déclassement de certaines de ces centrales est envisageable aux horizons 2030 et 2035 ».

En 2025, la réglementation européenne conduira à réduire les possibilités de fonctionnement des TAC au fioul. Pour demeurer éligibles au mécanisme de capacités, celles-ci ne devront pas fonctionner à pleine puissance plus de 400 heures par an.

Autre composante des capacités nationales thermiques fossiles, le parc de cogénérations fonctionne essentiellement à partir de gaz et représente une puissance installée de 5,4 GW. Relativement stable, la production annuelle de ce parc avoisine les 12 TWh.

Dans une perspective de transition énergétique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le parc de centrales à charbon est en voie d'extinction. Au fur et à mesure des fermetures de centrales, il s'est rétracté pour se réduire aujourd'hui à deux sites pour une puissance totale de 1,8 GW.

En décembre 2017, le Président de la République avait même pris l'engagement de fermer les dernières centrales à charbon françaises à l'horizon 2022. Cet engagement avait été inscrit dans la PPE pour 2019-2023 puis confirmé par la loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, dite « loi énergie climat », dont les dispositions de l'article 12 devaient entraîner la fermeture des quatre dernières centrales à charbon situées sur le territoire national : au Havre et à Cordemais pour celles exploitées par EDF ainsi qu'à Gardanne et Saint-Avold, pour les installations de GazelEnergie.

Les centrales du Havre et de Gardanne ont été mises à l'arrêt en 2021 puis celle de Saint-Avold en mars 2022. Néanmoins, en raison de la crise des prix de l'énergie et des risques en matière de sécurité d'approvisionnement en prévision de l'hiver 2022, le Gouvernement a fait machine arrière en autorisant la réouverture de la centrale de Saint-Avold et en décidant de maintenir en fonctionnement celle de Cordemais440(*). Un décret du 23 août 2023 a permis à ces deux dernières centrales de fonctionner au moins jusqu'au 31 décembre 2024 avant que le Président de la République annonce le mois suivant que ces centrales poursuivraient leur fonctionnement jusqu'en 2027.

Dans son bilan prévisionnel 2023, RTE signale notamment que, tant que l'EPR de Flamanville n'est pas en service, la disponibilité de la centrale à charbon de Cordemais est nécessaire pour sécuriser l'approvisionnement du Grand Ouest en cas de vague de froid.

En 2023, le volume de production des dernières centrales à charbon a été le plus faible de l'histoire : 0,8 TWh, soit 0,17 % de la production électrique nationale.

Comme le souligne RTE dans son bilan prévisionnel 2023-2035, l'équilibre économique de la plupart des cogénérations n'est plus viable à long terme du fait la suppression, à compter de 2021 et conformément à la PPE, du dispositif de soutien (sous forme d'obligation d'achat) qui avait permis le développement de ce type de centrales.

Encore anecdotique aujourd'hui, le parc de production thermique renouvelable est alimenté par des combustibles non fossiles (biomasse, déchets ou biogaz). Il représente au total un peu plus de 2 GW de puissance installée pour une production annuelle d'environ 10 TWh depuis 2021. Principalement composé de centrales de cogénération, ce parc produit essentiellement de l'électricité « en base » de façon continue. La puissance installée du parc de production thermique renouvelable avait été multipliée par deux entre 2010 et 2020 avant de se stabiliser depuis. Cette stagnation s'explique par le coût élevé de la production d'électricité à partir de bioénergies et par le phénomène de concurrence d'usage qui affecte ces ressources dont la quantité est limitée. Celles-ci sont ainsi réservées en priorité à d'autres secteurs à travers la production de chaleur et l'injection sur le réseau de gaz.

Les coûts variables des centrales thermiques, constitués essentiellement des combustibles fossiles, étant élevés, elles sont mises en route après les moyens de production moins coûteux tels que le nucléaire ou les EnR en application des règles de marché dite de l'ordre de mérite (voir supra). Aussi, ne fonctionnent-elles pas de manière continue mais « en semi base » ou « en pointe » selon les types d'unités. Cette caractéristique rend leur équilibre économique fragile. Dans son bilan prévisionnel 2023, RTE souligne à ce titre qu'« au-delà des enjeux spécifiques propres à chacune des filières, le parc thermique à flamme est de façon générale affecté par une problématique de viabilité économique à moyen terme, tant le maintien d'une source de rémunération capacitaire ou d'un soutien ad hoc apparaît indispensable à la pérennité de leur modèle économique ».

Quand bien même elles sont essentielles pour assurer notre sécurité d'approvisionnement, comme nous avons pu le constater en 2022, les centrales à cycle combiné au gaz ne sont pas épargnées par cette fragilité économique les rendant particulièrement dépendantes des rémunérations issues du mécanisme de capacités (voir supra). Cet enjeu est également mis en exergue par RTE dans son Bilan prévisionnel 2023 : « malgré leur intérêt pour la sécurité d'approvisionnement, la viabilité économique de ces moyens de semi-base à 2030 et 2035 est notamment fragilisée par l'accroissement envisagé de la production bas-carbone qui conduira à en réduire les durées de fonctionnement : l'analyse économique proposée au sein du bilan prévisionnel établit ainsi la nécessité de maintenir une source de rémunération capacitaire pour assurer la pérennité du modèle économique de ces actifs ».

b) Le choix du mix électrique doit reposer sur une comparaison transparente des caractéristiques propres à chaque filière de production

Si, comme décrit supra, la France est un modèle de décarbonation de son mix de production électrique, l'impératif de préserver cet atout incomparable doit être au coeur de toutes les décisions stratégiques en matière de politique énergétique. Pour cela, il est essentiel de privilégier le développement des capacités de production décarbonées.

Les énergies renouvelables éolienne, solaire et hydroélectrique ainsi que le nucléaire se distinguent des autres filières de production sur cet aspect. D'après RTE, en raisonnant en cycle de vie, c'est-à-dire du début de la construction d'une installation jusqu'à la fin de son démantèlement, les filières nucléaire et hydroélectrique apparaissent comme les plus vertueuses sur le critère des émissions de CO2. A contrario, la production d'électricité à base de charbon est l'une des plus émettrices de COau monde. Elle est en moyenne près de trois fois plus émissive que la production réalisée à base de gaz naturel.

Comparaison des émissions de COen cycle de vie par filières de production d'électricité

(en g e COpar kWh)

Source : commission d'enquête, d'après RTE, Futurs énergétiques 2050

Les technologies de production se distinguent également par leur stabilité et leur caractère plus ou moins prévisible dans le temps. Les filières éolienne et photovoltaïque sont ainsi qualifiées d'intermittentes dans la mesure où leur production varie, parfois de façon aléatoire ou difficilement prévisible, selon leurs sources d'énergie que sont le vent et l'ensoleillement. À l'inverse, moyennant d'éventuelles difficultés conjoncturelles d'ordre technique, la production des filières hydroélectrique, nucléaire ou thermique est beaucoup plus prévisible et ne dépend pas de la variabilité d'éléments extérieurs.

Les technologies de production se distinguent aussi par les opportunités qu'elles offrent en termes de « pilotabilité », c'est-à-dire d'ajustement plus ou moins rapide et plus ou moins ample de leur production aux besoins de l'équilibrage du système électrique. Sur cet aspect, les centrales thermiques ou les barrages hydroélectriques présentent une plus-value considérable, leur production étant particulièrement flexible. Les centrales nucléaires françaises sont également conçues pour offrir une marge importante de flexibilité de leur production, c'est ce que l'on appelle la modulation. Inversement, les filières d'énergies renouvelables intermittentes sont peu pilotables même si les installations les plus récentes peuvent écrêter leur production en cas de prix de marchés négatifs. En toute hypothèse, les coûts variables de ces filières étant presque nuls, hors incitations spécifiques, elles n'ont pas d'intérêt économique à moduler leur production tant que les prix de marchés demeurent à un niveau positif.

Le degré de prévisibilité et de flexibilité des différentes filières explique que certaines sont plus adaptées à fournir de l'électricité en fonctionnant de façon continue, à toute heure du jour et de la nuit, avec un niveau élevé de puissance, c'est ce que l'on appelle les « moyens de base ». C'est le cas des installations hydroélectriques « de base » dites « au fil de l'eau ». La filière nucléaire est dans cette situation dans la plupart des pays du monde où elle est utilisée. Cependant, en France, les réacteurs nucléaires modulent leur production à hauteur d'environ 7 % de leur capacité maximale en moyenne. La vocation de ce parc reste bel et bien cependant de constituer une capacité de production « en base » stable et permanente.

Des installations intermittentes ou plus flexibles que les moyens de base, mais dont le modèle économique suppose tout de même de fonctionner régulièrement, servent fréquemment à couvrir la demande. Il s'agit des moyens de production dits de « semi-base ». Appartiennent à cette catégorie les énergies renouvelables intermittentes mais aussi certains moyens thermiques tels que les centrales à cycle combiné au gaz.

Enfin, certaines installations, dites « moyens de pointe », très flexibles, sont destinées à ne fonctionner qu'en de rares périodes de fortes tensions sur le réseau. Il s'agit de centrales thermiques telles que les turbines à combustion mais aussi des stations hydroélectriques de transfert d'énergie par pompage (les STEP).

Dans un rapport de 2021 sur les coûts de production du système électrique441(*), en se basant sur les données de RTE, la Cour des comptes estimait que les moyens « de semi-base » avaient vocation à être mobilisés entre 2 000 et 6 000 heures par an et les moyens « de pointe » moins de 2 000 heures.

En lien avec leur besoin de fonctionner de façon plus ou moins continue afin d'amortir leurs coûts fixes, certaines technologies reposent sur des coûts fixes élevés et des coûts variables très réduits. C'est le cas de la filière nucléaire, des installations éoliennes et photovoltaïques ou encore des installations hydroélectriques de base. Inversement, d'autres moyens de production se caractérisent par des coûts fixes moins importants mais des coûts variables beaucoup plus élevés en lien avec les évolutions du prix des intrants (gaz, charbon, fioul, etc.) nécessaires à leur fonctionnement. Il s'agit principalement des centrales thermiques.

Le niveau de maturité technologique de chaque filière et, au sein de chacune d'elles, des différents types de technologies, doit aussi être pris en compte dans les choix stratégiques de politique énergétique. Sans manquer d'ambitions, il s'agit de ne pas hypothéquer l'avenir de notre système électrique en le faisant reposer sur des paris technologiques trop incertains. Par ailleurs, ces risques ont un effet direct sur le coût des technologies et du mix électrique dans la mesure où ils renchérissent les rémunérations exigées par les investisseurs pour s'en prémunir.

Les délais de construction des différentes capacités de production doivent également être pris en compte dans les orientations stratégiques des pouvoirs publics. À titre d'exemples, comme nous le verrons ultérieurement, la durée des procédures administratives pour la réalisation d'un parc éolien terrestre est de 7 à 9 ans et celle d'une centrale nucléaire dépasse aujourd'hui les 10 ans. Ce délai est nettement plus court pour une centrale thermique. D'après Engie et TotalEnergies442(*), pour une centrale à gaz, il s'établit en moyenne entre 4 et 5 ans en prenant en compte l'ensemble des procédures administratives, la construction en elle-même pouvant ne durer que 3 ans.

La problématique des déchets générés par certaines filières de production d'électricité ne peut être ignorée. Chaque année les centrales nucléaires produisent des matières radioactives non retraitables classées en « déchets ultimes ». Les déchets les plus radioactifs, caractérisés par des niveaux de rayonnement élevés et des durées de vie très longues (plusieurs centaines de milliers d'années), représentent moins de 200 mpar an. L'usine d'Orano de La Hague conditionne ces déchets en les piégeant dans une matrice de verre. Vitrifiés, ils sont ensuite coulés dans des conteneurs en inox et entreposés en puits en attendant d'être stockés en couche géologique profonde dans le cadre du projet d'enfouissement dit Cigéo.

Décomposition des déchets nucléaires « ultimes » par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra)

L'ANDRA distingue :

- les déchets de haute activité (HA), qui sont en provenance, pour la plupart, de l'industrie électronucléaire. Ces déchets à vie longue perdent leur radioactivité sur des durées supérieures à 31 ans et demeurent actifs pendant plus de 300 ans, voire des milliers d'années pour les plus radioactifs. Compte tenu de leur niveau de radioactivité et de leur longue durée de vie, ils sont incorporés à une pâte de verre en fusion. Le mélange est coulé dans un colis en inox. Ce dernier contient environ 400 kg de verre pour 11 kg de déchets HA. Avant d'être stockés, ils seront d'abord entreposés plusieurs dizaines d'années pour que leur température élevée baisse. À terme, ils doivent être stockés dans le Centre de stockage géologique (Cigéo) qui sera situé dans une couche d'argile à environ 500 mètres sous terre avec une capacité d'accueil de 10 000 mpour ces déchets. Ils représentent environ 200 mpar an, 0,2 % du volume total des déchets et 97,2 % de leur radioactivité ;

- les déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL), principalement issus du retraitement des combustibles usés, sont entreposés sur les sites des producteurs de déchets dans l'attente de la mise en service du projet Cigéo qui disposera d'une capacité d'accueil de 73 000 mpour les MA-VL. Ils représentent 2,3 % du volume total des déchets et 2,67 % de leur radioactivité ;

- les déchets de faible activité à vie longue (FA-VL), qui comprennent en majorité des déchets anciens, provenant notamment des réacteurs de la filière uranium naturel graphite gaz (UNGG)443(*) ou d'assainissement de sites pollués au radium. Ces déchets sont entreposés sur les sites de leurs producteurs dans l'attente de solutions de stockage à faible profondeur aujourd'hui à l'étude par l'ANDRA Ils représentent 5,9 % du volume total des déchets et 0,01 % de leur radioactivité ;

- les déchets de faible et moyenne activité à vie courte (FMA-VC), qui sont essentiellement issus de la maintenance et de l'exploitation d'installations de l'industrie électronucléaire, des activités du CEA, de laboratoires de recherche, d'hôpitaux, d'universités, et d'opérations d'assainissement et de déconstruction. Ils ne présenteront plus de risque au bout de 300 ans environ, du fait de la décroissance naturelle de la radioactivité. Ils ont été pris en charge entre 1969 et 1994 sur le centre de stockage de la Manche, aujourd'hui en phase de fermeture, et sont stockés depuis 1992 sur le centre de stockage de l'Aube (CSA), lequel dispose d'une capacité maximale autorisée d'un million de m3. Grâce aux optimisations et réductions de volumes réalisées par les producteurs de déchets et à la création de la filière de gestion des déchets de très faible activité (TFA) en 2003, le taux de remplissage du CSA s'élevait à 36,3 % à fin 2021. L'atteinte de la capacité autorisée du CSA interviendrait aux alentours de 2060. Ils représentent 55,7 % du volume total des déchets et 0,12 % de leur radioactivité ;

- enfin, les déchets de très faible activité (TFA) sont principalement constitués de gravats (bétons, plâtres, terres) et ferrailles (charpentes métalliques, tuyauteries) ayant été très faiblement contaminés (radioactivité proche de la radioactivité naturelle). La France est le premier pays au monde à considérer l'ensemble de ces déchets comme des déchets radioactifs et à les stocker dans une installation spécifique, le Centre industriel de regroupement, d'entreposage et de stockage (Cires) dans l'Aube. Ils représentent 35,9 % du volume total des déchets et 0,0004 % de leur radioactivité.

Fin 2022, la totalité des volumes de déchets stockés en France atteignait 1,7 million m3, répartis selon le tableau suivant :

Bilan des volumes de déchets radioactifs à fin 2022 (en m3)

Source : Andra

Les choix stratégiques en matière de mix électrique doivent également tenir compte des enjeux et des coûts futurs du démantèlement des installations. S'agissant de la filière nucléaire, la loi française impose à l'opérateur des centrales de provisionner les charges futures associées à leur démantèlement. À ce titre, ces dernières sont incluses dans les coûts complets de production du parc nucléaire et représentent environ 1 euro par MWh en leur sein. Dans un rapport publié en 2020, la Cour des comptes estimait le coût total prévisionnel du démantèlement de l'ensemble des réacteurs nucléaires du parc en exploitation à 21 milliards d'euros444(*).

En France, le démantèlement de centrales nucléaires est déjà une réalité

Quatorze installations nucléaires d'EDF sont arrêtées ou en cours de démantèlement, dont neuf réacteurs de première génération (6 réacteurs UNGG, un réacteur à eau lourde et deux réacteurs à eau pressurisée), le réacteur Superphénix, l'atelier d'entreposage du combustible de Creys-Malville, le laboratoire de traitement et d'analyses de matériaux irradiés (AMI), l'installation d'entreposage des chemises graphite de Saint-Laurent et les deux réacteurs de Fessenheim.

La stratégie cible de démantèlement d'EDF pour le parc en fonctionnement conduit à une durée de démantèlement de l'ordre de 20 ans par installation. Pour les démantèlements des réacteurs UNGG, EDF a adopté une stratégie en deux étapes consistant à tester sur un premier réacteur, Chinon A2 (tête de série), les solutions avant de les appliquer aux autres.

Source : réponses écrites de la DGEC au questionnaire de la commission d'enquête

En 2023, les provisions constituées par EDF en vue du démantèlement de son parc de centrales nucléaires en exploitation représentait 13 milliards d'euros.

Les provisions constituées par EDF en vue démantèlement de ses centrales sont couvertes par des actifs détaillés dans ses publications financières et résumés par la DGEC dans l'encadré ci-après.

Actifs de couverture des provisions d'EDF en vue du démantèlement de ses centrales nucléaires

Dans ses comptes-consolidés de 2022, EDF précise que le Conseil d'administration du 29 juin 2018 a validé le principe d'une allocation stratégique des actifs dédiés composée de la façon suivante :

- actifs de rendement (cible de 30 % des actifs dédiés), composés d'actifs d'infrastructures, dont les titres de la co-entreprise de transport d'électricité (CTE), c'est-à-dire ses parts dans le capital de RTE, et d'actifs immobiliers ;

- actifs de croissance (cible de 40 % des actifs dédiés), composés de fonds d'actions cotées et de fonds d'investissement en actions non cotées ;

- actifs de taux (cible de 30 % des actifs dédiés), composés d'obligations cotées ou de fonds d'obligations cotées, de fonds de dette non cotée, de créances et de trésorerie.

Ces cibles doivent être progressivement atteintes d'ici 2025.

Au 31 décembre 2020, l'allocation était composée de 40,5 % d'actifs de taux (obligations) par rapport aux actifs de rendement (19 % du portefeuille-infrastructure et immobilier). Les actifs de croissance étaient au niveau de l'allocation stratégique. Cette situation inchangée depuis 2019, sera progressivement régularisée d'ici 2025, comme le prévoit la note de référence.

Source : réponses écrites de la DGEC au questionnaire de la commission d'enquête

S'agissant des installations d'énergies renouvelables, les parcs éoliens terrestres ont une durée moyenne de vingt ans, tandis que celle des panneaux photovoltaïques est d'environ trente à trente-cinq ans.

Le démantèlement et la gestion des déchets des installations EnR sont soumis à des obligations règlementaires445(*). Le démantèlement et la remise en état du site, lors de la fin de l'exploitation des installations, sont placés sous la responsabilité de l'exploitant. En outre, les projets éoliens font l'objet d'une garantie financière afin de financer leur démantèlement en cas de défaillance de l'exploitant. Des objectifs minimaux de réutilisation ou recyclage des composants des éoliennes, exprimés en pourcentage de la masse, ont été fixés depuis le 1er juillet 2022.

Le contrôle des obligations règlementaires en matière de démantèlement des installations EnR est assuré par l'inspection des installations classées au sein des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL). Une mise en demeure peut être adressée par le préfet à l'exploitant en cas de non-respect de la règlementation, et si, à l'issue du délai imparti, il n'est pas remédié aux manquements constatés, des sanctions administratives peuvent alors être prononcées (amende, astreinte, consignation, suspension d'activité, travaux d'office). S'agissant des parcs éoliens relevant du régime de l'autorisation, une attestation de conformité aux prescriptions mentionnées dans le code de l'environnement doit être établie par une entreprise certifiée à l'issue des opérations de démantèlement et de remise en état.

La commission d'enquête a souhaité savoir si cette règlementation était correctement mise en oeuvre sur le terrain. Elle a interrogé à cet effet les administrations centrales compétentes sur la réalité concrète des opérations de démantèlement des installations EnR. Elle s'étonne vivement que la DGEC et la direction générale de prévention des risques (DGPR) du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires se soient révélées incapables de lui répondre faute de données nationales consolidées à partir du suivi des DREAL.

Démantèlement et recyclage des déchets des éoliennes terrestres

Les opérations de démantèlement et de remise en état comprennent l'excavation totale des fondations, sauf dérogation accordée par le préfet sur la base d'une étude adressée au préfet démontrant que le bilan environnemental du décaissement total est défavorable. La profondeur excavée ne peut être inférieure à deux mètres dans les terrains à usage forestier au titre du document d'urbanisme opposable et un mètre dans les autres cas. Les déchets de démolition et de démantèlement des éoliennes doivent être réutilisés, recyclés, valorisés, ou à défaut éliminés dans les filières dûment autorisées à cet effet, dans le respect de la hiérarchie des modes de traitement des déchets. Dans le cas d'une éolienne terrestre, la majorité des composants, constitués d'acier et de béton, sont recyclables. Cela concerne une part importante de la masse de l'installation, à savoir le mât et les fondations. Le rotor est constitué du moyeu, des pales et de la nacelle. Le moyeu et la nacelle, composés d'acier et de matériaux électriques et électroniques, sont en grande partie recyclables. Les pales des éoliennes sont constituées de matériaux composites (fibre de verre, carbone, résine). Des débouchés existent d'ores et déjà pour la valorisation de ces matériaux. De nouvelles solutions pour recycler et réutiliser les fibres de verre sont par ailleurs en cours de développement par les acteurs industriels.

Source : Réponse du ministère de de la transition écologique et de la cohésion des territoires à une question écrite, publiée le 27 juillet 2023

Un autre aspect qui doit être pris en compte dans les décisions de long terme des pouvoirs publics en matière énergétique tient à la maîtrise souveraine des filières concernées. Or certains matériaux ou certaines technologies de production pourraient nous rendre dépendants de régions du monde extra européennes et de risques géopolitiques qui pourraient leur être associés.

Ces enjeux sont particulièrement sensibles pour les filières renouvelables intermittentes, dont certaines fabrications sont aujourd'hui assurées par des pays extra-européens et, au premier chef, la Chine. Des risques substantiels de dépendance concernent notamment l'accès à certaines terres rares indispensables à l'élaboration des aimants intégrés dans les alternateurs d'éoliennes ou encore au silicium de qualité métal qui entre dans la fabrication des panneaux solaires.

Dans la définition de leurs scénarios énergétiques de long terme, les pouvoirs publics doivent aussi se préoccuper des enjeux d'acceptabilité sociale et territoriale des différentes technologies. Une décision unilatérale descendante qui ne tiendrait aucun compte de l'avis des populations concernées par l'installation de nouveaux moyens de production a toutes les chances d'aboutir à une impasse.

2. Prendre en compte la totalité des coûts

En premier lieu, comme l'avait déjà signalé la Cour des comptes dans un rapport de 2021 consacré aux coûts du système électrique446(*), la commission d'enquête constate et regrette que les services de l'État ne disposent que de moyens très limités pour calculer les coûts de production des filières de production et du système électrique dans son ensemble. L'État doit ainsi se référer à des organismes extérieurs, certes publics, tels que RTE, la CRE, la Cour des comptes ou l'Ademe, mais aussi, bien souvent, à des cabinets de consultants privés. Cela a été le cas en particulier pour l'estimation des coûts du programme de nouveau nucléaire avec, en l'espèce, une plus-value toute relative eu égard à la réévaluation très significative des coûts du programme opérée quelques mois seulement après les premières évaluations réalisées par ces cabinets.

a) Comment calculer les coûts de production d'une centrale électrique ?

Plusieurs méthodes de calcul des coûts de production des centrales électriques existent. Elles diffèrent par leurs modalités de calcul comme par leur vocation, c'est-à-dire la question à laquelle elles doivent répondre :

- faut-il construire telle centrale ou telle autre ?

- faut-il prolonger telle centrale ?

- à quel prix l'électricité produite doit-elle être rémunérée pour couvrir le coût complet de telle centrale ?

- à quel prix l'électricité produite doit-elle être rémunérée pour couvrir les coûts variables de telles centrales, les coûts fixes ayant déjà été engagés ?

- etc.

Les résultats de chacune des méthodes peuvent très sensiblement différer, ce qui doit conduire à aborder avec une grande prudence les comparaisons de coûts complets de production entre filières. Cette prudence est d'autant plus nécessaire que, comme précisé infra, la méthode du calcul du coût complet par filière est insuffisante pour déterminer l'intégralité des coûts réels générés par chaque filière pour le système électrique dans son ensemble. En effet, cette méthode ne permet pas de prendre en compte les coûts dits « systèmes » qui résultent des effets de l'intégration de nouveaux moyens de production dans le système électrique. Or, ces coûts induits, qui comprennent notamment les adaptations de la structure des réseaux d'acheminement ou encore du développement de nouvelles « flexibilités » pour assurer l'équilibre du système (besoin de nouveaux moyens de production pilotables, de solutions de stockage, etc.), varient très fortement d'une filière de production à une autre, principalement en fonction de leur caractère pilotable ou intermittent, les moyens de production intermittents générant des « coûts systèmes » nettement plus importants que les filières pilotables.

Le choix des méthodes de calcul donne lieu à des débats souvent passionnés qui aboutissent rarement à un consensus, en témoigne notamment le prix de l'Arenh qui n'a jamais pu être actualisé comme la loi le prévoit, faute d'un accord des différents acteurs concernés sur la méthode de calcul des coûts de production du parc nucléaire.

Les difficultés à retenir une méthode de calcul des coûts de production : illustration du cas du parc nucléaire historique et de la détermination du mode de calcul du prix de l'Arenh

Le débat sur les méthodologies de calcul des coûts de production électrique n'est pas nouveau : les rapports de la Cour des comptes de 2012 et 2014 sur les coûts de la production électronucléaire ont présenté plusieurs méthodologies de calcul possibles. Les différences de résultats produits par ces approches différentes expliquent notamment que le décret devant fixer la méthode de calcul du coût de production de l'électricité nucléaire pour actualiser le prix de l'accès régulé au nucléaire historique (Arenh) n'ait jamais été pris. Le désaccord entre les différentes parties prenantes (État, CRE, Autorité de la concurrence, Commission Européenne) sur les modalités de calcul du coût de production que le prix de l'Arenh devait refléter, afin de garantir une rémunération raisonnable à EDF, n'a pas pu être surmonté.

Source : L'analyse des coûts du système de production électrique en France, Cour des comptes, 2021

Actuellement, de nombreuses polémiques entourent les comparaisons entre les coûts complets de production des filières nucléaires (nucléaire historique et nouveau nucléaire) et renouvelables intermittentes. Ces polémiques proviennent notamment des limites inhérentes à la méthode du calcul du coût complet moyen par filière. Elles ne peuvent être résolues que par une approche permettant de raisonner à l'échelle du système électrique dans son ensemble pour effectuer des comparaisons économiques objectives et à long terme entre les différents scénarios de mix électrique (voir infra).

(1) Approches « comptables » vs approches « économiques »

Il convient d'abord de rappeler que toute méthode de calcul des coûts complets de production d'une centrale électrique doit nécessairement prendre en compte quatre grandes familles de dépenses :

- les dépenses d'investissement (dites « CAPEX ») réalisées tant pour la construction de la centrale que pour l'éventuelle prolongation de sa durée de fonctionnement ;

- les dépenses fixes d'exploitation (dites « OPEX » fixes) qui regroupent notamment les charges de personnel, des achats ou les impôts et taxes ;

- les dépenses variables d'exploitation (dites « OPEX » variables), proportionnelles au volume effectif de la production de la centrale et essentiellement constituées de la consommation de combustible ;

- les charges de long terme relatives aux obligations de démantèlement ou encore à la gestion des déchets.

Illustration de la répartition temporelle des coûts et recettes d'un projet de centrale électrique

Source : L'analyse des coûts du système de production électrique en France, Cour des comptes, 2021

Deux familles principales de méthodes de calcul des coûts complets de production peuvent être distinguées : les méthodes d'inspiration comptables et les méthodes d'inspiration économique. La principale différence entre ces deux méthodes tient à la façon dont sont intégrés les coûts d'investissement. Dans son rapport de 2021 précité, la Cour des comptes résumait ainsi cette différence et ses conséquences sur les résultats obtenus : « L'approche comptable tient compte, sur une année donnée, des dotations aux amortissements et d'une rémunération de la valeur nette comptable (VNC) des immobilisations. L'approche économique calcule un coût annuel moyen des investissements sur la durée de vie de l'actif de production. Ces deux approches peuvent donner des résultats très différents selon le rythme effectif des amortissements comptables ».

Les dépenses d'investissement initiales de construction de la centrale doivent être réparties sur le cycle de vie de la centrale. Elles sont ainsi intégrées de deux façons différentes selon la méthode retenue :

- dans les approches comptables, l'annualisation des coûts d'investissements initiaux est opérée selon les normes de comptabilité, c'est-à-dire à travers les amortissements et les charges financières de la dette consentie pour financer les projets auxquels sont ajouté un taux de rémunération du capital investi sous la forme d'un coût moyen pondéré du capital (CMPC) appliqué à la valeur nette comptable (VNC) des actifs ;

- dans les approches économiques (telles que le calcul de type LCOE447(*) présenté infra), la somme actualisée448(*) des dépenses est divisée par la somme actualisée des volumes de production annuels sur toute la durée de vie de la centrale, les dépenses d'investissement sont ainsi réparties tout au long de la période de fonctionnement de la centrale à travers un loyer économique annualisé449(*).

Au-delà de la simple distinction entre les méthodes comptables et économiques, des approches hybrides, qui empruntent aux deux familles, peuvent aussi être appliquées. C'est le choix qu'avait fait notamment la commission dite « Champsaur » pour déterminer le prix de l'Arenh.

De façon générale, les approches dites économiques se prêtent davantage à l'évaluation de la pertinence d'un projet d'investissement tandis que les approches comptables ou hybrides, parce qu'elles tiennent compte du passé, sont plus adaptées pour déterminer le niveau d'un tarif régulé de l'électricité.

Le coût dit « cash » ou encore « résiduel », ne prend quant à lui en compte que les seuls décaissements annuels futurs, le cas échéant rapportés au MWh produit, nécessaires pour faire fonctionner une centrale. Ils correspondent ainsi à l'addition du coût marginal de production et des coûts fixes annuels. Il n'intègre donc pas les investissements passés. Il est utilisé pour évaluer la pertinence économique de la prolongation la durée de vie d'un moyen de production, le cas échéant en réalisant les investissements requis, plutôt que d'en construire un nouveau. Cette méthode est notamment employée pour étudier la compétitivité économique d'une prolongation des réacteurs composants le parc nucléaire historique (voir infra).

(2) Le « LCOE » : la méthode de calcul du coût complet de production actualisé la plus communément utilisée

La méthode dite « LCOE » appartient à la famille des approches économiques. Exprimée en euros par MWh, elle permet d'évaluer les coûts complets450(*), actualisés sur l'ensemble de sa durée de vie, d'une installation, rapportés à la quantité d'électricité que devrait produire la centrale jusqu'à sa mise à l'arrêt. En théorie, le LCOE correspond ainsi globalement au prix de vente moyen nécessaire pour couvrir les coûts complets du projet et assurer une rémunération suffisante des capitaux investis.

Cette méthode est celle qui est la plus communément utilisée dans le monde pour comparer les coûts complets des différentes filières de production. Le LCOE est composé des quatre blocs incontournables présentés supra, à savoir :

- les coûts d'investissement eux-mêmes décomposés entre les coûts de construction (dits aussi « overnight »451(*)) et les coûts de financement ;

- les coûts fixes d'exploitation ;

- les coûts variables d'exploitation, c'est-à-dire essentiellement les coûts de combustible ;

- les charges de long terme de démantèlement et de gestion des déchets.

LCOE est très sensible aux hypothèses sous-jacentes à son calcul, tout particulièrement s'agissant des paramètres retenus en termes de coût du capital et de facteur de charge, le niveau du coût complet de production d'une centrale étant une fonction croissante du premier paramètre et décroissante du second, dans des proportions particulièrement significatives.

Le facteur de charge

Le facteur de charge (ou « Kp ») d'une installation de production d'électricité correspond au rapport entre sa production réelle et le maximum théorique qu'elle aurait pu produire sur une période d'un an au regard de sa puissance, c'est-à-dire la production qu'elle aurait générée si elle avait fonctionné toute l'année à pleine puissance. Le facteur de charge se décompose en deux dimensions :

- d'une part le coefficient de disponibilité (ou « Kd »), c'est-à-dire le pourcentage de la période considérée au cours de laquelle la centrale a fonctionné ;

- d'autre part le coefficient d'utilisation (ou « Ku »), c'est-à-dire, pendant la période où la centrale a fonctionné, le rapport entre sa production effective et la production qu'elle aurait généré si elle avait fonctionné à pleine puissance.

À titre d'exemple, un facteur de charge de 80 % pourrait en théorie correspondre à une centrale qui a fonctionné à plein régime 80 % du temps ou bien une centrale qui aurait fonctionné sans arrêt pendant toute la période à 80 % de sa puissance nominale.

Source : commission d'enquête

Les hypothèses retenues en matière de coûts du capital sont cruciales s'agissant des installations à forte dominante de coûts fixes, c'est-à-dire principalement les moyens de production décarbonés nucléaire ou renouvelables. À titre d'illustration, s'agissant de la filière nucléaire, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation de 1 % de l'hypothèse de CMPC retenue conduit en moyenne à une hausse de 3,3 euros par MWh du coût complet de l'électricité produite par la centrale452(*).

(3) Des approches « aux bornes de la centrale » qui ne tiennent pas compte des « coûts systèmes » induits par les différentes filières de production

Le LCOE, comme d'ailleurs les autres méthodes de calcul des coûts complets de production présentées supra, n'est qu'un coût dit « aux bornes de la centrale ». C'est-à-dire qu'il ne tient pas compte des « coûts systèmes » que celle-ci génère. Les coûts systèmes correspondent aux coûts d'intégration des moyens de production au sein des systèmes électriques. Ces coûts correspondent principalement à des investissements dans les réseaux de transport et de distribution ou pour développer des moyens de flexibilités nécessaires à l'équilibre du système, tels que des moyens de production pilotables pour couvrir les pointes de consommation ou encore des dispositifs de stockage. Or, ces coûts varient fortement selon les filières

Cette limite des méthodes de calcul est notamment mise en exergue par RTE dans son étude sur les futurs énergétiques 2050 : « le LCOE ne prend pas en compte les conséquences de l'insertion de chaque filière sur le système électrique, en particulier s'agissant des besoins de flexibilité et de réseau. Or, en pratique, l'insertion d'un parc éolien, d'un parc solaire, d'une centrale hydraulique ou d'un réacteur nucléaire n'entraîne pas les mêmes conséquences sur le système et occasionne, à des degrés divers, des coûts spécifiques (besoins de flexibilité et de stockage pour assurer la sécurité d'approvisionnement, raccordement, renforcement du réseau) qu'il convient d'intégrer à l'analyse ».

Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, la DGEC a également abondé dans ce sens : « la comparaison des coûts des différentes filières (en s'appuyant sur la notion de LCOE) ne permet pas de traduire fidèlement la compétitivité du parc de production ou de comparer le coût des technologies entre elles, puisque ces moyens de production ne rendent pas le même service au système et sont très différents par leur nature et leur taille, ce qui a des impacts sur les coûts de réseaux et sur la nécessité de moyen supplémentaire pour assurer la stabilité du réseau et la sécurité d'approvisionnement ».

Outre le sujet des « coûts systèmes », les méthodes de calcul des coûts complets moyens par filière de production posent une autre difficulté particulièrement importante qui est celle des hypothèses retenues en termes de facteur de charge. En effet, le facteur de charge d'une centrale ou d'une filière de production ne peut être envisagé indépendamment du système électrique et du mix de production dans lequel elle s'insère. Il dépend aussi des hypothèses de consommations retenues. Le facteur de production réel d'une centrale ou d'une filière ne peut être déduit que de modélisations complexes qui répliquent le fonctionnement d'un système électrique dans son ensemble.

Toujours dans son étude sur les futurs énergétiques, RTE souligne cette faiblesse : le LCOE « est calculé en retenant des hypothèses normatives sur le facteur de charge, alors que cette valeur devrait être endogène à chaque scénario. Par exemple, pour un profil de consommation donné, la production d'un réacteur nucléaire peut être contrainte dans un scénario de fort développement de l'éolien et du solaire et résulter en un facteur de charge effectif plus faible que le facteur de charge théorique, de la même façon que de grandes centrales photovoltaïques peuvent voir leur production régulièrement écrêtée durant la période ».

b) La comparaison des coûts complets de production des filières doit être relativisée puisqu'elle n'intègre pas les « coûts systèmes »
(1) L'inversion récente de la tendance à la baisse des coûts complets des installations éoliennes et photovoltaïques

Au niveau national, les principales sources publiques s'agissant de l'évaluation des coûts des centrales qui produisent de l'électricité à partir d'énergies renouvelables sont, d'une part, l'Ademe et RTE, à travers les études qu'ils publient, et, d'autre part, la CRE, via les appels d'offre des dispositifs de soutien public qu'elle met en oeuvre.

Jusqu'à une période récente, les coûts complets actualisés (LCOE) de plusieurs filières de production renouvelables intermittentes semblaient suivre une trajectoire de baisse constante et soutenue. Ce phénomène a concerné aussi bien le photovoltaïque que l'éolien terrestre ou l'éolien en mer posé. Sur ces technologies, RTE constatait en 2021, dans son étude sur les futurs énergétiques, « des baisses considérables en lien avec les améliorations technologiques et les effets d'échelle ». RTE estimait également qu'en dépit d'incertitudes s'agissant de quelques filières, « la poursuite d'une tendance baissière pour les coûts des énergies renouvelables est globalement admise ».

Le rapporteur relève cependant que cette affirmation mérite d'être aujourd'hui nuancée au regard de l'inversion de la tendance baissière constatée depuis 2022 sur l'ensemble des filières (voir infra).

Avant l'inversion constatée en 2022, l'Ademe et RTE estimaient que les coûts complets des parcs éoliens terrestres pourraient se situer entre 60 euros par MWh et 65 euros par MWh à horizon 2030, soit un niveau proche de celui de 2019. Dans son étude Futurs énergétiques 2050, RTE considérait qu'il existait une sérieuse incertitude, notamment liée à la taille des éoliennes, sur l'évolution à moyen long terme des coûts de production de la filière éolienne terrestre. Les derniers appels d'offre ont du reste abouti à des prix moyens de l'ordre de 90 euros par MWh.

Évolution des prix moyens pondérés des dossiers déposés et des dossiers retenus par la CRE dans le cadre des appels d'offres pour l'éolien terrestre

Source : commission d'enquête d'après les données de la CRE

S'agissant des parcs éoliens en mer posés, les dernières estimations réalisées par l'Ademe et RTE font état de coûts de production qui pourraient se situer dans une fourchette allant de 40 euros par MWh à 70 euros par MWh à horizon 2030, les appels d'offres les plus récents ayant été conclus à un prix de 44 euros par MWh. Il est à noter que ce coût ne comprend pas les dépenses de raccordement dont le coût est assumé par chaque consommateur à travers le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité ou « TURPE ».

Évolution des prix moyens pondérés des dossiers déposés et des dossiers retenus par la CRE dans le cadre des appels d'offres pour l'éolien en mer

Source : commission d'enquête d'après les données de la CRE

Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, le Syndicat des énergies renouvelables (SER) a souligné qu'en Europe, depuis dix ans, les prix des appels d'offre de parcs éoliens en mer posés avaient été divisés par quatre. Pour comparer cette filière avec d'autres, il conviendrait de majorer d'au moins 15 euros par MWh le prix des appels d'offre pour intégrer dans son coût complet les dépenses de raccordements.

Si les coûts de production de l'éolien en mer flottant, toujours sans tenir compte des dépenses de raccordement, sont parfois annoncés, à horizon 2030, autour de 100 euros par MWh, ces estimations apparaissent comme particulièrement hypothétiques compte-tenu de la faible maturité technique de cette filière. Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, la DGEC souligne ainsi qu'il n'y a « pour le moment aucun retour fiable du marché sur les prix de la technologie de l'éolien flottant au niveau commercial ».

À cet égard, la commission d'enquête se doit de faire part de son étonnement sur le prix résultant de l'offre retenue pour l'appel d'offres portant sur un parc éolien flottant en mer au large du sud de la Bretagne. Celui-ci ressort en effet à un niveau bas, à savoir 86,5 €/MWh. Selon les informations communiquées à la commission d'enquête, seuls 6 candidats sur les 10 préqualifiés par la CRE ont déposé une offre. Par ailleurs, le premier lauréat pressenti n'a pas constitué de garantie bancaire, en invoquant l'évolution des conditions de marché depuis la remise de son offre, ce qui traduit bien la fragilité des offres faites. Enfin, la moyenne des tarifs de référence proposés par les candidats ayant déposé une offre était de 101,74 €/MWh, soit un niveau beaucoup plus important que l'offre retenue. Il est à espérer que ce choix, eu égard à une technologie peu mature et à un opérateur qui semble ne gérer aucun parc éolien flottant à ce jour, ne sera pas source de déboires pour l'État.

En outre, selon les informations communiquées à la commission d'enquête par la DGEC, les deux parcs éoliens flottants en activité, situés au large de l'Ecosse, Hywind Scotland et Kindcardine, ont connu des problèmes de maintenance qui ont nécessité de réaliser des interventions conséquentes sur les turbines qui illustrent le manque de maturité de cette technologie. Dans le premier cas, les turbines ont dû être remorquées en Norvège afin d'y effectuer les opérations de maintenance en toute sécurité, et, dans le deuxième cas, il a été nécessaire de déconnecter deux des cinq turbines flottantes et de les transporter dans le port d'Amsterdam afin de procéder aux réparations aux Pays-Bas.

Installation d'un parc éolien flottant en mer au large du sud de la Bretagne

Une procédure de mise en concurrence, sous la forme d'un dialogue concurrentiel, a été lancée, en 2021, pour l'attribution d'un parc éolien flottant dans une zone au sud de la Bretagne pour une puissance installée de 250 MW. Les candidats pour participer à ce dialogue concurrentiel ont été désignés, le 15 septembre 2021, par la ministre chargée de l'énergie. Ils avaient jusqu'au 2 octobre 2023 pour remettre une offre.

Six candidats sur les dix qui avaient été désignés ont déposé une offre :

- le groupement constitué par Elicio France et BayWa r.e France ;

- le groupement constitué par Éoliennes Flottantes Bretagne Grand Large, EDF Renouvelables France et Maple Power ;

- Equinor Wind Power

- le groupement constitué par OW Offshore, Engie et EDP Renováveis ;

- RWE Éolien en Mer France ;

- le groupement constitué par Valeco, Éolien en Mer Participations et Shell France.

Les candidats sont tenus, lors de la présentation de leur offre, de justifier des capacités techniques et financières, contrôlées par la Commission de régulation de l'énergie. En outre, le lauréat pressenti lors de sa désignation doit déposer une garantie financière d'un montant de 50 millions d'euros. À défaut, sa qualité de lauréat pressenti lui est retiré et des sanctions pécuniaires lui sont appliquées. Ensuite, à la date de dépôt de la demande d'autorisation environnementale, le lauréat doit constituer une garantie d'un montant de 100 millions d'euros.

La moyenne des tarifs de référence proposés par ces six candidats était de 101,74 €/MWh. Cette moyenne cache une dispersion importante des tarifs proposés, liée principalement au manque de maturité technologique de l'éolien flottant en mer. Le prix cible de la programmation pluriannuelle de l'énergie, publiée en 2020, est de 120 €/MWh.

La Commission de régulation a transmis, le 15 février 2024, sa délibération relative à l'analyse des offres reçues à la DGEC.

Un premier lauréat pressenti a été désigné, le 19 février 2024, par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. Il devait alors, conformément au cahier des charges, constituer une garantie d'un montant de 50 millions d'euros dans un délai de quinze jours à compter de sa désignation. Le délai ayant expiré, le ministre a acté le retrait du statut de lauréat pressenti et a désigné un nouveau candidat pressenti. Ce premier lauréat pressenti a invoqué comme motif l'évolution des conditions de marché depuis la remise de son offre. Sa désignation a été effective après la constitution de la garantie bancaire.

Le 15 mai 2024, l'annonce a été faite du candidat pressenti. Le groupement constitué par Elicio France et BayWa r.e France a ainsi été officiellement désigné le 24 mai 2024.

Le tarif de l'offre sélectionné est de 86,5 €/MWh. Cependant, le contrat prévoit une réévaluation du tarif de référence en cas d'augmentation des coûts de production, notamment des prix des composants et des matériaux, selon une formule d'indexation.

Le lauréat s'est engagé à faire faire par des PME une part des prestations d'études, de fabrication des composants, de travaux ainsi que d'entretien et de maintenance, à lever un montant minimal de financement ou d'investissement participatif ainsi qu'à consacrer un volume d'heures à l'insertion professionnelle de personnes rencontrant des difficultés sociales ou professionnelles.

Source : Commission d'enquête d'après les réponses écrites de la DGEC et de la CRE au questionnaire de la commission d'enquête

Entre 2010 et 2020, les coûts complets de la filière photovoltaïque se sont effondrés. Ainsi, en moyenne, d'après un rapport de 2021 de l'Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA)453(*), ils auraient diminué de 85 % en dix ans. L'Ademe et RTE estimaient dans leurs dernières études qu'à horizon 2030 les coûts de production des parcs photovoltaïques au sol pourraient diminuer à environ 40 euros par MWh. Cependant, alors que la moyenne des appels d'offre se situait encore à 64 euros par MWh en 2019, les prix constatés en 2022 et 2023 se sont situés entre 80 euros par MWh et 90 euros par MWh.

Évolution des prix moyens pondérés des dossiers déposés et des dossiers retenus par la CRE dans le cadre des appels d'offres pour les installations photovoltaïques au sol

Source : commission d'enquête d'après les données de la CRE

RTE et l'Ademe prévoyaient par ailleurs que les coûts des installations photovoltaïques sur grande toiture se situent entre 50 euros par MWh et 65 euros par MWh à horizon 2030, mais les derniers appels d'offre sont sortis à plus de 100 euros par MWh contre 90 euros par MWh en 2019. Les coûts des installations photovoltaïques destinées aux particuliers (le « photovoltaïque résidentiel ») devraient demeurer à des niveaux élevés. Ils se situent aujourd'hui à plus de 170 euros par MWh et les études prospectives n'envisagent pas de réduction significative à moyen terme.

Évolution des prix moyens pondérés des dossiers déposés et des dossiers retenus par la CRE dans le cadre des appels d'offres pour les installations photovoltaïques sur bâtiment

Source : commission d'enquête d'après les données de la CRE

Le coût moyen de production des installations éoliennes et photovoltaïques dépend fortement de leur dimension. Ainsi, les coûts des projets photovoltaïques au sol ou d'éolien terrestre sont-ils en moyenne quatre fois inférieurs à ceux des installations photovoltaïques sur petite toiture. Dans son étude sur les futurs énergétiques 2050, RTE soulignait les niveaux « très compétitifs, désormais inférieurs à ceux de nouvelles centrales thermiques et nucléaires » des coûts complets des parcs éoliens et photovoltaïques de grande dimension.

Comparaison réalisée par RTE des coûts complets annualisés des différentes filières de production à horizon 2030

(en euros par MWh)

Source : RTE, Futurs énergétiques 2050

Comparaison réalisée par RTE des coûts complets annualisés des différentes filières de production à horizon 2050

(en euros par MWh)

Source : RTE, Futurs énergétiques 2050 

Les coûts complets des moyens de production hydraulique apparaissent comme extrêmement dispersés selon les caractéristiques techniques propres à chaque installation. D'après les données transmises à la commission d'enquête par la DGEC, ils se situeraient entre 60 euros par MWh et 170 euros par MWh pour la petite hydroélectricité et entre 30 euros par MWh et 100 euros par MWh pour la grande hydroélectricité.

Récemment, notamment en raison de l'inflation, la tendance historique à la baisse des coûts complets actualisés des filières éolienne et photovoltaïque s'est brutalement inversée quand bien même sa poursuite apparaissait comme acquise par la plupart des spécialistes. En effet, les prix moyens des appels d'offres relatifs aux moyens de production éoliens et photovoltaïques ont fortement augmenté. Selon le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, les hausses se situent à des niveaux de 15 % à 20 % depuis 2019, voire même nettement plus s'agissant de l'éolien terrestre ou du photovoltaïque au sol.

Le rapporteur note que ces augmentations sont assez comparables à la hausse d'environ 30 % des coûts prévisionnels de construction du programme de nouveau nucléaire annoncée au printemps 2024.

(2) Les coûts complets du parc nucléaire historique demeurent l'objet de controverses

L'estimation la plus récente du coût complet de production du parc nucléaire en exploitation a été réalisée en juillet 2023 par la CRE à la demande du Gouvernement454(*). Le régulateur a repris la méthode qu'il avait employé en 2020 pour réaliser le même exercice. Cette méthode relève d'une approche comptable complétée par plusieurs briques de coûts additionnelles dites « extra-comptables ». Son périmètre comprend les 56 réacteurs du parc actuel ainsi que le réacteur EPR de Flamanville 3. Pour réaliser cette évaluation, la CRE a retenu une série d'hypothèse structurantes.

La première l'a conduite à estimer une trajectoire de productible prévisionnelle du parc à horizon 2040 sous forme d'un volume de production d'électricité annuel exprimé en TWh. Celle-ci retient une production annuelle de 361,5 TWh entre 2026-2030, 360,2 TWh entre 2031-2035 puis 344,1 TWh entre 2036-2040.

La deuxième suppose une prolongation des réacteurs du parc en exploitation jusqu'à 60 ans.

La troisième, la plus structurante, part du principe que la production nucléaire du parc historique fera l'objet d'un cadre régulatoire sur la forme d'un CfD. Cette hypothèse est particulièrement structurante dans la mesure où, en assurant un prix garanti à EDF pour l'ensemble de sa production nucléaire, elle la protège des aléas des prix de marché occasionnant par la même occasion une diminution très sensible des risques d'exploitation et, par voie de conséquence une réduction très significative du taux de rémunération du capital, le CMPC.

Moyennant ces hypothèses, la CRE a ainsi évalué le coût complet du parc nucléaire existant à 60,7 euros par MWh sur la période 2026-2030, 59,1 euros par MWh sur la période 2031-2035 puis 57,3 euros par MWh sur la période 2036-2040.

Comparaison des coûts complets du parc nucléaire existant calculés en 2023 par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) et par EDF

(en euros par MWh)

Source : commission d'enquête, d'après la synthèse du rapport de la CRE sur le coût de production du parc nucléaire existant d'EDF, juillet 2023

Les résultats du calcul de la CRE diffèrent très sensiblement de l'évaluation réalisée par EDF selon la même méthodologie. En effet, les écarts s'élèvent à 14 euros par MWh sur la période 2026-2030, 14,8 euros par MWh sur la période 2031-2035 et 12,6 euros sur la période 2036-2040.

Décomposition des différences constatées entre les coûts complets calculés par la CRE et EDF sur la période 2026-2030

(en euros par MWh)

Source : commission d'enquête, d'après la synthèse du rapport de la CRE sur le coût de production du parc nucléaire existant d'EDF, juillet 2023

Une partie significative de ces différences s'explique par les hypothèses retenues en matière de cadre régulatoire et leurs traductions dans le taux de rémunération des actifs (CMPC).

Contrairement à la CRE, EDF a retenu l'hypothèse d'une absence de régulation de la production du parc nucléaire, c'est-à-dire son exposition complète aux marchés de gros. Le CMPC nominal après impôt retenu par EDF est ainsi de 9,25 % contre 6,83 % dans le modèle de la CRE.

Par ailleurs, en 2020 déjà, EDF avait indiqué à la CRE que le parc nucléaire historique avait fait l'objet d'un déficit de financement passé du fait de tarifs réglementés fixés à des niveaux inférieurs à ses coûts de production. À cette époque, la CRE avait considéré qu'EDF n'avait pas fait la preuve d'un tel déficit et n'avait donc pas intégré dans son calcul une brique destinée à le compenser. Dans la synthèse de son rapport de juillet 2023, la CRE constate que désormais « EDF a apporté aux pouvoirs publics des éléments complémentaires tendant à avérer l'existence d'un déficit de couverture passé ». L'écart sensible constaté avec le calcul d'EDF sur cette brique s'explique par le fait que l'opérateur a fait le choix d'y intégrer l'exercice 2022, ce que la CRE s'est refusée à faire.

La CRE a également rejeté la demande d'EDF d'intégrer une brique extra-comptable spécifique destinée à couvrir les intérêts intercalaires des investissements initiaux dans le parc historique dans la mesure où ils sont déjà implicitement intégrés dans le CMPC retenu. Concernant les coûts liés aux investissements dans les installations du cycle du combustible, EDF a pris le parti de les imputer en totalité dans les coûts du parc nucléaire historique tandis que la CRE considère que ces investissements serviront, d'une part, à d'autres clients qu'EDF et, d'autre part, aux futurs EPR 2.

En 2020, dans son précédent rapport et selon la même méthode, la CRE avait évalué le coût complet du parc historique à 48,1 euros par MWh pour la période 2022-2026. Le coût complet calculé en juillet 2023 pour la période 2026-2030 traduit ainsi une augmentation très sensible de 26 %.

Décomposition de l'évolution des coûts complets calculés par la CRE en 2020 et 2023, respectivement pour les périodes 2022-2026 et 2026-2030

(en euros par MWh)

Source : commission d'enquête, d'après la synthèse du rapport de la CRE sur le coût de production du parc nucléaire existant d'EDF, juillet 2023

Plusieurs déterminants sont à l'origine de cette hausse. L'évolution du contexte macroéconomique depuis 2020, marqué notamment par le retour de l'inflation et la hausse des taux d'intérêt, entraîne une augmentation des coûts de financements sur la période à venir que la CRE évalue à 4,3 euros par MWh. Par ailleurs, les effets de l'inflation pourraient conduire, d'après la CRE, à accroître les coûts de production de l'ordre de 3,7 euros par MWh sur la période 2026-2030. Un autre phénomène qui explique l'augmentation des coûts de production est la diminution des prévisions de volumes de production. Il contribuerait à augmenter les coûts de 2,7 euros par MWh.

À l'inverse, il est à noter que l'hypothèse de prolongation des réacteurs du parc historique jusqu'à 60 ans se traduit par une diminution de 3,5 euros par MWh des coûts de production en raison de l'allongement de la période d'amortissement qui en résulte.

Depuis de nombreuses années, au fil de plusieurs rapports, la Cour des comptes a également conduit une série de travaux d'évaluation des coûts de production du parc nucléaire. Dans son rapport de 2022 sur l'organisation des marchés de l'électricité, elle a actualisé ses calculs basés sur des méthodes de nature comptable ou hybride. Ces différentes méthodes traduisent l'augmentation continue des coûts complets du parc historique entre 2011 et 2021. Ces derniers se seraient ainsi appréciés d'un peu plus de 40 % sur la période.

Les approches économiques conduisent, quant à elles, à des estimations nettement plus élevées. Ainsi, dans son rapport de 2021 précité, la Cour des comptes soulignait-elle qu'en 2019, les méthodes comptables ou hybrides faisaient apparaître un coût de production situé entre 43 euros par MWh et 48 euros par MWh quand les méthodes de nature économique aboutissaient à des coûts d'environ 60 euros par MWh.

Afin de résoudre cette situation qui rendait parfaitement illisible la détermination du coût complet du parc nucléaire, elle avait alors recommandé de « définir et publier une méthodologie d'établissement des coûts dans la perspective d'une nouvelle régulation du nucléaire ». La commission d'enquête est au regret de constater que cette recommandation n'a pas été suivie d'effet et que la négociation opaque de l'accord entre l'État et EDF sur le cadre de régulation post-Arenh s'est déroulée sans que n'ait été défini en amont la méthode de calcul du coût complet de production du parc nucléaire historique sur laquelle le nouveau cadre devait s'appuyer. Ainsi, le rapport rendu en juillet 2023 par la CRE n'a-t-il en rien servi de fondement au nouveau modèle de régulation. Il n'a semble-t-il eu pour seule vocation que de canaliser les demandes d'EDF qui en définitive conteste profondément le fondement même de l'approche comptable de la méthode de la CRE et plaide pour que soit retenu une approche économique. Cette situation désordonnée et irrationnelle n'a fait qu'ajouter au caractère totalement illisible des paramètres de l'accord informel conclu entre l'État et EDF en novembre 2023.

Dans ce paysage si difficile à appréhender, il est en revanche une question qui ne fait pas l'ombre d'un doute : la compétitivité économique de la prolongation des réacteurs du parc nucléaire historique. Toutes les analyses semblent en effet converger vers un tel constat. Comme précisé supra, pour analyser la pertinence économique du prolongement de la durée de vie des réacteurs du parc historique, seuls les « coûts cash » ou « résiduels » (c'est-à-dire les dépenses futures non encore engagées) de cet allongement de leur période de fonctionnement doivent être pris en considération.

Cette approche est notamment justifiée par RTE dans son étude sur les futurs énergétiques qui souligne que la méthodologie de calcul des coûts de production « peut différer selon qu'il s'agisse d'évaluer le coût complet du nucléaire sur l'ensemble de son cycle de vie ou les seules dépenses à venir pour la prolongation de l'exploitation des réacteurs. Dans le premier cas, l'ensemble des coûts doit être intégré au calcul, y compris l'amortissement des investissements passés et leur rémunération tandis que, dans le second cas, seules les dépenses liées à la production future sont comptabilisées (coûts restant à engager) ». Dans son rapport de 2021 consacré aux coûts du système électrique, la Cour des comptes précise également cette méthodologie : « pour un actif de production déjà existant, l'optimisation des capacités porte sur la décision d'engager ou non les investissements permettant de prolonger l'exploitation au-delà de la durée de vie initiale. Les modélisations utilisent alors un coût de prolongation fondé sur des montants d'investissements à consentir pour une durée déterminée de prolongation, complétés des coûts d'exploitation fixes et variables prévus sur cette durée, ainsi que des éventuelles charges de long terme supplémentaires liées à la production à venir (gestion des combustibles usés) ou aux nouveaux actifs immobilisés (démantèlement et assainissement) ».

Pour calculer les coûts de prolongation du parc nucléaire en exploitation, il est ainsi nécessaire de tenir compte des investissements qui seront nécessaires pour y parvenir. À partir de telles hypothèses, à horizon 2035, RTE a établi à 650 000 euros par MW installé les coûts de prolongation jusqu'à 50 ans des réacteurs. S'agissant de l'allongement de la durée de fonctionnement des réacteurs jusqu'à 60 ans, après 2035, RTE estime les coûts de prolongation à 440 000 euros par MW.

Ainsi, sur cette base, et même en retenant l'hypothèse dégradée d'un doublement des coûts prévisionnels des investissements nécessaires à l'allongement de la durée de vie des centrales, RTE considère que les coûts restants à engager en cas de prolongation de dix ans des réacteurs du parc en exploitation se situeraient entre 30 euros par MWh et 43 euros par MWh. Ces coûts se déclinent en deux composantes :

- d'une part, les coûts d'investissements nécessaires à la prolongation de la durée de vie des réacteurs (amortis par tranche de dix ans) : environ 10 euros par MWh dans l'hypothèse de base retenue et jusqu'à 20 euros par MWh si le montant des dépenses nécessaires venait à doubler ;

- d'autre part, les charges d'exploitation fixes et variables nécessaires au fonctionnement quotidien des centrales qui sont estimées par RTE à environ 23 euros par MWh, selon une méthode qu'il qualifie de « prudente ».

La conclusion de RTE s'agissant de l'intérêt économique de la prolongation de la durée de fonctionnement du parc nucléaire en exploitation ne fait ainsi pas l'ombre d'un doute : « le Bilan prévisionnel 2017 avait déjà établi que la prolongation de la durée de vie des réacteurs était une option compétitive. Cette conclusion est largement confortée par les nouvelles évaluations réalisées dans le cadre des Futurs énergétiques 2050 : même en considérant une hypothèse de doublement des coûts d'investissement de prolongation (déjà considérée comme peu réaliste dans la mesure où les dépenses engagées pour le grand carénage respectent la trajectoire prévisionnelle à date), le coût complet du nucléaire prolongé augmenterait d'environ 10 euros par MWh et resterait compétitif par rapport à celui d'autres moyens de production à moyen terme ».

(3) Le coût complet du nouveau nucléaire est extrêmement dépendant des caractéristiques de son financement et de son mode de régulation

Comme pour les autres capacités de production décarbonées, les coûts de production de la filière nucléaire sont très majoritairement des coûts fixes irrécupérables, des coûts dits « échus ».

L'Agence de l'énergie nucléaire (AEN) de l'OCDE estime que les coûts de construction « overnight » (c'est-à-dire sans tenir compte des coûts de financement) représentent en moyenne 40 % des coûts complets des projets de nouveau nucléaire dans le monde.

Les coûts d'investissement d'une centrale nucléaire

Côté opérateur :

- Coûts d'analyse de sûreté et de certification préalable à l'autorisation de construire ;

- Préparation du site ;

- Formation des opérateurs et essais avant démarrage ;

- Intérêts intercalaires : liés au financement initial et couvrant la période comprise entre financement et démarrage ;

Côté fournisseurs de l'installation et du combustible :

- Ingénierie d'ensemble et gestion de projet ;

- Génie civil ;

- Équipements (nucléaires et conventionnels) et montage ;

- Contrôle-commande ;

- Combustible (premier coeur) ;

- Essais avant démarrage.

Source : Société française d'énergie nucléaire, Les coûts de production du nouveau nucléaire français, 2018

À l'échelle mondiale, les coûts de construction overnight des centrales de troisième génération mises en service récemment ou en cours de développement sont très variables. Ils vont de moins de 3 200 dollars par kW installé en Corée ou en Chine à plus de 8 600 dollars par kW en France ou aux Etats-Unis.

L'étude de l'AEN démontre notamment que ces différences s'expliquent principalement par l'environnement socio-économique des pays concernés. Il s'agit notamment de l'inscription ou non du projet dans un programme de construction plus large qui bénéficie d'un cadencement industriel générant une optimisation des coûts via le phénomène « d'effet de série ». De façon plus générale, l'état global de la filière nucléaire des pays en question et même, plus largement, de leur industrie, semble jouer un rôle déterminant sur les coûts et les délais de construction des projets de nouveau nucléaire. L'effet de série a par exemple eu une incidence significative sur le programme nucléaire historique français, les coûts de construction ayant pu être réduits jusqu'à 30 % entre le premier réacteur construit dit « tête de série » et le dernier mis en service pour un type de centrale (« palier ») donné. C'est notamment ce que rappelle RTE dans son étude sur les futurs énergétiques 2050 : « s'agissant du nucléaire historique, pour les paliers P4 et N4, des gains de 25 % à 30 % avaient été constatés entre les têtes de série industrielles et les réacteurs construits ultérieurement ». Dans une étude de 2021455(*), s'agissant des réacteurs construits en Europe, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) retient également un potentiel d'optimisation pouvant aller jusqu'à 30 %.

L'effet « paire » ou « multi-unités » intervient quant à lui lorsqu'il est décidé de construire plusieurs réacteurs identiques en parallèle sur un même site. Il est également source d'optimisation des dépenses de construction dont certaines peuvent être mutualisées du fait de la construction de plusieurs réacteurs d'une même technologie sur le même lieu. D'après l'AEN, l'effet paire peut permettre d'économiser jusqu'à 15 % des coûts de construction.

La prédominance de coûts fixes échus dans les programmes de nouveau nucléaire se traduit par une grande inertie des coûts complets de cette filière par rapport aux variations des conditions de marché, à la différence des moyens de production thermiques pour lesquels la part des coûts variables est beaucoup plus significative dans les coûts complets. Il résulte de cette inertie un risque nettement plus élevé pour les investisseurs qui exigent donc, en contrepartie, des taux de rémunération élevés des actifs investis pour financer la construction des projets.

Aussi, si le coût de construction des centrales nucléaires joue un rôle non négligeable dans le coût complet de production des projets de nouveau nucléaire, les coûts de financement sont plus déterminants encore. À eux seuls ils peuvent prendre des proportions extrêmement importantes et aller jusqu'à représenter plus de la moitié des coûts complets en cas de CMPC élevé. Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, la DGEC a rappelé cette donnée déterminante s'agissant du coût complet qui serait celui du programme de nouveau nucléaire français : « le coût actualisé de l'énergie produite par trois paires d'EPR 2, à devis et calendriers de construction respectés, dépend en tout état de cause principalement du coût moyen pondéré du capital investi pour leur construction ».

Dans ses réponses à la commission d'enquête, à propos du programme de nouveau nucléaire français, la CRE souligne tout particulièrement le caractère déterminant pour le coût complet de production des futurs réacteurs du modèle de financement et du cadre de régulation qui seront retenus : « les avantages et inconvénients des différents modes de financement possibles pour le nouveau nucléaire doivent donc être soigneusement analysés en fonction du degré de risque supporté par les différentes parties prenantes : investisseurs, mais aussi consommateurs et État. Dans les différents choix qui se présentent pour financer le nouveau nucléaire, un modèle régulé et garanti par l'État aura pour conséquence un coût moyen pondéré du capital (CMPC) plus faible qu'un modèle de financement par l'entreprise elle-même qui détient un niveau de dette élevée ».

Dans un avis rendu en 2022 sur les modalités de financement du renouvellement du parc nucléaire français456(*), la SFEN a rappelé elle aussi la nécessité d'adopter un cadre régulatoire sécurisant et un modèle de financement recourant à la puissance publique afin de réduire significativement le coût de financement des projets de nouveau nucléaire et assurer ainsi leur compétitivité : « la couverture des risques de marché, en prix et en volume, par des mécanismes adéquats semble incontournable. Enfin, une intervention via un investissement direct ou un partage des risques de construction aurait un effet important pour baisser le coût moyen du capital ».

À l'échelle internationale, d'après la société française d'énergie nucléaire (SFEN)457(*), pour des hypothèses de CMPC de 3 % à 7 %, les coûts complets des projets de nouveau nucléaire se situent en moyenne dans une fourchette allant de 40 euros par MWh à 70 euros par MWh.

Selon les estimations de l'AEN, les dépenses d'exploitation et de maintenance représentent environ 10 euros par MWh, les dépenses liées au combustible un peu plus de 5 euros par MWh tandis que les charges de long terme de démantèlement et gestion des déchets sont inférieures à 2 euros par MWh.

En 2022, sur la base des premières estimations d'EDF auditées à la demande du Gouvernement par les cabinets de consultants Accuracy et NucAdvisor, le coût de construction « overnight » (c'est-à-dire sans tenir compte à ce stade de la rémunération des capitaux investis qui dépendra du modèle de financement retenu) de la construction de trois paires de six réacteurs EPR 2 avait été évalué à 51,7 milliards d'euros, soit une moyenne de 8,6 milliards d'euros par réacteur et 5 200 euros par kW. Sur la base de ces premiers éléments mais en retenant un niveau de facteur de charge théorique exagérément élevé de 88 %458(*), les audits commandités par le Gouvernement faisaient état d'un coût complet de production qui pourrait se situer, en euros de 2020, autour de 60 euros par MWh dans l'hypothèse d'un CMPC de 4 % supposant donc un modèle de financement et un cadre régulatoire sécurisants sur le long terme. En cas de CMPC de 7 %, le coût complet dépasserait les 100 euros par MWh. Ces différences illustrent encore une fois la dépendance extrêmement prononcée du coût de production de la filière nucléaire à son modèle de financement et à son cadre régulatoire.

Dans son rapport de 2021 sur les coûts du système électrique, la Cour des comptes faisait quant à elle l'hypothèse d'un coût situé dans une fourchette entre 85 euros par MWh et 100 euros par MWh pour l'électricité produite par les 6 premiers réacteurs EPR 2 envisagés dans le cadre du programme de nouveau nucléaire.

Ces éléments ne sont cependant aujourd'hui plus d'actualité dans la mesure où le coût de construction actualisé du programme de construction se situe aujourd'hui à environ 67,4 milliards d'euros459(*), en augmentation de 30 % par rapport à l'estimation, soit environ 6 700 euros par kW.

En tenant compte de cette réévaluation des coûts de construction overnight, il semble, d'après les calculs de la commission d'enquête, que le coût complet en euros 2020 pourrait devoir être réévalué à près de 80 euros par MWh dans l'hypothèse d'un CMPC de 4 % et d'un facteur de charge théorique de 88 %460(*). En retenant un CMPC plus élevé ou, surtout, un facteur de charge plus réaliste, ce coût complet pourrait grimper à 90 euros par MWh voire à plus de 100 euros par MWh.

Dans son étude sur les futurs énergétiques 2050, RTE avait retenu, dans son hypothèse centrale, un montant de coûts de construction overnight légèrement supérieur aux estimations issues des premiers audits (5 400 euros par kW) ainsi que des valeurs nettement plus prudentes et réalistes en matière de facteur de charge qui se situeraient entre 70 % et 80 %. L'analyse de RTE (voir graphique ci-après) confirmait la sensibilité du coût complet de production du nouveau nucléaire au coût de construction, au facteur de charge mais, dans des proportions beaucoup plus significatives, au CMPC, le coût final théorique pouvant varier de 40 euros par MWh à plus de 100 euros par MWh, voire davantage si plusieurs facteurs défavorables venaient à se conjuguer.

(4) Les coûts de production des centrales thermiques dépendent essentiellement des prix de leurs combustibles et les estimations de coûts de production des filières thermiques décarbonées sont extrêmement élevées

Contrairement aux autres filières de production telles que le nucléaire, l'éolien ou le photovoltaïque, le coût complet des moyens de production thermique repose principalement sur leurs coûts variables et non sur leurs coûts fixes. Aussi, les estimations de coûts complets de ce type de centrales sont-elles très sensibles aux hypothèses sous-jacentes retenues en termes de prix des combustibles utilisés pour les alimentés (gaz naturel, fioul, charbon, biogaz, hydrogène, etc.) et de prix du carbone.

Il convient par ailleurs d'établir une distinction entre les centrales qui ont vocation à ne fonctionner qu'en période de pointe de consommation, comme par exemple les turbines à gaz (TAG), dont le facteur de charge est faible et les coûts complets plus élevés, des centrales dont l'objet est de fonctionner en « semi base » telles que les centrales à gaz à cycle combiné (CCGT) dont les facteurs de charges sont plus élevés et les coûts complets plus réduits.

En 2021, avant la flambée des prix du gaz, la Cour des comptes estimait ainsi que, selon les hypothèses sur les facteurs de charges et les CMPC, les coûts complets de production des CCGT pouvaient s'échelonner entre 58 euros par MWh et 73 euros par MWh tandis que ceux des TAG pouvaient être estimés entre 90 euros par MWh et 142 euros par MWh.

Dans un rapport réalisé en 2022, l'Ademe a estimé l'évolution du coût complet de production actualisé des CCGT entre 2010 et 2020. Celui-ci, très dépendant des prix du gaz naturel sur les marchés de gros, avait ainsi varié entre 43 euros par MWh et 69 euros par MWh selon les années.

La hausse très sensible des prix du gaz constatés en 2021 et en 2022 a bien entendu conduit à relever de façon significative les coûts de production des centrales à gaz. Dans leurs réponses écrites à la commission d'enquête, Engie et Total Énergies évoquent des coûts pouvant s'établir, selon les hypothèses retenues et les types de centrales, entre 130 euros par MWh et plus de 200 euros par MWh dans certains cas.

Les coûts de production des centrales thermiques décarbonées sont à ce stade beaucoup plus incertains compte-tenu d'un niveau de maturité technique encore très limité. En première approche, dans son étude sur les futurs énergétiques 2050, RTE estimait néanmoins que les coûts de construction des centrales décarbonées pourraient être supérieurs de 20 % (pour les centrales à cycle combiné) à 30 % (pour les turbines à combustion classiques) par rapport aux moyens thermiques fossiles actuels.

S'agissant du coût du combustible (hydrogène ou biométhane) de ces centrales, même si là encore les hypothèses demeurent incertaines, il apparaît qu'il devrait être particulièrement élevé. RTE considère que le seul coût d'approvisionnement en combustible des centrales qui seraient alimentées à l'hydrogène pourrait s'établir autour de 120 euros par MWh à horizon 2050. Pour le biométhane, ce coût d'approvisionnement pourrait se situer entre 70 euros par MWh dans les scénarios les plus favorables461(*) et 160 euros par MWh dans d'autres hypothèses.

L'analyse de RTE sur les coûts complets des filières thermiques décarbonées le conduit ainsi à conclure que « les coûts de production d'électricité à partir de thermique décarboné émergent dans tous les cas à un niveau élevé et très largement supérieur au coût complet des énergies renouvelables et du nucléaire. Ils atteignent un coût variable de production thermique pouvant être compris entre 120 euros par MWh dans le meilleur des cas (cycle combiné fonctionnant avec un gaz à 70 euros par MWh) et 400 euros par MWh dans le pire (turbine à combustion utilisant du méthane de synthèse à 160 euros par MWh) ».

c) Le calcul des coûts du mix électrique révèle les coûts systèmes nettement plus élevés des énergies renouvelables intermittentes
(1) Il est indispensable de prendre en compte les coûts systèmes induits par les différents scénarios de mix de production

Seule une analyse économique globalisée à l'échelle du système dans son ensemble permet de dépasser les deux principales limites inhérentes aux comparaisons de coûts complets de production par filières qui ont été décrites supra, à savoir : l'absence de prise en compte des « coûts systèmes » et l'interdépendance entre les facteurs de charge réels des centrales et la configuration du système électrique. C'est dans cette perspective que RTE a élaboré une méthodologie d'analyse des coûts complets des scénarios de mix électrique décrite dans l'encadré ci-après.

La méthode d'analyse des coûts complets des scénarios de mix électrique retenue par RTE

La méthode utilisée dans le cadre des Futurs énergétiques 2050 et l'ensemble des études prospectives de RTE consiste à comparer les coûts complets des scénarios de transition énergétique. Elle a été largement confortée dans le cadre de la concertation et permet de dépasser les limites d'une analyse fondée sur la seule comparaison des coûts actualisés de chaque filière en comparant le coût complet des scénarios sur l'ensemble de la chaîne production-flexibilité-réseau à l'échelle de la collectivité et en tenant compte des taux de charge des actifs tels qu'ils résultent de la modélisation du système électrique.

L'analyse prend en compte l'ensemble des coûts du système électrique (coûts d'investissement, de financement, d'exploitation et de maintenance) quels que soient les acteurs qui les portent et indépendamment des mécanismes de marché mis en oeuvre ou des effets redistributifs qui peuvent être associés.

Cette approche permet d'apporter des éléments de réponse à la question, combien coûte le système électrique français dans son ensemble ? Question qui intéresse le décideur public dans le cadre des décisions de planification du mix. Cette évaluation économique permet une comparaison approfondie du coût des différentes options de transition du mix électrique.

Source : réponses écrites de RTE à la commission d'enquête

En 2021462(*), la Cour des comptes avait également souligné la nécessité de raisonner en coûts complets actualisés calculés à l'échelle du système électrique dans son ensemble : « la simple comparaison des coûts moyens de chaque filière de production n'est pas suffisante pour éclairer la décision publique sur les choix de mix électrique à long terme. En effet, le coût complet d'un mix électrique ne découle pas de la seule répartition des capacités de production entre filières mais de la façon dont ces capacités sont appelées à produire pour que fonctionne le système électrique ». La Cour des comptes avait alors appelé à ce que cette méthodologie d'analyse économique soit davantage mise en valeur et systématiquement utilisée par les pouvoirs publics pour réaliser des choix stratégiques de long terme en matière de mix électrique.

La SFEN partage aussi l'intérêt de la méthode du calcul des coûts complets du système électrique : « seule une approche holistique du système électrique permet d'apporter des éléments de réponse à des questions comme « Combien coûte le système électrique français dans son ensemble ? » ou « Quel mix de production pour la France est pertinent économiquement ? » ; c'est le cas de la méthode des coûts complets du système électrique employée par RTE »463(*).

Plus récemment, dans un rapport publié au mois de mars 2024464(*), la Cour des comptes a estimé l'évolution des coûts du système de production électrique français. D'après ses estimations, entre 2021 et 2023, celui-ci aurait augmenté de 32 milliards d'euros à 40 milliards d'euros en raison de la hausse du coût de production des centrales thermiques fossiles ainsi que de la baisse de production du parc nucléaire. Rapporté aux volumes d'électricité consommés, le coût complet de production moyen du système serait ainsi passé de 62 euros par MWh à 83 euros par MWh sur la même période.

Coûts de production du système électrique national calculés par la Cour des comptes (2021-2023)

Source : commission d'enquête, d'après les données du rapport de 2024 de la Cour des comptes consacré aux mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l'énergie

(2) Les coûts systèmes sont structurellement plus élevés dans les scénarios qui reposent sur une forte proportion d'électricité produite par des centrales intermittentes

L'analyse économique réalisée par RTE à l'échelle du système électrique conclut sans équivoque que plus les scénarios de mix de long terme intègrent une part élevée de production renouvelable intermittente, plus ils sont coûteux. L'analyse économique réalisée par RTE dans ses Futurs énergétiques 2050 fait ainsi apparaître que le scénario le moins coûteux à long terme est celui qui prévoit la relance la plus ambitieuse de la filière nucléaire (le scénario dit « N03 »). Entre 2020 et 2060, l'écart global cumulé avec un scénario dit « 100 % renouvelables » dépasse les 200 milliards d'euros.

RTE a modélisé une grande diversité de variantes prévoyant de nombreuses hypothèses. Ces modélisations ont permis de confirmer que dans presque toutes les configurations, même les plus extrêmes, le coût plus élevé des scénarios prévoyant des pénétrations d'électricité renouvelable intermittente reste vérifié.

Ce phénomène s'explique par le fait que l'intégration des moyens de production renouvelables intermittents suppose davantage de « coûts systèmes » liés au renforcement et au développement des ouvrages de réseaux465(*) ou encore à la construction de dispositifs de flexibilité (moyens de production pilotables de complément ou dispositifs de stockage notamment).

(3) Les hypothèses de coûts de financement jouent un rôle absolument déterminant dans l'analyse économique des systèmes électriques décarbonés

Le mix de production électrique de long terme a vocation à rester très largement dominé par des capacités décarbonées qu'il est nécessaire soit de prolonger, soit de construire, ce qui suppose des investissements élevés. Il en résulte des coûts de financements, qui sont structurellement plus importants pour ce type de filières, avec des taux de rémunération du capital qui jouent un rôle absolument déterminant dans le coût complet actualisé du système. Ainsi, la maîtrise des coûts complets de production suppose-t-elle que des dispositifs de financement et de régulation sécurisants soient mis en oeuvre par les pouvoirs publics.

Cet enjeu a été tout particulièrement souligné par RTE dans ses réponses écrites à la commission d'enquête : « la maîtrise du coût complet du système électrique dépend directement et essentiellement des conditions de financement des investissements. Les études montrent en effet qu'une variation à la hausse de trois points dans le coût du capital augmente le coût global de 20 milliards d'euros par an à long terme (+ 30 %), tandis qu'une variation à la baisse le réduit de 15 milliards d'euros par an. Ce résultat est commun à un grand nombre des actions nécessaires à l'atteinte d'une société bas-carbone : les investissements initiaux sont élevés, et c'est donc dans leur financement que réside la performance d'une politique bas-carbone. Ainsi, toutes les politiques publiques aboutissant à « dérisquer » l'investissement dans les technologies bas-carbone ont donc une influence directe sur le coût du système et donc sur la réduction de la facture à long terme des consommateurs. Les conditions macroéconomiques actuelles, combinant des taux d'intérêt bas et un renchérissement des énergies fossiles, sont particulièrement propices à une politique d'investissement dans les énergies bas-carbone ».

d) La compétitivité économique des mix de production à forte proportion de nucléaire est solidement étayée

Comme nous l'avons vu, l'intérêt économique pour le système de prolonger les réacteurs du parc nucléaire existant est absolument incontestable. Avec un coût de production restant à engager qui se situe entre 30 euros le MWh et 40 euros le MWh, sa compétitivité économique ne fait pas de doute en comparaison des coûts associés à la construction de nouveaux moyens de production d'une puissance équivalente, quelle que soit leur nature.

L'analyse économique évaluant la compétitivité d'une relance ambitieuse d'un programme de nouveau nucléaire en France semble elle aussi très robuste. Dans son étude sur les futurs énergétiques 2050, RTE souligne que la compétitivité économique de la construction d'un nouveau parc nucléaire se vérifie « même si les coûts « bruts » de production des nouvelles centrales nucléaires sont en moyenne plus élevés que ceux associés aux grands parcs d'énergies renouvelables. En effet, l'intégration de volumes importants d'éoliennes ou de panneaux solaires engendre de très importants besoins en flexibilités (stockage, pilotage de la demande et nouvelles centrales d'appoint) pour pallier leur variabilité, ainsi que des renforcements des réseaux (raccordement, transport et distribution). Une fois ces coûts intégrés, les scénarios comprenant de nouveaux réacteurs nucléaires apparaissent plus compétitifs ». Dans cette même étude, RTE estimait notamment que les scénarios ne prévoyant aucun renouvellement du parc nucléaire historique ne deviendraient potentiellement plus rentables économiquement dans « une configuration dans laquelle aucune réduction de coût du nouveau nucléaire ne serait observée par rapport aux coûts de construction de l'EPR de Flamanville tandis que dans le même temps les capacités renouvelables connaîtraient une baisse très marquée de leurs coûts ».

Dans ses réponses à la commission d'enquête, RTE a confirmé cette analyse en soulignant que « la prise en compte de l'ensemble des composantes du système électrique met en évidence des coûts globalement inférieurs dans les scénarios de construction de nouveaux réacteurs nucléaires ». L'intérêt économique de la construction d'un nouveau parc nucléaire est notamment très robuste jusqu'à ce que le parc représente une puissance installée d'environ 40 GW. Au-delà de ce niveau, RTE constate que « l'écart de coût devient très faible et le volume « optimal » de nouveau nucléaire apparaît alors très dépendant des hypothèses de coût des nouveaux EPR2 et en particulier de leur coût de financement ainsi que de l'évolution du coût des énergies renouvelables ».

Cette analyse est partagée par la commission d'enquête et elle se traduit dans le scénario de mix de production à horizon 2050 qu'elle a retenu. Ce scénario reposera sur deux piliers nucléaires essentiels et complémentaires. D'une part la prolongation du parc nucléaire actuel tant que les conditions de sûreté le permettent et d'autre part le déploiement d'un programme ambitieux de construction de 14 nouveaux réacteurs.

B. DES INVESTISSEMENTS COLOSSAUX ANNONCÉS DANS LES RÉSEAUX DE TRANSPORT ET DE DISTRIBUTION

1. Des réseaux de transport et de distribution d'électricité à l'aube d'une révolution

L'électricité est acheminée auprès des consommateurs finals au moyen des réseaux de transport, qui relèvent de Réseau de transport d'électricité (RTE), et de distribution, gérés principalement par Enedis, des infrastructures composées de lignes aériennes, de câbles souterrains et de transformateurs. L'équilibre de ce réseau doit être assuré à tout instant. Il signifie que les quantités d'électricité injectées et consommées (soutirées) doivent être égales. En dernier ressort, c'est RTE qui a la charge de garantir cet équilibre instantané entre offre et demande d'électricité.

a) RTE gère un réseau de transport de 100 000 km de lignes qui a connu peu d'évolutions depuis les années 1980

Le réseau de transport a vocation à transporter de grandes quantités d'électricité sur de longues distances. Il totalise aujourd'hui environ 100 000 km de lignes. Le réseau de transport se décline en deux sous-ensembles :

- le réseau de grand transport pour des niveaux de tension de 225 et 400 kilovolts (kV) s'étend sur 30 000 km de lignes ;

- les réseaux de transport régionaux, composés de lignes en très haute tension (225 kV) et en haute tension (63 et 90 kV), s'étendent quant à eux sur 70 000 km.

Aujourd'hui, 90 % de l'électricité produite en France est injectée sur le réseau de transport. Cependant, cette proportion sera amenée à évoluer dans le futur en raison du développement des moyens de production renouvelables décentralisés qui, de plus en plus, seront injectés directement sur le réseau de distribution générant des flux dits « bidirectionnels » (voir infra). Le réseau de transport n'a pas connu de développements significatifs ces trente dernières années, sa configuration ayant été très peu modifiée au cours de cette période.

En France, le gestionnaire du réseau de transport est la société anonyme Réseau de transport d'électricité (RTE) dont le capital est détenu à 50,1 % par EDF, à 29,9 % par la Caisse des dépôts et à 20 % par CNP assurances.

b) Enedis exploite la quasi intégralité d'un réseau de distribution qui a entamé une révolution majeure

Le réseau de distribution était initialement destiné à acheminer de l'électricité dans des quantités plus limitées auprès des consommateurs finals. Avec le développement des moyens de production renouvelable décentralisés, cette vocation initiale d'un réseau dit « descendant » évolue puisque de plus en plus de centrales injectent leur production sur le réseau de distribution, générant des « flux bidirectionnels ». Cette révolution ne doit pas être sous-estimée. Enedis a ainsi souligné auprès de la commission d'enquête466(*) à quel point cette transformation constituait « un immense défi » et « un réel changement de paradigme » pour elle comme pour l'ensemble de la filière électrique.

Les 1,4 million de kilomètres de lignes du réseau de distribution se composent d'ouvrages de moyenne tension dite « HTA467(*) », entre 1 000 et 50 000 volts (v), ainsi que de basse tension dite « BT ». Sur le réseau de distribution les interfaces avec le réseau de transport et entre les lignes en moyenne et en basse tension sont respectivement constituées des postes sources et des postes de distribution.

S'il est essentiellement opéré par Enedis, le réseau de distribution est la propriété des communes ou de leurs groupements au titre de leur statut d'autorités organisatrices de la distribution d'électricité (AODE). L'activité de distribution relève d'un cadre régulé et reste organisée sous forme de monopole par zone géographique. Filiale d'EDF (qui en détient 100 % du capital), la société Enedis exploite des concessions468(*) sur la quasi-totalité du réseau (95 %), 5 % de celui-ci étant géré par des entreprises locales de distribution (ELD), elles-mêmes dépendantes des collectivités territoriales. Comme le soulignait la Cour des comptes dans un rapport publié en 2021469(*), « les concessions de distribution d'électricité constituent encore aujourd'hui le cadre juridique dans lequel Enedis exerce l'essentiel de ses activités ».

c) Les pertes en ligne s'élèvent chaque année à environ 35 TWh et pèsent sur le TURPE

Lors de son acheminement l'électricité subit des pertes en ligne dont le volume dépend notamment de la distance qu'elle parcourt ou de certaines caractéristiques des réseaux qu'elle emprunte.

D'où viennent les pertes d'électricité sur les réseaux de transport ?

Les pertes d'électricité peuvent avoir quatre origines différentes :

- 78 % des pertes proviennent de la déperdition d'énergie qui s'opère dès qu'un courant circule dans le matériau conducteur des liaisons. Le transport de l'électricité fait chauffer le câble et génère des pertes d'énergie. On appelle cette dissipation de chaleur l'effet joule.

- Les conditions climatiques impactent également le volume des pertes dont 8 % sont liées à une décharge électrique entre l'air et le conducteur.

- Environ 11 % des pertes sont liées au passage du courant dans les postes de transformation de niveau de tension.

- Enfin, le fonctionnement des postes eux-mêmes nécessite la consommation d'une part d'énergie. Cette autoconsommation représente environ 3 % du volume concerné.

Source : site internet de RTE

Sur les réseaux de transport, les taux de pertes se situent entre 2 % et 3,5 % pour une moyenne de 2,5 %. Ils représentent ainsi un peu plus de 10 TWh par an.

Sur les réseaux de distribution, le volume annuel total des pertes avoisine les 25 TWh. D'après les réponses fournies par Enedis à la commission d'enquête, elles se décomposent en 12 TWh de pertes techniques (liées à la dissipation de l'énergie dans les ouvrages du réseau) et 13 TWh de pertes non techniques (erreur de comptage, de gestion administrative des points, de fraudes, etc.).

Si les pertes techniques peuvent difficilement être réduites sauf à des coûts d'investissements extrêmement conséquents qui ne seraient pas rentables pour le système, il en va autrement des pertes non techniques qui ont connu une augmentation très sensible depuis 2022. Enedis a révélé à la commission d'enquête470(*) que cette évolution récente s'expliquait essentiellement par « une hausse exponentielle des fraudes dont l'augmentation des prix de l'électricité et de l'inflation est un des déclencheurs et les réseaux sociaux un des moyens de propagation fulgurante ». Pour y faire face efficacement, Enedis réclame de nouveaux moyens de lutte et de répression.

Une augmentation des pertes non techniques sur les réseaux de distribution d'Enedis due à une hausse exponentielle des fraudes

À partir de l'été 2022 les taux de pertes non techniques sont reparties à la hausse sous l'effet d'un évènement majeur : la hausse exponentielle des fraudes dont l'augmentation des prix de l'électricité et de l'inflation est un des déclencheurs et les réseaux sociaux un des moyens de propagation fulgurante.

Les premiers outils de supervision digitale des pertes non techniques mis en place en 2023 permettent à Enedis d'identifier dorénavant certaines fraudes, de comprendre et d'évaluer l'impact de leur phénomène grandissant. Le sujet porté au plus haut niveau de l'entreprise a été jugé prioritaire. Au-delà d'un premier plan d'action (technique, juridique et de communication) visant à lutter spécifiquement contre les fraudes, Enedis a décidé de lancer un programme « pertes et fraudes » en février 2024 avec une nouvelle gouvernance associée pour permettre à l'entreprise de renforcer ses actions de manière sensible sur le sujet des pertes.

Toutefois, pour véritablement changer d'échelle dans la lutte contre les pertes non techniques, il sera nécessaire de conduire des échanges avec la CRE et les pouvoirs publics pour renforcer les moyens de lutte (ressources et investissements) et de répression réglementaires (amendes, coupures électrique, traitement des récidivistes, assermentations).

Source : réponses d'Enedis au questionnaire de la commission d'enquête

Les gestionnaires de réseaux ont l'obligation de racheter ces pertes, ce qui peut représenter une charge d'exploitation particulièrement lourde selon les années, tout particulièrement lorsque les prix de gros de l'électricité sont élevés. Ces coûts sont in fine financés par les consommateurs à travers le TURPE. Ainsi, entre 2019 et 2023, le coût cumulé lié à ces pertes en ligne a atteint 12,8 milliards d'euros, 3,2 milliards d'euros pour RTE et 9,6 milliards d'euros pour Enedis.

Coût annuel des achats d'électricité réalisés par RTE et Enedis
pour compenser leurs pertes réseaux

(en millions d'euros)

Source : commission d'enquête, d'après les comptes d'Enedis et RTE

2. Des investissements colossaux en perspective en raison de l'ancienneté des réseaux, de l'électrification des usages et de la dispersion des moyens de production intermittents
a) 200 milliards d'euros à investir d'ici à 2040 ?

Dans l'ombre des débats passionnés concernant les scénarios de mix de production, les enjeux d'adaptation des réseaux d'acheminement et des investissements qu'ils supposent sont trop souvent négligés dans la définition de la stratégie relative au système électrique national. Pourtant, ils ont une incidence déterminante sur le coût global du système électrique et sur la facture des consommateurs qui contribuent très largement à leur financement à travers le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE).

Ainsi RTE et Enedis ont récemment proposé des programmes d'investissements pour un montant cumulé de près de 200 milliards d'euros d'ici à 2040 : 100 milliards d'euros pour RTE et 96 milliards d'euros pour Enedis. Ces montants considérables traduisent des augmentations extrêmement sensibles au regard des dépenses actuellement consacrées aux réseaux. Ces programmes d'investissement apparaissent globalement en ligne avec les prévisions réalisées par RTE dans le cadre de son étude de 2021 sur les futurs énergétiques 2050 dans le cadre de l'hypothèse la plus élevée de consommation471(*) et du scénario de production retenant la relance de la production nucléaire la plus ambitieuse472(*).

La commission d'enquête souligne que ces programmes ne sont à ce stade que des propositions des gestionnaires de réseau. Tout particulièrement du fait de leurs montants exceptionnels, elle rappelle qu'ils devront faire l'objet d'une expertise minutieuse et rigoureuse du régulateur dans une perspective d'en maximiser l'efficience économique pour le système électrique et d'en minimiser autant que possible l'incidence financière sur les consommateurs.

(1) 100 milliards d'euros d'ici 2040 : « un changement d'échelle » pour le réseau de transport

Mis en consultation le 14 mars dernier, le projet de nouveau schéma décennal de développement du réseau de transport d'électricité (SDDR) de RTE concrétise ainsi un plan d'investissements de 100 milliards d'euros d'ici à 2040 sur le réseau de transport dont les prémisses avaient déjà été annoncées en 2023. Ce programme représente, sur la période, une moyenne de 6 milliards d'euros d'investissements par an. De 1,7 milliard d'euros en 2023, les investissements sur le réseau de transport d'électricité pourraient ainsi, d'après ce projet, plus que doubler dès 2027 pour atteindre 3,7 milliards d'euros, ces derniers ayant déjà augmenté de plus de 40 % entre 2019 et 2023. Au regard du programme prévisionnel proposé par RTE, après 2027, ses investissements annuels auront vocation à augmenter de façon encore plus significative.

Investissements annuels de RTE dans le réseau de transport d'électricité (2019-2027)

(en milliards d'euros)

Source : RTE

Si elle n'a pas encore finalisé l'expertise des montants proposés par RTE dans le cadre de son projet de SDDR, la CRE souligne à quel point les investissements du gestionnaire du réseau de transport se traduiront par un « changement d'échelle » dans les prochaines années.

Pour s'en convaincre, il suffit de comparer cette trajectoire prévisionnelle avec celle du précédent SDDR, publié en 2019 pour la période 2019-2035, qui prévoyait déjà des investissements à hauteur de 33 milliards d'euros sur 15 ans. Le total des montants en jeu est ainsi plus que multiplié par trois et les investissements annuels prévisionnels connaîtraient une augmentation de 50 % dès 2025. Pour la période 2025-2035, la commission d'enquête constate ainsi que l'inflation des investissements prévisionnels dans les réseaux de transport apparaît très significative entre les projections réalisées il y a de cela seulement cinq ans et leur actualisation dans le SDDR mis en consultation cette année.

D'après RTE, le changement d'échelle des investissements prévisionnels dans les infrastructures de transport d'électricité s'explique par quatre déterminants principaux.

- Le renouvellement d'infrastructures vieillissantes et leur adaptation aux effets du changement climatique constitue le premier de ces enjeux ;

- Le deuxième enjeu est celui des raccordements au réseau de transport qui concernent de grands sites industriels comme des moyens de production d'envergure tels que les parcs éoliens en mer ;

- Le troisième enjeu mis en évidence par RTE dans son projet de SDDR renvoie au nécessaire renforcement de la structure du réseau de grand transport, en particulier ce qu'il qualifie de « colonne vertébrale » des lignes à 400 000 volts. Ce renforcement est déterminé par les évolutions de la consommation comme de la production ;

- Enfin, un quatrième enjeu correspond à la résistance aux agressions physiques et informatiques extérieures conformément aux dispositions de la loi de programmation militaire.

Si l'on prend du recul et que l'on analyse rétrospectivement les trajectoires de dépenses, il est possible d'affirmer que les évolutions qui se profilent correspondent à la troisième grande phase d'investissements dans le réseau de transport d'électricité français après celle qui a correspondu à la reconstruction du pays après-guerre puis celle qui a résulté de la construction du parc électronucléaire.

Investissements annuels de RTE dans le réseau de transport d'électricité 1972-2019

(en millions d'euros)

Source : SDDR 2019, RTE

Les catégories d'investissements de RTE

RTE décline ses investissements en cinq catégories :

- le renouvellement des ouvrages ;

- les adaptations du réseau (renforcements) et les raccordements ;

- les investissements spécifiques au réseau en mer résultant du développement de parcs éoliens off-shore ;

- les interconnexions ;

- l'ossature numérique.

Source : commission d'enquête, d'après les informations transmises par RTE

Pour l'année 2024, les investissements de RTE dans les infrastructures du réseau de transport, approuvés par la CRE473(*), s'élèvent déjà à 1 990,6 millions d'euros.

Répartition des investissements de RTE dans les réseaux de transport en 2024

(en millions d'euros)

Source : commission d'enquête, d'après la délibération n° 2024-34 de la CRE du 8 février 2024 portant approbation du programme d'investissements 2024 de RTE

Si le renouvellement des infrastructures occupe une place significative dans les investissements actuels (36 % en 2024), cette proportion devrait nettement diminuer dans les années à venir au profit de l'adaptation des réseaux de transport, des raccordements, des dépenses liées au développement de parcs éoliens en mer ou encore des interconnexions, autant de catégories qui présentent des trajectoires d'évolution prévisionnelles extrêmement dynamiques. Ainsi, d'après la programmation de RTE, à horizon 2027, la proportion des investissements de renouvellement pourrait ne représenter que moins d'un quart du total des dépenses annuelles. Cependant, en valeur absolue, en raison du vieillissement des infrastructures, les investissements de renouvellement sont appelés à augmenter de façon significative et continue jusqu'en 2050.

Investissements prévisionnels annuels de renouvellement
des infrastructures du réseau de transport (2019-2050)

(en millions d'euros)

Source : RTE, Futurs énergétiques 2050

Un « mur de renouvellement »474(*)

Depuis 2019, la croissance des investissements annuels de RTE est largement portée par la montée en puissance et l'industrialisation du programme de renouvellement du réseau de transport, érigé en priorité du SDDR de 2019.

Ce constat résulte du fait que l'âge moyen du réseau de RTE est aujourd'hui d'environ 50 ans. L'âge moyen du réseau de transport aérien est même plus élevé encore puisqu'il atteint 65 ans et 20 % de ce réseau dépasse les 70 ans. Moyennant une maintenance régulière, certaines infrastructures de réseau peuvent fonctionner jusqu'à plus de 80 ans et le seuil de vétusté des lignes aériennes peut ainsi se situer entre 85 et 90 ans, la stratégie retenue dans le SDDR 2019 est ainsi, dans le cadre d'une première phase, de renouveler d'ici à 2035 les ouvrages qui dépassent aujourd'hui les 70 ans. Ces investissements pourraient représenter 11 milliards d'euros, soit une moyenne de plus de 700 millions d'euros par an.

Après 2035, un second palier d'investissements doit permettre de renouveler les lignes aériennes construites entre 1950 et 1970. À l'horizon 2035, RTE sera également confronté à un enjeu important de renouvellement des postes électriques et de leurs équipements. Cette deuxième phase d'investissements dans le renouvellement des réseaux de transport pourrait être deux fois plus coûteuse que la précédente et dépasser un montant cumulé de 20 milliards d'euros, soit une moyenne annuelle supérieure à 1,3 milliard d'euros.

Source : commission d'enquête

En 2024, RTE estime que les raccordements de moyens de production renouvelables intermittents, tirés par le développement des parcs éoliens en mer (260 millions d'euros) mais également par les dépenses réalisées dans le cadre des schémas régionaux de raccordement des énergies renouvelables (S3REnR) pour raccorder d'autres moyens de production intermittents (150 millions d'euros), représentent déjà plus de 20 % des investissements dans les réseaux de transport. À horizon 2027, cette proportion doit très sensiblement augmenter pour atteindre presque 40 % du total des investissements réalisés par RTE dans les réseaux de transport.

Évolution des investissements dans le réseau de transport liés aux raccordements de centrales de production d'énergies renouvelables intermittentes (2020-2027)

(en millions d'euros)

Source : commission d'enquête, d'après les données transmises par la CRE

Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, RTE souligne ainsi que depuis 2020, « les besoins d'adaptation du réseau pour accueillir les renouvelables sont croissants et deviendront à terme le principal poste d'investissement de RTE sous l'effet du développement de l'éolien en mer ».

D'ici 2027, le montant des investissements prévisionnels dans les interconnexions doit quant à lui doubler, passant de 260 millions d'euros à 510 millions d'euros. Cette évolution est équivalente au rythme de progression prévisionnel du total des dépenses annuelles, de sorte que sa part relative dans l'ensemble des dépenses pourrait se maintenir à son niveau actuel de 13 %.

L'adaptation rapide du réseau de transport dans les
bassins industriels prioritaires : une condition sine qua non de
la réindustrialisation et de la décarbonation des process industriels

Aujourd'hui, les besoins en électricité de l'industrie se trouvent très concentrés au sein d'une dizaine de zones. L'enjeu de réindustrialisation du pays est donc lié au renforcement rapide du réseau à très haute tension dans certains de ces bassins clés, prioritaires au titre de la décarbonation des process industriels. Dans une première phase, il s'agit principalement des zones industrialo-portuaires de Dunkerque, de Fos-sur-Mer et du Havre-Port-Jérôme auxquelles s'ajoute la vallée de la chimie au sud de Lyon475(*). Dans ces bassins industriels, il s'agit de réaliser des adaptations structurantes du réseau et de créer de nouveaux ouvrages476(*), afin de développer la capacité de raccordement

D'après les éléments fournis par RTE à la commission d'enquête, depuis deux ans, les demandes de raccordement de consommateurs industriels au réseau de transport se succèdent « à un rythme inédit depuis les trente glorieuses » et constituent, au sein des bassins industriels concernés, un vrai « changement d'échelle en termes de consommation d'électricité ». Elles s'élèvent ainsi d'ores et déjà à plus de 20 GW.

La commission d'enquête souligne à quel point les enjeux de ces chantiers, tant en termes de réindustrialisation que de décarbonation, sont absolument fondamentaux. Le rythme de réalisation de ces opérations colossales doit être extrêmement soutenu, sans commune mesure avec les chantiers réalisés jusqu'à aujourd'hui par RTE.

Dans les réponses écrites transmises à la commission d'enquête, RTE considère ainsi « qu'il s'agit d'un poste de dépense relativement limité au regard de l'ensemble des investissements à consentir, mais très concentré dans le temps et dans l'espace, et associé à des exigences de rapidité et d'efficacité particulièrement fortes : pour renforcer les principales zones avant 2030 comme il s'y est engagé, RTE devra réussir à diviser par deux le temps de mise en service de grands ouvrages à très haute tension par rapport à la décennie précédente, ce qui implique des solutions aériennes pour les nouvelles lignes à très haute tension et l'utilisation de simplifications dans les procédures d'autorisation ».

Cependant, la commission d'enquête considère qu'il n'est pas concevable que le gestionnaire de réseau de transport ne soit pas au rendez-vous de ce défi déterminant pour l'avenir de l'économie française. Aussi, se félicite-t-elle des mesures de simplifications qui ont été introduites par la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, dite loi « APER ».

Ces dispositions permettront d'accélérer ces procédures de raccordement. La commission se félicite aussi que, dans l'attente de la publication des décrets d'application de cette loi, RTE ait pu d'ores et déjà, après accord de la CRE, engager des zones de raccordement mutualisé dans les principaux bassins industriels précédemment cités afin de répondre à plus de 15 GW de demandes de raccordement pour des mises en services prévues entre 2027 à 2032 et un coût estimé à environ 2 milliards d'euros.

Dans le même temps, RTE reçoit aussi des demandes de plus en plus importantes émanant de « centre de données » (dits data centers) davantage situés en Île-de-France ou dans la région de Marseille.

Source : commission d'enquête

La commission d'enquête note que, pour des raisons d'optimisation économique et environnementale, RTE a proposé de réviser la stratégie de développement du réseau de transport. En effet, auparavant prévalait la règle du « premier arrivé, premier servi », c'est-à-dire que les raccordements étaient réalisés dans l'ordre de réception des demandes par RTE. Désormais, le gestionnaire de réseau propose de procéder différemment en priorisant les infrastructures mutualisées, qui, en répondant à davantage de besoins, seront les plus utiles à l'ensemble du système électrique. La commission d'enquête considère que cette révision est parfaitement rationnelle et qu'elle doit permettre de rendre plus efficients les investissements dans les infrastructures de réseaux.

À plus long terme, les investissements nécessaires dans le réseau de transport, comme les parts relatives de chaque catégorie de dépenses sont très sensibles aux stratégies de mix de production qui seront retenues. L'étude sur les futurs énergétiques de RTE soulignait ainsi que sur la période 2020-2060, les scénarios prévoyant la plus grande pénétration de moyens de production renouvelables intermittents supposaient des investissements dans les réseaux de transport jusqu'à plus de 60 % plus élevés que le scénario « N03 » qui repose sur une relance ambitieuse de la filière nucléaire. Les prévisions relatives aux investissements dans le renouvellement des infrastructures étant identiques quel que soit les scénarios, le différentiel s'explique pour l'essentiel par les coûts systèmes générés par le développement massif d'installations de production d'électricité à partir d'énergies renouvelables intermittentes.

À long terme, au-delà des programmes d'investissement prévisionnels annoncés par RTE et Enedis, aux horizons 2050-2060, le choix d'un scénario très ambitieux en termes de relance de la production nucléaire française, tel que celui qui est proposé par la commission d'enquête (voir infra), est de nature à contenir les investissements dans les réseaux de transport et, par voie de conséquence, les coûts globaux du système électrique et la facture d'électricité des consommateurs. Dans le cadre de ce scénario, les investissements de long terme dans les réseaux de transport seraient structurellement déterminés, à près de 50 %, par les besoins de renouvellement des infrastructures.

(2) 96 milliards d'euros dans le réseau de distribution : des investissements tirés à la hausse par les raccordements de moyens de production renouvelables et de bornes de recharge pour véhicules électriques

Le plan de développement de réseau (PDR), publié par Enedis en 2023, prévoit un programme d'investissements de 96 milliards d'euros à horizon 2040. Selon ce programme, les investissements d'Enedis doivent ainsi culminer à environ 5,5 milliards d'euros par an entre 2027 et 2030 avant de se stabiliser durablement à un niveau supérieur à 5 milliards d'euros par an. Comme précisé infra, le pic de dépenses prévisionnelles anticipé entre 2027 et 2030 s'explique principalement par le raccordement d'un grand nombre d'infrastructures de recharges de véhicules électriques (IRVE).

À titre de comparaison, les dépenses d'investissements réalisées entre 2020 et 2023 se sont établies entre 4 milliards et 4,4 milliards d'euros annuels. L'augmentation du niveau d'investissements annuels, avoisinant les 20 %, est donc loin d'être négligeable.

Répartition des investissements annuels d'Enedis
constatés et prévisionnels (2020-2040)

(en millions d'euros)

Source : Enedis

L'augmentation est même de l'ordre de 75 % si l'on remonte un peu plus loin dans le temps en comparant ces investissements prévisionnels au montant annuel moyen de 2,9 milliards d'euros constaté sur la période 1980-2020.

Enedis considère que ce programme d'investissements ambitieux a vocation à relever quatre défis principaux :

- l'accélération rapide du rythme de raccordement des capacités de production renouvelables intermittentes, de plus en plus portée par la filière photovoltaïque ;

- l'électrification des usages qui se manifeste principalement pour Enedis par le raccordement des infrastructures de recharge de véhicules électriques ;

- le traitement systématique des ouvrages présentant des risques de défaillance, particulièrement en regard du changement climatique ;

- la préparation et le démarrage, dès 2030, du renouvellement des compteurs Linky et de la chaîne communicante.

Les catégories d'investissements d'Enedis

Enedis répartit ses investissements en différentes catégories :

- les raccordements de moyens de production à base d'énergie renouvelable ;

- les raccordements d'infrastructure de recharges de véhicules électriques (IRVE) ;

- les raccordements de clients ;

- le renforcement des réseaux477(*) ;

- la modernisation des réseaux, notamment pour les rendre moins vulnérables aux effets des changements climatiques478(*) ;

- les obligations réglementaires ;

- les investissements dans les outils de travail et les moyens d'exploitation, c'est à dire les investissements qui ne portent pas sur les infrastructures de réseau ;

Certaines de ces dépenses s'imposent à Enedis, l'entreprise ayant l'obligation de raccorder les utilisateurs qui en font la demande. D'autres sont dites « délibérées » et comprennent notamment les dépenses destinées à améliorer la qualité de la desserte (renouvellement et modernisation du réseau).

Source : commission d'enquête, d'après les informations transmises par Enedis

La hausse des investissements prévisionnels d'Enedis d'ici 2027 s'explique par deux déterminants principaux.

Il s'agit premièrement du raccordement de moyens de production renouvelables. Le programme d'investissements d'Enedis prévoit des investissements structurellement supérieurs à 500 millions d'euros par an pour raccorder des installations de production d'énergies renouvelables intermittentes, soit une croissance de près de 70 % par rapport aux investissements réalisés en 2019. Ces opérations représenteraient ainsi plus de 10 % du montant global des investissements et un total de 10 milliards d'euros d'ici à 2040.

Investissements constatés et prévisionnels d'Enedis pour raccorder des producteurs d'énergies renouvelables (2019-2032)

(en milliards d'euros)

Source : plan de développement de réseau, Enedis, 2023

Deuxièmement, pour accompagner le développement de la flotte de voitures électriques, Enedis prévoit une montée en puissance significative du raccordement d'infrastructure de recharges de véhicules électriques (IRVE) qui pourrait culminer à des investissements supérieurs à 800 millions d'euros par an en 2027 et 2028479(*) avant de diminuer à environ 350 millions d'euros en 2032. Enedis estime que les raccordements d'IRVE pourraient se traduire par des investissements de l'ordre de 7,5 milliards d'euros d'ici à 2040480(*).

En outre, toujours en ce qui concerne les raccordements, selon Enedis, les flux entraînés par les croissances démographique et économique resteront importants mais globalement stables dans la durée, représentant un montant d'investissements cumulés prévisionnels estimé à 23 milliards d'euros d'ici à 2040.

L'ensemble de ces nouveaux raccordements, quelle que soit leur origine (installation de production à partir d'énergie renouvelable, IRVE ou croissances économique et démographique) supposeront également des investissements de renforcement du réseau public de distribution481(*). Enedis estime ces investissements à 6 milliards d'euros cumulés d'ici à 2040.

À plus long terme, et comme pour le réseau de transport, plus les scénarios de mix de production électrique intègrent des objectifs élevés de développement des installations renouvelables intermittentes, plus ils supposent des investissements importants dans les réseaux de distribution. Ainsi, dans son étude sur les futurs énergétiques 2050, pour la période 2020-2050, RTE avait-il estimé que, selon les stratégies de mix de long terme, le montant annuel moyen des investissements nécessaires dans le réseau de distribution pouvait varier de 4,6 milliards d'euros, pour le scénario « N03 » qui prévoit une relance ambitieuse de la filière de production nucléaire, à 7 milliards d'euros pour des hypothèses intégrant des pénétrations plus fortes de capacités de production à base d'énergies renouvelables intermittentes, soit un différentiel de coût de 2,3 milliards d'euros par an.

Comme pour la trajectoire d'investissements de long terme dans le réseau de transport, le scénario de mix de production retenu par la commission d'enquête, largement fondé sur la relance du parc électronucléaire, conduira ainsi, au-delà de l'horizon 2040, à contenir sensiblement les dépenses dans les infrastructures de distribution.

La commission d'enquête rappelle que la maîtrise d'ouvrage des travaux réalisés sur les infrastructures du réseau de distribution est partagée entre Enedis et les autorités organisatrices de la distribution d'énergie (AODE). Pour l'essentiel, les travaux portant sur les réseaux de distribution situés en zone rurale relèvent de la maîtrise d'ouvrage de ces dernières. Dans un rapport de 2022, la Cour des comptes estimait à environ 700 millions d'euros par an les investissements annuels consentis par les AODE au titre des opérations qui relèvent de leur maîtrise d'ouvrage. Instauré en 1936, le dispositif de financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale apporte un soutien financier indispensable aux investissements réalisés par les AODE dans les réseaux de distribution des communes rurales. La commission d'enquête tient à souligner le caractère essentiel de ce dispositif dont il convient d'assurer la pérennité sur la durée.

Une nécessaire prise en compte des conséquences prévisibles du phénomène de réchauffement climatique dans les programmes d'investissements relatifs aux réseaux

Les réseaux de transport et de distribution d'électricité sont d'ores et déjà, et seront à l'avenir, de plus en plus exposés aux conséquences des dérèglements climatiques. Leur résilience est ainsi devenue un enjeu essentiel qui participe à l'objectif de sécurité d'approvisionnement des consommateurs. Elle suppose nécessairement des dépenses de modernisation des ouvrages opérés par RTE et Enedis et, en conséquence, a un effet inflationniste sur leurs programmes d'investissements respectifs.

À la suite de « l'électrochoc » produit par les tempêtes de 1999, des programmes d'investissements ont été décidés pour les réseaux de transport comme de distribution. Ainsi, en 2000, RTE a-t-il lancé un programme de 2,5 milliards d'euros482(*) pour la sécurisation de ses ouvrages vulnérables aux évènements climatiques.

Un plan dit « aléas climatiques » a été lancé pour renforcer la résilience du réseau de distribution. Depuis, ce plan a été enrichi pour couvrir une palette d'aléas élargie. Actuellement, ce plan conduit Enedis à concentrer ses investissements de résilience, d'une part, sur les réseaux aériens les plus sensibles aux aléas483(*) et, d'autre part, sur les réseaux souterrains, sensibles aux épisodes de forte chaleur et aux épisodes de crues.

Dans son plan de développement de réseau (PDR), Enedis projette une hausse progressive des investissements pour rendre le réseau plus résilient aux conséquences du changement climatique. Ces investissements se matérialisent notamment par l'enfouissement des lignes moyenne tension les plus exposées aux aléas climatiques, le renouvellement des réseaux souterrains moyenne tension sensible aux canicules ou encore le remplacement des lignes aériennes basse tension en fils nus. Les dépenses relatives à l'adaptation du réseau de distribution aux aléas climatiques sont intégrées dans la catégorie « modernisation » des investissements d'Enedis. Ainsi, ces investissements doivent passer d'environ 1 milliard d'euros par an à environ 1,3 milliard d'euros d'ici 2032, principalement portés par les dépenses dans la modernisation des réseaux HTA aériens les plus exposés aux risques climatiques.

Trajectoire d'investissements dans la modernisation des réseaux de distribution (2019-2032)

(en milliards d'euros)

Source : plan de développement de réseau, Enedis, 2023

Plus récemment, RTE a développé un programme de renouvellement de ses infrastructures qui intègre l'hypothèse d'une augmentation de 4 degrés des températures moyennes à l'horizon 2100. Dans le cadre de ce programme, toutes les opérations de renouvellement mises en oeuvre par le gestionnaire de réseau comportent un volet d'adaptation aux conséquences anticipées des dérèglements climatiques. Dans son projet de SDDR mis en consultation depuis mars dernier, RTE a introduit un chapitre relatif aux risques climatiques.

Malgré ces avancées, dans son rapport public annuel 2024484(*), la Cour des comptes constatait en mars dernier que l'impact financier du changement climatique sur les réseaux demeurait « encore mal évalué ».

Source : commission d'enquête

b) La dissémination et l'intermittence des moyens de production éoliens et photovoltaïques engendrent des investissements significatifs dans les réseaux de transport et de distribution

S'agissant des réseaux d'acheminement d'électricité, les conclusions de l'analyse économique des scénarios de mix de production réalisée en 2021 dans le cadre de l'étude de RTE sur les futurs énergétiques 2050 sont sans appel : « le montant des investissements est d'autant plus élevé que la part d'énergies renouvelables est importante. Ce résultat découle de la combinaison de plusieurs facteurs : le déplacement de la production (notamment vers l'ouest), les besoins de raccordement et de renforcement sur les réseaux régionaux, et l'importance des dépenses prévisionnelles pour raccorder l'éolien en mer. À l'inverse, les scénarios reposant sur une relance de la production nucléaire présentent un coût de réseau d'autant plus réduit que la localisation et le type de production sont proches de la situation actuelle ».

Les effets du développement des moyens de production renouvelables intermittents et décentralisés sur les investissements dans les réseaux sont principalement de deux ordres :

- La dissémination géographique des centrales sur le territoire nécessite davantage d'infrastructures pour que leur production puisse être injectée sur le réseau puis acheminée vers les consommateurs finals ;

- La plus forte variabilité de la production due à l'intermittence de ces filières de production suppose elle aussi des investissements supplémentaires dans les réseaux.

La dissémination géographique des centrales de production d'électricité à partir d'EnR conduit à profondément transformer la structure du système électrique français. Cette transformation résulte de la transition d'un parc de production historiquement très centralisé, composé de puissantes centrales électriques directement raccordées au réseau de transport vers un parc plus diffus et décentralisé générant de plus en plus de « flux bidirectionnels » au sens où de plus en plus de centrales de production d'une puissance limitée injectent désormais leur production directement sur le réseau de distribution.

Il apparaît en effet qu'aujourd'hui, l'essentiel des nouvelles installations d'éoliennes terrestres ou photovoltaïques injectent leur production sur le réseau de distribution. D'ores et déjà, 90 % des installations de production éolienne et photovoltaïque sont raccordées au réseau de distribution. Fin 2023, 842 000 producteurs EnR étaient ainsi déjà raccordés sur le réseau opéré par Enedis, environ la moitié de ces installations relevant de l'autoconsommation.

L'éolien en mer : des coûts de raccordements au réseau considérables financés par les consommateurs via le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE)

Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, la CRE insiste sur le fait que « le raccordement des parcs éolien en mer, que la loi confie à RTE, risque de représenter un coût extrêmement élevé, du fait de l'éloignement de plus en plus important des côtes et de l'emploi de la technologie à courant continu beaucoup plus coûteuse ».

En réponse à un questionnaire de la commission d'enquête, RTE a également souligné les coûts très élevés des raccordements des parcs éoliens en mer : « les coûts associés aux ouvrages de raccordements dépendent des différentes filières, et plus précisément de la localisation géographique retenue pour les différents moyens de production. Par rapport aux autres filières, les coûts de raccordement sont plus importants pour les parcs éoliens en mer, qui ne bénéficient par essence pas de la proximité avec le réseau terrestre existant. L'éloignement des parcs éoliens en mer des côtes renforce cette conclusion ». Or, pour des raisons d'acceptabilité, il est constaté que les débats publics qui ont eu lieu sur les différentes façades maritimes concernées donnent systématiquement lieu à des demandes d'éloignement des côtes.

Pour les six premiers parcs éoliens en mer français, le coût moyen de raccordement s'est établi à 800 000 euros par MW, soit 10 à 15 % des coûts complets de ces projets. Toutefois, ces parcs posés étaient situés à proximité des côtes, aussi, les futures installations, situées à des distances bien plus grandes des côtes, devraient induire des coûts de raccordements plus élevés encore, représentant jusqu'à 35 % du coût total des projets. De façon générale, RTE souligne dans son étude sur les futurs énergétiques que « les coûts de raccordement des énergies marines sont soumis à de fortes incertitudes, supérieures à celles rencontrées pour des types de réseaux plus conventionnels ».

Ainsi, comme précisé supra, les coûts de raccordement de projets éoliens, qui représentent déjà près de 15 % des investissements de RTE ont vocation à très fortement augmenter dans les années à venir. Dès 2027, leur montant pourrait ainsi être multiplié par trois par rapport à 2020.

Or, depuis 2018, le coût des raccordements est pris en charge directement par RTE et financé par les consommateurs via le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE).

Source : commission d'enquête

Le phénomène de variabilité résultant de l'intermittence des productions éolienne et photovoltaïque met, par ailleurs, au défi l'équilibre des réseaux soumis à des fluctuations de plus en plus fortes. Ainsi, dans son étude sur les futurs énergétiques, RTE soulignait qu'en raison de la progression des flux d'électricité renouvelable variable, le réseau « devra gérer des cycles réguliers jours/nuits (pour le solaire) mais également des variations de production éolienne très importantes à l'échelle d'une semaine, d'un mois, voire d'une année. Il s'agit d'un défi technique majeur ».

Cette variabilité résulte aussi du développement des capacités de production intermittentes chez nos partenaires européens, ce qui fait dire à RTE que « les très fortes proportions d'énergies renouvelables dans le mix des pays voisins impliquent une grande variabilité des flux entre pays. Le réseau de grand transport métropolitain peut ainsi se trouver parcouru de flux importants, de façon très variable d'un jour sur l'autre, et même en cours de journée ».

(1) Un développement important des énergies renouvelables supposera nécessairement la construction de lignes à 400 000 volts sur des sites vierges

Le développement des moyens de production à partir d'énergies renouvelables intermittentes n'est pas sans conséquence sur les investissements à réaliser dans le réseau de transport. Ainsi, toujours dans son étude sur les futurs énergétiques, RTE souligne que « dans le cas d'une évolution vers un système à haute part en énergies renouvelables, les évolutions de structures à apporter au réseau sont majeures : nouveaux axes traversant nord-sud mais également est-ouest, renforcement des interconnexions, raccordement de grands parcs en mer ».

Ce phénomène n'est que trop rarement mis en avant mais la structure du réseau de grand transport serait particulièrement affectée par un développement prononcé des flux d'électricité renouvelables intermittents. RTE indique ainsi que « l'analyse des contraintes sur le réseau de grand transport fait ressortir trois déterminants : la localisation de la production, le caractère variable de la production renouvelable et les flux transeuropéens ». Or, le rapporteur constate que ces trois déterminants sont particulièrement dépendants du développement des moyens de production éoliens et photovoltaïques en France et en Europe.

Les investissements dans le réseau de grand transport visent notamment à faire évoluer le dimensionnement de ses infrastructures afin d'éviter des situations de congestion conduisant à désoptimiser le système électrique dans son ensemble.

En matière de dimensionnement des infrastructures du réseau de transport et de risques de congestions, quatre zones présentant des fragilités particulières ont été identifiées par RTE : Massif central-Centre, façade Atlantique, Rhône-Bourgogne et Normandie-Manche-Paris. À un horizon 2050, les risques de congestion affectant ces zones prévalent quel que soit les scénarios de mix de production retenus. Ainsi, selon RTE, les investissements sur le réseau de transport dans ces zones peuvent-elles être qualifiées de sans regret.

Néanmoins, il est incontestable que plus le développement des moyens de production éoliens et photovoltaïques est important, et plus particulièrement à travers des installations de grande dimension, plus les phénomènes de congestions du réseau de transport seront fréquents et dommageables, ce qui impliquera des investissements supplémentaires pour s'en prémunir. Dans ses Futurs énergétiques 2050, RTE souligne à ce titre que « sur toutes les zones de fragilité identifiées, les congestions sont ainsi plus fréquentes dans les scénarios à forte part en énergies renouvelables ».

Le contre-exemple allemand illustre l'impérieuse nécessité de se prémunir des effets délétères des phénomènes de congestion des réseaux

Lorsque surviennent des phénomènes de congestions physiques sur le réseau, c'est-à-dire que les quantités qui doivent transiter dépassent les limites fixées pour les lignes concernées, les gestionnaires de réseau mettent en oeuvre des mesures dites de « redispatching » visant à modifier les plans de charges de producteurs moyennant le versement d'indemnisation à ces mêmes producteurs pour compenser les conséquences financières de ces mesures. Celles-ci se traduisent d'un côté par des demandes faites à certains producteurs de baisser ou d'interrompre leur production et, de l'autre, par des demandes faites à d'autres producteurs, dont les coûts variables se situent au-dessus du prix de marché, de produire malgré tout afin d'assurer localement l'équilibre entre offre et demande. Les coûts de résolution des congestions du réseau de transport sont financés par les consommateurs via les tarifications d'utilisation du réseau électrique.

Le système électrique allemand est confronté à des phénomènes de congestion massifs de son réseau depuis l'évolution profonde de son mix de production marquée par la fermeture de ses centrales nucléaires et le développement rapide de moyens de production renouvelables intermittents, tout particulièrement de parcs éoliens dans le nord du pays. Cette situation s'est traduite par un décalage géographique très prononcé entre les principaux lieux de production qui se situent au nord du pays et la concentration des zones de consommation dans le sud. Ce décalage suppose des transits d'électricité très importants entre le nord et le sud du pays. Or, l'adaptation des réseaux de transport allemand a été beaucoup moins rapide que le bouleversement de son mix électrique. De cette désynchronisation majeure est né un phénomène de congestions massif extrêmement coûteux pour les consommateurs allemands.

Comme le précise RTE en réponse à un questionnaire de la commission d'enquête, « de manière générale, les gestionnaires de réseau allemands sont amenés à pratiquer le redispatching sur des axes nord-sud : baisse et rémunération de la production éolienne au nord du pays en situation de forte production et compensation par des hausses et de la rémunération de la production de centrales à gaz ou charbon dans le sud du pays ».

Cette situation, qui dure depuis 10 ans aurait coûté aux consommateurs allemands, selon les années, entre 0,9 milliard d'euros et 1,5 milliard d'euros par an entre 2015 et 2020. La situation s'est exacerbée depuis 2021 et la flambée des prix de l'électricité (qui a conduit à rehausser le coût des compensations aux producteurs en contrepartie des mesures de redispatching). Ces compensations ont ainsi atteint 2,1 milliards d'euros en 2021 puis 4,2 milliards d'euros en 2023.

Les coûts de congestion constatés en Allemagne sont absolument sans commune mesure avec ceux qui, pour l'instant, touchent le réseau français. En effet, d'après les données fournies par RTE, en France, le coût cumulé des mesures de régulation des situations de congestion s'est élevé à seulement 45 millions d'euros entre 2015 et 2020.

Cependant RTE estime que la France ne doit pas se « reposer sur ses lauriers » : « en l'absence d'adaptation du réseau électrique français aux nouvelles installations de consommation (réindustrialisation, décarbonation de l'industrie) et de production (nouvelles installations renouvelables et nucléaires), des conséquences similaires pourraient être observées ».

Pour résoudre ces difficultés, le gestionnaire du réseau de transport allemand conduit actuellement un programme d'investissements colossal, encore bien plus onéreux que les 100 milliards d'euros proposés par RTE d'ici à 2040 pour le réseau français. En effet, sur un périmètre pourtant plus restreint que celui du SDDR de RTE, des investissements à hauteur de 270 milliards d'euros sont planifiés sur le réseau de transport allemand d'ici à 2037485(*).

Source : commission d'enquête

À moyen terme, d'ici 2030, RTE estime que les adaptations du réseau de transport ne se traduiront pas par le développement de nouvelles lignes. À plus long terme, dans ses Futurs 2050, RTE démontrait que seul son scénario qui prévoyait la relance de la production nucléaire la plus ambitieuse, le scénario « N03 », ne supposait pas de nouveaux développements structurants du réseau de transport. Tous les autres scénarios, prévoyant une pénétration plus forte de moyens renouvelables intermittents dans le mix national, se traduiraient nécessairement par la construction soit de nouvelles lignes à très haute tension (400 kV) sur de nouveaux sites, soit de lignes souterraines encore beaucoup plus coûteuses et au bilan environnemental particulièrement défavorable.

La commission d'enquête s'étonne que les conséquences environnementales, économiques et en termes d'acceptabilité des développements des réseaux de grand transport exigés par les scénarios de mix qui laissent une large part aux moyens de production intermittents ne soient pas suffisamment portées à la connaissance du public et prises en compte dans les choix de long terme de politique énergétique. Il ne serait pas acceptable que les populations et collectivités locales concernées se retrouvent devant le fait accompli, à devoir accepter sans broncher la construction ex-nihilo de nouvelles lignes à très haute tension de 400 000 volts qui serait rendue impérative par des décisions prises, parfois en toute ignorance, plusieurs décennies plus tôt.

Dans ses Futurs énergétiques, RTE pointe cette problématique en soulignant que « les scénarios à haute proportion en énergies renouvelables soulèvent un véritable enjeu de nature sociétale concernant l'acceptation des ouvrages de réseau, dont l'emprise sur le territoire est susceptible d'augmenter ».

Cependant, la commission considère qu'au-delà des études de RTE, il est impératif que les citoyens soient parfaitement informés de ces conséquences de long terme souvent ignorées et que les pouvoirs publics les prennent pleinement en considération dans leurs décisions de stratégie énergétique.

Au-delà du réseau de grand transport, les investissements dans les réseaux régionaux de transport sont également très élastiques au volume de développement des capacités de production renouvelables. Dans ses futurs énergétiques, RTE estime à ce titre que « le développement des énergies renouvelables terrestres est le principal déterminant de l'évolution des réseaux de répartition régionale ».

(2) Le réseau de distribution : une hausse sensible des investissements pour les raccordements de producteurs renouvelables

En 2021, dans ses Futurs énergétiques, RTE écrivait que « les besoins d'investissement dans le réseau de distribution seront ainsi plus importants dans les scénarios avec une part importante d'énergies renouvelables, et d'autant plus dans les scénarios avec des installations diffuses raccordées au réseau basse et moyenne tension (petites installations solaires notamment) ». Ce constat s'explique principalement par le fait qu'à l'échelle nationale, les capacités de production raccordées au réseau de distribution varient du simple au double selon les scénarios étudiés par RTE.

Dans les hypothèses sous-jacentes de son programme d'investissement prévisionnel, Enedis anticipe le raccordement d'environ 110 GW d'EnR à horizon 2040, avec une étape à 70 GW en 2032 et selon un rythme annuel 4 à 5 GW d'ici 2030. En 2023, elle a raccordé 4,2 GW de capacité de production EnR sur le réseau de distribution (soit 200 000 installations) contre 3,7 GW en 2022.

Dans un rapport de 2020486(*), la Cour des comptes constatait déjà que « l'augmentation de la production décentralisée a un impact financier considérable sur le réseau de distribution ». Ce constat s'appuyait sur le fait qu'en dix ans, entre 2008 et 2018, les dépenses de raccordement des producteurs éoliens et photovoltaïques avaient été multipliées par trois. Or, depuis, elles ont encore doublé depuis pour approcher les 500 millions d'euros par an. Par ailleurs, au-delà des enjeux liés au réseau de distribution, il convient d'examiner les conditions d'une meilleure répartition des recettes tirées par les collectivités territoriales de l'implantation de capacités de production d'énergie renouvelable.

Recommandation n° 14

Destinataire

Échéance

Support/Action

Tout en veillant à l'équilibre du développement des territoires et aux conditions d'une meilleure répartition des recettes tirées par les collectivités de l'implantation de capacités de production d'énergies renouvelables, il convient de limiter la dispersion des sites de production électrique afin d'optimiser les investissements nécessaires aux réseaux de transports et de distribution.

État
(ministère en charge de l'Énergie)

RTE

ENEDIS

Dès à présent

Schéma directeur et Plan de développement des réseaux

3. Les conditions de financement d'Enedis et de RTE et leurs incidences sur le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE) méritent d'être questionnées

Les charges de capital des deux gestionnaires de réseau représentent une part substantielle du tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE) facturé aux consommateurs d'électricité. Ces charges sont notamment composées d'une rémunération des actifs d'Enedis et de RTE qui semble pouvoir être interrogée au regard des risques d'exploitation réels qui pèsent sur ces sociétés en situation de monopole et des dividendes qu'elles distribuent à leurs actionnaires.

a) « Les TURPE » vont poursuivre leur tendance inflationniste
(1) Payés par les consommateurs et en augmentation constante, « les TURPE » financent les dépenses des gestionnaires de réseaux

Mis en place par la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE) a pour vocation de couvrir les charges relatives aux missions de service public des gestionnaires d'infrastructures de réseaux, c'est-à-dire les coûts du développement, de l'exploitation et de l'entretien des réseaux de transport et de distribution d'électricité.

L'article L. 341-3 du code de l'énergie prévoit que la CRE fixe les méthodologies utilisées pour établir les tarifs d'utilisation des réseaux. En vertu de ses dispositions, ces tarifs doivent couvrir les coûts effectivement engagés par les gestionnaires de réseaux, dans la mesure où ils correspondent à ceux d'un gestionnaire de réseaux efficace.

Il existe en fait deux types de TURPE :

- le TURPE dit « HTB », qui finance les charges de RTE, concerne les utilisateurs raccordés au réseau de transport de haute et très haute tension ;

- le TURPE dit « HTA-BT », qui finance Enedis et les entreprises locales de distribution (ELD), s'applique quant à lui aux utilisateurs raccordés aux lignes de moyenne et de basse tension, c'est-à-dire au réseau de distribution.

Ces deux tarifs représentent plus de 90 % des recettes des gestionnaires de réseaux.

Après une période de consultation élargie et des concertations approfondies avec les gestionnaires de réseaux, ces TURPE sont déterminés par la CRE pour une période de quatre ans. La période actuelle dite « TURPE 6 », doit s'achever le 31 juillet 2025. Après une consultation organisée au début de l'année 2024, la CRE est actuellement en phase de négociations avec les gestionnaires de réseaux pour concevoir les paramètres du « TURPE 7 ».

La construction des périodes de TURPE repose donc sur une prévision d'évolution des dépenses supportées par les gestionnaires de réseaux sur une période de quatre années. Cette prévision concerne aussi bien les charges d'exploitation que les charges de capital liées aux investissements.

Les charges d'exploitation incluent notamment :

- les coûts liés à l'achat d'électricité pour couvrir les pertes réseaux ;

- mais aussi, pour Enedis, les coûts d'accès au réseau public de transport (c'est-à-dire le TURPE « HTB ») versés à RTE .

Les principales charges de capital, destinées à couvrir de façon lissée dans le temps les investissements réalisés par les gestionnaires de réseaux, se composent :

- d'une part des amortissements de ces investissements ;

- et d'autre part de la rémunération du capital investi pour les financer.

Les hypothèses retenues en termes de taux de rémunération du capital de RTE et d'Enedis jouent de ce fait un rôle déterminant dans la construction du TURPE. La révision de ces taux à la baisse est une option à envisager pour contenir la trajectoire inflationniste du TURPE et en atténuer les incidences sur la facture des consommateurs (voir infra).

Chaque année, au 1er août, la CRE ajuste les TURPE :

- d'une part, pour appliquer le coefficient d'évolution annuel qui avait été prévu en début de période ;

- mais aussi pour tenir compte de l'inflation ainsi que de l'évolution constatée de certaines dépenses considérées comme « non maîtrisables » par les gestionnaires de réseau et incluses dans un compte de régularisation des charges et des produits (CRCP).

Ce compte représente environ les deux tiers des charges des gestionnaires d'infrastructures dont les ressources apparaissent ainsi comme particulièrement sécurisées.

Pour conjurer les effets inflationnistes inhérents à ce type de fixation des recettes des gestionnaires de réseaux, des dispositifs incitatifs sont intégrés dans les TURPE afin d'encourager la maîtrise et la réduction des coûts.

L'application du TURPE aux utilisateurs doit répondre à quatre grands principes :

- la péréquation tarifaire : les tarifs d'accès au réseau doivent être identiques sur l'ensemble du territoire et s'appliquent à tous les utilisateurs ;

- la tarification dite « timbre-poste » : la tarification de l'accès au réseau doit rester identique quelle que soit la distance parcourue par l'électricité ;

- la non-discrimination et le reflet des coûts : le tarif reflète les coûts engendrés par chaque catégorie d'utilisateurs indépendamment de l'usage final qu'ils font de l'électricité ;

- l'horo-saisonnalité : pour les professionnels, le TURPE varie selon les périodes de l'année, les jours et les heures.

Les trois composantes de la structure tarifaire du TURPE

La structure du TURPE se décline en trois composantes.

La composante de gestion :

Cette composante couvre les coûts de gestion clientèle supportés par les gestionnaires de réseaux. Ces coûts sont facturés, explicitement, sous la forme d'un terme fixe appliqué à tous les utilisateurs selon leur domaine de tension de raccordement et leur type de contrat d'accès au réseau.

Les coûts de gestion sont constitués des coûts liés à l'accueil des utilisateurs de réseaux, à la gestion des dossiers des utilisateurs, à la facturation, au recouvrement et aux impayés. Lorsque le consommateur est en contrat unique, ces coûts correspondent principalement à la rémunération de la gestion de clientèle effectuée par les fournisseurs pour le compte des gestionnaires de réseaux de distribution (GRD).

La composante de comptage :

La composante de comptage couvre les coûts de comptage, de contrôle, de relève, de transmission de données de facturation, les coûts liés au processus de reconstitution des flux ainsi que, le cas échéant les coûts de location et d'entretien des dispositifs de comptage.

La composante de soutirage :

La composante de soutirage couvre principalement les charges d'exploitation et de capital liées aux infrastructures de réseau ainsi que le coût d'achat des pertes.

Elle dépend du domaine de tension de raccordement : plus le domaine de tension est élevé, plus la quantité moyenne d'ouvrages de réseau sollicités est réduite (l'architecture historique du réseau étant centralisée), donc plus le tarif unitaire du soutirage est faible.

Elle comprend une part fonction de la puissance souscrite et une part fonction du taux d'utilisation de la puissance souscrite qui, pour des raisons de lisibilité, est exprimée en fonction de l'énergie soutirée.

Source : site internet de la CRE

Pour les particuliers et les petits professionnels, le TURPE est facturé aux fournisseurs qui le répercutent sur les factures de leur client. In fine, le paiement du TURPE repose sur le consommateur final. Son montant est identique quel que soit le fournisseur d'électricité. Les gros consommateurs professionnels s'acquittent quant à eux du TURPE dans le cadre d'un contrat direct avec le gestionnaire de réseau.

Le TURPE représentait, avant la crise des prix de l'énergie, un peu moins de 30 % de la facture totale487(*) d'un particulier mais près de 50 % du prix hors taxe, c'est-à-dire de la part « énergie »488(*) de cette facture.

La composante acheminement des TRVe des particuliers489(*) a augmenté d'environ 40 % depuis dix ans, passant de 44 euros par MWh en 2013 à 61 euros par MWh en 2024.

Évolution de la composante acheminement des TRVe des particuliers (2013-2024)

(en euros par MWh)

Source : commission d'enquête, d'après les délibérations de la CRE portant proposition des tarifs réglementés de vente d'électricité

(2) Les programmes d'investissements proposés par RTE et Enedis auront un effet inflationniste certain sur le TURPE, bien que lissé dans le temps

La commission d'enquête s'interroge sur le « voile pudique » qui semble recouvrir la question des évolutions prévisionnelles du TURPE à court comme à moyen et long terme. Cette situation est d'autant plus regrettable que le TURPE représente une part significative du prix final de l'électricité consommée et que son évolution, corrélée à celle des charges des gestionnaires de réseaux, sera très dépendante des stratégies en termes de mix de production qui, elles-mêmes, détermineront l'ampleur des adaptations nécessaires des réseaux électriques.

Il est grand temps que tous les acteurs concernés, à savoir l'État, RTE, Enedis et la CRE, fassent preuve de beaucoup plus de transparence en la matière et communiquent sur des scénarios d'évolutions du TURPE à court, moyen et long terme, quitte à reconnaître l'ampleur des incertitudes qui s'attachent à ces prévisions.

Le besoin de visibilité en la matière est exprimé par l'ensemble des catégories de consommateurs et, en particulier, par les professionnels, pour lesquels le TURPE, en tant que composante déterminante de la facture finale d'électricité, a un effet sensible sur leur compétitivité. Ainsi, en réponse à un questionnaire de la commission d'enquête, le Comité de liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité sur le marché libre de l'électricité (CLEEE) a émis le souhait que « la CRE, en relation avec RTE et ENEDIS, puisse nous apporter une projection précise sur au moins quatre ans, et des tendances sur dix ans, de l'évolution annuelle des prix ».

Aujourd'hui, le Gouvernement se contente de simples « incantations » dépourvues de solutions susceptibles de contenir la hausse prévisible de la tarification d'accès aux réseaux. La stratégie française pour l'énergie et le climat (SFEC) se contente ainsi d'indiquer, sans qu'aucun élément tangible ne vienne à l'appui de ce voeu pieux, que « la révision du tarif réseau (TURPE 7) en cours permettra au réseau de mieux faire face aux besoins de financement, en apportant de la visibilité à la couverture des coûts et des nouveaux investissements, et en s'efforçant de maîtriser l'impact financier de cet effort massif de transformation des réseaux sur l'ensemble du système énergétique ». Elle ajoute qu'il conviendra de « s'assurer que les investissements soient soutenables pour les gestionnaires de réseau au travers du TURPE, en particulier dans la perspective d'élaboration du futur TURPE 7, tout en veillant à en maîtriser l'impact pour le consommateur ».

Il est certain que les augmentations importantes des investissements dans les réseaux de transport et de distribution se traduiront par une poursuite de la tendance à la hausse du TURPE.

L'ampleur de cette hausse reste cependant incertaine car il convient de prendre en considération plusieurs phénomènes. D'abord, la hausse de la consommation d'électricité devrait « absorber » une part des charges nouvelles générées par ces investissements permettant de répartir les tarifs unitaires sur une base élargie. Ensuite, il convient de noter que la traduction des dépenses d'investissements dans le TURPE s'effectue de façon très progressive dans le temps puisqu'elle se compose des charges d'amortissement annuelles (lissées sur la durée de vie des actifs) et de la rémunération des capitaux investis. Troisièmement, il faut aussi prendre en compte le fait que certains investissements ne sont pas financés par le TURPE.

Ainsi, pour Enedis490(*), « les impacts tarifaires des investissements sur les utilisateurs du réseau public de distribution devraient rester soutenables et maîtrisés avec une hausse tarifaire d'un ordre de grandeur similaire à l'inflation sur la période 2022-2040 ». Le gestionnaire du réseau de distribution souligne par ailleurs que « l'impact à la hausse sur le TURPE lié à la dynamique des investissements réalisés par Enedis sera en partie compensé par l'effet favorable lié à l'augmentation du nombre de clients et des volumes acheminés liée en particulier au raccordement des IRVE ».

La CRE a répondu à la commission d'enquête qu'elle réalisait actuellement des scénarii prévisionnels dans le cadre de la construction du TURPE 7 mais aussi de l'analyse du SDDR de RTE et du PDR d'Enedis. À ce stade, elle considère que les répercussions tarifaires du programme d'investissements de RTE seront significativement plus fortes que celles résultant du plan d'Enedis. La CRE souligne par ailleurs que « la hausse de la consommation d'électricité viendra atténuer l'effet de ces nouveaux investissements sur les factures d'électricité, dans une proportion très difficile à anticiper. De même, l'évolution des taux d'intérêt jouera un rôle important sur le coût des nouveaux investissements pour les consommateurs ».

b) Réduire la rémunération des capitaux d'Enedis et de RTE et les dividendes qu'ils distribuent à leurs actionnaires pour contenir l'évolution du TURPE

Les gestionnaires de réseaux d'électricité RTE et Enedis exercent une mission de service public régulée en situation de monopole. Ils sont ainsi protégés des risques et vicissitudes des marchés. En outre, comme décrit supra, ils disposent de ressources très prévisibles garanties par le code de l'énergie à travers les modalités de construction et d'actualisation du TURPE.

Cette réalité conduit la Cour des comptes à s'interroger, en l'occurrence dans le cas d'Enedis, sur la nature des aléas susceptibles de justifier les taux de rémunération du capital retenus dans le calcul du TURPE « HTA-BT » : « dans ces conditions et même si certains aléas peuvent survenir et modifier les charges d'exploitation prévues, la notion de risque d'exploitation du gestionnaire de réseau n'a qu'une portée limitée, en comparaison de celui d'une entreprise commerciale opérant dans un marché concurrentiel et on doit s'interroger sur le bon niveau de rémunération du capital d'un tel monopole »491(*).

Le rapporteur se pose la question des niveaux de rémunération du capital retenus pour ces opérateurs dans le cadre du calcul du TURPE et sur les marges nettes qu'elles leur permettent de réaliser, d'autant plus lorsqu'elles servent à distribuer des dividendes, certes destinés à des sociétés publiques, en très nette augmentation depuis plusieurs années. Est-il bien légitime que le TURPE, qui repose sur les consommateurs, serve in fine à assurer des bénéfices conséquents à Enedis et, dans une moindre mesure à RTE, eux-mêmes majoritairement reversés, sous forme de dividendes, à leurs actionnaires respectifs : d'un côté, EDF pour ce qui concerne Enedis et, de l'autre, EDF, la Caisse des dépôts et consignation ainsi que CNP assurances pour ce qui concerne RTE.

Le taux de rémunération du capital doit couvrir un risque, notion toute relative comme nous l'avons vu précédemment pour un opérateur en monopole dont la quasi intégralité des recettes dépend d'un tarif administré très sécurisé et offrant une grande visibilité. Dans le cas d'Enedis par exemple, cette rémunération du capital a en réalité pour objectif d'assurer une marge d'exploitation considérée comme « normale », un concept extrêmement difficile à calibrer et juridiquement très fragile. Dans son rapport de 2020 précité, la Cour des comptes considérait ainsi que « la rémunération du capital dans le cas d'Enedis est donc largement finaliste et conçue à l'envers pour obtenir le résultat souhaité ».

Aussi, la marge nette après impôt492(*) dégagée par Enedis constitue-t-elle un bon indicateur pour mesurer le caractère potentiellement excessif des tarifs d'accès au réseau de distribution facturés aux consommateurs. En moyenne, depuis 2011, elle s'est élevée à 6,4 %, culminant même jusqu'à 10,4 % en 2022.

Marge nette dégagée par Enedis (2011-2022)

Source : commission d'enquête, d'après les comptes d'Enedis

En 2020493(*), faisant le constat d'une marge nette annuelle moyenne qui était alors inférieure puisque située à environ 6 %, la Cour des comptes constatait que cela constituait « une rentabilité plutôt élevée pour un service public, qui ne présente pas de risque d'exploitation significatif compte-tenu du principe, inscrit dans la loi, de couverture des coûts par un tarif administré ». La Cour soulignait notamment que ce niveau de marge nette de 6 % est très nettement supérieur à celles d'autres entreprises publiques françaises pourtant exposées à des risques commerciaux beaucoup plus significatifs comme La Poste ou encore la RATP dont les marges se situent entre 3 et 5 % selon les années.

La Cour estimait ainsi dans le cas d'Enedis que « le niveau actuel de rémunération devrait être reconsidéré, d'autant que les comparaisons avec les niveaux de rémunération de gestionnaires de réseaux en Europe trouvent leurs limites du fait que la situation du gestionnaire de réseau français n'a pas d'équivalent dans l'Union ».

Le niveau de marge nette dégagé par Enedis doit être analysé au regard des dividendes distribués tous les ans par Enedis à son actionnaire unique EDF. Comme l'illustre le graphique ci-dessous, ces dividendes sont particulièrement élevés et représentent une part très importante du résultat net dégagé par Enedis, ce qui avait conduit la Cour des comptes à considérer en 2020 que la méthode de détermination de la rémunération du capital de la société consistait en définitive « à garantir un taux de marge commerciale à Enedis et donc un montant de dividendes à EDF », une méthode reposant sur « un raisonnement de type « marge normale » qui n'a pas de lien clair avec la notion de « charges de capital » et qui pourrait conduire à une rémunération excessive ».

Résultats nets494(*) réalisés par Enedis et dividendes distribués (2015-2022)

(en millions d'euros)

Source : commission d'enquête, d'après les comptes d'Enedis

Une modération du taux de rémunération des actifs d'Enedis pourrait avoir une incidence significative sur le niveau du TURPE puisque, d'après les réponses faites par le gestionnaire du réseau de distribution à la commission d'enquête, les charges de capital de la société (amortissements et rémunération des capitaux) représenteraient aujourd'hui à elles seules entre 8 % et 9 % de la facture totale d'un particulier.

La problématique se pose avec moins d'acuité pour RTE mais elle n'est pas complètement neutre non plus, notamment lorsque l'on analyse le niveau des dividendes distribués par le gestionnaire du réseau de transport à ses trois actionnaires que sont EDF, la Caisse des dépôts et consignation et CNP assurances.

Le TURPE « HTB » intègre ainsi une composante visant à la rémunération des actifs de RTE. Dans le cadre du TURPE 6, le taux de rémunération des actifs de RTE, traduit sous la forme d'un coût moyen pondéré du capital (CMPC), a été établi à 4,6 %495(*). À l'instar d'Enedis, et du fait de la composition sécurisée de ses recettes, il faut souligner que la notion de risque d'exploitation est en réalité toute relative pour RTE. Par ailleurs, comme pour Enedis, ce taux de rémunération du capital doit être analysé au regard des dividendes distribués chaque année par RTE.

Dividendes distribués par RTE (2015-2023)

(en millions d'euros)

Source : commission d'enquête, d'après comptes de RTE

Jusqu'en 2016, RTE était détenu à 100 % par EDF. À cette date, la Caisse des dépôts (CDC) et CNP assurances ont acquis respectivement 29,9 % et 20 % de son capital. Cette opération est à l'origine de l'augmentation des versements de dividendes constatés depuis. En effet, à partir de cette date, l'assiette du taux de distribution de RTE (60 % du résultat) a été élargie en passant de la norme comptable française à la norme internationale IFRS. À taux de distribution inchangé, cette modification de l'assiette de distribution a entraîné une nette augmentation des dividendes annuels versés par RTE.

Cette décision, souhaitée par EDF et validée par l'État actionnaire, a indéniablement conduit à augmenter la valorisation de RTE au moment de l'opération d'ouverture du capital. D'après la Cour des comptes496(*), le groupe CDC a notamment signalé que ce paramètre avait constitué « un paramètre clé pour sa valorisation de RTE ». Dans son rapport de 2021 sur RTE, la Cour des comptes qualifie ainsi l'opération d'ouverture du capital de RTE de « financièrement avantageuse pour EDF mais au détriment de l'autofinancement de RTE ». Elle ajoute : « l'objectif d'EDF a consisté à maximiser l'opération sur le court terme (à travers un montage financier permettant un prix de vente optimal) et sur le moyen et long terme également, grâce à la conservation d'une part significative de RTE donnant droit à dividendes. Tel est également l'objectif de la CDC, qui doit assumer de nombreux autres investissements dans le secteur des énergies renouvelables. CNP assurances entend également préserver le rendement comme contrepartie de l'effort financier consenti. La remontée des dividendes de RTE représente, par conséquent, un retour sur investissement fortement attendu par les trois actionnaires de la Coentreprise de transport d'électricité (CTE) » qui détient désormais le capital de RTE.

Si les dividendes annuels élevés distribués par RTE sont très attendus des actionnaires et résultent de l'opération de cession de 2016, la Cour des comptes souligne néanmoins que l'article 3.1 du pacte d'actionnaires comporte une clause qui prévoit d'examiner « la cohérence » du niveau de distribution de dividendes « avec les besoins de fonds propres requis pour mener à bien le plan d'investissements de RTE ». C'est pourquoi la Cour des comptes recommandait en 2021 « d'ajuster la politique de distribution de dividendes pour préserver dans la durée la capacité d'autofinancement de l'entreprise en fonction de la trajectoire des investissements à financer ».

À l'heure où les investissements prévisionnels de RTE devraient augmenter très significativement et pourraient peser significativement sur sa situation financière ainsi que sur l'évolution du TURPE, le rapporteur considère que cette recommandation est plus que jamais d'actualité.

Dans son rapport de 2020 consacré à Enedis, la Cour des comptes remettait en cause la légitimité de la mutualisation, dans le cadre du TURPE, de certains coûts de raccordements au réseau de distribution à travers les mécanismes dits de « réfaction ». Ces mutualisations concernent notamment une partie des coûts des travaux d'extension et de branchement des installations de consommation, des coûts de raccordements d'installations de production d'électricité à partir d'énergies renouvelables ou encore des coûts d'installation des bornes de recharge électriques ouvertes au public. Faute de réelles évaluations, l'efficacité de ces mesures est douteuse. Elles sont susceptibles de générer des effets d'aubaine pour les personnes qui sollicitent le raccordement au détriment de l'ensemble des consommateurs qui financent une partie significative de ces coûts à travers leurs factures d'électricité.

La Cour notait ainsi que « ces mesures de réfaction conduisent à faire porter par l'ensemble des consommateurs, par le truchement du TURPE, une part significative des dépenses de raccordement, le demandeur ne prenant en charge qu'une fraction de ces dépenses. Ces dépenses imposées limitent la marge de manoeuvre de l'entreprise et sa capacité à utiliser les ressources du TURPE à d'autres fins, pour un intérêt non démontré ».

La commission d'enquête considère que l'efficacité des mesures de réfaction de TURPE accordées pour divers types de raccordements au réseau de distribution devrait faire l'objet d'une évaluation exhaustive et complète. À l'issue de cette évaluation, il est vraisemblable que l'on constate que certaines de ces mesures de mutualisation sont génératrices d'effets d'aubaine trop prononcés et ne justifient pas que l'ensemble des consommateurs soient mis à contribution pour financer des investissements parfois d'ordre purement privé. Il conviendra alors, pour contenir les évolutions anticipées du TURPE dans les années à venir, de remettre en cause toutes les mutualisations inefficaces.

En toute hypothèse, afin de modérer les évolutions du TURPE et ses conséquences sur la facture des consommateurs, la CRE, au regard des montants absolument inédits qui sont en jeu, devra se montrer particulièrement rigoureuse dans l'expertise des propositions de programmes d'investissements pluriannuels de RTE et d'Enedis. Il s'agira, entre autres, au-delà de la question déterminante des taux de rémunération du capital retenus, de restreindre au strict nécessaire le périmètre des charges intégrées au compte de régulation des charges et des produits (CRCP). Compte-tenu des enjeux spécifiques aux programmes d'investissements à venir dans les réseaux, un renforcement des pouvoirs de contrôle de la CRE pourrait être envisagé. C'est d'ailleurs ce que suggère l'une des orientations présentées dans la SFEC.

Recommandation n° 15

Destinataire

Échéance

Support/Action

Optimiser le calcul du TURPE pour modérer ses augmentations prévisionnelles, notamment en remettant en cause la mutualisation de certaines dépenses de raccordements et en réduisant le taux de rémunération des actifs de Enedis et de RTE.

Gouvernement (ministère chargé de l'énergie), CRE, RTE, Enedis, actionnaires de RTE et Enedis

2024

Règlementaire

4. La création de nouvelles interconnexions doit être strictement conditionnée à leur intérêt économique pour la France

Le réseau européen comprend plus de 400 interconnexions dont 37497(*) sont actuellement en service en France pour une capacité de 15 GW à l'import et 20 GW à l'export, en lien avec six pays limitrophes : l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, l'Italie, le Royaume-Uni et la Suisse.

En 2015, les capacités d'interconnexions françaises ont été presque multipliées par deux avec la mise en service d'une liaison avec l'Espagne. En octobre 2022, une nouvelle interconnexion avec l'Italie est venue renforcer une fois de plus ce potentiel. Des projets d'ampleur dit « Celtic » avec l'Irlande et « Golfe de Gascogne » avec l'Espagne498(*) doivent être développés aux horizons 2027-2028. Trois autres interconnexions sont par ailleurs programmées avec l'Allemagne et la Belgique d'ici à 2030.

D'après le nouveau schéma décennal de développement du réseau (SDDR) proposé en mars 2024 par RTE, quatre autres projets d'interconnexions sont actuellement à l'étude aux horizons 2035-2040.

Projets de nouvelles interconnexions à l'étude

Source : projet de schéma décennal de développement du réseau (SDDR), RTE, 2024

À l'horizon 2050, l'étude de RTE sur les futurs énergétiques retient l'hypothèse d'un quasi triplement des capacités à l'import des interconnexions, soit une progression de 15 GW à 39 GW. D'ici 2035, selon le bilan prévisionnel 2023 de RTE, les capacités à l'import pourraient atteindre 25 GW.

Historiquement, la France est largement exportatrice nette d'électricité. La seule exception à cette situation structurelle a été constatée en 2022, en raison de la crise de production du parc nucléaire due au phénomène de corrosion sous contrainte et, dans une moindre mesure, à la faiblesse de la production hydroélectrique.

La France partage cette situation d'exportateur net d'électricité avec certains pays européens, au premier rang desquels la Suède, grâce à sa production hydroélectrique, tandis que d'autres pays tels que l'Italie ou l'Allemagne sont structurellement importateurs nets du fait d'un déséquilibre prononcé entre les capacités de leurs moyens de production et leurs niveaux de consommation.

S'agissant de l'utilisation des interconnexions en 2023, la CRE a transmis à la commission d'enquête la réponse suivante : « En 2023, les interconnexions ont été utilisées la majorité du temps à l'export, sauf à la frontière espagnole. Les interconnexions avec la région Allemagne-Belgique ont fonctionné à l'export sur 58 % des jours de l'année, celles avec l'Italie et la Suisse sur 99 % des jours et celles avec la Grande-Bretagne sur 86 % des jours. L'interconnexion avec l'Espagne a, elle, fonctionné plus de la moitié des jours de l'année dans le sens des imports (57 %) ».

La CRE a la mission de s'assurer que les projets d'interconnexions envisagés répondent à un réel intérêt économique pour la France et qu'ils soient réalisés dans des conditions financières optimisées. C'est en effet le régulateur qui a la charge d'approuver ou non les projets de nouvelles interconnexions. La décision de la CRE intervient à l'issue d'une analyse coût-bénéfice détaillée qui, pour que le projet soit approuvé, doit démontrer que la nouvelle interconnexion sera économiquement rentable à la fois au niveau français et au niveau européen.

Les analyses coût-bénéfice (ACB) des projets de nouvelles interconnexions réalisées par la CRE

De manière générale, les analyses coût-bénéfice (ACB) des projets de nouvelles interconnexions prennent en compte différents facteurs :

- les bénéfices économiques des projets, liés aux économies de coûts de combustibles permises par le projet au niveau des pays européens ;

- les éventuels bénéfices additionnels, en termes de sécurité d'approvisionnement ;

- les coûts d'infrastructures et de maintenance des projets ;

- les coûts d'insertion des projets sur le réseau, et notamment le coût des pertes électriques additionnelles (sur le câble d'interconnexion mais également les ouvrages du réseau).

Ces analyses sont réalisées sur différents horizons temporels (généralement 2030, 2040 et éventuellement 2050) en prenant en compte un taux d'actualisation, permettant de tenir compte des incertitudes sur les bénéfices à venir de ces projets. Les résultats sont donc calculés en valeur actualisée nette sur un horizon défini, généralement de l'ordre de 25 ans. Une telle analyse ne tient donc pas compte des éventuels coûts ou bénéfices apportés au-delà de cet horizon.

Source : réponses de la CRE au questionnaire de la commission d'enquête

Depuis 2022, la CRE s'est ainsi prononcée sur les projets Celtic, Golfe de Gascogne ainsi que sur des interconnexions avec le Royaume-Uni (projet dit « Gridlink » en 2022, puis un ensemble d'autres projets en 2024).

Décomposition des résultats des analyses coût-bénéfice réalisées par la CRE
sur les projets d'interconnexions approuvés depuis 2022 

(en millions d'euros)

Source : commission d'enquête, d'après les données transmises par la CRE

Ainsi, dans une réponse donnée à la commission d'enquête, la CRE considère-t-elle avoir « mis en place un cadre de régulation incitant RTE à réaliser les projets d'interconnexion utiles pour la collectivité, à mener à bien les investissements dans les meilleures conditions de coûts et de délais et à assurer la bonne exploitation de l'ouvrage ».

Par le passé, la CRE a déjà rejeté des projets qui lui avaient été soumis. Ça a été le cas par exemple en 2022 pour les investissements proposés par RTE dans le projet Gridlink. La CRE avait alors estimé que le bilan économique de l'opération présentait trop d'incertitudes.

C'est également la CRE qui, une fois qu'un projet d'interconnexions a été approuvé, négocie le partage des coûts d'investissements du projet entre les deux pays concernés. Ce partage des coûts peut, le cas échéant, sensiblement s'écarter d'une répartition paritaire lorsque les bénéfices économiques attendus s'avèrent déséquilibrés entre les deux pays.

En application des dispositions de l'article 18 du règlement (UE) n° 2022/869 du 30 mai 2022499(*), les projets d'interconnexions reconnus d'intérêts commun peuvent bénéficier de financements européens. Au titre de ce règlement, les projets Celtic et Golfe de Gascogne ont ainsi respectivement bénéficiés de 531 millions d'euros et de 578 millions d'euros de fonds européens.

Les coûts d'investissements dans les projets d'interconnexions sont financés par l'intermédiaire du TURPE au titre des charges de capital de RTE. Si elles apportent à la France une garantie indéniable en matière de sécurité d'approvisionnement, améliorent sensiblement sa balance commerciale et réduisent les coûts liés au développement de moyens de production de pointe, les nouvelles interconnexions doivent être examinées avec précautions car, au-delà de leurs seuls coûts répercutés dans le TURPE, qui correspondent à l'augmentation des échanges d'électrons avec nos voisins, elles contribuent à renchérir les prix de l'électricité sur les marchés, occasionnant ainsi un double effet inflationniste sur la facture des consommateurs.

C'est ce que signale notamment la Cour des comptes dans un rapport de 2022 sur l'organisation des marchés de l'électricité500(*) : « Si elle n'était pas interconnectée avec ses voisins, la forte proportion de production nucléaire en France, par rapport au reste de l'Europe, entrainerait de moins fréquents appels à des unités de production « marginales » fossiles pour répondre à la seule demande française. À parc de production donné, les échanges transfrontaliers résultant du couplage des marchés européens se traduisent ainsi la plupart du temps par un renchérissement des prix de gros en France ».

Dans une réponse faite à la commission d'enquête, RTE confirme l'effet inflationniste sur les prix de l'électricité généré par le développement des interconnexions. Ainsi, pour RTE, si les capacités d'interconnexions étaient plus importantes qu'aujourd'hui, « les prix de l'électricité sur le marché français seraient généralement plus élevés, hors période de crise ».

De plus, si dans ses réponses à la commission d'enquête, RTE estime que jusqu'ici la construction des interconnexions a permis de considérablement augmenter le niveau de sécurité d'approvisionnement en connectant des systèmes électriques dotés de profils de risques très différents, cette situation devrait sensiblement changer dans les années à venir du fait du développement des « modes communs » c'est-à-dire de situations de déséquilibres du système, dus à un pic de demande ou à un pic d'offre (issue des moyens de production renouvelable intermittente) survenant au même moment dans plusieurs pays européens. RTE souligne ainsi que le développement des interconnexions conjugué à la mise en oeuvre à l'échelle européenne de stratégies de mix de production convergentes fondées principalement sur les moyens renouvelables intermittents va augmenter le risque des « modes communs ».

Par ailleurs, le rapporteur s'interroge sur la réalité du principe de solidarité entre pays européens en cas de situation de tension extrême. L'épisode de tension observé le 4 avril 2022 en est symptomatique. Alors que la production électrique française était au plus bas en raison de la crise du parc nucléaire historique et que le pays faisait face à un pic de demande, l'Allemagne n'a manifestement pas rempli ses obligations de solidarité pourtant imposées par les règles européennes et a délibérément réduit ses exportations d'électricité vers la France en avançant de faux prétextes. Cette situation avait conduit la ministre de la transition énergétique de l'époque, Agnès Pannier-Runacher, à adresser une lettre de demandes d'explications à son homologue allemand.

Une autre conséquence méconnue de l'évolution des mix de production européens et du développement des capacités d'interconnexions est celui de l'accroissement du phénomène de transit d'électrons sur un réseau de transport français qui se transformerait de plus en plus en plaque tournante des flux d'électricité en Europe. Dans son étude sur les futurs énergétiques 2050, RTE démontre que l'évolution structurelle du mix électrique européen fera de plus en plus de la France « un pays de transit pour des flux européens, c'est-à-dire les flux circulant sur les interconnexions françaises mais correspondant à des transits entre d'autres pays via la France ». Dans l'ensemble des scénarios étudiés par RTE, « la part de ces flux devient en effet très majoritaire ». Aujourd'hui, 30 % de l'électricité exportée par la France est importée au même moment d'une autre frontière. À horizon 2050, cette proportion devrait se situer en 50 % et 70 %, c'est-à-dire qu'une majorité des exportations françaises proviendront en fait d'un simple transit d'électrons sur le territoire.

L'augmentation de ces flux de transit internationaux d'électricité sur le réseau français se traduira par des besoins d'adaptation très conséquent des infrastructures nationales. Dans son étude sur les futurs énergétiques, RTE considère à ce titre que les besoins de renforcements du réseau interne rendus nécessaires par le développement de ces flux, eux-mêmes accrus par la construction de nouvelles interconnexions, auront « une incidence de premier ordre sur le réseau de grand transport ».

La commission constate qu'aujourd'hui, les renforcements des ouvrages nationaux qui résultent de ces flux de transit sont financés à 100 % par les consommateurs français via le TURPE alors même que cette électricité n'est ni produite, ni consommée en France et qu'elle ne bénéficie en rien au système électrique national. Cette situation, liée à la position géographique du pays est inacceptable. La commission recommande ainsi qu'un mécanisme de financement spécifique soit mis en oeuvre afin que des fonds européens ou émanant de pays voisins qui profitent de ces flux participent au financement de ces adaptations du réseau interne qui ne bénéficient ni aux consommateurs, ni aux producteurs français. Le coût des renforcements liés à ces flux de transit pourrait notamment être évalué et partagé lors de la construction de chaque nouveau projet d'interconnexions.

Recommandation n° 16

Destinataire

Échéance

Support/Action

Veiller au juste besoin en matière d'interconnexions :

- en conditionnant strictement le développement de nouvelles interconnexions à leur intérêt économique pour la France ;

- en obtenant une contribution européenne au renforcement des réseaux français qui résulte des besoins de transit d'électrons sur le territoire national entre des zones de production et de consommation situées hors de nos frontières.

Gouvernement (ministère chargé de l'énergie)

CRE

RTE

2024

Négociations européennes

II. REPENSER LA DOCTRINE DE SÉCURITÉ D'APPROVISIONNEMENT DU PAYS ET PROMOUVOIR LES FLEXIBILITÉS

Lors des deux derniers hivers, la question d'éventuelles défaillances des systèmes électriques en Europe et en particulier en France est revenue sur le devant de la scène, alors qu'elle avait quasiment disparu des préoccupations du grand public. Les pannes du système électrique dans l'État de Californie, lors des étés 2019 et 2020, ont également mis en évidence l'acuité de ces enjeux.

La transformation du système électrique a aujourd'hui un impact sur les risques pesant sur la sécurité d'approvisionnement, en particulier avec la mise en arrêt de centrales pilotables, essentiellement au charbon ou au gaz, conformément à l'objectif de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, le développement de moyens de production renouvelables qui sont intermittents, l'accroissement des volumes disponibles aux interconnections aux frontières, etc.

Cette transformation entraîne un renouvellement de la réflexion sur la question de la sécurité d'approvisionnement et la question des flexibilités utiles au système électrique dans son ensemble.

A. LA SÉCURITÉ D'APPROVISIONNEMENT ET LA RÉSILIENCE DU SYSTÈME ÉLECTRIQUE À REQUESTIONNER

Pour toutes ces raisons, la commission d'enquête a souhaité s'interroger sur la réévaluation des risques qui pèsent sur notre sécurité d'approvisionnement à horizon de 2050 afin de les anticiper ainsi que de poser quelques réflexions pour réévaluer cette doctrine qui date de l'après-guerre.

Il semble plus que jamais important de protéger ce bien essentiel au fonctionnement de nos sociétés qu'est l'électricité.

1. Définir les critères de la sécurité d'approvisionnement est un enjeu de premier plan

Le critère de sécurité d'approvisionnement électrique, qui a été élaboré au moment où l'électricité était produite en abondance sur le sol national, est questionné par la projection à l'horizon 2050.

a) Qu'est-ce que la sécurité d'approvisionnement ?

L'article 194 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) dispose ainsi que l'énergie fait partie des compétences partagées entre l'Union et ses États membres, et précise que les mesures mises en place par l'Union ne doivent pas remettre en cause le droit d'un État membre de déterminer lui-même la structure générale de son approvisionnement énergétique. Les États membres sont notamment responsables du choix de leur niveau de sécurité d'approvisionnement qui relève d'une compétence nationale.

La sécurité d'approvisionnement est un objectif de la politique énergétique française501(*). L'électricité ne pouvant être stockée en grande quantité pour l'instant, il est nécessaire que la quantité d'électricité injectée dans le réseau soit à tout moment égale à la quantité d'électricité consommée. Un déséquilibre local peut se propager au système électrique tout entier et conduire à des coupures voire un black-out généralisé aux conséquences socio-économiques majeures.

Couvrir tous les risques, même ceux dont la survenance est statistiquement très improbable, en toutes circonstances, serait trop coûteux pour le pays. Aussi, le niveau de sécurité d'approvisionnement électrique attendu correspond à un risque de défaillance, économiquement, socialement et politiquement acceptable fixé par les pouvoir publics502(*).

En France, le critère de défaillance pour dimensionner le parc de production a historiquement été le « critère des trois heures ». Ce critère était utilisé par EDF pour dimensionner le parc de production électrique, sur la base d'un arbitrage économique. La signification concrète de ce critère sera abordée au paragraphe suivant.

Le décret n° 2021-1781 du 23 décembre 2021 relatif au critère de sécurité d'approvisionnement électrique a précisé les choses : « le critère de sécurité d'approvisionnement mentionné à l'article L. 141-7 du code de l'énergie est tel que :

- la durée moyenne de défaillance annuelle est inférieure à trois heures ;

- la durée moyenne de recours au délestage pour des raisons d'équilibre offre-demande est inférieure à deux heures ;

- et la défaillance se définit comme la nécessité de recourir aux moyens exceptionnels, contractualisés et non contractualisés, pour assurer l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité. Les moyens exceptionnels incluent le recours aux capacités interruptibles mentionnées à l'article L. 321-19 du code de l'énergie, l'appel aux gestes citoyens, la sollicitation des gestionnaires de réseaux de transport frontaliers hors mécanismes de marché, la dégradation des marges d'exploitation, la baisse de tension sur les réseaux, et en dernier recours le délestage de consommateurs. »503(*)

b) Que représentent les durées moyennes de délestage et de défaillance ?

Ce critère signifie que la durée moyenne pendant laquelle l'équilibre entre l'offre et la demande ne peut pas être assuré par le fonctionnement normal des marchés de l'électricité, dans toutes les configurations d'aléas considérées, doit être inférieure ou égale à trois heures par an et la durée moyenne des délestages, dans toutes les configurations d'aléas considérées, est inférieure ou égale à deux heures par an.

En pratique, ce critère des trois heures correspond à un volume d'énergie « non distribuée » qui atteindrait en espérance mathématique de l'ordre de 10 GWh par an, soit 0,002 % de la consommation totale d'électricité.

Le critère de sécurité d'approvisionnement repose donc sur une approche économique de type coûts / bénéfices.

c) En quoi les paramètres de la sécurité d'approvisionnement sont-ils dimensionnants pour le système électrique ?

Le critère de sécurité d'approvisionnement est le fondement des outils de diagnostic (les analyses prospectives de RTE) et des mécanismes économiques (mécanismes de capacité) pour assurer la sécurité d'approvisionnement.

Le mécanisme de capacité

Le marché de l'énergie permet d'optimiser l'utilisation des capacités de production et d'effacement des différents acteurs mais ne permet pas de garantir que le critère de sécurité d'approvisionnement électrique soit respecté. Le mécanisme de capacité est donc un mécanisme complémentaire et correctif.

Il est destiné à s'assurer de la disponibilité de capacités de production fiables pendant les pointes de consommation. Chaque fournisseur d'électricité est dans l'obligation d'apporter la preuve qu'il peut couvrir, par des garanties de capacité, la consommation de ses clients lors des pics de consommation électrique. Ces garanties doivent être certifiées par RTE auprès d'exploitants de capacités de production ou d'effacement qui s'engagent sur la disponibilité de leurs capacités lors des périodes de pointe. Les fournisseurs doivent acquérir ces capacités. Ils sont aussi de ce fait, pour réduire ces acquisitions, encouragés à accompagner leurs clients à réduire leur consommation.

Source : Commission d'enquête

Le critère de sécurité d'approvisionnement est donc dimensionnant pour le système électrique :

- il justifie l'existence du mécanisme de capacité, calibre les besoins des réserves nécessaires504(*;

- il cadre la sûreté d'exploitation en temps réel, la maîtrise du plan de tension et de la gestion des flux sur le réseau électrique ;

- la trajectoire de dimensionnement et l'évolution du parc de production et de flexibilités en dépendent ;

- les études d'équilibre entre l'offre et la demande à moyen et long terme réalisées par RTE dans les bilans prévisionnels se fondent dessus. Deux fois par an, RTE réalise des analyses saisonnières de manière à anticiper d'éventuels problèmes d'approvisionnement en électricité, pour le passage de l'hiver et pour le passage de l'été.

2. Une doctrine qui a précédemment évolué sous une impulsion plus technique que politique pour suivre les réalités du système électrique

À sa création, RTE a repris le critère des trois heures utilisé par EDF. Mais ce critère n'avait alors aucun rôle économique ou aucun caractère contraignant, il servait simplement à qualifier le niveau de risque du système. Dans les années 2000, la France étant surcapacitaire, ce critère n'avait pas d'effet direct sur le dimensionnement du système.

La pratique historique des « 3 heures de défaillance » est codifiée en 2006 par un décret505(*) conformément à ce que prévoyait en 2000 la loi Nome506(*) dans son article 6. La disposition précise que RTE, dans ses bilans prévisionnels, caractérise ce risque de défaillance, dont le seuil correspond à une « durée moyenne de défaillance annuelle de trois heures pour des raisons de déséquilibre entre l'offre et la demande d'électricité ».

Le décret de 2006 précise que le bilan « retient comme hypothèse centrale l'annulation du solde exportateur d'électricité à la pointe de consommation », signifiant clairement que RTE doit raisonner comme si le système ne recourrait à aucune importation pour passer la pointe de consommation.

Or, à partir de 2011, RTE décide d'intégrer les importations dans son appréciation de la sécurité d'approvisionnement pour tenir compte de la réalité du système électrique.

a) Les raisons de l'évolution du critère de sécurité d'approvisionnement

À compter de 2011, le fait de limiter les analyses des Bilans prévisionnels à un raisonnement « en France isolée » soulève des questions.

D'une part, la France s'est trouvée importatrice lors des pointes en 2009-2010 et 2010-2011 sans que cela ne soulève de difficulté particulière. En effet, dans un système qui devient en pratique de plus en plus européen, ce sont les marchés qui déterminent les flux et le raisonnement en « France isolée » n'a plus de traduction opérationnelle. Il en résulte un écart entre le risque évalué dans les analyses de sécurité d'approvisionnement et le risque réel observé dans la pratique.

Raisonner en « France isolée » revient, pour un même niveau de sécurité d'approvisionnement, à devoir installer des capacités pilotables additionnelles pour des durées de fonctionnement potentiellement très faibles. Le dernier Bilan prévisionnel 2023 avance les chiffres de 13 GW de capacités pilotables additionnelles pour un coût total pour la collectivité, investissement et fonctionnement, de l'ordre de 2 Md€/an.

Principe de l'analyse en France isolée

Source : RTE, réponse aux questionnaires de la commission d'enquête

D'autre part, lors discussions engagées sur le futur mécanisme de capacité français, la Commission demandait que ce futur mécanisme intègre les échanges européens. Ainsi, dès lors que les autorités françaises ont souhaité doter le critère de sécurité d'approvisionnement d'une force contraignante dont il était dépourvu auparavant, il était nécessaire de l'adapter à la réalité des échanges européens.

b) Mais un processus d'évolution qui interroge

À compter de 2011, et jusqu'à 2016, année qui marque une évolution réglementaire, RTE présente donc systématiquement deux métriques dans ses Bilans prévisionnels, avec prise en compte ou non de la contribution des interconnexions, sa métrique principale étant celle qui tient compte des échanges.

Il est apparu surprenant à la commission d'enquête que RTE ait décidé de faire évoluer, de son propre chef, le périmètre d'analyse retenu. Prendre en compte des échanges avec l'étranger dans le respect d'un critère de durée moyenne de défaillance revient à assouplir ou baisser de facto le niveau réel du critère de sécurité d'approvisionnement électrique. C'est un choix éminemment stratégique qui relève des seules autorités politiques et non d'un organisme technique.

Interrogé, RTE avance « qu'il ne faut pas surinterpréter le « changement d'approche » de 2011 » pour les raisons suivantes : « d'une part, il a été très progressif : RTE n'a fait que mettre en cohérence son dispositif d'analyse avec la réalité physique du système européen (en analysant les résultats selon les deux approches).

D'autre part, le choix du dimensionnement du système relève des pouvoirs publics (et pas de RTE), mais est contraint par le droit communautaire : dès lors que la France a souhaité mettre en place un mécanisme de capacité (il s'agit du vrai changement d'approche), c'est-à-dire de donner une « force contraignante » au critère de sécurité d'approvisionnement, il était nécessaire de le mettre en accord avec le droit communautaire.

Enfin, prendre en compte l'interconnexion du système est un choix économique : considérer des imports nuls à la pointe ne reflète pas la compétitivité relative des moyens de production utilisables dans ces situations à l'échelle européenne, et s'obliger à respecter cette norme (ce qui est impossible dans le cadre communautaire actuel) serait ainsi coûteux pour le consommateur. Enfin, RTE a pris un soin particulier à documenter ces éléments dans ses rapports annuels. Les discussions des quinze dernières années peuvent donc être facilement tracées et restituées de manière transparente. »507(*)

Le décret n° 2015-1823 du 30 décembre 2015, qui procède à la codification de la partie réglementaire du Code de l'énergie, modifie le décret de 2006 en bouleversant la portée de son article 5. En effet, il supprime son hypothèse centrale, relative au non appel des interconnexions, puisqu'il intègre le fait qu'on ne raisonne plus en « France isolée ».

La commission d'enquête s'étonne de cette méthode par laquelle un élément déterminant de la sécurité d'approvisionnement est modifié de manière subreptice. Elle note par ailleurs, que le décret de 2006 n'a pas été codifié à droit constant et regrette l'irrespect de ce principe.

Un nouveau décret, n° 2016-350 du 24 mars 2016 portant diverses modifications du titre IV du livre Ier du code de l'énergie, vient définitivement entériner cette évolution.

3. À court terme, la doctrine n'a pas besoin d'évoluer, y compris avec la nouvelle réglementation européenne

Le règlement européen (UE) n° 2019/943, dit « Règlement Électricité », du paquet énergie propre pour tous508(*) adopté par l'Union européenne en 2019, prévoit une harmonisation des méthodologies de calcul des paramètres de la sécurité d'approvisionnement, pour les États membres mettant en place des mécanismes de capacité.

Le critère de sécurité d'approvisionnement, fixé par chaque État membre, doit désormais être fondé sur le calcul de trois valeurs :

- la valeur de l'énergie non distribuée (Value of Lost Load, VoLL), c'est-à-dire le prix maximum de l'électricité que les consommateurs sont prêts à payer pour éviter les délestages en intégrant les coûts socioéconomiques tels que les pertes de temps et de confort ;

- le coût d'un nouvel entrant (Cost of New Entry, CONE), c'est-à-dire le coût annualisé de mise en service de l'unité de production la plus compétitive susceptible d'être utilisée pour assurer le respect du critère de sécurité d'approvisionnement ;

- le critère théorique de sécurité d'approvisionnement (Reliability standard, RS), défini comme le ratio entre les deux précédentes valeurs.

Le « Règlement Électricité » prévoit la mise à jour du critère de sécurité d'approvisionnement tous les cinq ans.

Comme le mentionne RTE dans une étude spécifique réalisée sur le sujet509(*), « la mise à jour du calcul du critère de sécurité selon le nouveau cadre réglementaire européen conforte le niveau actuel ».

En effet « arrondi à la demi-heure, le critère théorique de sécurité d'approvisionnement calculé par RTE, sur la base de la méthodologie définie par l'ACER, est par conséquent de 2h de délestage par an en espérance. Ce niveau est équivalent au critère de délestage actuel. Cette valeur correspond à un haut niveau de sécurité d'approvisionnement en comparaison des critères existants actuellement dans les autres pays européens : en effet, de nombreux États ont fixé le niveau cible de sécurité d'approvisionnement à une durée moyenne de délestage de 3h par an (Royaume-Uni, Pologne, Belgique) voire à des niveaux supérieurs (4h par an aux Pays-Bas, 5h au Portugal, 8h en Irlande). »

Il est important de noter, d'une part, que la définition du critère de sécurité d'approvisionnement au sens du « Règlement Électricité » correspond à un critère de délestage et pas de défaillance, et, d'autre part, que les exigences de la méthodologie définie par l'ACER ne remettent pas en cause l'existence du double critère utilisé en France.

4. À long terme, il convient de s'interroger sur cette doctrine, car la nature des risques pouvant conduire à une défaillance va évoluer

La réflexion sur l'évolution du critère de sécurité d'approvisionnement doit se poursuivre pour deux raisons principales : la transformation du système électrique et la nécessité de renforcer sa résilience dans un contexte présentant plus de risques.

a) Les évolutions du système électrique poussent à reconsidérer le critère de sécurité d'approvisionnement

Les évolutions du système électrique, en particulier la perspective d'un fort développement des énergies renouvelables intermittentes dans le mix, induisent des problématiques nouvelles relatives à la sécurité d'approvisionnement.

Ces problématiques techniques sont nombreuses et font l'objet d'analyses de RTE510(*). Elles portent notamment sur la variabilité plus élevée de la consommation et de la production, le niveau des réserves opérationnelles pour faire face aux aléas en temps réel, la gestion de la stabilité du système électrique en lien notamment avec la baisse de l'inertie du système associé à la fermeture progressive de moyens thermiques et à la réduction de la part du nucléaire, ...

Comme nous avons vu précédemment, la pointe de consommation hivernale constitue une situation où est très importante la vigilance en matière d'équilibre. Le volume de cette pointe va probablement augmenter selon RTE511(*) : + 9 GW en 2030, + 14 GW en 2035 sur la plage 18 h-20 h, et dépasser 120 GW en 2050.

Pour autant, la pointe ne sera pas forcement une difficulté en soi, comme nous l'avons vu précédemment, le risque portera de plus en plus sur des épisodes météorologiques défavorables de type vague de froid persistante, anticyclone affectant la production éolienne et/ou couverture nuageuse rendant la production photovoltaïque incertaine. Ces phénomènes peuvent se maintenir plusieurs jours consécutifs.

D'autres types de risques existent en lien avec de possibles aléas sur des installations de production. Des difficultés, aux conséquences similaires à celles du phénomène de corrosion sous contrainte rencontré sur le parc nucléaire, ne peuvent être exclues. Ces risques peuvent même être renforcés avec le vieillissement du parc historique.

Enfin, il est possible de considérer que l'indisponibilité des moyens de nos voisins européens, peut constituer un risque complémentaire, comme l'a mis en évidence l'épisode du 4 avril 2022.

Interrogations et enseignements de l'épisode du lundi 4 avril 2022

La situation d'équilibre offre-demande en électricité de la France s'est révélée très tendue ce jour-là. La situation a été la plus critique sur le créneau 7h-9h. Sur cette période, le prix français de l'électricité sur le marché de gros journalier (EPEX spot) a atteint 2 712 €/MWh sur le créneau 7h-8h et 2 987 €/MWh sur le créneau 8h-9h. À titre de comparaison, depuis le début de l'année 2024, le prix moyen français sur ce marché s'élève à 51 €/MWh (prix spot France moyen de l'année 2024 au 14 mai 2024).

La tension sur les marchés reflétait :

- une vague de froid tardive : les températures étaient inférieures de près de 7°C aux normales de saison le matin du 4 avril, entrainant un pic de consommation à 74 GW à 9h soit 14 GW au-dessus des normales de saison ;

- une production réduite sur le territoire national : la capacité nucléaire était réduite en raison d'une disponibilité du parc historiquement faible, avec 26 réacteurs hors service. La production éolienne était également faible : 3,5 GW d'éolien était anticipé pour la pointe du matin contre 9 GW le vendredi précédent ;

- des importations limitées : les capacités d'import totales françaises le 4 avril étaient faibles par rapport aux niveaux constatés en moyenne, notamment sur la zone CWE (Allemagne-Belgique), qui était 4,7 GW en dessous de la capacité moyenne disponible. Ce jour-là, ces capacités d'importations maximales de la France en provenance de l'Allemagne et de la Belgique étaient de 3,7 GW à 7h et de 3,6 GW à 8h. Ces capacités sont particulièrement basses et se situent dans les 2 % des valeurs les plus faibles observées au premier trimestre 2022.

À noter que dès la semaine précédente, RTE avait anticipé cette situation et mis en place plusieurs actions. En particulier, RTE avait émis un signal EcoWatt « orange » pour cette journée.

La commission d'enquête s'est interrogée sur cette journée et en tire les conclusions suivantes :

- la situation de tension s'explique en premier lieu par la situation physique en France (forte consommation, faible production) et tout particulièrement par la baisse soudaine et très significative de disponibilité du parc nucléaire ;

- l'équilibre offre-demande a été réalisé grâce aux leviers habituels : mécanisme d'ajustement, mise en oeuvre de réserves contractualisées (activation des réserves rapides et complémentaires ainsi que du contrat de secours mutuel avec la Suisse) ;

- le fonctionnement des marchés de l'électricité en Europe a été efficace : les flux d'électricité se sont répartis vers les pays en tension (France et Autriche). Dans la mesure où aucun de ces deux pays ne faisait pas face à une situation de défaillance (c'est-à-dire impossibilité de couvrir sa consommation), une répartition a été réalisée pour tenir compte des besoins à l'échelle européenne ;

- les interconnexions avec l'Allemagne se sont avérées très limitées.

La commission d'enquête a souhaité saisir les raisons de cette faiblesse des capacités d'importation électrique en provenance d'Allemagne.

La CRE a notamment publié un rapport512(*) d'analyse et d'enseignements sur le pic de prix sur l'enchère journalière pour le 4 avril 2022. La faiblesse des capacités d'importation d'Allemagne et de Belgique résulterait de trois facteurs qui se sont combinés : une production éolienne au nord de l'Allemagne particulièrement forte venant charger les lignes allemandes, une indisponibilité de la ligne d'interconnexion France-Belgique « Avelin-Mastaing n° 1 » alors en maintenance, et une faible production française proche des frontières belge et allemande.

Les échanges transfrontaliers transitent sur les lignes d'interconnexions et sur les liaisons internes aux différents pays. Or, ces dernières sont également utilisées pour les flux nationaux, au sein de chaque pays. Pour certaines lignes, le cumul des flux nationaux et ceux issus des échanges avec les pays voisins conduisent à un transit trop important et peuvent conduire à des situations de congestion. Ces lignes sont alors qualifiées de « branches critiques » dans le cadre des textes européens qui régissent le fonctionnement du marché intérieur de l'énergie.

Depuis 2019, le droit européen prévoit que les États membres doivent garantir que les capacités d'échange entre pays atteignent 70 % des capacités d'interconnexion (lignes d'interconnexions + branches critiques). Cette disposition vise à éviter que certains États ne sous-dimensionnent le réseau et bénéficient de rentes sur les marchés de l'électricité en limitant les capacités d'échanges aux interconnexions. Elle est applicable depuis le 1er janvier 2020. Plusieurs États, dont la France et l'Allemagne, ont obtenu une dérogation et un échéancier pour l'application de cette disposition. La France a négocié une dérogation jusqu'au 1er janvier 2022, afin de développer et tester les outils de mesure et de validation des capacités nécessaires à sa mise en oeuvre. L'Allemagne a obtenu une dérogation jusqu'au 1er janvier 2026 et une trajectoire de mise en conformité progressive (31 % en 2022, 41 % en 2023, 51 % en 2024 et 61 % en 2025). Les modalités de calcul de cette règle ont été harmonisées en juin 2022 (soit après le 4 avril 2022). Entre le 1er janvier et le 4 juin 2022, chaque État disposait de sa méthode de calcul. Désormais, c'est la méthodologie de calculs européenne harmonisée (et entrée en vigueur en juin 2022) qui s'applique pour effectuer ce calcul.

Interrogée, RTE estime que « les gestionnaires de réseau de transport allemands ont respecté les termes de la dérogation autorisée par la Commission européenne » et affirme n'avoir pas repéré d'irrégularité, ni de dysfonctionnement de l'algorithme d'allocation des flux513(*).

Cependant, sur la base de témoignages oraux crédibles, la commission d'enquête émet des doutes sur ces explications. En fait, il semblerait que l'Allemagne n'ait pas rempli ses obligations de solidarité, pourtant imposées par les règles européennes, et, confrontée à des difficultés sur son propre réseau, ait délibérément réduit ses exportations d'électricité vers la France.

Ce point du reste a fait l'objet d'un courrier d'Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de la Transition énergétique, à son homologue allemand. Elle écrivait notamment que l'épisode du 4 avril 2022 « a montré que les capacités d'échange entre l'Allemagne et la France pouvaient devenir particulièrement faibles, en dessous de 5 gigawatts, alors même que des disponibilités de puissance existent en Allemagne (...). Je souhaiterais vivement recevoir des assurances et davantage d'informations sur les actions engagées afin que cette situation ne soit plus susceptible de se reproduire ».

Les gestionnaires de réseaux des deux pays ont tiré les enseignements de cette journée afin de renforcer leur coopération dans ces situations de forte tension sur les marchés. RTE et les autorités françaises ont obtenu que les GRT allemands portent à 41 % de capacités aux échanges européens dès mi-novembre 2022 soit un mois et demi en avance sur le calendrier initial de dérogation négocié par l'Allemagne avec la Commission européenne. Cette mesure a permis d'augmenter les capacités d'importation de la France au cours de l'hiver 2022-2023. Conformément au calendrier initial, le seuil est ensuite passé à 51 % au 1er janvier 2024 et ce seuil est respecté en pratique.

Source : Commission d'enquête, à partir des réponses aux questionnaires de la commission d'enquête adressés à RTE, la CRE et la DGEC.

Dans cette configuration, RTE avance que maintenir le critère de sécurité d'approvisionnement à l'identique, c'est-à-dire « les trois heures », à horizon 2050 « conduirait dans tous les scénarios, à des épisodes de déficit de production beaucoup plus marqués sous l'effet de la plus grande variabilité de la production » ce qui impliquerait « un quasi-triplement du volume d'énergie non-desservie, c'est-à-dire une forte dégradation de la sécurité d'approvisionnement en France »514(*).

Compte tenu de ces éléments, il apparaît nécessaire de faire évoluer, à long terme, le critère relatif à la sécurité d'approvisionnement.

b) Face à des évènements non désirés, la résilience du système électrique doit progresser
(1) Une préoccupation légitime dans un contexte instable

Avec les combats autour du barrage de Kakhovka, de la centrale nucléaire de Zaporija et de nombreuses installations électriques dans tout le pays, la guerre en Ukraine rappelle avec acuité que les infrastructures électriques sont des cibles stratégiques.

Le contexte international se traduit également par une exacerbation de la menace cyber contre les institutions et les acteurs économiques, dont les opérateurs énergétiques, des pays occidentaux, notamment européens.

D'autres événements, comme la crise sanitaire liée au covid-19, ou encore les phénomènes climatiques récurrents et parfois extrêmes conduisent la commission d'enquête à s'interroger sur notre capacité à anticiper et faire face à ces évènements et à questionner la résilience du système électrique français.

(2) Une prise en compte croissante de la notion de résilience en France et en Europe récemment renforcée pour le secteur électrique

De façon générale ces dernières années, la notion de résilience s'est affirmée comme un impératif à prendre en compte par les politiques publiques.

Le dernier acte en ce sens est la stratégie nationale de résilience515(*) (SNR) validée par le cabinet de la Première ministre en avril 2022. La SNR a conduit à l'adoption d'une nouvelle directive générale interministérielle de défense et de sécurité nationale (DGI n° 320), qui recense notamment les plans nationaux en matière de sécurité, de gestion de crise et de résilience (voir annexe 4516(*)).

Dans ce cadre, les documents les plus importants en matière électrique sont :

- le plan de préparation aux risques dans le secteur de l'électricité publié en février 2022. Ce plan découle directement du règlement européen 2019/941 qui dispose que les États membres sont tenus de coopérer au niveau régional et, s'il y a lieu, bilatéralement. Ce plan se concentre sur les conséquences possibles d'une crise sur le fonctionnement du système électrique. ;

- le plan de défense et de reconstitution du réseau (RTE). Sa viabilité a été testée à l'occasion d'exercices associant les gestionnaires de réseau (RTE, Enedis) et l'État (administration centrale et services déconcentrés) ;

- chaque administration ou opérateur d'importance vitale a la charge exclusive d'élaborer et de mettre en oeuvre son propre plan de continuité d'activité (PCA) au titre de la résilience électrique. Le fait d'élaborer un PCA constitue une obligation légale517(*). Ces PCA visent à assurer le fonctionnement des activités essentielles des administrations et des opérateurs ainsi que la disponibilité des ressources indispensables au déroulement de leurs activités ;

- le dispositif de sécurité des activités d'importance vitale (SAIV) conçu et piloté par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale518(*) (SGDSN). La politique de SAIV, historiquement centrée sur la protection physique des infrastructures notamment contre les actes terroristes, a évolué vers d'autres menaces et prend mieux en compte les infrastructures électriques. Les opérateurs d'importance vitale (OIV) doivent par ailleurs rédiger un plan particulier de protection (PPP) spécifique, pour chaque point d'importance vitale, dans lequel le sujet de la continuité d'alimentation électrique est abordé. L'appropriation au niveau européen du dispositif SAIV était un des objectifs de la présidence française de l'Union européenne de janvier à juin 2022. Ce dispositif est aujourd'hui entièrement refondé dans le cadre de la transposition de la directive dite REC : « résilience des entités critiques ».

Au niveau européen, le contexte international a donné un coup d'accélérateur aux négociations qui ont abouti à l'adoption de recommandations et de directives. Ces règles visent à poser des standards minimaux relatifs à l'évaluation des risques et aux stratégies nationales de résilience et visent à harmoniser progressivement le niveau de protection et de résilience du réseau électrique dans les pays membres. Il s'agit notamment de :

- la directive sur la résilience des entités critiques (directive REC), entrée en vigueur le 16 janvier 2023, cible les secteurs qui fournissent des services essentiels au maintien de fonctions vitales pour la société. Le premier secteur cité est l'énergie. Les États membres devront avoir recensé les entités critiques pour les secteurs énumérés dans la directive d'ici au 17 juillet 2026 et fait adopter des mesures pour renforcer la résilience de ces entités ;

- la directive du même jour visant à assurer un niveau élevé commun de cybersécurité dans l'ensemble de l'Union (directive SRI2).

En réponse à la commission d'enquête, la DGEC estime que « les directives REC et SRI2 permettent d'offrir un socle minimal commun de résilience à tous les opérateurs de l'UE. Ces derniers ne sont aujourd'hui pas tous couverts par un dispositif comparable à celui mis en oeuvre en France. »519(*)

(3) Au-delà de la planification, l'enjeu de l'opérationnalité de ces mesures

Si l'exercice de planification est nécessaire, il n'est pas suffisant en soi pour s'assurer de l'opérationnalité des mesures en cas de la survenance d'événements non désirés.

Il a été porté à la connaissance de la commission d'enquête un certain nombre de mesures, par exemple en matière de multiplicité de plans et de documents de référence, d'exercices pratiques, de mise en place de moyens d'intervention, qu'elle n'a pas eu le temps d`évaluer.

À titre d'exemple, la DGEC estime dans sa réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête que « le plan national de continuité électrique pourrait être mis à jour à l'aune des enseignements des derniers exercices de crise ».

Un autre exemple est avancé par RTE dans sa réponse au questionnaire de la commission d'enquête. Plusieurs producteurs d'électricité ne sont pas classés comme opérateurs d'importance vitale (OIV), alors que EDF l'est. RTE précise ainsi que : « il pourrait être opportun d'examiner si le niveau de résilience de ces acteurs est satisfaisant, et le cas échéant le classement de certaines de ces entreprises en OIV avec application des obligations afférentes y compris celles relatives à la cybersécurité. »520(*)

Compte tenu de l'importance du sujet de la résilience du système électrique dans un contexte géopolitique troublé, la commission d'enquête estime important que des investigations complémentaires puissent être menées par l'exécutif et le Parlement dans le cadre de prochains travaux.

c) Les pistes de réflexion de la commission d'enquête pour faire évoluer la doctrine de sécurité d'approvisionnement à terme.

La commission d'enquête identifie trois grandes problématiques en matière d'évolution souhaitable de la doctrine de sécurité d'approvisionnement : une définition à affiner, une orientation à exprimer en volume horaire ou en énergie et un questionnement sur la souveraineté.

(1) Une définition de la sécurité d'approvisionnement à affiner

RTE contribue à retenir une version restrictive du critère de sécurité d'approvisionnement puisque dans le critère des « trois heures », il n'y a en réalité que deux heures de délestage, c'est-à-dire de coupures, qui arrivent après une heure de défaillance, définie comme le risque de recours aux moyens exceptionnels.

En complément, le gestionnaire du réseau mène depuis déjà 2019 des « stress tests » qui visent précisément à mesurer la profondeur des défaillances possibles, qui peuvent être importantes mais sont d'une probabilité très faible521(*). Cet outil est désormais intégré dans les études de RTE depuis 2021.

Cependant, il considère toujours que la définition du critère de la défaillance est « fruste » pour reprendre son qualificatif.

Cet indicateur « basé uniquement sur la durée moyenne de défaillance, ne permet pas de caractériser finalement la nature des risques, leur probabilité d'occurrence et leur impact »1. Depuis 2017, RTE juge ainsi utile « d'aller au-delà du critère pour disposer d'une analyse plus circonstanciée des risques en matière de sécurité d'approvisionnement »522(*).

Les récentes expérimentations sur la baisse de puissance, présentées dans l'encadré ci-après, peuvent aussi constituer des pistes qui permettent de gérer des périodes de fortes tensions. Les zones rurales sont souvent affectées par les coupures sans que soient prises en compte toutes les conséquences. À titre d'exemple, 30 minutes de coupure électrique dans une poterie, suffit à mettre à mal toute la production. Il est donc nécessaire de veiller à des critères équitables et soucieux des situations particulières, notamment en zone rurale.

La réduction de puissance des particuliers, un nouveau levier ?

Le gestionnaire de réseau de transport peut théoriquement, et a déjà pratiqué localement à de rares occasions, une baisse de la tension de 5 % qui permet de réduire la puissance soutirée sans réel impact sur les usagers.

À la demande des pouvoirs publics, Enedis a conduit une nouvelle expérimentation sur le territoire du Puy-de-Dôme en février 2024. Elle a consisté à limiter la puissance électrique disponible de clients résidentiels à 3 000 watts (W) durant deux heures maximum par foyer comprises entre 06h30 et 13h30 et entre 17h30 et 20h30 maximale. Cette puissance est suffisante pour permettre le fonctionnement des équipements courants (éclairage, réfrigérateur, congélateur, télévision, recharge de téléphone, connexion internet, ...).

Chez les 120 000 clients concernés, les signaux envoyés aux clients ont fonctionné : leur consommation a baissé de 20 % à 25 % s'est félicitée la présidente du directoire d'Enedis, Marianne Laigneau, lors de son audition par la commission des Affaires économiques du Sénat, le 27 mars 2024.

Cette réduction de puissance, annoncée à l'avance à comparer avec de possibles coupures, pourrait être un nouvel outil en cas de tension sur le système électrique. Cette expérimentation qui s'est déroulée sur une zone plutôt rurale, doit être conduite également sur une ou des métropoles de France.

Source : Commission d'enquête

(2) Une orientation à exprimer entre volume horaire ou volume d'énergie

L'étude des Futurs énergétiques 2050 met en évidence que maintenir le critère des trois heures à l'identique à horizon 2050 impliquerait « un quasi-triplement du volume d'énergie non-desservie, c'est-à-dire une forte dégradation de la sécurité d'approvisionnement en France ».523(*)

Afin de l'éviter, RTE « a retenu dans sa modélisation le principe d'un maintien du niveau de service actuel, c'est-à-dire un volume moyen d'énergie non distribuée de l'ordre de 10 GWh. (...) Projeté en 2050, ce même niveau conduit à la réduction de la durée moyenne de défaillance, qui atteindrait autour d'une heure par an dans tous les scénarios, contre trois heures aujourd'hui ».524(*)

Sans se prononcer sur le fond, la commission estime que les développements consacrés à cette évolution nécessitent un débat public.

(3) Un niveau de souveraineté à déterminer

Dans un scénario défavorable combinant notamment des hypothèses d'indisponibilité de moyens internes, de vague froid, de crise géopolitique aux frontières de l'Europe et d'exportations de nos voisins réduites, la sécurité d'approvisionnement pourrait être en question.

Il semble important à la commission d'enquête que cette approche soit intégrée dans l'approche probabiliste de RTE525(*).

Il est clair que la prise en compte de la contribution des interconnexions dans le critère public n'est pas, en tant que tel, un facteur de fragilisation de la sécurité d'approvisionnement, dès lors qu'elle ne conduit pas à surestimer la contribution réelle des pays voisins.

La commission souhaite également souligner le caractère réciproque de cette interdépendance qui n'est pas une dépendance unilatérale de la France à ses voisins. Dans les rares situations où la France doit importer pour couvrir son équilibre national offre-demande, les imports ne portent que sur quelques pourcents des besoins (15 % au maximum) pendant quelques heures. Ils émanent de pays qui dépendent davantage de la France que le contraire et n'ont donc aucun intérêt à ne pas respecter les règles communes.

La situation de crise rencontrée lors de l'hiver 2022-2023 a mis en évidence que les interconnexions avaient fonctionné conformément à ce qui était attendu et avaient permis d'éviter des situations de tension, notamment l'envoi de signaux Ecowatt rouge.

Il est aussi clair qu'écarter les interconnexions a un coût pour la collectivité qui n'est pas négligeable. Pour autant, il est légitime qu'un débat s'installe sur la vision politique de la sécurité d'approvisionnement.

Il pourrait par exemple être pertinent de fixer un critère de sécurité électrique minimal basé sur un fonctionnement souverain afin de garantir le socle de notre sécurité électrique et un critère standard plus élevé intégrant les interconnexions.

La commission d'enquête estime que sur l'ensemble des points évoqués relatifs à la sécurité d'approvisionnement et à la résilience du système électrique, il convient d'engager une réflexion approfondie faisant l'objet d'une concertation et à laquelle doit être associé le Parlement.

Recommandation n° 17

Destinataires

Échéance

Support/action

Associer le Parlement à l'actualisation de la doctrine de sécurité d'approvisionnement électrique

Gouvernement (ministère chargé de l'Énergie) et RTE

2025 

Débat avant décision législative / réglementaire

B. LES FLEXIBILITÉS SERONT UN ÉLÉMENT DÉTERMINANT DE L'ÉQUILIBRE DU SYSTÈME ÉLECTRIQUE

RTE distingue quatre types de flexibilités qui sont complémentaires :

Les flexibilités structurelles et régulières, qui représentent l'essentiel des besoins de flexibilités et qui sont prévisibles : saisonnalité de la consommation liée à la température extérieure, forme naturelle de la courbe de charge résultant des rythmes réguliers de l'activité économique et sociale, courbe de production photovoltaïque en journée.

Les flexibilités dynamiques, qui correspondent aux besoins prévisibles de quelques jours à l'avance jusqu'à l'infra journalier, notamment pour compenser les incertitudes autour de la prévision de la production éolienne mais également solaire et à la thermosensibilité de la consommation.

Les flexibilités d'équilibrage, pour pallier avec un délai de réaction de l'ordre de quelques secondes à quelques minutes, les aléas (pannes, incidents) ou les incertitudes de la dernière heure (liées à la météo en particulier).

Les flexibilités de sauvegarde, pour les périodes de forte tension du système électrique signalées par les alertes EcoWatt, nécessitant le recours à des moyens exceptionnels voire le délestage en ultime recours.

Source : RTE526(*)

1. La recherche de la flexibilité de la demande doit être une priorité dès maintenant

Le Conseil général de l'économie résumait ainsi les changements à venir : « on passera ainsi progressivement d'une gestion de pointes de consommations assez rares et intervenant en hiver, avec notamment des mécanismes d'effacement, à une flexibilité généralisée faisant appel, toute l'année, au pilotage de la demande comme de l'offre »527(*).

a) Développer les effacements et adopter une vision plus large de la flexibilité de la demande

Au cours des 15 dernières années, la France a mené une politique spécifique de développement des effacements de consommation. Elle visait essentiellement à doter le système électrique des moyens de répondre à l'augmentation importante des pointes de consommation constatée depuis les années 1990. Elle a surtout permis de développer des effacements qui peuvent être qualifiés d'assurantiels dans le sens où ils visaient à assurer le passage de cette pointe.

Le développement des effacements, selon les termes définis à la fin des années 2000, doit être poursuivi mais n'offre qu'une réponse partielle aux besoins de développement des flexibilités pour accompagner l'évolution du système électrique. En effet, comme vu en fin de deuxième partie, la courbe de la demande doit pouvoir mieux épouser le moment où la production est abondante.

Autrement dit, les évolutions du système électrique permettent et incitent à appréhender la flexibilité de la demande de façon plus large que l'effacement en jouant sur le décalage et à la modulation de la consommation.

Définitions de la flexibilité de la demande

« La notion de flexibilité de la consommation couvre deux notions distinctes : une part de la consommation peut être déplacée, a minima au sein de la journée, pour être activée aux moments les plus favorables pour l'exploitation du système électrique ; une part de la consommation peut être interrompue, lors de périodes de tension sur le système électrique. »

Source : Futurs énergétiques 2050528(*)

b) Une flexibilité qui présente plusieurs avantages

Au-delà des effacements, le développement des flexibilités est très pertinent :

- elles contribuent à la sécurité d'approvisionnement, puisqu'elles permettent des baisses de la demande face aux besoins réguliers durant les pointes du matin et du soir, face aux besoins plus ponctuels (vagues de froid, faible production éolienne ...) et face aux besoins exceptionnels, pour éviter tout recours au délestage ;

- utilisées au bon moment, elles permettent de limiter l'usage, voire remplacer, les moyens d'extrême pointe qui sont aujourd'hui principalement des moyens carbonés ;

- elles permettent de rationaliser le moment de la consommation puisqu'elles décalent dans le temps, soit par anticipation, soit par report, la consommation au moment le plus adapté au niveau des conditions de production de l'énergie, voire d'utilisation du réseau. En elles-mêmes, elles sont coûteuses et ne nécessitent pas d'investissement conséquent. Elles sont, comme le rappelle RTE, une solution « sans regret » sur le plan technique et économique ;

- elles induisent, grâce au pilotage de la demande, de mieux connaître et maitriser sa consommation, et peuvent s'accompagner d'économies d'énergie ;

- elles bénéficient également à l'ensemble des consommateurs en permettant de faire baisser les prix sur le marché de l'électricité et de réduire leur volatilité, comme l'a souligné l'Ademe dans son avis d'experts529(*) : « la flexibilité peut également contribuer à lisser les prix sur le marché de l'électricité [...] permettant de protéger les consommateurs en limitant les pics de prix » ;

- elles permettent de renforcer notre souveraineté énergétique, car la flexibilité ne nécessite aucun combustible importé.

c) Un besoin croissant à anticiper

À court terme, l'évolution du système électrique ne nécessite pas l'exploitation des gisements d'effacement ou le développement du pilotage de la consommation, du point de vue de la sécurité d'approvisionnement.

Cependant à horizon 2030, dans son scénario de référence, RTE estime que le critère réglementaire de sécurité d'approvisionnement ne serait pas atteint si l'on se contente de développer les flexibilités de consommation au même rythme qu'actuellement.

Dans son projet de mise à jour du plan national intégré énergie-climat530(*), la France définit ainsi un objectif de capacités installées de flexibilité (offre et demande) de 25 GW en 2030 et 35 GW en 2035 auxquelles la flexibilité de la demande devra contribuer.

À horizon 2050, RTE cite un gisement total se situant entre 22 et 30 GW531(*).

La commission d'enquête estime qu'il est judicieux d'accélérer le développement des flexibilités de la demande dès maintenant pour les raisons suivantes :

En matière d'effacement, le potentiel existe essentiellement dans le secteur diffus, ce qui prendra du temps pour le mobiliser. Ce potentiel serait d'environ 15 GW en France en 2030 voire 20 GW en 2033/2035532(*). Ce gisement est encore appelé à croître en raison des nouveaux usages.

Ce potentiel total d'effacement semble encore sous exploité, puisque la capacité d'effacement disponible et certifiée par RTE sur le mécanisme de capacité en 2024 est de 4 GW. Il convient d'accélérer pour atteindre les objectifs de la PPE actuellement en vigueur : 4,5 GW en 2024 et 6,5 GW de capacité d'effacement en 2028.

Le développement de la flexibilité de la demande peut s'appuyer sur des précédents réussis comme l'asservissement des ballons d'eau chaude au signal heures creuses depuis plus de 40 ans ou encore les offres tarifaires spécifiques (EJP, tempo...).

Ce potentiel d'effacement ne se réalisera qu'avec le consentement des usagers. Il repose en effet sur le changement des habitudes de consommation des Français. Or en matière comportementale, les changements s'obtiennent sur le temps long. Promouvoir dès maintenant ces flexibilités permet d'amorcer ces changements.

Cette dynamique favorise implicitement les économies de consommation. En effet, la recherche de flexibilité va de pair avec ces équipements dits intelligents et des services qui permettent une meilleure maitrise de la consommation. L'équipement croissant du secteur résidentiel permettra des économies d'énergies et une réduction de la facture.

Cette flexibilité est une garantie supplémentaire dans un contexte ou des évènements imprévus pourraient bouleverser les équilibres espérés : dégradation de la disponibilité du nucléaire comme observée lors de l'épisode de corrosion sous contrainte, retard de la mise en oeuvre du pacte éolien en mer (18 GW en service en 2035) ou d'autres productions renouvelables terrestres, défaut de développement des stockages d'hydrogène... Dans ces situations, les développements obtenus relatifs à la flexibilité de la demande seront autant de sources de résilience du système électrique.

2. Mettre en place les signaux appropriés pour développer cette flexibilité de la demande

Le développement de cette flexibilité de la demande, qui se traduit notamment par les effacements, est un service rendu au système électrique qui doit être rémunéré pour avoir de l'intérêt pour ceux qui y participent et qui doit être encouragé par des mesures techniques.

a) Distinguer les deux typologies principales d'effacements

Les effacements « implicites » pour lesquels le signal prix incitant le consommateur à s'effacer en période de tension est directement inclus dans l'offre de fourniture du fournisseur. Il s'agit par exemple du tarif heures pleines/heures creuses ou encore tempo. Le développement de nouveaux usages comme les véhicules électriques laisse penser que de nouvelles offres vont apparaître. Les volumes effacés ne font pas l'objet d'une valorisation directe sur les marchés de l'énergie et sont intégrés dans la stratégie d'approvisionnement du fournisseur, c'est pour cela qu'ils sont qualifiés « d'effacements indissociables de la fourniture ».

Les effacements « explicites », pour lesquels un acteur tiers indépendant, « l'opérateur d'effacement », signe des contrats avec des consommateurs et se charge de valoriser leurs effacements de consommation sur les marchés de l'énergie.

Les volumes effacés doivent être approvisionnés par le fournisseur du site effacé et sont « redirigés » dans le portefeuille de l'opérateur d'effacement, qui peut ainsi les revendre sur les marchés de l'électricité. Le fournisseur doit être rémunéré pour ces MWh « redirigés » : c'est ce qu'on appelle le « versement ». Il est à noter que l'avantage de ce dispositif est qu'il peut fonctionner sans que le fournisseur n'ait à donner un accord exprès à l'opérateur tiers pour mettre en oeuvre les effacements. On parle de valorisation explicite car les volumes sont explicitement valorisés sur des marchés / mécanismes.

Ces effacements explicites sont plus fiables, en volume réalisé, que les effacements implicites. RTE a signalé à la commission d'enquête que la fiabilité de l'activation des effacements explicites s'établit à 98 % en 2022.

Ces effacements explicites sont valorisés au travers de plusieurs dispositifs. Deux grandes familles doivent être présentées : les dispositifs de valorisation en énergie et les dispositifs de valorisation capacitaires.

Les dispositifs de valorisation en énergie sont les marchés de l'énergie sur lesquels les volumes effacés dans le cadre d'effacements explicites sont revendus. Il s'agit donc d'une rémunération en €/MWh (production).

Le mécanisme Notification d'échange de blocs d'effacement (NEBEF) permet aux opérateurs d'effacement d'accéder aux marchés spot day-head et infra-journalier en certifiant dans le portefeuille de l'opérateur les volumes effacés chez leurs clients et échangés sur ces marchés.

Les dispositifs de valorisation capacitaire rémunèrent la mise à disposition des capacités d'effacements sur les marchés de l'énergie, que ces capacités soient ensuite sélectionnées, et donc activées, ou non dans le cas où d'autres moyens sont économiquement plus intéressants. Il s'agit donc d'une rémunération en €/MW (puissance).

Il existe plusieurs mécanismes capacitaires :

- les réserves d'équilibrage pour lesquelles les effacements doivent ensuite être proposés sur le mécanisme d'ajustement avec des contraintes techniques spécifiques ;

- le mécanisme de capacité : la participation à ce mécanisme implique la mise à disposition des capacités via le dispositif NEBEF ou le mécanisme d'ajustement sur des jours de tension (« période de pointe PP2 »). Cette mise à disposition génère des garanties de capacités (GC) qui sont valorisées par les opérateurs de flexibilité. Les fournisseurs doivent en effet fournir ou acquérir des GC pour remplir leur obligation de capacité ;

- l'appel d'offres effacement : il s'agit d'un dispositif offrant une rémunération complémentaire à celle du mécanisme de capacité.

Le schéma à la page suivante, résume les mécanismes de valorisation des flexibilités.

Marchés et mécanismes de valorisation des flexibilités

Source : RTE, réponse au questionnaire de la commission d'enquête

La capacité de 4 GW d'effacement disponible et certifiée par RTE, se répartie en 3,5 GW d'effacements implicites, dont 2,8 soutenus par l'appel d'offres effacement, et 0,5 GW d'effacements implicites, principalement via le tarif tempo.

b) Des tarifs incitatifs pour favoriser la flexibilité de la demande

Les incitations tarifaires sont aujourd'hui limitées en France comme le montre l'encadré ci-dessous.

Les options tarifaires actuelles du fournisseur historique

Le tarif heures pleines heures creuses consiste à appliquer un prix du kWh HT avantageux 8h par jour par rapport aux autres heures dites pleines.

Le tarif effacement jour de pointe (EJP) ne profite qu'aux clients ayant souscrit ce tarif avant 1998. La formule propose un tarif avantageux 343 jours par an avec un prix du kWh proche de celui des heures creuses et un tarif plus élevé les 22 jours restants (répartis entre le 1er novembre et le 31 mars) afin de susciter une modération de la consommation au moment où le système électrique est le plus sollicité.

Son successeur, le tarif tempo, proposé par EDF, prévoit 300 jours bleus avec un prix de l'électricité avantageux pour les heures creuses et heures pleines, 43 jours blancs toujours avantageux mais dans une moindre mesure et 22 jours rouges, répartis du 1er novembre au 31 mars toujours, légèrement avantageux en heure creuses mais aux prix du kWh en heures pleines qui peut être jusqu'à 2,8 fois plus élevé que le prix du tarif réglementé. La réduction de consommation des ménages lors des jours rouges entraîne une économie estimée équivalente à la consommation de 13 400 foyers ou de 42 000 voitures électriques.

Source : Commission d'enquête

Ces incitations sont encore peu connues ou peu valorisées et modérément répandues. Plus de la moitié des foyers français est encore à l'option de base. Les tarifs effacement jour de pointe et tempo ne représentent que 3 % des foyers, soit moins d'1 million de logements.

Répartition des options tarifaires de l'électricité par site résidentiels

Source CRE

Enfin, la principale offre tarifaire est relativement peu incitative. L'option heures pleines / heures creuses d'EDF propose un tarif de 0.2068 € par kWh pour le prix de la consommation en heures creuses et 0.27 € par kWh pour le prix de la consommation en heures pleines, ce qui représente moins de 25 % d'écart. En comparaison, l'option tempo présente une variation bien plus conséquente avec des tarifs s'échelonnant de 0,1296 € par kWh à 0,7562 € par kWh selon les moments de consommation533(*), soit une variation de près de 600 %. Par ailleurs, dans les deux cas (Tempo et HP/HC), l'abonnement est contre-incitatif puisqu'il est plus élevé que dans l'option de base.

Lors de son audition le 23 mai 2024, Stéphane Michel, directeur général Gaz, électricité et énergies renouvelables de TotalEnergies, a indiqué que son groupe a « augmenté l'écart » entre ses tarifs pour encourager la modification des comportements. Son offre « Charge'Heures » comprend un tarif heures super creuses à 11,2 centimes d'euros HT le kWh d'électricité, un tarif heure creuse à 16,1 centimes d'euro HT et un tarif heure pleine à un tarif de 22,3 centimes d'euro HT534(*). L'écart entre les tarifs minimum et maximum est désormais de l'ordre de 100 %.

Concernant non plus les tarifs des fournisseurs mais les tarifs d'utilisation du réseau, c'est le même constat. À titre d'exemple, il existe chez Enedis, dix régimes de tarification différents, avec parfois des plages de huit heures creuses consécutives pendant la nuit et parfois des plages discontinues la nuit et le jour...535(*).

La CRE536(*) a pris, ces dernières années, des initiatives croissantes pour faire évoluer ces tarifs, comme le résume l'encadré ci-dessous.

La prise en compte croissante des incitations tarifaires relatives à l'utilisation du réseau par la CRE

Répercuter à chaque utilisateur les coûts qu'il génère en fonction de ses caractéristiques d'utilisation des réseaux par la structure tarifaire génère des signaux économiques pertinents.

Sur cette base, la CRE a introduit dans le TURPE 5 HTA-BT des tarifs à quatre plages temporelles en basse tension (= 36 kVA), tout en maintenant d'autres options tarifaires moins élaborées, sans différenciation saisonnière.

La CRE a ensuite décidé la généralisation de l'option à quatre plages temporelles au cours de la période tarifaire TURPE 6 et à compter d'août 2024. En détail, il s'agit de tarifs saison haute (1er novembre au 31 mars inclus) / saison basse (1er avril au 31 octobre) et heures pleines / heure creuses. La combinaison de ces deux paramètres donne 4 plages tarifaires. Tous les clients équipés d'un compteur communiquant Linky et relié au réseau de distribution d'électricité sont concernés par cette mesure, soit plus de 11 millions de compteurs.

Les prochains tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité dits TURPE 7 devraient entrer en vigueur le 1er août 2025. Afin de les élaborer, la CRE a lancé une première consultation537(*) en décembre 2023. Par ce biais, elle sonde les acteurs de marché sur les évolutions tarifaires possibles dont celles-ci :

- possibilité de privilégier le placement des heures creuses lorsque la production à partir d'ENR est abondante et augmenter le nombre d'heures creuses disponibles en été.

- déplacer certaines heures creuses actuellement positionnées sur des plages horaires pendant lesquelles une forte consommation pourrait créer des tensions sur l'équilibre offre-demande. De ce fait, les heures pleines et creuses pourraient être différenciées entre l'été et l'hiver.

- réflexion sur la transmission des signaux horo-saisonniers du fournisseur jusqu'au client final dans les offres de fourniture.

Source : Commission d'enquête

Romain Benquey, référent sur les sujets de flexibilité au sein de l'association Luciole, a précisé devant la commission d'enquête que : « le tarif n'est pas le seul outil pour y parvenir, mais il est efficace (...) le tarif envoie des incitations à la maille de plusieurs heures. (...) Même si ce n'est qu'une première brique favorable au développement de la demande qui sera insuffisante en elle-même, il s'agit d'un signal simple, compréhensible et qui sera utile. »538(*)

En résumé, le signal tarifaire est un premier pas pour faire progresser la flexibilité de la demande, même si son impact peut être limité puisqu'il dépend des comportements des consommateurs,

Le rapporteur souhaite que les tarifs réglementés de l'électricité évoluent afin qu'ils soient plus incitatifs à la flexibilité, tout en évitant une pénalisation des ménages les plus précaires.

Pour autant, l'effacement tarifaire présente des limites soulevées notamment par la CRE dans son analyse des résultats de l'expérimentation Netflex menée par Engie539(*). Elle conclut que « des outils de pilotage automatisé recevant des signaux dynamiques pourraient être utiles ». L'Ademe dans son avis d'expert établit le même constat : « il est impératif que le déploiement des usages très contributeurs à la pointe électrique et des productions ayant un fort impact sur les prix du marché SPOT, s'accompagnent d'une solution de pilotage automatisée »540(*).

c) Améliorer les mécanismes de rémunération du pilotage de la demande

Cette amélioration peut concerner trois mécanismes de valorisation économique de la flexibilité : le NEBEF, le mécanisme de rémunération de capacité et les appels d'offres effacement.

(1) Compléter et affiner le « NEBEF »

Avec le mécanisme de Notification d'échange de blocs d'effacement (NEBEF) l'effacement est directement valorisé sur les marchés de l'électricité. L'acteur vend un « bloc d'énergie », équivalent à l'électricité non consommée par le consommateur effacé, à un autre consommateur. Cette valorisation ne nécessite pas l'autorisation du fournisseur. L'opérateur d'effacement doit s'acquitter d'un « versement » financier au bénéfice du fournisseur du site effacé car l'injection électrique est maintenue à son profit comme illustré par le schéma ci-dessous. Ce versement représente la part « énergie » du prix de fourniture du site de consommation effacé. Pour respecter le principe d'indépendance entre l'opérateur d'effacement et le fournisseur du site effacé, il est effectué par l'intermédiaire d'un tiers (RTE ou le consommateur final).

Le mécanisme NEBEF

Source : CRE, site internet

Ce mécanisme, imaginé au début des années 2010 pour répondre à l'enjeu de la pointe de consommation électrique a plutôt bien fonctionné et reste pertinent pour cet objectif.

Mais il repose sur des éléments qui semblent discutables.

Les règles NEBEF prévoient que le prix de versement de l'opérateur d'effacement au fournisseur, est calculé une fois par an (au 1er février 2024 par exemple) et est le même pour une année entière. Selon les règles NEBEF, ce niveau de versement est calculé sur la base des tarifs règlementés541(*), et prévoit notamment une composante « marché » qui tient compte des moyennes de prix constatées sur différents marchés à terme au moment du calcul du niveau542(*).

Ainsi, pour toute l'année 2024 le versement est calculé en partie sur la base de prix moyen d'échanges de l'électricité sur des produits à terme qui ont eu lieu en 2023, soit un signal reflétant en 2024 une vision du prix de l'électricité de 2023, au moins 1 an avant le moment où l'effacement sera évalué. Il en résulte une déconnexion entre les deux signaux versement et prix spot de l'électricité.

Il conviendrait de faire en sorte de réaligner ces deux signaux afin que le prix de versement soit davantage fonction du prix de l'électricité proche du temps réel. Pour cela, il est possible de modifier la formule en supprimant les composantes de produits à terme trop lointaines, et en actualisant le niveau régulièrement dans l'année.

Une piste avancée par la commission consisterait à compléter les règles NEBEF de RTE afin, par exemple, de modifier la méthode de calcul en supprimant les composantes prix trop éloignées du temps réel de la formule de calcul.

Par ailleurs, le principe de valorisation des effacements qui repose sur la vente d'un volume d'énergie effacé, doit évoluer vers une logique de déplacement de consommation, où c'est le déplacement qui est valorisé et pas seulement le volume. Autrement dit, l'effacement ne peut pas être le seul mécanisme reconnu et ouvrant droit à une valorisation financière. Il convient de permettre la valorisation sur les marchés de la flexibilité au sens large.

En ce sens, il est indispensable de faire évoluer le code de l'énergie. Aujourd'hui, dans les articles L.271-1 et suivants du code de l'énergie, la flexibilité de consommation n'est envisagée que sous l'angle de l'effacement. La valorisation sur les marchés de flexibilités de consommation à la hausse n'est pas possible par les opérateurs d'effacement543(*).

La commission d'enquête recommande une modification du code de l'énergie pour remplacer la notion d'effacement par celle de « flexibilité de consommation d'électricité ».

(2) Renégocier rapidement la reconduction d'un mécanisme de rémunération de capacité

La rémunération des effacements explicites dépend donc partiellement du prix de l'énergie effacée sur le marché.

La CRE rappelle dans sa réponse au questionnaire de la commission que « sauf exception, les effacements ne trouvent pas aujourd'hui leur rentabilité dans le fonctionnement normal du marché, y compris en incluant le mécanisme de capacité. »

Interrogés, les opérateurs d'effacement avancent que leur rémunération provient seulement de 0 à 20 % de ces marchés. Plus de 80 % de leur rémunération provient du mécanisme capacitaire.

Comme précisé supra dans la première partie, l'autorisation par la Commission européenne du mécanisme de capacité français n'est valable que jusqu'en 2026.

Lors de la table ronde du 15 mai, Sébastien Pialloux, vice-président flexibilité Europe et Australie d'Engie, a attiré l'attention du Sénat sur ce point « les mécanismes de capacité et les appels d'offres effacement prennent fin respectivement fin mars et le 15 avril 2026. Il y a un risque de période blanche sur l'hiver 2026-2027 si une loi n'est pas votée à temps sur ces mécanismes. »

En effet, le renouvellement de ce dispositif et ses futurs principes de fonctionnement faisaient à ce titre l'objet d'un article dédié au sein de l'avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique dans sa version publiée début janvier 2024 mais la présentation de ce dernier a été repoussée. Aucun autre projet ou proposition de loi n'a été élaboré à ce jour et l'absence de véhicule législatif relatif à l'énergie fait craindre un glissement de calendrier. D'autant, que ce dispositif devra obtenir une nouvelle autorisation par la Commission européenne.

Les appels d'offres qui reposent sur ce mécanisme devront également faire l'objet d'autorisation la Commission européenne. Compte tenu du retard pris, il est vraisemblable qu'il ne pourra pas être possible d'organiser des enchères très en amont de l'année de livraison faisant perdre de la visibilité aux acteurs du secteur préjudiciable au développement de la filière.

La commission d'enquête estime nécessaire que le nouveau mécanisme soit rapidement présenté au Parlement pour être opérationnel en 2026.

(3) Simplifier et scinder les appels d'offres effacement

La commission d'enquête souhaitait mettre en évidence la complexité de ce système d'appels d'offres effacement (AOE).

Par le passé, l'AOE était unique et un simple complément financier, permettant aux porteurs de capacités d'effacement participant au marché de disposer d'une sécurisation de leurs revenus face aux fortes variations des prix de la capacité. Mécanisme d'AOE et marché de capacité étaient liés.

Au fil du temps, les deux mécanismes se sont autonomisés et complexifiés. Sans rentrer dans des considérations techniques complexes, il apparaît nécessaire de simplifier le dispositif. 

Dans son rapport de juin 2021544(*), le comité de prospective de la CRE examine plusieurs modalités d'un soutien public temporaire en faveur de l'effacement diffus. Il conclut que la voie « plus légitime et plus efficace »545(*) serait celle d'un guichet ouvert, à l'instar des EnR diffuses, ou de l'accès aux tarifs à effacement (EJP, tempo), en substitution d'une procédure inadaptée au diffus et basé sur un complément de rémunération en capacité, et non en énergie, apporté par la puissance publique, cohérent avec le coût de la sécurité de l'approvisionnement électrique à terme.

Cette formule présente quelques avantages par rapport au dispositif d'appel d'offres actuel. Il supprime l'incertitude inhérente à la remise d'offres en volume à RTE, plusieurs mois ou années à l'avance, et, une seule fois par an, qui oblige les participants à l'appel d'offres à anticiper leur croissance. Le guichet permet d'éviter de risquer des pénalités dans le cas où le plan de déploiement ne soit pas atteint.

Cependant, l'appel d'offres actuel garantit à l'avance une certaine rémunération aux acteurs retenus, et ce potentiellement sur plusieurs années. Le guichet ne pourrait venir garantir ces montants que sur des volumes constatés. Compte-tenu de l'importance des coûts d'investissement à consentir pour développer une activité de flexibilité, en particulier dans le résidentiel, cet aspect constitue une sécurisation importante pour les petits acteurs en développement, et rassure les investisseurs en dé-risquant une partie des revenus à l'avance.

Historiquement, l'AO « effacements » est venu en complément du mécanisme de capacité pour renforcer l'incitation au développement des flexibilités de la demande pour répondre à des besoins ponctuels de maîtrise des pointes.

La commission d'enquête appelle à simplifier, stabiliser les mécanismes de l'appel d'offres et les intégrer au mécanisme de capacité.

Ce mécanisme devrait par ailleurs mieux distinguer ceux qui visent à rémunérer les effacements existants déjà disponibles opérationnellement dans une vision assurantielle de court terme546(*) des appels d'offres pluriannuels visant à développer des capacités de flexibilité.

Comme le signale la CRE dans sa réponse au questionnaire de la commission d'enquête « RTE n'a pas pour mission de développer un parc de flexibilité ». Aussi, le pilotage de ces appels d'offres « développement » pourraient être confié à la CRE comme elle le faisait avant la réforme législative intervenue en 2015 avec la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

(4) Programmer la fin des soutiens publics ?

D'où provient la rémunération des opérateurs de flexibilité aujourd'hui ?

Elle provient, si ce n'est exclusivement, très majoritairement (>90 %) de la capacité, c'est-à-dire une rémunération en €/MW en échange d'un engagement à rendre disponible leur capacité sur un certain produit (marché de capacité, appel d'offres effacement, réserve d'équilibrage).

La rémunération énergie, qui rémunère les opérateurs pour les MWh effectivement activés ensuite, est aujourd'hui anecdotique pour plusieurs raisons : absence de prise en compte de la modulation de consommation sur NEBEF (pas de rémunération pour les décalages de consommation), absence de produits ou de liquidité sur les marchés de gros pour déplacer de l'énergie sur de petits par de temps, et besoin de flexibilité au sein de la journée encore limité pour le système électrique.

À l'avenir néanmoins il est attendu que cet équilibre évolue vers davantage de rémunération pour l'énergie effectivement activée/déplacée.

Source : Commission d'enquête

Parmi les 4 types de flexibilités présentées antérieurement, les flexibilités de sauvegarde et d'équilibrage disposent principalement d'une valeur assurantielle. L'existence de mécanismes économiques dédiés destinés à les faire émerger et à assurer leur viabilité économique demeure nécessaire, dans la mesure où le seul jeu du marché est insuffisant.

Leurs besoins ne devraient augmenter que de façon marginale dans les prochaines années.

En revanche, ce sont les flexibilités structurelles et dynamiques qui sont appelées à se développer.

Celles-ci doivent se développer via les marchés de gros de l'électricité (à terme, spot, infra-journalier) et être valorisées auprès des consommateurs via les offres des agrégateurs et des fournisseurs.

Leur soutien par des mécanismes publics ne peut être justifié que dans la période qui permet à la filière de se structurer et aux acteurs d'atteindre une taille assez critique pour rentabiliser leur action. À mesure que la rentabilité des effacements s'améliore, le soutien financier de l'État doit se réduire.

Le rapporteur n'a pas eu matériellement le temps de poursuivre ses investigations sur ce point mais estime qu'il conviendrait de mieux connaitre la rentabilité actuelle des opérateurs d'effacement et de fixer des règles permettant de programmer la fin des soutiens publics.

Il estime que les recommandations avancées par la commission d'enquête permettront aux opérateurs de développer leur rémunération énergie ouvrant la voie à une réduction des soutiens publics à terme.

d) Créer les conditions de développement des flexibilités de la demande
(1) Un programme industriel de déploiement d'équipements à lancer

Le développement de la flexibilité repose sur une série d'équipements qu'il convient de produire et installer dans le secteur diffus.

Aussi, il est nécessaire de mettre en oeuvre un programme industriel et un suivi du déploiement des prérequis techniques à cette flexibilité. Il s'agit des équipements permettant de programmer les usages : systèmes de gestion technique des bâtiments (GTB) dans le tertiaire, thermostats connectés dans le résidentiel, ...

Une communication publique nationale permettant d'inciter les consommateurs à se faire équiper serait utile.

(2) Une incitation à développer des offres couplées « fourniture / pilotage » grâce à un engagement dans la durée des clients

La directive européenne547(*) concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité prévoit un droit à changer de fournisseur dans le délai le plus court possible et dispose que « Les États membres veillent à ce qu'au moins les clients résidentiels et les petites entreprises ne se voient pas facturer de frais liés au changement de fournisseur »548(*). Cette règlementation, qui permet au consommateur de changer rapidement de fournisseur, assure la fluidité du marché de la fourniture d'électricité.

Cette caractéristique n'est pas très engageante du point de vue du fournisseur d'énergie pour l'encourager, seul ou en lien avec un opérateur d'effacement, à investir chez ses clients dans des dispositifs de mesure, de régulation de contrôle de la consommation puisque ces investissements ne se rentabilisent que dans la durée. En cas de résiliation du contrat, il paraît difficile que ces acteurs récupèrent leurs matériels : boitiers d'effacement installés sur le compteur électrique et les appareils de chauffage, borne de recharge d'un véhicule électrique...

Pourtant les fournisseurs d'énergie, en partenariat ou non avec les opérateurs d'effacement, sont les plus à même de réaliser ces investissements nécessaires au pilotage de la demande, notamment comparés aux particuliers, de par leur surface financière, leurs connaissances techniques et leur expertise opérationnelle.

La directive prévoit cependant que les États membres « peuvent autoriser les fournisseurs ou les acteurs du marché pratiquant l'agrégation à facturer aux clients des frais de résiliation de contrat lorsque ces clients résilient de leur plein gré des contrats de fourniture d'électricité à durée déterminée et à prix fixe avant leur échéance, pour autant que ces frais relèvent d'un contrat que le client a conclu de son plein gré et qu'ils soient clairement communiqués au client avant la conclusion du contrat. Ces frais sont proportionnés et ne dépassent pas la perte économique directe subie par le fournisseur ou l'acteur du marché pratiquant l'agrégation du fait de la résiliation du contrat par le client, y compris les coûts de tout investissement groupé ou des services qui ont déjà été fournis au client dans le cadre du contrat. La charge de la preuve de la perte économique directe incombe au fournisseur ou à l'acteur du marché pratiquant l'agrégation et l'admissibilité des frais de résiliation de contrat fait l'objet d'une surveillance de la part de l'autorité de régulation, ou toute autre autorité nationale compétente »549(*).

La France a fait le choix d'une transposition plutôt restrictive sur ce point, puisque l'article L. 224-15 du code de la consommation prévoit que « Le fournisseur ne peut facturer au consommateur que les frais correspondants aux coûts qu'il a effectivement supportés, par l'intermédiaire du gestionnaire de réseau, au titre de la résiliation et sous réserve que ces frais aient été explicitement prévus dans l'offre. Ceux-ci doivent être dûment justifiés. Aucun frais ne peut être réclamé au consommateur au seul motif qu'il change de fournisseur »550(*).

La commission d'enquête propose donc de faire évoluer la réglementation française pour permettre l'engagement, pour une durée en rapport avec l'amortissement attendu des investissements, de la fourniture d'énergie lorsqu'elle est couplée à des services ou des équipements permettant de piloter la demande. En cas de résiliation, des frais pourraient être prévus au contrat, couvrant le reste à charge lié aux coûts non couverts qu'il a effectivement supporté.

Cette mesure doit cependant s'accompagner de garanties en termes de bouquet standardisé et minimum de service de pilotage, d'interopérabilité des équipements entre opérateurs.

(3) Un contrôle du développement des flexibilités

Le développement des flexibilités étant appelé à jouer un rôle croissant dans la sécurisation de l'équilibre offre / demande du système électrique, il importe de mesurer régulièrement l'impact des flexibilités sur la courbe de charge nationale.

3. Utiliser l'hydrogène pour stocker de l'électricité : « une incertitude majeure »

Le stockage d'électricité sur longue durée constitue un besoin clé et incontournable pour assurer la viabilité à long terme de mix électriques reposant désormais largement sur des moyens renouvelables intermittents. Or, il présente à ce jour d'importantes incertitudes tant sur les plans technologiques qu'économiques. Les solutions envisagées sont très loin du seuil de maturité technique, leur efficacité est à ce stade très limitée et leurs coûts risquent d'être prohibitifs.

Qui plus est, de telles options ne seraient réellement nécessaires que dans des hypothèses de scénarios de mix électrique qui feraient l'impasse sur la relance de la filière nucléaire en prévoyant des pénétrations massives de production d'électricité renouvelable. La commission d'enquête n'a pas retenu ce type de scénarios dans sa stratégie.

La solution du vecteur hydrogène est souvent évoquée à des fins de stockage. Cependant, le taux de déperdition d'électricité considérable (70 %) qui est observé au cours du processus (appelé « power to hydrogen to power »), entre le moment où l'électricité sort d'une centrale pour produire de l'hydrogène et le moment où l'électricité est réellement consommée, rend cette technologie très inefficiente dans les conditions techniques actuelles.

Ainsi, dans ses réponses à la commission d'enquête, le CEA a souligné la faiblesse du rendement énergétique (30 %) des solutions de stockage massif de l'hydrogène sur des horizons inter-saisonniers dans la perspective d'accompagner le développement de moyens de production renouvelables intermittents. Il en conclut que « cette option technologique sera couteuse dans son déploiement, notamment si la production d'hydrogène est discontinue car s'appuyant fortement sur des énergies renouvelables intermittentes (facteur de charge faible des électrolyseurs) ».

Une autre source de flexibilité liée au développement de l'hydrogène parfois envisagée est l'éventuelle modulation des électrolyseurs qui pourraient s'effacer en cas de tension sur le système électrique et au contraire fonctionner à plein régime lorsque les moyens renouvelables intermittents produiraient de grandes quantités d'électricité. Cette solution est également présentée comme un moyen de compenser l'intermittence des capacités de production éoliennes et photovoltaïques. Cependant, cette hypothèse apparaît de plus en plus comme une chimère. Les modèles économiques d'électrolyseurs prévoient généralement de fonctionner de façon continue à plein régime. En effet, ils sont principalement utilisés pour décarboner les processus industriels, un usage peu adapté à la modulation de leur production.

Dans ses réponses à la commission d'enquête, le CEA a souligné cette réalité : « la finalité du déploiement des unités d'électrolyse pour la production d'hydrogène est en premier lieu l'utilisation de celui-ci pour la décarbonation de l'industrie, avec le remplacement de l'hydrogène actuellement utilisé dans divers secteurs (chimie/raffinage en particulier), produit actuellement à partie d'énergie fossile (gaz naturel notamment) par de l'hydrogène bas carbone (...). Ainsi, le rôle des électrolyseurs est avant tout de produire massivement de l'hydrogène bas carbone, qui sera utilisé en priorité pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans l'industrie et les transports lourds ou intensifs ».

Par ailleurs il existe encore de nombreuses inconnues de nature technique, notamment s'agissant des effets de la modulation sur la sécurité et la durée de vie des électrolyseurs. Enfin, s'ils étaient amenés à apporter des services de flexibilité au réseau pour compenser l'intermittence des capacités de production renouvelables, les électrolyseurs devraient bénéficier d'un soutien économique permettant d'assurer leur rentabilité. Toutes ses inconnues rendent cette solution particulièrement incertaine à ce jour.

En 2021, RTE ne cachait pas ses doutes sur les potentialités de flexibilité des électrolyseurs

L'intérêt pour l'hydrogène bas-carbone dans le débat énergétique est récent mais intense. La promesse d'une « révolution de l'hydrogène » peut en effet apparaître comme une solution séduisante (vecteur combinant flexibilité, faculté à être produit en masse à base d'électricité bas-carbone et pouvant remplacer le gaz d'origine fossile dans de nombreux usages). Il existe néanmoins encore de nombreuses incertitudes sur l'économie de l'hydrogène.

La production d'hydrogène par électrolyse est réputée flexible et supposée pouvoir s'adapter aux variations de la production renouvelable et de la consommation électrique globale : elle constitue dès lors un gisement de flexibilité important pour l'équilibre du système électrique. Si les électrolyseurs sont reliés à un grand système hydrogène doté de capacités de stockage, ils pourront alors moduler leur fonctionnement dans des proportions plus importantes que beaucoup d'autres usages électriques dès lors qu'un stock suffisant a été constitué pour alimenter les besoins d'hydrogène.

Cette flexibilité n'est toutefois accessible que grâce à des infrastructures de stockage et de transport d'hydrogène dont la disponibilité n'est aujourd'hui pas acquise. En l'absence de déploiement d'un système de stockage d'hydrogène mutualisé, d'autres sources de flexibilité seraient nécessaires pour permettre le bon fonctionnement du système électrique.

Source : RTE, Futurs énergétiques 2050, 2021

En 2023, pour RTE, le potentiel de flexibilité des électrolyseurs s'éloigne encore un peu plus

En Europe, un consensus s'est formé ces dernières années sur l'importance de ce vecteur pour décarboner les secteurs « difficiles à électrifier » (mobilité lourde, sidérurgie, production d'ammoniac...).

Au-delà de ce socle consensuel, les visions divergent notablement. Concrètement, l'idée de systèmes d'hydrogène locaux (par exemple autour de bassins industriels) associés à une production locale coexistent avec celle d'un grand système mondial d'échanges d'hydrogène et de carburants de synthèse. En Europe, des pays comme l'Allemagne plaident résolument pour cette deuxième option.

Ces incertitudes se retrouvent au niveau de la gestion du système électrique : les électrolyseurs sont supposés constituer des flexibilités « par excellence », en pouvant moduler, mais cela ne sera possible que si les technologies d'électrolyseurs mises en conditions opérationnelles sont effectivement flexibles, si les usages qu'ils alimentent le sont eux-mêmes (ce qui n'est pas le cas de l'industrie) ou s'ils sont connectés à des capacités de stockage d'hydrogène (qui, à ce stade, n'existent pas).

Source : RTE, Bilan prévisionnel 2023

4. Un développement des capacités de STEP paralysé par le contentieux sur les concessions hydroélectriques et la fragilité de leur modèle économique

Aujourd'hui, l'essentiel des capacités de stockage d'électricité reposent sur les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP) qui représentent une puissance de 5 GW installés.

L'horizon temporel de la contribution des STEP à l'équilibre du système électrique varie selon la nature des installations. Ainsi, la contribution des STEP dites journalières « se concentre sur l'échelle intra-journalière, puisque ces moyens permettent d'absorber le surplus d'énergie produite au cours de l'après-midi ou de la nuit et de le restituer au moment des pics de consommation du matin et du soir »551(*). En revanche, les STEP hebdomadaires peuvent couvrir des besoins de flexibilité sur des horizons plus longs grâce à des stocks de volumes plus larges. Elles peuvent ainsi déplacer une partie de l'énergie produite au cours du week-end vers les jours de semaine ou bien contribuer à couvrir les variations de production éolienne au cours d'une même semaine.

Les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP)

Les STEP sont des installations hydrauliques de stockage centralisé permettant de restituer rapidement de l'électricité. Composées de deux réservoirs situés à des altitudes différentes, elles stockent de l'énergie hydraulique en pompant l'eau du réservoir inférieur vers le réservoir supérieur. En turbinant l'eau du réservoir inférieur vers le réservoir supérieur, elles permettent de restituer de l'électricité en période de pics de consommation.

Par leurs caractéristiques, les STEP offrent des avantages de flexibilité et de meilleure gestion des aléas du système électrique. Outil adapté pour stocker l'électricité excédentaire, les STEP offrent la possibilité de restituer d'importantes quantités d'électricité en période de tension sur la demande. Aujourd'hui, en cas de nécessité, les STEP françaises peuvent mobiliser une puissance de quatre gigawatts (GW) en moins de dix minutes. Les besoins de flexibilité apparaissent très corrélés au développement des énergies renouvelables intermittentes (éolienne et photovoltaïque). À mesure que ces énergies prennent une part plus importante dans le mix énergétique, le besoin de flexibilité s'accroit.

Six STEP sont actuellement en service en France pour une puissance installée d'environ cinq GW, soit environ 17 % de la puissance hydroélectrique totale installée en France. EDF hydro exploite ces six STEP. Elles génèrent en moyenne une production hydroélectrique de 5 TWh par an.

Source : Sénat, Avis n° 500 (2020-2021) présenté au nom de la commission des finances sur la proposition de loi tendant à inscrire l'hydroélectricité au coeur de la transition énergétique et de la relance économique par Mme Christine Lavarde

L'actuelle PPE prévoit « d'engager les démarches permettant le développement des stations de pompage d'électricité pour un potentiel de 1,5 GW identifié en vue des mises en service des installations entre 2030 et 2035 ». La cible désormais visée par le Gouvernement552(*) a même été portée à 1,7 GW à horizon 2035. EDF a quant à elle identifié un potentiel de 2 GW à horizon 2050. Dans son étude Futurs énergétiques 2050, RTE retient quant à lui un potentiel de 3 GW de nouvelles STEP à l'horizon 2050.

Cependant, les projets de nouvelles STEP sont actuellement entravés pour deux raisons :

- d'une part, le précontentieux juridique avec la Commission européenne à propos du renouvellement des concessions hydroélectriques (voir infra les développements consacrés à ce dossier) ;

- d'autre part, la fragilité du modèle économique de ces installations.

Cette situation fait dire à la société Engie553(*) « qu'à ce jour, le cadre économique et juridique de développement des STEP n'est pas établi ». C'est d'autant plus déplorable que l'actuelle PPE précise que les STEP « restent aujourd'hui les seuls moyens de stockage économiquement compétitifs ». Pour autant, les STEP constituent l'un des moyens de stockage de l'électricité les plus éprouvés et les plus prometteurs en France. Dans son étude Futurs énergétiques 2050, Réseau de transport d'électricité (RTE) identifie à ce sujet un besoin d'au moins 8 gigawatts (GW) d'ici 2050, quel que soit le scenario retenu : du plus nucléaire au plus renouvelable.

Cependant les conditions de marché ne suffisent pas à rentabiliser un nouvel investissement sans que des aides publiques ne viennent soutenir les projets. Une étude de 2013 de l'Union française de l'électricité (UFE)554(*) avait déjà mis en évidence le déficit de rentabilité des STEP. En 2013, elle identifiait un taux de rentabilité interne (TRI) de 2,7 %, loin des niveaux de rentabilité susceptibles de maintenir les décisions d'investissements des industriels.

La principale explication de ce déficit de rentabilité tient à l'insuffisante rémunération que ces installations retirent des marchés. La composante prépondérante de rémunération des STEP est fondée sur la différence entre les prix de l'électricité en périodes creuses et de pointe. Le différentiel de prix doit être suffisamment important afin de compenser le rendement des installations. Une STEP a un rendement d'environ 75 %, ce qui veut dire que, pour qu'elle produise 100 GWh, il lui faut au préalable consommer 133 GWh. Il est donc nécessaire que le prix d'achat de l'énergie pompée soit au moins 25 % inférieur au prix de revente de l'énergie turbinée.

Par ailleurs, le service de flexibilité rendu par la fonction de stockage des STEP n'est aujourd'hui pas suffisamment rémunéré pour assurer la rentabilité de telles installations sur la durée.

Aussi, aucun projet de nouvelle STEP n'est-il aujourd'hui en construction en France ni même en Europe. EDF hydro a néanmoins soumis à l'État un projet dans la vallée de la Truyère (Aveyron) pour une capacité de stockage complémentaire de 400 MW. Un autre projet d'une puissance d'environ 55 MW est plus avancé sur les sites des Lacs Blanc et Noir dans la région Grand Est.

Pour créer un nouveau cadre économique propice au développement des STEP, la DGEC a mené en 2023 une consultation de l'ensemble des parties prenantes sur la perspective d'un éventuel soutien public à leur développement. Les discussions se poursuivent. En réponse à la commission d'enquête, la DGEC a indiqué qu'un modèle économique issu de cette réflexion devrait être mis en oeuvre prochainement dans le cadre du projet de STEP des lacs blanc et noir555(*). D'après la DGEC, il pourrait « prendre la forme d'une aide à l'investissement et/ou à l'exploitation ».

La commission d'enquête considère que la détermination d'un tel dispositif de soutien public est incontournable compte-tenu de l'impasse économique dans laquelle se trouvent les projets de nouvelles STEP et alors que leur rôle au service de la sécurité d'approvisionnement est primordial. Une fois cette difficulté économique résolue, restera encore à dénouer le contentieux juridique avec la Commission européenne afin de pleinement déployer le potentiel de développement des STEP en France.

5. Les flexibilités de l'offre de production : des capacités pilotables à renforcer

Dans son Bilan prévisionnel 2023, RTE a souligné que le risque sur la sécurité d'approvisionnement avait augmenté depuis quinze ans du fait de la baisse de la disponibilité du parc nucléaire mais aussi en raison de la fermeture de nombreux moyens de production thermiques. Ainsi, depuis 2020, le niveau de risque prévisionnel évalué avant chaque hiver a systématiquement dépassé l'objectif fixé par l'État d'un déséquilibre entre offre et demande de trois heures par an en moyenne sur toutes les configurations possibles.

Si les capacités nucléaires et hydrauliques couvrent aujourd'hui en moyenne à 60 % des besoins de flexibilité, les moyens de production thermiques sont indispensables pour répondre aux pointes de consommation. Or, comme décrit supra dans les développements relatifs à la présentation du parc de production national, alors que le parc de production thermique représentait encore 30 GW au début des années 2000 cette puissance installée a été réduite de 10 GW. La puissance de ce parc s'établit donc aujourd'hui péniblement à 20 GW. Or, les moyens thermiques sont les principaux outils de flexibilité de l'offre de production susceptibles d'être activés pour répondre aux pointes.

a) De très fortes contraintes pèsent sur l'hypothétique développement d'une filière de production thermique décarbonée

Le développement d'une filière de production thermique décarbonée, permettant de répondre aux pointes est nécessaire dans une perspective de neutralité carbone. Aussi, à horizon 2050, l'atteinte de nos engagements climatiques suppose-t-elle de développer une telle filière. Deux principales options sont envisageables :

- l'usage de combustibles décarbonés tels que du biométhane, de l'hydrogène, de la biomasse, des bioliquides, etc. ;

- adosser à une centrale thermique fossile un dispositif de captation et de stockage de carbone.

À ce stade, ces solutions présentent de nombreuses inconnues sur plusieurs aspects : faisabilité technologique, efficience et coûts, disponibilité des ressources, en particulier s'agissant de la biomasse, ou encore acceptabilité sociale.

Concernant l'hypothèse de la conversion de moyens existants, outre le fait que ces centrales n'ont pas été conçues pour fonctionner en « extrême-pointe » et que leur modèle économique serait ainsi extrêmement incertain, les possibilités de conversion des centrales à charbon présentent des difficultés techniques très importantes à ce jour. Une conversion à 100 % ne semble pas réalisable en l'état des technologies actuelles.

La technologie de centrales thermiques alimentées à l'hydrogène n'en est qu'à ses tous premiers balbutiements avec notamment la production d'un premier démonstrateur d'une turbine à gaz alimenté à l'hydrogène renouvelable. Dans ses réponses à la commission d'enquête, EDF estime ainsi que « l'emploi de production électrique thermique décarbonée à base d'hydrogène nous paraît difficilement envisageable dans le cadre de la prochaine PPE. En effet, elle se heurte à une maturité technologique des machines qui n'est pas atteinte et ne le sera qu'en fin de la prochaine PPE ».

Par ailleurs, cette hypothèse pose plus largement la question de la production d'hydrogène qui suppose une forte déperdition d'électricité. Il est ainsi permis de s'interroger sur l'intérêt de produire de l'électricité pour produire de l'hydrogène dans le but de produire à nouveau de l'électricité avec une forte déperdition entre l'électricité produite à l'origine et l'électricité délivrée à la fin du processus. Du fait de l'inefficience économique inhérente à ce type de procédé, de tels moyens de production ne pourraient pas se développer sans d'importants et coûteux soutiens publics. En réponse à la commission d'enquête, Engie a souligné cette réalité : « si techniquement l'utilisation d'hydrogène est possible, un mécanisme de support sera néanmoins nécessaire compte tenu des coûts associés ».

L'alimentation des centrales à gaz actuelles au moyen de biométhane est possible sans modification technique. Cependant, comme précisé supra dans les développements relatifs aux coûts de production des capacités thermiques décarbonées, les coûts de telles centrales pourraient être élevés, et atteindre, d'après les estimations de RTE, jusqu'à 400 euros par MWh. Le rendement d'une centrale thermique fonctionnant au biométhane serait par ailleurs particulièrement faible. Dans son étude Futurs énergétiques 2050, RTE l'estimait ainsi à 30 % seulement, faisant le constat d'une « déperdition d'énergie problématique ». Il ajoutait dans la même étude que « de manière plus générale, la méthanation reste actuellement à l'état d'expérimentation, avec de nombreux démonstrateurs à travers le monde, mais qui doivent encore démontrer leur viabilité à l'échelle industrielle ». En outre, le développement de telles centrales nécessiterait des investissements importants dans les réseaux afin d'acheminer ce combustible vers les centrales.

En toute hypothèse, le gisement technique de biométhane restera limité, y compris à l'horizon 2050, et sera prioritairement réservé à d'autres usages que la production électrique. Il ne pourrait être envisagé que pour décarboner des moyens de production d'extrême pointe, comme les turbines à combustion (TAC), voués à ne fonctionner que très peu d'heures durant l'année.

En 2021556(*) déjà, la Cour des comptes ne cachait pas son scepticisme : « pour ce qui concerne le remplacement du gaz fossile par du gaz vert comme moyen de production d'électricité, la question du coût et des limites des moyens de production de biogaz serait posée, de même que serait interrogée la pertinence de son utilisation pour produire de l'électricité plutôt que l'injection dans le réseau de gaz ou l'approvisionnement des flottes de bus ou de camions assurant des dessertes locales ».

Il faut ajouter à cela qu'existent de sérieuses interrogations sur le caractère authentiquement décarboné du « bio » méthane. Le préfixe bio ne suffit pas à certifier son intérêt en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Le rapporteur souhaite alerter les pouvoirs publics sur ces interrogations. Le sujet, qui n'était pas au coeur des investigations de la commission d'enquête, est détaillé dans l'annexe « Les émissions de gaz à effet de serre dues à la méthanisation, pour produire le « biogaz ».

Les mêmes réserves portent sur l'hypothèse d'un usage de bioliquides, principalement fléchés vers le secteur des transports et qui ne pourraient que répondre à des besoins d'extrême pointe.

En réponse à la commission d'enquête, la société Engie a ainsi indiqué ne pas attendre de développement réel de centrales thermiques décarbonées avant 2035. Et, même à cet horizon, la rentabilité de ce type de moyen de production lui paraît très incertain et dépendant soit d'un prix du carbone élevé, soit de soutiens publics : « sans prix du COsuffisamment élevé, la compétitivité de ces centrales par rapport au gaz naturel pose question. Un soutien public permettrait alors d'assurer leur développement ».

L'option du développement de dispositifs de captation et de stockage de carbone associés à une centrale de production thermique fossile apparaît aujourd'hui utopique tant elle en accroîtrait les coûts de production, du fait de l'investissement nécessaire comme de la perte de production associée. En réponse à la commission d'enquête, la société Engie s'est montrée très claire à ce sujet : « il ne nous semble pas possible de convertir des unités existantes vers du CCS (carbon capture and storage), l'investissement sur des installations existantes est bien trop coûteux et réduit le rendement des installations ». En 2022, dans une contribution à un atelier de préparation de la prochaine PPE, EDF excluait catégoriquement cette hypothèse : « le captage en post-combustion, solution technologique la plus prometteuse, n'est pas approprié aux moyens de pointe et d'extrême pointe dont les fonctionnements sont irréguliers et qui doivent être opérationnels dans des délais très courts (...). L'utilisation de la solution captage/transport/stockage de COnous paraît devoir être orientée prioritairement vers la décarbonation de l'industrie sur l'horizon de la prochaine PPE ».

En 2022, dans le cadre d'un dossier de concertation sur le mix énergétique, la présentation faite par le ministère de la transition énergétique des options techniques susceptibles de développer une filière de production thermique décarbonée était particulièrement révélatrice des lourdes incertitudes qui pèsent sur ces technologies : « la mise en oeuvre de ces différentes technologies devra notamment être jugée à l'aune de leur faisabilité technico-économique, de la disponibilité des ressources qu'elles nécessitent ainsi que de leur acceptabilité sociétale ». La réponse faite à la commission d'enquête par la DGEC ne semble à ce titre pas manifester beaucoup plus d'enthousiasme. Elle a ainsi signalé « analyser avec attention l'intérêt de cette filière qui présente des atouts en termes de flexibilités dès lors qu'un certain niveau de rentabilité est atteint ».

La DGEC ne cache pas son scepticisme sur les technologies de production thermique décarbonées

La DGEC analyse avec attention l'intérêt de cette filière qui présente des atouts en termes de flexibilités dès lors qu'un certain niveau de rentabilité est atteint. Les prévisions sur la part qu'elle pourrait représenter dans le « bouquet de flexibilités » d'ici 2030 et 2035 sont en cours d'élaboration en lien avec RTE dans le cadre de la révision de la PPE.

Si certaines centrales thermiques fonctionnent aujourd'hui et dans des cas spécifiques avec des combustibles décarbonés, il n'existe aujourd'hui pas de solution industrielle mature et unique permettant de construire ou de reconvertir des capacités thermiques à hauteur du besoin identifié, avec en filigrane la prise en compte de l'enjeu relatif à la disponibilité limitée de biomasse.

C'est pourquoi le document d'orientations de la PPE mis en consultation prévoit à ce sujet plusieurs mesures comme la suppression des freins réglementaires pour décarboner les turbines à combustion au fioul existantes en utilisant du biocarburant (notamment de l'huile végétale hydrotraitée), et le lancement d'études et/ou des sites pilotes pour la conversion et la construction le cas échéant d'autres centrales thermiques à des sources d'énergie décarbonées.

Source : réponses de la DGEC à la commission d'enquête

S'agissant de l'hypothèse de centrales thermiques qui fonctionneraient à partir de biomasse, la DGEC souligne que cette perspective interroge quant à la disponibilité de cette ressource et le fait qu'elle devrait être prioritairement réservée à d'autres usages que la production d'électricité.

En définitive, la DGEC se repose sur l'analyse de RTE pour estimer qu'en cas de relance ambitieuse de la filière nucléaire, le développement de nouvelles capacités de production thermique ne sera probablement pas nécessaire, y compris à horizon 2050 : « en 2050, il est possible de s'appuyer sur les analyses de RTE dans Futurs énergétiques 2050 : RTE prévoit ainsi que le besoin de construction de nouvelles centrales thermiques assises sur des stocks de gaz décarbonés est important si la relance du nucléaire est minimale (dans les scénarios 100 % renouvelable, le besoin est de l'ordre de 30 GW d'ici 2050). Néanmoins, ce besoin peut être écarté dans les scénarios de forte relance du nucléaire avec des interconnexions européennes importantes et fluides ».

La commission partage globalement cette position qui va dans le sens de la stratégie de mix de production qu'elle recommande et qui prévoit une relance de la filière nucléaire plus forte que le scénario le plus ambitieux en la matière étudié par RTE dans les Futurs énergétiques 2050. Cependant, elle note que, dans son Bilan prévisionnel 2023, RTE se montre désormais moins catégorique et n'exclut pas dans certaines hypothèses, dès l'horizon 2035, un besoin de se doter de nouvelles capacités de production thermiques. Compte-tenu de l'absence de maturité des solution décarbonées, cette réévaluation du risque de sécurité énergétique par RTE conduit nécessairement la commission d'enquête à se réinterroger sur l'interdiction de construire des centrales à gaz naturel qui résulte du décret de l'actuelle PPE (voir infra).

Dans ce même Bilan prévisionnel 2023, sans aller jusqu'à recommander de construire de nouvelles centrales à gaz fossiles, RTE souligne cependant les difficultés de projets qui ne pourront peut-être même pas être disponibles à l'horizon 2030-2035, celui auquel le gestionnaire de réseaux identifie de potentiels besoins : « plusieurs acteurs ont fait état de perspectives de projets de développement. En particulier, des projets seraient ainsi, selon eux susceptibles, d'émerger d'ici l'horizon 2030-2035 à condition d'un soutien public ou a minima d'une rémunération capacitaire durable. Les options envisagées reposent par ailleurs toutes sur la disponibilité de biocombustibles (biofioul, biométhane...), de combustibles de synthèse (hydrogène...) ou de techniques (CCS) aux gisements limités et très convoitées par d'autres secteurs (industrie, transport aérien et maritime) ne disposant pas d'alternatives significatives. Ceci pourrait à terme contraindre le volume et la nature des moyens thermiques pilotables décarbonés pouvant être développés si jamais les durées de fonctionnement des moyens considérés étaient amenées à devenir significatives ».

b) Pour assurer notre sécurité d'approvisionnement, la construction de centrales au gaz naturel ne doit pas être complètement écartée

Aujourd'hui, le parc de production thermique fossile joue un rôle primordial pour couvrir les périodes de tension sur le système électrique national. À ce titre, il est indispensable pour garantir notre sécurité d'approvisionnement électrique. En effet, actuellement, les centrales à cycle combiné au gaz naturel ainsi que les turbines à combustion sont particulièrement sollicitées pour assurer l'équilibre entre offre et demande d'électricité lors des heures de pointe hivernales. Cette utilité du parc thermique a notamment été rappelé par RTE dans son Bilan électrique 2023 : « dans le dimensionnement du mix de production français, la production nucléaire a en général répondu aux besoins de base, complétée par des moyens de semi-base ou de pointe (en général de type thermiques fossiles) pour couvrir les augmentations de consommation sur des périodes plus ou moins longues, notamment au cours de l'hiver. Ces moyens, caractérisés par une moindre inertie que le nucléaire, permettent également de faire face à des aléas concernant la production ou la consommation, en temps réel ».

En 2021, dans Futurs énergétiques 2050, RTE soulignait que les flexibilités massives, dont les nouvelles centrales thermiques bas carbone ou fonctionnant à partir d'énergies renouvelables, associées à des moyens de stockage de longue durée seraient indispensables dans des scénarios de mix de production qui reposeraient sur une part importante de capacités renouvelables intermittentes. Ce phénomène s'explique par la très faible contribution à la sécurité d'approvisionnement des moyens de production éoliens et photovoltaïques en raison de leur intermittence.

La très faible contribution à la sécurité d'approvisionnement des capacités de production renouvelables intermittentes (RTE)

À production équivalente en énergie annuelle, la contribution statistique des énergies renouvelables à la sécurité d'approvisionnement est significativement plus faible que celle des groupes de production thermique ou nucléaire : 1 TWh de production nucléaire contribue à la sécurité d'approvisionnement à hauteur de 150 MW alors que 1 TWh de production renouvelable variable (éolien et photovoltaïque confondus) contribue à la sécurité d'approvisionnement à hauteur de 30 à 50 MW.

Source : RTE, Futurs énergétiques 2050

Ainsi, plus la pénétration de production renouvelable intermittente augmente dans le mix, plus ces besoins deviennent importants. En revanche, dans les scénarios de mix reposant largement sur la filière nucléaire, en prévoyant, d'une part, une prolongation des réacteurs actuels et, d'autre part, la construction de nouvelles centrales, qui correspondent à la stratégie de politique énergétique retenue par la commission d'enquête, RTE estimait que ce besoin pouvait être « écarté ». Dans son scénario nucléaire le plus ambitieux (le scénario N03), moins ambitieux cependant que celui retenu par la commission d'enquête, RTE considérait qu'il ne serait pas nécessaire de construire de nouveaux moyens de production thermique à horizon 2050. Dans cette même étude, en matière de flexibilité, RTE soulignait qu'au contraire, son scénario nucléaire le plus ambitieux présentait « des marges significatives ».

À l'horizon 2050, des besoins massifs de nouvelles centrales thermiques dans des scénarios de mix reposant largement sur les filières éolienne et photovoltaïque, à la différence des stratégies qui s'appuient sur une relance ambitieuse du nucléaire

Un développement poussé des énergies renouvelables comme l'éolien ou le solaire n'est pas concevable sans que des moyens de production pilotables n'existent en complément. Le système doit notamment pouvoir absorber des périodes de plusieurs semaines consécutives sans vent en déstockant de l'énergie, ce que des batteries ou une gestion intelligente de la demande ne permettront pas de réaliser. Pour remplir ce besoin, les stocks hydrauliques seront insuffisants et il n'existe pas d'autre moyen d'y faire face que les centrales nucléaires ou les centrales thermiques utilisant des stocks de gaz décarbonés.

Construire de nouvelles centrales thermiques décarbonées constitue une obligation technique dans ces scénarios. En France, le besoin sera d'autant plus fort que le parc nucléaire est réduit. Il est massif dans les scénarios 100 % renouvelables ou en cas de faible relance du nucléaire : de l'ordre de 30 GW, soit plus de centrales thermiques que la France n'en a eu depuis les années 1970 (aujourd'hui la France dispose de 16 centrales à gaz fossile). Il peut en revanche être écarté dans les scénarios de forte relance du nucléaire dans le cas où l'interconnexion avec le système électrique européen est importante et fluide.

Source : RTE, Futurs énergétiques 2050

En s'appuyant sur les analyses de RTE, le Gouvernement retient le scénario d'une amélioration prévisionnelle de la sécurité d'approvisionnement électrique dans les années à venir. Le projet de plan national intégré énergie-climat (PNIEC) souligne quand même que ce scénario est conditionné à la vérification de plusieurs hypothèses concernant essentiellement la flexibilité de la demande et le redressement de la disponibilité du parc nucléaire.

Cependant, dans son Bilan prévisionnel 2023, RTE se montre dorénavant moins affirmatif. Le régulateur affiche notamment désormais de très sérieux doutes quant aux possibilités de flexibilité qui pourraient résulter du développement de l'hydrogène. RTE considère ainsi que dans certaines hypothèses défavorables, notamment si la flexibilité de la demande n'atteignait pas les objectifs souhaités, que la disponibilité du parc nucléaire ne se redressait pas suffisamment ou encore que de nouveaux efforts de sobriété n'étaient pas observés, des unités thermiques complémentaires pourraient s'avérer nécessaire pour une puissance installée supplémentaire allant de 0 à 5 GW. Dans ce scénario, deux options sont envisageables :

- soit renoncer à des fermetures qui étaient programmées, s'agissant des centrales à charbon notamment ;

- soit construire de nouveau moyens de production thermiques.

Ainsi, il apparaît désormais clairement que l'affaiblissement considérable des capacités pilotables de notre parc de production ne pourrait pas se prolonger sans remettre en cause gravement notre sécurité d'approvisionnement. Pour cette raison, les centrales à gaz dont nous disposons et qui sont récentes, doivent absolument être préservées. RTE a été très clair sur ce sujet dans son Bilan prévisionnel 2023 : « les centrales à gaz françaises sont récentes et ne pourraient être fermées dans les prochaines années sans conséquences importantes pour la sécurité d'approvisionnement ». Cette analyse vaut également pour les turbines à combustion, y compris celles qui fonctionnent au fioul.

Toujours dans la perspective de garantir notre sécurité d'approvisionnement en toutes circonstances, une autre question essentielle se pose, celle du devenir des deux dernières centrales à charbon de notre parc de production. Conformément aux analyses produites par RTE dans son Bilan prévisionnel 2023, le projet de PNIEC conditionne désormais la mise à l'arrêt de ces deux unités au redressement de la productivité des réacteurs du parc nucléaire historique : « la mise à l'arrêt définitive des deux dernières centrales à charbon est possible mais à des conditions strictes sur le plan de la sécurité d'approvisionnement : le rétablissement d'une disponibilité élevée du parc nucléaire, et de manière spécifique, le fonctionnement nominal de l'EPR de Flamanville pour la centrale de Cordemais du fait des contraintes spécifiques sur l'alimentation de la Bretagne ». Le projet de PNIEC souligne d'ailleurs, comme RTE, que les durées de fonctionnement de ces centrales qui seraient requises pour la sécurité d'approvisionnement « n'excèdent pas les plafonds prévus par la loi et la réglementation ».

Il demeure cependant des scénarios dans lesquels le maintien du parc thermique dans sa configuration actuelle ne suffirait pas à assurer la sécurité d'approvisionnement à l'horizon 2030-2035. Or comme démontré supra, les technologies de production thermique décarbonée ne sont pas mûres, elles présentent de nombreuses contraintes, leurs coûts seront vraisemblablement très élevés et il n'est pas du tout garanti qu'elles soient disponibles pour des puissances suffisantes à cet horizon.

Pourtant, l'article 8 du décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la PPE prohibe l'autorisation de toute nouvelle centrale thermique fossile de plus de 20 MW.

Au regard de ces éléments, et si la construction de nouvelles centrales fonctionnant au gaz naturel ne doit être qu'une solution de dernier recours en cas de risque avéré pesant sur notre sécurité d'approvisionnement, la commission d'enquête considère qu'il est imprudent de se priver de cette possibilité.

Cependant, au-delà de cette question et de façon plus large, compte tenu des enjeux qui s'attachent également à la viabilité économique des moyens de pointes, il est essentiel de leur garantir un revenu assurant leur pérennité. Il n'est en effet pas suffisant de décréter qu'il faille maintenir telle ou telle centrale, construire tel ou tel nouveau moyen de production indispensables à notre sécurité énergétique sans leur assurer dans le même temps un modèle économique soutenable. À défaut, des centrales seront mises à l'arrêt pour des raisons économiques et de nouveaux investissements nécessaires à notre sécurité d'approvisionnement ne se réaliseront pas.

Dans cette perspective, la commission d'enquête recommande que dans le cadre de sa réforme de prévoir un mécanisme de capacité plus efficient, plus stable, plus lisible et recentré sur l'enjeu de sécurité d'approvisionnement à travers un meilleur ciblage de son périmètre.

6. Les flexibilités au coeur du système électrique

Alors que le sujet est peu abordé, la commission d'enquête souhaite souligner l'importance des flexibilités pour le système électrique. Une importance qui ira croissante avec l'électrification, les interconnexions et la montée de la part des énergies intermittentes dans le mix électrique. Ces flexibilités doivent être davantage encouragées et renforcées.

Cela pourrait se traduire par :

- le développement de tarifs réellement incitatifs ;

- la reconnaissance de la « flexibilité de consommation » dans le code de l'énergie ;

- la simplification de l'appel d'offres effacement ;

- la possibilité pour le consommateur de s'engager dans la durée en cas d'offre couplée de fourniture et d'installation d'équipement de pilotage de la consommation ;

- la vérification annuelle du déploiement des flexibilités de la demande ;

- la mise en oeuvre d'un dispositif de soutien permettant de garantir l'équilibre économique des STEP ;

- en dernier recours et en cas de risque avéré pesant sur notre sécurité d'approvisionnement, ne pas s'interdire de construire de nouvelles centrales au gaz naturel ;

- la reconduction d'un mécanisme de capacité réformé, plus stable, plus lisible et recentré sur l'enjeu de sécurité d'approvisionnement à travers un meilleur ciblage.

Recommandation n° 18

Destinataires

Échéance

Support/Action

Faire de la flexibilité le coeur du fonctionnement du système électrique

Avec notamment :

_ le développement de tarifs réellement incitatifs et la reconnaissance de la « flexibilité de consommation » dans le code de l'énergie ;

- la mise en oeuvre d'un dispositif de soutien permettant de garantir l'équilibre économique des STEP ;

- le fait de ne pas s'interdire de construire de nouvelles centrales au gaz naturel ;

- la reconduction rapide d'un mécanisme de capacité réformé, plus stable, plus lisible et recentré sur l'enjeu de sécurité d'approvisionnement

Gouvernement (reconnaissance flexibilité, mécanisme de soutien en faveur des STEP, réforme du mécanisme de capacité)

Parlement (reconnaissance flexibilité)

CRE (tarifs)

EDF et fournisseurs d'électricité (tarifs)

2025

Modification du code de l'énergie Modification des tarifs

III. D'ICI À 2035, LA PROLONGATION OPTIMISÉE DU PARC NUCLÉAIRE EN EXPLOITATION DEVRA ACCOMPAGNER L'ESSOR DES MOYENS RENOUVELABLES

A. LA PROLONGATION DU PARC NUCLÉAIRE EN EXPLOITATION JUSQU'À 60 ANS : LA COMPOSANTE PRIORITAIRE DU MIX ÉLECTRIQUE À HORIZON 2035

La prolongation de la durée de vie du parc nucléaire historique est sans contestation possible l'option la plus intéressante économiquement pour consolider notre mix électrique à moyen-long terme. Sur ce critère aucun moyen de production concurrent ne peut rivaliser. Par ailleurs, des études récentes et des exemples internationaux démontrent que techniquement comme en termes de sûreté cette hypothèse est très vraisemblable. Aussi, la commission retient-elle la prolongation de la durée de vie des réacteurs du parc en exploitation jusqu'à au moins 60 ans comme un paramètre clé de sa stratégie de mix électrique.

1. D'une perspective d'extinction rapide au consensus sur la prolongation du parc nucléaire : un revirement salutaire

La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) portant sur la période 2019-2028, dite PPE 2, toujours en vigueur quoique largement obsolète, prévoyait, en plus de la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim, la mise à l'arrêt de douze nouveaux réacteurs d'ici à 2035. Le principe général retenu était de mettre à l'arrêt les réacteurs du parc existant à l'horizon de leur cinquième visite décennale (VD) ou même de manière anticipée pour certains d'entre eux.

Fort heureusement, cette perspective est aujourd'hui abandonnée. Mortifère pour la filière nucléaire, elle aurait été un non-sens économique tant la prolongation du parc nucléaire apparaît aux yeux de l'ensemble des acteurs du secteur comme une option extrêmement compétitive. RTE l'a clairement démontré dans son étude sur les futurs énergétiques comme dans son Bilan prévisionnel 2023, l'atteinte des objectifs climatiques du pays, le maintien d'un mix de production électrique essentiellement décarboné comme la préservation de notre sécurité d'approvisionnement dépendent, à court et moyen terme, de la poursuite du fonctionnement des réacteurs du parc nucléaire historique.

Une nouvelle décision de fermeture d'un réacteur sans qu'elle ne soit exigée par des impératifs de sûreté, comme ce fut malheureusement le cas pour la centrale de Fessenheim, serait une faute à la fois politique, économique et écologique.

Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, EDF a résumé ainsi la situation : « EDF considère que l'intégralité du parc existant peut fonctionner a minima jusqu'à 60 ans. En cohérence avec le discours de Belfort du Président de la République en 2022, il ne serait pas rationnel d'arrêter prématurément des tranches qui sont encore en mesure de fonctionner en toute sûreté et de manière compétitive ».

Les autorités publiques semblent désormais avoir bien intégré les enjeux associés au maintien en fonctionnement du parc nucléaire en exploitation et tous les efforts peuvent désormais converger vers l'objectif de prolongation de la durée de vie des réacteurs actuels tant que les impératifs de sûreté, sur lesquels il n'est pas question de transiger, sont satisfaits. Cette conjonction d'efforts concerne tout aussi bien le producteur EDF que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ou encore des organismes de recherche au premier rang desquels le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Le renouvellement et l'intensification de ces travaux ne peuvent s'envisager sans une impulsion et un volontarisme politiques affirmés. Le revirement concrétisé par le discours de Belfort du Président de la République en février 2022 a enclenché cette dynamique. Il convient désormais de l'entretenir avec constance.

La commission d'enquête note que la perspective de maintien en fonctionnement des réacteurs actuels tant que toutes les exigences de sûreté applicables seront respectées a été retenue dans la Stratégie française pour l'énergie et le climat (SFEC), présentée en septembre 2023. L'objectif désormais explicitement affirmé est que la durée de fonctionnement des réacteurs du parc puisse aller au-delà de 50 ans voire même au-delà de 60 ans.

Non-sens-économique, la décision de fermeture arbitraire à une certaine durée de fonctionnement donnée serait susceptible de mettre sous très forte tension voire en péril notre approvisionnement électrique en raison du phénomène souvent qualifié « d'effet falaise ». Ce phénomène provient du fait que l'essentiel des réacteurs composants le parc nucléaire en exploitation ont été mis en service sur un laps de temps très bref : 52 des 56 réacteurs actuels ont été mis en service sur une période d'environ quinze ans. Cet effet, qui se matérialiserait si les réacteurs du parc nucléaire historique étaient mis à l'arrêt au terme d'une même durée de fonctionnement, conduirait à la perte extrêmement rapide de la quasi-totalité de la puissance du parc électronucléaire national, soit l'équivalent d'environ 60 GW.

Évolution de la puissance totale du parc nucléaire historique en fonction de différents scénarios de fermeture des réacteurs qui le composent

(en MW)

VD : visite décennale

Source : Cour des comptes, Les enjeux structurels pour la France, 2021.

2. Grand carénage et quatrièmes visites décennales : une prolongation du fonctionnement du parc nucléaire au-delà de 40 ans déjà engagée
a) Un programme de grand carénage pour prolonger le fonctionnement du parc nucléaire historique et aligner son niveau de sûreté sur les exigences les plus récentes

Démarré en 2014, le programme d'investissements dit de « grand carénage » a pour principal objet de permettre la prolongation de la durée de fonctionnement des réacteurs du parc historique au-delà de 40 ans, notamment en leur permettant d'atteindre un degré de sûreté comparable à celui des réacteurs de troisième génération les plus récents (EPR et EPR 2).

L'alignement des exigences de sûreté des réacteurs en exploitation sur celles qui prévalent pour les réacteurs les plus récents est un impératif de la politique de sûreté nucléaire pratiquée en Europe. Cette approche n'est cependant pas appliquée partout dans le monde. Aux Etats-Unis, par exemple, les conditions de sûreté demandées aux exploitants de centrales nucléaires pour autoriser la prolongation de leur durée de fonctionnement ne sont pas alignées sur celles qui prévalent à la date de cette prolongation. Les références en matière de niveau de sûreté exigées à l'occasion de ces prolongations demeurent celles qui étaient en vigueur au moment de la construction desdites centrales.

Les exigences de sûreté associées à la prolongation de la durée de fonctionnement du parc historique sont alignées sur celles des nouveaux réacteurs les plus récents

Les objectifs de sûreté des réacteurs de nouvelle génération, comme le réacteur EPR de Flamanville, ont été pris comme référence pour la poursuite de fonctionnement des réacteurs de 900 MW au-delà de 40 ans. À l'issue du réexamen, des écarts subsistent entre le niveau de sûreté du réacteur EPR et celui des réacteurs de 900 MW. Il existe en effet des différences de conception, comme la disposition plus favorable des différents bâtiments du réacteur EPR, la protection du bâtiment de la piscine d'entreposage du combustible ou le nombre de systèmes de sûreté permettant de faire face à un accident.

Toutefois, le quatrième réexamen périodique permet de rapprocher le niveau de sûreté des réacteurs de 900 MW de celui des réacteurs de troisième génération. EDF renforce ainsi les sources d'alimentation électrique et de refroidissement et la protection des réacteurs contre les agressions d'intensité extrême. Le réexamen permet de réduire les conséquences radiologiques des accidents. Il conduit également EDF à déployer des améliorations de sûreté directement inspirées des réacteurs de nouvelle génération : c'est le cas par exemple de la fonction de stabilisation et de refroidissement du corium à l'intérieur de l'enceinte de confinement.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

Le programme de grand carénage a également permis d'intégrer les nouvelles normes de sûreté consécutives au retour d'expérience de l'accident de la centrale de Fukushima. Il intègre aussi les enjeux de résilience du parc nucléaire au changement climatique. Par ailleurs, EDF inclut également les dépenses de maintenance courante du parc dans le programme.

Présentation du programme de grand carénage par EDF

Lancé en 2014, le grand carénage est le plus important programme industriel du groupe EDF depuis la création du parc nucléaire. Trois objectifs majeurs ont été fixés au programme grand carénage :

- Permettre la poursuite d'exploitation du parc nucléaire actuel au-delà de 40 ans ;

- Permettre au parc d'atteindre ses objectifs de production en toute sûreté ;

- Tenir et optimiser la trajectoire financière des investissements et des opérations de maintenance exceptionnelle.

Pour répondre à ces objectifs, le programme grand carénage a été structuré en un ensemble de projets qui se déroulent de façon continue dans le temps, selon les cinq familles d'activités :

- Les projets liés aux réexamens périodiques : ils permettent à chaque réacteur de franchir le cap décennal lors des visites décennales en répondant aux exigences réglementaires et en faisant progresser la sûreté ;

- Les projets liés aux réponses aux agressions : l'objectif est de renforcer les installations afin de les rendre robustes à des agressions dont le niveau est significativement accru (séisme, inondation, incendie, tempêtes, ...). La prise en compte du retour d'expérience post Fukushima a été traitée au sein de cette famille de projets ;

- Les remplacements et rénovations de gros composants arrivant en fin de vie technique (maintenance exceptionnelle), comme les générateurs de vapeur ou les groupes turbo-alternateurs ;

- Les projets « portefeuille » : ils permettent de traiter des écarts plus élémentaires et de mettre en conformité les installations par rapport à la règlementation française (par exemple, protection renforcée des travailleurs contre certains risques chimiques, ...) ;

- La maintenance courante du parc en exploitation et le projet portant les travaux relatifs à la corrosion sous contrainte.

Huit ans après son lancement, le programme a montré sa capacité à délivrer et déployer ses projets avec toujours en focus trois fondamentaux : rehausser le niveau de sûreté, contribuer à la production future et tenir la trajectoire financière fixée.

Le programme de grand carénage aborde sa deuxième phase et les résultats du projet se maintiennent à un bon niveau.

Une partie importante du grand carénage se concrétise dans les quatrièmes visites décennales des réacteurs de 900 MW, avec lesquelles EDF a l'ambition de poursuivre l'exploitation en toute sûreté de cette flotte de réacteurs jusqu'à 50 ans, voire plus.

Nous avons 32 visites décennales prévues entre 2019 et 2030, avec des pics de réalisation en 2023 et 2024, années où nous réalisons six et cinq visites par an.

Depuis 2019 nous tenons la planification pluriannuelle de ces visites très denses. 12 sont déjà terminées, 6 sont en cours.

À presque mi-parcours les résultats de performance sont bons et un premier réacteur a été validé par l'Autorité de sûreté nucléaire pour fonctionner dix ans supplémentaires : Tricastin 1.

Source : réponses écrites d'EDF à la commission d'enquête

La première phase du programme s'est achevée en 2021 pour un coût global de 29 milliards d'euros. La deuxième phase a été lancée en 2022 pour un montant prévisionnel de 36 milliards d'euros sur la période 2022-2028, dont près de la moitié devrait être consacrée à de la maintenance courante.

En 2023, EDF a consacré 5 milliards d'euros d'investissements au parc nucléaire existant. Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, EDF estime qu'un montant annuel supérieur à 4 milliards d'euros devrait être durablement affecté aux opérations relevant du grand carénage.

Évolution des investissements consacrés par EDF dans le parc nucléaire historique (2010-2023)

(en millions d'euros)

Source : commission d'enquête, d'après les réponses écrites d'EDF

Une troisième phase est d'ores et déjà en préparation pour la période 2029-2035. Cette troisième phase sera principalement consacrée à la prolongation jusqu'à soixante ans des réacteurs de 900 MW dans le cadre de leur cinquième visite décennale et vraisemblablement concentrée sur les enjeux d'adaptation du parc nucléaire existant aux conséquences des changements climatiques.

b) La prolongation au-delà de 40 ans des réacteurs de 900 MW est déjà une réalité pour certains d'entre eux

Les décrets d'autorisation de création qui permettent la construction et l'exploitation des réacteurs ne fixent pas de durée limite d'exploitation a priori pour ces derniers. Cependant, le code de l'environnement557(*) impose à l'exploitant d'apprécier tous les dix ans la situation de l'installation au regard des règles qui lui sont applicables avec une mise à niveau à la hauteur des exigences du plus haut degré de sûreté applicable au moment de l'instruction du renouvellement. Ces réexamens, réalisés sous la surveillance de l'ASN, sont réalisés dans le cadre d'une procédure qualifiée de « visite décennale ».

La présentation par l'ASN de la procédure des réexamens périodiques des centrales nucléaires

Le processus de réexamen périodique comprend plusieurs étapes, la plupart étant à la charge de l'exploitant.

1. L'examen de conformité

Il consiste à comparer l'état réel de l'installation au référentiel de sûreté et à la réglementation applicables, comprenant notamment son décret d'autorisation de création et les prescriptions de l'ASN.

Cet examen décennal de conformité ne dispense pas l'exploitant de son obligation de garantir en permanence la conformité de ses installations. Celle-ci est régulièrement contrôlée par l'ASN au travers des nombreuses inspections qu'elle diligente sur les sites.

2. La réévaluation de sûreté

Elle vise à apprécier la sûreté de l'installation et à l'améliorer au regard :

- des réglementations françaises, des objectifs et des pratiques de sûreté les plus récents, en France et à l'étranger ;

- du retour d'expérience d'exploitation de l'installation ;

- du retour d'expérience d'autres installations nucléaires en France et à l'étranger ;

- des enseignements tirés des autres installations ou équipements à risque.

L'ASN se prononce, après consultation éventuelle du groupe permanent d'experts pour la sûreté des réacteurs nucléaires, sur la liste des thèmes choisis pour faire l'objet d'études de réévaluation de sûreté, et les objectifs associés, lors de la phase dite d'orientation du réexamen périodique. À l'issue des études réalisées par EDF sur chacun des thèmes retenus, des modifications permettant des améliorations de sûreté sont définies. Elles seront déployées pendant la visite décennale du réacteur.

3. Le déploiement des améliorations issues du réexamen périodique

Les visites décennales, qui sont des arrêts longs, sont des moments privilégiés pour mettre en oeuvre les modifications issues du réexamen périodique. Pour déterminer le calendrier des visites décennales, EDF doit tenir compte des échéances de réalisation des épreuves hydrauliques fixées par la réglementation des équipements sous pression nucléaires et de la périodicité décennale des réexamens périodiques. L'ASN vérifie que les modifications permettent d'atteindre les objectifs du réexamen.

4. La remise par l'exploitant d'un rapport de conclusions de réexamen

À l'issue de la visite décennale, l'exploitant adresse à l'ASN un rapport de conclusions du réexamen périodique. Dans ce rapport, l'exploitant prend position sur la conformité réglementaire de son installation, ainsi que sur les modifications réalisées visant à remédier aux écarts constatés ou à améliorer la sûreté de l'installation. Le rapport de réexamen est composé des éléments prévus à l'article 24 du décret n° 2007-1557 du 2 novembre 2007 modifié. L'ASN communique au ministre en charge de la sûreté nucléaire son analyse du rapport et peut fixer à l'exploitant des prescriptions complémentaires.

Source : site internet de l'ASN

L'harmonisation des pratiques de sûreté nucléaire au sein de l'Union européenne

La directive 2009/71/Euratom du Conseil du 25 juin 2009 établissant un cadre communautaire pour la sûreté nucléaire des installations nucléaires fixe un cadre commun aux procédures liées à la sûreté nucléaire. Ainsi, cette directive rend obligatoire l'autorisation des nouvelles installations, de leurs modifications notables, ainsi que le principe de réexamen périodique de la sûreté au plus tous les dix ans.

Considérant que, compte tenu de leur expérience et de leur connaissance pratique des installations, les autorités de sûreté nationales sont mieux à même que la Commission européenne de fixer les exigences techniques applicables, celles-ci ont décidé de se regrouper pour harmoniser de façon volontaire les réglementations nationales des États membres, en visant le plus haut niveau de sûreté raisonnablement possible.

Ainsi, les autorités de sûreté ont créé en 1999, à l'initiative de l'ASN, l'Association des autorités de sûreté nucléaire des pays d'Europe de l'Ouest (WENRA, Western European Nuclear Regulators Association) qui regroupe actuellement, à titre de membres, les 19 chefs des autorités de sûreté nucléaire des pays européens qui ont une expérience en matière de réacteurs de production d'électricité. Elle s'est également ouverte à 13 autres pays qui ont le statut de membres associés ou d'observateurs, dont les Etats-Unis.

WENRA a ainsi défini des objectifs de sûreté pour les réacteurs de nouvelles générations, ainsi que des niveaux de référence pour les réacteurs actuellement en exploitation, que chaque autorité de sûreté s'est engagée à transcrire dans son cadre national. Ainsi, les exigences de sûreté sont largement harmonisées au sein des pays européens.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

Les 32 réacteurs de 900 MW (mis en service entre 1978 et 1987) atteignent actuellement progressivement leurs quarante années de fonctionnement, leurs quatrièmes visites décennales étant programmées entre 2019 et 2030. Le calendrier de ces visites est particulièrement concentré sur une période allant de 2021 à 2026 avec une moyenne de quatre réacteurs par an et des pics à six puis cinq en 2023 et 2024.

Aux termes de la phase dite générique558(*) de ces réexamens, dans sa décision n° 2021-DC-0706 du 23 février 2021, l'ASN a considéré que l'ensemble des dispositions prévues par EDF pour les quatrièmes visites décennales des réacteurs de 900 MW ainsi que les mesures complémentaires qu'elle a prescrites à cette occasion, étaient susceptibles d'ouvrir la perspective d'une poursuite de fonctionnement de ces réacteurs pour les dix ans qui suivent leur quatrième réexamen périodique, sous réserve de l'examen de chaque réacteur.

Les principaux enjeux des quatrièmes visites décennales des réacteurs de 900 MW selon l'ASN

Le quatrième réexamen périodique des réacteurs de 900 MW présente des enjeux particuliers

- certains matériels atteignent la durée de vie prise en compte pour leur conception. Les études portant sur la conformité des installations et la maîtrise du vieillissement des matériels doivent donc être réexaminées en prenant en compte les mécanismes de dégradation réellement constatés et les stratégies de maintenance et de remplacement mises en oeuvre par EDF ;

- la réévaluation de la sûreté de ces réacteurs et les améliorations qui en découlent doivent être réalisées au regard des objectifs de sûreté des réacteurs de nouvelle génération, comme l'EPR, dont la conception répond à des exigences de sûreté significativement renforcées.

Les modifications associées à ce réexamen périodique intègrent celles liées au déploiement du « noyau dur », qui vise à tirer le retour d'expérience de l'accident de la centrale nucléaire de Fukushima.

À ce jour, 12 réacteurs ont effectué leur quatrième visite décennale et les quatrièmes visites décennales de 5 d'entre eux sont en cours. Les visites décennales de ce type de réacteur vont se poursuivre jusqu'en 2030.

L'ASN estime que ces visites décennales se sont globalement bien déroulées. EDF a pu mettre en oeuvre lors de ces visites décennales les modifications qui étaient prévues et a réalisé des essais de bon fonctionnement des installations, notamment l'épreuve hydraulique du circuit primaire principale et le test d'étanchéité de l'enceinte de confinement.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

c) Les quatrièmes visites décennales des réacteurs de 1 300 MW doivent démarrer en 2026

Les réacteurs de 1 300 MW passeront quant à eux leurs quatrièmes visites décennales entre 2026 et 2034 dont une concentration importante d'activité entre 2027 et 2030 pour une moyenne de quatre réacteurs par an.

Après avoir recueilli l'avis de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) ainsi que de ses groupes permanents d'experts, l'ASN a pris une première position en 2019 sur les objectifs du quatrième réexamen périodique des réacteurs de 1 300 MW. Moyennant certaines demandes complémentaires, l'ASN a validé les objectifs proposés par EDF dans le cadre de ces réexamens. En réponse à la commission d'enquête, l'ASN considère ainsi que « les objectifs généraux retenus par EDF pour ce réexamen sont acceptables dans leur principe. Toutefois, l'ASN a demandé à EDF de modifier ou de compléter ces objectifs généraux, de considérer certains référentiels pour réévaluer la sûreté de ses installations et d'ajouter des thèmes d'études à son programme de réexamen. Les demandes formulées par l'ASN s'appuient en grande partie sur celles formulées en 2016 dans le cadre du quatrième réexamen périodique des réacteurs de 900 MW ».

Actuellement, comme elle l'avait fait pour le palier des réacteurs de 900 MW, l'ASN instruit les études génériques communes à l'ensemble des réacteurs de 1 300 MW qui ont tous la même conception. En 2025, l'ASN rendra une décision sur ses conclusions relatives à cette phase générique559(*). Après cette première étape, les visites décennales des réacteurs concernés débuteront en 2026 avec la centrale de Paluel et, comme elle le fait actuellement pour les réacteurs du palier de 900 MW, l'ASN rendra un avis au cas par cas, réacteur par réacteur.

3. La prolongation des réacteurs jusqu'à soixante ans est sur la bonne voie

La prolongation du parc nucléaire en exploitation jusqu'à 50 ans semble très bien engagée et, sauf très mauvaise surprise, l'ensemble des réacteurs devraient pouvoir fonctionner jusqu'à cet âge. Cependant, l'analyse économique des scénarios de mix de production ainsi que l'atteinte de nos objectifs climatiques supposent d'aller plus loin encore et de parvenir à faire fonctionner le plus de réacteurs possibles, idéalement l'ensemble du parc, jusqu'à au moins 60 ans.

Les travaux relatifs aux cinquièmes visites décennales des réacteurs de 900 MW, dont la première concernera la centrale du Tricastin en 2029, ont déjà été engagés depuis la fin de l'année 2023. EDF a même d'ores et déjà entamé la phase de dialogue technique avec l'autorité de sûreté pour définir les objectifs associés au passage des 50 ans pour l'ensemble des réacteurs de 900 MW mais également de 1 300 MW. D'ici la fin de l'année 2024, l'ASN prendra une position sur les orientations des cinquièmes réexamens des réacteurs de 900 MW.

EDF comme l'ASN soulignent l'étape considérable qui aura été franchie à l'issue des quatrièmes visites décennales permettant de prolonger les réacteurs jusqu'à 50 ans. En effet, les investissements significatifs consentis auront permis d'élever les critères de sûreté des centrales du parc historique au niveau des réacteurs les plus récents, de troisième génération, de type EPR et EPR 2. Ils auront aussi permis d'installer le renforcement des conditions de sûreté résultant des enseignements de l'accident de la centrale de Fukushima. Aussi, EDF comme l'ASN estiment que les mises à niveau requises lors des visites décennales suivantes, notamment lors du passage du cap des 50 ans, seront nécessairement moins exigeantes, même si elles requerront de nouveaux investissements, notamment pour rehausser le degré de résilience des centrales aux conséquences des dérèglements climatiques (principalement du fait de l'augmentation des températures d'air et d'eau, des étiages et inondations sévères ou encore des phénomènes climatiques extrêmes).

À ce titre, le président de l'ASN, Bernard Doroszczuk, a déclaré devant la commission d'enquête : « en France, la prolongation du fonctionnement de certains réacteurs au-delà de quarante ans a conduit à une importante mise à jour : le gap franchi lors de la quatrième visite décennale n'est pas représentatif de celui qui serait à franchir lors de la cinquième ou de la sixième visite, car, d'ici là, nous aurons porté la sûreté du parc le plus ancien au même niveau que celle des EPR. Des améliorations devront encore être apportées et nous devrons certainement prendre en compte l'impact du réchauffement climatique, mais ces ajustements seront d'une moindre ampleur »560(*). Dans ses réponses à la commission d'enquête, EDF souligne ainsi que la préparation des cinquièmes réexamens périodiques sera « l'occasion de réduire l'impact des installations sur les ressources et de conforter la résilience des installations aux agressions naturelles liées au climat ».

Dans ces conditions, la commission d'enquête considère qu'au regard des éléments auxquels elle a pu avoir accès, il est possible de se montrer résolument optimiste quant aux perspectives de prolongation du fonctionnement du parc existant jusqu'à au moins 60 ans. Cette prolongation permettrait de capitaliser sur les investissements importants, bien que d'ores et déjà rentables économiquement pour une durée de fonctionnement de 50 ans, qui auront été consentis pour franchir le cap des 40 ans.

Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, EDF a témoigné de sa confiance dans le scénario de la prolongation de la durée de vie de tous les réacteurs du parc existant jusqu'à 60 ans : « EDF est confiante dans sa capacité à remplir les conditions de sûreté nécessaires à la poursuite de fonctionnement de tous ses réacteurs, au-delà de leurs cinquièmes réexamens périodiques. Quelques réacteurs présentent une sensibilité technique particulière, mais pour chaque situation, des solutions de traitement ou de modifications existent, permettant d'envisager la poursuite d'exploitation au-delà de 50 ans ».

Sur la base d'une note technique qui lui avait été transmise par EDF au mois d'avril 2023561(*), le 13 juin 2023, l'ASN a rendu un premier avis relatif aux perspectives de poursuite du fonctionnement des réacteurs électronucléaires d'EDF jusqu'à leurs 60 ans562(*). Dans cet avis, l'Autorité a notamment identifié deux sujets techniques principaux qui devront faire l'objet d'une expertise toute particulière de la part d'EDF, concernant neuf réacteurs du parc pour une puissance totale de 8,5 GW :

- d'une part la résistance mécanique de certaines portions des tuyauteries principales du circuit primaire de cinq réacteurs, appelées « coudes E » ;

- d'autre part la prise en compte, pour les quatre réacteurs de la centrale nucléaire de Cruas, du retour d'expérience du séisme survenu au Teil le 11 novembre 2019.

Sur ces deux sujets, EDF a apporté de premières pistes de réponses à l'ASN563(*) qu'elle a jugé crédibles à ce stade mais qui doivent encore faire l'objet d'expertises complémentaires.

Les premières réponses apportées par EDF à l'ASN sur les deux problématiques soulevées dans l'avis du 13 juin 2023 relatif aux perspectives de poursuite du fonctionnement des réacteurs électronucléaires d'EDF jusqu'à leurs 60 ans

Concernant la résistance mécanique des « coudes E », EDF a présenté depuis la remise de l'avis des pistes d'actions pour compléter ses analyses initiales, dans lesquelles cinq réacteurs présentaient un « coude E » dont la poursuite de fonctionnement jusqu'à 60 ans n'était pas acquise.

L'ASN considère que ces différentes pistes étudiées par EDF pour exploiter ces coudes jusqu'à 60 ans sont crédibles, mais qu'elles nécessitent encore des travaux pour aboutir à des justifications recevables et être mises en oeuvre. Ces travaux seront poursuivis dans le cadre des travaux d'anticipation sur la durée de fonctionnement des réacteurs électronucléaires jusqu'à 60 ans et au-delà, qui donneront lieu à une première prise de position fin 2026 et de façon plus détaillée à l'occasion des cinquièmes réexamens périodiques des réacteurs concernés.

Sur la prise en compte du retour d'expérience du séisme du Teil, des travaux sont en cours pour caractériser les extensions du réseau de failles mis en évidence par ce séisme, qui a provoqué une rupture en surface sur plusieurs kilomètres, avec des soulèvements et des décalages du sol de plusieurs centimètres. Ces suites sont portées dans le cadre des travaux sur la thématique du séisme associés au cinquième réexamen périodique des réacteurs de 900 MW.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

L'avis du 13 juin 2023 souligne aussi les enjeux relatifs à l'adaptation des réacteurs aux conséquences des dérèglements climatiques : « la prise en compte du changement climatique dans le cadre de la poursuite de fonctionnement nécessite un approfondissement des connaissances scientifiques de la part d'EDF, ainsi qu'une réflexion sur les évolutions technologiques des installations, dans le cadre d'une approche globale et de long terme ».

Dans ce même avis, l'ASN a demandé à EDF de lui apporter des justifications complémentaires d'ici à la fin de l'année 2024 afin qu'elle puisse prendre une position d'ici la fin de l'année 2026 sur la perspective de poursuite du fonctionnement des réacteurs actuels jusqu'à 60 ans et même au-delà. Les travaux correspondants font l'objet d'un programme de recherche et développement conjoint entre EDF et le CEA (voir infra le sujet de l'enjeu de la prolongation des réacteurs du parc existant au-delà de 60 ans).

4. Économiquement, la prolongation de la durée de vie du parc nucléaire en exploitation est très compétitive

Comme démontré supra dans les développements relatifs aux coûts de production du parc existant, la prolongation des réacteurs actuels est, sur le plan économique, une solution extrêmement compétitive. Ce constat fait l'objet d'un très large consensus. Le coût de prolongation des réacteurs du parc électronucléaire historique se situerait, selon les hypothèses, entre 30 euros par MWh et 40 euros par MWh, c'est-à-dire un niveau beaucoup plus compétitif que toute autre solution alternative.

C'est pourquoi, pour la commission d'enquête, la pertinence de la prolongation des réacteurs du parc nucléaire actuelle ne fait absolument aucun doute tant qu'ils répondront aux exigences de sûreté requises. Aussi, et parce que les données sur lesquelles elle a pu s'appuyer démontrent que cette perspective est très réaliste, retient-elle, dans son scénario de mix de production à horizon 2035, l'hypothèse d'une prolongation de l'ensemble des réacteurs du parc nucléaire historique jusqu'à au moins 60 ans.

De ce fait, dans le scénario de production qu'elle retient, la puissance installée du parc nucléaire se maintiendra à son niveau actuel de 63 GW (en intégrant le réacteur EPR de Flamanville) jusqu'en 2035.

B. LA PROLONGATION DE LA DURÉE DE VIE DU PARC NUCLÉAIRE DOIT S'ACCOMPAGNER D'UNE OPTIMISATION DE SA PERFORMANCE

Si la prolongation de la durée de fonctionnement des réacteurs actuels est souhaitable, elle doit nécessairement aller de pair avec une augmentation substantiel de la performance du parc nucléaire historique.

1. Le constat sans appel d'une performance sensiblement inférieure à la moyenne mondiale et en forte dégradation
a) Une production annuelle en baisse très sensible depuis 2006

Après avoir connu la pire année de son histoire en 2022 en raison des indisponibilités de réacteurs dues au phénomène de corrosion sous contrainte (voir infra), la production du parc nucléaire d'EDF s'est relevée de 15 % en 2023 pour atteindre 320 TWh, un niveau restant cependant toujours très nettement inférieur à celui constaté en 2021 (361 TWh) et plus encore aux niveaux de production qui étaient observés avant la crise sanitaire et ce, même si l'on exclut de la comparaison la production des réacteurs de la centrale de Fessenheim qui ont été mis à l'arrêt en 2021.

Évolution de la production du parc nucléaire (2016-2023)

(en TWh)

Source : commission d'enquête, d'après les réponses d'EDF

Sans tenir compte des réacteurs de Fessenheim, la production du parc nucléaire en exploitation s'était ainsi élevée en moyenne à 375 TWh par an sur la période 2016-2019.

Depuis les pics constatés entre 2004 et 2006, la production annuelle du parc nucléaire historique est globalement orientée à la baisse, un phénomène qui s'est accéléré après 2015 et le lancement du programme de grand carénage. Entre 2006 et 2021, la production annuelle moyenne du parc nucléaire français s'est élevée à 404 TWh.

Évolution de la production nucléaire en France (1995-2023)

(en TWh)

Source : RTE, Bilan électrique 2023

Dans son Bilan électrique 2023, RTE constate ainsi que « la production du parc nucléaire a enregistré une baisse structurelle de sa production par rapport aux maxima atteints au début des années 2000. La fermeture des deux réacteurs de Fessenheim explique une partie de cette diminution, mais elle est loin d'en constituer la majorité : la baisse de la disponibilité du parc entre les années 2000 et l'année 2023 représente en effet l'équivalent de la fermeture de 14 réacteurs de 900 MW ».

b) Un facteur de charge particulièrement faible et en dégradation

Le facteur de charge (ou « Kp ») d'une installation de production d'électricité correspond au rapport entre sa production réelle et le maximum théorique qu'elle aurait pu produire sur une période d'un an au regard de sa puissance, c'est-à-dire la production qu'elle aurait générée si elle avait fonctionné toute l'année à pleine puissance. Le facteur de charge se décompose en deux dimensions :

- d'une part le coefficient de disponibilité (ou « Kd »), c'est-à-dire le pourcentage de la période considérée au cours de laquelle la centrale a fonctionné ;

- d'autre part le coefficient d'utilisation (ou « Ku »), c'est-à-dire, pendant la période où la centrale a fonctionné, le rapport entre sa production effective et la production qu'elle aurait généré si elle avait fonctionné à pleine puissance.

À titre d'exemple, un facteur de charge de 80 % pourrait en théorie correspondre à une centrale qui a fonctionné à plein régime 80 % du temps ou bien une centrale qui aurait fonctionné sans arrêt pendant toute la période à 80 % de sa puissance nominale.

D'après l'Association nucléaire mondiale (World nuclear association), dans le monde, depuis les années 1970, le facteur de charge moyen des centrales nucléaires a progressivement augmenté de 60 % à plus de 80 %, principalement porté par l'amélioration de la performance constatée sur les réacteurs nucléaires nord-américains. Même si ce constat peut être contre-intuitif, en moyenne, il n'est pas observé de dégradation systématique du facteur de charge au fur et à mesure du vieillissement des centrales.

La France présente un facteur de charge moyen de ses réacteurs nucléaires très nettement inférieur à la moyenne mondiale et à la plupart des pays disposant d'un parc nucléaire significatif. Ainsi, en 2019, avant les crises sanitaires et de corrosion sous contrainte, d'après l'Association nucléaire mondiale, le facteur de charge moyen observé sur le parc nucléaire français n'était que de 68,1 % contre plus de 90 % dans des pays comme les Etats-Unis, la Finlande, la Hongrie ou la Slovaquie.

Phénomène plus inquiétant, ce facteur de charge est en nette diminution puisqu'il atteignait encore 75 % seulement quatre ans plus tôt, en 2015. Cette baisse s'explique principalement par la chute du coefficient de disponibilité des centrales, passé de près de 85 % en 2006 à moins de 75 % depuis 2019. Elle a ainsi essentiellement pour origine l'allongement des périodes d'arrêts des réacteurs pour cause de maintenance.

Comparaison du facteur de charge moyen des réacteurs nucléaires par pays en 2019

(en % de la puissance installée)

Source : World nuclear association

c) Le rebond de la performance du parc nucléaire conditionne notre avenir énergétique à court et moyen terme

Alors que la consommation sera stimulée par l'électrification des usages, que de nouveaux réacteurs ne pourront pas être mis en service avant 2036 dans l'hypothèse la plus optimiste et que le développement des capacités de production renouvelables est sujet à de nombreuses incertitudes et pose par ailleurs des difficultés qui résultent de leur intermittence, la commission d'enquête estime qu'il est absolument impératif que la performance du parc électronucléaire français s'améliore substantiellement dans les années à venir. L'atteinte de nos objectifs climatiques et de réindustrialisation en dépendent. Dans cette perspective, l'État devra suivre de façon très rigoureuse, régulière et systématique, au moyen d'indicateurs quantitatifs précis, les progrès réalisés par EDF sur tous les aspects relatifs à la performance du parc électronucléaire national.

Dans son Bilan électrique 2023, RTE souligne l'importance de cet enjeu : « au cours de la prochaine décennie, l'enjeu est de retrouver des niveaux de disponibilité et de production supérieurs à ceux des dernières années, ce qui constitue un des leviers essentiels pour atteindre les objectifs industriels et engager la transition vers une économie décarbonée ».

Pour les années à venir, EDF a pris des engagements d'amélioration progressive de la production du parc nucléaire existant. Elle a indiqué à la commission d'enquête viser les objectifs suivants :

- entre 315 TWh et 345 TWh en 2024 ;

- entre 335 TWh et 365 TWh en 2025 et 2026.

À plus long terme, à horizon 2030, EDF a pour ambition de tendre vers un objectif de 400 TWh de production annuelle.

Dans ses réponses à la commission d'enquête, la DGEC a confirmé que, dans le cadre des travaux de planification qu'elle conduit, elle retient les hypothèses présentées par EDF et l'objectif d'un retour à un facteur de charge d'environ 75 % : « pour le reste de la décennie au-delà de 2026, la production du parc nucléaire existant, incluant le réacteur de type EPR de Flamanville, est estimée entre la cible d'une production minimale de 360 TWh retenue dans le cadre des travaux sur la Stratégie française énergie-climat (SFEC) et l'objectif managérial que se donne l'entreprise d'atteindre une production de 400 TWh d'ici à 2030 ».

2. Les raisons d'une performance en berne

Outre la perte structurelle de plus de 10 TWh par an liée à la mise à l'arrêt des deux réacteurs de la centrale de Fessenheim, plusieurs raisons expliquent le faible facteur de charge des réacteurs français et le déclin de la production du parc nucléaire depuis 2006.

a) Des travaux de maintenance exceptionnels dans le cadre du programme de grand carénage

La maintenance des réacteurs du parc nucléaire français (EDF)

La maintenance du parc nucléaire est effectuée en majeure partie lors des arrêts de réacteurs pour rechargement du combustible, qui ont lieu en moyenne tous les douze mois sur le palier 900 MW et tous les 18 mois sur les paliers 1300 MW et N4.

Le cycle de maintenance d'un réacteur se déroule sur dix ans, entre deux visites décennales avec une alternance d'arrêts pour simple rechargement de combustible et d'arrêts pour visites partielles :

- Les arrêts simples pour rechargement sont utilisés pour remplacer une partie du combustible et effectuer un niveau minimum de maintenance. Ces arrêts comptent 3 800 à 4 500 activités et sont planifiés sur une durée moyenne de 35 jours.

- Les visites partielles sont utilisées pour remplacer une partie du combustible et effectuer des opérations de maintenance. Ces arrêts comptent 10 000 à 11 500 activités et sont planifiés sur une durée moyenne de 90 jours.

- Les visites décennales sont utilisées pour remplacer une partie du combustible, effectuer des opérations de maintenance, opérer des modifications de l'installation correspondant aux réévaluations de sûreté, contrôler et tester les gros composants comme le circuit primaire ou l'enceinte de confinement. Ces arrêts comptent 15 000 à 20 000 activités et sont planifiés sur une durée moyenne supérieure ou égale à 180 jours.

De manière générale, il faut distinguer 2 types de maintenance : la maintenance préventive et la maintenance corrective.

La maintenance de type corrective a pour but de remplacer des matériels en cas de défaillance de ceux-ci : le volume des activités est donc dépendant de l'état du matériel.

La maintenance préventive a pour objectif d'éviter les défaillances et de remplacer les équipements en anticipation :

- soit par la réalisation de contrôles qui détermineront le remplacement ou non de la pièce en fonction du résultat de ces contrôles ;

- soit de manière systématique sur la base d'une durée de vie estimée des matériels.

La maintenance préventive récurrente fait l'objet de programmes et de visites périodiques des matériels ainsi que de contrôles réglementaires. Les périodicités des contrôles sont prédéfinies, en cohérence avec les trois types d'arrêt présentés ci-dessus.

La maintenance préventive exceptionnelle a pour objectif de remplacer les gros composants équipant la centrale, soit dans le cadre de la durée de vie des réacteurs, soit afin d'optimiser les performances de ces derniers.

Source : réponses d'EDF à la commission d'enquête

L'allongement des durées d'arrêts des quatrièmes visites décennales liées à l'ampleur des opérations nécessaires à la prolongation des réacteurs, à leur mise à niveau en matière de sûreté et à la prise en compte du retour d'expérience qui a fait suite à l'accident de Fukushima (voir supra) a conduit à limiter le coefficient de disponibilité des centrales ces dernières années. EDF estime que la période d'arrêt programmée des quatrièmes visites décennales était plus longue d'environ 50 jours par rapport à la durée moyenne des troisièmes visites décennales. Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, EDF a ainsi souligné l'effet particulièrement sensible du programme de grand carénage sur la disponibilité des centrales du parc historique à partir de 2016 en signalant notamment que « le volume d'activités des quatrièmes visites décennales du palier 900 MW est cinq fois supérieur à celui des troisièmes visites décennales du même palier ».

Cet effet à la baisse sur le coefficient de disponibilité du parc se fera encore sentir durant plusieurs années puisque les quatrièmes visites décennales des réacteurs de 900 MW doivent se poursuivre jusqu'en 2030 et que celles des réacteurs de 1 300 MW auront lieu entre 2026 et 2034. L'effet à la baisse sur la production annuelle du parc lié à ce phénomène pourrait se situer entre 5 TWh et 10 TWh sur la période 2025-2035. Cette situation conduit notamment RTE à se montrer très prudent sur les hypothèses de production du parc nucléaire pour les années 2024 et 2025 : « la densité des chantiers industriels à mener au cours des prochaines années incite à des prudences sur la tenue du planning d'arrêts programmés et sur l'évolution du productible annuel à l'horizon 2025564(*) ».

Cependant, l'allongement de la durée des arrêts de réacteurs lors de ces périodes n'est pas seulement dû à l'accroissement du nombre et de l'importance des opérations réalisées au cours de ces phases de maintenance. Il est également le résultat d'une perte de compétence dans le domaine de la gestion et du pilotage de ces « arrêts de tranche » qui se traduit par un défaut de performance significatif qu'il est devenu urgent de résoudre. C'est notamment l'objet du programme dit « Start » décrit infra. En réponse à la commission d'enquête, la DGEC a ainsi souligné que « les visites décennales habituelles et le programme de Grand carénage impliquent des arrêts temporaires des réacteurs, dont la maîtrise industrielle constitue un enjeu en matière de performance opérationnelle du parc nucléaire, de disponibilité et de production ».

La crise sanitaire, principalement en 2020 (pour un effet estimé à près de 40 TWh), ainsi que des conflits sociaux, résultant notamment de la mobilisation contre la réforme des retraites du printemps 2023, ont également conduit à perturber le calendrier des maintenances et à affaiblir encore un peu plus le coefficient de disponibilité des réacteurs.

Dans son étude Futurs énergétiques 2050, RTE avait notamment mis en exergue les effets de la crise sanitaire sur le programme de maintenance : « le calendrier de maintenance des réacteurs a été durablement chamboulé par la crise sanitaire, conduisant à des adaptations de plannings impliquant des économies de combustibles dans le but de maximiser la disponibilité des réacteurs pendant les périodes hivernales ».

b) Une perte d'expérience liée au renouvellement générationnel et des pénuries de main d'oeuvre dans des secteurs clés

En réponse à la commission d'enquête, EDF a souligné l'ampleur du renouvellement générationnel de ses équipes en charge de l'exploitation et de la maintenance du parc de réacteurs historique. L'ancienneté moyenne de ses effectifs a nettement diminué occasionnant une perte significative d'expérience, expérience qui apparaît particulièrement précieuse dans une filière telle que le nucléaire. Ainsi, le rapport de l'audit, demandé en décembre 2021 par l'État, sur la maîtrise industrielle des arrêts de réacteurs du parc nucléaire d'EDF565(*) soulignait-il en juin 2022 que l'expérience des équipes qui gèrent les phases d'arrêts pour maintenance des réacteurs « apparaît faible comparée au benchmark international ».

À ce phénomène de renouvellement se greffe des difficultés de recrutement liées aux tensions existantes dans plusieurs secteurs, s'agissant notamment des mécaniciens, des soudeurs ou encore des chaudronniers. EDF estime que ce phénomène a été l'un des facteurs explicatifs de la dégradation de la performance de la maintenance et de l'allongement des périodes d'arrêt de ses réacteurs.

Ce phénomène s'est conjugué avec « une perte de moyens et de compétences » plus large au sein de la filière nucléaire dans son ensemble. Une situation qui résulte, selon EDF, de « l'effet conjugué de la désindustrialisation progressive de la France et des perspectives de décroissance du secteur nucléaire tracées par la précédente PPE ».

Sur la base d'une étude annuelle demandée par l'ASN, cette situation a conduit EDF à demander à l'autorité de sûreté l'autorisation de reporter certaines échéances relatives aux opérations de réexamen périodique (voir encadré ci-après).

Faute de moyens suffisants en interne et au sein de la filière nucléaire, EDF a sollicité des délais supplémentaires à l'ASN dans le cadre des opérations relatives aux réexamens périodiques

Conformément à une décision de l'ASN du 23 février 2021 fixant certaines prescriptions, EDF réalise chaque année une étude pour analyser ses capacités internes et celles de la filière industrielle à réaliser le programme industriel tel que prescrit par l'ASN pour autoriser la poursuite d'exploitation des réacteurs 900 MW au-delà de 40 ans. Cette analyse très détaillée permet d'identifier les risques potentiels de dépassement d'une échéance réglementaire et le cas échéant de mettre en place les actions de mitigation nécessaires. Cette analyse a également conduit EDF à demander à l'ASN en 2023 le report de quelques échéances dans le cadre des quatrièmes réexamens périodiques des réacteurs 900 MW. Cette demande a été acceptée par l'ASN dans sa décision rendue le 19 décembre 2023.

Source : réponses d'EDF à la commission d'enquête

c) La crise de la corrosion sous contrainte : la survenance du « défaut générique » tant redouté

Le caractère standard du parc électronucléaire national présente de nombreux avantages en termes de synergies et d'économies d'échelle. Il en facilite l'exploitation et la maintenance. Cependant, il comporte un risque qui lui est inhérent et qui a longtemps été redouté, celui du défaut dit « générique ». C'est-à-dire un défaut majeur que l'on retrouverait sur un grand nombre de réacteurs du parc du fait de leur conception et de leur mode de fonctionnement similaires. Une situation de cette nature est apparue à la fin de l'année 2021.

En septembre 2021, au cours de la deuxième visite décennale du réacteur n° 1 (réacteur de 1 450 MW appartenant au palier N4) de la centrale de Civaux, EDF a détecté une fissuration sur des soudures d'une portion de tuyauterie auxiliaire au circuit primaire, au niveau du circuit d'injection de sécurité566(*). Le 23 septembre 2021, la division de Bordeaux de l'ASN a été informée par EDF de cette découverte.

EDF a fait le choix de découper la soudure concernée, seul moyen pour vérifier qu'il s'agissait bien d'une fissure et pour en mesurer la profondeur. À l'issue de ce contrôle dit « destructif », en décembre 2021, les expertises réalisées en laboratoire ont conclu à la présence de défauts de corrosion sous contrainte. Le 14 décembre 2021, EDF a informé l'ASN et l'IRSN.

La corrosion sous contrainte et sa détection (EDF)

La corrosion sous contrainte est un mécanisme de dégradation qui fait intervenir simultanément le matériau et ses caractéristiques intrinsèques, les sollicitations thermomécaniques auxquelles il est soumis et l'environnement.

C'est un phénomène connu dans l'industrie mais qui n'était pas redouté, tant de par le retour d'expérience français que par le retour d'expérience international, sur les circuits d'injection de sécurité.

Il peut être détecté par la réalisation de contrôles spécifiques par ultra-sons tels que ceux menés de manière préventive par EDF lors des visites décennales de ses réacteurs.

Il ne peut cependant être définitivement caractérisé comme tel que par une analyse métallurgique destructive en laboratoire.

Source : réponses d'EDF à la commission d'enquête

Ce même jour, s'est tenu au siège d'EDF une réunion extraordinaire du comité sûreté nucléaire en exploitation (CSNE), sous la présidence du directeur adjoint technique de la division production nucléaire (DPN). Cette instance, composée d'experts de la DPN, de la division ingénierie du parc nucléaire et de l'environnement (DIPDE), de la direction technique, de la direction industrielle et de l'Inspection générale pour la sûreté nucléaire et la radioprotection (IGSNR) a pour mission de débattre des questions de sûreté relatives aux réacteurs en exploitation. Ce comité a recommandé à l'unanimité de maintenir ou de mettre à l'arrêt préventivement les quatre réacteurs composant le palier N4 : c'est-à-dire les deux réacteurs des centrales de Chooz et de Civaux.

La décision reprenant cette recommandation a été prise le 15 décembre 2021 par les personnes ayant en charge d'exercer la responsabilité d'exploitant nucléaire au sein d'EDF, à savoir le directeur de la DPN, le directeur exécutif en charge de la direction du parc nucléaire thermique (DPNT) et le président-directeur général d'EDF.

Les risques potentiels qu'auraient pu faire peser les fissures détectées (ASN)

En affectant les tuyauteries du circuit primaire principal, ces fissures étaient susceptibles d'induire un risque de brèche primaire, et donc de perte de confinement du fluide radioactif du circuit primaire, en plus d'un risque pour le refroidissement du coeur du réacteur.

De surcroît, certaines fissures impactaient le système d'injection de sécurité des réacteurs, qui est justement mis à contribution en cas de brèche du circuit primaire.

Il était donc nécessaire qu'EDF réalise des contrôles rapidement pour cerner l'ampleur du problème et avoir une idée plus précise de la sensibilité des circuits à ce phénomène.

Les études mécaniques, et les études de sûreté réalisées très rapidement après la découverte des premières fissures, ont cependant montré que la profondeur des fissures n'induisait pas de risque de brèche dans l'ensemble des situations d'exploitation, dès lors qu'elles ne dépassaient pas une profondeur située entre un tiers et un quart de l'épaisseur des tuyauteries concernées. Les études de sûreté réalisées ont aussi montré qu'il était possible de maintenir le réacteur dans un état sûr en cas de perte d'une ou de deux tuyauteries d'injection de sécurité.

Certaines des fissures mesurées ayant une ampleur proche de cette profondeur critique, le phénomène de corrosion sous contrainte demeurait un phénomène sérieux. La survenue d'une brèche sur un système d'injection de sécurité d'un réacteur aurait par ailleurs entrainé, au minimum, un temps d'indisponibilité important de celui-ci.

Au début de l'année 2023, des fissures d'une profondeur très importante ont par ailleurs été découvertes sur certaines soudures, qui avaient fait l'objet de réparations au moment de la fabrication des réacteurs. Il était donc nécessaire de mettre en place un programme de contrôle priorisé sur ces soudures réparées.

Ces éléments justifient la stratégie mise en place par EDF, consistant à remplacer l'ensemble des soudures affectées de fissure de taille notable, et de remplacer les lignes présentant la plus grande sensibilité.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

Le 15 décembre 2021, lors d'une première réunion technique, EDF a présenté les résultats de ses premières expertises à l'ASN et à l'IRSN. Le même jour, EDF publiait un communiqué de presse pour informer le grand public de cette découverte. Le lendemain, le 16 décembre 2021, l'IRSN et l'ASN publiaient, chacune de leur côté, une note d'information sur la question.

À la fin du mois de décembre 2021, les mêmes défauts ont été identifiés au niveau des mêmes lignes de tuyauterie sur le réacteur n° 2 de la centrale de Civaux. En janvier 2022, des fissures étaient également confirmées sur les réacteurs N4 de la centrale de Chooz ainsi que sur le réacteur de 1 300 MW n° 1 de la centrale de Penly (palier P'4).

En février 2022, EDF a présenté à l'ASN une démarche visant à établir une liste de réacteurs à contrôler en priorité du fait de leur exposition potentielle au même phénomène.

Le 13 mai 2022 EDF a remis à l'ASN une note relative à l'avancement général de l'instruction des défauts de corrosion sous contrainte, son analyse de sûreté et l'évolution de la stratégie de traitement. Cette note a été complétée le 13 juillet 2022 avec de nouveaux résultats d'expertise justifiant une proposition de stratégie globale de traitement du phénomène. Le 26 juillet 2022, l'ASN a considéré que la stratégie déployée par EDF était « appropriée ».

La répartition des rôles entre l'exploitant et l'autorité de sûreté

La réglementation applicable identifie l'exploitant EDF comme le premier responsable de la sûreté de ses installations. Ainsi, c'est lui qui est responsable du suivi en service de ses installations, et en cas de découverte d'anomalies telles que les fissures de corrosion sous contrainte, de prendre les actions adaptées pour les traiter.

Le premier rôle de l'ASN a été de vérifier que les actions de contrôle initiées par EDF à la suite des premières découvertes étaient appropriées (tant au regard du périmètre contrôlé, que de la méthode utilisée pour les contrôles, et de leur délai de réalisation). L'ASN a estimé que c'était le cas : EDF a assumé, dans cette affaire, sa responsabilité première en matière de sûreté.

L'ASN a pour sa part examiné la stratégie d'EDF pour identifier et analyser les causes d'apparition de ces fissures, ainsi que les mises à jour de cette stratégie au fur et à mesure de l'accumulation des connaissances sur le phénomène.

Lorsque des opérations d'intervention mécaniques étaient nécessaires sur des tuyauteries (découpes, réparations, remplacements de tuyauteries complètes), l'ASN a contrôlé ces opérations (contrôle des modes opératoires et des qualifications prévues par les intervenants, réalisation d'inspections, etc.) afin de s'assurer qu'elles ne remettent pas en cause le fonctionnement et la résistance des circuits concernés.

Enfin, avant le redémarrage de chaque réacteur, l'ASN analyse le bilan des contrôles réalisés sur ce réacteur, afin de s'assurer que son redémarrage est possible en toute sûreté.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

EDF a mis en oeuvre un plan de contrôle général de son parc prévoyant des mises à l'arrêt préventives pour les réacteurs considérés comme les plus susceptibles d'être affectés par la même pathologie. Il avait pu être établi que les réacteurs les plus sensibles au phénomène étaient les réacteurs des paliers N4 (1 450 MW) et P'4 (1 300 MW). C'est-à-dire, comme le signalait RTE dans son Bilan électrique 2022, « à la fois les plus récents et les plus puissants du parc nucléaire français, qui n'étaient pas concernés de manière prioritaire par le grand carénage du parc et les opérations de prolongations de la durée de vie des centrales ». Les conséquences sur la production du parc nucléaire français en 2022 n'en ont été que plus importantes.

Les réacteurs du palier N4 ont fait l'objet de réparation en priorité suivis des réacteurs du palier P'4 qui ont eux aussi fait l'objet d'un remplacement préventif complet des tuyauteries concernées moyennant des arrêts d'une durée de près de six mois. À la fin de l'année 2023, la très grande majorité de ces réacteurs (N4 et P4) avait été traités.

Les réacteurs du palier P4 (1 300 MW) et de 900 MW sont moins exposés. Aussi, le programme de traitement prévoit-il des arrêts entre 2023 et 2025 des réacteurs du palier P4 pour contrôle et réparations éventuelles. Les réacteurs de 900 MW doivent quant à eux être inspectés à l'occasion de leurs prochaines visites partielles ou décennales. Ainsi, d'ici 2025, tous les réacteurs devront avoir été inspectés. En mars 2024, EDF a détecté une fissure sur le réacteur de 900 MW n° 4 de la centrale du Blayais (palier CPY).

Au cours de l'année 2022, les décisions de mise à l'arrêt ou de prolongement des durées de maintenance de 14 réacteurs ont conduit à sensiblement réduire la production du parc national expliquant pour l'essentiel son niveau exceptionnellement bas de 279 TWh contre 361 TWh en 2021, soit une diminution de plus de 80 TWh.

Puissance nucléaire indisponible par mois entre novembre 2021 et décembre 2022 et décomposition par cause, pour les réacteurs concernés par les contrôles liés au phénomène de corrosion sous contrainte

(en GW)

Source : RTE, Bilan électrique 2022

Comme l'illustre le graphique supra, RTE estimait à plus de 10 GW, soit 17 % de la puissance totale installée du parc électronucléaire, la perte de puissance moyenne observée en 2022 du fait des conséquences du phénomène de corrosion sous contrainte. Le 28 août 2022, la disponibilité du parc nucléaire est même descendue à un point bas historique de 21,7 GW, ce qui signifie que 65 % de la puissance totale du parc était alors à l'arrêt.

Facteurs explicatifs de l'indisponibilité du nucléaire en 2022

(en GW)

Source : RTE, Bilan électrique 2022

Des exemples de corrosion sous contrainte à l'étranger

Des phénomènes de corrosion sous contrainte ont affecté les réacteurs à eau bouillante dans le monde de façon générique, notamment aux Etats-Unis et au Japon. Ces réacteurs contiennent en effet une eau de refroidissement beaucoup plus riche en oxygène, ce qui augmente fortement le risque de corrosion sous contrainte par rapport aux réacteurs à eau sous pression, qui est la technologie des réacteurs français.

À l'international, les cas de corrosion sous contrainte constatés sur des réacteurs à eau sous pression n'étaient pas génériques, ou alors concernaient des matériaux autres que l'acier inoxydable (notamment l'Inconel). Les cas sur des soudures en acier inoxydables avaient jusqu'alors été sporadiques, et expliqués par des conditions de soudage particulières.

À la suite des découvertes en France, qui étaient donc largement inattendues, l'ASN a partagé son retour d'expérience pour encourager les autres pays à procéder à des contrôles.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

Le risque de survenance d'un défaut générique était connu et il semble impossible de s'en prémunir totalement tant il est inhérent à la composition standardisée du parc nucléaire français. Cependant, il est essentiel de tirer des enseignements de la crise de la corrosion sous contrainte pour approfondir et renforcer tous les dispositifs permettant de prévenir ce risque et de s'en prémunir autant que faire se peut.

Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, l'ASN a ainsi pu souligner que la crise dite de la corrosion sous contrainte « rappelle qu'il est important, dans l'établissement des programmes de contrôles appliqués aux réacteurs du parc, de mobiliser à la fois des moyens de contrôle spécifiquement adaptés aux modes de dégradation les plus redoutés, mais aussi des moyens de contrôle plus génériques dans le but de capter l'apparition de modes de dégradation non anticipés, avant que ceux-ci ne suscitent des risques importants pour la sûreté des réacteurs ».

À ce titre, la commission d'enquête a noté qu'EDF avait notamment prévu d'inclure de nouveaux contrôles périodiques de vérification dans son programme de maintenance courante afin de détecter ce type de défauts le plus en amont possible.

d) Les tensions sur la ressource en eau génèrent « des indisponibilités faibles mais croissantes pour le parc nucléaire »567(*)

Dépendants de la ressource en eau pour assurer leur refroidissement, les réacteurs nucléaires voient leur exploitation encadrée par des normes environnementales destinées à protéger cette ressource. Les contraintes qui pèsent à ce titre sur les conditions d'exploitation des réacteurs portent principalement sur le respect de normes relatives aux prélèvements d'eau et aux rejets thermiques engendrés par leur fonctionnement. Variables selon les cours d'eau, ces normes réglementaires sont propres à chaque site. Elles encadrent les volumes de prélèvements et de rejets d'eau, limitent les températures de rejet ou encore conditionnent le rejet d'effluents liquides radioactifs à un niveau de débit suffisant permettant leur dilution. Sauf dérogations accordées par l'ASN, le dépassement de ces normes peut entraîner la mise à l'arrêt temporaire de réacteurs.

Or, ces différentes contraintes, particulièrement celles relatives aux températures de rejet et au débit des cours d'eau, sont particulièrement affectées par le réchauffement climatique et les seuils normatifs sont de plus en plus fréquemment atteints, tout particulièrement pour les centrales dites en « circuit ouvert » qui prélèvent de grandes quantités d'eau pour leur refroidissement avant de les rejeter en aval du cours d'eau à des températures plus élevées.

Dans son rapport public annuel 2024, la Cour des comptes soulignait que si la disponibilité de la ressource en eau, mise sous tension par le réchauffement climatique, se traduisait à ce stade par « des conséquences encore limitées sur la production » des centrales nucléaires françaises, celles-ci sont croissantes et amenées à s'amplifier dans les années et décennies à venir.

La Cour des comptes a ainsi pu observer que les pertes de production résultant de la hausse des températures des cours d'eau ou de la baisse de leur débit sont restées inférieurs à 1 % de la production annuelle moyenne pendant les deux dernières décennies, exception faite de l'année 2003, marquée par une canicule sévère, au cours de laquelle la perte a atteint 1,5 %. Cependant, depuis 2018, la Cour des comptes a constaté une augmentation des pertes de production résultant de causes climatiques. Elle souligne par ailleurs que ces pertes pourraient être multipliées par un facteur de trois ou quatre à l'horizon 2050.

Pertes de production nucléaire annuelle attribuées aux températures élevées et aux faibles débits des cours d'eau

(en MWh)

Source : Cour des comptes, L'adaptation des parcs nucléaire et hydro-électrique au changement climatique, rapport public annuel 2024.

Les seuils normatifs d'encadrement de l'exploitation des réacteurs nucléaire au titre de leur incidence sur les milieux aquatiques sont anciens et ne prennent pas en compte les recherches les plus récentes menées sur les effets de la température de l'eau sur les êtres vivants aquatiques. C'est notamment pour cette raison que, dans un rapport d'information présenté en 2022568(*), la sénatrice Christine Lavarde a suggéré de réinterroger les valeurs de ces seuils à l'aune de ces nouvelles connaissances.

3. La modulation : une spécificité française qui suscite de nombreuses questions et présente encore trop de zones d'ombres

Historiquement, les réacteurs nucléaires français ont été conçus dès le départ (pour les réacteurs de 1 300 MW et 1 450 MW) ou modifiés (dans les années 1980 pour des réacteurs de 900 MW) pour pouvoir « moduler » leur production, c'est-à-dire pour pouvoir réduire ou augmenter, dans des temporalités plus ou moins courtes, la quantité d'électricité qu'ils délivrent. Cette capacité, également appelée « suivi de charge », avait été initialement développée du fait de la part très significative que représentait la filière nucléaire dans le mix de production national. Il s'agissait alors de pouvoir ajuster le volume de production aux variations de la demande d'électricité. La modulation conduit à ce que, lorsqu'ils fonctionnent, les réacteurs ne produisent pas à plein régime, ce qui affecte à la baisse leur coefficient d'utilisation et par voie de conséquence leur facteur de charge.

Spécificité française, la modulation constitue ainsi l'une des explications de la faiblesse du facteur de charge moyen des réacteurs français au regard de celui constaté dans la plupart des autres pays qui disposent de centrales nucléaires. Dans la plupart de ces pays, la part du nucléaire dans le mix de production est plus faible ce qui permet à leurs centrales de produire « en base » au maximum de leur capacité, l'adaptation de la production à la consommation étant réalisée au moyen d'autres centrales, principalement thermiques.

Dans ses réponses à la commission d'enquête, la DGEC a souligné cet aspect : « la faculté des réacteurs nucléaires, de pouvoir moduler leur production constitue une caractéristique importante du parc français, qui n'est pas récente et était déjà nécessaire dans les années 1990 et 2000 pour adapter la production au profil de consommation (la France disposant majoritairement de nucléaire dans son mix et moins de centrales au gaz ou au charbon que les pays voisins) ».

Dans la mesure où l'essentiel des coûts de la filière nucléaire sont fixes (ils ne sont pas corrélés au volume d'électricité produite), en réduisant le volume de production sur une période donnée, la modulation conduit mécaniquement à augmenter les coûts complets du parc nucléaire français exprimés en MWh. Cette relation est automatique puisque la baisse du volume de production conduit à diminuer le dénominateur (la quantité d'électricité produite par la centrale au cours de sa durée de fonctionnement) de la fraction permettant de calculer les coûts complets tandis que le numérateur, principalement composé de coûts fixes, ne varie pas ou dans des proportions nettement plus faibles.

Cependant, l'équation économique et financière du producteur peut en revanche être favorable puisqu'à la faveur de cette modulation il est en mesure de maximiser les revenus tirés de ses centrales en diminuant leur production lorsque les prix de marchés sont bas, pour au contraire l'augmenter lorsqu'ils sont haut. Aussi, si la modulation conduit à augmenter les coûts de production du parc nucléaire français elle peut également permettre d'en optimiser les revenus qu'en retire EDF.

Techniquement, les réacteurs nucléaires français peuvent réaliser deux modulations à la baisse par jour d'une profondeur pouvant aller jusqu'à 80 % de leur puissance nominale. Les capacités de modulation, ou « manoeuvrabilité » des réacteurs sont encadrées par des spécifications techniques approuvées par l'ASN569(*).

Dans ses réponses à la commission d'enquête, RTE a souligné qu'historiquement, la modulation du parc nucléaire a varié autour d'une moyenne de 30 TWh par an au sein d'une fourchette allant de 20 TWh à 55 TWh. En réponses à la commission d'enquête, EDF a souligné qu'en puissance instantanée, « des baisses totales de près de 20 GW ont déjà été observées, sur un total disponible de plus de 40 GW570(*) ». Sur la base de données produites par EDF, dans son Bilan prévisionnel 2023, RTE note que le phénomène de modulation est actuellement estimé en moyenne à environ 7 % de la puissance nominale des réacteurs.

Évolution du volume de modulation à la baisse de la production nucléaire depuis 2002 et estimation de la part liée à une absence de débouché économique (2012-2022)

Source : RTE

La modulation des réacteurs nucléaires a pour vocation de contribuer à l'équilibre du système électrique. EDF571(*) souligne à ce titre « qu'à l'origine, il s'agissait avant tout de répondre aux variations de la consommation intérieure. Depuis les années 2010, il s'agit de répondre en complément à la variabilité des moyens renouvelables non pilotables ». Grâce à leur flexibilité, les réacteurs nucléaires, comme les barrages hydrauliques, assurent ainsi des services indispensables à l'équilibre du réseau tant en termes de réglage de la fréquence que de réglage de la tension.

En réponse à la commission d'enquête, EDF a décrit en ces termes les principes qui régissent la modulation de ses réacteurs : « EDF module essentiellement pour fournir des services au système (réserves de puissance et ajustements à proximité du temps réel requis par RTE), gérer le combustible nucléaire (économie de combustible entre deux cycles) et réaliser une optimisation économique en fonction de l'état de l'équilibre offre-demande (quand le prix du marché est inférieur au coût marginal de production du parc nucléaire, que ce soit du fait d'une faible consommation ou d'un fort niveau de production renouvelable ».

En réalité, en dehors des enjeux de la flexibilité de très court terme contrôlée en temps réel par RTE pour équilibrer le système électrique, la modulation de ses réacteurs par EDF répond essentiellement à un calcul d'optimisation économique reposant sur le niveau des prix de marché qu'elle compare soit aux coûts variables de chaque réacteur, soit à un coût d'usage (ou « d'opportunité »), notamment pour optimiser le stock de combustible encore disponible jusqu'au prochain arrêt pour rechargement.

Description par la CRE des stratégies d'optimisation économique des capacités de modulation des réacteurs nucléaires

Dans le mode de gestion actuel d'EDF, la production nucléaire est modulée à la baisse principalement dans deux cas :

- Les tranches nucléaires qui ne sont pas contraintes par un stock de combustible limité avant le prochain arrêt pour rechargement ont un coût variable relativement faible, qui inclut le coût du combustible et des coûts opérationnels variables, et fonctionnent donc majoritairement en base. Cependant, lorsque la consommation est faible et/ou la production renouvelable élevée, les prix de marché peuvent descendre en dessous de leurs coûts variables, et EDF a alors intérêt, pour ne pas produire à perte, à réduire la production de ces tranches lorsque c'est techniquement possible.

- En fin de campagne entre deux arrêts, certaines tranches nucléaires peuvent se retrouver limitées par le combustible restant avant le prochain rechargement. Elles sont alors gérées en stock et doivent être modulées à la baisse pour économiser du combustible afin de le consommer sur les périodes de prix les plus élevés ; cette modulation peut survenir quand bien même les prix de marché sont déjà assez élevés, si EDF anticipe des prix encore plus élevés sur la période restante avant le prochain rechargement.

Pour réaliser son optimisation économique et décider d'éventuelles modulations, EDF ne prend en compte que les coûts variables de fonctionnement, incluant un coût d'opportunité lorsque les tranches sont limitées par leur stock de combustible, ainsi que les contraintes techniques du parc. Il n'y a pas lieu d'intégrer à cette optimisation les coûts fixes (investissement ou coûts fixes opérationnels), qui sont par nature des coûts « échoués » indépendants de la décision de faire fonctionner ou non la tranche.

Source : réponses de la CRE à la commission d'enquête

Cette stratégie d'optimisation économique est présentée par EDF572(*) de la façon suivante : « L'offre du parc nucléaire d'EDF sur les marchés, encadrée par différentes réglementations, suit le principe général consistant à proposer toute la flexibilité des réacteurs à un niveau représentatif de leur coût d'utilisation, qui correspond :

- soit à leur coût variable (c'est-à-dire essentiellement le coût du combustible), dans le cas où il n'existe pas de contrainte particulière sur le fonctionnement des réacteurs ;

- soit à une « valeur d'usage » reflétant l'espérance des meilleurs prix futurs qu'il sera possible de capter avant le prochain arrêt pour rechargement/maintenance de la tranche, dans le cas où il existe une contrainte sur le stock de combustible disponible, qui impose de le réserver aux périodes de plus forte tension du système.

Dans les deux cas, les coûts d'utilisation sont différenciés réacteur par réacteur et le choix, pour un réacteur donné, de produire à un niveau inférieur à la puissance maximale disponible est déterminé par les prix de marché ».

Cette dominante économique de la gestion de la modulation du parc nucléaire français est confirmée par RTE573(*) : « dans l'ensemble, le parc nucléaire module en fonction des prix de marché, pour maximiser les revenus du producteur (produire plus lorsque l'électricité est chère, produire moins lorsque son prix est faible voire nul ou négatif), à capacité de production donnée ».

La CRE précise ainsi la façon dont EDF procède à une maximisation économique de la valeur à laquelle correspond la flexibilité de ses réacteurs nucléaires : « EDF vend à prix fixe le profil de production prévu sur le marché à terme, puis valorise la flexibilité à la hausse comme à la baisse sur les échéances de plus court terme jusqu'au très court terme. Typiquement, la puissance est diminuée l'été et la nuit pour maximiser la disponibilité lorsque les prix de gros sont plus élevés et répondre au mieux aux variations de l'équilibre offre-demande. La modulation de puissance nucléaire entre l'été et l'hiver a ainsi contribué à éviter toute défaillance pendant l'hiver 2022-2023 et EDF en a été rémunéré en vendant (ou en évitant d'acheter) la production ainsi dégagée au moment où les prix de gros étaient les plus élevés. Le déploiement accéléré des moyens de production intermittents ne modifie pas fondamentalement ce cadre, la production intermittente étant équivalente à une diminution de la consommation. L'amplitude accrue des variations de consommation nette de la production intermittente augmentera la rémunération de la flexibilité, dans la limite des capacités techniques du parc nucléaire ».

Le développement des installations renouvelables intermittentes conduit nécessairement à augmenter le volume de modulation des centrales nucléaires parce que leurs coûts marginaux sont quasiment nuls et orientent les prix de marchés à la baisse lorsqu'elles produisent. Ce constat factuel et incontestable est notamment décrit de la façon suivante par EDF574(*) : « la puissance fournie par les moyens de production dont le coût proportionnel est moindre que celui du nucléaire (hydraulique fil de l'eau, solaire, éolien) a une influence. Le développement des énergies renouvelables contribue à augmenter le nombre d'heures dans l'année pendant lesquelles le parc doit moduler, et l'amplitude de cette modulation ».

Si cette réalité ne peut être mise en doute, à ce jour, les données disponibles semblent indiquer que l'effet du développement de la production renouvelable intermittente sur le phénomène de modulation du parc nucléaire reste limité. Dans son Bilan prévisionnel 2023, RTE écrivait ainsi que « les prix de marché dépendent en premier lieu des variations naturelles de la demande : au cours des dernières années, la production nucléaire n'a été affectée que de manière marginale par la production solaire et éolien ».

Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, RTE a précisé son analyse dans les termes suivants : « au cours des dernières années, le développement des énergies renouvelables a modifié très progressivement le profil de cette modulation, avec par exemple des baisses plus fréquentes l'après-midi lorsque la production photovoltaïque est importante ainsi que certains week-ends lorsque la consommation est plus faible, mais cela n'a toutefois, jusqu'à présent, pas sensiblement modifié le volume global annuel de modulation. À date, le développement des énergies renouvelables n'apparaît donc pas comme un facteur significatif dans la modulation de la production nucléaire et dans l'évolution du facteur de charge des réacteurs. Comme RTE l'a déjà indiqué dans différentes publications, la diminution de la production nucléaire au cours des dernières années n'est donc pas due au développement des énergies renouvelables mais bien à l'augmentation des indisponibilités de réacteurs pour raisons de maintenance ou d'arrêts préventifs dans le cadre de l'épisode de corrosion sous contrainte rencontré à la fin de l'année 2021 ».

Il existe cependant bel et bien des situations dans lesquelles, en raison d'une production massive d'électricité renouvelable intermittente, les prix de marchés descendent à des niveaux si bas qu'ils ne permettent plus de couvrir les coûts variables, pourtant extrêmement faibles, des réacteurs du parc nucléaire. Dans ces hypothèses, qualifiées par RTE « d'absence de débouchés économiques », il est possible d'affirmer que la production nucléaire subit un « effet d'éviction » lié à la production d'électricité renouvelable intermittente. Un effet d'éviction qui réduit le coefficient d'utilisation des centrales et donc leur facteur de charge, entraînant une augmentation mécanique de leurs coûts complets de production.

Toutefois, RTE estime qu'aujourd'hui ces hypothèses sont rares : « le parc nucléaire module de manière ponctuelle lorsque les prix spot sont inférieurs à son coût variable, notamment en périodes de faible consommation et forte production renouvelable, mais ces périodes restent relativement rares ces dernières années. Ces périodes sont celles qui peuvent être assimilées à des situations « d'absence de débouchés économiques pour le nucléaire ». EDF mutualise parfois ces périodes avec des arrêts pour économie de combustible, voire le placement de petites maintenances opportunistes, de sorte qu'il n'est pas toujours aisé de distinguer les motifs des modulations à la baisse pendant ces périodes de prix faibles ».

Ce phénomène, évalué depuis 2012 par RTE, resterait extrêmement marginal et cantonné à moins de 1 TWh par an : « ce type de modulation à la baisse du fait des prix, qui n'a pu être évalué qu'à partir de 2012, est ainsi resté très marginal avec moins de 1 TWh par an de production nucléaire modulée à la baisse au cours des années 2020 »575(*).

Si l'effet d'éviction lié à la production d'électricité éolienne et photovoltaïque semble aujourd'hui limité, il pourrait croître à l'avenir selon les stratégies d'évolution de moyen-long terme du mix électrique et du degré de pénétration des énergies renouvelables intermittentes qu'elles supposent. Dans son Bilan prévisionnel 2023, RTE souligne les incertitudes qui s'attachent à cette problématique : « la faculté du nucléaire à adapter son profil de production à un système électrique constitué de volumes croissants d'éolien et de solaire soulève des interrogations ». Dans cette même étude, RTE souligne que si « l'augmentation de la part des renouvelables dans le mix électrique à l'horizon 2030-2035 ne conduira pas nécessairement le parc nucléaire à moduler davantage qu'aujourd'hui, la part de modulation liée au manque de débouchés économiques augmentera ».

Comme indiqué supra, les périodes aux cours desquelles le parc nucléaire est contraint de réduire sa production du fait de la pénétration forte d'électricité de nature renouvelable intermittente n'équivalent qu'à moins de 1 TWh par an aujourd'hui. Cependant, d'après RTE, ce volume pourrait représenter jusqu'à 15 TWh à horizon 2035 : « alors qu'elles apparaissent extrêmement marginales aujourd'hui, les périodes d'absence de débouchés économiques lors des périodes de faible consommation et de forte production renouvelable représenteront une part beaucoup plus conséquente de la modulation du parc. Ces périodes pourraient représenter de l'ordre de 15 TWh ».

Ainsi, pour RTE, si le volume global de modulation n'augmentera pas nécessairement dans les années à venir, sa composition elle, en revanche, pourrait fortement varier. Elle sera beaucoup plus corrélée aux périodes de forte production d'électricité éolienne et photovoltaïque, notamment l'été, en milieu de journée. Inversement, la flexibilité des réacteurs pourrait être moins sollicitée qu'aujourd'hui au cours de la nuit.

En réponse à la commission d'enquête, RTE a précisé son analyse prévisionnelle de la modulation du parc nucléaire : « dans tous les cas, la répartition des motifs de modulation du nucléaire devrait évoluer. En particulier, le parc sera davantage incité à moduler sur des instants où les prix spots seront très faibles (typiquement en milieu de journée), voire nuls ou négatifs, du fait de la part croissante des énergies renouvelables dans le système. In fine, le facteur de charge du nucléaire ne sera pas nécessairement affecté. Il pourrait l'être ponctuellement au cours de certaines années climatiques conjuguant faible demande et forte production renouvelable ».

À plus long terme, les modélisations réalisées par RTE dans le cadre de son étude Futurs énergétiques 2050 le démontrent (voir notamment le graphique ci-après), plus les scénarios de mix de production prévoient une pénétration forte des moyens renouvelables intermittents, plus l'effet d'éviction de la production nucléaire sera important : « les scénarios avec une part plus importante de production renouvelable conduisent à des situations plus fréquentes pendant lesquelles la production renouvelable en Europe peut couvrir la consommation et conduisent à des niveaux de modulation « pour absence de débouché » et donc de modulation totale du parc nucléaire Français significativement plus importantes (...). Concrètement, une modulation plus élevée participe à réduire le facteur de charge du nucléaire ».

Profil journalier de modulation du parc nucléaire à horizon 2050 dans les différents scénarios retenus par RTE dans son étude sur les futurs énergétiques 2050

Source : RTE, Futurs énergétiques 2050, 2021. Rappel : scénario M1 : vers 100 % EnR avec une répartition diffuse, M23 : vers 100 % EnR avec de grands parcs, N1 : EnR + programme nouveau nucléaire à un rythme de deux EPR tous les cinq ans, N2 : EnR + programme nouveau nucléaire avec accélération au-delà des six premiers EPR, N03 : activation de tous les leviers pour atteindre 50 GW de nucléaire en 2050.

La modulation pose d'autres questions majeures pour l'avenir du parc nucléaire. Il s'agit notamment de pouvoir objectiver ses effets sur le vieillissement des centrales, le cas échéant sur leur durée de vie mais aussi sur la récurrence et le coût des opérations de maintenance. Sur ces sujets, les avis des experts divergent et même RTE a confié à la commission d'enquête ne pas avoir pour l'instant de visibilité précise sur ces questions.

Dans son avis du 13 juin 2023 précité, l'ASN appelait notamment EDF à étudier « l'impact à long terme de l'augmentation du fonctionnement en suivi de charge, qui peuvent conduire à des vieillissements plus importants de certains composants des réacteurs ».

En 2018, dans un rapport consacré à la modulation des centrales nucléaires, l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) a identifié plusieurs conséquences potentielles de celle-ci sur les réacteurs. Ces conséquences peuvent se traduire par une fatigue des matériaux métalliques, des phénomènes de corrosion ou encore une usure prématurée de certains composants. En règle générale, cette étude démontre que la modulation accroît les besoins de maintenance des centrales.

EDF a indiqué à la commission d'enquête qu'à ce jour, « il n'a pas pu être mis en évidence un lien statistique avec une éventuelle perte de capacité de production du parc, non plus qu'avec des défaillances des installations ». EDF continue de conduire des études sur ce sujet mais, d'après elle, les premiers éléments d'expertise ne démontrent pas de lien entre la modulation et les composants du circuit primaire. En revanche, elle pourrait occasionner un vieillissement prématuré de composants du circuit secondaire et, par voie de conséquence, une augmentation des besoins de maintenance.

4. L'augmentation de la puissance des centrales doit être menée à bien, au moins pour les réacteurs de 900 MW

Il existe deux possibilités pour augmenter la puissance d'un réacteur nucléaire. La plus simple, notamment car elle ne nécessite pas de nouvelles expertises de sûreté, consiste à améliorer l'efficacité du rendement de la conversion thermique du côté secondaire de l'installation, c'est-à-dire à optimiser la capacité de la turbine. Il s'agit d'une pure opération mécanique consistant à remplacer l'arbre du groupe turbo-alternateur de la centrale.

La seconde est nettement plus lourde puisqu'elle consiste à augmenter la puissance thermique de la chaudière nucléaire, c'est-à-dire du coeur du réacteur. Il s'agit de faire monter la température de l'eau dans la chaudière pour que la vapeur délivre plus d'énergie à la turbine. Cette opération nécessite de réaliser de nouvelles expertises de sûreté et d'instruire avec l'ASN un nouveau décret d'autorisation de création de la centrale.

L'incidence sur les démonstrations de sûreté des deux types d'optimisation de la puissance d'un réacteur nucléaire

L'impact sur la sûreté d'une optimisation de la partie secondaire de l'installation est a priori marginal.

Par contre, une augmentation de la puissance thermique du réacteur nécessite de revoir la démonstration de sûreté. En particulier, l'augmentation de puissance thermique diminue les marges présentes dans les études de sûreté.

Elle a également un impact sur la sollicitation des équipements importants pour la sûreté et leur vieillissement. Elle est aussi susceptible d'augmenter les rejets thermiques et les rejets chimiques et radioactifs dans l'environnement.

L'augmentation de puissance des réacteurs est soumise à l'autorisation de l'ASN.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

En 2023, suite à une demande du Gouvernement, EDF a étudié la faisabilité d'opérations visant à augmenter la puissance de certains des réacteurs du parc nucléaire actuel. Certaines de ces opérations ont déjà été pratiquées dans le passé. Elles avaient ensuite été interrompues du fait de la perspective de fermetures de réacteurs qui avait été retenue dans le cadre de la dernière PPE. Ces investissements n'apparaissaient en effet plus rentables dans le cadre d'un parc qui était voué à disparaître progressivement. Le changement de stratégie du Gouvernement et la relance de la filière nucléaire assumée lors du discours de Belfort du Président de la République a rebattu les cartes et remis sur la table ces hypothèses d'optimisation de la capacité à produire de réacteurs du parc historique.

Au cours d'une table ronde organisée le 6 février 2024, Etienne Dutheil, directeur de la division production nucléaire d'EDF, avait résumé la situation de la façon suivante : « Augmenter la puissance d'une installation n'a pas de sens si l'on a comme perspective sa fermeture à court terme. Nous avons augmenté la puissance d'un certain nombre de réacteurs de 900 MW, programme que nous avons ensuite arrêté, car ces réacteurs devaient s'arrêter. Il n'y avait alors plus lieu de réaliser ces investissements, mais aujourd'hui la question se pose à nouveau ».

Deux programmes d'augmentation de puissance de certains réacteurs ont ainsi déjà été réalisés sur le parc historique :

- entre 1999 et 2016, neuf des dix-huit réacteurs d'une puissance de 900 MW du palier dit « CP1 » ont vu leur puissance unitaire augmenter de 35 MW grâce à une opération d'optimisation qu'EDF propose aujourd'hui d'étendre à d'autres réacteurs de même puissance ;

- une opération réalisée sur les quatre réacteurs du palier dit « N4 » a permis d'augmenter leur puissance unitaire de 50 MW.

Aujourd'hui, deux projets d'augmentation de la puissance de certains des réacteurs du parc nucléaire existant sont à l'étude :

- Le premier projet consisterait à optimiser la puissance de 13 réacteurs de 900 MW des paliers dits « CP0 » et « CP1 » sur le modèle des opérations déjà conduites sur 9 réacteurs du palier « CP1 » entre 1999 et 2016. Cette opération de maintenance exceptionnelle exige une trentaine de jours de travaux par réacteur et permettrait de gagner entre 30 MW et 35 MW de puissance. Le gain total à l'échelle du parc pourrait ainsi représenter de l'ordre de 450 MW. Les optimisations des réacteurs concernés pourraient être réalisées à l'occasion de leur cinquième visite décennale, c'est-à-dire au cours de la décennie 2030.

- Le deuxième projet, beaucoup plus incertain à ce stade, consisterait à augmenter la puissance du coeur nucléaire des 20 réacteurs de 1 300 MW pour des gains de 50 MW à 100 MW par unité. Comme précisé supra, un tel projet exigerait de reprendre l'ensemble des études de sûreté avec l'ASN et supposerait de nombreuses heures d'ingénierie. EDF réalise actuellement des études de faisabilité pour décider, à la fin de l'année 2024, du lancement ou non d'un tel programme. En toute hypothèse, les premières traductions concrètes de ce projet ne pourraient pas advenir avant 2030.

5. Il est urgent d'optimiser la durée des arrêts de réacteurs pour maintenance tout en augmentant la durée des cycles de production

La dégradation des indices de performance des opérations de maintenance des réacteurs constitue le principal facteur explicatif du déclin de la production du parc nucléaire. Aussi est-il impératif qu'EDF retrouve la maîtrise industrielle des périodes d'arrêt de ses réacteurs. Par ailleurs, la perspective d'allongement du cycle de rechargement du combustible des réacteurs de 900 MW ouvre aussi des opportunités pour enrayer la baisse continue de la disponibilité du parc électronucléaire français.

a) Il est impératif d'améliorer très sensiblement la maîtrise industrielle des périodes de maintenance des réacteurs

Compte-tenu notamment de l'ampleur des opérations de maintenance actuellement mises en oeuvre, l'optimisation des performances relatives aux durées des arrêts de réacteurs, aussi appelés « arrêts de tranches », apparaît, à court et moyen terme, comme le facteur clé de l'amélioration du facteur de charge des centrales et, par voie de conséquence, de la production annuelle du parc. Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, la DGEC a mis en exergue cet enjeu : « la performance industrielle des arrêts de réacteurs pour maintenance est identifiée comme le principal levier de performance de l'exploitation du parc nucléaire et de la production, et dès lors également comme un enjeu de sécurité d'approvisionnement en électricité ».

Au cours des dernières années, la durée des périodes d'arrêts pour maintenance a beaucoup augmenté. Ce facteur est la principale raison de la chute du coefficient de disponibilité des centrales et, par voie de conséquence, du déclin sensible de la production du parc nucléaire depuis 2006. S'ils participent à ce phénomène, le grand carénage, les effets de la crise sanitaire ou encore les conflits sociaux n'en sont pas les seuls déterminants. La réalisation des opérations d'arrêts de tranches présente en effet des indicateurs de performance particulièrement défavorables qui témoignent d'une dégradation sensible de la maîtrise industrielle de ces arrêts et, plus largement, des opérations de maintenance d'EDF sur son parc électronucléaire.

Ainsi, en 2019, le taux de réussite des phases de mises à l'arrêt, c'est-à-dire le respect de la durée d'interruption du fonctionnement du réacteur qui avait été planifiée, était de 2 %. En 2021 la durée moyenne de prolongation des arrêts par rapport au calendrier prévisionnel était de 25 jours. Faisant le constat d'indicateurs de performance aussi médiocres et dans la perspective d'enrayer la chute continue de la disponibilité des centrales et de la production de son parc nucléaire, EDF a lancé en 2019 un programme baptisé « Start576(*) 2025 » visant à parvenir à regagner la maîtrise industrielle des arrêts de tranches.

Alors que le phénomène de corrosion sous contrainte venait d'être détecté, à la fin de l'année 2021, le ministère de la transition énergétique a demandé un audit indépendant « sur la maîtrise industrielle et l'optimisation des arrêts de réacteurs afin de renforcer la disponibilité du parc nucléaire à moyen terme ». Cet audit a rendu ses conclusions en juin 2022, portant notamment six recommandations accompagnées d'un calendrier de déploiement. Reconnaissant l'intérêt et la pertinence du programme Start 2025, le rapport d'audit a notamment recommandé de mieux le structurer, de le renforcer et d'en accélérer le déploiement. Il a aussi suggéré d'améliorer la qualité des données utilisées pour programmer et piloter les arrêts, de rendre plus efficientes les pratiques de planification des opérations de maintenance ou encore de mieux inclure, très en amont, l'ensemble des parties prenantes, y compris les partenaires extérieurs.

La mise en oeuvre de mesures visant à retrouver la maîtrise industrielle des opérations de maintenance du parc nucléaire historique, notamment dans le cadre du déploiement du programme Start 2025, semble donner de premiers résultats encourageants, même s'ils apparaissent encore insuffisants. Aussi, EDF a-t-elle indiqué à la commission d'enquête qu'en 2023, le taux de réussite des phases de mise à l'arrêt des réacteurs avait progressé pour atteindre 64 % (contre 2 % en 2019) ce qui témoigne notamment d'une meilleure planification des opérations. En parallèle, le nombre de jours moyen de prolongation des arrêts par rapport à la durée cible est passée de 25 jours en 2021 à 18 jours en 2023. Des dispositifs de standardisation ont quant à eux permis de réduire significativement les durées de préparation des arrêts.

Si la commission d'enquête se félicite de ces premiers résultats, elle considère qu'ils ne doivent pas inciter au moindre relâchement. À ce titre, elle juge impératif que l'État exerce un suivi très régulier et très rigoureux des indicateurs de performance du parc nucléaire, tout particulièrement s'agissant de la maîtrise des opérations de maintenance. Ce suivi aurait notamment vocation à s'inscrire dans le cadre du contrat décennal entre l'État et EDF introduit, dans le code de l'énergie, par la loi n° 2024-330 du 11 avril 2024 visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement, à la faveur d'un amendement adopté au Sénat à l'initiative de notre collègue sénatrice Christine Lavarde.

b) L'allongement du cycle de renouvellement du combustible des réacteurs de 900 MW permettra de réduire la fréquence de leurs arrêts

Le cycle de renouvellement du combustible correspond à la période qui sépare deux rechargements en uranium d'un réacteur. Il est aujourd'hui de 12 mois pour les réacteurs de 900 MW et de 18 mois pour les autres. L'allongement de ces cycles permettrait de réduire la fréquence des arrêts pour rechargement et, par voie de conséquence, d'améliorer le coefficient de disponibilité des réacteurs. À l'horizon de leur cinquième visite décennale, EDF envisage de prolonger de 12 à 16 mois les cycles de renouvellement du combustible de ses réacteurs de 900 MW. Ce projet est actuellement en phase d'expertise et nécessitera de reprendre certaines études de sûreté avec l'ASN.

La commission d'enquête considère que cette piste d'amélioration de la disponibilité du parc nucléaire historique est prometteuse et doit être menée à bien dans les meilleurs délais.

Recommandation n° 19

Destinataire

Échéance

Support/Action

Optimiser dans les meilleurs délais la production du parc historique :

- Par l'augmentation de la puissance des réacteurs de 900 MW et, dans un deuxième temps, si l'équation économique, technique et en termes de sûreté est favorable, de la performance des réacteurs de 1300 MW ;

- Par l'amplification des efforts de gains de performance en matière d'arrêts de tranches engagés dans le cadre du programme START ;

- Par l'allongement de la durée des cycles de production entre deux rechargements de combustible pour les réacteurs de 900 MW

EDF

D'ici 2030

Recherche et applications opérationnelles

C. RÉGLER LE CONFLIT DES CONCESSIONS HYDROÉLECTRIQUES EST UNE NÉCESSITÉ URGENTE

Dans son discours de Belfort, le 10 février 2022, le président de la République s'est exprimé en faveur de la poursuite des investissements dans les barrages hydroélectriques, « tout en gardant la pleine maîtrise, et en évitant les mises en concurrence. C'est le coeur du projet que nous allons continuer de mener, en lien étroit, en discussion avec la Commission européenne, et en intimité avec évidemment l'entreprise EDF ».

Or l'avenir du régime juridique des concessions hydroélectriques qui fait l'objet d'un conflit avec la Commission européenne - la France ayant été mise en demeure en 2015 et 2019 - pèse sur le développement de l'énergie hydraulique dans notre pays. Les pistes explorées jusqu'ici par les autorités françaises n'ont, pour l'instant, pas permis de sortir de cette situation de blocage, qui nuit à l'indépendance énergétique de notre pays.

Régler le conflit des concessions hydroélectriques avec la Commission européenne, qui dure désormais depuis près de quinze ans, est une nécessité urgente.

1. Les installations les plus importantes sont régies par le régime des concessions

La France compte aujourd'hui plus de 400 concessions hydroélectriques qui représentent plus de 90 % de la puissance hydroélectrique installée. Ces concessions sont principalement gérées par trois exploitants : EDF, qui fournit 70 % de la production hydroélectrique nationale, la Compagnie nationale du Rhône (CNR), qui y contribue pour 25 %, et la société hydro-électrique du Midi (SHEM), pour 3 %. Outre ces trois acteurs principaux, il existe plus de 70 petits concessionnaires qui exploitent environ 750 MW.

a) Un régime juridique adapté aux enjeux selon la taille des installations

L'hydroélectricité est organisée, en France, selon deux régimes juridiques distincts en fonction de la puissance installée. Elle est réglementée par la loi du 16 octobre 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydraulique, qui stipule que « nul ne peut disposer de l'énergie des marées, des lacs et des cours d'eau [...] sans une concession ou une autorisation de l'État »577(*).

Les installations d'une puissance supérieure à 4,5 MW sont exploitées sous le régime de la concession de service public, tandis que les installations d'une puissance inférieure sont soumises à un régime d'autorisation.

Les petites installations sont généralement la propriété de particuliers, de petites entreprises ou de collectivités territoriales. Leur exploitation nécessite l'obtention d'une autorisation environnementale, délivrée par le préfet pour une durée limitée, dont les règles d'exploitation dépendent des enjeux environnementaux du site concerné.

Les concessions hydroélectriques constituent des concessions de service public, les ouvrages appartiennent à l'État et l'exploitation relève d'un service public. Le concessionnaire dispose ainsi d'un droit exclusif pour exploiter la force hydraulique.

La procédure d'octroi des concessions

La procédure d'octroi des concessions a été précisée dans le livre V du code de l'Énergie par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) et son décret d'application n° 2016-530. En particulier, l'État doit choisir pour chaque concession la meilleure offre compte tenu des trois critères suivants :

- l'optimisation énergétique de l'exploitation de la chute : la mise en concurrence incitera les candidats à proposer des investissements importants de modernisation des installations existantes, et de nouveaux équipements pour augmenter la performance de cette énergie renouvelable ;

- le critère environnemental par le respect d'une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau permettant la conciliation de ses différents usages : les candidats devront proposer une meilleure protection des écosystèmes tout en respectant les usages de l'eau autre qu'énergétiques (protection des milieux aquatiques, soutien d'étiage, irrigation...) ;

- le critère économique par la sélection des meilleures conditions économiques et financières pour l'État et les collectivités territoriales : les candidats devront proposer un taux pour la redevance proportionnelle au chiffre d'affaires de la concession, dont le bénéfice reviendra à l'État et aux collectivités locales.

L'octroi de concessions est également possible sur un secteur géographique nouveau. Cette procédure fait l'objet d'une publication d'un avis de concession, à l'initiative de l'État concédant ou sur proposition d'une personne ou d'un groupement de personnes y ayant intérêt via une demande matérialisée par un dossier d'intention. Cette attribution se fera à l'issue d'une procédure concurrentielle d'attribution suivant les mêmes critères que ceux définis pour le renouvellement des concessions.

Source : ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Les concessionnaires ont la responsabilité des investissements, de la construction et de l'exploitation de l'installation hydroélectrique et se rémunèrent grâce au bénéfice de son exploitation pendant toute la durée de la concession. En contrepartie, le concessionnaire verse une redevance, accorde des réserves en eau et en énergie et doit, à l'issue de la concession, faire un retour gratuit des biens nécessaires à l'exploitation de la concession à l'État, qui peut alors décider de renouveler ou non la concession. Les redevances sont généralement calculées en fonction de la puissance installée et de la production d'électricité des installations hydroélectriques.

Les contrats de concession ont, en général, été conclus pour une durée de 75 ans. Ils viennent progressivement à échéance, selon un calendrier qui s'étale entre 2003 et 2080. Le nombre de concessions échues devraient être de 61 au 31 décembre 2025. Elles ne sont, pour l'instant, pas renouvelées en raison d'un conflit entre la France et la Commission européenne.

La poursuite de l'exploitation des concessions arrivées à échéance est autorisée par la loi sous le régime dit des « délais glissants »578(*). Il s'agit d'une prolongation de fait des contrats en cours, qui ne permet pas cependant de réaliser des investissements en raison des incertitudes juridiques qui pèsent sur ces contrats. Pour atténuer les conséquences financières de cette situation, le législateur a imposé aux concessions échues le paiement, à partir de 2020, d'une redevance spécifique égale à 40 % du bénéfice normatif après impôts. Deux autres mécanismes de prolongation sont également prévus par le code de l'énergie, celui en raison de travaux supplémentaires à effectuer et la méthode des barycentres.

Loi n° 2022-271 du 28 février 2022 relative à l'aménagement du Rhône

La loi n° 2022-271 du 28 février 2022 relative à l'aménagement du Rhône a permis de prolonger la concession du fleuve jusqu'au 31 décembre 2041, sans remise en concurrence. Celle-ci, d'une durée initiale de 75 ans, devait prendre fin le 31 décembre 2023. Ce délai avait, en effet, commencé à courir en 1948, date de l'achèvement du premier ouvrage hydroélectrique sur le Rhône. La concession du Rhône demeure confiée au concessionnaire actuel, la Compagnie nationale du Rhône (CNR), pour 18 années supplémentaires.

Cette loi sécurise et modernise le régime juridique de la concession, dont les fondements ont été posés par la loi du 27 mai 1921 approuvant le programme des travaux d'aménagement du Rhône, de la frontière suisse à la mer, au triple point de vue des forces motrices, de la navigation et des irrigations et autres utilisations agricoles, et créant les ressources financières correspondantes.

La prolongation a été justifiée par la survenance de circonstances imprévisibles : la nationalisation des moyens de production électriques après la Seconde Guerre mondiale au profit d'EDF a empêché l'exploitation effective de la concession par CNR durant 58 ans, de 1948 jusqu'en 2006. La nouvelle date d'échéance de la concession a été choisie en tenant compte de la durée moyenne d'exploitation des 19 ouvrages hydroélectriques situés le long du Rhône. Par ailleurs, pour assurer la compatibilité du projet avec le droit de l'Union européenne, il a été nécessaire d'assurer la neutralité financière de la prolongation de concession. Celle-ci est garantie, en particulier, par le paiement d'une redevance de CNR à l'État, comprenant une part progressive qui est fonction des prix sur le marché de l'électricité.

b) Des dispositions fixées par la directive « concessions » de 2014

Le régime des concessions hydroélectriques est régi par la directive 2014/23/UE relative à l'attribution des contrats de concession. Cette directive a été transposée en droit français par l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession et le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession. Ces textes ont ensuite été codifiés au sein du code de la commande publique.

La directive de 2014 sur l'attribution de contrats de concession établit les procédures pour la passation des contrats de concession de service ou de travaux. Elle procède à une définition d'une concession, en précisant qu'il s'agit d'un contrat à titre onéreux conclu par écrit, par lequel un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs ou des entités adjudicatrices attribuent à un tiers, en dehors des contrats de marchés publics, la fourniture et/ou l'exploitation de travaux ou de services.

Elle pose le principe d'une mise en concurrence obligatoire lors de l'attribution initiale d'une concession, à son renouvellement à échéance, ou en cas de modification substantielle non prévue au contrat initial.

Les autorités adjudicatrices doivent veiller à la transparence des procédures de passation des contrats de concession en assurant une publicité adéquate et suffisante des avis de marché. Les principes fondamentaux de non-discrimination et d'égalité de traitement doivent être respectés lors de la passation des contrats de concession. Les autorités adjudicatrices doivent définir des critères objectifs et transparents pour la sélection des concessionnaires, ainsi que des procédures de passation de contrat équitables et non discriminatoires.

La directive encadre la durée des contrats de concession, qui ne doit pas excéder le temps raisonnablement escompté par le concessionnaire pour qu'il recouvre les investissements réalisés avec un retour sur les capitaux investis. La durée du contrat doit ainsi correspondre à celle nécessaire à l'amortissement économique du contrat. La modification du contrat est admise en cours d'exécution sans contraindre l'autorité concédante à une obligation de remise en concurrence de son titulaire, dès lors qu'elle n'entraîne qu'« une variation mineure de la valeur de la concession »579(*).

2. Un conflit historique avec la Commission européenne

Le renouvellement des concessions hydroélectriques françaises fait l'objet d'un pré-contentieux entre la Commission européenne et les autorités françaises. Malgré plusieurs lettres de mise en demeure, les autorités françaises n'ont pas apporté, pour l'instant, de réponses qui satisfassent les services de la Commission.

a) La procédure de mise en concurrence des concessions au coeur du conflit
(1) Une procédure d'infraction fondée sur la violation des règles européennes de la commande publique

Une procédure d'infraction580(*) a été émise à l'encontre de la France en 2003. La Commission européenne a alors mis en cause le droit de préférence accordé par la législation française applicable au concessionnaire sortant.

Cette procédure d'infraction a contraint à une adaptation du régime français des concessions hydroélectriques aux règles de mise en concurrence. Les assurances fournies par la France de ne pas appliquer le droit de préférence et de renouveler l'ensemble des concessions dans le cadre d'une procédure de mise en concurrence ont conduit au désistement, en 2008, de la Commission européenne dans l'affaire qui était déjà pendante devant la Cour de justice de l'Union européenne.

La publication du décret n° 2008-1009 du 26 septembre 2008581(*) a modifié en ce sens les règles relatives à la concession et à la mise en concurrence des ouvrages hydroélectriques en France. Il a supprimé le « droit de préférence » du concessionnaire sortant lors du renouvellement de la concession et a posé le principe d'une mise en concurrence obligatoire des concessions hydroélectriques lors de leur renouvellement. L'article R. 521-6 du code de l'énergie, issu de ce décret, dispose ainsi que « l'octroi d'une concession d'énergie hydraulique est précédé d'une publicité et d'une mise en concurrence selon les modalités prévues par la présente sous-section ». La commission d'enquête tient à faire observer que ce décret est toujours en vigueur.

Un calendrier de renouvellement concurrentiel des concessions a, par ailleurs, été arrêté, en 2008, par la direction générale de l'énergie et du climat, qui n'a cependant pas été mis en oeuvre. Les autorités françaises s'étaient aussi engagées, dans un courrier adressé à au Secrétariat général de la Commission européenne, à ce que toutes les concessions fassent l'objet d'une mise en concurrence lors de leur renouvellement582(*).

Alors que la France avait assuré la Commission européenne qu'elle procéderait à une mise en concurrence des concessions arrivées à échéance, la situation n'a connu aucune évolution, ce qui a conduit cette dernière à renouer des discussions sur ce point avec les autorités françaises afin qu'elles tiennent leurs engagements. Les réponses de la France n'ont pas permis de lever les doutes de la Commission, ce qui l'a conduit à lui envoyer une nouvelle lettre de mise en demeure.

La commission d'enquête constate que ce contentieux a des racines anciennes : il dure, en réalité, depuis plus de vingt ans. Cette longévité interroge sur la volonté des gouvernements successifs d'aboutir à une solution négociée avec la Commission européenne.

(2) De nouvelles mises en demeure fondées sur la violation des règles européennes de la concurrence

Une nouvelle mise en demeure, en octobre 2015583(*), a donc été adressée à la France visant uniquement les installations exploitées par EDF, la Commission européenne estimant que cette situation était constitutive d'une position dominante du fait que l'entreprise exploite 80 % du parc français. La prolongation des contrats reviendrait, pour la Commission européenne, à conforter cette position dominante. Cette situation est donc jugée incompatible avec les règles de concurrence de l'Union européenne.

À la suite de cette mise en demeure, des contacts se sont poursuivis entre la Commission européenne et les autorités françaises sur les questions relatives, d'une part, au droit de la commande publique et, d'autre part, à la concurrence. Cependant, ils n'ont pas permis d'aboutir à des résultats tangibles pour aucun de deux volets du dossier.

En mars 2019, une nouvelle mise en demeure584(*) est adressée à la France, ainsi qu'à sept autres États membres585(*), pour non-respect des règles de mise en concurrence et de la commande publique. La Commission considère que ces obstacles à la mise en concurrence constituent des violations des dispositions du TFUE relatives à la liberté d'établissement et à la liberté de prestation de services. Le dossier est suivi par les directions générales de la concurrence et du marché intérieur de la Commission.

b) Les arguments juridiques soulevés par la Commission européenne

La Commission européenne pose le principe que les contrats des concessions hydroélectriques sont des contrats de concession au sens du droit de la commande publique, dans la mesure où elles ont pour objet une prestation de services déterminée ou définie par l'autorité publique. Cet argument n'est pas contesté par la France.

(1) L'absence de procédure de mise en concurrence pour le renouvellement des concessions arrivées à échéance

À l'heure actuelle, un certain nombre de concessions sont arrivées à échéance et n'ont pas fait l'objet de procédures de mise en concurrence aux fins de renouvellement. Elles continuent, à titre temporaire et transitoire, à être exploitées selon la procédure dite des « délais glissants »586(*). Or, la Commission européenne considère que la durée de prolongation des concessions qui peut atteindre plusieurs années, alors même qu'aucune procédure de mise en concurrence pour les concessions arrivées à échéance n'est lancée, est contraire au droit européen. Elle estime que l'absence de tout début de mise en oeuvre d'une procédure de mise en concurrence de ces concessions constitue :

- soit une prolongation de contrats arrivés à échéance et, partant, une modification de ces contrats contraire au droit européen de la commande publique puisque cette possibilité n'est pas prévue par la directive, créant ainsi une attribution de fait de nouveaux contrats de concessions en faveur des concessionnaires sortants ;

- soit une attribution directe de fait de nouveaux contrats de concession en faveur des concessionnaires sortants, aussi contraire à la directive « concessions ».

En outre, l'absence de procédure de mise en concurrence pour le renouvellement en temps utile des concessions hydroélectriques arrivées à échéance, depuis les différentes mises en demeure qui ont été adressées à la France, constitue, pour la Commission européenne, une violation du droit européen de la commande publique587(*), alors même que les autorités françaises s'y étaient engagées dès 2006. En conséquence, elle estime que les décisions de renouvellement et d'octroi de concessions hydroélectriques prises en faveur d'EDF, depuis le 26 septembre 2008, ne sont pas conformes aux principes de liberté d'établissement et de libre prestation des services à l'intérieur de l'Union.

Par ailleurs, elle considère que la prolongation des concessions sur la base des conditions antérieures, prévues dans le cahier des charges, est de nature à constituer une aide d'État, au profit du concessionnaire qui en est le bénéficiaire, incompatible avec le bon fonctionnement du marché intérieur. En conséquence, cette prolongation doit en principe être notifiée à la Commission européenne pour vérification de sa validité avec le droit européen.

(2) La non-conformité de la dérogation autorisant la prolongation des concessions pour travaux prévue par le code de l'énergie

La Commission européenne considère que la dérogation prévue par l'article L. 521-16-3 du code de l'énergie qui autorise la prolongation de la durée des concessions hydroélectriques existantes pour réaliser des travaux visant à respecter les objectifs environnementaux fixés par la réglementation n'est pas prévue par l'article 43 de la directive « concessions ».

Pour la Commission, les dérogations aux règles visant à garantir l'effectivité des droits reconnus par le droit communautaire dans le secteur des marchés publics doivent faire l'objet d'une interprétation stricte et se limiter aux possibilités expressément prévues par la directive visée. La prolongation des contrats pour des raisons de politique énergétique ne figure pas parmi les dérogations expressément prévues par la directive. « En effet, la Commission ne pouvant se résoudre à l'idée d'absence d'effet utile de l'article L.521-16-3, seule demeure l'interprétation selon laquelle cette disposition crée une possibilité additionnelle de modification des contrats de concession non-prévue à l'article 43 »588(*).

(3) La non-conformité des dispositions transitoires prévues par le décret du 26 septembre 2008 

La Commission européenne estime aussi que les dispositions transitoires qui figurent à l'article 36 du décret n° 2008-1009 du 26 septembre 2008 qui concerne les concessions hydroélectriques arrivant à échéance dans les six ans et demi suivant la publication du décret, même si elles sont antérieures à la publication de la directive « concessions », méconnaissent les exigences de transparence résultant directement du droit européen primaire, qui étaient « connues et pleinement applicables »1.

Elle rappelle que, par conséquent, le pouvoir adjudicateur doit « garantir, en faveur de tout soumissionnaire potentiel, un degré de publicité adéquat permettant une ouverture du marché des services à la concurrence ainsi que le contrôle de l'impartialité des procédures d'adjudication » 1.

Cet argument a conduit à considérer que les décisions de renouvellement et d'octroi de concessions en faveur d'EDF589(*), à partir de la date du décret, soit le 26 septembre 2008, n'étaient pas conformes aux traités.

c) Le difficile dialogue entre la Commission européenne et les autorités françaises

Selon les documents qui ont été portés à la connaissance de la commission d'enquête, les échanges entre les autorités européennes et la France sur ce sujet sont particulièrement tendus. Les marges de manoeuvre pour échapper à la mise en concurrence semblent, à ce titre, étroites.

C'est un « dialogue de sourd » qui semble s'être instauré entre la France et la Commission européenne à ce propos au fil du temps. Même si les ministres successifs en charge de ce dossier affichent leur confiance pour un règlement dans les prochains mois, les éléments relatifs aux contacts qui ont eu lieu, depuis le début des années 2000, mentionnés dans la lettre de mise en demeure adressée à la France, le 7 mars 2019, ne plaident pas en faveur d'une issue rapide. L'ancienne ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, en a d'ailleurs attesté, lors de son audition devant la commission d'enquête, le 30 avril 2024, « Les représentants de la Commission indiquent qu'ils seront obligés d'instruire le dossier et que cela ne sera pas facile ».

Ainsi, dans sa lettre de mise en demeure, la Commission européenne relève que « les contacts intervenus entre 2015 et 2018 n'ayant pas donné de résultats tangibles pour aucun des deux volets de ce dossier », et « malgré plusieurs relances, les autorités françaises ont interrompu depuis le mois de juin 2018 tout échange avec les services de la Commission dans le cadre de la procédure en cours au titre de l'article 106 TFUE ». Elle ajoute même que les autorités françaises « ne sauraient donc se prévaloir de l'existence d'échanges qu'elles ont elles-mêmes interrompus depuis plusieurs mois pour tenter de justifier une situation qui perdure depuis plusieurs années et qui constitue, en tout état de cause, une violation de la directive 2014/23/UE ».

S'agissant du dialogue entre Paris et Bruxelles, la commission d'enquête s'étonne de la faiblesse des communications entre les ministères concernés et la Commission européenne.

Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, la DGEC indique ainsi : « En 2023, la Commission européenne est revenue vers la France pour connaître les suites qu'elle comptait donner aux deux contentieux relatifs au droit de la concurrence (DG COMP 2015) et à celui du droit de la commande publique (DG GROW 2019).

Les autorités françaises ont alors indiqué à la Commission qu'elles analysaient une nouvelle option, qui consistait à changer de régime pour l'exploitation de l'énergie hydraulique et à passer d'un régime de concession à un régime d'autorisation. ».

C'est donc la Commission européenne qui prend l'initiative et non le Gouvernement.

À la question portant sur les éventuelles consultations juridiques sollicitées par l'État sur ce dossier, la DGEC n'avance que deux documents : une réponse du 8 novembre 2023 à une saisine adressée à la direction des affaires juridiques du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et une réponse du 20 octobre 2023 à une saisine adressée par la DGEC à son conseil juridique. Deux saisines datant donc de la fin de 2023.

Interrogée sur l'échéancier prévisible de la résolution du différend juridique entre la France et la Commission européenne, la DGEC n'a pas été en mesure de donner davantage de précisions que : « L'objectif du gouvernement est de résoudre les précontentieux au plus vite... ». Un échéancier somme tout assez souple, mais qui n'est pas de nature à convaincre la commission d'enquête que le Gouvernement pousse les feux sur le sujet.

Enfin, questionnée sur la nature des dernières instructions transmises à notre Représentation permanente à Bruxelles pour la résolution du différend sur les concessions, la DGEC a répondu : « Aucune instruction n'a été envoyée à ce stade à la représentation permanente à Bruxelles ».

Tout se passe comme si le Gouvernement et ses services étaient en réalité paralysés entre leur conviction, en leur for intérieur, que le contournement de la mise en concurrence était impossible et la volonté d'EDF, encouragée par les déclarations des plus hautes autorités de l'État, comme dans le cas du discours de Belfort, d'éviter cette mise en concurrence.

Mais que peut-il sortir d'une telle attitude si ce n'est la prolongation indéfinie du différend ?

3. Les pistes explorées par les autorités françaises pour échapper à une mise en concurrence

Plusieurs pistes ont été explorées par les autorités françaises afin de soustraire à l'obligation de mise en concurrence le renouvellement des concessions hydroélectriques et les contraintes prévues par les dispositions encadrant la modification des contrats de concession.

L'option de la procédure de mise en concurrence est, en effet, écartée très vite, bien avant l'adoption de la directive « concessions » de 2014. La création d'une quasi-régie pour les concessions hydroélectriques a été étudiée dans un premier temps, avant que ne soit envisagé la possibilité de placer les barrages hydroélectriques sous le régime d'autorisation d'exploitation. Dans sa réponse à la commission d'enquête, la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) indique qu'aucune décision n'a été prise à ce stade.

Lors de son audition devant la commission d'enquête, le 18 mars 2024, Alix Perrin, professeur agrégée de droit à l'Université Paris Dauphine-PSL, a ainsi résumé les solutions qui s'offrent à l'État : « Le gouvernement dispose de trois options pour régler la question des concessions hydroélectriques. La première consiste à jouer le jeu de la mise en concurrence, ce qui n'est pas si grave du point de vue de la puissance publique et des usagers. [...] La deuxième option réside dans la quasi-régie. Enfin, la troisième option tient dans ce que vous avez appelé le régime d'autorisation. Le gouvernement semblerait envisager l'adoption d'une loi qui, après avoir déclassé les ouvrages du domaine public, les céderait au concessionnaire sortant qui bénéficierait par la loi d'un régime d'autorisation pour exploiter ces ouvrages dont l'assiette demeurerait sur le domaine public ».

a) La mise en concurrence, la piste écartée

Le cadre juridique national et européen permet au pouvoir adjudicateur d'attribuer une concession publique de deux manières, soit en la mettant en concurrence, soit en l'attribuant discrétionnairement à un opérateur public sur lequel il exerce un contrôle analogue à celui sur ses propres services, dispositif dit de « quasi-régie ». La France reconnaît que le renouvellement du contrat d'une concession hydroélectrique relève bien de la définition de contrat de concession de services au sens de la directive de 2014.

Le code de la commande publique prévoit, en effet que les contrats échus ou faisant l'objet de modifications substantielles sont remis en concurrence. Cette option retenue par le gouvernement, en 2010, a été rapidement écartée, au regard des difficultés opérationnelles, administratives et conceptuelles qu'elle présentait.

Plusieurs critiques ont été formulées par les autorités françaises à la procédure de mise en concurrence d'un point de vue opérationnel :

- la nécessité de procéder à des regroupements de concessions par vallée dans un objectif d'optimisation des chaînes hydrauliques ;

- la longueur de la procédure à mettre en oeuvre, estimée à au moins deux ans, et de renouvellement ;

- le risque de contentieux de telles procédures.

La DGEC, dans sa réponse à la commission d'enquête, évalue la durée d'une procédure de renouvellement, sans regroupement de concessions préalable, à au moins quatre ans, entre la préparation de la procédure, la sélection du concessionnaire pressenti et l'instruction de la demande de concession. Elle fait observer que « la première étape de cette procédure pourrait être menée avec un chevauchement des procédures avec la dernière année de réalisation des regroupements, de telle sorte que la procédure totale durerait au moins 5 ans », sans réelle possibilité d'en réduire les délais.

Le Gouvernement considère que cette option serait susceptible de présenter des risques de dégradation des ouvrages en cas de changement d'exploitant au regard des enjeux d'optimisation de la production électrique, de maîtrise de la sûreté des ouvrages et de gestion de la ressource en eau qui reposent sur une expérience d'exploitation suffisamment longue. Selon la réponse adressée à la commission d'enquête par la DGEC, « Des changements d'exploitants périodiques pourraient ainsi causer une sous-optimisation du patrimoine hydroélectrique voire des difficultés liées à la préservation du plus haut niveau de sûreté des ouvrages ».

Mais, sur ce dossier, on peut avoir le sentiment que le Gouvernement se fait avant tout le porte-parole d'EDF qui est farouchement hostile au principe de mise en concurrence. Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, EDF avance à cet égard trois inconvénients de la mise en concurrence qui aurait à ses yeux des impacts très forts sur :

- la gestion de l'eau et les multiusages associés ;

- la sûreté et la sécurité publique ;

- l'extrême complexité qu'il y aurait à transmettre à un nouvel opérateur des barrages hydroélectriques existants.

En filigrane, on perçoit que l'entreprise redoute peut-être surtout un conflit social dur si un projet de mise en concurrence devait revoir le jour.

Le rapporteur fait cependant observer que le code de l'énergie, dans son article R. 521-8 relatif à l'octroi des concessions, prévoit la possibilité pour l'autorité administrative compétente d'« inviter les candidats admis à présenter une offre à participer à une phase d'échanges préliminaires », dans le respect d'une stricte égalité et du droit des affaires. Compte tenu des particularités des concessions hydrauliques, cette phase permet de mieux appréhender les aspects techniques, environnementaux et financiers des offres présentées par les différents candidats. En d'autres termes, mise en concurrence ne signifie pas nécessairement éviction d'EDF. Si l'entreprise est en capacité de montrer que son expérience, les compétences qu'elle agrège, le service qu'elle fournit sont de nature à assurer l'optimisation de la concession, le concédant peut être amené à la choisir. Compte tenu d'une expérience plus que centenaire, EDF a-t-elle vraiment quelque chose à craindre ?

L'intérêt d'un renouvellement des concessions hydroélectriques dans le cadre d'une mise en concurrence serait, en effet, de nature à régler le conflit avec la Commission européenne. Lors de la table ronde sur l'énergie hydraulique, Alix Perrin, professeur agrégé de droit à l'université Paris-Dauphine PSL, a, d'ailleurs, précisé que « La puissance publique, lorsqu'elle souhaite confier la gestion d'un service public, a souvent intérêt à ne pas réduire la concurrence. En outre, cette procédure transparente n'a rien à voir avec les procédures formalisées, lourdes, coûteuses et risquées, prévues en matière de marchés publics ».

Selon la Cour des comptes, la procédure de mise en concurrence des concessions se heurte à des difficultés opérationnelles en termes de modalités de la redevance (captation de la rente en cas de hausse importante des prix de l'électricité) et de durée de la concession. Elle recommande aussi « de prendre en compte les conséquences industrielles, économiques et financières en sus des considérations juridiques, au moment d'opter soit pour la reprise en régie ou quasi régie des concessions hydroélectriques échues, soit pour leur mise en concurrence, à l'unité ou par regroupements »590(*).

Cependant, au-delà des arguments techniques et quelle qu'en soit l'intérêt sur le fond, si l'on en juge par les prises de positions tant du président de la République que de certains ministres, il semble que les conditions, en France, d'acceptabilité politique et sociale d'une procédure de mise en concurrence pour les concessions hydroélectriques ne sont pas actuellement réunies. Sans doute est-ce la raison de fond qui explique la lenteur, pour ne pas dire l'immobilisme, du Gouvernement en la matière. Il n'empêche, la commission d'enquête ne peut que s'étonner de constater que l'exécutif n'ait pas véritablement pris ce sujet à bras le corps. Le fait que des intérêts inconciliables soient en jeu n'est pas une raison suffisante pour ne rien faire, surtout, si, comme en l'espèce, cela conduit à geler les perspectives de développement d'une électricité décarbonée, techniquement parfaitement maîtrisée et qui fait l'objet d'un consensus.

b) La « quasi-régie », une solution inscrite dans la directive « concession »

Comme l'a indiqué Pierre Jérémie, ancien directeur de cabinet adjoint de la ministre de la transition écologique, lors de son audition par la commission d'enquête, le 15 mai 2024, « la piste d'un placement en quasi-régie a été explorée de manière approfondie entre 2019 et 2021, en tant que seule solution inscrite dans la directive concessions 2014/23/UE permettant d'échapper à une mise en concurrence, conformément aux annonces inscrites dans le discours de Belfort ». L'État a, en effet, la possibilité d'attribuer de gré à gré certaines concessions à une entité, sans mise en concurrence préalable, dans le cadre des exceptions prévues par la directive concessions.

Le régime de la quasi-régie, prévu par la directive de 2014 et par le code de la commande publique, permet aux concessions de déroger, sous certaines conditions, à la mise en concurrence. Elle suppose, aux termes de l'article 17 de la directive, de réunir trois conditions cumulatives :

- que l'État « exerce sur la personne morale concernée un contrôle analogue à celui qu'il ou elle exerce sur ses propres service » ;

- que plus de 80 % des activités de la quasi-régie soient exercées dans le cadre des activités concernées ;

- l'absence de participation de capitaux privés à la quasi-régie, à l'exception des formes de participation de capitaux privés sans capacité de contrôle ou de blocage.

Lors de la table ronde sur l'hydroélectricité organisée par la commission d'enquête, Alix Perrin, professeur de droit à l'Université Paris Dauphine-PSL a précisé que « Du point de vue juridique, la quasi-régie n'est pas possible dans chaque cas de figure. Il faut d'abord que l'opérateur économique soit détenu par l'un des pouvoirs adjudicateurs, l'État ou d'autres collectivités territoriales. Ce pouvoir adjudicateur doit exercer un contrôle, même si la directive a ajouté une possibilité de participation de capitaux privés extrêmement minoritaires, sans pouvoir de décision dans l'organisation »591(*).

Cette solution, qui présente des garanties juridiques, a été envisagée par le gouvernement français, au cours de la période 2019-2021. Elle induisait cependant une déconsolidation de la composante hydroélectrique du groupe EDF.

Cette déconsolidation au plan opérationnel posait plusieurs difficultés à EDF, « attaché au maintien d'une consolidation amont-amont pour des raisons organisationnelles, commerciales, et managériales », selon Pierre Jérémie, ancien directeur de cabinet adjoint de la ministre de la transition écologique. Par ailleurs, certains acteurs de la filière hydraulique sont opposés à cette solution de quasi-régie, estimant qu'elle ne devrait concerner que les concessions d'EDF. En effet, cette solution imposerait le rachat des concessions non encore échues.

La Cour des comptes estime que cette option repose « d'abord sur la recherche d'une solution juridique permettant d'éteindre les contentieux en cours au niveau européen, sans que les conséquences économiques et financières de ce schéma ne soient clairement énoncées »592(*). Toutefois, elle considère qu'elle permettrait « d'éviter une désoptimisation de la production hydroélectrique tant au niveau local, le maintien d'un opérateur unique permettant de gérer au mieux les chaînes hydrauliques, qu'au niveau national, les compensations entre toutes les concessions permettant d'éviter la mise en difficulté des installations moins rentables en situation de prix bas »593(*).

c) Le régime d'autorisation, la piste alternative proposée récemment par EDF

Le passage d'un régime de concession vers un régime d'autorisation d'exploiter, sur le modèle des autres modes de production d'électricité, a commencé à être exploré au début de l'année 2023, selon les documents qui ont été transmis à la commission d'enquête par la DGEC et EDF. Cette option supposerait de modifier le cadre juridique existant pour l'hydroélectricité.

L'article 16 de l'avant-projet de loi sur la souveraineté énergétique, présenté le 8 janvier 2024, puis retiré, proposait, d'ailleurs, d'habiliter le gouvernement à réformer le régime juridique actuel des installations hydroélectriques de puissance supérieure à 4.5 MW par ordonnance en les plaçant sous le régime d'autorisation d'exploiter.

À ce jour, le passage d'un régime de concessions vers celui d'autorisations est l'option privilégiée par EDF et par les autorités françaises pour trouver une issue au conflit avec la Commission européenne relatif aux concessions hydroélectriques.

La commission d'enquête relève que ce choix avait été opéré par le Gouvernement dans son avant-projet de loi sur la souveraineté énergétique alors même que les autorités françaises n'avaient pas obtenu l'aval de la Commission européenne sur une telle évolution. Lors de son audition par la commission d'enquête, le 15 mai 2024, Pierre Jérémie, ancien directeur adjoint du cabinet d'Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique de 2022 à 2024, a fait observer que « toute solution nouvelle qui prétend lever toutes les difficultés d'un problème auquel pendant quinze ans l'administration comme EDF avaient échoué à trouver une solution mérite d'être abordée avec prudence et circonspection ».

La DGEC reconnaît, dans sa réponse à la commission d'enquête, que « Toutefois, la possibilité juridique de céder de gré à gré les installations à leur ancien exploitant doit être confirmée par rapport au droit européen ».

Pour EDF, le régime d'autorisation est de nature à apporter une réponse aux mises en demeure adressées par la Commission européenne à la France. Il permettrait de relancer les investissements dans le secteur hydroélectrique, nécessaires à son développement. Cependant, une telle modification nécessite un transfert de propriété de l'ensemble des ouvrages concédés à tous leurs anciens exploitants, et pas seulement à EDF, et par conséquent, il implique d'établir des estimations des montants de résiliation et de cession par des experts indépendants.

Le régime d'autorisation est utilisé, en France, pour tous les moyens de production d'électricité. Son adoption pour l'ensemble des concessions hydroélectriques aurait pour conséquence d'en faire le régime d'unique pour l'exploitation de toutes les installations de production d'électricité en France.

D'après les réponses apportées par la DGEC et EDF à la commission d'enquête, les étapes nécessaires à la mise en oeuvre de ce schéma sont les suivantes :

- la résiliation des contrats de concession en cours par anticipation et de ceux placés sous le régime dit des délais glissants et le versement d'une indemnité déterminée par la loi ;

- le déclassement du domaine public des biens appartenant à l'État et leur transfert aux concessionnaires intéressés ;

- le paiement par les concessionnaires intéressés du prix de cession des ouvrages, qui devra faire l'objet d'une évaluation préalable indépendante ;

- le transfert de propriété des biens à la date du versement du prix de cession ;

- la délivrance d'une autorisation d'exploiter ces ouvrages aux nouveaux propriétaires, assortie d'un cahier des charges fixant les obligations du titulaire (gestion de l'eau, relations avec les collectivités territoriales et parties prenantes, redevances...) ;

- la mise en place d'une redevance sur la force hydraulique dont l'assiette et le taux restent à définir dans le cadre du prix de cession.

Les concessions hydroélectriques, en cours et placées sous le régime dit des délais glissants, seraient résiliées à la date d'entrée en vigueur de la loi, à l'exception de celle de la CNR en raison de ses particularités.

Le régime d'autorisation prévoit que toute installation de production d'électricité utilisant un type d'énergie est réputée autorisée dès lors que sa puissance installée est inférieure ou égale au seuil fixé pour ce type d'énergie.

La mise en place de ce régime d'autorisation ne modifierait ni le niveau d'exigence en matière d'environnement et de sûreté applicable aux ouvrages autorisés, ni les compétences de l'État et des collectivités pour assurer le respect de ces exigences.

Cependant, le transfert vers un régime d'autorisation ne peut avoir lieu qu'après avoir procédé au déclassement du domaine public des ouvrages hydrauliques, puis à un acte de vente. La loi de 1919 sur les concessions hydrauliques, souvent considérée comme une loi de nationalisation des usages de l'eau, a, en effet, posé le principe de la domanialité des ouvrages hydrauliques. Or, devant la commission d'enquête, Pierre Jérémie, a souligné que « cette approche de bascule en autorisation est profondément disruptive du point de vue des principes. Il s'agit en effet de revenir sur le principe de placement au sein du domaine public inaliénable des ouvrages établis dans les fleuves, principe qui remonte non pas à la Révolution française mais à l'Ancien Régime, à l'édit de Moulins de 1567. Cet édit plaçait dans le domaine royal inaliénable les ouvrages fluviaux situés dans la juridiction du parlement de Paris. Ce principe est resté intouché par les législateurs depuis quasiment 500 ans. Au-delà de cet argument d'autorité, on peut observer que nos prédécesseurs avaient choisi, voilà plus de cent ans, dans la loi concession, un régime concessif, certainement pour des raisons de cohérence avec ce principe de propriété publique des ouvrages installés dans les fleuves »594(*).

La sortie du régime concessif suppose, en effet, le transfert de plein droit des ouvrages hydrauliques au titulaire actuel de la concession (donc surtout de l'État vers EDF), contre le paiement d'une indemnité à l'État en cas de transfert avant l'échéance de la concession et d'une soulte représentant la valeur de l'ouvrage définie par une expertise indépendante, ouvrage par ouvrage, sur la base de différents critères financiers, économiques et environnementaux, validée par la Commission européenne. Or, cette cession pourrait être considérée par Bruxelles comme une forme d'aide d'État si le prix accepté par le vendeur et l'acheteur n'est pas fixé à un niveau suffisant. L'indemnité de résiliation serait ainsi calculée sur la base du manque à gagner à compter de la résiliation jusqu'au terme normal de la concession et à la part non amortie des dépenses inscrites ou éligibles au registre, prévue par l'article L. 521-15 du code de l'énergie.

Selon les indications communiquées par EDF à la commission d'enquête, il semblerait que les conditions de prix pour un transfert de propriété n'aient pas été, pour l'instant, évoquées, ni avec le Gouvernement ni avec la Commission européenne. Les échanges entre l'État et EDF se focaliseraient, pour l'instant, sur la recherche d'une solution juridique pour mettre fin au conflit avec la Commission européenne. Cependant, la commission d'enquête tient à souligner que le sujet du prix d'acquisition des barrages n'a pas été intégré dans la trajectoire financière d'EDF dont elle a pu prendre connaissance.

Un certain nombre d'acteurs économiques sont fortement opposés à cette option, arguant des risques majeurs qu'elle présente et qui ne permet pas de lever les principaux griefs de la Commission à l'égard de la France. Ces difficultés ont été ainsi soulevées par Pierre Jérémie, lors de son audition : « D'une part, il y a les positions très tranchées de certains fournisseurs alternatifs, qui avaient qualifié cette approche de « provocation ». C'est, en particulier, le cas de l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG), qui a fait de ces inquiétudes sur le choix par le Gouvernement d'une telle solution. Certaines analyses juridiques, notamment celles demandées par le ministère en charge de la transition énergétique, semblent confirmer ces risques, comme le rapporte, Pierre Jérémie, lors de son audition par la commission d'enquête : « D'autre part, les risques juridiques que j'avais identifiés à l'été 2023 ont été confirmés par les analyses tant des services que des cabinets de conseil juridique du ministère. Une note d'avocat du cabinet Linklaters, qui figure probablement dans les documents que vous avez sollicités, montre qu'il existe des difficultés ».

Comparaison des avantages / inconvénients des trois options

 

Mise en concurrence

Quasi-régie

Autorisation

Avantages

Permet de mettre fin au contentieux avec la Commission européenne 

Peut être de nature à ce que le concessionnaire retenu veille à une meilleure performance du dispositif et à optimiser ses process

Maintien de la capacité d'optimisation de la production hydroélectrique sous réserve de la nécessaire organisation des opérateurs

Optimisation financière éventuelle

Pas d'obligation de mise en concurrence préalable pour EDF 

Maintien de la capacité d'optimisation de la production hydroélectrique

Maintien d'un opérateur unique pour une gestion optimale des chaînes hydrauliques 

Applicable à tous les concessionnaires 

Régime juridique de tous les autres moyens de production d'électricité en France 

Pas d'obligation de mise en concurrence préalable 

Maintien de la capacité d'optimisation de la production hydroélectrique 

Inconvénients/Difficultés

Impacts éventuels sur la gestion de l'eau et des multi-usages associés et sur la sûreté et la sécurité publique si le nouveau concessionnaire n'est pas EDF 

Perte d'un historique de connaissances des installations et des enjeux liés à l'hydroélectricité par les nouveaux opérateurs des barrages si le nouveau concessionnaire n'est pas EDF 

Risques de désoptimisation de l'exploitation des chaînes d'ouvrages si plusieurs concessionnaires différents sont retenus 

Nécessité de procéder au regroupement des concessions par vallée ;

Délais et lourdeurs administratives de la procédure 

Transferts de personnels

Contrôle de l'État qui rend son mode de gouvernance et de fonctionnement peu adaptée à la gestion d'ouvrages hydroélectriques

Ne s'applique qu'à EDF ;

Éventuelles contreparties demandées à EDF par la Commission européenne ;

Maintien de la mise en concurrence pour les acteurs non détenus à 100 % par une entité publique 

Impacts éventuels sur les bénéfices d'une gestion intégrée du système et sur désoptimisation du parc 

Ne met pas fin à la procédure de mise en demeure de la Commission européenne en raison de la position dominante d'EDF

Transferts de personnels

Transfert des ouvrages aux exploitants ; remise en question des règles de domanialité des barrages

Coût d'acquisition des ouvrages par les exploitants ; nécessité de réaliser une expertise indépendante, une évaluation insuffisante pouvant être assimilée à une aide d'État ;capacité de financement des ouvrages des exploitants, notamment pour EDF compte tenu de son endettement et de ses projets de développement

Délais de mise en oeuvre

A jusque-là fait l'objet d'un refus constant de la Commission européenne et ne met pas fin à la procédure de mise en demeure, sauf revirement de la Commission européenne

4. La délicate question de la compatibilité avec le droit européen

Afin de résoudre le différend avec la Commission européenne et d'éviter une procédure contentieuse dont la Cour des comptes a évalué le risque de coût, en cas de condamnation de la France, qui pourrait aller jusqu'à 727 000 euros par jour d'astreintes595(*), les autorités françaises doivent lever les obstacles juridiques que pourrait soulever la Commission concernant le schéma envisagé de passage d'un régime de concession à celui d'autorisation pour l'ensemble du parc hydraulique français. Il s'agit donc d'examiner si les modalités prévues par ce schéma respectent les règles et principes établis par la législation européenne en vigueur.

a) La porte très étroite ouverte par les textes européens

Le conflit avec la Commission européenne repose sur une interprétation des règles de la commande publique, telles qu'elles sont prévues par la directive « concessions » de 2014596(*), et des règles de liberté d'établissement et de prestation de services, inscrites dans la directive « services dans le marché intérieur » de 2006597(*).

Pour le Gouvernement, l'option retenue devrait permettre de ne pas soumettre les concessions échues, à échoir ou celles dont le contrat fait l'objet de modifications substantielles, à la procédure de mise en concurrence.

Les informations qui ont été portées à la connaissance de la commission d'enquête relèvent plusieurs obstacles juridiques au regard des critères de conformité au droit européen du régime d'autorisation pour les installations hydroélectriques. Selon l'argumentaire développé devant la commission par le professeur Alix Perrin, les deux directives créent une obligation d'attribution des concessions ou d'un régime d'autorisation dans le cadre d'une procédure de mise en concurrence, et interdisent le renouvellement automatique. Elle rappelle toutefois que ces règles prévoient des dérogations et estime « que le gouvernement français est en mesure d'apporter des éléments qui justifieraient de déroger aux règles de mise en concurrence. La porte est étroite, mais elle existe ».

La voie d'une négociation avec la Commission sur le motif de raisons impérieuses d'intérêt général pourrait ainsi être envisagée pour justifier un régime dérogatoire à la mise en concurrence. « Les règles du droit de l'Union européenne ne sont pas qu'un carcan qui imposerait une solution univoque. Les gouvernements ont la possibilité de présenter des justifications, sous réserve de bien négocier. Les raisons impérieuses d'intérêt général en font partie. Je ne suis pas certaine que la souveraineté énergétique pourrait être invoquée. Ces raisons évoluent au gré de la jurisprudence ». Cette notion598(*) a été élaborée par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), dans le cadre des articles 43 et 49 du traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE) relatifs à la libre prestation de services. Alix Perrin, a toutefois précisé, qu'il semble peu probable que cette justification soit prise en considération par la Commission en l'état du droit.

b) La position de fermeté de la Commission européenne

Comme l'a indiqué Pierre Jérémie devant la commission d'enquête, reprenant le compte rendu d'une réunion consacrée à l'hydroélectricité qui s'est tenue à Bruxelles le 15 décembre 2023, avec les services de la Commission européenne, en présence des services du ministère de la transition énergétique, de représentants du ministère de l'économie et des finances et de représentants du groupe EDF, et dont la commission d'enquête a pu prendre connaissance : « La DG concurrence indique que le problème est identifié depuis longtemps. Il serait plus sage selon elle de prendre le temps. Pour l'instant, la réponse est non, non et non. On peut continuer d'en parler pour voir s'il y a un chemin qu'on ne voit pas à ce stade, mais la réponse de la commissaire ne sera jamais « oui, peut-être ». À date, il n'y a d'argument ni en antitrust, ni en aide d'État en faveur de ce schéma. Si une solution doit être trouvée, elle ne passera pas par-là ».

En effet, le schéma de prolongation des concessions hydroélectriques suppose de respecter plusieurs règles du droit européen :

(1) Les règles au regard du droit de la concurrence 

En application de l'article 106, du traité de fonctionnement de l'UE (TFUE), les États membres ne doivent édicter ni maintenir aucune mesure contraire aux règles de concurrence, notamment à celles relatives à l'interdiction des abus de position dominante sur le marché intérieur, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises bénéficiant de droits spéciaux ou exclusifs. Le paragraphe 2 prévoit, cependant, une exception pour « les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général (SIEG) », qui peuvent déroger aux règles de concurrence « dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement de la mission particulière qui leur a été impartie ».

Le droit de la concurrence interdit ainsi toute disposition renforçant la position dominante d'une entreprise publique. Or les principales critiques de la Commission européenne portent sur la position dominante exercée par l'entreprise publique qu'est EDF sur la production et la fourniture d'électricité, et, en particulier, la filière hydroélectrique. Le transfert envisagé des barrages hydroélectriques aux opérateurs pourrait être considéré comme un renforcement de sa position dominante.

(2) Les règles au regard du droit de la commande publique

Les règles de fonctionnement du marché intérieur garantissent les principes de liberté d'installation et de liberté de prestation de services au sein de l'UE, ainsi que ceux de transparence, d'égalité de traitement et de non-discrimination qui en découlent. Dans ce cadre, la directive « concessions » prévoit des règles de publicité et de mise en concurrence pour l'attribution des contrats de concession599(*).

La durée des concessions est, par ailleurs, limitée et ne doit pas excéder « le temps raisonnablement escompté par le concessionnaire pour qu'il recouvre les investissements réalisés pour l'exploitation des ouvrages ou services avec un retour sur les capitaux investis, compte tenu des investissements nécessaires pour réaliser les objectifs contractuels spécifiques »600(*). Cependant, la modification du contrat est admise en cours d'exécution sans contraindre l'autorité concédante à une obligation de remise en concurrence de son titulaire, sous certaines conditions bien précises.

Les directives relatives à l'attribution de contrats de concession et aux services dans le marché intérieur rendent obligatoires l'organisation d'une procédure de mise en concurrence préalable pour l'octroi de concessions mais aussi d'autorisations d'exploitation. La directive « services » de 2006 encadre strictement les régimes d'autorisation que les États membres peuvent imposer pour l'accès à une activité de service ou son exercice sur leur territoire. Son article 12 dispose que : « Lorsque le nombre d'autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables, les États membres appliquent une procédure de sélection entre les candidats potentiels qui prévoit toutes les garanties d'impartialité et de transparence, notamment la publicité adéquate de l'ouverture de la procédure, de son déroulement et de sa clôture ». L'octroi d'une autorisation doit ainsi garantir le respect des principes de transparence et de non-discrimination.

(3) Les règles en matière d'aides d'État

Le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) pose le principe d'une incompatibilité des « aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit » avec le marché intérieur601(*), sans définir précisément la notion d'aide d'État.

Le concept d'aide d'État est un concept large qui vise à limiter toute intervention étatique dans l'économie. La jurisprudence européenne considère que l'aide d'État consiste en un avantage qui n'aurait pas été accordé dans les conditions normales du marché. Ainsi toutes formes d'avantages financiers directs ou indirects favorisant une entreprise au détriment des autres entreprises constituent des aides, la notion d'entreprise étant définie par le droit européen au sens très large.

Une aide d'État se définit par quatre critères cumulatifs : une aide publique ; un avantage sélectif ; une aide affectant la concurrence et une aide affectant les échanges intra-Union européenne. Les projets d'aide doivent, en effet, être notifiés à la Commission européenne qui organise un examen contradictoire avec l'État si elle estime que le projet d'aide n'est pas compatible avec le marché commun. La Commission peut donc décider de remettre en cause des systèmes existant dans les États membres si elle considère qu'ils sont anticoncurrentiels.

Ainsi la cession des ouvrages hydroélectriques aux concessionnaires devrait être réalisée dans des conditions présentant toutes les garanties d'indépendance et de respect des règles de concurrences.

c) L'absolue nécessité de régler le conflit avec la Commission européenne pour l'avenir de l'hydroélectricité française

La commission d'enquête appelle à régler dans les meilleurs délais le pré-contentieux avec la Commission européenne sur le renouvellement des concessions hydroélectriques. Elle relève que ce conflit qui dure depuis plus de quinze ans n'a toujours pas été résolu malgré les engagements des gouvernements successifs à poursuivre les négociations avec la Commission européenne. La commission d'enquête tient à rappeler que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, s'est engagé, lors des questions d'actualité au Sénat : « Je vous propose néanmoins de nous fixer un calendrier pour trouver d'ici à la fin de l'année 2024 une solution juridique au contentieux qui nous oppose à la Commission européenne sur la question des barrages hydroélectriques »602(*). La commission d'enquête ne peut que se féliciter de ces déclarations mais elle attend désormais des actions concrètes.

Cette situation de blocage est, en effet, préjudiciable à la filière hydroélectrique qui produit une électricité renouvelable et pilotable. La commission d'enquête considère qu'il est largement temps d'offrir une solution pérenne à ses différents opérateurs dans le cadre d'un projet global négocié avec la Commission européenne pour en garantir la solidité juridique et lever tous les obstacles au regard des règles du droit de l'UE.

Les investissements dans les projets de développement hydroélectrique sont plus que jamais nécessaires pour réaliser notre transition énergétique et assurer notre souveraineté dans ce domaine. Or en l'absence de résolution du conflit avec la Commission européenne, aucun investissement d'ampleur n'est envisageable par les exploitants. Pourtant, des perspectives de développement ont été identifiées mais l'incertitude juridique constitue aujourd'hui un frein aux investissements.

La commission d'enquête relève la rareté des informations communiquées par EDF sur les concessions hydroélectriques, et notamment les revenus qu'elles génèrent.

La commission d'enquête demande la création d'une commission composée de représentants de l'État, de représentants d'EDF et autres concessionnaires et des acteurs de la filière, d'experts notamment en droit et de parlementaires afin d'étudier les solutions qui pourraient être présentées à la Commission européenne.

Recommandation n° 20

Destinataire

Échéance

Support/Action

Régler avant mi-2025 le différend sur les concessions hydroélectriques, en créant une commission composée de représentants de l'État, de représentants d'EDF et des acteurs de la filière, d'experts et de parlementaires

Gouvernement (ministère en charge de l'énergie)

mi-2025

Concertation ouverte

D. À L'HORIZON 2035, LE MIX DE PRODUCTION DEVRAIT POUVOIR S'APPUYER SUR UN PARC NUCLÉAIRE INCHANGÉ MAIS PLUS PERFORMANT AINSI QUE SUR UN DÉPLOIEMENT AMBITIEUX MAIS RÉALISTE ET EFFICIENT DE CAPACITÉS RENOUVELABLES

À l'horizon 2035, la France n'aura mis en service aucun nouveau réacteur nucléaire alors qu'elle devrait connaître, comme les autres pays européens, une intensification de l'électrification des usages. Les énergies renouvelables, qui peuvent être déployées plus rapidement sur l'ensemble du territoire, peuvent permettre de répondre à la demande croissante d'électricité dans une perspective d'accélération de la transition énergétique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. L'enjeu est aujourd'hui de définir les trajectoires de développement pour chaque filière renouvelable.

La production renouvelable électrique a dépassé, en 2023, 135 TWh et ce chiffre doit augmenter pour assurer nos besoins accrus de consommation d'ici 2035, sous l'effet de la multiplication des nouveaux usages électriques.

Ainsi que l'indique RTE, « tous les scénarios d'électrification nécessitent d'accroître de façon importante le volume de production renouvelable (photovoltaïque, éolien terrestre et en mer). Il s'agit d'un moyen incontournable pour produire de l'électricité décarbonée, en particulier à moyen terme, d'ici 10 à 15 ans »603(*).

La commission d'enquête estime que le développement des énergies renouvelables est incontournable en raison du retard pris dans la construction de nouveaux réacteurs nucléaires et que leur trajectoire de déploiement doit s'inscrire en complément des efforts qui doivent être réalisés en faveur de la relance du nucléaire.

1. Les objectifs sectoriels de la programmation pluriannuelle de l'énergie doivent être révisés

La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) portant sur la période 2019-2028, dite PPE 2, dont la révision est en cours de consultation, fixait des objectifs ambitieux pour le développement des énergies renouvelables en France à l'horizon 2028.

Elle prévoyait d'atteindre une puissance installée de 73,5 GW d'énergies renouvelables électriques en 2028, et de 101 à 113 GW en 2028, soit un doublement par rapport à 2017, et de porter la part des énergies renouvelables à 36 % de la production d'électricité en 2028, contre 26 % en 2022. Afin d'y parvenir, elle définissait des objectifs de développement des énergies renouvelables pour les différentes filières, en particulier :

- augmenter massivement les installations photovoltaïques avec un objectif de 35 à 44 GW en 2028 ;

- accroître fortement les capacités éoliennes terrestres pour atteindre 33,2 à 34,7 GW en 2028 ;

- porter les capacités de l'éolien en mer entre 5,2 et 6,2 GW de puissance installée en 2028.

Source : Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie et afin d'atteindre ces objectifs, la France a adopté un calendrier d'appels d'offres prévoyant d'en lancer annuellement une dizaine pour développer les énergies renouvelables électriques.

Ces appels d'offres devaient ainsi permettre sur la période 2019-2024 de lancer des procédures pour la réalisation de :

- 210 MW pour l'hydroélectricité ;

- 10,675 GW pour l'éolien terrestre ;

- 17,2 GW pour le photovoltaïque ,

- 5,3 GW pour l'éolien en mer (posé et flottant).

Le ministère de la transition énergétique a organisé, à la fin de l'année 2023, une consultation publique dans le cadre des travaux sur la Stratégie française énergie-climat, dont la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui doit définir la politique énergétique de la France pour les dix prochaines années (2024-2035).

L'élaboration de cette programmation doit se fonder sur une double approche, la relance du nucléaire et le développement des énergies renouvelables, afin de répondre aux enjeux de souveraineté, de compétitivité et de lutte contre le changement climatique. L'objectif est ainsi de sortir de la dépendance aux énergies fossiles à l'horizon 2050.

À la suite du discours sur la stratégie énergétique, prononcé par le président de la République, à Belfort, le 10 février 2022, la PPE mise en consultation fait le choix de mettre l'accent sur l'éolien en mer. Ces capacités seraient développées sur les quatre façades maritimes françaises avec l'objectif d'atteindre 18 GW en 2025, ce qui équivaut à six réacteurs EPR2. Le deuxième axe concerne le déploiement des installations photovoltaïques dont il est prévu de doubler le rythme annuel pour atteindre plus de 75 GW en 2035 dans un scénario médian. Enfin, il est envisagé de maintenir le rythme actuel pour l'éolien terrestre en veillant à une répartition équilibrée des installations sur l'ensemble du territoire national et en augmentant la puissance par mât dans le cadre du renouvellement des infrastructures.

Scénario central de la PPE 3 (2024-2035) mise en consultation

 

2022

2030

2035

Éolien terrestre

21 GW

39 TWh

33-35 GW

64 TWh

40-45 GW

80 TWh

Éolien en mer

0,5 GW

1 TWh

4 GW

14 TWh

18 GW

70 TWh

Photovoltaïque

16 GW

19 TW

54-60 GW

65 TWh

75-100 GW

93 TWh

Hydroélectricité

26 GW

43 TWh

26 GW

54 TWh

29 GW

54 TWh

Source : Ministère de la transition énergétique

a) La construction d'un parc renouvelable réaliste et efficient

Le développement des énergies renouvelables, rendu « pertinent et raisonnable » d'ici 2035, pour reprendre les termes de RTE, nécessite de s'interroger sur les trajectoires des différentes énergies renouvelables dans leur contribution dans le bouquet énergétique national en fonction de critères de compétitivité, d'acceptabilité et de souveraineté.

La commission d'enquête considère qu'un déploiement raisonnable et équilibré des énergies renouvelables doit guider la décision publique. S'ils doivent répondre aux enjeux énergétiques et climatiques de la France, les objectifs de l'État doivent aussi être cohérents et adaptées aux réalités économiques, financières et territoriales. La commission d'enquête promeut une approche pragmatique et progressive en la matière.

b) La poursuite du développement des parcs photovoltaïques

Il est vraisemblable que les installations photovoltaïques continueront à se déployer à un rythme soutenu au cours des années à venir, encouragées par de nouveaux dispositifs législatifs et réglementaires, par le soutien qui leur est accordé et le développement de l'autoconsommation. Leur déploiement est, par ailleurs, facilité par leur rapidité de mise en service et leur adaptabilité en termes de puissance installée.

L'implantation d'installations solaires sur les toitures est, en effet, une obligation qui s'applique progressivement à un nombre croissant de constructions et de bâtiments existants. Cette obligation concernera d'abord les nouveaux bâtiments et les parcs de stationnement, puis les extensions et rénovations lourdes, en fonction de leur taille et de leurs usages, et, enfin des bâtiments déjà construits, également en fonction de leur taille et de leurs usages. Elle résulte des dispositions adoptées dans le cadre de la révision de la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments604(*).

Le développement de l'agri-photovoltaïque, tout en conciliant l'usage agricole des terres et leur usage de production énergétique, devrait aussi contribuer au développement de la production d'électricité solaire. Selon EDF, le nouveau cadre juridique prévu par la loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables doit ainsi favoriser l'émergence de projets de toute taille, en fonction des réalités territoriales et de la compétitivité globale de la filière. Son développement est d'autant plus attendu par la filière que les centrales au sol sont plus compétitives tant en termes de rendement que de prix au KW installé que celles sur bâtiments.

La commission d'enquête considère cependant que le déploiement des installations photovoltaïques doit tenir compte des différents usages du sol, en particulier des activités agricoles, et s'appuyer sur une répartition équilibrée des différents types de technologies, tout en garantissant la préservation des paysages et du patrimoine bâti.

c) Des éoliennes plus performantes et plus puissantes

Les avancées technologies dans la conception et la fabrication des éoliennes terrestres devraient contribuer à ralentir le rythme de leur déploiement sur l'ensemble du territoire. Plus puissantes, les éoliennes terrestres devraient être implantées de façon plus optimale, ce qui apparaît d'autant plus nécessaire que leur répartition sur le territoire est très concentrée sur deux régions, les Hauts-de-France et le Grand-Est.

La recherche et l'innovation dans la filière éolienne ont ainsi déjà permis de réaliser de nombreux progrès en termes de rendement et donc de production d'énergie ainsi que de réduction du niveau de bruit. Les nouvelles technologies contribuent ainsi à renforcer l'efficacité et la rentabilité des éoliennes terrestres. Les progrès intervenus au cours des dernières années concernent notamment la hauteur des mâts, capables de capter des vents plus puissants en altitude, mais aussi la conception aérodynamique des pales (profils, matériaux, etc.) et l'optimisation des outils de gestion des parcs ; tous ces éléments ont permis d'améliorer leur productivité.

Comme l'a relevé Joseph Fonio, président de RWE Renouvelables France, lors de la table ronde sur l'éolien terrestre et en mer : « les éoliennes sont de plus en plus puissantes et efficaces. Ainsi, pour passer de 21 GW, qui correspond à la puissance installée aujourd'hui, à 40 GW, comme le prévoit la Stratégie française « énergie-climat », nous n'aurions besoin, selon toutes les projections, que de 12 000 éoliennes au total, alors qu'il en existe déjà 9 500. Alors que ces dernières années, on a installé 500 nouvelles éoliennes par an en France, il suffirait donc d'en installer 200 nouvelles chaque année pour atteindre cet objectif »605(*). Il a notamment précisé que l'entreprise envisageait d'implanter au Royaume-Uni des éoliennes de dernière génération d'une puissance supérieure à 10 MW.

La commission d'enquête recommande que le développement de l'éolien terrestre s'oriente vers le remplacement des structures anciennes par des technologies plus performantes et plus puissantes sur les sites déjà existants, ce qui contribue à limiter l'emprise foncière des installations et à favoriser leur acceptabilité par la population locale. Elle considère également que le développement des éoliennes terrestres doit prendre en compte une répartition équilibrée sur l'ensemble du territoire.

d) Le défi majeur de l'éolien en mer, un pari à haut risque

L'objectif actuel, fixé dans le cadre du pacte éolien en mer, signé en mars 2021, entre l'État et la filière, est de parvenir à une puissance installée de 18 GW en 2035 et de 40 GW à l'horizon 2050. La stratégie française énergie-climat mis en consultation, à la fin de l'année 2023, fixe un objectif intermédiaire de 4 GW de capacités installées en 2030.

Or, les projets d'éolien en mer pour l'instant attribués dans le cadre de procédure concurrentielle ne représenteront que 4,6 GW de puissance installée à l'horizon 2031, si le calendrier de mise en service des différents parcs est respecté, et 3,6 GW d'ici 2028.

D'après la réponse fournie par la DGEC à la commission d'enquête, « les marges de manoeuvre à court terme pour l'éolien en mer sont plus contraintes. Compte-tenu des délais de mise en service, la capacité éolienne en mer installée en 2030 ne pourra excéder 3,6 GW. L'enjeu sera d'atteindre l'objectif du pacte éolien en mer de 18 GW mis en service en 2035, tout en créant les conditions de la poursuite d'un développement ambitieux dans les années qui suivront (autour de 2GW/an). Si le développement de l'éolien en mer s'est largement accéléré depuis 2019, avec en outre des extensions déjà identifiées pour certains parcs, une planification de long terme est nécessaire pour atteindre un objectif de plus de 45 GW en 2050. Pour sécuriser cette trajectoire à 2035, la PPE 3 prévoira notamment d'attribuer de l'ordre de 10 GW supplémentaires d'ici fin 2025, à l'issue de l'exercice de planification des quatre façades maritimes qui sera conduit entre fin 2023 et mi 2024. Dans une logique de cadencement et en cohérence avec les objectifs du Pacte éolien en mer, un nouvel appel d'offres d'une taille équivalente pourra être lancé à l'horizon 2030. »606(*).

Au regard des éléments recueillis par la commission d'enquête, cet objectif apparaît particulièrement ambitieux tant les défis en termes de coûts, de prix, de maturité technologie et d'acceptabilité sont nombreux à relever. La commission d'enquête tient à rappeler qu'à la fin 2023, la capacité raccordée ne représentait que 61,5 % de l'objectif fixé par la PPE. La Commission de régulation de l'énergie a, d'ores et déjà, indiqué que « les objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2019-2028, qui prévoyait une puissance installée en 2028 de 5,2 à 6,2 d'éolien en mer, posé et flottant, ne seront pas atteints »607(*).

La commission d'enquête fait observer que les objectifs visés dans le cadre du pacte éolien en mer correspondent à une trajectoire très haute, et que, par ailleurs, le retour d'expérience montre qu'entre l'attribution des appels d'offres et la date de mise en service, le délai est de l'ordre de dix ans. Elle estime, par conséquent, que la programmation envisagée par l'exécutif n'est pas réaliste même si des évolutions du cadre réglementaire applicable à l'éolien en mer ont été introduites pour réduire les délais, et qu'elle ne vise qu'à afficher une ambition, qui ne pourra pas être tenue et qui n'est pas souhaitable, en matière d'EnR maritimes.

L'éolien en mer

La programmation pluriannuelle de l'énergie fixe un objectif de développement de la production d'électricité renouvelable en mer de 2,4 gigawatts (GW) de puissance installée d'ici à 2023 et deux scénarios d'objectifs d'ici à 2028 (5,2 GW de puissance installée en option basse et 6,2 GW de puissance installée en option haute).

Le premier appel d'offres pour l'éolien en mer a été lancé en 2011. Il a marqué le début du développement de la filière éolienne en mer en France. Quatre zones ont été alors attribuées pour une capacité totale d'environ 2 GW. Ces zones sont situées au large des communes de Fécamp, Courseulles-sur-Mer, Saint-Brieuc et Saint-Nazaire.

Un deuxième appel d'offres a été lancé en 2013 pour l'installation de 1 GW supplémentaires répartis sur deux zones au large du Tréport, et des Iles d'Yeu et de Noirmoutier.

Une troisième procédure de mise en concurrence a été lancée en 2016 pour l'installation de 600 MW supplémentaires dans une zone au large de Dunkerque. Le projet a été attribué en 2019.

Une quatrième procédure de mise en concurrence a été lancée en janvier 2021 en vue de l'installation d'environ 1 GW supplémentaire dans une zone située au large de la Normandie. Le projet a été attribué en 2023. Au regard des conclusions de la concertation préalable relative à un nouveau projet au sein de la zone Centre Manche (projet « Centre Manche 2 ») qui s'est déroulée du 3 janvier 2022 au 16 mai 2022, le gouvernement a décidé dans sa décision relative au deuxième projet en mer en zone « Centre Manche » le 9 août 2022 de lancer une procédure de mise en concurrence pour un projet d'environ 1 500 MW maximum au sein de cette zone.

En avril 2021, une cinquième procédure de mise en concurrence a été lancée concernant l'installation d'un parc éolien flottant de près de 250 MW dans une zone au sud de la Bretagne.

Enfin une sixième procédure de mise en concurrence a été lancée en mars 2022 portant sur l'installation de deux parcs éoliens flottants de près de 250 MW chacun en mer Méditerranée.

Source : Commission d'enquête d'après les délibérations de la CRE

Pierre Peyson, directeur éolien en mer de RWE Renouvelables France, a ainsi fait observer à la commission d'enquête, que la France n'avait aucun atteint de ses objectifs pour l'éolien en mer, « à commencer par celui de 6 GW en 2020. Puis on a différé l'échéance à 2030. On s'est donné dix ans de plus mais, de nouveau, cet objectif ne va pas être atteint. Nous sommes aujourd'hui au pied du mur. Nous devons atteindre l'objectif de 18 GW, qui représente à peu près 75 TWh devant provenir, en 2035, de l'éolien en mer. À l'horizon 2050, le niveau de 45 GW représentera 25 % à 30 % de la production. Or nous sommes dans une industrie où le rôle de l'État est central : les appels d'offres sont lancés par l'État, qui choisit également les sites. Les appels d'offres durent trois ans. C'est du jamais vu en Europe. À cela s'ajoutent des inquiétudes quant à la manière dont les appels d'offres sont organisés. Il en résulte des discussions sur les cahiers des charges, avec des efforts pour rééquilibrer les conditions et éviter la course vers les prix les plus bas qui risque de détruire de l'emploi, ce qui inquiète beaucoup les industriels »608(*).

Selon les représentants de la filière éolienne, auditionnés par la commission d'enquête, lors de la table ronde sur l'éolien terrestre et en mer, organisée le 6 mars 2024, la filière EnR la moins mâture est celle de l'éolien en mer flottant. Peu de parcs utilisant cette technologie ont été construits dans le monde. Selon Michel Gioria, délégué général de France Renouvelables « il s'agit donc, pour l'instant, en ce qui concerne l'éolien en mer flottant, de démonstrateurs pré-commerciaux qui génèrent des coûts plus élevés. Il est critique de donner de la visibilité à cette filière afin de permettre la décroissance des coûts »609(*).

La commission d'enquête partage les interrogations formulées par certains acteurs de la filière sur le rythme de déploiement de l'éolien en mer et émet de fortes réserves sur la capacité de développer la technologie flottante à moyen terme. Elle rappelle comme l'a souligné RTE, qu'« il n'existe pas aujourd'hui d'éléments permettant d'attester la compétitivité de long terme de l'éolien flottant sans une forte baisse du coût de cette technologie »610(*). Ces réserves ont également été exprimées par la Commission de régulation de l'énergie dans sa délibération sur le premier parc éolien flottant installé au sud de la Bretagne : « l'analyse des offres déposées témoigne d'une filière prometteuse, mais pas encore totalement mature »611(*). Elle constate ainsi que la dispersion des prix des offres est particulièrement importante, traduisant « à la fois les appréciations différentes des candidats sur les caractéristiques internes des projets du fait de la maturité moindre de la filière éolienne flottante et, a priori, des stratégies d'acteurs différentes et mises en place dans une optique d'intégration d'un marché naissant en France »2.

e) De fortes incertitudes pèsent sur le développement de l'hydroélectricité

Le développement de l'hydroélectricité, première source d'énergie renouvelable dans notre pays, connaît une situation singulière puisque son avenir est avant tout soumis à la résolution du conflit avec la Commission européenne, malgré le potentiel disponible pour de nouveaux projets.

Ainsi que l'a indiqué la DGEC à la commission d'enquête, « l'atteinte de cet objectif dépend toutefois de plusieurs facteurs dont le cadre économique du développement des STEP et la résolution des précontentieux européens, s'agissant des projets situés au sein des concessions existantes qui représentent la majorité du potentiel identifié »612(*).

Le gouvernement prévoit un objectif d'augmentation des capacités installées de 2,8 GW d'ici 2035, dont 1, 7 GW pour les stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), afin d'accroître la capacité de stockage d'électricité. Ce potentiel se concentre dans les régions Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté et Grand-Est.

L'entreprise EDF a ainsi identifié une capacité de développement de l'ordre de 2 GW d'ici à 2035, se répartissant entre 500 MW d'augmentation de puissance et 1 500 MW de développement de STEP, « auxquels nous pouvons ajouter au moins 2 000 MW de STEP additionnels à un horizon de mise en service plus lointain, compte tenu d'enjeux d'acceptabilité plus complexes à gérer ou d'études qui peuvent prendre plus de temps »613(*).

La Compagnie nationale du Rhône (CNR) a aussi indiqué à la commission d'enquête, lors de la table ronde organisée sur l'énergie hydraulique, le 19 mars 2024, qu'elle projetait d'augmenter la puissance de l'usine hydraulique de Montélimar, de construire un vingtième aménagement, « Rhônergia », ainsi que six à sept petites centrales hydroélectriques. L'ensemble de ces projets représentent, à un horizon de dix ans, 500 GWh de production hydroélectrique, pour un investissement de 700 millions d'euros.

La commission remarque que des projets de développement existent dans les territoires et sont portés avec volontarisme par les acteurs de la filière, mais qu'ils sont, pour l'instant, conditionnés à la résolution du conflit avec la Commission européenne, qui constitue pour cette énergie renouvelable pilotable un obstacle à l'augmentation de ses capacités de production d'ici à 2030 au moins. Elle affirme l'urgence nécessité de régler cette question pendante qui paralyse le développement de l'hydroélectricité, et qui pèse sur les décisions d'investissement et l'avenir de cette filière. Ses recommandations ont été développées supra.

2. Les filières d'énergies renouvelables font face à plusieurs défis
a) La souveraineté industrielle au coeur de la transition énergétique

Disposer de filières industrielles françaises et européennes est essentiel pour garantir la souveraineté énergétique de la France et de l'Europe dans les années à venir. À ce titre, la réindustrialisation des filières d'énergies renouvelables est un enjeu stratégique majeur.

Cet enjeu est particulièrement important pour les acteurs de la filière solaire dont la fabrication de panneaux solaires nécessaires aux installations est incontestablement dominée par le marché chinois. Cette domination est ainsi quasi-complète sur les phases amont de la chaîne de valeur. Les derniers fabricants de panneaux solaires en France et en Europe sont confrontés à de très importantes difficultés du fait de la concurrence internationale, et en particulier chinoise.

Les acteurs de la filière solaire ont ainsi mis en avant, lors de la table ronde organisée par la commission d'enquête sur l'énergie solaire le 7 mars 2024, la nécessité de disposer de filières industrielles produisant des panneaux solaires sur le territoire européen. La commission d'enquête relève que le Gouvernement a annoncé une série de mesures pour soutenir la filière française dans ce domaine, avec l'objectif de produire en France 40 % des panneaux photovoltaïques installés d'ici 2030. Il a notamment proposé de mettre en place une « prime carbone » dans le cadre du prochain arrêté tarifaire des installations solaires au sol, qui permettrait de compenser les surcoûts liés à l'achat de panneaux produits en France. Il s'est également engagé à introduire, d'ici à 2025, les nouveaux critères de sélection et de notation « hors prix » du règlement européen « industrie zéro net »614(*) dans les appels d'offres publics. La commission soutient de telles mesures même si elle considère que la volonté politique se heure dans ce domaine à des pratiques concurrentielles particulièrement agressives, voire déloyales, et à la lenteur des processus de décision ou à la naïveté des institutions européennes en matière de la protection de nos filières industrielles.

Selon les informations communiquées à la commission d'enquête par le Syndicat des énergies renouvelables615(*), la fourchette de prix estimée en 2022 était entre 350 et 450 dollars par kW pour les éoliennes terrestres et de 560 à 700 dollars par kW pour les éoliennes offshore, lorsqu'elles sont fabriquées en Chine, soit des tarifs nettement inférieurs à ceux des constructeurs l'Europe, où les éoliennes terrestres sont commercialisées autour de 800 à 1 100 dollars par kW et de 1 000 à 1 600 dollars par kW pour les éoliennes en mer.

L'industrie éolienne est moins exposée à ce défi de faire émerger sur le territoire européen des filières industrielles, puisqu'elle dispose déjà de capacités importantes de production de composants éoliens. L'industrie éolienne est actuellement très majoritairement européenne. L'Allemagne, l'Espagne et le Danemark sont ainsi leaders dans la production des principaux composants des éoliennes : les pâles, les nacelles et les tours. La France est aussi un acteur majeur de la chaîne de valeur éolienne ; elle dispose de plusieurs usines de production de pales et de nacelles, dans le secteur de l'éolien en mer. Toutefois les pratiques commerciales des industriels chinois peuvent contribuer à fragiliser cette filière européenne encore compétitive, d'autant plus que la demande devrait fortement progresser, en particulier si on veut atteindre les objectifs en matière d'implantations d'éoliennes en mer. Comme cela a été relevé par Pierre Peyson, directeur éolien en mer de RWE Renouvelables France, se pose la question de la disponibilité des matériaux dans la perspective d'une accélération des projets d'EnR : « pour la fabrication de fondations, il existe une difficulté du point de vue de la capacité industrielle à produire, car les carnets de commandes explosent. En offshore, on est à peu près à 3 ou 4 GW par an. L'objectif fixé en 2030 est de 25 GW par an. Aurons-nous suffisamment de capacités industrielles ? Un certain nombre d'associations, notamment WindEurope, ont alerté les pouvoirs publics quant à la nécessité de multiplier par deux les capacités de fabrication d'éoliennes et par quatre les capacités de fabrication de fondations posées. Je ne vous donne même pas le chiffre pour l'éolien flottant, car nous en sommes au tout début de son développement »616(*).

Pour sa part, la filière de fabrication de turbines et de transformateurs pour l'hydroélectricité est européenne à plus de 90 %, et même très largement française.

Les filières renouvelables sont également confrontées à des besoins en compétences importants qui peuvent constituer, comme le souligne le Syndicat des énergies renouvelables (SER), dans sa réponse à la commission d'enquête, « un goulet d'étranglement, en particulier sur certains métiers techniques, sans que cela ne soit cependant une spécificité du secteur des EnR »617(*). Une démarche visant à mieux identifier les offres de formation et à développer les compétences nécessaires au secteur de la transition énergétique a, par exemple, été engagée dans le cadre du comité stratégique de filière « Nouveaux Systèmes énergétiques ».

La commission d'enquête fait observer que la fin de la dépendance aux énergies fossiles ne saurait être remplacée par une nouvelle dépendance économique, d'autant plus que les fabricants extra-européens savent désormais concevoir des produits bas-carbone. Elle estime que les politiques d'accompagnement des différents dispositifs en faveur de la structure de filières industrielles en France doivent être poursuivies et confortées pour renforcer la compétitivité des énergies renouvelables.

Recommandation n° 21

Destinataire

Échéance

Support/Action

Renforcer le développement de filières industrielles liées aux énergies renouvelables

Gouvernement (ministère en charge de l'Industrie)

2024-2029

Législatif et réglementaire

b) Les territoires sont au centre des enjeux d'acceptabilité des EnR par les populations

L'un des défis majeurs du développement des énergies renouvelables est l'acceptabilité sociale des projets, en particulier pour l'éolien terrestre et en mer, en raison de leurs nuisances visuelles ou sonores, et de leur impact sur les paysages et la biodiversité.

Cette préoccupation de l'acceptation par les populations à l'échelon local a été soulevée par Joseph Fonio, président de RWE Renouvelables France, lors de la table ronde sur l'éolien terrestre et en mer organisée par la commission d'enquête le 6 mars 2024. À cette occasion, il a également souligné, comme d'autres acteurs, les difficultés liées au démarrage de l'identification des zones d'accélération des énergies renouvelables, définies par la loi du 10 mars 2023 d'accélération de la production des énergies renouvelables, qui devaient être mises en place par les communes au 31 décembre 2023. La DGEC reconnaît que « Le premier bilan des zones d'accélération établi mi-février 2024 est encore insuffisant mais reste encourageant »618(*). Le Syndicat des énergies renouvelables (SER) a néanmoins nuancé l'appropriation par les élus locaux de cet outil : « par contre, l'absence d'un discours politique clair national sur le développement des EnR et d'une définition législative de notre programmation énergétique ne facilite la poursuite d'une dynamique qui repose sur la mobilisation volontariste des élus locaux »619(*).

Bilan au 23 février 2024 de la mise en place des zones d'accélération de la production des énergies renouvelables prévue par la loi « APER »

Au 23 février, certaines dynamiques se dégagent sur le portail :

- 9 000 communes ont activé leur compte sur le portail cartographique ;

- 3 600 d'entre elles ont défini au moins une zone d'accélération, pour un total de près de 62 500 zones au total sur le portail ;

- Ce nombre doit être augmentée des communes faisant remonter leurs zones en dehors du portail. Ces zones ne seront disponibles que lors de l'arrêt des cartographies ;

- Le photovoltaïque est la principale énergie concernée par la définition de zones d'accélération avec pas moins de 38 000 zones identifiées sur le portail ;

- Seules 1 000 zones éoliennes ont été identifiées ;

- La dynamique semble s'accélérer avec 15 000 zones définies en une semaine.

Source : Réponse écrite de la DGEC au questionnaire de la commission d'enquête

Carlotta Gentile Latino, directrice des activités terrestres France d'EDF Renouvelables, a ainsi mis en avant la nécessité d'une concertation préalable à l'implantation de ces installations : « Il ne s'agit pas uniquement d'information des riverains mais de co-construction d'un projet de territoire avec les parties prenantes, qu'elles soient pour ou contre le projet. En cela, le récit que nous portons est important. Sur le terrain, il me semble que la nature des oppositions que nous rencontrions, il y a quelques années, a totalement changé. Précédemment, les panneaux photovoltaïques n'étaient pas bien perçus. Aujourd'hui, le riverain constate que les emplois sont locaux et non délocalisables et que la production est visible, contrairement aux fossiles que nous importons. Le changement de mentalités est en marche pour davantage de résilience, de souveraineté énergétique et de compétitivité des prix »620(*).

Le développement des énergies renouvelables pose également la question de la concurrence des usages du foncier. Ainsi pour la filière solaire, l'accès au foncier représente un enjeu essentiel. La rareté du foncier et les nombreuses contraintes réglementaires limitent, en effet, le déploiement de grands projets au sol.

Cette question en est également une pour la filière éolienne terrestre. Comme l'a indiqué Joseph Fonio, président de RWE Renouvelables France, le gisement éolien est en définitive relativement restreint en 2024 : « Si vous dessinez une carte des espaces qui se prêtent bien à l'accueil d'éoliennes, à savoir loin des maisons et des espaces à sensibilité environnementale, et hors des contraintes techniques, vous allez retrouver une carte qui se superpose presque parfaitement à celle des implantations actuelles des éoliennes »621(*).

Par ailleurs, il a relevé les contraintes liées aux périmètres comportant des radars militaires qui constituent des freins à l'implantation d'installations éoliennes terrestres dans des zones pourtant propices : « 70 % du territoire est grevé par des contraintes de type « radar militaire ». Cela retire beaucoup de flexibilité. Nous menons un travail, dans un esprit de très bonne coopération, avec les services militaires, pour définir des emplacements où l'on pourrait installer des radars de compensation qui permettraient d'alléger ces contraintes de manière très importante. Cela contribuerait à améliorer la répartition des installations sur le territoire. Aujourd'hui, de grandes plaines sont dépourvues d'éoliennes alors qu'elles pourraient tout à fait en accueillir »622(*).

c) Les délais d'instruction et de réalisation des projets

Les délais d'instruction et de réalisation des projets d'installations de production électrique renouvelable, actuellement très longs, sont une question sensible pour les acteurs de la filière EnR d'autant plus qu'ils sont « presque deux fois plus longs que nos partenaires européens »623(*). Or ces délais ne sont pas conciliables avec l'atteinte d'objectifs ambitieux en la matière. L'Union européenne a ainsi décidé dans le cadre de la révision de la directive sur les énergies renouvelables624(*) d'introduire dans les législations nationales des délais contraignants plus courts pour les processus d'octroi d'autorisations et de réduire la complexité administrative de la durée des procédures d'octroi d'autorisations pour les projets dans le domaine des énergies renouvelables. Des dispositions visant à réduire significativement ces délais en France ont été introduites dans la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables625(*) adoptée au début de l'année 2023.

Selon les éléments indiqués dans l'exposé des motifs de ce texte, les délais de procédure sont, en moyenne, de cinq ans pour la construction d'un parc solaire nécessitant quelques mois de travaux, sept ans pour un parc éolien terrestre et dix ans pour un parc éolien en mer.

Délais de mise en service des projets d'éolien en mer

Projets

Lancement appels d'offres

Attribution

Mise en service ou date prévisionnelle

Saint-Nazaire

2011

2012

2022

Fécamp / Saint-Brieuc

2011

2012

2024

Courseulles-sur-Mer

2011

2012

2025

Noirmoutier

2013

2014

2025

Dieppe- Le Tréport

2013

2014

2026

Dunkerque

2016

2019

2028

Centre Manche 1

2020

2023

2031

Bretagne Sud

2021

2024

--

Source : Commission d'enquête d'après les délibérations de la CRE

En outre, en raison de leur manque d'acceptabilité sociale, les projets d'EnR font généralement l'objet de procédures de recours, qui ralentissent leur réalisation. Ainsi, selon l'étude d'impact du projet de loi d'accélération de la production d'énergies renouvelables, la proportion de recours dans le cadre des autorisations délivrées pour les éoliennes terrestres s'élève à 75 %, à 100 % pour les contestations des parcs éoliens en mer. 7 % de ces recours aboutissent à une décision d'annulation totale de l'autorisation.

Enfin, le développement des projets d'EnR augmente très largement la charge administrative et les besoins en moyens humains pour instruire les dossiers. Ces besoins devraient, d'ailleurs continuer à croître dans les prochaines années. Le Syndicat des énergies renouvelables a ainsi indiqué à la commission d'enquête que « les services de l'État ne sont pas dotés de moyens humains en adéquation avec cette nouvelle donne, et les personnels ne sont pas toujours suffisamment formés aux spécificités des différentes filières renouvelables »626(*).

E. QUEL SCÉNARIO POUR NOTRE MIX À HORIZON 2035 ?

Comme cela été vu dans la deuxième partie, l'estimation de la commission d'enquête est que les besoins de consommation électrique devraient, sous toutes réserves, commencer à décoller de façon significative à la fin de la décennie 2030 pour atteindre environ 615 TWh en 2035.

La commission considère que la production annuelle pourra s'appuyer sur l'ensemble des réacteurs du parc nucléaire actuel. Compte-tenu des éléments dont elle a pu avoir connaissance et des avis convergents de nombreux acteurs du secteur, elle considère que tous les réacteurs actuels devraient pouvoir voir leur durée de fonctionnement prolongée au moins jusqu'à 60 ans. Cette hypothèse raisonnable constitue l'un des paramètres cruciaux du scénario retenu par la commission d'enquête.

La commission d'enquête considère également que la production annuelle nationale devrait être portée par un redressement progressif du facteur de charge des réacteurs du parc nucléaire.

Les différents programmes de performance initiés par EDF devraient en effet permettre d'augmenter progressivement le facteur de charge des réacteurs à environ 70 %, un niveau qui permettrait au parc d'approcher, à horizon 2030, l'objectif de production de 400 TWh.

Cette augmentation pourrait intervenir essentiellement à la faveur de l'accroissement de la performance des périodes d'arrêts de réacteurs ainsi que des opérations de maintenance et dans une moindre mesure, en fin de période, d'une augmentation de la puissance et d'un allongement du cycle de rechargement de certains réacteurs de 900 MW. Le facteur de charge pourrait ainsi se stabiliser autour de 70 % à partir de 2030 pour une production annuelle qui pourrait ainsi osciller autour de 390 TWh.

La capacité de production du système électrique français sera également renforcée par le déploiement de nouvelles installations éoliennes et photovoltaïques. Un tel développement est nécessaire pour couvrir en toute sécurité et de façon décarbonée, en complément du parc nucléaire, la hausse prévisible et souhaitable de la consommation électrique.

Cependant, la commission d'enquête estime que les trajectoires et objectifs affichés par le Gouvernement à horizon 2035 sont à la fois irréalistes et trop élevés par rapport au besoin réel prévisible. Or, comme décrit infra dans les développements relatifs aux coûts de production et aux investissements dans les réseaux de transport et de distribution, le déploiement de nouvelles capacités éoliennes et photovoltaïques est particulièrement coûteux à l'échelle du mix de production en raison des « coûts systèmes » qui résultent de leur intermittence.

Les objectifs de déploiement de nouvelles capacités éoliennes en mer à horizon 2035 apparaissent par ailleurs très incertains compte tenu des inconnues majeures qui subsistent quant à la maturité technologique des parcs flottants ou encore à des difficultés d'acceptabilité récurrentes. Par ailleurs, le coût réel de ces technologies, en intégrant leur raccordement, est élevé. Les prévisions de développement des capacités photovoltaïques d'ici 2035 retenues par le Gouvernement semblent elles aussi nettement exagérées.

Aussi, à la fois par prudence car les hypothèses retenues par le Gouvernement semblent relever davantage du voeu pieux que d'une vraie programmation de moyen-long terme, mais également par esprit de responsabilité afin de ne pas augmenter les coûts du système électrique, notamment les investissements dans les réseaux, au-delà du strict nécessaire, la commission d'enquête retient un scénario plus réaliste et plus conforme aux besoins prévisionnels tant en ce qui concerne le déploiement de l'éolien en mer que du photovoltaïque. Pour ces deux filières, il lui semble ainsi nécessaire de décaler à l'horizon 2050 les objectifs que le Gouvernement affiche pour 2035 et qui, en toute hypothèse, ne seraient vraisemblablement pas atteint à cette date.

Ainsi, pour la commission d'enquête, d'ici à 2035, la puissance installée des parcs éoliens en mer devrait-elle atteindre 10 GW pour une production moyenne annuelle de 35 TWh à cet horizon. S'agissant de la filière photovoltaïque, la puissance installée évoluerait de 19 GW aujourd'hui à 50 GW en 2035, soit une augmentation de plus de 160 %, déjà considérable. À cet horizon la production annuelle moyenne de 61 TWh serait envisagée.

Les capacités de la filière éolienne terrestre devraient, quant à elles, progresser de 90 % pour atteindre environ 42 GW en 2035 pour une production d'environ 90 TWh par an.

Comme le prouvent ces évolutions, à l'horizon 2035, le développement des capacités éoliennes et photovoltaïques demeure très substantiel. Loin de se traduire par une pause dans le développement de ces moyens de production, la commission d'enquête entend l'inscrire dans une trajectoire tout à la fois raisonnable et réaliste.

S'agissant de l'hydroélectricité, à horizon 2035, par prudence compte-tenu des incertitudes qui pèsent toujours sur la résolution du contentieux avec la Commission européenne qui paralyse tout investissement dans cette filière, la commission d'enquête ne retient qu'une augmentation d'environ 1 GW sur la période de la puissance installée du parc hydroélectrique.

Évolution de la composition en production du mix à horizon 2035

(en TWh)

Source : commission d'enquête

À l'horizon 2035, le scénario de mix de production retenu par la commission permettrait de couvrir sur l'ensemble de la période l'augmentation attendue de la consommation nationale avec une marge suffisante susceptible de contribuer à la sécurité d'approvisionnement du pays et de maintenir un solde exportateur qui permettra à la France, du fait d'un mix quasi intégralement décarboné, de continuer à contribuer substantiellement à la réduction des émissions de COrésultant de la production électrique à l'échelle du continent européen.

Comparaison de la production et de la consommation annuelles à horizon 2035 dans le scénario de la commission d'enquête

(en TWh)

Source : commission d'enquête

En 2035, en production, le scénario de la commission d'enquête se traduirait par un mix encore dominé à près de 60 % par la production nucléaire.

Composition en production du mix en 2035 dans le scénario de la commission d'enquête

(en TWh)

Source : commission d'enquête

En raisonnant maintenant en puissance installée (compte tenu notamment des facteurs de charge), le parc de production se développerait d'environ 40 % pour dépasser les 210 GW.

Composition en puissance installée du mix de production en 2035 dans le scénario de la commission d'enquête

(en GW)

Source : commission d'enquête

Assurer le « bouclage » dit « en production », c'est-à-dire la couverture de la consommation annuelle par la production annuelle exprimées en TWh, est cependant insuffisant. Il est essentiel de garantir également le bouclage « en puissance », c'est-à-dire la capacité du système, en GW disponibles, de fournir l'électricité nécessaire pour passer les pointes.

Le scénario retenu par la commission d'enquête prévoit de maintenir l'ensemble des capacités pilotables existantes, y compris bien entendu les centrales thermiques actuellement en fonction et qui restent indispensables pour garantir notre sécurité d'approvisionnement.

La commission d'enquête retient également une hypothèse de disponibilité du parc nucléaire plus ambitieuse que le scénario central modélisé par RTE dans son dernier bilan prévisionnel réalisée en 2023. Dans ces conditions, et au regard des prévisions les plus récentes réalisées par RTE sur l'évolution des risques d'approvisionnement à horizon 2030-2035, il semble improbable que la construction de nouvelles capacités thermiques soient nécessaires à ces horizons.

Cependant, rien ne doit être exclu et des hypothèses défavorables en matière de flexibilité de la demande par exemple pourraient se traduire par des besoins limités de quelques GW supplémentaires pour assurer la sécurité d'approvisionnement nationale aux horizons 2030-2035. Comme décrit supra, à ces horizons, rien ne prouve à ce stade que les technologies thermiques décarbonées seront prêtes à être déployées dans des proportions suffisantes.

C'est pour cette raison que la commission recommande de ne pas s'interdire, en dernier recours et si les circonstances l'exigeaient, de construire de nouvelles centrales fonctionnant au gaz naturel. Ces besoins seraient en toute hypothèse très limités et pour des durées de fonctionnement annuelles particulièrement faibles qui n'auraient qu'un impact extrêmement marginal sur les émissions de COdu système.

IV. À L'HORIZON 2050 : PROLONGER LES RÉACTEURS ACTUELS AU-DELÀ DE 60 ANS ET DÉPLOYER UN PROGRAMME AMBITIEUX DE CONSTRUCTION D'UN NOUVEAU PARC NUCLÉAIRE

À l'horizon 2050, la commission d'enquête considère que le mix électrique pourra reposer sur une filière nucléaire confortée qui s'articulerait autour de la prolongation de certains des réacteurs actuels au-delà de 60 ans et de la construction, dans des conditions économiques optimisées, d'un nouveau parc de réacteurs nucléaires.

A. ABÎMÉE PAR UNE LONGUE « TRAVERSÉE DU DÉSERT », LA FILIÈRE NUCLÉAIRE SE REMET DIFFICILEMENT EN ORDRE DE MARCHE

La filière nucléaire française, qui a fait la fierté du pays et contribué à son rayonnement, est malheureusement sortie extrêmement abîmée par plusieurs décennies de « nucléaire honteux ». Les dégâts ont été profonds. Ils proviennent à la fois très concrètement d'une sous-activité mais aussi d'une image qui avait été profondément écornée par des positions et des déclarations des autorités publiques, jusqu'aux plus hauts niveaux de l'État, qui n'ont eu de cesse de dénigrer ce qui constituait pourtant un atout national majeur.

Le rapport issu des travaux de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France627(*) a bien décrit les processus et les responsabilités de la « descente aux enfers » subie par la filière nucléaire. Il a démontré que les signaux d'alertes avaient pourtant été multiples, jusqu'au rapport remis en 2018 aux ministres des finances et de la transition écologique par Yannick d'Escatha et Laurent Collet-Billon, aussitôt ignoré et classé confidentiel défense. Ces signaux ont été systématiquement négligés. Le rapport s'était notamment étonné à ce titre de « l'inertie d'un État actionnaire manquant de réactivité pour traiter des dossiers au potentiel déstabilisant pour la filière ». La situation de concurrence délétère entre EDF et Areva a également très fortement fragilisé la filière. Son traitement a pourtant été beaucoup trop tardif.

La filière nucléaire n'a tenu qu'à un fil ou plutôt qu'à des projets lancés à l'étranger, au Royaume-Uni, en Finlande ou en Chine, où elle faisait figure de secteur d'excellence pour la France. Cette situation proprement schizophrénique ne pouvait pas durer. Dans son rapport de 2023 précité la commission d'enquête de l'Assemblée nationale l'avait souligné : « il apparaît pour le moins contradictoire, de mener, sur le territoire national, une politique énergétique envoyant des signaux négatifs à la filière, tout en espérant pouvoir exporter la compétence française du nucléaire à l'étranger ».

Il était devenu urgent d'inverser la tendance. Les conséquences du changement climatique et l'impérieuse nécessité de décarboner nos économies ont très largement participé à l'infléchissement salutaire qui a été affirmé par le Président de la République lors de son discours de Belfort.

Panorama de la filière nucléaire dressé par la DGEC

La filière nucléaire emploie environ 220 000 salariés, emplois directs et indirects, soit 6,7 % de l'emploi industriel français. Elle regroupe environ 3 000 entreprises pour un chiffre d'affaires d'environ 50 milliards d'euros par an, dont environ 1 milliards d'euros consacrés à la recherche et développement. Les PME représentent 65 % des entreprises de la filière, contre 3,5 % pour les grands groupes et les exploitants (EDF). Ces dernières représentent néanmoins la majorité des emplois de la filière, qui se démarque également par ses emplois qualifiés, la proportion de cadres et d'employés, techniciens et agents de maîtrise dépassant les deux tiers des effectifs. Il convient également de remarquer le haut niveau de spécialisation des salariés et le fait que la part des effectifs des petites entreprises dédiée aux activités nucléaires est relativement importante (plus de la moitié des effectifs pour 40 % des PME). EDF et les grandes entreprises réalisent 75 % du chiffre d'affaires de la filière.

Quatre grands domaines de R&D électronucléaire se démarquent :

- mécanique, résistance des matériaux et dimensionnement ;

- fabrications métallurgiques innovantes ;

- instrumentation ;

- sûreté nucléaire.

L'industrie nucléaire bénéficie d'une bonne implantation sur l'ensemble du territoire. Majoritairement concentrée suivant un axe Nord-Ouest - Sud-Est, cette répartition correspond au maillage du territoire par les principaux sites industriels de la filière : centrales nucléaires de production d'électricité, usines du cycle du combustible, installations en démantèlement, installations de recherche et centres d'entreposage et de stockage des déchets.

Source : réponses de la DGEC à la commission d'enquête

Cependant, désormais, un travail de fond constant doit être mené pour reconstruire une filière très fragilisée dont les principales lacunes ont notamment été soulignées dans un rapport de Jean-Martin Folz en 2019628(*) sur les difficultés rencontrées lors de la construction de l'EPR de Flamanville et un rapport de la Cour des comptes de 2020 sur la filière EPR629(*).

En effet, des segments majeurs de la filière se trouvent sinistrés. À titre d'exemple, les entreprises d'ingénierie d'exécution française du nucléaire ont pour l'essentiel été emportées par la « traversée du désert » subie par la filière. Les secteurs du soudage et de la chaudronnerie sont particulièrement sous tension.

Le rapport de la commission d'enquête de l'Assemblée national précité soulignait ainsi en 2023 que « faute d'avoir construit des centrales pendant plus d'une décennie, les compétences ont décliné à tous les niveaux, des ingénieurs aux sous-traitants ». Il avait mis en évidence le cercle vicieux qui a profondément affaibli la filière au cours des dernières décennies : « la perte des compétences est un cycle d'autant plus inquiétant qu'il s'autoentretient : les compétences ont baissé faute de chantier à mener, les nouveaux chantiers peinent à se réaliser en raison du déclin des compétences, et il est difficile de recruter car l'absence de perspective a atteint l'attractivité de la filière ».

L'un des premiers signes du processus de reconstruction de la filière nucléaire a été la création en 2018 du Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (Gifen) destiné à représenter l'ensemble de la filière, sur le modèle du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas) pour l'industrie aéronautique.

Le Gifen a mis en oeuvre un programme de suivi et de prévision des besoins de compétences de la filière nucléaire intitulé « Match ». Ce programme, actualisé de façon annuelle, a vocation à vérifier l'adéquation entre les besoins et les ressources sur une période prospective de dix ans.

La note du programme Match publiée en avril 2023 fait ainsi état d'une perspective de croissance de l'activité de la filière nucléaire française de l'ordre de 25 % au cours des dix prochaines années. Le nombre d'emplois sur les vingt secteurs coeur de la filière étudiés par le Gifen pourrait ainsi passer 125 000 en 2023 à 155 000 en 2033. En extrapolant à l'ensemble de la filière, les besoins pourraient s'élever à 100 000 recrutements en dix ans. Le Gifen a aussi lancé des plans d'accompagnement du renforcement de la filière sur la durée comme le plan d'excellence opérationnelle du nucléaire.

En novembre 2018, pour la période 2019-2022, l'État a signé avec les représentants du secteur et d'organisations syndicales un contrat stratégique de la filière nucléaire. La commission d'enquête s'étonne qu'il n'ait toujours pas été renouvelé et rappelle au Gouvernement son engagement de l'actualiser très prochainement pour la période 2024-2029.

En 2020, pour faire suite aux constats et recommandations du rapport Folz précité, des programmes visant à restaurer le niveau de qualité et de performance de la filière ont été lancés par les principaux acteurs de la filière. Parmi eux, EDF a mis en place le plan dit « Excel », Framatome le plan « Juliette » (Framatome) et Orano le plan « Boost ».

Un autre enjeu d'amélioration de la filière est signalé de façon récurrente par l'ASN. Il s'agit des risques de fraudes et malfaçons. L'autorité de sûreté a notamment alerté la commission d'enquête sur cette question : « dans un contexte de forte mobilisation de la filière, la maîtrise de la chaîne d'approvisionnement constitue un enjeu particulièrement important, pour la sûreté des centrales nucléaires en fonctionnement comme pour les installations en projet. Des fraudes ont été découvertes ces dernières années dans plusieurs usines. Des actions doivent être engagées pour mieux prévenir, détecter et traiter ces fraudes afin de garantir la fiabilité des équipements installés dans les centrales nucléaires »630(*).

La désaffection pour la filière nucléaire qui est allée de pair avec la sous-activité et le déficit en termes d'image lié aux discours négatifs sur l'atome conduisait à son déclin continu et laissait craindre pour sa pérennité. Aujourd'hui, l'enjeu du regain d'attractivité, qui est perceptible du fait du nouveau discours public sur le nucléaire et des nouvelles perspectives de la filière, est fondamental et tout doit être mis en oeuvre pour le stimuler.

Un plan d'actions compétences de la filière nucléaire a été présenté en juin 2023. Il est piloté par l'Université des métiers du nucléaire (UMN) qui a été créée en 2021 ainsi que par le Gifen. Ce plan a pour objectif de sécuriser les compétences dont la filière nucléaire a besoin pour ses projets dans les dix prochaines années notamment via la formation initiale et la formation professionnelle continue. Il prévoit notamment des dispositifs de communication et de promotion des métiers de la filière nucléaire auprès des jeunes, il vise également à accompagner des projets dans les territoires pour développer et renforcer des formations aux métiers du nucléaire, il attribue des bourses d'études à des jeunes en formation initiale pour rejoindre des métiers du nucléaire en tension.

Le portail internet de l'UMN, intitulé « mon avenir dans le nucléaire » présente quant à lui de façon pédagogique et illustrée les métiers et formations du secteur nucléaire.

La commission d'enquête constate que la filière s'est remise en marche. Cependant, le retard à combler est tel qu'il reste encore beaucoup à faire pour qu'elle soit réellement en mesure de faire face au renouvellement du parc nucléaire national.

Dans cette perspective, pour redonner un vrai dynamisme au secteur, permettre son rétablissement et assurer son avenir, l'enjeu de l'attractivité est crucial. Aussi, la commission appelle-t-elle à encourager et amplifier l'inflexion amorcée en lançant un grand plan de communication à destination du grand public, de l'enseignement secondaire, de l'enseignement professionnel et technique, de l'enseignement supérieur ainsi que des organismes de formation professionnelles et des chambres consulaires.

Recommandation n° 22

Destinataire

Échéance

Support/Action

Participer à la relance de la filière nucléaire via un plan de communication ambitieux vers le grand public, l'enseignement secondaire, l'enseignement professionnel et technique, l'enseignement supérieur ainsi que les organismes de formation professionnelles et les chambres consulaires

Gouvernement (ministère chargé de l'énergie), Gifen

UMN

2024

Outils de communication

B. LA NÉCESSITÉ DE PROLONGER LA DURÉE DE VIE DU PARC NUCLÉAIRE HISTORIQUE AU-DELÀ DE 60 ANS

La faisabilité technique de la prolongation des réacteurs sur une longue période repose sur les capacités des différents composants d'une centrale à fonctionner dans la durée. Cependant, la quasi intégralité des matériels qui constituent une centrale peut être remplacée. Ainsi, en pratique, l'enjeu de la prolongation au-delà de 60 ans des réacteurs du parc électronucléaire repose-t-il en définitive essentiellement sur la maîtrise des conditions de vieillissement en toute sûreté des composants irremplaçables d'une centrale que sont sa cuve et son enceinte de confinement. Une attention particulière doit aussi être portée aux équipements difficilement remplaçables (certains coudes du circuit primaire, les matériels placés à l'intérieur de la cuve631(*) ou encore les câbles électriques dont le nombre rend un remplacement d'ensemble délicat).

Des mesures prises pour améliorer les conditions de vieillissement des cuves

Pour que sa durée de fonctionnement soit optimisée, la cuve d'un réacteur doit notamment être protégée contre les effets des bombardements neutroniques qui constituent son principal facteur de vieillissement. Dans cette perspective, EDF a d'ores et déjà réalisé des travaux sur certains de ses réacteurs qu'elle a prévu de généraliser dans les années à venir. Des grappes absorbantes en hafnium sont ainsi installées à cet effet sur les réacteurs de 900 MW lors de leur quatrième visite décennale. De tels dispositifs doivent aussi être positionnés sur les réacteurs de 1 300 MW lorsqu'ils atteindront à leur tour 40 ans. Les réacteurs les plus récents en seront quant à eux équipés dès leur troisième visite décennale.

Les cuves font par ailleurs l'objet d'une surveillance constante à travers des examens non destructifs réalisés via des moyens robotisés

Source : commission d'enquête d'après EDF

Les enjeux de l'adaptation du parc de réacteurs aux conséquences prévisibles du changement climatique sont également essentiels dans la perspective de leur prolongation. Ces enjeux ont notamment vocation à faire l'objet de mesures ambitieuses dans le cadre des cinquièmes réexamens périodiques des réacteurs. La commission d'enquête considère qu'il est absolument indispensable que les améliorations qui seront décidées à cette occasion pour rendre les réacteurs plus résilients aux dérèglements climatiques intègrent d'emblée la perspective de leur prolongation jusqu'à 80 ans.

La commission d'enquête constate par ailleurs que plusieurs exemples internationaux nous permettent d'envisager très sérieusement la prolongation de la durée de vie de tout ou partie des réacteurs du parc nucléaire français au-delà de 60 ans.

L'exemple des Etats-Unis est à ce titre particulièrement riche d'enseignements puisque la conception des réacteurs américains est très proche de celle des centrales françaises qui appartiennent à la même filière technologique. Ainsi, aux États-Unis, presque tous les réacteurs nucléaires disposent déjà d'une licence pour fonctionner jusqu'à 60 ans et la commission de sûreté nucléaire (NRC) américaine a accepté la prolongation jusqu'à 80 ans de six réacteurs632(*). Par ailleurs, dans une note de 2021, la NRC a même déjà envisagé les conditions d'une prolongation jusqu'à 100 ans de la durée de fonctionnement de certaines centrales américaines.

Sur la base d'enseignements tirés de parcs nucléaires étrangers, EDF a témoigné auprès de la commission d'enquête sa grande confiance dans la prolongation des réacteurs du parc nucléaire français au-delà de 60 ans. Cette conviction a notamment été exprimée par le directeur de la division production nucléaire du groupe, Etienne Dutheil, à l'occasion d'une table ronde qui s'est tenue le 6 février 2024 : « nous avons confiance dans l'aptitude technique de nos installations à fonctionner durant de telles périodes. Aux États-Unis, des réacteurs ont obtenu une licence à quatre-vingts ans. En Europe, la centrale de Loviisa en Finlande vient d'obtenir une autorisation de fonctionner soixante ans. En Suisse, les réacteurs de Beznau ont été démarrés en 1969 et en 1971 et son toujours en fonctionnement. Cela ne veut pas dire que tout est acquis et que nous pouvons faire la même chose en France, mais, techniquement, la durée de vie potentielle de ce type d'installation peut atteindre plus de soixante ans. À nous de trouver les conditions répondant au cadre réglementaire permettant d'envisager de telles perspectives »633(*).

L'exemple américain vu par l'ASN

Les réacteurs nucléaires sont exploités aux États Unis sur la base d'une licence d'exploitation initiale d'une durée de 40 ans, renouvelable par pas de 20 ans. Afin de poursuivre l'exploitation des réacteurs au-delà de la licence d'exploitation initiale, les exploitants américains soumettent donc à la Nuclear Regulatory Commission (NRC), l'autorité indépendante en charge de la sûreté et la régulation des activités nucléaires aux États Unis :

- un dossier de renouvellement de licence pour fonctionner de 40 à 60 ans (License Renewal LR) ;

- puis un dossier de renouvellement de licence pour fonctionner de 60 à 80 ans (Subsequent License Renewal SLR).

Parmi les 93 réacteurs nucléaires en fonctionnement aux États Unis :

- 9 réacteurs fonctionnent toujours sur la base de la licence initiale pour fonctionner jusqu'à 40 ans ;

- 78 réacteurs ont obtenu le renouvellement de licence pour fonctionner jusqu'à 60 ans ;

- 6 réacteurs ont obtenu le renouvellement de licence pour fonctionner jusqu'à 80 ans.

L'ASN est attentive aux instructions conduites aux Etats-Unis concernant la poursuite du fonctionnement des réacteurs nucléaires, et a des échanges périodiques avec son homologue américain sur le sujet. Cependant, les conditions d'exploitation, les modalités de contrôle et de suivi et les modifications réalisées au cours de la durée de vie des centrales américaines peuvent s'avérer significativement différentes de celles observées en France. Par conséquent, il apparaît délicat de considérer que les analyses portées dans le cadre de la poursuite de fonctionnement des réacteurs nucléaires exploités aux Etats-Unis fournissent une indication fiable sur les perspectives de prolongation du parc nucléaire en France.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

La commission d'enquête a pu constater que des travaux de recherche ont été engagés dans la perspective de prolonger la durée de fonctionnement des centrales françaises au-delà de 60 ans. Compte-tenu des enjeux pour l'avenir énergétique du pays, il était indispensable de lancer au plus vite de telles études qui ont malheureusement trop longtemps été dissuadées par des politiques énergétiques farouchement hostiles à l'atome. Il est urgent de mettre tous les moyens et les compétences nécessaires dans ces recherches desquelles dépendra notamment la compétitivité économique de notre mix électrique de demain et d'après-demain.

Ainsi, à la fin de l'année 2023, EDF et le CEA ont-ils présenté à l'ASN et à l'IRSN un programme de recherche et développement relatif à la prolongation des réacteurs du parc nucléaire au-delà de 50 ans et même au-delà de 60 ans. Framatome est également partie prenante de ces recherches. Celles-ci, qui s'appuient notamment sur le programme américain de prolongation des licences de réacteurs de 60 à 80 ans, doivent se concentrer sur les conditions de vieillissement des composants du circuit primaire mais, plus encore sur celles des composants irremplaçables et difficilement remplaçables.

Les premiers échanges entre EDF et l'ASN concernant la perspective de prolongation des réacteurs au-delà de 60 ans

Les travaux sur les perspectives de fonctionnement au-delà de 60 ans ont été engagés avec EDF au début de l'année 2023. Au cours de l'année 2023, les échanges entre l'ASN et EDF ont permis d'identifier la liste des principaux sujets techniques pouvant limiter la poursuite du fonctionnement des réacteurs nucléaires jusqu'à 60 ans et au-delà.

Sur la base d'une analyse préliminaire, EDF a également analysé au cours de l'année 2023 les perspectives de fonctionnement avec les méthodes et les hypothèses actuellement utilisées dans la démonstration de sûreté des réacteurs. Ces éléments n'ont pas encore été partagés avec l'ASN, et n'ont donc pas fait l'objet à ce stade d'une évaluation critique de la part de l'ASN.

Pour les perspectives de fonctionnement au-delà de 60 ans, les premiers livrables d'EDF sont attendus pour la fin de l'année 2024. L'ASN prendra position sur ce sujet d'ici la fin de l'année 2026.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

Dans son avis du 13 juin 2023 précité, l'ASN a demandé à EDF de lui remettre un dossier technique détaillée d'ici à la fin de l'année 2024 documentant les perspectives de prolongation au-delà de 60 ans des réacteurs de son parc. Sur la base de cette étude, l'ASN a pris l'engagement de prendre une première position d'ici à la fin de l'année 2026 sur les points sensibles à expertiser et traiter en priorité dans le cadre de la poursuite du fonctionnement des centrales après 60 ans.

Une prise de position de l'ASN est attendue en 2026

La démarche d'anticipation sur les perspectives de poursuite de fonctionnement engagée par l'ASN avec EDF, qui conduira à une prise de position à la fin de l'année 2026 poursuit les objectifs suivants :

- Mettre en avant les difficultés devant être traitées en amont de la déclinaison des sixièmes réexamens périodiques, voire au-delà, notamment en matière de méthodes de justification ;

- Identifier les sujets limitants pour la poursuite de fonctionnement, et les échéances associées, pouvant concerner plusieurs réacteurs.

Il s'agit ainsi d'une démarche d'anticipation et de réduction des incertitudes entourant la capacité des réacteurs existants à poursuivre leur fonctionnement jusqu'à 60 ans et au-delà, qui n'a pas vocation à se substituer aux réexamens périodiques, qui sont un processus de démonstration de la capacité de ces réacteurs à poursuivre leur fonctionnement pour 10 années supplémentaires.

Cette démarche devrait conduire à un avis de l'ASN sur les perspectives de poursuite du fonctionnement du parc jusqu'à et au-delà de 60 ans, ainsi qu'une liste de sujets pour lesquels un travail anticipé par rapport aux réexamens est nécessaire.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

Recommandation n° 23

Destinataire

Échéance

Support/Action

Affirmer sans ambiguïté l'orientation politique stratégique visant à prolonger la durée de vie du maximum de réacteurs au-delà de 60 ans et mobiliser en ce sens dès à présent tous les acteurs concernés

Gouvernement (ministère chargé de l'énergie)

EDF

ASN

CEA

2024

Orientations stratégiques

C. CONSTRUIRE UN NOUVEAU PARC NUCLÉAIRE DANS DES CONDITIONS ÉCONOMIQUES OPTIMISÉES

Dans son discours de Belfort de février 2022, après de trop longues et coûteuses tergiversations, mettant fin à plusieurs décennies de « nucléaire honteux », le président de la République a tracé la voie d'un programme structurel de relance de la filière nucléaire française. Ce programme de nouveau nucléaire prévoit à ce jour la réalisation de trois paires d'un nouveau réacteur de troisième génération d'une puissance de 1 650 MW, l'EPR 2, sur les sites de Penly, de Gravelines et du Bugey. Au-delà de six premiers réacteurs, le président de la République a ouvert la perspective de la possible construction en série de huit autres réacteurs du même type d'ici à 2050, soit un total éventuel de 14 nouveaux réacteurs de troisième génération qui viendraient s'ajouter au réacteur EPR de Flamanville dont le premier chargement en combustible vient d'être réalisé en mai 2024.

La commission d'enquête se félicite de ce revirement stratégique qui ouvre de nouveaux horizons prometteurs pour l'avenir énergétique de la France et la revitalisation d'une filière d'excellence qui aurait dû rester, depuis sa constitution, au tournant des années 1960 et 1970, une grande fierté nationale.

La commission d'enquête est convaincue que cette réorientation salutaire de la politique énergétique nationale, après des années d'un travail de sape mené à l'encontre de la technologie nucléaire, permettra à la France de disposer, sur le long terme, d'un système électrique sûr et compétitif.

Elle souligne néanmoins que pour délivrer tout son potentiel, le programme de nouveau nucléaire français devra être réalisé dans des conditions économiques optimales. Cet impératif implique de mettre en oeuvre l'ensemble des instruments de gouvernance, de pilotage et de contrôle nécessaires pour garantir la maîtrise industrielle d'un projet d'une telle ampleur afin d'éviter que ne se répètent les errements connus au cours de la construction des premiers EPR.

1. Comment assurer la maîtrise industrielle du programme ?
a) Les déboires rencontrés imposent de tenir compte des enseignements tirés de la construction des premiers EPR

L'EPR (European Pressurized Water Reactor) est un modèle de réacteur à eau pressurisé de troisième génération conçu à la fin des années 1980, résultat d'une coopération franco-allemande entre Framatome et Siemens. Une partie du design du réacteur EPR reposait sur les plans du réacteur Konvoi allemand. La nécessité de faire converger deux filières nucléaires aux techniques et cultures différentes s'est traduite par des complexités qui ont affecté la constructibilité du réacteur. Ces difficultés se sont manifestées avec d'autant plus d'acuité à la suite du retrait brusque des allemands en raison de leur choix d'abandonner le nucléaire en 1998. Cette situation qui augurait mal de la suite a notamment été mise en évidence par la Cour des comptes dans son rapport sur la filière EPR publié en 2020634(*) : « après la décision allemande de se retirer du nucléaire, en 1998, la France s'est retrouvée seule à porter ce projet, dont l'acronyme prend le sens de « Evolutionary Pressurized Reactor » (EPR). Cependant, les grandes options de conception définies conjointement entre les ingénieries des deux pays, bien que sources de complexité, ne furent pas remises en cause ».

Les premières constructions de réacteurs EPR ont connu de nombreux déboires occasionnant des surcoûts substantiels ainsi que des dérives majeures de leurs calendriers prévisionnels de construction.

Dérives des délais de construction des programmes d'EPR construit ou en construction

(en mois)

Source : commission d'enquête

Dérives des coûts de construction des programmes d'EPR construit ou en construction

(en milliards d'euros)

Les programme de Taishan et Hinkley Point comportent deux réacteurs à la différence des programmes de Okiluoto et Flamanville qui n'en comportent qu'un seul

Source : commission d'enquête

Démarrée en 2007, la construction du réacteur EPR de Flamanville a été emmaillée par une série de difficultés, dont les causes ont été étudiées et identifiées dans deux rapports réalisés en 2019 et en 2020 dont les conclusions et recommandations sont décrites infra :

- le rapport rendu par Jean-Martin Folz en octobre 2019 ;

- le rapport publié en juillet 2020 par la Cour des comptes consacré à la filière EPR.

Alors que son délai de construction prévisionnel initial avait été estimé à 54 mois, l'ASN vient tout juste d'autoriser635(*), la mise en service du réacteur, soit plus de 200 mois après le lancement des travaux. Au cours du chantier, les délais de construction ont ainsi presque été multipliés par quatre depuis l'origine. Un phénomène identique, dans des proportions similaires, avait été observé pour le réacteur EPR construit en Finlande sur le site de Okiluoto.

Depuis sa dernière réévaluation en décembre 2022, le coût de construction à terminaison de l'EPR de Flamanville est désormais estimé à 13,2 milliards d'euros636(*). En 2019, il avait déjà été réévalué à 12,4 milliards d'euros. À l'origine du projet, son coût avait été estimé à seulement 3,3 milliards d'euros. Comme les délais de construction, le coût du projet a donc été multiplié par quatre depuis le lancement du chantier.

Par rapport à leurs homologues chinois et britanniques, les projets de Okiluoto et de Flamanville ont pâti du fait qu'en plus d'être des têtes de série, ils ne pouvaient pas bénéficier du facteur d'optimisation lié à « l'effet paire » puisqu'ils ne prévoyaient, l'un comme l'autre, que la construction d'un seul réacteur.

Dans des proportions moindres, à ce stade, que sur les programmes d'Okiluoto et de Flamanville, la construction de deux réacteurs EPR par EDF au Royaume Uni sur le site de Hinkley Point, a également subi de graves dérives, tant en termes de coûts que de délais. La dernière revue du projet dont les résultats ont été annoncés en début d'année 2024, anticipe désormais un coût de construction à terminaison situé entre 31 et 35 milliards de livres sterling alors que l'estimation initiale était de 18,1 milliards de livres637(*), soit une augmentation potentielle de près de 100 %. Par ailleurs, ces montants sont exprimés en livres sterling 2015, actualisé en valeur de 2023, le coût de construction pourrait ainsi atteindre jusqu'à 46 milliards de livres sterling selon EDF, soit 54 milliards d'euros.

S'agissant des délais de construction, suite à la dernière réévaluation de 2024, EDF considère trois scénarios de date de mise en service du premier des deux réacteurs. Celle-ci pourrait intervenir en 2029, en 2030 ou en 2031. Le second réacteur doit quant à lui être mis en service un an après le premier. Le scénario le plus favorable correspondrait à un retard de deux ans par rapport au calendrier annoncé en 2022 et de quatre ans par rapport au planning initial.

La bonne conduite du projet a indéniablement été affectée par deux évènements externes : la crise sanitaire et le Brexit. Cependant, des difficultés propres au programme lui-même sont également en cause. Elles concernent principalement le chantier de génie civil, dont la performance a été beaucoup plus faible qu'anticipé, ainsi que les opérations de montage électro-magnétique dont le volume et la complexité avaient été sous-estimés de façon manifeste. Ainsi, d'après la DGEC638(*), les surcoûts du projet Hinkley Point annoncés en 2024 ne s'expliquent pas principalement par le décalage du calendrier « mais majoritairement par des coûts de travaux additionnels identifiés pendant le projet, une complexité mieux estimée, et des performances de travaux initialement surestimées ». EDF a confirmé à la commission d'enquête que, selon son analyse, « le coût du génie civil et l'allongement de la durée de la phase électromécanique (ainsi que sa conséquence sur les autres lots) sont les deux principales causes de cette révision du coût de construction »639(*).

Les deux réacteurs construits en Chine, sur le site de Taishan, ont bénéficié d'un contexte plus favorable. En effet, si ce projet constituait une « tête de série », il s'inscrivait dans le cadre d'un vaste et intense programme industriel de construction de réacteurs nucléaires. À la faveur de ce programme de construction cadencé engagé depuis plusieurs années, les équipes qui ont travaillé sur les sites de Taishan étaient aguerries et expérimentées par la construction d'autres centrales. Ainsi, même si les autres réacteurs construits relevaient de filières technologiques différentes, les chantiers de Taishan 1 et 2 ont-ils pu bénéficier d'un « effet de série » partiel.

Pour autant, malgré ce contexte plus favorable, ils ont également affiché une certaine dérive de leur calendrier de construction et de leur coût, à hauteur respectivement de + 110 % et de + 50 %.

Ces dérives industrielles à répétition aux conséquences financières colossales devaient être expertisées afin que des leçons en soient tirées pour les choix de politique énergétique futurs et pour objectiver et éclairer les potentialités et l'avenir de la filière nucléaire. À la charnière entre les décennies 2010 et 2020 deux études ont ainsi été réalisées dans cette perspective.

En octobre 2019, Jean-Martin Folz a ainsi rendu un rapport au PDG d'EDF concernant « la construction de l'EPR de Flamanville »640(*). Ce rapport dresse une longue liste de dysfonctionnements majeurs témoignant d'une absence totale de maîtrise industrielle du projet et qui se sont traduits par les énormes difficultés rencontrées tout au long du chantier.

Le rapport souligne tout d'abord la précipitation dans laquelle le projet a été décidé par EDF. Cette précipitation intervenait dans un contexte de concurrence destructrice au sein même de la filière nucléaire française entre Areva, qui venait elle-même de lancer, en collaboration avec Siemens, la construction d'un EPR sur le site de Okiluoto en Finlande, et EDF, qui voyait dans le projet conduit par son concurrent, « un risque majeur de voir les caractéristiques détaillées de l'EPR figées par la seule prise en compte des prescriptions du régulateur finlandais et comme une menace pour ses ambitions d'exporter son modèle d'architecte-ensemblier ». Ainsi, le rapport constate-t-il que « les études étaient insuffisamment avancées au lancement ». Il précise notamment que « les travaux d'ingénierie de détail étaient à peine entamés et les études de sûreté, d'incendie, d'agression, de qualification de matériels peu engagées ». Cette situation a engendré de très nombreuses modifications tout au long du chantier contribuant « très significativement aux dérives du calendrier » et générant « des consommations supplémentaires d'heures d'études, une instabilité des spécifications et instructions données, qui s'est parfois révélée déroutante pour les entreprises contractantes, et la nécessité de nombreuses reprises sur des montages déjà réalisé ».

La précipitation du lancement d'un projet non mature s'est accompagnée, selon les termes du rapport, d'une « estimation initiale irréaliste » de son coût. Pour réaliser cette estimation, EDF avait procédé à une simple extrapolation du coût des réacteurs les plus récents du parc national641(*). Le rapport constate que cet exercice s'est avéré particulièrement inadapté : « EDF a grossièrement sous-estimé dans ses travaux d'extrapolation la différence de taille et surtout de complexité entre le palier N4 et l'EPR ». L'évaluation du délai prévisionnel de construction présentait les mêmes incohérences manifestes. Estimé à 54 mois, c'est-à-dire dans l'ordre de grandeur du délai prévisionnel annoncé pour la centrale finlandaise qui était quant à lui de 48 mois, ce délai apparaissait « totalement déconnecté des dernières expériences d'EDF », en particulier pour une nouvelle « tête de série ». En effet, le rapport souligne que la précédente « tête de série » construite en France, à savoir le réacteur n° 1 de la centrale de Chooz642(*) avait été construite en 142 mois et que le dernier réacteur mis en service, le réacteur n° 2 de la centrale de Civaux, l'avait été au terme d'un chantier de 98 mois. Par ailleurs, dans le monde, entre 1996 et 2000, la durée moyenne de construction d'un réacteur s'établissait à 121 mois.

Dans son rapport, Jean-Martin Folz a également mis en évidence « une gouvernance de projet inappropriée » dont la défaillance principale était caractérisée par la confusion entre les deux rôles majeurs dans le pilotage et la gestion d'un projet : la maîtrise d'ouvrage (MOA) et la maîtrise d'oeuvre (MOE).

Le pilotage du projet s'est révélé complètement inadapté. Les méthodes et outils relevant des bonnes pratiques et indispensables en matière de gestion de projets, en particulier d'une telle ampleur, n'ont pas été utilisés par EDF. Le rapport ne cache pas une certaine forme de sidération sur ce point : « EDF semble avoir ignoré certaines des bonnes pratiques en vigueur dans d'autres secteurs ».

Le rapport a également pointé l'organisation complexe et inefficiente des ressources d'ingénierie en constatant que, dans certains cas, des fournisseurs se sont vus confier des rôles de MOE déléguée, induisant les responsabilités correspondantes en matière d'ingénierie et de contrôle des sous-traitants, sur des ensembles importants du projet sans qu'ils ne disposent des moyens et compétences nécessaires pour assumer efficacement ces missions.

Le rapport constate que le contexte réglementaire et l'évolution des normes de sûreté expliquent aussi une partie des retards et surcoûts du projet.

Le rapport met également en cause la politique industrielle d'EDF à l'égard de ses fournisseurs et sous-traitants : « un projet de l'ampleur et de la complexité de l'EPR de Flamanville aurait nécessité une collaboration confiante, encadrée bien entendu par des contrats solides, entre le maître d'oeuvre et les entreprises appelées à fournir des matériels ou des équipements et à intervenir sur le chantier. Cela n'a pas été le cas général ». Le rapport ajoute que « le maître d'oeuvre n'a pas su créer une véritable ambition commune qui associe étroitement les entreprises au projet mais est demeuré trop souvent dans un registre strictement prescriptif voire autoritaire ».

Enfin, le rapport constate également les conséquences délétères des pertes de compétences au sein de la filière nucléaire en général et chez EDF en particulier du fait de l'absence de construction de nouvelles centrales pendant plus de 15 ans en Europe. En effet, le chantier du dernier réacteur construit643(*) avait débuté en 1991.

Les conséquences de la perte de compétence de la filière nucléaire sur le chantier de l'EPR de Flamanville

Le renouvellement générationnel et le manque d'expérience pratique des intervenants ont engendré une forte perte de compétences qui n'a pas été appréhendée à la hauteur des risques associés.

Le projet EPR de Flamanville a dû surmonter une érosion des compétences chez tous les acteurs directement ou indirectement impliqués, après une longue période d'interruption de la construction nucléaire en France. Il s'était écoulé 23 ans entre le début de la tête de série du palier N4 (Chooz B1 en 1984) et l'EPR de Flamanville. Près de 10 ans le séparent de la fin des activités de construction sur le dernier chantier N4 (Civaux 2).

La génération qui avait conçu, construit et mis en service le parc nucléaire, arrivait dans sa dernière partie de carrière avec le palier N4, et la majorité était sortie de la filière 20 ans avant la construction de Flamanville 3.

Cette perte de compétences collective pour la filière s'est traduite notamment par des non-qualités, obligeant à des arrêts du chantier et de nombreux travaux de reprise. Cela explique, en premier lieu, les dérives successives du planning et, en conséquence, celles du coût du projet.

Source : dossier du maître d'ouvrage du projet de réacteurs EPR 2 à Penly, 2022

En 2020, dans son rapport précité sur la filière EPR, la Cour des comptes a elle-même dressé le bilan des défaillances ayant entraîné les dérives du chantier de Flamanville. Comme le rapport Folz, elle a souligné le manque de maturité manifeste du projet au moment de son lancement ainsi que l'estimation « irréaliste » de son coût, des besoins en ingénierie et du calendrier prévisionnel du chantier. Elle a aussi constaté que « l'entreprise n'était pas organisée pour réaliser un projet de cette ampleur ».

Les défaillances de gouvernance et de pilotage stratégique du projet
selon la Cour des comptes

Cette dérive résulte, en outre, d'un défaut d'organisation du suivi du projet par EDF et d'un manque de vigilance des autorités de tutelle. Le conseil d'administration n'a pas délibéré de manière régulière sur ce projet stratégique, ne s'est pas saisi des messages d'alerte du comité d'audit et s'est contenté des informations qui lui étaient communiquées sans prendre de mesures correctrices. L'entreprise n'était pas organisée pour réaliser un projet de cette ampleur : le concept « d'architecte ensemblier » dissimulait une confusion entre les fonctions respectives du maître d'ouvrage et du maître d'oeuvre.

Jusqu'en 2015, le projet n'a pas été piloté par une véritable équipe projet. Les relations contractuelles ont aggravé la faiblesse du pilotage technique du projet puisque les contrats n'intégraient, à leur signature, ni les aléas - pourtant prévisibles compte-tenu du caractère de « tête de série » du réacteur - ni des mécanismes incitatifs qui auraient permis de prendre en compte le caractère incomplet du design. Onze des douze principaux contrats de l'EPR de Flamanville ont ainsi connu des augmentations de coûts comprises entre 100 % à 700 %. L'entreprise s'est organisée tardivement pour piloter financièrement ce projet : ce n'est qu'à compter de 2015 qu'elle a suivi les dépenses et alors évalué le coût de construction à terminaison.

Source : Cour des comptes, La filière EPR, 2020

Pour la Cour des comptes, EDF n'est cependant pas la seule à blâmer. Les administrations concernées ont également leur part de responsabilité : « les administrations concernées n'ont pas rempli leur rôle. Alors que les estimations initiales de la durée de construction et du coût de l'EPR de Flamanville 3 étaient manifestement sous-évaluées, elles n'ont réalisé ni évaluation de la rentabilité socioéconomique du projet, ni analyse propre de l'impact des problèmes successifs rencontrés dans sa réalisation. Elles n'ont pas davantage alerté les ministres sur l'importance des aléas des chantiers d'Olkiluoto 3 et de Flamanville 3 et leurs conséquences ».

Par ailleurs, un certain nombre de défaillances pouvant remettre en cause le respect des exigences de sûreté ont été détectées par l'ASN tout au long du chantier de l'EPR. Elles ont aussi largement contribué à la dérive de son calendrier comme de ses coûts, notamment, comme l'a relevé la Cour des comptes, en raison de déclarations tardives de ces difficultés par EDF.

b) L'EPR2 est-il véritablement plus simple à fabriquer et plus compétitif que l'EPR ?

La conception même de l'EPR 2 est présentée par EDF comme une première réponse technique aux difficultés rencontrées sur les chantiers de construction des EPR. Pourtant, le rapport Folz avait mis en garde contre la tentation visant à modifier de façon substantielle la conception de l'EPR, au risque d'aboutir à une nouvelle « tête de série » exposée aux mêmes aléas que les précédents chantiers.

Néanmoins, l'EPR 2 a été conçu par EDF, sur la base de l'EPR, dans une perspective de simplification et pour en améliorer la constructibilité. Selon EDF, trois caractéristiques principales doivent rendre l'EPR 2 plus facile à construire qu'un EPR.

La première de ces caractéristiques tient à la simplification du design du réacteur. Elle a essentiellement pour objet de rendre moins complexe la phase de génie civil qui a constitué un point noir récurent des chantiers des différents EPR à ce jour. Cette simplification se traduit notamment par l'alignement des murs d'un local à l'autre et d'un étage à l'autre. Le nouveau design privilégie aussi une simple enceinte renforcée de confinement en béton avec un revêtement métallique plutôt que la double enceinte qui prévalait sur le modèle EPR. Le renoncement à la possibilité de réaliser des opérations de maintenance dans le bâtiment réacteur pendant que la centrale fonctionne à pleine puissance644(*) doit aussi contribuer à simplifier la construction des EPR 2.

La deuxième caractéristique relève d'un principe de standardisation des équipements qui doit permettre de réduire significativement le nombre de références des composants du réacteur. À titre d'exemple, d'après EDF, le nombre de références de portes serait trois fois moins important sur un EPR 2 que sur un EPR.

La troisième caractéristique censée rendre l'EPR 2 plus facile à construire tient à un développement de la préfabrication en usine et de la modularisation des équipements avec notamment un objectif de diminuer de 30 % les soudures réalisées sur le chantier.

Les différences en matière de sûreté entre l'EPR, l'EPR 2 et
les centrales plus anciennes (ASN)

La conception du projet de réacteur EPR2 est en grande partie fondée sur celle du réacteur EPR de Flamanville. Les objectifs de sûreté de ces deux modèles de réacteur sont identiques. EDF a apporté des évolutions significatives pour simplifier la construction de l'installation, comme le recours à une enceinte à simple paroi, la suppression du bâtiment des auxiliaires nucléaires, la suppression d'un des quatre trains de sûreté ou la suppression de la possibilité de réaliser des opérations de maintenance dans le bâtiment du réacteur pendant son exploitation en puissance, ce qui impacte l'architecture des systèmes de sauvegarde. Par ailleurs, EDF a fait évoluer l'architecture des systèmes supports. En particulier, EDF prévoit une source froide diversifiée et indépendante de la source froide principale, d'une technologie différente de celle retenue pour le réacteur EPR de Flamanville. De plus, des systèmes de sauvegarde et supports sont dédiés aux accidents avec fusion du coeur.

L'ASN a pris position en 2019 sur ces évolutions. Elle a considéré que les objectifs généraux de sûreté, le référentiel de sûreté et les principales options de conception sont globalement satisfaisants.

Les objectifs de sûreté des réacteurs de nouvelle génération, comme le réacteur EPR de Flamanville, ont été pris comme référence pour la poursuite de fonctionnement des réacteurs de 900 MW au-delà de 40 ans. À l'issue du réexamen, des écarts subsistent entre le niveau de sûreté du réacteur EPR et celui des réacteurs de 900 MW. Il existe en effet des différences de conception, comme la disposition plus favorable des différents bâtiments du réacteur EPR, la protection du bâtiment de la piscine d'entreposage du combustible ou le nombre de systèmes de sûreté permettant de faire face à un accident.

Toutefois, le quatrième réexamen périodique permet de rapprocher le niveau de sûreté des réacteurs de 900 MW de celui des réacteurs de troisième génération. EDF renforce ainsi les sources d'alimentation électrique et de refroidissement et la protection des réacteurs contre les agressions d'intensité extrême. Le réexamen permet de réduire les conséquences radiologiques des accidents. Il conduit également EDF à déployer des améliorations de sûreté directement inspirées des réacteurs de nouvelle génération : c'est le cas par exemple de la fonction de stabilisation et de refroidissement du corium à l'intérieur de l'enceinte de confinement.

Source : réponses de l'ASN à la commission d'enquête

Certaines des modifications du design de l'EPR 2 devaient conduire à des réévaluations en matière de sûreté. Aussi, l'ASN a-t-elle mené l'instruction du dossier d'options de sûreté du projet de réacteur EPR 2. Suite à cette première instruction, elle a publié un avis le 16 juillet 2019 dans lequel elle a considéré que les objectifs généraux de sûreté, le référentiel de sûreté et les principales options de conception étaient « globalement satisfaisants ». Elle a cependant identifié certains sujets qu'EDF devra encore approfondir en prévision de la future demande d'autorisation de création. Après cette première étape, l'ASN a poursuivi l'évaluation technique de ce modèle de réacteur, sur la base notamment d'une version préliminaire du rapport de sûreté qu'EDF lui a transmise en février 2021. Suite au dépôt par EDF de sa demande de création de deux réacteurs EPR 2 sur le site de Penly, le contrôle de l'ASN est entré dans une nouvelle phase. L'ASN instruit actuellement ce dossier dans la perspective d'une autorisation de création qui pourrait intervenir en fin d'année 2026.

Le Gouvernement comme EDF soulignent que le fait de prévoir un programme prévoyant la construction de trois paires de réacteurs permettra aussi de tenir compte des expériences passées et de bénéficier de souplesse dans la mobilisation des équipes selon les aléas, de synergies, d'économies d'échelles et d'effets d'apprentissage. Pour autant, cet argument est contestable car, au contraire, dans une perspective d'optimisation économique, le choix de concevoir un nouveau modèle de réacteur, même simplifié et même très inspiré de l'EPR, n'allait pas de soi car il supposait un risque majeur, celui de se priver, au moins partiellement, des gains d'optimisation liés justement à « l'effet d'apprentissage » ou « de série » pour se lancer dans la construction d'une nouvelle « tête de série ». Pour cette raison, dès 2020, dans son rapport sur la filière EPR précité, la Cour des comptes ne cachait pas son inquiétude quant à cette décision (voir l'encadré ci-après).

Les craintes exprimées par la Cour des comptes en 2020 sur le choix de l'EPR 2

Tirant les leçons des difficultés rencontrées pour construire les réacteurs EPR, mais conforté par le bon fonctionnement de ceux de Taishan, qui valide ce choix technologique, EDF propose à l'ASN et aux autorités administratives un nouveau modèle d'EPR, dit « EPR2 » présenté comme plus simple et moins cher à construire.

En faisant ce choix, EDF s'éloigne de la démarche d'optimisation de la technologie de l'EPR appuyée sur le retour d'expérience et permettant de profiter de l'effet d'apprentissage. Les chantiers d'Olkiluoto 3 et de Flamanville 3 ont montré que privilégier l'innovation à l'expérience cumulée présente des risques et que le coût de cette innovation ne doit pas être sous-estimé.

Or, on ne peut pas établir avec un degré raisonnable de certitude que les économies de construction de futurs EPR2 par rapport au coût de construction d'EPR de type Flamanville se matérialiseront.

Source : Cour des comptes, La filière EPR, 2020

Le rapporteur a pu constater que ces craintes n'étaient pas sans objet. Il n'est pas convaincu à ce stade que les simplifications annoncées soient réellement au rendez-vous et que l'EPR 2 se révèle vraiment plus facile à construire qu'un EPR. Cette affirmation reste à démontrer. Le retard d'au moins neuf mois déjà dans la finalisation de la phase de conception détaillée (detailed design) est là pour en témoigner. Sur cet aspect, il a le sentiment que les conclusions finales de la revue de maturité conduite actuellement par Hervé Guillou seront absolument décisives. En toute hypothèse, du fait des nombreux changements opérés par rapport à l'EPR de Flamanville, il lui semble évident désormais que, comme le craignait la Cour des comptes en 2020, le premier réacteur EPR 2 à construire devrait être considéré comme une véritable « tête de série » avec tous les risques d'aléas que cela implique.

Cette conviction a amené le rapporteur à s'interroger sur le choix de l'EPR 2 pour la relance de la filière nucléaire nationale. N'aurait-il pas fallu tirer un trait sur l'EPR, issu d'une combinaison complexe et mal assortie entre les filières nucléaire française et allemande ? Après le retrait de l'Allemagne, n'aurait-il pas fallu revenir en arrière pour partir d'un design de réacteur purement français inspiré des derniers modèles de réacteurs de deuxième génération construits en France, à savoir les réacteurs du palier N4 d'une puissance de 1 450 MW ?

Aujourd'hui, le rapporteur a acquis la conviction que c'est le choix qui aurait dû être fait et que la décision de repartir du modèle de l'EPR dont la France a hérité par défaut pour concevoir un nouveau type de réacteurs de troisième génération était une erreur. Est-il cependant encore temps de revenir sur ce choix ? Certains experts que le rapporteur a pu entendre le pensent. Lors de son audition devant la commission d'enquête le 27 mai 2024, Jean-Marc Jancovici a considéré que cette hypothèse méritait d'être étudiée. Pour autant, au-delà même des études déjà réalisées par EDF, compte tenu de l'avancée du programme de nouveau nucléaire, des travaux approfondis en matière de démonstrations de sûreté d'ores et déjà conduits avec l'ASN ou encore de l'ensemble des procédures administratives menées à bien, une telle décision conduirait inévitablement à retarder le projet de cinq à dix ans au minimum. Aussi, la plupart des acteurs du secteur excluent-ils désormais catégoriquement ce scénario.

Le rapporteur est conscient de cette réalité et que la France se retrouve malheureusement en quelle que sorte « embarquée malgré elle ». Il admet qu'aujourd'hui la poursuite du programme EPR 2 est probablement la stratégie la plus raisonnable, à condition toutefois que sa viabilité soit démontrée dans les semaines et les mois qui viennent.

Cependant, dans l'hypothèse où la revue de maturité du programme actuellement en cours et qui devrait être achevée à l'été 2024 venait à révéler des défaillances majeures remettant en question de façon manifeste les perspectives de gains de compétitivité espérés du réacteur EPR 2, le rapporteur considère que l'hypothèse d'un retour à un réacteur de deuxième génération modernisé pour répondre aux règles de sûreté actuelles ne devrait pas être complètement écartée. Dans certains scénarios, elle pourrait même s'imposer.

Recommandation n° 24

Destinataire

Échéance

Support/Action

Tout en soutenant l'ambition et la réalisation du programme Nouveau Nucléaire, ne pas exclure des études sur un modèle de réacteur N4 modernisé si la revue de maturité des EPR2 s'avérait très négative.

Gouvernement (ministère chargé de l'énergie)

EDF

2025

Réorientation stratégique du programme de nouveau nucléaire

c) Alors que des surcoûts substantiels viennent d'être annoncés, la maîtrise industrielle du projet doit impérativement faire l'objet d'un suivi renforcé

En 2021, le coût prévisionnel de construction dit « overnight » du programme de construction de trois paires d'EPR 2 avait été estimé à 51,7 milliards d'euros. Le Gouvernement avait fait auditer cette estimation par deux cabinets de conseil : Accuracy et Nucadvisor.

Les coûts de construction « overnight » du programme de nouveau nucléaire

Les éléments de coûts présentés correspondent à des dépenses dites « overnight » ; cela reviendrait à une situation où il serait possible d'acheter et de construire instantanément sans coût de financement (« en une seule nuit ») une centrale de production d'électricité prête à produire les premiers kilowattheures.

Les coûts du programme se décomposent en trois grandes familles ci-dessous :

- le coût de construction et d'ingénierie qui correspond au périmètre de la maîtrise d'oeuvre de la construction des réacteurs, comprenant l'ingénierie de conception et de conduite de projet, l'achat des matériels et équipements, les travaux de construction et de montages électromécaniques sur le chantier et les essais de mise en service. Ce périmètre est celui qui relève classiquement de la réalisation d'une centrale nucléaire par un fournisseur pour le compte d'un exploitant ;

- les coûts de maîtrise d'ouvrage (« owner's costs ») correspondent aux frais complémentaires engagés en phase de construction par le maître d'ouvrage, au titre du rôle de propriétaire et des responsabilités relevant de l'exploitant nucléaire ;

- les provisions pour les dépenses à prévoir à l'issue de la phase d'exploitation : déconstruction et « dernier coeur » (dernière charge de combustible nucléaire).

Source : dossier du maître d'ouvrage du projet de réacteurs EPR 2 à Penly, 2022

Depuis, EDF a initié un travail pour affiner ce premier chiffrage afin notamment de prendre en compte les évolutions relatives à la conception du réacteur, les retours de fournisseurs ainsi que la signature des premiers contrats, la réévaluation des heures d'ingénierie nécessaires et afin de réévaluer certains coûts qui n'avaient pas été correctement estimés à l'époque.

En mars 2024, un article du journal Les Échos a révélé qu'au stade d'avancement des travaux de réestimation conduits par EDF, le coût prévisionnel de construction du programme de nouveau nucléaire avait été réévalué à 67,4 milliards d'euros, soit une progression de 30 % par rapport à l'estimation initiale. D'après EDF, cette évolution significative a trois origines principales :

- l'augmentation des heures d'ingénierie qui résulte des délais supplémentaires pris pour finaliser la conception détaillée du réacteur645(*) ;

- l'inflation des coûts de construction constatée au cours des premiers appels d'offre lancés pour le projet qui représenterait la part principale de l'augmentation ;

- la réévaluation à la hausse des provisions pour risques et aléas qui atteindrait à elle seule environ 5 milliards d'euros.

Parmi les premiers contrats, le chantier de génie civil a notamment été attribué à Eiffage.

EDF a par ailleurs indiqué à la commission poursuivre ses travaux visant à affiner le devis du projet dans la perspective de communiquer sur un chiffre actualisé à la fin de l'année 2024. Ces travaux vont d'ailleurs bien au-delà d'une simple réévaluation des coûts prévisionnels du projet puisqu'ils incluent une dimension de compétitivité avec des recherches d'optimisation sur les contrats, sur les calendriers, sur la productivité des activités d'ingénierie. Ces travaux sont notamment aiguillonnés par les résultats de la revue de maturité technique du programme actuellement conduite par une mission particulièrement utile pilotée par Hervé Guillou.

Le rapporteur tient à souligner la dimension absolument essentielle de cette mission qui, sans relâche, avec constance et ténacité, doit veiller à ce que les enseignements des échecs industriels passés soient pleinement pris en compte et que la maîtrise industrielle du programme soit garantie.

Cette mission doit garantir qu'au moment de son lancement, le projet soit viable et compétitif, que la conception du réacteur réponde aux meilleures exigences de faisabilité technique possibles et que toutes les conditions soient mises en oeuvre pour que se matérialisent les effets « de paires » et « de série » attendus afin d'optimiser les délais de construction et les coûts à terminaison de l'ensemble du programme.

Ces enjeux essentiels qui conditionnent la pertinence du projet supposent notamment de tirer parti de toutes les voies de simplification possibles, d'optimiser l'exécution de l'ensemble des opérations, de standardiser tout ce qui peut l'être, de veiller, une fois le design finalisé, à stabiliser l'évolution des spécification techniques en limitant au maximum les modifications, en résumé, de maîtriser tout au long de cet ambitieux programme industriel la conception d'un modèle unique de réacteur construit à l'identique de façon systématique.

La première leçon des constructions d'EPR passées, particulièrement des chantiers de Flamanville et d'Okiluoto, est de ne surtout jamais démarrer le projet trop tôt alors que sa conception n'est pas encore stabilisée et que les études préalables n'ont pas toutes été menées à leur terme. Cela implique également de ne pas franchir de façon artificielle les différents jalons qui entérinent les avancées de la conception du projet. Il est impératif de ne se lancer définitivement dans le programme qu'une fois qu'il sera parfaitement mûr, faute de quoi, comme dans les contre-exemples de Flamanville et d'Okiluoto, d'innombrables modifications seraient à attendre avec leurs lots de surcoûts et de dérives du calendrier.

Une fois le projet lancé, et pour assurer la réalisation des gains d'optimisation attendus, il sera essentiel de garantir la stabilité de ses spécifications techniques et ce, du premier au dernier réacteur construit. Cette exigence s'appliquera en interne à EDF, ce qui suppose de contrôler des services d'ingénierie qui, faute d'avoir pu réellement construire suffisamment de réacteurs ces dernières années, ont pu parfois fonctionner quelque peu « en roue libre »646(*). Chaque modification devra systématiquement faire l'objet d'une justification incontestable au moyen d'une analyse technico-économique rigoureuse prouvant son besoin pour le futur exploitant de la centrale représenté par la maîtrise d'ouvrage (MOA) du projet. Cette exigence de stabilité des spécifications techniques du programme supposera aussi de figer au maximum les exigences externes, notamment réglementaires, dans une vraie logique de palier.

Dès aujourd'hui, il est impératif d'organiser de façon rigoureuse des retours d'expérience systématiques pour tenir compte avec la plus grande réactivité possible des enseignements des chantiers passés ou en cours. Cette approche devra être appliquée de façon constante tout au long de la réalisation du programme afin d'optimiser et de démultiplier les « effets d'apprentissage ».

La performance du programme et sa maîtrise industrielle sur la durée dépendra aussi grandement de sa gouvernance et de son pilotage, l'enjeu le plus déterminant à cet égard, comme l'avait identifié le rapport Folz, étant la séparation très claire des rôles de maîtrise d'ouvrage (MOA) et de maîtrise d'oeuvre (MOE).

Dans cette perspective notamment, EDF a annoncé en mars 2024 une réorganisation de ses activités nucléaires autour de quatre directions :

- la direction stratégie, technologies, innovation et développement ayant vocation à exercer les missions de planification stratégique nucléaire, c'est-à-dire le rôle de maîtrise d'ouvrage (MOA) des programmes ;

- la direction projets et construction destinée à assurer la maîtrise d'oeuvre (MOE) des projets de constructions nucléaires ;

- la direction ingénierie et supply chain qui devrait avoir la mission d'encadrer les opérations d'ingénierie et de déployer une politique industrielle plus partenariale avec la chaîne d'approvisionnement d'EDF tout en développant la performance de celle-ci ;

- la direction production nucléaire et thermique exerçant la mission d'exploitant après la mise en service des centrales.

La commission d'enquête note que cette nouvelle gouvernance du nucléaire permet notamment d'identifier et de séparer dans l'organigramme d'EDF les rôles de MOA et de MOE. Cette évolution majeure consiste en pratique à créer un véritable « client », le représentant du futur exploitant investisseur, la MOA, et à lui donner une véritable consistance. Cette révolution, qui n'ira pas sans bouleverser la culture d'entreprise d'EDF, est tout à fait indispensable pour garantir la maîtrise industrielle d'un projet d'une telle envergure.

Aujourd'hui cette MOA existe de façon explicite dans l'organigramme d'EDF et ses rapports avec la MOE sont encadrées par un véritable contrat. Il s'agit cependant désormais de « muscler » sensiblement ses moyens et de lui assurer une véritable reconnaissance au sein du groupe. Elle doit disposer des capacités nécessaires à devenir un vrai outil de commandement du projet et du suivi du respect de ses grands objectifs, en particulier en matière de coûts. Afin de renforcer cet outil majeur, EDF doit aller chercher les compétences là où elles se trouvent, dans les secteurs qui ont l'habitude de mener à bien des programmes industriels rigoureux et de grande dimension. La commission d'enquête note à ce titre que les personnes ayant l'expérience de la conduite des grands programmes militaires pourraient par exemple être d'un concours précieux. Avec une vraie MOA légitime, puissante et compétente, la MOE pourra être recentrée sur la seule exécution du projet, prémunissant ainsi notamment le programme des évolutions de spécifications techniques internes intempestives qui ont eu cours sur les chantiers antérieurs.

La séparation entre MOA et MOE vue par EDF

Suite au Rapport Foltz notamment, EDF a fait évoluer son organisation qui s'appuie sur une nouvelle gouvernance en interne (qui n'existait pas pour le projet EPR de Flamanville) reposant sur 2 entités distinctes avec des responsabilités claires.

Une maîtrise d'ouvrage (MOA) indépendante, qui assure le rôle de client interne du projet, et dont les principales missions sont :

- d'apporter la vision stratégique de long terme ;

- de garantir le respect, par la maitrise d'oeuvre (MOE), des coûts, des délais et de la qualité de réalisation des projets ;

- de contrôler leur avancée technique et industrielle ;

- de sécuriser, au niveau national et européen, le cadre juridique et financier du programme ;

- de prendre en charge la mise en place d'un cadre juridique, économique et financier adéquat et des bonnes conditions de réalisation du projet.

Une maîtrise d'oeuvre (MOE) du Projet EPR2, qui :

- est en charge de la conception des réacteurs EPR2 ;

- assurera leur construction dans le respect des objectifs de qualité, coûts, délais et sécurité fixés par la MOA.

Source : réponses d'EDF à la commission d'enquête

Au-delà des enjeux essentiels liés à la séparation des fonctions de MOA et de MOE, la commission d'enquête note que la performance des chantiers du programme de nouveau nucléaire dépendra aussi grandement de la coordination entre la direction projets et construction et la direction ingénierie et supply chain, dont dépendra l'efficience de la combinaison des opérations d'ingénierie, d'achats et de construction des centrales.

L'optimisation de la gouvernance du projet est essentielle à la maîtrise industrielle du programme de nouveau nucléaire. Cependant, elle ne suffit pas à résoudre d'autres difficultés structurelles qui relèvent des compétences et de l'expérience des équipes qui travaillent ou travailleront sur ce programme. Comme décrit supra, la filière nucléaire française, autrefois signe d'excellence et source de fierté nationale, a été abîmée par plusieurs décennies de sous-activité et de dénigrements. Malgré la nouvelle dynamique désormais amorcée, certains secteurs sensibles demeurent sinistrés et les recrutements sont difficiles. À cet égard, il paraît indispensable que des travailleurs étrangers, notamment dans le cadre du dispositif des travailleurs détachés européens, participent au programme. Il semble même très pertinent, dans une perspective d'optimisation économique et pour tirer pleinement partie des « effets d'apprentissage » liés à la relance de l'atome à travers l'Europe, que le programme de nouveau nucléaire français fasse appel à un grand nombre de travailleurs qualifiés, français ou européens, qui auront travaillé récemment sur d'autres chantiers nucléaires à travers le continent, en Finlande, au Royaume-Uni, en République Tchèque ou encore en Hongrie.

Sur certaines compétences que la filière nucléaire et EDF ont largement perdues faute d'avoir pu construire un nombre suffisant de nouvelles centrales au cours des dernières décennies, le programme de nouveau nucléaire devra également rechercher des profils et de l'expérience au sein d'autres secteurs qui, eux ont continué à mener à bien de grands programmes de construction. Il s'agit notamment des compétences qui relèvent de l'ingénierie d'exécution, de la gestion, de la coordination et du pilotage de grands chantiers. Pour assurer la maitrise du pilotage de ces chantiers, EDF aurait intérêt à rechercher des partenariats avec d'autres entreprises plus expérimentées dans ces domaines, notamment dans les secteurs du génie civil ou de la pétrochimie.

Sur ce plan, la délégation interministérielle au nouveau nucléaire (DINN) a indiqué à la commission d'enquête que, dans le cadre de son suivi du programme, elle se montrera « particulièrement attentive à l'amélioration de la capacité industrielle sur la réalisation des projets avec en particulier la montée en capacité et en compétences de la fonction d'ordonnancement, planification et coordination de chantier ».

Une autre dimension critique pour la bonne réalisation du programme qui avait été mise en évidence dans le rapport Folz tient à la politique industrielle d'EDF et à ses relations avec l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement (supply chain). Un enjeu essentiel de la réussite du projet consistera à parvenir à créer une véritable relation partenariale entre EDF et l'ensemble des entreprises de la filière.

Dans la lignée des recommandations du rapport Folz, le choix a été fait d'associer au plus tôt les fournisseurs au projet, à travers le lancement anticipé d'appels d'offres, de façon notamment à « mettre à l'épreuve » la conception envisagée du nouveau modèle de réacteur. Cette approche va dans la bonne direction. Cependant il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour aboutir à la véritable politique industrielle partenariale qui conditionnera le déploiement efficace du programme.

À ce titre, EDF devra notamment résoudre des conflits entre certains objectifs qui, au premier abord, peuvent apparaître contradictoire. L'objectif de créer un collectif et une approche partenariale et collaborative autour du projet devra ainsi se concilier dans la durée avec celui de réaliser le plus de gains de performance possibles sur les contrats afin de maîtriser les coûts du projet.

La commission note qu'en assouplissant des règles relatives au code de la commande publique, la loi n° 2024-450 du 21 mai 2024647(*) permettra de lever certains freins au déploiement d'une véritable stratégie industrielle partenariale élargie à l'ensemble de la filière nucléaire.

La commission d'enquête souligne que le programme de nouveau nucléaire est désormais utilement suivi et contrôlé par la délégation interministérielle au nouveau nucléaire (DINN) et par la mission pilotée par Hervé Guillou. Ce programme est également suivi par les ministères et administrations concernées ainsi que, de manière confidentielle cependant, dans le cadre des réunions du Conseil de politique nucléaire. Cet encadrement est indispensable. Cependant, compte-tenu des enjeux associés à ce programme qui déterminera l'avenir énergétique du pays à long terme, il est nécessaire d'aller plus loin encore, notamment en donnant davantage de transparence à ce suivi et en prévoyant une participation systématique du Parlement. Cette gouvernance renforcée doit d'ailleurs aller au-delà du seul programme de nouveau nucléaire et s'étendre à l'ensemble des enjeux relatifs à la politique nucléaire nationale. Elle nécessiterait a minima que le Haut-commissaire à l'énergie atomique rende compte à la représentation nationale des travaux du Conseil de politique nucléaire et une collaboration et des échanges d'informations renforcés avec l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

Recommandation n° 25

Destinataire

Échéance

Support/Action

Assurer, notamment au moyen d'une nouvelle gouvernance du nucléaire civil, un suivi régulier des performances du groupe EDF par les pouvoirs publics, exécutif et Parlement, pour garantir la réussite du programme du nouveau nucléaire

Gouvernement (ministère chargé de l'économie et des finances, ministère chargé de l'énergie)

Parlement

EDF

2024

Législatif et règlementaire

d) Dans quel calendrier va-t-on pouvoir mettre en service 14 nouveaux réacteurs ?

Si la conduite du programme de nouveau nucléaire est maîtrisée selon les principes décrits dans les développements qui précèdent et moyennant un dispositif de financement adapté (voir infra), le renouvellement ambitieux de notre filière nucléaire sera un investissement compétitif. Aussi, la commission d'enquête retient-elle dans son scénario de référence le déploiement d'un programme de nouveau nucléaire permettant la construction d'au moins 14 nouveaux réacteurs.

Se pose ensuite la question de savoir dans quel calendrier et à quel rythme ces réacteurs pourront être construits. Le scénario le plus favorable avancé par le Gouvernement faisait état de la possibilité de mettre en service le premier réacteur « tête de série » sur le site de Penly dès 2035. Aujourd'hui, une fourchette située entre 2035 et 2037 est plus souvent annoncée et l'hypothèse d'une première mise en service en 2038 ne peut être exclue non plus, d'autant que les précédents chantiers doivent nécessairement nous inciter à la prudence.

Ainsi, dans l'hypothèse la plus favorable, les trois premières paires d'EPR 2 pourraient être mises en service entre 2035 et 2043 avant que ne soient construits à un rythme d'environ un réacteur par an les huit autres réacteurs à un horizon 2050, dont la décision de construction reste toutefois à confirmer. Ce cadencement est aujourd'hui celui qui semble à la fois le plus réaliste et probablement difficile à dépasser compte-tenu des capacités de la filière nucléaire dans son ensemble. Il pourra néanmoins être amené à être révisé s'il s'avérait que la montée en puissance des capacités de la filière s'effectuait à un rythme plus rapide qu'elle ne l'anticipe aujourd'hui.

Si l'on additionne l'ensemble des autorisations administratives à obtenir et les travaux à réaliser, les délais nécessaires à la réalisation d'un réacteur nucléaire entre la prise de décision et la mise en service représenteraient en moyenne entre 12 et 14 ans selon RTE. Cette estimation correspond à la succession de toutes les étapes nécessaires. Elle est significativement plus longue que la durée qui prévalait lors de la construction du parc historique.

Ainsi, le débat public initial peut durer de six mois à un an puis la demande d'autorisation de création est instruite pendant deux à trois ans tandis que les travaux préparatoires sur le site, notamment de terrassement, peuvent se prolonger entre deux et quatre ans.

Ensuite, la période de construction qui s'étend de la phase dite de premier béton à la mise en service est bien entendu la plus critique et la plus incertaine à ce jour, notamment compte-tenu des mauvaises expériences passées. Elle peut être raisonnablement estimée à ce jour entre huit et dix ans avec des perspectives de diminution significative au fur et à mesure du déploiement du programme du fait des « effets de série ». En 2022, selon le dossier du maître d'ouvrage relatif au projet d'EPR 2 sur le site de Penly, les durées de construction prévisionnelles des six réacteurs du programmes étaient ainsi estimées entre 105 mois pour la tête de série de Penly et 90 mois pour le sixième réacteur qui serait construit au Bugey.

Durée prévisionnelle de construction des trois paires de réacteurs EPR 2 du programme de nouveau nucléaire

(en mois)

Source : dossier du maître d'ouvrage du projet de réacteurs EPR 2 à Penly, 2022

Calendrier prévisionnel d'ici au lancement du chantier du premier réacteur EPR 2 à Penly (DINN)

Les échéances visées pour la construction des réacteurs de Penly, tête de série du programme EPR2, sont les suivantes :

- juin 2023 : décision du maitre d'ouvrage de poursuite du projet (post débat public) et dépôt des demandes d'autorisations administratives ;

- juin 2024 : obtention des autorisations environnementales et lancement des travaux préparatoires ;

- 2025 : décision finale d'investissement d'EDF ;

- 2026-27 : obtention de l'autorisation de création des réacteurs ;

- 2027-28 : lancement du chantier nucléaire.

Source : réponses de la DINN à la commission d'enquête

La commission d'enquête rappelle par ailleurs que des dispositions opportunes de la loi n° 2023-491 du 22 juin 2023648(*) permettront d'accélérer les chantiers de construction des nouveaux réacteurs notamment en permettant le lancement des travaux préparatoires dès l'obtention de l'autorisation environnementale et non, comme le prévoit le droit commun, après la publication du décret d'autorisation de création de la centrale. Cette évolution doit permettre de gagner environ deux ans sur le calendrier des chantiers du programme de nouveau nucléaire. Par ailleurs, cette même loi permet également, en cas de contentieux, que les recours en première et dernière instance se fassent devant le Conseil d'État, les autorisations étant entérinées par décret. Cette simplification du traitement des recours permettra de gagner du temps de procédure et sur le chantier dans le cas où les autorisations seraient suspendues en référé.

2. Financer le programme en limitant le coût complet de l'électricité produite par les centrales

Comme précisé dans les développements consacrés aux coûts de production du nouveau nucléaire, l'essentiel du coût total, sur l'ensemble de sa durée de vie, d'une centrale nucléaire repose sur les coûts de son financement. D'après l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN)649(*), cette proportion atteint en moyenne 67 % du coût total dans l'hypothèse d'un taux de rémunération du capital de 7 %650(*).

Cela signifie que le coût total du programme de nouveau nucléaire français et de l'électricité que produiront ses réacteurs dépendra principalement du modèle de financement du projet. En effet, plus le modèle sera sécurisé pour le producteur, en l'occurrence EDF, moins le taux de rémunération des actifs qu'il y a investi sera élevé et plus le coût de complet de production des réacteurs sera faible. Inversement, plus les risques assumés par EDF seront importants, en phase de construction puis en phase d'exploitation, plus le coût de production sera élevé.

Répartition des coûts de production des réacteurs nucléaires selon l'AEN

Source : AEN, Unlocking reductions in the construction costs of nuclear, a practical guide for stakeholders, 2020

Certes, les coûts de construction initiaux sont également déterminants dans le coût de production final, en particulier parce qu'ils peuvent, selon la façon dont sont répartis les risques en phase de construction entre le producteur, la puissance publique et les consommateurs, rétroagir sur les coûts de financement puisqu'ils sont susceptibles d'accroître la base sur laquelle le taux de rémunération des actifs s'applique.

Cependant, les conséquences d'une augmentation des coûts de construction initiaux, même substantielle, sont sans commune mesure avec celles d'un taux de rémunération des actifs, souvent rapporté à la notion de coût moyen pondéré du capital (CMPC), élevé en présence d'un modèle de financement qui ferait reposer une partie significative des risques de construction et d'exploitation sur EDF. C'est à cette aune qu'il convient de relativiser, sans pour autant en minimiser l'incidence, qui est réelle, l'augmentation des coûts prévisionnels de construction « overnight » (c'est-à-dire sans intégrer les coûts de financement) du programme de nouveau nucléaire annoncés en mars 2024.

Comparaisons des coûts de production moyen du nouveau nucléaire selon des hypothèses de coût moyen pondéré du capital (CMPC)

Source : dossier du maître d'ouvrage du projet de réacteurs EPR 2 à Penly, 2022

Les coûts de financement dépendent entièrement de la gestion et de l'allocation des risques associés au projet durant la phase de construction puis pendant la période d'exploitation, dans le cas présent entre trois acteurs principalement : le producteur et par extension d'éventuels investisseurs tiers, le consommateur et le contribuable à travers les financements apportés et les prises de risques assumées par la puissance publique, en l'occurrence ici, l'État. Pour résumer, plus les risques perçus sur le projet par les investisseurs seront importants et plus ces derniers demanderont des taux de rémunération élevés en contrepartie. Inversement, plus la part de risques transférés des investisseurs aux consommateurs ou aux contribuables via la puissance publique sera importante, plus le coût moyen pondéré du capital du projet et le coût de production de l'électricité exprimé en euros par MWh seront faibles.

La longue durée de la phase de construction d'une centrale a par ailleurs un autre impact très lourd sur le coût de financement final du projet à travers le phénomène dit des « intérêts intercalaires ». Ces intérêts intercalaires résultent de l'immobilisation pendant une très longue période d'actifs qui, durant cette phase, ne reçoivent aucune rémunération. Ces intérêts intercalaires, eux même rémunérés au CMPC après la mise en service, viennent ainsi augmenter les coûts de financement totaux du projet et, par voie de conséquence le coût de production de l'électricité produite par la centrale.

Il est acquis et reconnu par tous les acteurs de façon unanime qu'EDF n'a pas les moyens de financer à elle seule le programme de nouveau nucléaire. Ce constat implique qu'un partage des financements et des risques associés au projet, en phase de construction comme en phase d'exploitation, est incontournable. Ce partage s'effectuera nécessairement, selon une répartition à définir entre EDF, les consommateurs et les contribuables.

La contribution de la puissance publique, et donc des contribuables, aux dépenses nécessaires à la phase de construction du projet peut s'opérer de différentes manières.

Premièrement, une personne publique peut investir directement en capital dans le projet, dans une proportion à définir. Cet apport en capital aurait très probablement vocation, la Commission européenne l'exigera très vraisemblablement, à être logé dans un véhicule de financement dédié, une société de projet (SPV) dans laquelle EDF apporterait des capitaux également.

Deuxièmement, l'État pourrait se contenter de garantir la dette d'EDF levée sur les marchés pour financer le projet. Cette hypothèse parait cependant manifestement insuffisante notamment en raison de l'endettement déjà très élevé du groupe.

Troisièmement, l'État pourrait verser à EDF des avances remboursables que l'entreprise pourrait devoir restituer dans la phase d'exploitation selon certains critères à définir.

Une part des dépenses de construction peut aussi être assurée par des investisseurs privés, industriels électro-intensifs dans le cadre de contrats de long terme tels que des contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN) ou autres fonds d'investissements.

Par ailleurs, afin de réduire les risques, les coûts de financement et par voie de conséquence les coûts de production de l'électricité qui sera in fine produite par les centrales, il est possible d'envisager d'assurer à EDF une rémunération des investissements qu'elle aura consenti dès la phase de construction. Ce dispositif pourrait par exemple prendre la forme d'un système de type base d'actifs régulée (BAR), dans laquelle un régulateur définirait chaque année la rémunération des actifs dus à EDF au regard des dépenses réalisées651(*) sur le modèle notamment du système de financement des réseaux, ou, s'il est converti en garantie de prix au cours de la phase d'exploitation, un mécanisme dit de « lifecycle CfD »652(*). Quelle qu'en soit la forme et celui qui l'acquitte (État ou consommateurs), une rémunération des actifs investis par le producteur dès la phase de construction conduit à réduire drastiquement l'effet des intérêts intercalaires présentés supra et, par voie de conséquence, à réduire le coût de financement total du projet et les coûts complets de production de l'électricité produite.

En phase d'exploitation, deux options différentes peuvent permettre de réguler la production des réacteurs pour l'insensibiliser aux variations des marchés. La première option est celle du CfD tandis que la seconde est celle de la BAR. L'une comme l'autre contribuent à sécuriser le producteur se traduisant ainsi par une diminution des risques auxquels il est exposé, en l'occurrence les risques de marchés, voire dans le cas de la BAR, des risques de production. Leurs principales caractéristiques respectives sont décrites par la CRE dans l'encadré ci-après.

La régulation des revenus tirés de la production des réacteurs en phase d'exploitation

Dans le modèle CfD, le prix d'exercice est fixé par avance, indépendamment des dépenses d'investissement et du volume de production. EDF est exposé au risque de dépassement des coûts de construction, ainsi qu'aux aléas de production. Le CfD peut être indexé sur l'IPC comme dans le cas du CfD du projet Hinkley Point C, pour protéger EDF contre le risque d'une inflation supérieure aux anticipations. Ce sont les consommateurs de demain qui supportent les coûts supplémentaires du nouveau parc par rapport aux coûts comptables du parc existant.

Le modèle BAR est une variante du modèle CfD, inspirée des tarifs de réseaux. Plus protecteur pour EDF, le modèle BAR lui assure un revenu indexé sur ses coûts de construction : le prix d'exercice n'est pas fixé par avance comme dans le modèle CfD, mais dépend des dépenses d'investissement et du volume de production de façon à garantir un retour sur investissement connu d'avance. Les intérêts intercalaires liés à la dette des projets en construction peuvent être couverts au fil de l'eau par les consommateurs d'aujourd'hui, au lieu d'être capitalisés comme dans le modèle CfD. Les consommateurs de demain supportent néanmoins l'essentiel des coûts supplémentaires du nouveau parc par rapport aux coûts comptables du parc existant, et ils sont exposés au risque de dépassement des coûts de construction et aux aléas de production.

Source : réponses de la CRE à la commission d'enquête

Plusieurs exemples européens récents peuvent être source d'inspiration et d'enseignements pour la France à l'heure de la définition du modèle de financement du programme de nouveau nucléaire.

En Finlande, le réacteur EPR d'Okiluoto a été financé selon le principe coopératif dit de « Mankala », utilisé dans le pays depuis les années 1960 pour favoriser le développement des moyens de production d'électricité. La centrale a ainsi été financée par un consortium d'investisseurs, propriétaires d'une société coopérative qui exploite le réacteur pour leur vendre l'électricité produite à prix coûtant.

En République tchèque, le projet Dukovany 5 doit être financé par un prêt de l'État ainsi que par un mécanisme destiné à couvrir certains aléas liés à la phase de construction assimilable à une rémunération en phase de construction. En phase d'exploitation il bénéficierait d'une régulation sous forme de CfD sur toute la durée de vie de la centrale.

La construction des réacteurs de Hinkley Point est uniquement financée par des ressources propres apportées par EDF (66,5 %) et l'autre partenaire du projet, le groupe chinois CGN (33,5 %). Depuis que le groupe CGN s'est retiré du projet en 2023, une fois atteint le niveau de financement auquel il s'était engagé, EDF assume seule, sur une base volontaire, les surcoûts du projet. Le Gouvernement britannique a catégoriquement exclu d'en prendre une partie à sa charge, maintenant le principe d'une non-participation du contribuable à ce projet. Le risque de construction étant intégralement supporté par l'investisseur, le coût moyen du capital du projet a été établi à un niveau élevé d'environ 9 %.

Après la mise en service des réacteurs, dans la phase d'exploitation, le financement du projet sera assuré dans le cadre d'une régulation sous forme d'un CfD d'une durée de 35 ans dont le prix pivot de 92,5 livres sterling de 2012 par MWh, soit environ 102 euros, est indexé sur l'inflation. Ce dispositif présente l'avantage de protéger le producteur des risques liés au prix de marché en lui garantissant un revenu stable sur la durée.

La Cour des comptes britannique a publié une étude critique sur les modalités de financement du projet Hinkley Point C. Selon elle, elles conduiront les consommateurs à payer un prix de l'électricité nettement plus élevé que celui qui aurait pu résulter d'un autre système de financement qui, à travers un autre modèle de partage des risques entre producteur, consommateur et contribuable, aurait diminué le coût moyen pondéré du capital du plan d'affaire.

Suite aux critiques émises par la Cour des comptes britannique et également dans la mesure où la construction de ce nouveau projet est moins exposée aux aléas que la tête de série que constitue le chantier d'Hinkley Point C, les modalités de financement des réacteurs du projet de Sizewell C devraient être très différentes. EDF et l'État britannique ont ainsi négocié un nouveau système dans le but de réduire le coût de production final des centrales en MWh et donc le prix facturé aux consommateurs. Ainsi, la phase de construction du projet devrait être financée par une combinaison de fonds propres et de dettes. Les fonds propres du projet devraient cette fois-ci, à l'inverse du projet Hinkley Point C, être principalement apportés par l'État et donc le contribuable britannique et, dans une moindre mesure par des investisseurs tiers tels que de gros industriels ou des fonds d'investissement. EDF pourrait conserver une participation minoritaire au projet. La dette serait elle aussi principalement apportée par l'État britannique.

En parallèle, le projet bénéficiera, dès le début de la construction (et non après la mise en service comme dans le modèle de CfD) d'une rémunération fondée sur une base d'actifs régulée (BAR). Ainsi, c'est le premier projet nucléaire en Europe qui devrait disposer d'une rémunération au cours de la phase de construction sous forme de BAR. Ce dispositif très sécurisant pour les investisseurs doit permettre de réduire très sensiblement le coût de production final.

Le projet devrait également bénéficier de diverses protections prises en charge par l'État britannique visant à couvrir des risques à faible probabilité mais forte incidence. Ce dispositif permet ainsi de limiter très significativement le risque pour les investisseurs, et en particulier de les protéger du risque de surcoûts au-delà d'un certain plafond.

Le modèle de financement sécurisant du projet Sizewell C devrait permettre de réduire son CMPC à 4 % pour un coût de production final qui pourrait se situer entre 44 euros (2012) par MWh et 66 euros par MWh, soit un coût jusqu'à deux fois inférieur à celui d'Hinkley Point.

Dans un article publié en janvier 2024, Jan Hosrt Keppler, conseiller économique à l'Agence de l'énergie nucléaire de l'OCDE (AEN), soulignait l'intérêt de « dérisquer » au maximum les investisseurs dans le nouveau nucléaire pour attirer les investissements tout en les rémunérant à des taux faibles : « si les projets de nouvelles centrales sont entièrement sans risques, les investisseurs privés et publics rivaliseront pour bénéficier des avantages d'une pilotable à faibles émissions de carbone, en réduisant le rendement exigé sur le capital à des taux nettement inférieurs à ceux d'aujourd'hui »653(*). Dans ce même article, il soulignait à quel point, « à faibles coûts du capital, l'énergie nucléaire est très compétitive ». Il ajoutait « qu'un consensus émerge graduellement, selon lequel dans un contexte de fortes contraintes carbones, tous les fournisseurs à faibles émissions de carbone devront bénéficier de contrats à long terme généralisés avec des prix garantis au niveau des coûts moyens sur toute la durée de vie du projet », c'est-à-dire, y compris pendant la phase de construction des centrales.

Pour garantir la compétitivité du programme de nouveau nucléaire et plus largement celui de l'ensemble de notre système de production électrique, il est nécessaire de concevoir un système de financement du projet qui présente le meilleur optimum socioéconomique de long terme avec comme perspective de limiter au maximum le coût de son financement et en conséquence le coût de production de l'électricité qui sera délivrée par les réacteurs.

Dans cette perspective, la commission d'enquête recommande la création d'un véhicule financier dédié au programme de nouveau nucléaire dans lequel l'État et EDF apporteront des capitaux. La participation de l'État pourrait, le cas échéant, être au moins en partie financée au moyen du fonds d'épargne de la Caisse des dépôts et consignation.

La commission d'enquête a pris connaissance de la manifestation d'intérêt de certains investisseurs privés, notamment le groupe TotalÉnergies, pour participer aux coûts du programme de nouveau nucléaire. Ces contributions pourront, le cas échéant, concourir au financement d'une partie du programme et même de son exploitation dans le cadre d'éventuels CAPN sur les nouveaux réacteurs.

Pour réduire le coût de production final, la commission recommande de prévoir un système de rémunération des investissements consentis par EDF dès la phase de construction. Cette rémunération d'EDF pendant la phase de construction devra cependant nécessairement être assortie d'incitations à la performance, à la maîtrise des coûts et au respect des calendriers, par exemple sous la forme de pénalités financières capées.

Enfin, toujours dans la perspective de réduire le coût de production de l'électricité, et pour donner de la visibilité à EDF comme aux consommateurs sur le long terme, la commission d'enquête estime indispensable de prévoir un dispositif de régulation des revenus tirés des nouvelles centrales tout au long de leur phase d'exploitation. Ce dispositif devra lui aussi maintenir des incitations à la performance à l'égard de l'exploitant.

Recommandation n° 26

Destinataires

Échéance

Support/Action

Les solutions de financement possibles, non précisées à la commission d'enquête malgré les demandes réitérées en auditions, doivent être retenues et engagées en fonction de leurs coûts spécifiques. Elles peuvent être combinées pour optimiser les coûts totaux engagés dans la moyenne et longue durée.

Il convient ainsi de concevoir un modèle de financement du programme de nouveau nucléaire qui permette sa réalisation dans des conditions économiques optimales en prévoyant :

- une structure dédiée dont l'État et EDF seraient coactionnaires ;

- un financement de la rémunération des actifs dès la phase de construction ;

- une régulation des prix en phase d'exploitation ;

- des incitations à la performance pour EDF en phase de construction comme en phase d'exploitation.

Gouvernement (ministère chargé de l'économie et des finances, ministère chargé de l'énergie)

Parlement

EDF

2026

Législatif et règlementaire

D. LA NÉCESSAIRE MODERNISATION DU CYCLE AVAL DU COMBUSTIBLE

1. La France maîtrise la « quasi » intégralité du cycle aval du combustible

Comme le souligne l'ASN, « la France est l'un des rares pays présentant sur son territoire l'ensemble des installations permettant la conversion, l'enrichissement, la fabrication, le traitement et le recyclage des matières nucléaires. Elle est devenue une référence à l'échelle mondiale en la matière »654(*). Elle précise que sur le territoire national, « les installations de conversion et d'enrichissement de l'uranium, de fabrication et de retraitement du combustible sont implantées sur cinq sites dans cinq départements ».

Les installations du cycle du combustible en France

Source : ASN

Après son extraction, le minerai d'uranium, purifié et concentré sur les sites miniers, est converti et enrichi par centrifugation pour que son taux d'uranium 235 atteigne de 3 % à 5 %. Cette opération est réalisée dans l'usine Georges Besse 2 exploitée par Orano sur le site de Tricastin. Cet uranium enrichi est ensuite conditionné sous forme de pastilles d'oxyde d'uranium et placé dans des crayons de combustibles réunis sous forme d'assemblages métalliques. L'uranium appauvri est quant à lui entreposé sur place dans l'attente d'une valorisation ultérieure, notamment pour alimenter un futur parc de réacteurs de quatrième génération. Il représente aujourd'hui un stock de plus de 330 000 tonnes.

Après son exploitation, le combustible usé est extrait des réacteurs pour être d'abord refroidi en piscines sur le site des centrales. Il est ensuite transféré vers les usines de retraitement du groupe Orano sur le site de La Hague655(*). Dans l'usine de retraitement, l'uranium dit « de retraitement » (URT), composant 95 % des combustibles, et le plutonium (1 %) contenus dans les combustibles usés sont séparés des produits de fission et des actinides pour être conditionnés puis entreposés dans la perspective d'une valorisation ultérieure. Les déchets radioactifs, qui représentent 4 % des combustibles usés, sont quant à eux stockés en surface pour les moins radioactifs d'entre eux et les autres entreposés dans l'attente d'une solution définitive de stockage actuellement envisagée dans le cadre du projet d'enfouissement Cigéo.

Le cycle du combustible nucléaire en France

Source : ASN

Le plutonium qui est issu du retraitement des combustibles usés est employé pour fabriquer un combustible appelé MOX (mélange d'oxydes d'uranium et de plutonium) utilisé dans 22 réacteurs de 900 MW. Ce combustible issu du recyclage de combustibles usés est produit dans l'usine Melox exploitée par Orano sur le site de Marcoule.

L'uranium de retraitement (URT) peut par ailleurs être enrichi pour être utilisé à nouveau comme combustible, en tant qu'uranium de retraitement enrichi (URE), dans deux réacteurs de 900 MW situés sur le site de Cruas-Meysse. À ce jour une seule usine de conversion de l'URT en URE existe dans le monde. Elle se situe en Russie656(*) et est exploitée par Tenex, une filiale du groupe Rosatom.

Après leur passage en réacteurs, les combustibles recyclés usés MOX et URE sont stockés dans les piscines d'entreposage du site de La Hague dans l'attente d'une possible valorisation, le cas échéant dans des réacteurs de quatrième génération (voir développements infra sur la nécessité de tracer des perspectives concrètes dès aujourd'hui sur la construction d'un parc de réacteurs à neutrons rapides).

Le cycle du combustible en France dans le cadre de
la politique du « mono-recyclage »

Source : RTE, Futurs énergétiques 2050

2. Le cycle aval nécessite un « grand carénage » et de nouvelles installations à horizon 2050

L'actuelle PPE prévoyait le maintien des installations de retraitement et de recyclage des combustibles nucléaires jusqu'en 2040. Compte-tenu des perspectives de prolongation du parc nucléaire existant et du programme de nouveau nucléaire il était devenu extrêmement urgent de prendre des décisions sur la stratégie de long terme de la France en matière de traitement des combustibles usés. La poursuite de la politique de traitement et recyclage, visant notamment à moins dépendre des ressources naturelles d'uranium, suppose d'engager très rapidement des opérations de modernisation des installations actuelles et de construction de nouvelles unités. Cette urgence avait notamment été rappelée avec solennité par le président de l'ASN à l'occasion d'une table ronde organisée par la commission d'enquête le 6 février 2024.

À cette occasion, le président de l'ASN avait ainsi souligné les deux horizons majeurs qui détermineront l'avenir des installations du cycle du combustible.

Premièrement, pour parvenir à garantir le bon fonctionnement des installations actuelles jusqu'en 2040, un « grand carénage » s'impose. Dans ses réponses écrites au questionnaire de la commission d'enquête, l'ASN a ainsi résumé ce premier enjeu : « d'ici à 2040, il est urgent de rendre plus résilient l'ensemble de la chaîne d'installations et d'ateliers de gestion aval du combustible pour permettre d'atteindre, dans des conditions sûres, l'horizon 2040 fixé dans la PPE actuelle. Ceci passe par des mesures à mettre en oeuvre sans tarder pour atteindre cet horizon, comme par exemple la consolidation de la production de combustibles MOX et la réalisation de travaux conséquents de jouvence et d'amélioration de la sûreté identifiés lors des réexamens des installations concernées ».

En effet, l'essentiel des ateliers des usines de retraitement d'Orano à La Hague ont été mis en service en 1990 et l'usine de Melox date de la même époque. Aussi, l'ASN considère-t-elle que « la maîtrise du vieillissement de ces installations est un enjeu majeur ». L'usine de Melox a notamment connu des difficultés sérieuses de fonctionnement il y a quelques années liées à un déficit de maintenance et à un changement de procédé industriel. Si sa situation s'est récemment améliorée, l'ASN considère que « le fonctionnement du cycle du combustible présente toujours peu de marges en cas d'aléas ».

Lors de la table ronde du 6 février 2024 précitée, le président de l'ASN avait apporté des précisions s'agissant des besoins de sécurisation des unités de retraitement exploitées par Orano sur le site de La Hague : « il y a un sujet de « dérisquage » des installations de La Hague aujourd'hui. Aujourd'hui, il y a deux unités de retraitement. Ce sont des lignes totalement en silo. Elles ne sont pas interconnectées. Si une partie de la ligne qui est défaillante, on ne peut pas réorienter le flux sur l'autre ligne. Un certain nombre de postes ne sont pas dédoublés ; ils sont uniques. Un aléa peut bloquer la totalité de l'usine. Il faut donc sécuriser ces postes ».

En juillet 2023, dans son rapport précité sur l'évaluation des coûts de production du nucléaire existant, la CRE avait estimé à 27 milliards d'euros les dépenses d'investissements nécessaires à la modernisation des installations exploitées par Orano à La Hague et Marcoule afin qu'elles puissent fonctionner jusqu'en 2040.

L'évaluation par l'ASN de la situation des différentes installations du cycle aval du combustible en France

Les usines Philippe Coste et Georges Besse 2 sont récentes et présentent de bons résultats opérationnels.

L'usine Framatome FBFC ne présente pas de problème opérationnel majeur.

Les usines de La Hague comportent de nombreux ateliers d'âges hétérogènes (ainsi que de nombreux ateliers en démantèlement) et présentent des enjeux forts de vieillissement, et des caractéristiques de conception qui ne correspondent pas toutes aux standards actuels. Sa productivité est exposée à des fragilités opérationnelles. Plusieurs événements récents ont nécessité des arrêts de production, pas toujours anticipés.

Enfin l'usine Melox a connu d'importants dysfonctionnements dans les années récentes, qui se sont traduits par des baisses de production. La production remonte progressivement, en lien avec les efforts de rattrapage de maintenance entrepris par l'exploitant.

Compte tenu de la forte interdépendance des installations assurant les différentes étapes du cycle du combustible, les aléas de production de chacune impactent l'équilibre de l'ensemble de la chaîne et se traduisent principalement par des besoins en entreposage pour les matières qui s'accumulent. Cela est particulièrement le cas pour les besoins en entreposage de combustibles usés en piscine à La Hague, avec un risque de saturation des piscines en cas de dysfonctionnement majeur du retraitement (les marges de volume disponible sont très réduites). En cas de saturation des piscines de La Hague, l'impossibilité d'évacuer le combustible usé des réacteurs d'EDF pourrait impliquer leur mise à l'arrêt, impactant la production nationale d'électricité. Les dysfonctionnements de Melox ont quant à eux provoqué une hausse de la production de rebuts, à leur tour entreposés à La Hague et sans usage direct.

Source : réponses écrites de l'ASN au questionnaire de la commission d'enquête

Le deuxième horizon déterminant pour les installations du cycle aval du combustible, qui nécessite des prises de décisions et des engagements immédiats compte-tenu de l'ampleur des études, des investissements et des chantiers nécessaires, est l'après 2040. En cas de maintien de la stratégie de retraitement-recyclage, une prolongation des unités actuelles et la construction de nouvelles installations s'imposent.

Les principaux enjeux relatifs aux installations du cycle aval (ASN)

Les enjeux principaux pour les usines du cycle, dans l'hypothèse d'une poursuite du retraitement, sont les suivants :

- Assurer le maintien et le progrès du niveau de sûreté des ateliers de l'usine de La Hague malgré leur vieillissement et leurs limites de conception, jusqu'à l'horizon 2040 voire au-delà en fonction du délai de mise en service de futurs nouveaux ateliers. Cela nécessitera une revue détaillée de l'état des ateliers et un investissement fort pour leur renforcement et leur pérennité, à la manière du « grand carénage » engagé pour les réacteurs d'EDF.

- Conforter et stabiliser la capacité à produire du combustible MOX en toute sûreté et avec le niveau de qualité requis, afin de maintenir le flux de retraitement et ainsi la maîtrise des inventaires de combustibles usés et des matières qui en sont issues. Cela pourrait nécessiter à court terme la construction d'une nouvelle usine de fabrication de MOX.

- Renforcer les capacités d'entreposage de combustibles usés par la mise en place de nouvelles capacités (nouvelle piscine) présentant le meilleur niveau de sûreté, avec un horizon de temps compatible avec les besoins d'entreposage des combustibles usés notamment les MOX (qui peuvent nécessiter plusieurs décennies d'entreposage avant leur éventuel retraitement), et éloigner ainsi le risque de saturation des capacités actuelles. Il conviendra, en l'attente d'une telle solution pérenne, de mettre en place des parades (densification, entreposage à sec) afin de limiter le risque de saturation à un niveau acceptable. Celles-ci ne sauraient cependant constituer une réponse pérenne au besoin en entreposage.

- Entreprendre au plus tôt la conception puis la construction de futurs ateliers de retraitement à La Hague, qui prendront le relais d'UP2-800 et UP3 pour assurer la poursuite de la politique de retraitement, annoncée à l'issue du conseil de politique nucléaire de février 2024. La conception de ces ateliers devra intégrer les standards de sûreté les plus récents, ainsi que des marges de nature capacitaire (volumes, tonnages) et technologiques (retraitement de combustibles variés ou particuliers) afin de faire face aux besoins futurs du parc de réacteurs français et d'apporter le cas échéant des solutions de gestion pour des combustibles particuliers historiques.

Source : réponses écrites de l'ASN au questionnaire de la commission d'enquête

À l'issue d'un conseil de politique nucléaire qui s'est tenu le 26 février 2024, le président de la République a annoncé la poursuite des « grandes orientations de la politique française sur l'aval du cycle combinant le retraitement, la réutilisation des combustibles usagés et la fermeture du cycle ». En cela, il a confirmé le choix de long terme visant à poursuivre la stratégie française de retraitement des combustibles nucléaires pour le parc actuel comme pour les nouveaux réacteurs à construire.

Le 7 mars 2024, lors d'un déplacement à La Hague, le ministre chargé de l'économie et des finances a confirmé que les usines de retraitement et de recyclage des combustibles de La Hague et de Marcoule (Melox) seraient prolongées « a minima jusqu'en 2100 ». Par ailleurs, il a aussi annoncé le lancement d'études pour la construction d'une nouvelle usine de fabrication de combustibles MOX sur le site de La Hague et d'une nouvelle usine de retraitement, également à La Hague, à horizon 2045-2050.

Les modalités de financement des investissements nécessaires à la prolongation des unités actuelles et pour la construction des nouvelles installations ne sont cependant pas encore connues, ni d'ailleurs le coût prévisionnel de ces opérations. Dans ses scénarios prospectifs à horizon 2050, RTE estimait en 2021 à plusieurs centaines de millions d'euros par an les coûts complets des infrastructures du cycle aval du combustible soit environ 3 à 4 euros par MWh.

La conception des nouvelles installations de retraitement et de recyclage est indissociable du choix de très long terme, à l'horizon a minima de la fin du siècle, de l'avenir de la filière nucléaire et notamment de la construction d'un nouveau parc de réacteurs de quatrième génération. En effet, la conception de ces nouvelles installations, qui doit être définie dans les années qui viennent, doit s'inscrire dans cette perspective de très long terme. En réponse au questionnaire de la commission d'enquête, l'ASN a insisté sur cet enjeu décisif pour le futur énergétique de notre pays. Pour elle, la conception des nouvelles installations suppose « de faire des choix technologiques structurants : monorecyclage, multirecyclage en réacteurs à eau pressurisée (REP), ou recyclage dans un parc de réacteurs à neutrons rapides. En effet, ces trois options conduisent chacune à une usine différente. Ainsi, pour la période postérieure à 2040, les décisions industrielles doivent être prises dès 2025 ».

En cohérence avec sa recommandation visant à replacer la France sur la voie de la construction d'un parc de réacteurs de quatrième génération au cours de la seconde moitié du siècle, la commission d'enquête estime indispensable de décider immédiatement de construire de nouvelles installations de retraitement et recyclage qui s'inscrivent pleinement dans cette perspective.

L'horizon du risque de saturation des capacités d'entreposage de combustibles usés vient d'être décalé de dix ans

Une problématique spécifique avait été identifiée concernant un risque de saturation des capacités d'entreposages de combustibles. En effet, en juin 2023, EDF estimait encore que des risques de saturation des piscines de La Hague pouvait être envisagé à l'horizon 2030. Pour répondre à cet enjeu, EDF avait lancé le projet de la construction d'une nouvelle piscine d'entreposage de long terme sur le site de La Hague pour une mise en service envisagé vers 2034 et un coût prévisionnel qui pourrait atteindre deux milliards d'euros.

En attendant de pouvoir disposer de cette nouvelle piscine, plusieurs types de mesures provisoires ont également été entreprises par Orano et EDF :

- un projet de densification des piscines prévu à horizon 2025 permettant d'augmenter d'environ 30 % les capacités d'entreposage disponibles ;

- l'étude d'une solution complémentaire d'entreposage à sec de combustible usé qui pourrait être développée d'ici à 2030.

Cependant, en raison des perspectives de prolongation des réacteurs du parc en exploitation, le risque de saturation des piscines apparaît finalement moins sensible et son horizon a désormais été décalé de dix ans, en 2040. Après l'audition d'Orano et d'EDF le 11 avril 2024 par le collège de l'ASN sur cette question, le président de l'autorité de sûreté a reconnu le 16 mai dernier657(*), que l'horizon de saturation de la piscine de l'usine Orano de La Hague devait être reconsidéré.

Source : commission d'enquête

3. La constitution d'une filière souveraine d'uranium de retraitement enrichi

L'invasion russe de l'Ukraine a mis en évidence une fragilité du cycle du combustible nucléaire français qu'il est impossible d'occulter. La dépendance de la France à l'égard de la Russie au titre de la technologie d'enrichissement d'uranium de retraitement (URT). En mars 2024, EDF a d'ailleurs confirmé maintenir ses importations d'uranium de retraitement enrichi en Russie sur la base d'un contrat qu'elle a conclu en 2018 avec la société Tenex, filiale du groupe Rosatom.

L'enrichissement de l'uranium de retraitement (URT) réalisé pour EDF en Russie

En ce qui concerne l'uranium enrichi, EDF recevait, jusqu'en décembre 2022, de Russie de l'uranium de retraitement (URT) enrichi (appelé URE), plus précisément issu de l'uranium lui-même issu des combustibles usés de ses réacteurs après retraitement à la Hague. Encore valorisable (car contenant environ 0,9 % d'uranium 235), cette matière peut être convertie et à nouveau enrichie pour être recyclée dans nos réacteurs, ce qui permet d'économiser de la ressource minière, jusqu'à 15 % potentiellement. Disposant d'un stock d'environ 25 000 tonnes d'URT, qui s'accroît de 1 045 tonnes par an, EDF a décidé en 2018 de relancer leur exploitation et a passé un contrat, après appel d'offres, avec l'entreprise russe Rosatom pour convertir et enrichir son URT. Mais cet uranium est toujours la propriété d'EDF.

L'enjeu n'était pas d'accéder à une technologie qu'Orano n'aurait pas, mais de renforcer l'économie circulaire du combustible nucléaire, en évitant de consacrer un atelier exclusivement à la conversion de l'URT, au détriment de l'enrichissement de l'uranium naturel.

Contrairement à d'autres pays européens, il ne s'agissait pas d'importations d'uranium naturel depuis la Russie vers la France ; celles-ci se sont effondrées depuis 2016-2017. Au demeurant, notre pays peut se passer de cette source. Parallèlement Orano a signalé son projet d'augmenter ses capacités d'enrichissement de l'uranium à Tricastin, d'ici 2028, pour se substituer à une partie des importations russes en Europe. Orano considère disposer également des capacités de réenrichir l'URT dans son usine Georges Besse II sous réserve de certains investissements ; il se dit également capable de construire un atelier de conversion pour la phase préliminaire.

Source : Assemblée nationale, Rapport n° 1028 fait au nom de la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France, 2023

Les étapes actuelles de la filière d'uranium de retraitement enrichi

La filière industrielle mise en oeuvre pour la filière d'uranium de retraitement enrichi est composée de trois maillons :

La phase de conversion chimique de l'URT, réalisée à 100 % en Russie ;

La phase d'enrichissement, réalisée à 50 % en Russie et à 50 % aux Pays-Bas ;

La phase de fabrication des assemblages combustibles, réalisée à 100 % en par Framatome en France, à Romans-sur-Isère.

Source : réponses d'EDF à la contribution relative à la loi de programmation énergie climat, juin 2023

Des réflexions sont en cours pour prévoir la construction d'une usine de conversion de l'uranium de retraitement en Europe de l'Ouest, le cas échéant en France, afin de mettre un terme à cette dépendance de la Russie, absolument injustifiable dans le contexte géopolitique actuel. Ce projet, sur lequel Orano travaille, nécessitera d'importants investissements. La stratégie française pour l'énergie et le climat prévoit d'ailleurs explicitement de « mettre en oeuvre une filière industrielle européenne de conversion et d'enrichissement de l'uranium de retraitement ». Ce sujet doit être discuté lors du prochain conseil de politique nucléaire prévu en octobre 2024.

La commission d'enquête estime nécessaire de constituer une filière souveraine d'uranium de retraitement enrichi.

Au-delà même de cette question mais toujours en lien avec les réalités géopolitique actuelles, l'ASN a souligné à la commission d'enquête un autre enjeu essentiel à la garantie de la souveraineté européenne et de la filière nucléaire sur l'ensemble du continent. Il s'agit de la nécessité de développer une solution européenne souveraine visant à desservir en combustible les réacteurs d'Europe de l'Est de conception russe. Faute de quoi ces pays resteraient à la merci de l'arme énergétique dont use la Russie à l'encontre de l'Europe.

E. À L'HORIZON 2050, LE MIX DE PRODUCTION DEVRAIT ÊTRE DYNAMISÉ PAR LA CONSTRUCTION D'UN NOUVEAU PARC NUCLÉAIRE ET CONFORTÉ PAR LA PROLONGATION AU-DELÀ DE 60 ANS D'UNE PROPORTION SUBSTANTIELLE DE RÉACTEURS HISTORIQUES

Pour couvrir la progression prévisible du niveau de consommation nationale à l'horizon 2050, la commission d'enquête retient un scénario qui s'appuie principalement sur une forte composante nucléaire.

Cette dernière serait confortée par deux facteurs :

- la prolongation d'au moins une partie des réacteurs actuels au-delà de 60 ans ;

- le déploiement d'un programme ambitieux de construction de 14 nouveaux réacteurs.

Par ailleurs, pour la commission d'enquête, au-delà de l'horizon 2050, la filière nucléaire française devrait impérativement être renforcée par le déploiement progressif d'un parc de réacteurs de quatrième génération qui sera amené à prendre le relais du parc actuel complété par les 14 nouvelles unités à construire. Comme décrit infra, ce futur parc de réacteurs à neutrons rapides (RNR) garantira à la France une souveraineté énergétique complète sur le très long terme.

Concernant la prolongation de la durée de vie des réacteurs du parc en exploitation au-delà de 60 ans, la commission d'enquête a étudié trois scénarios. Le scénario 1, très optimiste, part du principe que l'ensemble des réacteurs pourront être prolongés au-delà de leurs 60 ans. Une telle hypothèse, si elle ne semble pas totalement exclue, semble à cette heure très ambitieuse et le principe de prudence recommande de ne pas la considérer comme une perspective de référence. Le scénario 2, qui reste optimiste mais semble plus réaliste, envisage qu'un réacteur sur trois sera mis à l'arrêt après avoir atteint une durée de fonctionnement de 60 ans. Enfin, le scénario 3, plus prudent et réaliste au regard des éléments qui ont pu être communiqués à ce stade à la commission d'enquête, prévoit qu'un réacteur sur deux serait mis à l'arrêt à 60 ans.

Par ailleurs, par précaution et pour tenir compte des effets qui pourraient être induits par le vieillissement des centrales sur leur disponibilité, la commission d'enquête a retenu une hypothèse de baisse, à compter de 2040, du facteur de charge moyen des centrales du parc historique qui diminuerait progressivement de 70 % à 65 %.

Selon les différents scénarios, la puissance installés du parc historique658(*) pourrait représenter en 2050 entre 63 GW, si tous les réacteurs étaient prolongés après 60 ans, et 39 GW si seulement un réacteur sur deux était maintenu en fonctionnement après cette échéance.

Évolution de la puissance installée du parc nucléaire historique659(*) à horizon 2050 selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête

(en GW)

Source : commission d'enquête

Selon les hypothèses retenues par la commission d'enquête, la production prévisionnelle en 2050 du parc nucléaire historique pourrait quant à elle représenter entre 365 TWh dans le scénario le plus optimiste et 225 TWh si un réacteur sur deux était mis à l'arrêt à 60 ans.

Évolution de la production prévisionnelle annuelle du parc nucléaire historique660(*) à horizon 2050 selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête

(en TWh)

Source : commission d'enquête

Compte tenu de ces éléments, la commission d'enquête ne peut que recommander la confirmation de la réalisation d'un ambitieux programme de construction de 14 nouveaux réacteurs.

Le scénario retenu est celui de réacteurs EPR 2 d'une puissance d'environ 1 650 MW. Pour ces nouveaux réacteurs, dans ses scénarios, la commission d'enquête a retenu un facteur de charge prudent de 77 %, inférieur à ce qui est aujourd'hui l'ambition affichée par EDF. Ce facteur de charge résulte de la combinaison entre un coefficient de disponibilité de 85 % et un coefficient d'utilisation de 90 %661(*). Le premier est nettement supérieur à la disponibilité observée sur le parc existant et le second, lié au phénomène de modulation, est un peu plus bas que les taux que l'on constate aujourd'hui. Si des critères plus ambitieux étaient retenus, la production annuelle prévisionnelle moyenne du nouveau parc de réacteurs pourrait être réévaluée à la hausse.

Concernant le calendrier des mises en service du nouveau parc de réacteurs, la commission d'enquête a étudié deux scénarios qui lui paraissent raisonnables au regard des informations qui ont pu lui être communiquées.

Le premier scénario dit A, pourrait être qualifié d'ambitieux même s'il reste atteignable à condition que la maîtrise industrielle du programme de nouveau nucléaire soit parfaitement assurée. Il prévoit la mise en service du réacteur « tête de série » sur le site de Penly en 2036. Il retient ensuite la cadence de production d'environ un réacteur par an qui semble être le rythme que la filière pourrait raisonnablement tenir si sa montée en puissance récemment engagée se confirme. Dans ce scénario, les 14 nouveaux réacteurs seraient en service à l'horizon 2050 pour une puissance installée totale d'environ 23 GW.

Le second scénario dit B, plus prudent, envisage la mise en service du premier réacteur de Penly en 2038. Dans ce scénario, en retenant la cadence de production actuellement annoncée comme soutenable par la filière, seuls 12 des 14 nouveaux réacteurs seraient effectivement en fonctionnement en 2050 pour une puissance installée de 20 GW.

Évolution de la puissance installée des nouveaux réacteurs à horizon 2050 selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête

(en GW)

Source : commission d'enquête

En retenant un facteur de charge moyen de 77 %, la production annuelle du nouveau parc de réacteur pourrait atteindre 155 TWh dans le scénario A et 133 TWh dans le scénario B.

Évolution de la production prévisionnelle annuelle des nouveaux réacteurs à horizon 2050 selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête

(en TWh)

Source : commission d'enquête

En croisant les hypothèses étudiées par la commission d'enquête sur le parc nucléaire existant et le programme de nouveau nucléaire, six scénarios ont ainsi été étudiés pour estimer la puissance totale du parc nucléaire et sa production annuelle moyenne à l'horizon 2050.

Selon les scénarios, la puissance installée totale du parc nucléaire français pourrait se situer entre 59 GW et 87 GW. Le scénario le plus optimiste, le scénario 1A, correspond à l'hypothèse d'une prolongation systématique de tous les réacteurs actuels au-delà de 60 ans et d'un calendrier de déploiement favorable du programme de nouveau nucléaire. Il aboutit à une puissance installée en 2050 de 87 GW. Inversement, le scénario le plus prudent retient la prolongation au-delà de 60 ans d'un réacteur sur deux et un calendrier de mise en service des nouveaux réacteurs retardé. De ce scénario résulterait une puissance nucléaire de 59 GW en 2050.

Évolution de la puissance installée du parc nucléaire à horizon 2050 selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête

(en GW)

Source : commission d'enquête

Selon les six scénarios étudiés, la production annuelle des moyens de production nucléaire pourrait se situer à l'horizon 2050 entre 358 TWh et 520 TWh.

Évolution de la production nucléaire à horizon 2050 selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête

(en TWh)

Source : commission d'enquête

En ce qui concerne les moyens de production éoliens et photovoltaïque, comme précisé supra dans les développements relatifs aux scénarios envisagés à l'horizon 2035, la commission d'enquête propose de lisser de 2035 à 2050 les objectifs de déploiement actuellement affichés par le Gouvernement pour la période 2024-2035.

En effet, à l'horizon 2035, les perspectives de développement de parcs éoliens en mer et d'installations photovoltaïques, au-delà même de leur caractère irréaliste, ne sont pas nécessaires pour couvrir la hausse prévisionnelle de la consommation. Même s'ils pouvaient être atteints, ils induiraient pour le système dans son ensemble des coûts excessifs.

Ainsi, selon le scénario retenu par la commission d'enquête, la puissance installée de parcs éoliens en mer atteindrait 16 GW à l'horizon 2050 et celle des installations photovoltaïques 85 GW, soit, pour cette dernière, une multiplication par quatre par rapport à son niveau actuel.

Évolution des puissances installées d'installations éoliennes et photovoltaïques (2023-2050) dans les scénarios étudiés par la commission d'enquête

(en GW)

Source : commission d'enquête

Après une multiplication par deux de la capacité de production de la filière éolienne terrestre entre aujourd'hui et 2035, la commission d'enquête recommande une stabilisation de la puissance installée autour de 42 GW, ce qui signifie un renouvellement des installations en fin de vie mais pas de constructions nouvelles. En effet, d'ici 2035, le potentiel de l'éolien terrestre et les limites de son acceptabilité auront été largement atteints et il ne semble pas réaliste, compte tenu notamment de l'emprise foncière de ces projets, d'en imposer indéfiniment l'extension.

Cette hypothèse de développement raisonnable des capacités de production éoliennes et photovoltaïques présente un intérêt économique certain. En raison des coûts systèmes résultant du caractère intermittent de ces filières, elle permettra en effet de réduire sensiblement les coûts complets moyen du mix de production dans son ensemble.

À ce stade, compte tenu notamment des incertitudes liées à la résolution du contentieux avec la Commission européenne et par prudence, la commission d'enquête retient une hypothèse d'augmentation modérée de 2 GW662(*) de la puissance installée du parc de production hydroélectrique à l'horizon 2050. La commission d'enquête estime et espère cependant que cette hypothèse pourra être révisée à la hausse même si le potentiel disponible ne semble pas pouvoir excéder quelques GW.

Ainsi, selon les différentes hypothèses retenues par la commission et en considérant une trajectoire d'augmentation de la consommation qui pourrait la conduire à un niveau de 700 TWh en 2050, tous les scénarios permettraient de couvrir les besoins de consommation sur la période considérée tout en conservant un niveau de marge permettant à la France de rester exportatrice nette d'électricité.

Seul le scénario 3B, le moins favorable663(*), pourrait présenter une certaine sensibilité en toute fin de période. Selon les hypothèses retenues par la commission d'enquête, dans ce scénario, la production annuelle moyenne pourrait se situer légèrement en dessous des prévisions de consommation à compter de 2047. Cependant, ce constat mérite d'être relativisé pour plusieurs raisons.

Il apparaît tout d'abord que cet horizon est très lointain et soumis à beaucoup d'incertitudes. Par ailleurs, la commission d'enquête a volontairement retenu plusieurs hypothèses conservatrices, notamment en termes de facteurs de charge sur le parc nucléaire existant ainsi que sur les nouveaux réacteurs mais aussi concernant le développement des capacités hydroélectriques. Si ces hypothèses prudentes étaient réévaluées, le scénario 3B suffirait également à couvrir les besoins annuels de consommation, y compris sur la fin de la période.

Enfin, l'horizon concerné étant lointain, les pouvoirs publics auront le temps d'ici là, notamment au cours de la décennie 2030-2040, d'ajuster si nécessaire certains paramètres de la composition du mix électrique.

Comparaison de la production et de la consommation annuelles à horizon 2050 selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête

(en TWh)

Source : commission d'enquête

Selon les différents scénarios étudiés par la commission d'enquête, la filière nucléaire pourrait représenter de 52 % à 61 % du total de la production annuelle du parc électrique en 2050.

Composition en production du mix en 2050 selon les différents scénarios étudiés

(en TWh)

Source : commission d'enquête

La commission d'enquête constate qu'une part de production nucléaire nettement supérieure à 60 % en 2050 ne pourrait reposer que sur deux hypothèses à ce jour très incertaines et qu'elle n'a pas souhaité retenir dans ses scénarios de référence.

La première hypothèse consisterait à accélérer très sensiblement la cadence de mises en services prévisionnelles des nouvelles centrales de troisième génération et à augmenter substantiellement, au-delà de 14, le nombre de réacteurs à construire. Pour la commission d'enquête, ces perspectives présentent de vraies difficultés.

D'une part, la filière ne semble pas en mesure aujourd'hui, compte-tenu des décennies d'affaiblissement qu'elle a subies, de tenir une cadence susceptible de mettre en service plus de 14 nouveaux réacteurs d'ici à 2050.

Par ailleurs, d'autre part, et comme les développements infra le précisent, la commission d'enquête considère que, compte tenu des tensions qui pourraient survenir sur l'approvisionnement en uranium d'ici à la fin du siècle, il ne serait pas raisonnable de se lancer aujourd'hui dans un programme de construction de réacteurs de troisième génération qui excèderait 14 unités. En effet, à l'horizon post-2050, il est pour elle indispensable de programmer dès à présent la construction d'un nouveau parc de réacteurs de quatrième génération, seule stratégie de long terme à même de garantir une souveraineté énergétique totale pour le pays.

La deuxième hypothèse nécessiterait de déployer des capacités de production d'électricité fondées sur les technologies des petits réacteurs modulaires (SMR) dont plusieurs acteurs interrogés par la commission d'enquête ont présenté les avantages et les inconvénients. Dans le cadre d'une stratégie nationale de développement et d'exploitation, les SMR pourraient constituer une voie de production d'électricité complémentaire et, plus encore, de chaleur décarbonées. En effet, ils peuvent permettre de répondre à un besoin local, de manière plus rapide et moins coûteuse, notamment via un raccordement aisé sur faible distance.  Développés dans de nombreux pays, ils constituent, par ailleurs, un concept séduisant pour des projets de commercialisation à l'export et sont ainsi de nature à contribuer au renforcement de la filière nucléaire. Pour autant, d'ici 2050, il semble encore improbable que des capacités massives de SMR puissent être mises en service et leur permette de se substituer aux réacteurs électronucléaires existants ou aux EPR2 en projet.

En effet, sur le territoire français, ces solutions seraient très vraisemblablement bien davantage consacrées à la décarbonation de la production de chaleur des processus industriels. Par ailleurs, ces réacteurs sont principalement conçus pour l'export. Leur vocation essentielle serait de se substituer à des centrales à charbon. Ces réacteurs permettraient ainsi à des pays dont la taille et les réseaux ne nécessitent ou ne permettent pas la construction de réacteurs de grande puissance de mettre un pied dans le nucléaire civil en décarbonant leur mix électrique.

Les besoins de la France et de son réseau électrique justifient bien davantage la construction de réacteurs de grande puissance et, après 2050, une véritable vision stratégique et souveraine implique qu'ils relèvent de la quatrième génération.

À la demande de la commission d'enquête, RTE a réalisé un travail de pré-instruction des conditions qui seraient nécessaires à un maintien durable d'une part de la production nucléaire au-delà de 60 % dans le mix électrique. Compte-tenu des dynamiques engagées, de l'augmentation attendue de la consommation ainsi que de l'impossibilité de construire de nouveaux réacteurs avant 2035, l'étude préliminaire de RTE constate que le maintien de cette proportion du nucléaire dans le mix n'est pas envisageable à l'horizon 2035. Par ailleurs, à l'horizon 2050, cette même étude confirme les constats issus des modélisations réalisées par la commission : retrouver une part de 70 % d'électricité nucléaire dans le mix de production supposerait d'accélérer et d'accroître substantiellement le programme de construction de nouveaux réacteurs de troisième génération mais également de développer et de mettre en production de nombreux SMR.

En effet, dans son étude préliminaire, RTE souligne, à l'instar de la commission d'enquête, que « la prolongation des réacteurs existants semble le levier le plus accessible » pour maintenir une part significative de production nucléaire dans le mix électrique à l'horizon 2050. Il souligne néanmoins qu'une production nucléaire atteignant 70 % du mix en 2050 « implique d'avoir réussi la prolongation de la totalité du parc actuel au-delà de 60 ans ». Cependant, cette hypothèse qui n'est pas garantie « serait une condition nécessaire mais pas suffisante. Il faudrait en complément augmenter le rythme de mise en service de nouveaux EPR2 de sorte à disposer d'un parc d'une vingtaine d'EPR2 en 2050, et construire par ailleurs environ 5 GW de SMR (soit environ 15 paires de type Nuward) ».

Cette étude préliminaire, qui mériterait d'être approfondie, confirme la validité des hypothèses de mix électrique de la commission d'enquête.

Recommandation n° 27

Destinataire

Échéance

Support/Action

Approfondir l'étude des conditions et impacts d'un maintien d'une part de nucléaire de 60 % dans le mix électrique français à l'horizon 2050.

RTE

Avant fin 2024

Étude

V. LA QUATRIÈME GÉNÉRATION NUCLÉAIRE : À RELANCER D'URGENCE

La production d'électricité, surtout décarbonée, est une affaire de long terme. Le déploiement d'un parc nucléaire exige le temps long, environ 30 ans. C'est la raison pour laquelle il est indispensable de penser, d'ores et déjà, aux évolutions qui seront nécessaires à cette échéance. Or, il apparaît qu'un sujet est trop peu évoqué, celui du risque de raréfaction de l'uranium naturel. Par ailleurs, la France s'est engagée depuis de nombreuses années dans une stratégie dite de « fermeture du cycle » qu'il faut absolument préservée et qui a pour triple enjeu l'économie de la ressource fissile, la réduction du volume de déchets et la diminution de la toxicité des stocks de ces derniers. Dans ce cadre, le recyclage des combustibles usés est un apport important mais limité. Le projet de mettre en place un multirecyclage dans les réacteurs classiques à eau pressurisée (les REP) suscite en revanche de nombreuses questions. En définitive, il apparaît que la voie d'avenir pour une électricité décarbonée, durable et souveraine est constituée par la filière des réacteurs à neutrons rapides (RNR) sur laquelle il est impératif de reprendre très rapidement les recherches pour mettre la France en capacité de déployer un parc.

A. ENVISAGER LES RISQUES DE RARÉFACTION DE L'URANIUM NATUREL À L'HEURE DE LA DÉCARBONATION

Très souvent, lorsqu'il s'agit d'évoquer l'électricité nucléaire, le propos se concentre sur les centrales de production d'électricité, les réacteurs. En revanche, la question du combustible est peu traitée, voire parfois oubliée.

Elle est pourtant d'une importance cruciale. Car si le nucléaire est une source de production d'électricité massive et pilotable, bien maîtrisée en France, elle n'en a pas moins besoin d'une ressource : l'uranium.

Il importe donc de s'interroger sur les réserves dont notre pays disposera pour faire fonctionner ses centrales. Par ailleurs, cet uranium une fois utilisé par les réacteurs, d'une part, dispose encore d'un potentiel énergétique, et, d'autre part, est à l'origine de déchets. D'où la nécessité d'imaginer un moyen d'utiliser au mieux le premier et de réduire les seconds. C'est tout l'enjeu de la « fermeture du cycle » du combustible. Toutefois, pour intéressant qu'il soit, le recyclage n'apporte que des éléments de réponses partiels à cette double problématique de l'usage de la ressource et des déchets. C'est la raison pour laquelle la filière, au moment de l'arrêt du réacteur Astrid, encouragée par les pouvoirs publics de 2018-2019, s'est engagée dans le multirecyclage en réacteur à eau pressurisée, ou multirecyclage en REP (MRREP), lequel mérite de faire l'objet d'une sérieuse évaluation coûts-bénéfice.

1. De quelle ressource en uranium disposera-t-on à l'avenir ?

Jusqu'à présent, en se concentrant sur la maintenance du parc historique ou sur la réalisation du nouveau parc dans le cadre du programme Nouveau nucléaire France (NNF), de nombreux observateurs raisonnent comme si la ressources en uranium était infinie. En réalité, la proposition devrait être inversée : la ressource en uranium n'est pas infinie. Il faut donc envisager les différentes hypothèses de délais quant à son épuisement.

a) Une ressource en uranium naturel qui n'est pas illimitée

L'uranium est un métal lourd que l'on trouve dans la croûte terrestre. Il est extrait de gisements à ciel ouvert ou en galeries souterraines puis traité pour pouvoir être utilisé par les réacteurs nucléaires. Ce processus est appelé « cycle amont » du combustible, le « cycle aval » correspondant au traitement du combustible après irradiation en réacteur.

L'amont du cycle du combustible

Les opérations de l'amont du cycle correspondent à l'extraction de l'uranium naturel et sa transformation pour un usage en réacteur.

L'extraction de l'uranium naturel

L'extraction de l'uranium naturel permet d'obtenir les ressources fissiles nécessaires à la fabrication du combustible. Le minerai, dont la teneur est de 1 à 200 kg d'uranium par tonne (U/t), est extrait d'une mine souterraine ou à ciel ouvert. Il est ensuite concentré pour former le « yellowcake », une pâte jaune dont la teneur est d'environ 750 kg d'U/t (sous forme d'U3O8).

Le raffinage et la conversion de l'uranium

Le raffinage par dissolution et extraction permet d'obtenir un nitrate d'uranyle de grande pureté (>99,95 %).

Ensuite, se déroule l'étape de conversion, où l'uranium est transformé, par divers procédés chimiques, en hexafluorure d'uranium (UF6). Cette transformation est nécessaire pour l'étape de l'enrichissement, l'UF6 ayant la particularité d'être gazeux à une température relativement faible.

L'enrichissement de l'uranium

L'uranium naturel comporte principalement 2 isotopes : l'U238 (99,3 %) et l'U235 (0,7 %). Seul l'isotope U235 est fissile.

L'enrichissement de l'uranium vise à augmenter la proportion de cet isotope pour atteindre un taux compatible avec son utilisation dans les réacteurs nucléaires. L'enrichissement exploite la différence de masse entre les différents isotopes de l'uranium, pour aboutir à (i) un composé d'uranium enrichi (avec un taux d'U235 supérieur au taux naturel, généralement de 3 à 5 %), qui sera utilisé en réacteur, et (ii) à un composé d'uranium appauvri (avec, au contraire, un taux d'U235 plus faible que dans la nature). On remarque au passage que le fonctionnement des réacteurs actuels n'utilise qu'une infime fraction de l'uranium disponible sur terre, l'U235.

Parmi les techniques d'enrichissement, on peut mentionner la « diffusion gazeuse », qui exploite la différence de capacité des isotopes à traverser une barrière poreuse, et « l'ultracentrifugation », qui exploite le fait qu'une plus grande force centrifuge s'applique aux isotopes les plus lourds. La France exploite aujourd'hui avec AREVA la technologie d'ultracentrifugation.

La fabrication du combustible

L'UF6 enrichi est alors reconverti sous forme solide (généralement en oxyde d'uranium, ou « UOX ») et transformé en pastilles qui sont alors encapsulées dans des gaines métalliques étanches, pour constituer des crayons. Enfin, ces crayons sont mis en réseau dans des assemblages combustibles aptes à être placés dans le réacteur.

Source : ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires

Comme pour la plupart des ressources du sous-sol, évaluer avec précisions les quantités disponibles est une gageure. En effet, cette évaluation fait appel à des modèles probabilistes qui peuvent être discutés. Par ailleurs, les capacités d'extraction sont souvent corrélées à leur coût. Si bien qu'accepter un coût d'extraction plus élevé peut, ipso facto, rendre plus importante la ressource potentiellement disponible. En clair, l'argument des « optimistes » est de considérer que consentir des investissements plus importants en matière d'exploration minière aboutirait nécessairement à l'augmentation de la ressource. Pour autant, cet argument peut être nuancé par un constat de fait : en dépit d'assez fortes fluctuations du cours de l'uranium, depuis 20 ans, les estimations de réserves d'Uranium répertoriées n'ont pratiquement pas augmenté.

Il est évident par ailleurs que, comme pour le pétrole, par exemple, les puissants intérêts idéologiques ou économiques existants en la matière sont divergents et aboutissent à des présentations divergentes de la ressource.

Il n'en reste pas moins qu'il est possible d'avoir une approche, certes non définitive mais éclairante, sur le niveau de ressource en uranium sur lequel il sera possible de compter dans les prochaines années.

Le travail le plus reconnu en ce domaine est l'identification des réserves en uranium réalisée depuis le milieu des années 1960 par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et l'Agence de l'énergie nucléaire (AEN) de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ces agences publient tous les deux ans un rapport sur les réserves mondiales d'uranium, l'exploration, la production et la demande d'uranium, connu sous le nom de Red Book. Intitulé Uranium 2022 : Resources, Production and Demand, sa dernière version a été publiée en avril 2023.

Pour identifier les ressources en uranium, le Red book, distingue les ressources raisonnablement assurées (Reasonably Assured Resources, RAR) et les ressources supposées (Inferred Resources, IR). Combinées, ces ressources constituent les ressources identifiées (Identified Recoverable Resources). En d'autres termes, ressources raisonnablement assurées + ressources supposées = ressources identifiées.

À côté de ces ressources identifiées, certains mentionnent des ressources supplémentaires estimées, dites parfois ressources « ultimes ». Ces ressources ne sont pas découvertes, mais le raisonnement géologique peut conduire à les considérer comme plausibles.

À cette subdivision selon le degré de « certitude » de présence du minerai s'ajoute également une classification des réserves d'uranium selon les coûts prévisibles de l'extraction d'un kilogramme d'uranium métal. L'idée sous-jacente est que plus le coût consenti pour l'extraction est élevé plus les entreprises minières pourront exploiter des ressources difficilement accessibles.

Le Red Book établit ainsi quatre catégories de coûts d'extraction :

- catégorie basse : jusqu'à 40 USD/kg ;

- catégorie moyenne : jusqu'à 80 USD/kg ;

- catégorie élevée : jusqu'à 130 USD/kg ;

- catégorie très élevée : jusqu'à 260 USD/kg.

Quel est le bilan actuel en matière de réserves d'uranium ainsi définies ? Il va d'un plafond haut de ressources ultimes ou plausibles de 16 millions de tonnes à un plafond bas de ressources pratiquement sûres de 4,6 millions de tonnes.

Plus précisément, le Red book envisage les types de réserves suivantes664(*) :

- Réserves d'uranium raisonnablement assurées : 4,6 millions de tonnes ;

- Réserves d'uranium exploitables identifiées jusqu'à la limite de 130 USD/kg : les réserves d'uranium raisonnablement assurées auxquelles il faut ajouter 1,4 millions de tonnes, soit un total de 6 millions de tonnes ;

- Réserves d'uranium exploitables identifiées jusqu'à la limite de prix de 260 USD/kg : les réserves d'uranium exploitables jusqu'à la limite de 130 USD/kg auxquelles il faut ajouter 1,9 millions de tonnes, soit un total de 7,9 millions de tonnes ;

- Ressources « ultimes », qui englobent les ressources identifiées déjà évoquées et les ressources dites « non découvertes »665(*) : il s'agit des réserves qui précédent auxquelles le Red Book ajoute 5,7 millions de tonnes, soit un total de 13,6 millions de tonnes. Par précaution, et dans la mesure où les réserves non découvertes ne font pas l'objet d'une remontée et d'une collation d'informations systématiques au niveau de l'AIEA et l'AEN, la commission d'enquête a retenu un chiffre plus élevé pour établir ses scénarios : 16 millions de tonnes.

Toujours pour établir ses scénarios, et dans un souci de simplification, la commission d'enquête a retenu les tonnages des réserves identifiées à 130 et 260 dollars, lesquels incluent les réserves exploitables à moindre coût, ainsi que les ressources ultimes.

(1) Une demande en uranium qui va continuer d'augmenter compte tenu du besoin de décarbonation

À l'heure actuelle, les centrales nucléaires consomment dans le monde environ 65 000 tonnes par an (2023).

La demande mondiale en uranium civil a connu des évolutions heurtées. Elle fait l'objet d'une très forte hausse jusque dans les années 80.

Besoins en uranium et puissance électronucléaire installée 1956-2002

Source : OCDE, AEN n° 6097, Ressources, production et demande de l'uranium : un bilan de quarante ans, « Rétrospective du Livre rouge », 2007

L'accident de Tchernobyl (1986), conjugué à la baisse des prix du pétrole durant les années 1990, clairement perceptible sur le graphique ci-après, a induit un fort ralentissement des mises en service de centrales nucléaires.

Évolution du prix du baril de pétrole 1861-2022

Source : Energy Institute (EI), Statistical Review of World Energy, 2023

Les années 2000 sont celles d'une progression ralentie et tirée par le programme électronucléaire chinois. L'accident de Fukushima et le contexte de la crise économique de 2008 conduisent à une nouvelle remise en cause du nucléaire. L'Allemagne, la Belgique, la Suisse ou Taïwan annoncent ainsi leur sortie du nucléaire. D'autres pays qui s'y intéressaient s'en détournent (Égypte, l'Italie, Jordanie, Thaïlande...). Les années 2014-2020 sont celles des hésitations et il faut attendre 2021 pour percevoir une reprise de l'augmentation de la production d'électricité nucléaire.

Évolution de la capacité de production nucléaire et du nombre de réacteurs 2003-2022

Source : AIEA, PRIS database. Dernière mise à jour : 2024-04-16

C'est-à-dire que, grosso modo, la consommation par les centrales nucléaires en est restée à son niveau du début des années 2000.

Cependant, après cette période de doute et de contraction de la demande d'uranium naturel, celle-ci est vigoureusement repartie à la hausse sous l'effet de la poursuite et de la relance de programmes électronucléaire dans de nombreux pays. Trois déterminants sont à l'oeuvre pour expliquer ce renouveau. L'impératif de décarbonation, d'abord, qui exige une substitution rapide et massive des énergies fossiles a convaincu de nombreux gouvernements qu'il ne sera pas atteignable sans recours à une électrification décarbonée. Or, avec l'hydroélectricité, le nucléaire est la seule source d'électricité pilotable, donc en capacité de répondre à la demande quelque que soit le moment et le temps. Deuxième déterminant, le conflit en Ukraine a fait prendre conscience à toute l'Europe de sa dépendance au gaz russe, et plus généralement aux fossiles, et de la nécessité d'en sortir. Enfin, le pétrole reste marqué par des cours volatils et , à terme, un risque d'épuisement.

À l'échelle mondiale, l'énergie nucléaire séduit à nouveau. Lors de la COP 28, en novembre-décembre 2023, 24 pays, dont la France, se sont engagés en faveur d'un objectif de triplement de l'énergie nucléaire d'ici à 2050. Parmi les signataires, figurent notamment la Bulgarie, le Canada, la Finlande, le Ghana, la Hongrie, le Japon, la Corée du Sud, la Moldavie, la Mongolie, le Maroc, les Pays-Bas, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie, la Suède, l'Ukraine, la République tchèque et le Royaume-Uni.

Lors de son audition par la commission d'enquête, Jean-Marc Jancovici s'est montré encore plus ambitieux : « Selon moi, il convient d'aller le plus rapidement possible vers la quatrième génération. À l'échelle mondiale, la puissance installée des centrales à charbon représente entre 2 200 et 2 400 GW. Pour que le nucléaire joue un rôle significatif dans la substitution de ces 2 200 GW de ces centrales à charbon, il faudrait multiplier le parc nucléaire actuel par un facteur de plusieurs dizaines. Pour que cela dure quelques siècles, l'uranium 235 ne suffit pas. Pour que le nucléaire soit une énergie significative dans le monde - sachant qu'aujourd'hui le nucléaire représente 10 % de l'électricité et 2 % des usages finaux - il ne faut pas avoir de facteur limitant sur le combustible nucléaire, ce qui requiert de passer le plus rapidement possible à la quatrième génération. »666(*)

De nombreux pays se sont lancés dans des programmes électronucléaires, comme par exemple la Turquie qui a lancé la construction de 4 réacteurs pour une puissance de 4,4 GW ou l'Égypte, avec elle aussi 4 réacteurs pour 4,4 GW. D'autres pays étudient des solutions nucléaires civiles en particulier en Afrique ou en Asie.

La Chine, à elle seule, est à l'origine d'une forte part de l'augmentation de la puissance nucléaire installée. Elle poursuit ainsi un programme électronucléaire extrêmement ambitieux, avec un 14ème plan quinquennal (2021-2025)667(*) qui prévoit une puissance installée en service de 70 GW d'ici 2025 et la connexion au réseau de 19 GW supplémentaires, soit environ la construction de quatre réacteurs par an sur les cinq prochaines années. Cela conduira à doubler la part du nucléaire dans la production d'électricité, pour la faire passer à 10 % en 2035. La Chine a multiplié par dix le nombre de ses centrales depuis vingt ans, et par six sa production d'électricité depuis 2010. Son objectif étant d'atteindre la neutralité carbone en 2060. Aujourd'hui, la Chine exploite 56 réacteurs pour un total d'environ 54 GW et en construit...27, pour près de 29 GW.

Évolution de la puissance électrique installée d'origine nucléaire en Chine

Source : World nuclear association

Dans une moindre mesure, l'Inde consent aussi d'importants efforts pour se doter d'un parc électronucléaire et se libérer progressivement de ses centrales à charbon. L'objectif affiché du gouvernement indien est d'atteindre une capacité de 22,48 GW d'ici 2032, soit un quasi quadruplement de la puissance nucléaire installée. Elle dispose actuellement de 23 réacteurs totalisant plus de 7 GW de puissance et en construit 7 pour environ 5 MW.

Évolution de la puissance électrique installée d'origine nucléaire en Inde

Source : World nuclear association

Les dix pays construisant actuellement le plus de réacteurs nucléaires

Source : World nuclear association

En tout état de cause, le nucléaire ne représente aujourd'hui qu'environ 10 % de la production mondiale d'électricité et 5 % de l'énergie primaire totale. Si les autorités politiques veulent en faire un véritable outil de lutte contre le dérèglement climatique cela implique une augmentation considérable de sa contribution au mix énergétique mondial668(*).

Dans ce contexte global, on ne s'étonnera pas que les projections de consommation de l'uranium par les centrales nucléaires puissent évoluer rapidement et doivent faire l'objet d'une vigilance accrue.

De nombreux scénarios existent en la matière. Pour comparer la ressource en uranium naturel aux besoins, le rapporteur s'est concentré sur ceux d'organismes reconnus. Par commodité, lorsque les scénarios prévoient une augmentation de la consommation d'uranium, il a été retenu une hausse annuelle constante en valeur absolue. Compte tenu de la probabilité que l'accélération de l'équipement mondial en nucléaire civil prenne quelques années avant de se traduire de manière significative dans les consommations, il est possible que ce choix donne, sur les graphiques, des augmentations un peu plus rapides en début de période que ce qui sera vraisemblablement constaté.

Un premier scénario est celui de la stagnation de la demande d'uranium à son niveau actuel, soit environ 60 000 tonnes par an. Il est hautement improbable eu égard aux évolutions actuelles.

Un deuxième scénario est celui du seuil haut retenu par le Red book 2022 qui envisage une hausse de la capacité nucléaire installée atteignant 677 GWe à l'horizon 2040 contre un peu moins de 400 GWe en 2021, ce qui induirait un besoin annuel mondial d'uranium passant de 60 000 à environ 108 000 tonnes.

Un troisième scénario correspond à la « trajectoire de référence » de la Word nuclear association et se caractérise par une augmentation de la capacité nucléaire installée à 686GWe en 2040 soit un besoin annuel de 130 000 tonnes.

Un dernier scénario examiné est la « variante optimiste » de la Word nuclear association qui retient une capacité nucléaire installée de 931GWe en 2040 soit un besoin de 185 000 tonnes d'uranium par an. Ce scénario est grosso modo équivalent à celui qui résulterait de la mise en oeuvre de la déclaration relative au triplement de la production d'énergie nucléaire d'ici à 2050 présentée lors de la COP 28, et soutenue par la France. Il correspond aussi au scénario NZE 2023 de l'Agence Internationale de l'Energie.

Reste à comparer ces scénarios de demande en uranium à ceux des ressources. Commençons d'abord par un scénario peu probable mais éclairant : que se passerait-il, à demande mondiale constante d'uranium naturel au niveau actuel, soit environ 60 000 tonnes par an ?

Premier scénario : stagnation de la demande d'uranium civil à environ 60 000 tonnes par an

Source : commission d'enquête à partir du Red Book. Nota : à réserves inchangées

Dans cette hypothèse, encore une fois peu plausible, les réserves identifiées permettent toutes de dépasser le cap de 2100. Cependant, il est à noter que sur la base d'une durée de vie de 80 ans les réacteurs EPR 2 qui devraient être mis en service aux alentours de 2035-2038 devraient encore être en activité après 2100. Par ailleurs, dans ce scénario, les réserves raisonnablement assurées, les plus sûres et accessibles, sont tout de même épuisées dès la fin du siècle.

Deuxième scénario : hausse de la demande d'uranium civil à environ à environ 108 000 tonnes/an à l'horizon 2040

(seuil haut Red book 2022)

Source, Red Book, commission d'enquête. Nota : à réserves inchangées

Dans ce scénario, qui n'est pas le plus ambitieux, les choses deviennent plus compliquées. Si les ressources « ultimes » sont encore hors d'atteinte, en revanche les réserves identifiées à 260$ le kg sont épuisées en 2100 au plus tard, voire en 2080, les réserves identifiées à 130 $ sont épuisées autour de 2080 au plus tard, voire en 2100 et les réserves sûres sont épuisées entre 2060 et 2070.

Troisième scénario : hausse de la demande d'uranium civil à environ à environ 130 000 tonnes/an à l'horizon 2040

(« trajectoire de référence » de la Word nuclear association)

Source : Nuclear Fuel Report 2023, commission d'enquête. Nota : à réserves inchangées

De manière logique, dans ce scénario la situation se complique encore. Les ressources « ultimes » peuvent, dans l'une de ses hypothèses, être épuisées dès 2100. En revanche, les réserves identifiées à 260$ le kg sont épuisées avant 2090, voire dès 2070, les réserves identifiées à 130 $ sont épuisées autour de 2080 au plus tard et les réserves sûres sont épuisées entre 2060 et 2070.

Quatrième scénario : augmentation de la demande d'uranium civil à environ à environ 185 000 tonnes/an à l'horizon 2040

(« variante optimiste » de la Word nuclear association)

Source : Nuclear Fuel Report 2023, commission d'enquête. Nota : à réserves inchangées

Avec ce scénario, très favorable en matière de décarbonation, les ressources « ultimes » elles-mêmes peuvent, dans l'une de ses hypothèses, être épuisées dès 2080. Surtout, les réserves identifiées à 260$ le kg sont épuisées entre 2060 et 2070, les réserves identifiées à 130 $ sont épuisées entre 2055 et 2065 au plus tard et les réserves sûres sont épuisées avant 2055.

Ce scénario est proche de celui qui résulterait de la mise en oeuvre de la déclaration relative au triplement de la production d'énergie nucléaire d'ici à 2050 présentée lors de la COP 28, et soutenue par la France, dont l'impact est présenté dans le graphe suivant.

Cinquième scénario : hausse de la demande d'uranium civil à environ à environ 180 000 tonnes/an à l'horizon 2040

(Déclaration relative au triplement de la production d'énergie nucléaire COP 28)

Source : Nuclear Fuel Report 2023, déclaration COP 28, commission d'enquête. Nota : à réserves inchangées

Ce scénario, lui aussi par nature très favorable en matière de décarbonation puisque que, comme le rappelle la Déclaration relative au triplement de la production d'énergie nucléaire, l'Agence pour l'énergie nucléaire de l'OCDE et l'Association nucléaire mondiale, estime que l'atteinte du « zéro émission nette » au niveau mondial d'ici à 2050 pourrait être rendue possible grâce au triplement du total mondial de la capacité nucléaire installée. Il en va de même du GIEC selon lequel « la capacité installée de production d'énergie nucléaire devrait approximativement tripler au niveau mondial entre 2020 et 2050 dans le cas du scénario prévoyant un réchauffement moyen de 1,5 °C ».

Or, dans ce scenario, les réserves identifiées à 260$ le kg sont épuisées autour de 2070, les réserves identifiées à 130 $ sont épuisées un peu après 2060 et les réserves sûres sont épuisées un peu après 2055. Les ressources « ultimes » elles-mêmes peuvent, dans l'une de ses hypothèses, être épuisées un peu après 2090.

Encore une fois, il ne s'agit pas d'être alarmiste. De nouveaux gisements peuvent être découverts, en particulier si un coût d'extraction plus élevé est consenti par les acheteurs. Les trajectoires de la production électronucléaire restent par ailleurs encore incertaines. À l'inverse, on peut avancer que nous sommes, depuis 2022, au début d'une prise de conscience de l'impossibilité radicale d'engager une décarbonation massive sans pousser les feux en matière de nucléaire civil. Cette prise de conscience semble avoir fait évoluer nombre de gouvernements, dont celui de la France, ainsi que la Commission européenne, mais elle est encore loin d'avoir produit tous ses effets. C'est le cas, par exemple, s'agissant de l'Union européenne, en ce qui concerne l'ouverture de nouvelles possibilités d'aides à la réalisation de projets électronucléaires. Si cette évolution se poursuit, voire se renforce, le besoin en uranium risque de décoller radicalement.

Les créneaux de raréfaction de la ressource doivent être mis en rapport avec la durée de vie espérée des nouveaux réacteurs EPR2, soit au moins 80 ans. À supposer que les premiers soient mis en service aux alentours de 2035, nous dépassons 2100. Cela suggère donc un risque non négligeable d'épuisement de la ressource bien antérieur à la fin de service de ces réacteurs qui fonctionnent à partir d'uranium 235669(*). Dans les troisième et quatrième scénarios, cet épuisement interviendrait entre 10 et 30 ans avant la fin de vie des réacteurs, si l'on se base sur les réserves identifiées à 260 $ le kg.

En tout état de cause, la commission d'enquête estime que les scénarios envisagés doivent pousser les autorités politiques à faire des choix et à se positionner. En effet, ces scénarios conduisent à envisager une raréfaction de la ressource en uranium assez rapide par rapport à la durée de vie escomptée des réacteurs nucléaires, en particulier des EPR2 à venir. Compte tenu des besoins en électricité du pays, du coût des réacteurs EPR2, mais aussi de la trace écologique des réacteurs à neutrons lents s'ils devaient être abandonnés, l'État ne peut faire l'impasse sur ce sujet.

Si cette question de l'épuisement de la ressource reste encore largement un non-dit, il est indubitable que de nombreux acteurs y pensent. Les propos restent ordinairement très prudents mais laissent transparaître un questionnement, généralement estompé par l'impérieuse nécessité de ne pas donner l'impression de remettre en cause le programme du nouveau nucléaire et les EPR2.

C'est ainsi, par exemple, que devant la commission d'enquête, la directrice générale de l'énergie et du climat, Sophie Mourlon, questionnée par le rapporteur au sujet des réserves en uranium, répond : « Ensuite, nous n'avons pas d'inquiétude sur la disponibilité de l'uranium pour 6, 8 ou 14 EPR supplémentaires. Les évaluations au niveau international donnent des ressources largement suffisantes pour un accroissement assez important du parc, y compris mondial. Ce dernier couvre 360 gigawatts de nucléaire en service dans le monde, dont 60 en France.

En marge de la COP et sous l'égide de l'Agence internationale de l'énergie, nous avons assisté à une mobilisation en faveur d'un doublement, voire d'un triplement, des capacités de la production nucléaire. Dans ce cadre, la disponibilité à l'horizon de ce siècle est assurée. Nous pourrions arriver à des tensions vers la fin du siècle au regard des évaluations actuelles, mais de nouveaux gisements pourraient être découverts d'ici là, comme pour toutes les ressources du sous-sol. Nous suivons le sujet. »670(*)

Il n'y aurait donc pas d'inquiétude sur la disponibilité de l'uranium pour 6, 8 ou 14 EPR supplémentaires ? Soit, mais au-delà ? Quant à compter sur de nouveaux gisements, certes, mais cette espérance, ou plutôt ce pari, suffit-il face à l'enjeu technique et financier du programme EPR2 ?

De son côté, l'administrateur général du CEA, François Jacq, choisit une habile formulation interrogative : « Pourquoi parler de nucléaire du futur ?

La première raison réside dans la question des ressources : allons-nous nous retrouver dans une situation de dépendance ou de pénurie d'uranium ? Cela implique, bien que le nucléaire actuel fonctionne, de développer un nouveau type de nucléaire. (...)

En cas de pénurie de matière, nous serons obligés de construire de gros réacteurs à neutrons rapides - il n'y a aucun doute là-dessus. »671(*).

Quant au directeur général d'Orano, Nicolas Maès, il inquiète en voulant rassurer : « Pour ce qui est de l'uranium, tous les rapports de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) indiquent qu'il n'y a pas de problème de ressources à l'échéance de la fin du siècle. En effet, cette substance est bien distribuée à la surface de la Terre »672(*). On l'a vu, tous les scénarios y compris de l'AIEA ne sont pas aussi optimistes mais, au surplus, et a contrario, le propos du directeur général d'Orano révèle qu'au-delà « de la fin du siècle », il y a bien problème. Une fin de siècle déjà envisagée comme échéance par la directrice générale de l'énergie et du climat.

b) La répartition des mines d'uranium est un enjeu de souveraineté pour la France et ses alliés

Au-delà des quantités absolues d'uranium disponibles dans le monde, la question de la ressource est aussi celle de sa répartition. Lors de son audition, le directeur général d'Orano s'était voulu rassurant sur ce point aussi « (...) cette substance est bien distribuée à la surface de la Terre. Contrairement au pétrole, 40 % des ressources se trouvent dans des pays de l'OCDE. »

De son côté, la directrice générale de l'énergie et du climat a noté que « (...), l'enjeu principal de l'uranium repose dans le fait de garder une diversification des approvisionnements. »

Qu'en est-il ? Deux schémas sont éclairants. Le premier montre la répartition de la production d'uranium naturel en 2020, les second décrit l'évolution de cette production depuis 2015.

Répartition de la production d'uranium naturel en 2020

Source : Red book 2022

Évolution de la production d'uranium naturel dans les principaux pays producteurs depuis 2009

Source : Red book 2022

Le directeur général d'Orano a raison : près de 40 % des ressources se trouvent dans des pays de l'OCDE, mais cela signifie que plus de 60 % de la production d'uranium est hors OCDE. Plus précisément, un gros bloc de producteurs est composés de pays aujourd'hui proches, géographiquement et/ou politiquement, de la Russie et de la Chine. Kazakhstan, Ouzbékistan, Russie, Namibie, Niger, Mongolie totalisent ainsi plus de 75 % de la production. Pour l'instant, ce groupe de pays produit plus d'uranium qu'il n'en consomme. Mais, à l'horizon 2040, c'est l'inverse qui devrait de produire, notamment avec le programme électronucléaire chinois. À elle seule, la Chine qui est au 3ème rang des consommateurs d'uranium, après les États-Unis et la France, représente 12 % de la demande mondiale d'uranium. Ses besoins estimés à plus de 11 000 tonnes en 2023, devraient atteindre les 40 000 tonnes d'ici 2040.

Que peut-on en déduire ? D'abord, que des tensions sur le marché de l'uranium risquent de croître progressivement à mesure que les nouveaux parcs nucléaires vont se déployer et les anciens être prolongés. Par ailleurs, si une raréfaction de la ressource apparaît, les pays du « bloc » Russie-Chine auront probablement plus de facilités à se fournir au sein de leur groupe. Or, aujourd'hui, le bloc des pays producteurs qui se trouvent dans la zone d'influence de la Russie et de la Chine produit plus d'uranium qu'il n'en consomme, mais il n'en ira plus de même, selon toute vraisemblance, dès la fin de la décennie 2040. À ce moment-là, les besoins de ce bloc dépasseront sa production. De leur côté, comme le suggère le directeur général d'Orano, les pays occidentaux se tourneront davantage vers les producteurs de l'OCDE.

Ce cloisonnement des marchés pourrait en lui-même favoriser la hausse des prix et renforcer la raréfaction au détriment des acteurs les moins bien positionnés. Si, par exemple, les acheteurs d'uranium occidentaux devaient se tourner vers le Canada et l'Australie prioritairement, est-on sûr que la France serait aussi bien servie que les Etats-Unis ? Le risque géopolitique lié au déséquilibre de la production d'uranium sera donc exacerbé à cette échéance à la fois entre les deux blocs, mais aussi au sein de chaque bloc.

En dehors de ces évolutions qui relèvent d'automatismes et de la logique des marchés, l'expérience du gaz russe nous a montré qu'une puissance pouvait jouer de la détention de matières essentielles pour faire avancer ses intérêts géopolitiques. Le cas du Niger, où le coup d'État intervenu en juillet 2023 a provoqué l'arrêt de l'extraction par Orano673(*), nous a rappelé que certains approvisionnements pouvaient s'interrompre brutalement.

La France, et son opérateur minier Orano, sont conscients de la difficulté. Le directeur général d'Orano note ainsi devant la commission d'enquête : « Notre pays ne disposant pas de mines d'uranium, il nous est nécessaire de nous soucier de la sécurité d'approvisionnement. C'est l'une des missions d'Orano. Cela passe par une diversification de l'origine des ressources. Nous exploitons actuellement au Canada, au Niger, au Kazakhstan et nous développons des projets en Mongolie ou en Ouzbékistan. ». Le président de la République s'est ainsi rendu en Mongolie en mai 2023, en Ouzbékistan et au Kazakhstan en novembre 2023, à la fois pour évoquer des projets de construction de centrales nucléaires, mais aussi pour sécuriser des approvisionnements en uranium. Ces efforts sont nécessaires et louables. On relèvera cependant qu'ils concernent des pays sensibles à la proximité russe ou chinoise.

Aux yeux du rapporteur, la conclusion est claire : dans un monde traversé de tensions géopolitiques sans doute durables et marqué par une forte imprévisibilité, le risque de raréfaction de l'uranium se double d'un risque stratégique spécifique de moindre disponibilité pour l'Occident. Il est impératif d'en tenir compte dans l'établissement de la politique énergétique de la France.

c) Le bloc Russie-Chine a pris de l'avance en matière de réacteurs à neutrons rapides

Dans une logique de prudence et d'anticipation, allons au bout de la logique des blocs. Or, que constatons-nous ? La Chine et la Russie développent de longue date une filière industrielle de réacteurs à neutrons rapides. Ces deux pays disposent à présent de RNR de puissance opérationnels.

La Russie par exemple, s'est dotée d'un premier réacteur sodium prototype BR-10, démarré en 1958 de 10 MW électriques (MWe) et opérationnel jusqu'en 2002, puis d'un réacteur de moyenne puissance BN-350 de 50 MWe, mais de 1000 MW thermiques (MWth), une partie de l'énergie produite étant consacrée à la chaleur et au dessalement de l'eau, démarré en 1973 et opérationnel jusqu'en 1999. Le programme russe s'est ensuite traduit par une montée en puissance régulière : réacteur BN-600 (600 MWe) démarré en 1980, caractérisé par un facteur de charge autour de 80 % et qui a fait l'objet en 2022 d'importants travaux de jouvence en vue de prolonger sa durée d'exploitation jusqu'en 2040, réacteur BN-800 (800 MWe) démarré en 2016 et qui s'illustre par un facteur de charge moyen d'environ 70 % depuis son démarrage et réacteur BN-1200 actuellement en construction qui sera en puissance pratiquement l'équivalent de Superphénix. La Russie maîtrise la technologie des RNR et dispose également des capacités liées au cycle du combustible. Conclusion : elle est en capacité de déployer un parc de RNR.

La Chine a démarré beaucoup plus tard, avec l'aide de la Russie, mais avance rapidement. Après avoir expérimenté un réacteur prototype de 65 MWth, conçu et construit par la Russie, elle s'est attaquée au palier des 600 MW avec un réacteur CFR-600 MWe dont la construction a commencé en 2017 et qui a démarré en 2023. Un deuxième réacteur totalement identique est en cours de construction et devrait démarrer en 2026. La Chine prévoit désormais de passer au palier des 1000 MWe puis des 1200 MWe, le tout avec un combustible et le cycle associé fournis par la Russie. La Chine sera donc assez rapidement en capacité, elle aussi, de déployer un parc de RNR.

Si nous replaçons ces éléments dans le contexte de tensions à venir sur l'uranium et de la répartition déséquilibrée de sa production, nous voyons apparaître un risque : celui que le bloc Russie-Chine, lié par d'intenses coopérations, notamment dans le domaine nucléaire674(*), organise à dessein une pénurie d'uranium 235. Dans cette hypothèse, les seuls à même de vendre des réacteurs RNR pour faire face à cette pénurie seraient les Russes et les Chinois eux-mêmes.

Nul doute, en tout état de cause, que l'uranium deviendra, à mesure de l'augmentation de la demande, une arme géopolitique prisée de certains. Pour ceux qui pourraient en douter, il faudrait rappeler que, déjà, en 2022, la Russie avait menacé d'arrêter de vendre son uranium enrichi aux Etats-Unis. Il faut aussi souligner que, très récemment, et à l'inverse, les Etats-Unis ont décidé de se libérer de leur dépendance à l'uranium enrichi russe. Les Etats-Unis, en effet, importaient de Russie entre 12 et 25 % de leur consommation d'uranium enrichi, à la suite de la fragilisation progressive de leur propre filière d'enrichissement d'uranium sous l'effet des prix très concurrentiels du russe Rosatom et de l'attitude des exploitants américains de centrales nucléaires, désireux de bénéficier des prix les plus bas de leur ressource. Après la Chambre des Représentants, en décembre 2023, le Sénat américain a ainsi approuvé, le 30 avril dernier, un projet de loi visant à interdire les importations d'uranium russe. Après le pétrole, puis le gaz, l'uranium a toutes les chances de devenir un levier d'action dans les confrontations géostratégiques.

Production d'uranium (en rouge) et besoin des réacteurs (en jaune) pour les principaux producteurs d'électricité d'origine nucléaire en 2020 (Tonnes d'uranium)

Source : World nuclear association, WNA's Nuclear Fuel Report 2023

d) Le prix de l'uranium, abordable mais volatil, va croître

Les prix de l'uranium connaissent des évolutions de long terme ainsi que des volatilités plus concentrées dans le temps. Sur le long terme, on note une augmentation régulière des prix à partir du milieu des années 2000, jusqu'au pic exceptionnel de 140$ la livre (environ 500 grammes) à l'été 2007. Par la suite, les prix de l'uranium se stabilisent aux alentours de 50-70$. Ils s'effondrent ensuite à environ 25$ après Fukushima et ce jusqu'à la mi-2021.

À partir de là, tout s'accélère : le prix de l'uranium double pratiquement en deux ans en atteignant 56$ à la mi-août 2023. Il double à nouveau ou presque en moins d'un an en dépassant les 111 $ au début février 2024. Il est courant juin autour de 90 $ avec des prix de long terme clairement orientés à la hausse (108,30 $ pour mai 2029, par exemple).

Cette progression s'explique par les anticipations de la croissance de la demande en uranium dans les années à venir, mais aussi par le fait que les capacités minières s'étaient réduites et concentrées dans les pays dont les coûts d'extraction sont les plus faibles, en particulier au Kazakhstan. Des éléments de contexte plus spécifiques, comme par exemple les manifestations de 2022 dans ce pays, qui ont laissé craindre des baisses de production, ont aussi joué un rôle.

Cours de l'uranium depuis 1990

Source : Cameco

Cours de l'uranium depuis 2015

Source : Boursorama

Certes, les optimistes avanceront que le prix de l'uranium est au fond marginal dans le coût de l'électricité nucléaire. Le directeur général d'Orano relevait ainsi lors de son audition du 13 février 2024 que « Par rapport au prix moyen de l'an dernier, si le prix de l'uranium doublait dans la durée, la répercussion sur le coût de l'électricité serait de 4 euros par mégawattheure - c'est bien moindre qu'un doublement du prix du gaz. De même, l'augmentation du prix des terres rares nécessaires aux énergies renouvelables se répercuterait également sur le prix de l'électricité. »

Il faut tout de même rappeler que le prix de l'uranium a pratiquement quadruplé depuis 2021. De nouvelles évolutions aussi brusques finiraient par singulièrement renchérir le coût de l'électricité. Cela étant, comme nous l'avons vu, la question est plutôt celle de la souveraineté nucléaire et énergétique de notre pays qui est menacé par le déséquilibre dans la répartition mondiale de la ressource.

Ajoutons qu'au moment où chacun reconnaît que l'énergie en Europe est plus coûteuse qu'aux Etats-Unis ou en Chine, ce qui menace la compétitivité de nos entreprises, toute baisse de prix est bonne à prendre et toute hausse à éviter.

B. LE TRIPLE ENJEU DE LA FERMETURE DU CYCLE

La France a choisi depuis plus de 50 ans une stratégie dite de « fermeture du cycle ». Cela signifie que le combustible usé est traité pour récupérer ses matières valorisables (uranium et plutonium), tandis que ses autres composés (produits de fission et actinides mineurs) constituent les déchets ultimes.

L'intérêt de ce choix est triple : il économise de la ressource fissile, réduit le volume de déchets ultimes à vitrifier puis à stocker et vise à diminuer la toxicité de ces stocks.

À terme, l'objectif de la fermeture du cycle est le « recyclage des combustibles usés permettant la complète valorisation des matières nucléaires et ne nécessitant aucun nouvel apport d'uranium naturel pour produire de l'énergie nucléaire. » (Orano).

Lors du conseil de politique nucléaire du 26 février 2024, le président de la République a confirmé les grandes orientations de la politique française sur l'aval du cycle comprenant le retraitement, la réutilisation des combustibles usagés et la fermeture du cycle. Il en résulte que le site Orano de La Hague est pérennisé et que d'importants travaux de renouvellement des infrastructures pourront y être réalisés pour leur permettre d'aller bien au-delà de 2040.

C. L'APPORT INDISPENSABLE MAIS LIMITÉ DU MONORECYCLAGE

La politique actuelle de retraitement-recyclage du combustible est fondée sur le monorecyclage : la partie valorisable des combustibles utilisés est traitée de telle sorte qu'elle puisse repasser une fois dans les réacteurs. Ce monorecyclage permet de valoriser 96 % des matières qui sont issues du combustible passé une première fois en réacteur.

Concrètement, l'usine Orano de La Hague collecte, après une première utilisation, les combustibles nucléaires usés dans des piscines de refroidissement. Puis, elle en extrait les 96 % de matières énergétiques valorisables (95 % d'uranium et 1 % de plutonium) qu'elle va ainsi permettre de recycler.

Le plutonium qui s'est formé dans le réacteur est récupéré pour fabriquer un combustible appelé MOX (« mixed oxyd »), constitué d'un assemblage d'environ 8,5 % de plutonium et 91,5 % d'uranium appauvri. Ce MOX est ensuite consommé une nouvelle et dernière fois dans certains réacteurs. Actuellement, un tiers des réacteurs du parc nucléaire français sont en capacité d'utiliser le MOX, qui permet de produire environ 10 % de l'électricité nationale.

L'autre produit valorisable est l'uranium issu du recyclage, dit uranium de retraitement (URT). Il peut être réenrichi pour alimenter une nouvelle fois le parc. On parle alors d'uranium recyclé enrichi (URE). Une phrase préliminaire à ce réenrichissement est la conversion de l'uranium à recycler, qui consiste en sa purification. Orano ne disposant des équipements pour assurer cette phase de conversion pour l'uranium recyclé elle est pour l'instant réalisé par ROSATOM à Seversk en Russie. Selon les cas, cet uranium URE peut être utilisé en France, comme à la centrale de Cruas, ou dans les réacteurs russes.

Dans les réacteurs actuels le combustible ne peut être recyclé efficacement qu'une seule fois. Après cette seconde vie, il est donc entreposé en piscine dans l'attente de la possibilité technique de nouveaux recyclages, qui seront ultérieurement réalisables dans une nouvelle génération de réacteurs, les réacteurs à neutrons rapides, dits de « 4ème génération ».

Selon les informations communiquées à la commission d'enquête, le recyclage du plutonium, grâce au MOX, permet d'ores et déjà de produire 10 % de l'électricité nucléaire. Cette part pourrait monter à 25 % selon les prévisions d'EDF grâce à une utilisation croissante de l'uranium de retraitement (URT). L'objectif d'EDF est de pouvoir réutiliser l'URT dans certains réacteurs de 1 300 MW dès 2027 pour arriver dans les années 2030 à plus de 30 % d'URT chargé dans le parc nucléaire français.

L'enjeu est évidemment de taille. Toutefois, actuellement, l'usine de Seversk est la seule au monde qui puisse opérer cette conversion de l'URT. La France dispose de la technologie de conversion puisque le site du Tricastin a converti environ 4 000 tonnes d'uranium de retraitement sous forme de nitrate d'uranyle en UF6 (hexafluorure d'uranium) de 1972 à 2008, date à laquelle les dernières installations de conversion dédiées à ces matières ont été fermées. Elle a mis fin à ce processus sur son sol, principalement pour des raisons économiques, liée au surcoût de la filière URT par rapport à la filière uranium naturel, EDF s'adressant à ROSATOM pour sous-traiter à moindre prix la conversion.

Une utilisation croissante de l'URT dans des conditions souveraines exige donc la création d'une nouvelle installation, ce qui suppose un choix politique clair pour un aboutissement d'ici 7 à 10 ans. Cette création est à l'étude par EDF et Orano et a fait l'objet de la proposition n° 22 de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France675(*) ainsi libellée : « étudier la faisabilité industrielle et les options économiques pour installer à court terme une nouvelle usine de réenrichissement sur le sol français », à laquelle la commission d'enquête ne peut que souscrire.

Ce monorecyclage, par lequel l'uranium déjà utilisé refait un tour en réacteur, est déjà effectif dans 24 réacteurs de 900 MW, dits « moxés », sur l'ensemble des 56 réacteurs actuellement en exploitation en France. Selon les informations communiquées à la commission d'enquête par Bernard Salha, directeur de la recherche et du développement d'EDF et directeur technique groupe, EDF souhaite désormais préparer le « moxage » d'une partie du parc de réacteurs de 1 300 mégawatts. L'objectif est à la fois de préserver la ressource en uranium mais aussi de stabiliser les inventaires de combustibles usés, en particulier de plutonium.

D. LE MULTIRECYCLAGE EN REP N'EST PAS LA BONNE PISTE

1. L'intérêt affiché pour le multirecyclage en REP est largement issu de l'arrêt du programme ASTRID

La stratégie de la France, comme cela a été indiqué, repose sur la fermeture du cycle qui doit permettre à terme de se passer de toute consommation d'uranium naturel extrait des mines. Elle est fondée, depuis de nombreuses années, sur le développement à venir de réacteurs à neutrons rapides (RNR). Ces réacteurs présentent en effet l'intérêt d'être capables de produire autant ou plus de matière fissile qu'ils n'en consomment. Les réacteurs à neutrons rapides surgénérateurs peuvent, par recyclages successifs, utiliser la quasi-totalité de l'énergie contenue dans l'uranium. À titre de comparaison, selon les données du CEA, un réacteur REP classique (1GWé) a besoin de 180 tonnes d'uranium naturel par an et produit 0,25 t de plutonium dans le même temps. Un RNR régénérateur de même puissance aurait besoin de 15 à 20 tonnes de plutonium (constamment régénérés) et consommerait seulement environ 1 à 2 tonnes d'uranium naturel par an. Dans la mesure où ces RNR pourraient même utiliser l'important stock d'uranium appauvri actuellement inutilisé et disponible sur le sol national, soit environ 330 000 tonnes, ils permettraient de mettre un terme au problème des ressources en matière fissile.

Cette stratégie de développement des RNR a été inscrite dans la loi en 2006. L'article 3, toujours en vigueur, de la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs dispose ainsi que des recherches et études sont poursuivies sur : « 1° La séparation et la transmutation des éléments radioactifs à vie longue. Les études et recherches correspondantes sont conduites en relation avec celles menées sur les nouvelles générations de réacteurs nucléaires mentionnés à l'article 5 de la loi n° 2005-781 du 13 juillet 2005 de programme fixant les orientations de la politique énergétique ainsi que sur les réacteurs pilotés par accélérateur dédiés à la transmutation des déchets, afin de disposer, en 2012, d'une évaluation des perspectives industrielles de ces filières et de mettre en exploitation un prototype d'installation avant le 31 décembre 2020 ».

Elle n'a pas été explicitement remise en cause par la PPE 2016-2023 qui indique : « À plus long terme, le recyclage des combustibles MOx usés est exploré dans le cadre des recherches sur les systèmes nucléaires de quatrième génération, notamment à l'aide des réacteurs à neutrons rapides (RNR). Sur la base des enseignements tirés des réacteurs précédents en France et à l'international, la France a lancé en 2010 les études de conception d'un démonstrateur technologique RNR-sodium avec le projet ASTRID. Les études se poursuivent actuellement avec une phase de conception détaillée prévue sur la période 2016-2019 ».

Elle n'a pas non plus été explicitement remise en cause par la PPE 2019-2028, même si les termes de cette dernière se chargent d'ambiguïté : « La France doit poursuivre l'étude des options technologiques qui pourraient assurer la fermeture complète du cycle sur le long terme (multirecyclage des combustibles usés permettant à terme d'être indépendant énergétiquement vis-à-vis de l'uranium naturel). Jusqu'à présent, les efforts de recherche s'étaient focalisés sur le déploiement de la filière des réacteurs à neutrons rapides de génération IV refroidis au sodium (RNR). Dans le cadre de la loi sur la gestion des matières et des déchets radioactifs de 2006, des études de conception d'un démonstrateur technologique de RNR, nommé ASTRID, avaient été lancées en 2010. Les études se poursuivent actuellement avec une phase de conception détaillée sur la période 2016-2019.

Pour autant, dans la mesure où les ressources en uranium naturel sont abondantes et disponibles à bas prix, au moins jusqu'à la deuxième moitié du 21ème siècle, le besoin d'un démonstrateur et le déploiement de RNR ne sont pas utiles avant cet horizon. Les travaux relatifs aux RNR ont donc vocation à être réorientés. En revanche, et à un horizon plus court, le multirecyclage dans les réacteurs à eau sous pression (REP) de 3ème génération pourrait permettre de stabiliser les stocks de plutonium ainsi que les stocks de combustibles usés contrairement au mono-recyclage. La faisabilité de ce type de solution doit donc être explorée. »

Cette PPE 2019-2028 fait donc apparaître une nouvelle « solution » de multirecyclage, le multirecyclage dans les réacteurs à eau sous pression (REP), autrement dit multirecyclage en REP (MRREP). Et la PPE en présente l'intérêt comme purement économique en se fondant sur une « abondance » et les prix faibles de l'uranium.

En fait, en 2017-2018, avec l'arrêt du programme ASTRID, sur lequel nous reviendrons, le Gouvernement renonce, de fait et pour longtemps, mais sans le dire, au développement des RNR.

Dès lors, prétendant malgré tout préserver l'objectif de fermeture du cycle, face à l'augmentation prévisible des déchets des centrales, il demande de réaliser des recherches sur un autre mode de multirecyclage que celui qui peut être opéré dans ces réacteurs de 4ème génération.

Il s'agit de soulager les conditions d'entreposage du MOX usé, qui sans RNR, n'a plus de débouché, et s'accumule dans les piscines de l'usine de retraitement de La Hague au rythme de 120 tonnes par an, mais aussi de sécuriser le Centre industriel de stockage géologique, autrement dit Cigéo, qui doit accueillir en sous-sol profond les déchets nucléaires ultimes. En effet, si les combustibles MOX usés devaient rester définitivement sans usage ultérieur, il faudrait les stocker, mais Cigéo n'est pas prévu pour les accueillir, ne serait-ce qu'en termes de volumes. En effet, Cigéo n'a pas été conçu pour accueillir des combustibles usés, mais des colis de déchets de haute activité vitrifiés issus du retraitement676(*) (inventaire de référence). Les deux types de matériaux sont très différents aussi bien en ce qui concerne leur composition, avec des colis vitrifiés qui ne contiennent pas d'uranium ni surtout de plutonium, qu'en ce qui touche leur forme, les déchets comportent des radionucléides dilués dans des verres tandis que les combustibles usés seraient à entreposer dans un conteneur qui reste à définir.

Certes, Cigéo est conçu selon un principe d'adaptabilité, mis en avant par l'ANDRA677(*). Mais ce principe permet seulement d'envisager que le centre de stockage puisse potentiellement accueillir des combustibles usés et que des études ont été menées au titre de l'inventaire de réserve. Cependant, à ce stade, ces études d'adaptabilité permettent uniquement de vérifier que la conception du projet ne contient pas d'éléments rédhibitoires pour un tel accueil. Il ne s'agit en aucun cas d'études détaillées permettant de spécifier le concept et encore moins d'effectuer l'analyse de sûreté.

Si la décision était prise de faire accueillir des combustibles usés à Cigéo, la conséquence serait donc, techniquement, l'obligation de mener des études détaillées et d'obtenir l'agrément de l'ASN avec, suivant l'ampleur de l'impact de la conception du site, une modification du décret d'autorisation de création, ce qui supposerait de nouveaux délais d'instruction. Socialement, cela nécessiterait de reprendre la concertation sur Cigéo, puisqu'il serait question que le stockage accueille des déchets fondamentalement différents de ceux annoncés dans les concertations précédentes.

Au total, prévoir le stockage des combustibles usés dans Cigéo exigerait une reconception coûteuse du centre et décalerait d'au moins une décennie son ouverture. Lors de son audition par le rapporteur, la délégation de la CNE2678(*) avait fait valoir ces différents points et souligné qu'une modification de l'inventaire de référence du dossier de la demande d'autorisation de création (DAC) de Cigéo en cours d'instruction nécessiterait de nouvelles études de sûreté et de conception. Elle avait par ailleurs noté que les engagements pris auprès des populations de Meuse et Haute-Marne quant au catalogue de l'inventaire de référence des déchets à stocker dans Cigéo avaient constitué la base des discussions des lois de 2006 et de 2016 sur la gestion des déchets radioactifs. Une nouvelle concertation serait donc indispensable.

L'option du multirecyclage dans les réacteurs existants, les réacteurs à eau pressurisée, permet alors au Gouvernement et à une partie de la filière d'affirmer que les MOX usés sont valorisables, que l'arrivée des RNR n'est pas urgente, que Cigéo n'est pas menacé et que la fermeture du cycle reste l'objectif de l'État.

2. Le multirecyclage en REP est une technologie non mâture dont les atouts semblent limités

Ce multirecyclage suppose néanmoins, compte tenu des contraintes physiques existantes, de développer un nouveau combustible, appelé « MOX2 », permettant de compenser la dégradation de la qualité fissile du plutonium par l'ajout d'uranium enrichi.

Cependant, ce nouveau combustible n'est pas encore développé et fait toujours l'objet de recherches. La DGEC, dans ses réponses à la commission d'enquête fait d'ailleurs preuve d'une prudence notable sur le sujet « Les études sur le multi- recyclage en réacteurs à eau pressurisée (MRREP) ont été lancées, avec le soutien de France 2030. Dans son principe, le schéma industriel envisagé pour l'avenir de l'aval du cycle est compatible avec le MRREP. Les études engagées doivent se poursuivre pour confirmer sa faisabilité technique et le calendrier de déploiement associé, en lien avec les perspectives s'agissant de la fermeture du cycle. L'appréciation des perspectives liées au MRREP pourra être précisée à l'horizon 2026, à la lumière des travaux conduits sur ce sujets par Orano, EDF et le CEA. »679(*).

D'après les informations recueillies par la commission d'enquête, les premières études sur le MRREP ont été engagés par la filière nucléaire française à partir de 2016. Elle s'est ensuite organisée en « quadripartite » (CEA, Orano, EDF, Framatome) pour piloter et financer ce programme, pour lequel la filière prévoit de consacrer un budget d'environ 80 M€ sur la période 2022-2026. L'objectif visé est de charger quelques crayons test de MOX2 en réacteur à l'horizon 2030 puis d'un déploiement industriel à l'horizon 2050. Un financement de la part de l'État de 25 M€ pour la période 2022-2026 est consacré à cet objectif et mis en oeuvre via le plan de relance France 2030 ainsi que d'un budget dédié vers le CEA.

Cependant, des divergences fortes existent sur la pertinence de la mise en place d'une filière de MRREP. Plusieurs arguments conduisent en effet à mettre en doute l'intérêt de cette potentielle nouvelle filière. En premier lieu, son développement est loin d'être achevé et conduirait à des dépenses et à une mobilisation de personnels qui pourraient être utiles à d'autres secteurs de la filière nucléaire. Dans un contexte budgétaire tendu, il en résulterait que le programme de développement du MRREP pèserait sur celui d'un programme RNR, or c'est ce programme qui est stratégique pour la France.

Par ailleurs, plusieurs interlocuteurs de la commission d'enquête, dont le Haut-commissaire à l'énergie atomique, Vincent Berger, ont souligné que le MRREP serait consommateur du plutonium conservés en France et que, de ce fait, il réduirait, inutilement, cette ressource indispensable au déploiement d'un parc RNR. Il faut en effet relever qu'entre 15 et 20 tonnes de plutonium sont au total nécessaires pour démarrer un RNR680(*). Or, pour l'instant, la France dispose de seulement 60 tonnes681(*) de plutonium séparé et stocké.

Lors de son audition par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), le 21 juillet 2022, Gilles Pijaudier-Cabot, président de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2) avait déjà clairement mis en doute l'intérêt du MRREP : « (...), une option qui s'appelle le multi-recyclage en réacteurs à eau pressurisée est apparue en 2019. Elle consiste à faire plusieurs passages des combustibles MOX dans le parc de réacteurs existant. Ce multi-recyclage ne nous semble pas avoir d'intérêt, pour plusieurs raisons. D'une part, les calendriers qui sont proposés ne le voient pas mis en oeuvre avant 2050 ou 2060. Pour cela, il faut construire de nouveaux EPR, pas les six premiers qui ont été évoqués dans le débat public, mais les suivants. D'autre part, cela conduirait à devoir construire des installations temporaires pour la gestion du cycle, différentes des installations suivantes, destinées aux réacteurs à neutrons rapides. Nous ne voyons donc pas vraiment d'intérêt significatif à cette étape. ».

Dans son 17ème rapport, de juin 2023, la CNE2 a réitéré cette appréciation critique avec force et avec une clarté particulière qui sonne comme un avertissement : « Le MRREP a été présenté comme une stratégie pour augmenter la valorisation des matières, limiter l'augmentation du stock de combustible usé, tout en maintenant une compétence technique dans l'attente de la fermeture du cycle avec les RNR. Les travaux présentés à la commission démontrent que le MRREP nécessiterait une très importante R&D et une industrialisation spécifique complexe et coûteuse dont seule une fraction serait réutilisable pour la fermeture du cycle. Ces efforts retarderaient d'autant la R&D requise pour le développement d'un parc de RNR de forte puissance. En outre, selon certains scénarios, le MRREP fragilise la disponibilité du Pu nécessaire pour démarrer un parc de RNR.

La Commission rappelle que seule la filière RNR est capable de fermer le cycle. La nouvelle impulsion lancée par les projets d'AMR à spectre rapide donne l'opportunité d'accélérer fortement la mise au point de la technologie RNR.

Il est indispensable de définir rapidement la stratégie électronucléaire pour que les décisions sur les installations industrielles du cycle et d'entreposage des combustibles usés puissent être prises au plus tard en 2025, afin d'en assurer la disponibilité en 2040.

La Commission recommande de choisir la voie directe des RNR sans passer par le MRREP. »682(*)

Dans un document obtenu directement par la commission d'enquête, le CEA confirme la dégradation du plutonium par le multirecyclage en REP et le risque d'une insuffisance du stock pour le déploiement d'un parc RNR. Il relève que le « multirecyclage en REP dégrade la qualité du plutonium actuellement gardé en ressource pour le démarrage de la filière RNR (...). Il a la capacité de stabiliser voire de réduire l'inventaire plutonium. Un déploiement rapide de ces concepts pourrait conduire à un inventaire de plutonium inférieur à celui nécessaire à un déploiement accéléré des RNR à puissance installée constante. Ce déploiement pourrait donc être rendu délicat selon les hypothèses de scénarios, et pourrait être ralenti par manque de ressource plutonium. »683(*) 

De son côté, Vincent Berger, Haut-Commissaire à l'énergie atomique, entendu par le rapporteur, a été très clair et souligne que la pertinence du programme MRREP est singulièrement affaiblie depuis la décision de relance du programme électronucléaire : « (...), il est évident que le MRREP va consommer une ressource plutonium par ailleurs très utile pour le démarrage ultérieur d'un parc de RNR ; on peut d'ailleurs simplifier le problème du MRREP vs déploiement de RNR par un arbitrage à faire entre un entreposage longue durée des MOX usés en piscine (donc une « consommation de places piscine » et constitution d'une réserve de Plutonium) et à l'inverse la consommation du stock de plutonium (et en plus la dégradation du Plutonium restant). Dans un contexte où on prévoyait la fermeture de nombreux réacteurs et l'ouverture lointaine de RNR, cet arbitrage pouvait en effet pencher du côté de la préservation de la ressource « places piscine ». Ce n'est plus le cas aujourd'hui, on ne ferme plus de réacteurs, on contraire on en ouvre et le besoin en RNR pourrait arriver bien plus tôt que prévu, l'arbitrage doit pencher davantage du côté de ne pas gaspiller le Plutonium (...).

Dès lors que l'on est dégagé de ses préoccupations sur les Mox usés, et que l'on ne craint plus qu'ils puissent être des déchets potentiels, dès lors que l'on sait que l'on déploiera un jour des RNR et que cette perspective se rapproche, il n'y a aucun intérêt au multirecyclage en REP.

Le multirecyclage en REP n'est pas vraiment une étape sur le chemin des RNR, au contraire c'est un frein au développement futur des RNR dans la mesure où cela consomme le Plutonium indispensable à leur démarrage »684(*).

Par ailleurs, le bénéfice du MRREP en termes d'économie d'uranium naturel et de réductions du volume de déchets nucléaires ultimes serait décevant. Selon certaines études réalisées par exemple dans le cadre du CEA, à combustible MOX inchangé, le multirecyclage en REP ne permettrait ainsi d'économiser qu'environ 5 % d'uranium en plus par rapport au monorecyclage : « (...) les besoins en U naturel sont très proches tous les cas de multirecyclage Pu. En outre, la différence avec monorecyclage n'est pas très grande -elle ne dépasse pas 5 % dans la plupart des cas ! Par conséquent, l'économie d'uranium naturel ne devrait pas être une incitation pour le Pu multirecyclage dans les REP. »685(*). Certes, le CEA a communiqué sur des taux d'économie d'uranium plus important mais, selon les informations transmises à la commission d'enquête, ces résultats sont obtenus par la conjonction, d'une part, de l'augmentation du nombre de réacteurs chargés en nouveau combustible MOX, réacteurs qui constitueraient non plus le tiers mais la moitié du parc, et, d'autre part, de l'utilisation d'un combustible innovant dit « MIX », évolution du MOX. Du reste, cette utilisation suppose encore, selon le CEA lui-même, « un effort de développement et qualification de la pastille » ainsi que « l'étude de son comportement sous irradiation incluant les conditions accidentelles »686(*).

En revanche, s'il économise peu l'uranium, le MRREP consomme bien le plutonium, ce qui est un inconvénient pour le déploiement de RNR qui en ont impérativement besoin. Par ailleurs, le multirecyclage en REP augmenterait très significativement la production d'actinides mineurs non réutilisables et concentrant une très forte radioactivité. Les chiffres des différents experts oscillent de + 50 % à + 200 %687(*). Ces actinides sont formés dans un réacteur nucléaire par captures successives de neutrons par les noyaux majoritaires du combustible et principalement par le plutonium. Par conséquent, plus on met de plutonium dans les combustibles, plus on produit d'actinides mineurs Ces isotopes qui ont une longue demi-vie sont principalement le neptunium 237, l'américium 241 et 243, et le curium 244 et 245.

Enfin, la commission d'enquête s'interroge sur l'échéancier possible de déploiement éventuel du MRREP. La délégation de la CNE2688(*) entendue par le rapporteur estime que ce multirecyclage ne sera pas disponible avant 2050. Ce que semble confirmer la réponse d'Orano au questionnaire de la commission qui évoque « sa mise en oeuvre industrielle à l'horizon 2050 ». Or, compte tenu des risques sur la ressource en uranium et, corrélativement, du besoin de développement plus rapide que prévu des RNR qui pourraient connaître un début de déploiement autour de 2070, cela signifierait que le MRREP ne fonctionnerait utilement que pendant une vingtaine d'années, ce qui est bien peu eu égard au coût qu'il faudrait engager pour permettre aux « nouvelles usines de l'aval du cycle, qui devront fonctionner la deuxième moitié de ce siècle, aient la capacité à accompagner cette évolution ».

3. Une technologie qui n'est qu'en apparence une solution d'attente pour les RNR mais qui est en réalité incompatible avec leur déploiement

L'administrateur général du CEA, plutôt catégorique devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France, affirmait le 7 décembre 2022 : « Commençons par essayer de retraiter le combustible MOX et de recycler la matière extraite dans les réacteurs à eau pressurisée (REP) actuels - ce que l'on appelle le multirecyclage en REP. Cela nous apprendra beaucoup de choses sur le cycle, qui est le point faible du programme. Nous pourrons ensuite passer au cycle fermé avec des réacteurs à neutrons rapides. ».

Pour autant, ses réponses écrites à la commission d'enquête du Sénat sont apparues plus circonspectes, même si elles tendent à défendre la pertinence du MRREP : « Pour le CEA, le MRREP ne constitue en rien une solution idéale, ni une panacée ou une substitution à une fermeture du cycle avec les RNR, et n'a jamais été présenté comme tel, mais est une option intermédiaire dans la perspective de la fermeture du cycle avec les RNR : elle permettrait d'économiser des quantités significatives d'uranium naturel, est accessible industriellement plus rapidement que le cycle avec les RNR (même parc de réacteurs, procédé industriel de fabrication du combustible connu, retraitement faisable ...) ; elle constitue de ce fait une voie d'intérêt à même d'apporter à court terme une réponse au regard des incertitudes sur un approvisionnement en uranium »689(*). On le voit, toute l'ambigüité du propos consiste à présenter le MRREP comme « une option intermédiaire dans la perspective de la fermeture du cycle avec les RNR ». Or, en raison du ralentissement des recherches sur les RNR et du renoncement à réaliser un prototype, la « fermeture du cycle avec les RNR » ne peut plus être considérée comme un objectif aujourd'hui sérieusement recherché. Ensuite, parce qu'il consomme le plutonium qui sera indispensable aux RNR et parce qu'il accroît la production d'actinides mineurs, ce multirecyclage ne peut être considéré comme une option intermédiaire, mais bien comme une filière de recyclage différente et concurrente et, pour tout dire, moins efficace.

Du côté des industriels, la prudence est de mise : le projet MRREP n'est pas directement contesté mais, à chaque fois, il est rappelé qu'il n'est qu'une solution d'attente du programme RNR.

Entendu par la commission d'enquête, Nicolas Maès, directeur général d'Orano indique ainsi : « La deuxième étape - le retraitement-recyclage classique - est le multirecyclage par les filières à responsabilité élargie du producteur (REP) qui consiste à recycler les MOX (mélanges d'oxydes) qui ont été utilisés dans les centrales de manière à les utiliser de nouveau. Une telle réutilisation a été testée et elle est techniquement faisable. Si le débit des usines d'extraction ne permet pas, pour l'heure, de le faire à une échelle industrielle, ce sera possible dans les usines nouvelles.

La Nation doit-elle enfin s'engager dans un taux de multirecyclage en REP très fort ou très faible ? J'estime que cela relève presque d'un débat de religion. En tout état de cause, rien n'oblige à clore le débat dès aujourd'hui. Plusieurs scénarios peuvent en effet exister, en fonction notamment de la date d'arrivée sur le marché des réacteurs de quatrième génération capacitaires, qui rendront d'autant moins nécessaire le déploiement d'un parc de multirecyclage en REP. En revanche, dans le cas où la disponibilité de cette technologie serait décalée, le multirecyclage en REP permettrait d'avoir une certaine indépendance par rapport aux matières premières, sachant que les usines de retraitement des combustibles permettront ensuite de produire les quantités de plutonium nécessaires pour alimenter les réacteurs de quatrième génération. »690(*). Dans ses réponses écrites, Orano reprenait l'argument du MRREP comme solution de transition ou en attente des RNR : « Le multirecyclage en REP (MRREP, multirecyclage des matières dans les réacteurs REP de la future flotte EPR2) constitue ainsi une solution de transition possible en attendant la mise en service de réacteurs RNR, dans un objectif final de fermeture du cycle. »691(*)

Bernard Salha, directeur de la recherche et du développement d'EDF et directeur technique groupe, va dans le même sens : « Notre cible est en effet la fermeture du cycle, c'est-à-dire la possibilité de se passer d'uranium naturel en utilisant exclusivement du combustible qui est déjà passé en réacteur. Dans cette attente, le multirecyclage en REP (MRREP) permet d'opérer un second tour de MOX dans nos réacteurs. Les résultats des études que nous avons menées sur ce sujet avec nos collègues du CEA, d'Orano et de Framatome sont assez prometteurs et permettent d'envisager de stabiliser les inventaires de combustibles usés et les inventaires de plutonium dans le cycle. »692(*)

Ici encore, on peut s'interroger sur la notion même de solution d'attente, car le MRREP, non seulement distrait des moyens qui pourraient être consacrés à la recherche RNR, consomme du plutonium qui pourrait leur être utile mais, au surplus, le combustible RNR est différent de celui du multirecyclage. Il en résulte que les usines du cycle nécessaires devront être différentes, comme les modalités de traitement, de transport ou de stockage.

Sans entrer plus avant dans un débat technique qui ne relève pas de la commission, que peut-on conclure de ces différents éléments ?

Premier point : le projet de MRREP est en fait assez largement lié aux circonstances. En d'autres termes, c'est l'arrêt du programme de recherches actives sur les RNR et du projet Astrid qui l'a mis sur les rails. Jusqu'alors, la perspective de déploiement de RNR laissait espérer le traitement des déchets nucléaires de façon relativement aisée : le plutonium servirait aux RNR et le volume des déchets ultimes serait sensiblement réduit grâce à cette technologie.

Avec l'arrêt d'Astrid, et donc le retard pris dans la perspective de déploiement d'un parc RNR, tout change. Le développement des RNR est repoussé de plusieurs décennies. Dès lors se pose rapidement la question du sort des déchets produits par le parc de centrales et, en particulier du plutonium. Car, si rien n'est fait, le stock de plutonium et de MOX usés va continuer à augmenter à raison de 120 tonnes par an. C'est ce qu'exprime Orano en réponse aux questions de la commission : « Du fait du report à la fin du siècle du déploiement des réacteurs à neutrons rapides (RNR), le MRREP permettrait de stabiliser les inventaires de matières et combustibles en valorisant le plutonium des MOX usés »693(*).

La filière et le gouvernement sont alors d'autant plus inquiets qu'en octobre 2020, un avis de l'Autorité de sûreté nucléaire694(*) a laissé penser qu'une matière radioactive sans perspective de valorisation sous trente ans pouvait être considérée comme un déchet.

Le projet de multirecyclage en REP est ainsi apparu comme le plan B permettant d'affirmer que l'État et la filière disposaient d'une solution pour utiliser ces matières, les rendre valorisables et offrir des pistes pour :

- sécuriser le statut de matières valorisables contenues dans les MOX usés en leur donnant une perspective réaliste de réutilisation sous 30 ans ;

- ne pas augmenter l'inventaire en Plutonium, dont le besoin (pour les RNR) apparaissait lointain ;

- perfectionner le multi-recyclage sur quelques points de R&D nécessaires notamment sur le retraitement des MOX ;

- préserver l'avenir des usines Orano de la Hague et de Melox ainsi que le site d'enfouissement de Cigéo.

Deuxième point : le multirecyclage en REP réduit la quantité de plutonium dont un parc RNR aurait besoin pour démarrer.

Les stocks de plutonium, comme ceux d'uranium appauvri, doivent absolument être préservés pour permettre à la France, au moment où elle le pourra et l'aura décidé, d'être en capacité de déployer un par de RNR. Toute autre voie conduirait à priver notre pays d'une perspective de souveraineté électrique pratiquement totale.

Pour toutes ces raisons, ses qualités intrinsèques discutables, son défaut essentiel de dégradation de la ressource en plutonium indispensable au fonctionnement des futurs RNR, conjugués à son coût envisagé et aux incertitudes quant à son développement conduisent la commission d'enquête à émettre un jugement négatif sur le multirecyclage en REP et à préconiser de concentrer les moyens de recherches sur les RNR.

E. À LONG TERME : UN IMPÉRATIF STRATÉGIQUE POUR LA FRANCE, MISER SUR LES RÉACTEURS À NEUTRONS RAPIDES (RNR)

Les risques pesant sur la production à long terme d'uranium remettent au coeur de la réflexion les RNR qui ont été négligés dans les dernières années, principalement pour des questions purement idéologiques et financières695(*). Il est temps de rappeler les avantages de cette génération de réacteurs et de relancer, dès à présent, les programmes de recherches en la matière, de telle sorte que la France soit en capacité de préparer la relève des EPR à l'horizon 2050.

1. Les RNR consomment l'uranium beaucoup plus efficacement

Le premier avantage des RNR est d'être fonctionnellement écologique dans la mesure où ils permettent d'utiliser la quasi-totalité de l'uranium naturel extrait du sous-sol. En effet, la technologie des neutrons rapides lui permet de fissionner non seulement l'uranium 235 dont on a vu qu'il ne représente que 0,7 % de l'uranium naturel extrait du sol, mais aussi l'uranium 238, beaucoup plus abondant.

À l'inverse, la situation actuelle qui conduit, au fond, à « gaspiller » 99,3 % de l'uranium naturel ne peut être jugée satisfaisante sur le long terme, a fortiori compte tenu des incertitudes sur les ressources disponibles de cet uranium. Comme le relevait Yves Bréchet, ancien Haut-commissaire à l'énergie atomique, devant la commission d'enquête de l'Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France « ... quand on s'intéresse au développement potentiel du nucléaire, on voit la limitation des ressources accessibles en uranium à enrichir. Il s'agit d'une technologie qui utilise très mal la matière. Nous avons de la chance : c'est une matière qui fournit beaucoup d'énergie. »696(*)

Les RNR consomment ainsi beaucoup moins d'uranium que les réacteurs actuels REP. Selon le CEA, un réacteur REP classique de 1GWé consomme environ 180 tonnes d'uranium naturel par an et produit 0,25 tonnes de plutonium dans le même temps. Un RNR régénérateur de même puissance aurait besoin de 15 à 20 tonnes de Pu (constamment régénérés) et consommerait seulement 1 à 2 tonnes d'uranium naturel par an. Dit autrement, l'utilisation du seul isotope 235 de l'uranium implique d'extraire environ 200 tonnes de minerai pour faire fissionner 1 tonne d'uranium697(*).

2. Les RNR peuvent fissionner l'uranium appauvri dont la France détient des stocks considérables

Par ailleurs, les RNR peuvent fissionner l'uranium appauvri qui provient notamment des opérations d'enrichissement de l'uranium naturel698(*) et dont le stock sur le territoire national dépasse aujourd'hui les 330 000 tonnes. Autant dire un stock non seulement pratiquement inépuisable, mais que la France pourrait aussi valoriser, pour partie, auprès de partenaires étrangers intéressés par les RNR, notamment de ses partenaires européens.

On le comprend, à elle seule, cette capacité de déployer des RNR en fait un atout stratégique incontournable : il offrirait à la France la possibilité de l'autosuffisance et donc de la souveraineté en termes de ressources pour la production électrique. Plus encore, il lui permettrait d'être leader d'un programme de souveraineté énergétique qui pourrait bénéficier aux États de l'Union européenne favorables à l'énergie nucléaire.

3. Les RNR pourraient à terme réduire le volume et la radiotoxicité des déchets

Les RNR, produisent, à quantité d'énergie égale, sensiblement moins d'actinides mineurs que des REP en monorecyclage (-20 %) ou, a fortiori, en multirecyclage (- 50 %).

Autre atout des RNR, mais pour l'instant potentiel et à confirmer, notamment quant à son rapport coût/bénéfices : être en capacité de provoquer la transmutation de certains déchets à vie très longue (jusqu'à plusieurs centaines de milliers d'années), c'est-à-dire leur transformation en d'autres déchets stables ou de période radioactive plus courte. En d'autres termes, il s'agit d'obtenir des déchets dont la toxicité durerait moins longtemps.

Il en résulterait la réduction du volume et de la durée de toxicité des déchets nucléaires. Comme le note le CEA « un (réacteur) REP-UOX typique (1GWé) produit 16 kg d'actinides mineurs chaque année. Le recyclage du Pu sous forme de MOX permet de stabiliser l'inventaire Pu, mais les actinides mineurs ne sont pas brûlés et s'accumulent. Un RNR iso-générateur de même puissance peut consommer les actinides mineurs qu'il produit. Avec ce type de système, le nucléaire peut donc gagner en propreté, par la minimisation de la quantité et de la toxicité des déchets (...) les déchets (produits de fission et actinides mineurs) sont actuellement produits par le parc français à hauteur d'environ 40 t/an699(*). Par ailleurs, le parc français accumule aussi les MOX usés (120 t/an), l'uranium de retraitement appauvri (800 t/an700(*)) et l'uranium de retraitement réutilisé (140 t/an), tous trois actuellement sans emploi, mais qui pourraient servir de combustible dans un parc de réacteurs rapides. »701(*)

En d'autres termes, les RNR peuvent consommer les MOX usés du parc classique, le plutonium stocké sur le territoire à l'issue du fonctionnement de ce parc, l'uranium appauvri accumulé, mais aussi une partie des déchets ultimes (produits de fission et actinides mineurs)702(*).

Certes, il n'est pas question de laisser penser que le passage au RNR permettra de supprimer tous les déchets, mais, la forte réduction de leur volume aurait pour avantage de réduire significativement les besoins d'entreposage. L'apport des RNR serait avant tout « de limiter à la source », la quantité de certains des produits radioactifs à vie longue (actinides mineurs) contenus dans les déchets finaux (à quantité d'électricité produite donnée, il se forme 4 fois moins d'actinides mineurs si le recyclage du plutonium s'effectue dans un RNR, comparativement à ce qui est formé si ce recyclage s'effectue dans un REP) ».703(*)

S'agissant toujours de la question des déchets, les RNR pouvant en principe recycler plus aisément l'américium que les REP, et la part du dégagement thermique de cet actinide dans le dégagement thermique total des déchets vitrifiés devenant prépondérante au fil du temps, les RNR permettraient de réduire le dégagement de chaleur des déchets et donc d'accroître les conditions de sûreté de leur stockage mais aussi leur emprise au sol704(*).

4. Les RNR peuvent permettre de supprimer une large part de l'amont du cycle du combustible, de redimensionner une partie de l'aval et générer une réduction de certains coûts du nucléaire

Un corollaire de ces éléments est que le passage aux RNR conduirait à supprimer toute une partie de l'amont du combustible : avec les réacteurs à neutrons rapides, à terme, il n'y a plus besoin de faire appel à des importations d'uranium naturel. Il n'y plus besoin non plus de la phase de conversion de l'uranium, ni de celle de l'enrichissement de l'uranium 235. Le coût de ces deux phases a été estimé devant la commission d'enquête à environ 1,2 milliard d'euros par an par Nicolas Maès, directeur général d'Orano705(*).

Plus encore, c'est une partie du cycle aval des combustibles706(*), cette fois, qui pourrait être à terme redimensionnée en permettant notamment une réduction des volumes à entreposer. Le coût de cet entreposage est évalué actuellement par RTE à environ 2 euros par MWh707(*).

Ce sont donc, au total, des briques de coûts de l'électronucléaire non négligeables qui pourraient être écartées, au moins en partie.

Faut-il déduire de ces éléments que l'avenir d'Orano est condamné ? Évidemment non, au contraire, la maîtrise du cycle du combustible RNR est susceptible de lui donner pour l'avenir un avantage concurrentiel considérable, notamment à l'égard de nos partenaires européens et occidentaux.

F. COMMENT RELANCER LA STRATÉGIE FRANÇAISE EN MATIÈRE DE RNR : REPRENDRE IMMÉDIATEMENT ET RENFORCER LES PROGRAMMES DE RECHERCHE

1. Un ralentissement dommageable des recherches

Face à de tels avantages, on peut légitimement s'interroger sur les raisons de l'abandon des recherches sur les RNR et, en particulier, sur l'arrêt du programme ASTRID708(*). Ce projet de prototype de réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium, porté par le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), avait pour objet de démontrer la possibilité d'un passage au stade industriel de la filière des RNR au sodium.

Faire l'histoire de cet abandon dont il a déjà été question, n'est pas l'objet de la commission d'enquête. L'OPECST s'était par ailleurs déjà saisi du sujet et avait rendu public un rapport très lucide709(*).

La commission d'enquête doit cependant exprimer avec force son étonnement face à certains aspects de ce qu'il faut bien appeler un renoncement majeur de la politique scientifique et énergétique française.

Une première source d'étonnement concerne les conditions juridiques de ce renoncement. La recherche sur ASTRID avait pour fondement l'article 3, toujours en vigueur, de la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Par ailleurs, ce prototype faisait l'objet d'un partenariat entre la France et le Japon, conclu au plus haut niveau, puisque l'accord de coopération afférent avait été signé le 5 mai 2014 par le premier ministre japonais Shinzo Abe et le président de la République, François Hollande. Pourtant, il est stoppé en 2018.

Selon les investigations de la commission, l'administrateur général du CEA est à l'origine de cet arrêt, comme il le reconnaît d'ailleurs lui-même « Or, à un moment donné, en 2018-2019, nous avons décidé de ne pas construire ce réacteur. Comme je l'ai dit devant la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France de l'Assemblée nationale, j'assume totalement cette décision et j'assume aussi de l'avoir recommandée au Gouvernement. »710(*) En d'autres termes, face à une disposition législative, votée par le Parlement, la recommandation ou la décision d'un haut fonctionnaire s'impose, ce qui est un dévoiement choquant de l'état de droit et, soit dit en passant, ressemble au délit d'abus d'autorité dirigé contre l'administration sanctionné par l'article 432-1 du code pénal711(*).

Une autre source d'étonnement est constituée par les raisons invoquées pour justifier cet abandon qui semble avant tout motivé par des considérations budgétaires. Toujours devant la commission d'enquête, l'administrateur général du CEA poursuit : « Je l'assume (la recommandation d'arrêt d'ASTRID) pour une raison évoquée à l'instant par Nicolas Maès. Si l'on doublait le prix de l'uranium - seule raison qui justifierait la construction d'un tel type de réacteur -, cela n'aboutirait qu'à un renchérissement de 4 euros du mégawattheure sur le prix. Ce n'est pas le bon moment pour le faire : c'est trop tôt. » 712(*)

En d'autres termes, loin d'être le fruit d'une une vision stratégique, l'abandon d'ASTRID serait issue d'un bref calcul à court terme sur le prix de l'électricité nucléaire. Les questions d'autonomie de la ressource, de bonne utilisation de cette ressource et de souveraineté ne sont absolument pas évoquées.

Une seconde explication tiendrait à ce que les RNR n'auraient pu disposer du cycle du combustible correspondant à leur technologie. C'est en tout cas ce qu'avance l'administrateur général du CEA : « La deuxième raison est la suivante : pour que cela ait un intérêt, il faut le cycle associé. En l'occurrence, le cycle manquait. Nous nous serions donc retrouvés en train de construire quelque chose qui préparait une filière industrielle, puisque l'on se préparait à construire un réacteur de 600 mégawatts - ultime étape avant des réacteurs de 1 200 ou 1 500 mégawatts - sans besoin économique et industriel en face et sans la maturité du cycle nécessaire »713(*).

Cette affirmation, selon laquelle le cycle du combustible associé n'aurait pas été mâture, étonne. Elle semble en effet nettement contredite par l'étude de la World Nuclear Association de 2021 : « L'exploitation de Phénix visait à atteindre la consommation de carburant la plus élevée possible. Tout le plutonium produit a été recyclé dans le réacteur après retraitement. Phenix a été désigné monument historique nucléaire en 1997 par l'American Nuclear Society. L'ensemble de cette expérience, impliquant le retraitement de combustibles à haut taux de combustion spécifique, le confinement des déchets et le cycle du combustible fermé, est considérée par le CEA comme unique et prouve que le cycle du combustible des réacteurs surgénérateurs rapides est une réalité industrielle »714(*)

Du reste, le CEA, saisi par la commission d'enquête, reconnaît lui-même dans ses réponses écrites que des recherches poussées ont été conduites sur ce cycle du combustible RNR : « En synthèse, les travaux du CEA ont donc montré qu'il n'existait pas de verrous technologiques pour le retraitement des combustibles RNR »715(*). En d'autres termes, la commission d'enquête est fondée à conclure que le cycle des combustibles RNR est théoriquement et techniquement maîtrisé, mais qu'il reste à s'assurer de sa mise en oeuvre industrielle à l'échelle.

Certains interlocuteurs de la commission d'enquête ont fait état de leur crainte de voir un programme de RNR concurrencer et fragiliser le programme EPR2 en cours. C'est le cas par exemple de Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'Industrie et de l'Énergie, qui, devant la commission, a affirmé : « avant de se lancer dans le développement de réacteurs de nouvelle génération, j'estime préférable de nous focaliser sur les priorités du jour, c'est-à-dire les EPR2 et les petits réacteurs modulaires (SMR).

En effet, je crains la dispersion pour cette filière qui, jusqu'à présent, s'était plutôt inscrite dans une logique de gestion opérationnelle sans développement pendant une vingtaine d'années, et qui à présent entend se développer. Je préfère par conséquent que les EPR2 soient livrés avant toute autre initiative, quitte à travailler ultérieurement sur les EPR4 dans des proportions plus grandes que l'actuelle R&D »716(*).

L'administrateur général du CEA avait avancé le même argument : « On est en plein milieu de la construction des EPR, dont on voit bien le volume de ressources et de compétences humaines et matérielles qu'elles requièrent. Alors que nous faisons cela, et que c'est une priorité, nous ajouter un autre programme de grande ampleur mobilisant aussi beaucoup de ressources ne m'aurait pas paru très accessible. Dans cette affaire, il n'y a pas, de mon point de vue, une question de principe, mais une question de phasage. »717(*). C'est là probablement l'une des explications les plus crédibles à la frilosité du Gouvernement et d'une partie de la filière en la matière, focalisée sur le programme NNF, et qui après 20 ans sans projet à la hauteur ne craint rien tant que de ne pas bien saisir celui-ci.

Mais cette perception est fondée sur des postulats erronés. Le premier d'entre eux porte sur les acteurs concernés : le programme NNF relève clairement d'EDF et des grands acteurs industriels de la filière, Framatome etc. Alors que, même si des partenariats718(*) seront nécessaires avec d'autres acteurs de la filière comme pour Astrid, les recherches sur les RNR relèvent avant tout du CEA719(*), qui n'est pratiquement pas impliqué dans le programme du nouveau nucléaire. En d'autres termes, il n'y a pas réellement de risque de dispersion de la filière.

C'est d'autant moins le cas que les échelles de temps sont différentes. Dans le cas du programme nouveau nucléaire, le passage au design détaillé est prévu pour l'été 2024. Dans le cas des RNR, on parle à ce stade de recherches qui doivent être renforcées et passer des simples études « papier » à une phase plus expérimentale. Pour reprendre les termes du Haut-commissaire à l'énergie atomique, il s'agit d'ouvrir au plus vite la séquence de « 10 années pour la reprise et la convergence vers un design abouti. »720(*). Il en résulte que les besoins financiers du programme RNR seront dans les prochaines années sans doute beaucoup élevés que ceux que lui consacre actuellement le CEA, mais resteront sans commune mesure avec ceux du programme NNF. Lorsque le programme RNR arrivera à sa deuxième phase, celle de la construction d'un premier réacteur de puissance, la livraison des premiers réacteurs EPR2 devrait avoir eu lieu avec la livraison prévue de Penly en 2035721(*).

Un quatrième argument parfois avancé serait celui du coût des réacteurs RNR. Lors de son audition devant la commission d'enquête, le 13 février 2024, l'administrateur général du CEA a affirmé : « À l'heure actuelle, les évaluations montrent que, pour construire des réacteurs de quatrième génération à neutrons rapides au sodium dans l'esprit de Superphénix, le coût d'investissement serait environ 50 % supérieur à celui d'un réacteur classique de troisième génération. ».

En fait d'évaluations, le CEA, interrogé par les services de la commission, n'en produit qu'une, présentée dans le cadre d'une conférence de l'AIEA et réalisée par des représentants d'EDF, de Framatome, et du CEA722(*). Cette étude vise à comparer les coûts d'investissement d'une paire de réacteurs RNR de 1000 MWe à ceux d'une paire d'EPR. Elle conclut que le ratio entre les coûts d'investissement des RNR et des EPR est de 1,45. Autrement dit, un RNR coûterait 45 % de plus qu'un EPR.

Toutefois, et le CEA omet de le préciser, les auteurs ajoutent : « Cependant, les SFR (les RNR) ne doivent pas être comparés aux LWR (réacteurs REP) uniquement sur le coût de l'eMW produit, car ces réacteurs pourraient trouver sa place aux côtés des réacteurs GEN III (notamment les EPR), dans une perspective d'optimisation de la gestion des matières nucléaires »723(*). En d'autres termes, pour comparer les coûts, il faut prendre en compte l'ensemble des fonctionnalités des réacteurs et celles des RNR incluent, nous l'avons vu, de nombreuses spécificités intéressantes dont sont dépourvus les EPR.

Deux autres considérations doivent conduire à prendre l'étude avec prudence. En premier lieu, chacun a pu constater que les évaluations de coûts des réacteurs pouvaient être extrêmement évolutives. Le coût du réacteur EPR de Flamanville 3, initialement prévu à 3,3 milliards, devrait dépasser les 19 milliards d'euros. S'agissant des EPR 2, la dernière évaluation d'EDF publiée dans la presse faisait état d'un coût de 67,4 milliards d'euros pour son programme de construction de six nouveaux réacteurs nucléaires en France, alors qu'en 2021 une première estimation évaluait ce même programme à 51,7 milliards d'euros, soit une augmentation de plus de 30 % et alors même que les travaux de « costing » ne sont pas encore terminés. La question n'est donc pas tant celle d'un niveau absolu de coût à date, mais plutôt celle des voies et moyens mobilisés pour réduire ces coûts dès la conception du programme, dès le stade du design.

Du reste, les auteurs de l'étude en sont conscients et ajoutent : « Les délais disponibles avant le développement des RNR à l'échelle industrielle doivent être utilisés pour réaliser la R & D nécessaire améliorer la performance économique de ces réacteurs. (...) Dans tous les cas, la construction de RNR industriels dépendra de la capacité des agences de R-D, des concepteurs, des fabricants et des exploitants à fabriquer des RNR sûrs et durables qui produisent des MWh concurrentiels, respectent les objectifs de la Génération IV et offrent le service attendu pour un cycle de combustible fermé. »724(*) L'un des enjeux des recherches à reprendre est donc de simplifier autant que possible le design des réacteurs à neutrons rapides pour en réduire les coûts.

En tout état de cause, les dérives de coût des programmes nucléaires, comme la contrainte budgétaire et les besoins importants que nécessitera la reprise des recherches à une échelle bien plus ambitieuse devront conduire à une évaluation multipartite très approfondie des besoins financiers liés à la mise en oeuvre d'un réacteur RNR. Le rapporteur estime à cet égard que l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques pourrait être le pivot coordonnateur d'une telle évaluation.

2. Relancer rapidement les recherches est possible

Nous l'avons vu, la maîtrise du cycle du combustible RNR existait d'un point de vue scientifique et technologique au moment de l'arrêt d'ASTRID. Ce que confirme clairement le Haut-commissaire à l'énergie atomique, Vincent Berger : « Nous sommes très en avance et c'est porteur d'avenir : lorsque les RNR seront déployés, il faudra maîtriser le cycle du combustible RNR. Or, la France est largement en tête sur le sujet. Sur le cycle RNR par exemple, l'un des objectifs de Phenix était de démontrer la fermeture du cycle des mox RNR et la France a travaillé là-dessus pendant plus de 25 ans. Cela fait partie des plus belles pages de la glorieuse histoire de Marcoule et de la Hague. Phenix a montré que l'on pouvait faire tourner plusieurs fois des tonnes de Plutonium dans un réacteur RNR, près de la moitié du Plutonium introduit dans Phenix a été recyclé. La France est encore aujourd'hui le seul pays à avoir démontré cela et en cela elle reste très en avance sur la communauté internationale dans le domaine du nucléaire, US compris. »725(*)

Certes, le CEA ajoute, comme pour se dédouaner : « en revanche, le déploiement industriel avec une mise à échelle de plusieurs centaines de tonnes par an reste à démontrer, ce qui renvoie à la remarque sur l'écart de maturité entre cycle et réacteur. »726(*) Mais cette affirmation semble spécieuse. Non seulement les recherches ont porté sur des quantités non négligeables de combustibles (plusieurs tonnes), mais encore le besoin d'un cycle totalement achevé n'est pas indispensable pour avancer. En effet, les installations du cycle ne seront utiles que plusieurs années (une dizaine) après le démarrage du prototype, le combustible usé devant être longuement refroidi (comme celui des REP) avant de faire l'objet d'un retraitement.

Aujourd'hui, le CEA affirme que les recherches se poursuivent. À l'appui de cette affirmation, il indique qu'environ 192 ETPT sont mobilisés sur les réacteurs RNR et à la fermeture du cycle et aux MSR ». Mais ces effectifs sont en très fort recul par rapport à 2015 où 600 personnes travaillaient sur le projet, dont 339 au CEA727(*).

La relance des travaux de recherche à un niveau pertinent suppose :

- une décision politique de haut niveau et qui engage sur le long terme ;

- une programmation à moyen et long terme des recherches ;

- le renforcement significatif les moyens humains et financiers affectés à ces recherches ;

- la fixation d'un objectif temporel de développement d'un prototype ;

- parallèlement, des analyses approfondies de coûts pour choisir un design aussi optimisé que possible ;

- l'inscription de ces objectifs et des moyens associés dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) à venir et dans la loi de programmation de l'énergie que le Sénat appelle de ses voeux ;

- la mise en place d'un dispositif de suivi et de supervision, à l'instar de celui qui existe désormais pour le programme du nouveau nucléaire et constitué pat la nouvelle délégation interministérielle au nouveau nucléaire (DINN).

Sans doute faut-il aussi proposer à nos partenaires européens de l'Alliance du nucléaire une alliance des RNR. Lors de son audition par la commission d'enquête, le 27 mai 2024, M Jean-Marc Jancovici a proposé une méthode originale et intéressante consistant à mobiliser les pays de l'Alliance du nucléaire pour réunir environ 40 milliards d'euros, sélectionner 3 ou 4 designs de réacteurs permettant la fermeture du cycle du combustible, bâtir, pour chacun de ces designs, deux prototypes, notamment par sécurité en cas de déception sur un modèle, chaque pays acceptant un prototype le prenant en charge en complète maîtrise d'ouvrage.

La France a pris beaucoup de retard alors même qu'elle était pionnière en matière de RNR. L'arrêt de Superphénix, sans justification autre qu'idéologique, puis celui d'ASTRID, nous ont fait perdre plus d'une dizaine d'années, permettant à d'autres pays d'avancer plus vite et de nous dépasser, au moins en termes de réalisations concrètes. Pour autant, rien n'est définitivement perdu. Le Haut-commissaire à l'énergie atomique, Vincent Berger relève ainsi que « La France a sans aucun doute perdu beaucoup de temps, d'abord avec l'arrêt de Superphénix, puis avec le stop du programme Astrid. Celui-ci a toutefois été arrêté « proprement » à la fin de l'APD, avec un réel souci de préservation et d'archivage de la connaissance. Sur cette base, il sera parfaitement possible de relancer la conception d'un réacteur de moyenne puissance si la volonté est là. Par ailleurs, les travaux en cours sur les AMR de 4ème génération, quoique non extrapolables en totalité sur un réacteur de puissance, permettent d'introduire des idées de simplification et des concepts innovants qui permettront d'enrichir encore un projet de démonstrateur dans le futur »728(*).

Rien n'est perdu, mais il importe d'aller vite. Pourquoi ? En premier lieu, pour éviter que la masse d'expériences acquises ne se dissipe avec les mises à la retraite progressive et la dispersion des ingénieurs qui avaient travaillé sur Astrid et la technologie RNR. Ensuite, pour être prêt avant le moment prévisible de l'épuisement ou des tensions sur l'uranium. On l'a vu, la prudence stratégique exigerait de se fixer la cible de 2050 pour un premier réacteur. Elle est exigeante mais atteignable. Par ailleurs, il faut rapidement pouvoir intégrer les besoins en matière de production de combustible RNR dans les études de renouvellement des usines Orano.

3. Pour préparer la relève des EPR à l'horizon 2050, il faut investir rapidement et massivement dans les réacteurs à neutrons rapides

Au-delà de la reprise des recherches, quel doit être l'objectif de la nation en matière de RNR ?

Il n'est pas question de substituer brutalement un parc RNR au parc REP actuel et en cours de gestation. C'est à une montée en puissance progressive des RNR qu'il faut s'atteler.

Tout d'abord, en termes de programmation729(*), comme le soulignent tous les spécialistes entendus, il faut considérer un ensemble d'une trentaine d'années pour rendre possible le déploiement progressif d'une tel parc : 10 années pour la reprise des recherches, la convergence vers un design abouti, la finalisation et la qualification par l'ASN de ce design, 10 ans de construction, et dix années supplémentaires pour en tirer le retour d'expériences d'exploitation du prototype et préparer les tranches RNR suivantes.

Compte tenu des risques pesant sur la disponibilité de l'uranium naturel, c'est donc dès aujourd'hui, qu'il faut relancer les recherches et prendre les décisions stratégiques de long terme permettant une programmation du déploiement des RNR : choix de technologies, pente de montée en puissance, budgets,

Le déploiement du parc doit ensuite faire l'objet d'une programmation rigoureuse car les RNR auront besoin de quantités importantes de plutonium. Cette programmation sera elle-même issue d'un certain nombre de choix et des résultats d'exploitation du premier RNR.

Sera-t-il « isogénérateur », c'est à dire en capacité de produire le plutonium nécessaire à sa propre consommation et ne consommant plus que de l'uranium appauvri, ou plus sûrement « surgénérateur », et fabriquant plus de plutonium qu'il n'en consomme, le plutonium excédentaire pouvant être utilisé pour démarrer d'autres RNR. ? Quel sera le « Gain de Régénération », et donc de supplément de plutonium créé dans le coeur de réacteur par rapport à la quantité consommée ? Quel sera le « Temps de Doublement », au terme duquel un premier RNR aura produit une quantité suffisante de plutonium pour pouvoir démarrer un nouveau RNR de même puissance, tout en continuant sa propre production ? Comment sera gérée la coexistence entre un parc REP et un parc RNR, notamment en ce qui concerne les flux de matières ?...

Il est important de relever que les durées sont longues en matière de RNR. Ainsi le Temps de Doublement de Superphénix était de ...37 ans !

Or, pour démarrer un RNR d'un GW de puissance, il est nécessaire de mobiliser une quantité importante de plutonium, entre 15 tonnes et 20 tonnes en raisonnant en cycle. Il résulte de ces éléments que si les autorités de l'État veulent être en capacité de déployer, le moment venu un parc de RNR complémentaire au parc actuel, elles doivent impérativement disposer d'un stock suffisant de plutonium, qui permettra de démarrer les premiers surgénérateurs, les suivants consommant le plutonium produit par ceux-ci. Il est donc essentiel de préserver la ressource en plutonium, évaluée actuellement à environ 60 tonnes s'agissant du plutonium déjà séparé, à la fois juridiquement et physiquement.

Juridiquement, en le qualifiant de stock stratégique et non de déchet. Physiquement, d'une part, en évitant de le consommer via le MRREP, mais aussi, d'autre part, en assurant son stockage de manière absolument sûre et sécurisée.

La relance des recherches et la décision de lancer un programme RNR exigera une gouvernance spécifique resserrée à la fois pour tenir les coûts et garantir des délais d'exécution rapides.

Il faut distinguer deux phases, celle de la relance des recherches, qui doit aboutir à un design de réacteur dans les 10 ans au plus, et celle de la mise en oeuvre, qui doit permettre la réalisation du premier réacteur et préparer les suivants.

Dans les deux cas, l'expérience du programme EPR conduit à rendre impérative la création d'une structure ad hoc de suivi et de supervision à haut niveau politique.

En effet, la réussite du projet exige, d'une part, une veille serrée sur ses conditions d'avancement, et notamment sur ses coûts. Elle suppose, d'autre part, une vision de long terme inscrite dans des textes juridiquement engageants et portée au plus haut niveau politique. Il est inévitable sur un sujet régalien d'une telle ampleur que soit impliqué le président de la République, notamment via les conseils de politiques nucléaires CPN).

À cet égard, comme souligné plus haut, l'exemple de la DINN, délégation interministérielle directement rattachée au du Premier ministre, est sans doute un précédent utile et à reproduire.

Le Parlement, notamment son Office parlementaire pour les choix technologiques et technologiques, devrait être très impliqué dans cette supervision, par exemple en entendant régulièrement les responsables du projet, ceux de la délégation, les ministres compétents et en organisant au moins annuellement un débat de suivi.

S'agissant maintenant de la phase relance des recherches, comme le souligne le Haut-commissaire à l'énergie atomique, le CEA est sans doute « L'organisme le plus approprié pour mener un tel projet : EDF a fort à faire avec le nouveau nucléaire (EPR2, EPR 1200, Nuward), il est hors de question de l'en distraire. Idem pour Framatome. Créer un nouvel acteur serait trop risqué (alors que la majeure partie de la propriété intellectuelle est au CEA). On l'a vu par ailleurs sur le sujet ASN-IRSN, la multiplicité des acteurs sur des sujets sensibles amène à une inefficacité globale. Si on créait une autre structure ab initio pour mener ce programme, le lendemain elle serait en conflit avec le CEA dont elle aurait pourtant absolument besoin. Le risque est grand que la profusion d'acteurs (Framatome sur le design du réacteur, Orano sur le cycle, EDF sur la construction, CEA sur la R&D indispensable) rende le programme impossible à mener si un pilote n'est pas désigné clairement. À mon sens, ce ne peut être que le CEA ».730(*)

Évidemment, cela suppose que le CEA se soit doté d'une nouvelle stratégie, en ligne avec ce projet et, selon tout vraisemblance, d'équipes renouvelées, avec le budget adapté.

S'agissant de la réalisation industrielle du projet, toujours sous supervision étroite du Gouvernement, via une délégation interministérielle, et du Parlement, se pose la question du choix du maître d'ouvrage, du futur exploitant et du maître d'oeuvre.

Le choix naturel « évident » serait celui d'EDF pour ces 3 fonctions. Cependant, comme cela a été souligné par certains interlocuteurs de la commission d'enquête, EDF est engagé dans un programme ambitieux de renouvellement de son parc REP. Par ailleurs, les compétences d'EDF en matière d'ingénierie ont connu une forte fragilisation lors des dernières décennies de faible activité de réalisation de chantiers, ce qui explique, en partie, les dysfonctionnements du projet de Flamanville 3.

Aussi, ces observateurs jugent-ils que pour ce qui est du maître d'ouvrage, il pourrait être préférable de s'en remettre à une structure ad hoc de type GIE et dédiée731(*) regroupant des compétences d'EDF (ingénierie et exploitation), de Framatome, du CEA voire d'autres. Ce type de structure pourrait être pertinent pour accueillir des contributions d'autres pays, à commencer par le Japon qui fut notre partenaire sur ASTRID.

S'agissant du maître d'oeuvre, il conviendrait de s'appuyer sur les ingénieries ayant réussi le programme EPR2, et éventuellement de créer une société spécifique, regroupant les aspects études, achats et construction, et comprenant des spécialistes « grands projets », mais aussi les personnels encore compétents en France sur les RNR-Na, au travers des projets de déconstruction de Phénix, Superphénix, du Projet ASTRID et de la réalisation des phases précédentes (CEA, Framatome, EDF).

Le modèle d'une maîtrise d'ouvrage intégrée avec la maîtrise d'oeuvre a aussi pu faire ses preuves dans le passé et pourra aussi être regardé pour déterminer l'organisation la plus adéquate.

Sans doute est-il trop tôt pour dessiner le schéma de la phase de réalisation industrielle. La capacité d'EDF à réussir le programme NNF sera un indicateur important de la pertinence de lui confier le programme RNR et la relance de la filière nucléaire sera l'occasion d'identifier les acteurs opérationnels les plus performants.

L'important est de ne plus tarder dans la relance des recherches.

Recommandation n° 28

Destinataires

Échéance

Support/Action

Préparer l'avenir en relançant dès à présent les études et recherches sur un prototype de réacteur à neutrons rapides avec comme objectif la mise en service d'un premier réacteur d'exploitation en 2050

Président de la République (conseil de politique nucléaire)

Gouvernement

CEA, EDF, filière nucléaire

2024

Décision politique

Loi

QUATRIÈME PARTIE : BAISSER LE PRIX POUR UN PRODUIT DE PREMIÈRE NÉCESSITÉ

I. « L'ACCORD » ÉTAT-EDF DE NOVEMBRE 2023 : UNE NÉGOCIATION OPAQUE POUR UN DISPOSITIF QUI NE PROTÈGE NI EDF NI LES CONSOMMATEURS

Le 14 novembre 2024 s'est tenue à Bercy une conférence de presse commune entre Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, et Luc Rémont, président-directeur général d'EDF. « Nous avons conclu ce matin un accord entre l'État et EDF, il pose les bases de la nouvelle régulation nucléaire française et fait entrer EDF dans le XXIe siècle » a affirmé le ministre. Cependant, cet « accord » a rapidement suscité des interrogations. Il ne pouvait en être autrement. Étant issu d'un processus de négociation restreint et opaque, le texte en question est un accord non contraignant, sans effet juridique. Son contenu s'articule autour de trois piliers mais risque d'être peu protecteur des consommateurs et d'exposer EDF au risque des prix bas. Par ailleurs, sa mise en oeuvre laborieuse laisse penser qu'il pourrait devoir être révisé à brève échéance.

A. UN PROCESSUS DE NÉGOCIATION RESTREINT ET OPAQUE

Le principe qu'un accord si déterminant pour l'avenir énergétique du pays soit négocié en toute opacité, sans aucune consultation, entre EDF et l'État ne peut qu'être critiqué.

1. Un étrange « huis clos » entre EDF et son actionnaire, l'État

Le premier aspect qui interpelle la commission d'enquête est le caractère restreint et opaque des négociations. Compte-tenu des enjeux considérables associés à la réflexion autour du nouveau cadre de régulation de la production nucléaire, la commission d'enquête ne manque pas de s'interroger sur les raisons « inavouées » du choix qui a été fait par le Gouvernement, celui d'un huis clos avec EDF à l'abris des regards, de l'ensemble des autres acteurs du secteur, des consommateurs et de la Représentation nationale. Ce choix apparaît à maints égards comme contestable et contre-productif tant le texte issu d'un tel déni démocratique ne pouvait que rester entaché par ce « péché originel ».

Les négociations de l'accord ont ainsi été conduites, principalement à la fin de l'année 2022 et, à un rythme plus régulier, tout au long de l'année 2023, entre des représentants d'EDF et de son actionnaire, l'État. Du côté de l'État, les services du ministère de la transition écologique, avec en première ligne le cabinet de la ministre et la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) avaient pour mission d'expertiser les modèles d'organisation du système électrique national envisageable à compter de 2026.

Plusieurs services du ministère chargé de l'économie et des finances étaient également très fortement impliqués dans ces négociations. L'Agence des participations de l'État (APE) défendait les intérêts de l'État actionnaire et, à ce titre, s'est efforcée de faire prévaloir les enjeux relatifs aux perspectives financières du groupe EDF. La direction générale des entreprises (DGE) devait quant à elle s'assurer de la prise en considération des intérêts de l'industrie française dans une perspective d'exacerbation des enjeux de compétitivité à l'échelle internationale en raison de la divergence des prix de l'électricité entre pays. De façon plus ponctuelle, en fonction des thématiques abordées, d'autres services du ministère chargé de l'économie et des finances ont aussi participé aux réflexions. Il s'agit principalement de la direction générale du trésor, de la direction du budget, de la direction des affaires juridiques ou encore de la direction de la législation fiscale. Les ministres, essentiellement à la fin du processus (à l'automne 2023), mais aussi à des moments charnières des négociations, se sont impliqués dans les discussions, le cas échéant dans le cadre d'échanges directs avec le président directeur général (PDG) du groupe EDF.

Côté EDF, la négociation a impliqué un grand nombre de services du groupe, au premier rang desquels la direction en charge du pôle clients, services et territoires. Le PDG lui-même s'est par ailleurs régulièrement investi directement.

La délégation interministérielle au nouveau nucléaire (DINN) a aussi participé aux négociations notamment en raison des incidences financières du programme de renouvellement du parc électronucléaire français.

Sur les sujets portant sur les contrats de long terme, des organisations représentatives des industriels français ont par ailleurs été conviées à certaines réunions d'échanges.

La commission a été très frappée par le secret qui a présidé à ces réflexions. Nombreuses sont les parties prenantes du secteur de l'électricité à s'en être émues auprès d'elle.

Pourtant, tout aurait pu se passer très différemment. Ces discussions auraient pu, et auraient dû, impliquer un périmètre beaucoup plus large de parties prenantes et être débattues de façon transparente. Il existait même un précédent : la commission dite « Champsaur » mise en place en novembre 2008 dans la perspective d'objectiver les pistes de réforme de l'organisation du système électrique national. Présidée par Paul Champsaur732(*), cette commission, à la composition large, avait auditionné l'ensemble des acteurs du secteur avant de publier un rapport en avril 2009733(*). Outre son président, cette commission était composée de quatre parlementaires (deux députés et deux sénateurs)734(*) ainsi que de quatre experts et personnalités qualifiées735(*).

Cette méthode a eu deux vertus essentielles. D'une part, elle a permis d'élargir le spectre de la réflexion et de prendre en considération les avis et les intérêts de tous les acteurs impliqués par les réformes à venir. D'autre part, elle a assuré, à travers la publication du rapport de la commission, la présentation transparente de la documentation et de l'objectivation de l'ensemble des enjeux et implications des transformations envisagées. Les données de la problématique et le spectre des solutions possibles étaient exposés en pleine lumière, accessibles aux citoyens et aux consommateurs d'électricité.

Tout était prêt pour mettre en oeuvre une méthode comparable. Dès novembre 2022, le cabinet de la ministre de la transition énergétique avait en effet rédigé une note qui proposait de façon extrêmement détaillée la composition, le fonctionnement, et les travaux de la future commission736(*). À l'instar de la commission Champsaur, des sénateurs et des députés auraient été membres de cette instance. Cette note ajoutait à l'intention des décideurs « qu'une telle commission apporterait de la crédibilité aux positions retenues, au niveau national comme européen, et assurerait la construction d'un consensus avec les parties prenantes du secteur ».

Lors de son audition devant la commission d'enquête, Pierre Jérémie, à l'époque directeur de cabinet adjoint de la ministre de la transition énergétique, a indiqué que cette dernière en avait validé le principe. Cependant, malgré l'insistance du ministère de la transition énergétique, cette perspective a été rejetée à plusieurs reprises lors de réunions interministérielles. En constituant la présente commission d'enquête, le Sénat a ainsi accompli ce que le Gouvernement aurait dû prendre l'initiative de faire voici de cela un an et demi.

2. Le Gouvernement a délibérément choisi de faire primer le désendettement d'EDF sur l'intérêt des consommateurs

Les indicateurs financiers d'EDF ont été particulièrement bouleversés par la crise des prix de l'énergie et les incidences sur sa situation financière des mesures exceptionnelles décidées par le Gouvernement pour y faire face (majoration du plafond d'Arenh en 2022, bouclier tarifaire, etc.). Les évolutions observées sont telles qu'elles rendent la situation et les perspectives financières du groupe peu lisibles.

Évolution du chiffre d'affaires et de l'EBITDA du groupe EDF (2020-2023)

(en milliards d'euros)

Source : commission d'enquête, d'après les comptes financiers d'EDF

L'élément le plus préoccupant des perspectives financières du groupe EDF est sans aucun doute le niveau de son encours de dette. La dette financière nette du groupe a ainsi culminé à 64,5 milliards d'euros en 2022 en raison, d'une part, de la crise de la corrosion sous contrainte qui a très sensiblement affecté la production de son parc nucléaire et, d'autre part, de la décision du Gouvernement de majorer de 20 TWh le plafonnement du volume d'Arenh. En pleine crise et alors que les prix de l'électricité flambaient, ces deux évènements ont contraint EDF à acheter d'importants volumes d'électricité à un prix très élevé sur les marchés de gros, d'une part, pour approvisionner ses propres clients et, d'autre part, pour fournir le surplus de 20TWh d'Arenh.

En 2023, la dette d'EDF s'est repliée à 54,4 milliards d'euros, un montant qui demeure extrêmement élevé et qui a pesé de tout son poids dans le processus de négociation de l'accord de novembre 2023.

Évolution de la dette financière du groupe EDF (2020-2023)

(en milliards d'euros)

Source : commission d'enquête, d'après les comptes financiers d'EDF

À la lecture des documents de travail produits par l'administration tout au long du processus de négociation, il apparaît très explicitement que le critère de l'amélioration de la situation financière d'EDF à moyen long terme a très largement pris le pas sur tous les autres, tels que l'objectif de rapprocher les prix des coûts de production, d'assurer un prix compétitif aux consommateurs ou encore de protéger ces derniers contre les aléas des marchés de gros de l'électricité. L'ensemble de ces critères ont été ainsi en quelque sorte sacrifiés au profit du désendettement du groupe EDF.

La commission d'enquête ne nie pas l'enjeu absolument essentiel pour l'avenir du système électrique national de garantir une trajectoire financière soutenable sur le long terme au groupe EDF. Cependant, il n'est pas acceptable que le choix délibéré de faire peser le désendettement d'EDF sur la facture des consommateurs ait été pris sans aucune consultation et sans en référer au Parlement.

En effet, la volonté de faire primer le désendettement d'EDF sur l'intérêt des consommateurs a déterminé l'ensemble du processus de négociation, justifié l'abandon de certaines options. Elle a conduit à un choix de modèle qui est celui d'une non régulation exposant les consommateurs et EDF aux aléas du marché dans des proportions très supérieures à la situation actuelle.

3. Pourquoi les options soutenues par l'État, au premier rang desquelles le CfD, ont-elles été abandonnées au profit du modèle souhaité par EDF ?

Au fur et à mesure des discussions, plusieurs dispositifs ont été étudiés. L'État a successivement mis sur la table, défendu puis retiré, principalement semble-t-il en raison de l'opposition forte d'EDF, plusieurs modèles visant à réguler la vente de la production du parc nucléaire historique. Ce processus s'est achevé en novembre 2023 avec l'abandon final du dernier modèle qui avait été envisagé par l'État au profit de la solution qui était depuis le début défendue par EDF, à savoir un modèle dérégulé assorti d'un dispositif fiscal de captation si les revenus tirés par le groupe de son parc nucléaire venaient à dépasser des seuils très nettement supérieurs à ses coûts complets de production. Ce dispositif d'encadrement a minima des revenus de la production nucléaire d'EDF, nettement moins ambitieux que tous les autres modèles envisagés, s'accompagne d'engagements non contraignants du groupe relatifs à sa politique commerciale visant à développer des contrats de fourniture et d'allocation de production sur des périodes de moyen et de long terme.

a) Pourquoi le CfD, qui a longtemps été le premier choix de l'État, a-t-il été abandonné ?

Dans les instances européennes, le Gouvernement a négocié avec acharnement et constance la possibilité de pouvoir mettre en place un CfD sur les moyens de production décarbonés déjà construits, au premier rang desquels le parc électronucléaire français en exploitation. Si le Gouvernement a consacré autant d'efforts à obtenir ce succès, à maints égards inespéré, c'est parce qu'il a longtemps eu la conviction qu'il était dans l'intérêt du pays d'encadrer, à compter de 2026, la production du parc nucléaire historique français par un dispositif de CfD bidirectionnel, c'est-à-dire, en pratique, un mécanisme garantissant un prix plancher de vente garanti pour EDF et un prix plafond pour les consommateurs737(*).

La commission d'enquête rappelle que le CfD a aussi été, jusqu'en 2022, le modèle défendu par EDF. Quand et pour quelles raisons cette hypothèse, qui a longtemps fait consensus et qui était soutenue par une proportion très large des parties prenantes du système électrique, a-t-elle été finalement abandonnée ?

Le point de bascule se situe en 2022, année au cours de laquelle EDF change complètement de position sur la question. De défenseur d'un CfD sur son parc nucléaire historique, le groupe en devient le principal pourfendeur. Pourquoi un tel basculement ? La commission d'enquête a maintes fois cherché à identifier les raisons profondes de ce revirement sans parvenir réellement à les identifier.

Le seul argument officiellement invoqué par le groupe est très fragile et n'explique pas le « changement de pied » de 2022 puisqu'il préexistait à cet évènement. Il s'agit de la crainte que la Commission européenne n'impose à EDF des contreparties en matière organisationnelle, appelés « remèdes », en clair que réapparaisse le projet de réorganisation du groupe EDF dit « Hercule ». Malgré ses demandes répétées à EDF et au Gouvernement, la commission d'enquête n'a jamais pu obtenir d'éléments tangibles qui viendraient concrètement étayer cette crainte ou le fait qu'elle serait plus prononcée aujourd'hui qu'elle ne l'était avant 2022.

Du reste, dans le cadre du projet « Hercule », ce sont l'État et EDF, eux-mêmes, qui proposaient une réorganisation d'ampleur du groupe qui supposait de mettre en place un dispositif de CfD sur le parc nucléaire existant. Ce n'était pas le CfD qui imposait « Hercule », mais « Hercule » qui supposait un CfD. D'ailleurs, à aucun moment, les interlocuteurs de la commission d'enquête n'ont pu faire valoir des éléments concrets par lesquels la Commission européenne aurait marqué une hostilité de principe au CfD, a fortiori dans le contexte de la réforme européenne du marché électrique.

Il est même permis de considérer raisonnablement que la crainte de contreparties structurelles d'ampleur est aujourd'hui moins justifiée puisque la récente réforme européenne du marché de l'électricité renforcera la présomption de conformité d'un CfD sur le parc nucléaire historique français au regard du droit européen des aides d'État.

La commission d'enquête note qu'une autre explication a peut-être joué de façon plus sensible dans le revirement d'EDF. Un dispositif de CfD, s'il sécurise le producteur en cas de prix bas, réduit ses ressources dans l'hypothèse de prix de marchés durablement supérieurs à ses coûts complets de production.

La commission constate que l'année 2022 au cours de laquelle EDF a fait évoluer sa position sur le CfD est aussi celle de l'acmé de la crise dite « des prix de l'énergie ». Au cours de cette année, les prix de marchés de l'électricité se sont envolés et les trajectoires de long terme ont été complètement réévaluées dans des proportions qui n'étaient absolument pas imaginables en 2021 auparavant. À partir de 2022, la plupart des experts anticipaient que les prix de l'électricité resteraient structurellement élevés, à des niveaux au moins deux à quatre fois supérieurs aux prix qui étaient observés avant la crise et qui avoisinaient les 50 euros le MWh.

Aussi, dans l'hypothèse d'un maintien durable des prix de marchés à un niveau aussi nettement supérieur aux coûts complets d'EDF, un modèle dérégulé lui permettant de vendre sa production aux prix de marchés était-il susceptible de permettre au groupe de dégager des moyens financiers supplémentaires, d'une part, pour se désendetter et, d'autre part, pour couvrir ses besoins d'investissements à venir.

En définitive, d'après les éléments qu'a pu consulter la commission d'enquête, il apparaît que la solution du CfD sur le parc nucléaire existant est définitivement abandonnée à la fin du premier semestre 2023. La raison principale invoquée étant l'opposition résolue de la direction d'EDF à un tel schéma qui supposerait une régulation des conditions de vente de sa production nucléaire, qu'elle souhaitait pouvoir maîtriser pleinement. Cette opposition a été exprimée de façon ferme et constante, à partir de la fin de l'année 2022, par EDF. Face à une position exprimée avec autant de fermeté par le groupe EDF, il n'est pas exclu que le Gouvernement ait préféré s'épargner une potentielle crise de gouvernance à la tête d'une entreprise publique si stratégique.

b) Après l'abandon du CfD, l'État s'est rangé au modèle demandé par EDF

Après le renoncement au modèle de référence sur lequel il avait concentré ses analyses pendant plusieurs mois, l'État a dû se replier sur d'autres options. Il a ainsi expertisé plusieurs scénarios dans lesquels les prix de vente de la production nucléaire d'EDF auraient été plafonnés de façon stricte à un montant donné exprimé en euros par MWh. De nombreuses modélisations ont été effectuées pour en analyser les conséquences prévisionnelles sur la situation financière d'EDF.

À l'automne 2023, la position de l'État s'est finalement cristallisée autour d'un modèle qualifié par les négociateurs de « scénario État ». Ce modèle prévoyait qu'une part de la production annuelle du parc nucléaire historique équivalente aux volumes actuellement exposés au prix de l'Arenh (42 euros par MWh), c'est-à-dire 270 TWh par an, serait vendue par EDF à un prix de 70 euros par MWh. Dans ce scénario, le reste de la production nucléaire d'EDF n'aurait pas fait l'objet de régulation, le groupe pouvant la commercialiser librement.

EDF opposait à ce scénario son propre modèle, défendu avec constance depuis le début de l'année 2023 moyennant des évolutions des niveaux de seuils envisagés. Ce modèle est celui d'un taux de captation appliqué au-delà d'un certain niveau de revenus perçus par l'entreprise sur la vente de sa production nucléaire. En octobre 2023, ce scénario prévoyait un taux de prélèvement de 90 % appliqué au-delà d'un niveau de revenus de 100 euros par MWh.

En octobre 2023, les modélisations réalisées à partir des trajectoires de prix de gros estimées par RTE comme par EDF démontraient, d'après les expertises réalisées tant par les services du ministère de l'économie et des finances que par ceux du ministère de la transition énergétique, que le « scénario État » assurait la soutenabilité financière de long terme d'EDF. Un autre des enseignements de ces modélisations était que ce modèle était très significativement plus protecteur pour les consommateurs que la proposition d'EDF. C'était le cas pour tous les consommateurs, mais tout particulièrement pour les entreprises industrielles n'ayant pas la dimension suffisante pour signer des contrats de long terme d'allocation de production nucléaire (CAPN). Pour autant, EDF a vivement récusé le « scénario État » en remettant en cause les expertises de l'administration, considérant que ce modèle ne lui permettrait pas d'assurer sa soutenabilité financière de long terme.

L'ultime phase des négociations s'est déroulée directement entre les ministres et la direction d'EDF sans que ces échanges n'aient, à la connaissance de la commission d'enquête, fait l'objet de compte-rendu. Aussi, les motivations de la décision finale restent-elles difficiles à objectiver.

B. UN ACCORD NON CONTRAIGNANT, SANS EFFET JURIDIQUE

1. Une conférence de presse et une « feuille volante » non signée

L'accord conclu entre EDF et l'État a été annoncé le 14 novembre 2023 lors d'une conférence de presse commune entre les ministres impliqués dans les processus de négociation738(*) et le PDG d'EDF. Cette conférence est la seule « matérialisation » officielle et publique du dispositif d'encadrement de la production électrique du parc nucléaire décidé entre l'État et EDF.

Le rapporteur s'attendait néanmoins à prendre connaissance d'un véritable contrat précis et détaillé décrivant le contenu de l'accord annoncé. Il a constaté avec stupéfaction que le seul document matérialisant concrètement cet accord se réduisait à une simple « feuille volante » non signée, extrêmement vague, composée pour ainsi dire que d'une série de « bullet points ». Il s'étonne que personne n'ait souhaité prendre la responsabilité de signer cet accord et il regrette la légèreté avec laquelle un sujet si important et si complexe se trouve résumé en tout et pour tout à une « feuille A4 ».

Ce document rappelle en une phrase les objectifs poursuivis : « l'accord relatif à la régulation du parc nucléaire d'EDF vise à garantir l'accès à une électricité compétitive pour les consommateurs français dans le cadre de la politique commerciale déployée par l'entreprise tout en permettant à l'entreprise de financer les investissements nécessaires dans le système électrique français ».

Il se contente de résumer les grandes lignes de l'accord, synthétisées en trois principes. Le premier vise dans sa formulation à « garantir l'accès à un prix de vente compatible avec les évaluations de coûts complets de la CRE et incluant les investissements nécessaires d'EDF, autour de 70 euros739(*) par MWh ». Il se traduit par un mécanisme de captation partielle des revenus d'EDF au-delà de seuils dont les principes de calculs et les modalités de redistribution aux consommateurs ne sont que très vaguement esquissés.

Le deuxième principe évoque « un dispositif de suivi de mise en oeuvre » des dispositions de l'accord reposant sur un examen à horizon de six mois de la bonne mise en oeuvre de la politique commerciale qu'EDF s'est engagée à déployer dans le cadre du dispositif retenu. Le document précise que si cet examen n'était pas concluant, « l'État se réserve la possibilité de revenir sur toute autre option de régulation ». Le dispositif de suivi prévoit également « une clause de revoyure ».

Le troisième principe porte quant à lui sur la « mise en place d'une politique commerciale permettant notamment d'adresser les besoins spécifiques des industriels électro-intensifs, électro-sensibles ». Le document prévoit que cette politique commerciale doit comporter quatre volets :

- des contrats d'allocations de production nucléaire (CAPN) destinés aux industriels électro-intensifs ;

- des contrats dits de moyen terme740(*) sur des maturités de quatre à cinq ans, « sur un volume substantiel de la production permettant de développer le marché de long terme français » ;

- « une offre commerciale spécifique basée sur la logique du CAPN, ciblant les industriels électro-sensibles » ;

- « la mise en oeuvre de la phase 2 d'Exeltium (voir infra dans le II de la présente quatrième partie) dans le cadre de l'accord existant de la Commission européenne ».

2. Souvent affirmé comme structurant, l'engagement des 70 euros n'a pas de réelle portée

La référence d'un prix de vente moyen de son électricité nucléaire par EDF situé à environ 70 euros par MWh sur les quinze prochaines années est souvent mis en avant comme le point structurant du modèle retenu. Pourtant la commission d'enquête note que cet objectif flou n'est en rien garanti par les dispositions prévues dans l'accord. Dans la mesure où la quasi intégralité de la production d'EDF restera librement commercialisée sur les marchés, l'objectif de 70 euros n'est qu'une simple référence, un « voeu pieux » qui repose sur le pari que les prix à terme des marchés de gros de l'électricité convergeront à moyen-long terme vers ce niveau. Or, la commission d'enquête rappelle que le passé récent nous a démontré à quel point les paris sur l'évolution des prix de marché de l'électricité étaient risqués. Aussi lui semble-t-il imprudent de faire reposer le prix de l'électricité des consommateurs et la compétitivité de notre économie sur une prophétie si incertaine.

Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, EDF a confirmé que selon son interprétation de l'accord, cet objectif restait pour elle purement indicatif : « le niveau de 70 euros par MWh annoncé correspond à un revenu moyen indicatif, exprimé en monnaie 2022, sur une période de 15 ans (...). Il ne s'agit pas d'un terme de la régulation ni d'une donnée d'entrée du dispositif. Il ne s'agit pas non plus d'un prix de vente garanti ».

Il en ressort, selon la commission d'enquête, que la présentation qui est souvent faite par le Gouvernement de cet engagement d'un prix de 70 euros par MWh, illustrée par exemple par les propos de Bruno Le Maire lors de la conférence de presse du 14 novembre 2023 selon lesquels « Cet accord garantit un niveau de prix autour de 70 euros le mégawattheure pour l'électricité nucléaire », est trompeuse. Elle ne reflète pas la réalité du dispositif et a probablement vocation à masquer son renoncement à une véritable régulation (sur le modèle par exemple d'un CfD ou du « scénario État » présenté supra) qui aurait quant à elle donné une vraie garantie de prix aux consommateurs.

Les représentants des secteurs économiques électro-intensifs et électrosensibles qui se sont exprimés devant la commission d'enquête ne s'y sont pas trompés. Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, le Comité de liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité sur le marché libre de l'électricité (CLEEE) souligne que « le prix de 70 euros évoqué dans l'accord État - EDF ne repose sur rien de concret (...). L'accord ne garantit pas un prix moyen de 70 euros par MWh pour le consommateur. Seul le hasard du marché pourrait permettre d'atteindre cet objectif qui n'est qu'une estimation par EDF d'une valeur moyenne marché basée sur une série de scénarios prospectifs. Ce dont les industriels ont besoin, ce n'est pas d'une espérance, sans garantie, de prix moyen de 70 euros sur quinze ans, mais bien d'un prix de 70 euros chaque année, que seule une véritable régulation pourrait apporter »741(*).

Par ailleurs, comme l'a précisé la DGEC dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, pour la majorité des consommateurs, l'objectif de prix moyen réel se situerait non pas autour de 70 euros par MWh mais plutôt autour de 80 euros par MWh. Ainsi, selon la DGEC, dans les modélisations réalisées, ce n'est que la commercialisation de CAPN et des contrats long terme déjà existants qui conduisent à « baisser la valorisation moyenne de la production nucléaire, conduisant à une valorisation moyenne à un niveau proche de 70 euros par MWh ».

Enfin, en dépit de suggestions en ce sens présentées dans des notes rédigées par le cabinet de la ministre de la transition énergétique, la commission d'enquête constate que le Gouvernement a pris le parti de ne pas créer un dispositif de suivi par une mission indépendante des engagements pris par EDF dans le cadre de l'accord.

C. UN MODÈLE STRUCTURÉ AUTOUR DE TROIS PILIERS

Comme nous l'avons vu, au terme de la phase de négociations qui vient d'être décrite supra, l'accord final conclu en novembre 2023 entre EDF et l'État repose sur trois piliers qu'il s'agit à présent d'évaluer :

- un mécanisme de captation partielle des revenus tirés par EDF de son parc nucléaire historique adossé à un système de reversement aux consommateurs des sommes ainsi prélevées ;

- la commercialisation par EDF, sur une part significative de sa production, de contrats de fourniture de moyen terme ;

- la conclusion de contrats de long terme destinés aux industriels électro-intensifs et aux entreprises électrosensibles.

1. Un mécanisme de prélèvement conditionnel d'une partie des revenus d'EDF reversé aux consommateurs dans des conditions floues
a) Un mécanisme prévu pour contribuer à financer le programme de nouveau nucléaire mais qui se traduit par un renchérissement des coûts complets du parc nucléaire

Le premier principe de l'accord prévoit un mécanisme permettant, selon certaines conditions, de capter une partie des revenus qu'EDF tire du parc nucléaire historique, les sommes ainsi prélevées ayant vocation à être reversées aux consommateurs selon des modalités qui restent encore très obscures à ce jour.

Ce mécanisme, de nature fiscale, s'apparente au dispositif de contribution sur la rente inframarginale de la production d'électricité créée par l'article 54 de la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023. À l'instar de l'analyse faite par la Cour des comptes en mars 2024742(*), la commission constate qu'à ce jour, au-regard notamment du montant ridicule des sommes collectées, la mise en oeuvre de cette contribution relève du « fiasco ».

Le dispositif retenu dans l'accord prévoit deux seuils, exprimés en euros par MWh de 2022, au-delà desquels les revenus issus du parc nucléaire historique seraient prélevés de façon progressive :

- au-delà d'un seuil de 78 euros par MWh, 50 % des revenus perçus par EDF au titre de son parc nucléaire seraient prélevés ;

- le taux de prélèvement atteindrait 90 % pour la quotité de revenus qui excèderait un second seuil de 110 euros par MWh.

Le seuil de 78 euros par MWh est justifié comme étant l'addition entre le coût comptable complet de production du parc historique et une composante représentative des coûts encourus par EDF pour la réalisation du programme de nouveau nucléaire.

La commission d'enquête note que le coût comptable complet de production du parc nucléaire historique avait été évalué à environ 60 euros par MWh par la CRE dans l'hypothèse d'un modèle de régulation sous forme de CfD. Le fait que le Gouvernement n'ait pas retenu ce modèle de régulation conduit mécaniquement, du fait de l'augmentation du coût du capital qui découle de ce choix, à réévaluer à la hausse, à hauteur d'environ 66 euros par MWh, les coûts comptables estimés par la CRE.

La composante représentative des coûts encourus par EDF au titre du programme de nouveau nucléaire dans le mécanisme représenterait ainsi d'environ 12 euros par MWh743(*).

Le fait que le taux de prélèvement prévu pour la quote-part de revenus située entre 78 euros par MWh et 110 euros par MWh soit limité à 50 % s'explique par l'absence de prix plancher qui expose EDF au risque de prix bas sur les marchés de l'électricité. Pour se garantir contre ce risque, EDF doit nécessairement pouvoir accumuler des réserves financières durant les périodes où les prix seraient supérieurs au coût de production du parc nucléaire et à la composante prévue pour financer le programme de nouveau nucléaire.

L'accord prévoit par ailleurs que les paramètres du mécanisme de captation seront révisés à l'occasion d'une première clause de revoyure avant le 1er janvier 2026 puis tous les trois ans. Ces révisions doivent être calculées « en fonction des conditions de marché, de la situation financière de l'entreprise et de l'évolution des coûts et des conditions techniques et économiques de fonctionnement du parc nucléaire ».

b) Un dispositif qui supposerait une parfaite transparence de la comptabilité d'EDF et un strict contrôle par la CRE

Un préalable indispensable à la mise en oeuvre d'un tel mécanisme est l'évolution de la comptabilité d'EDF et sa capacité à isoler et à justifier très rigoureusement les revenus tirés de l'exploitation du parc nucléaire en exploitation. Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, la CRE juge « indispensable de prévoir la mise en place par EDF d'une comptabilité appropriée, dont elle approuvera les règles ». Le régulateur souligne en effet que ce dispositif « implique à minima de pouvoir :

- distinguer, au sein des revenus d'EDF provenant des transactions externes effectuées sur le marché, ceux qui sont à affecter à la production nucléaire ;

- valoriser les transactions conclues en interne entre les entités de production et de commercialisation d'EDF à destination des offres sur le marché de détail ».

c) Des principes de redistribution extrêmement vagues

Le texte de l'accord de novembre 2023 ne dit presque rien du système de redistribution aux consommateurs des montants prélevés sur les revenus d'EDF. Il se contente d'indiquer deux vagues principes :

- un système d'avance pour éviter que les consommateurs n'aient à supporter l'avance de trésorerie supposée par le mécanisme de redistribution ex post retenu ;

- « un système de transparence sur les revenus générés par le parc nucléaire », également conditionné à l'évolution de la comptabilité d'EDF évoquée supra, qui serait mis en place sous le contrôle de la CRE « pour permettre aux consommateurs d'anticiper le montant de redistribution disponible ».

d) L'article 10 de l'avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique traduisait juridiquement l'accord de 2023
(1) Le mécanisme de captation prévu par l'accord de novembre 2023 aurait pris la forme d'une « contribution des exploitants nucléaires à la stabilité des prix »

L'article 10 de l'avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique transmis au Conseil d'État en janvier 2024, puis retiré par le gouvernement, avait pour vocation de traduire dans la loi le mécanisme de captation prévu par l'accord de novembre 2023. Cet article proposait ainsi la création d'une « contribution des exploitants nucléaires à la stabilité des prix ».

Cet article reprenait les seuils de 78 euros (baptisé « S0 ») et de 110 euros (« S1 ») et les taux de prélèvement qui devaient leur être associés (50 % et 90 %). Il précisait que le seuil « S0 » devait correspondre à l'addition du coût comptable complet de production du nucléaire existant et d'une composante représentative des coûts encourus par EDF pour la réalisation du programme de nouveau nucléaire.

L'article prévoyait aussi que les deux seuils soient réévalués au moins tous les trois ans en fonction des conditions de marché et de la situation financière d'EDF, afin de tenir compte de l'évolution des coûts et des conditions techniques et économiques de fonctionnement du parc nucléaire existant ainsi que des coûts encourus par le groupe pour la réalisation du programme de nouveau nucléaire.

Le même article 10 prévoyait que la CRE détermine le montant de la contribution dans des conditions fixées par voie réglementaire. La détermination du niveau de prélèvement par la CRE devait s'appuyer sur une comptabilité transparente des opérations liées au parc nucléaire d'EDF, dont les principes devaient eux-mêmes être définis dans la loi et les caractéristiques approuvées par le régulateur.

(2) Le reversement aux consommateurs devait s'effectuer au moyen d'une « minoration universelle au titre de la compétitivité du parc de production national »

L'article 10 de l'avant-projet de loi prévoyait également le vecteur par lequel le prélèvement effectué sur les revenus d'EDF devait être répercuté sur les factures des consommateurs finals, baptisé « minoration universelle au titre de la compétitivité du parc de production national ». Le niveau de la minoration devait résulter de l'application d'un montant unitaire en euros par mégawattheure aux volumes d'électricité livrés aux consommateurs, « en tenant compte le cas échéant de leur profil de consommation ou du prix de fourniture ». Ce montant de minoration devait être évalué par la CRE. Au-delà de ces principes très généraux, l'ensemble des paramètres du dispositif de reversement devaient être déterminés par voie réglementaire.

2. EDF a pris l'engagement de développer un marché de moyen terme liquide sur des horizons de quatre à cinq ans

Le deuxième pilier de l'accord a pour objectif de développer en France la liquidité des marchés à termes d'électricité à des horizons de quatre à cinq ans. Comme précisé supra, aujourd'hui, ces maturités sont quasiment absentes des marchés à terme français. Cette lacune se traduit par une forte élasticité de ces marchés à la volatilité des marchés de court terme dits « spot ». La plupart des contrats de fourniture sur les marchés de détail étant assis sur des références de prix des marchés à terme, cette situation expose fortement les factures des consommateurs français à la fluctuation erratique du prix de gros de court terme de l'électricité.

C'est pour répondre à cette problématique que l'accord prévoit qu'EDF mette en oeuvre une politique commerciale visant, « sur un volume substantiel » de sa production, à commercialiser des contrats de moyen terme, c'est-à-dire sur des maturités de quatre à cinq ans, échangeables sur un marché ouvert. Ces contrats ont vocation à être conclus avec des fournisseurs qui seraient ainsi eux-mêmes en mesure de proposer à leurs clients des contrats à des prix sécurisés sur ces horizons. Ils sont aussi destinés aux entreprises qui n'ont pas la dimension et les moyens pour conclure des contrats de long terme à dix ou quinze ans qui s'adressent quant à eux aux industries électro-intensives voire à des entreprises électrosensibles de taille importante (voir infra).

3. Des contrats de long terme réservés aux entreprises électro-intensives, voire aux entreprises électrosensibles

Le troisième pilier de l'accord de novembre 2023, qui repose toujours sur la politique commerciale d'EDF, prévoit que l'opérateur conclut des contrats de long terme de dix à quinze ans à destination d'entreprises grandes consommatrices d'électricité capables de s'engager sur de telles périodes.

L'accord prévoit ainsi le développement de contrats d'allocations de production nucléaire (CAPN) destinés aux industries électro-intensives et hyper électro-intensives. L'objectif poursuivi est que ce type de contrats couvre un volume d'environ 40 TWh par an. Ces CAPN ne sont pas de simples contrats de fourniture mais de véritables contrats de partenariats qui supposent que les co-contractants d'EDF assument une part des risques industriels associés à des unités de production.

L'accord envisage aussi la création de contrats de long terme inspirés des CAPN mais adaptés aux entreprises électrosensibles baptisés « contrats collectifs d'allocation nucléaire » (CCAN).

Enfin, l'accord prévoit de prolonger et d'étendre le dispositif Exeltium en lançant sa phase 2 qui avait été négociée en 2008 avec la Commission européenne.

D. UN SYSTÈME PEU PROTECTEUR DES CONSOMMATEURS QUI EXPOSE EDF AU RISQUE DES PRIX BAS

L'analyse du modèle retenu dans le cadre de l'accord de novembre 2023 démontre qu'il est contradictoire avec les promesses et déclarations de l'exécutif et qu'il expose dangereusement les consommateurs et EDF aux aléas du marché de gros de l'électricité.

1. Un système complexe, dépourvu de visibilité, qui expose les consommateurs au marché et compromet les ambitions de réindustrialisation et de décarbonation du pays

Outre qu'il constitue clairement un renoncement par rapport aux déclarations rituelles de l'exécutif s'engageant à corréler les prix de l'électricité aux coûts de production du mix national, l'accord de novembre 2023, peu lisible pour les consommateurs, les expose dangereusement aux variations erratiques des prix de marché en les privant de surcroit de toute visibilité.

a) Des prix de l'électricité plus que jamais décorrélés des coûts de production du mix national : une promesse présidentielle oubliée

Depuis la construction du parc nucléaire français, l'objectif visant à établir un lien de corrélation entre les prix de l'électricité et les coûts complets de production particulièrement compétitifs du mix national a été maintes fois affiché par les responsables politiques.

Cet objectif a été réaffirmé le 10 février 2022 par le Président de la République au cours de son discours dit de « Belfort » : « nous mettrons en oeuvre, en accord avec la Commission européenne, une nouvelle régulation de l'électricité nucléaire (en remplacement de l'Arenh) afin que les consommateurs français, ménages et entreprises, puissent bénéficier de prix stables, proches des coûts de production de l'électricité en France ».

Pourtant, la commission d'enquête constate que le dispositif proposé par l'accord de novembre 2023 ne permet en aucune façon de rapprocher le prix de l'électricité du coût réel de production du mix national. Au contraire, le modèle de non régulation retenu expose totalement la vente de la production nucléaire aux aléas du marché.

À l'appui de cette analyse, dans une note d'expertise qu'il a communiqué à la commission d'enquête744(*), l'économiste de l'énergie Jacques Percebois souligne que « cette réforme s'inscrit fondamentalement dans une logique de prix de marché plutôt que dans une logique de coût du MWh. Ce n'est pas le coût du nucléaire qui fixera le prix pour le consommateur final, c'est le prix du marché qui sera le baromètre pour le consommateur comme pour le producteur ».

La commission d'enquête a pu constater que le Gouvernement était pourtant parfaitement conscient des risques que l'accord de novembre faisait courir à la compétitivité de l'économie française. La commission d'enquête a en effet pu consulter des notes à l'intention des ministres qui pointaient de façon explicite les enjeux d'une option de dérégulation de la production nucléaire. L'une de ces notes soulignait notamment que « rétablir le lien entre facture des consommateurs et coûts complets nécessite une régulation publique. Y renoncer implique de renoncer à un atout de compétitivité essentiel ».

Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, EDF reconnaît que le dispositif retenu par l'accord « n'est pas un dispositif de régulation des prix des clients » et que les prix de fourniture d'électricité resteront « déterminés par le marché et par la durée des contrats signés par chaque client ». En effet, s'ils ont vocation à lisser la volatilité excessive des prix de marché, les contrats de moyen-terme vendus sous formes d'enchères sur des maturités de quatre à cinq ans par EDF restent néanmoins alignés sur les prix des marchés à terme qui ne sont pas corrélés aux coûts complets de production.

Pierre Jérémie, ancien directeur adjoint du cabinet de la ministre de la transition énergétique, a insisté sur ce point au cours de son audition du 15 mai 2024, « rien dans le fonctionnement du marché de l'électricité, quelle qu'en soit l'organisation, ne garantit automatiquement de lien entre prix et coûts complets du système. Il faut donc choisir entre le fait d'assumer d'exposer le consommateur à des prix qui soient le reflet pur de l'équilibre entre offre et demande et le fait de mettre en place une régulation rétablissant ce lien après le jeu du marché ». En effet, se contenter d'allonger les horizons de contractualisation ne permet pas de faire converger les prix vers les coûts complets. Se limiter à modifier la forme des contrats et la politique commerciale est neutre à long terme. Pierre Jérémie a ainsi indiqué lors de son audition « qu'affirmer que le simple fait de passer à des contractualisations plus longues, sans changement parallèle de la structure concurrentielle du marché ou intervention publique, ferait nécessairement converger les prix vers les coûts ne reposerait sur aucun fondement issu de l'économie scientifique et serait entaché d'une erreur de raisonnement ».

La commission d'enquête constate pourtant que c'est exactement le raisonnement, ou plutôt « le pari », sur lequel repose l'accord de novembre 2023. S'agissant de la commercialisation de l'électricité, qui n'est pas une marchandise comme une autre puisqu'elle ne se stocke pas, seule une véritable régulation est en mesure de corriger les imperfections de marché pour établir un lien solide entre les prix et les coûts complets de production.

Dans leurs échanges avec la commission d'enquête, les industriels français n'ont pas caché leurs inquiétudes au sujet du système retenu dans l'accord de novembre 2023.

Le Comité de liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité sur le marché libre de l'électricité (CLEEE) a notamment confirmé l'analyse selon laquelle rien dans la philosophie de l'accord, y compris l'objectif visant à développer un marché de moyen terme, ne permet de rapprocher les prix de vente des coûts de production. Pour le CLEEE, le fondement même du modèle proposé est erroné puisqu'il repose sur le pari qu'à moyen-long terme les prix de marchés tendront vers les coûts de production du mix électrique national pour s'équilibrer autour de 70 euros par MWh, : « nul ne peut prédire précisément quels seront les prix de marché de l'électricité dans les vingt prochaines années, et une régulation qui serait fondée sur une telle prédiction relèverait du tour de passe-passe. Le plus probable est une alternance de crises plus ou moins aigües et de périodes de marché bas, mettant en difficulté alternativement les consommateurs et le producteur EDF, et rendant très difficile toute décision rationnelle d'investissement ».

L'existence de prix de vente de l'électricité substantiellement plus élevés que les coûts de production est même nécessaire et consubstantielle au fonctionnement du modèle retenu par l'État et EDF. C'est pour cette raison que le mécanisme de captation partielle des revenus tirés par EDF de son parc nucléaire prévoit une combinaison de seuils et de taux de prélèvement qui s'écartent très sensiblement des coûts complets de production. Puisque, faute d'un prix plancher, elle est entièrement exposée aux risques de prix bas durables sur les marchés, EDF doit pouvoir constituer des réserves lorsque les marchés se situent à des niveaux supérieurs à ses coûts de production.

Enfin, au-delà du fait que le dispositif retenu ne permet pas d'atteindre l'objectif de convergence des prix vers les coûts, l'accord conduit même à augmenter mécaniquement les coûts complets de production du parc nucléaire. En effet, opter pour un modèle dérégulé augmente les risques auxquels se trouve exposé le producteur et, par voie de conséquence, sa rémunération, à travers le coût moyen pondéré du capital (CMPC). D'après l'évaluation de la CRE réalisée en juillet 2023, le fait de ne pas avoir retenu une option de régulation intégrant un prix plancher (dans le cadre d'un CfD) conduit à renchérir d'au moins 5 euros par MWh et environ 2 milliards d'euros par an, le coût complet de production du parc nucléaire en exploitation.

La commission d'enquête constate que le renchérissement des coûts de la production nucléaire induite par la structure de l'accord de novembre 2023 est un criant paradoxe à l'heure où le Gouvernement entend favoriser le développement des moyens de production d'électricité décarbonés et notamment démontrer les avantages comparatifs de la filière nucléaire.

b) Une redistribution aux consommateurs complexe et dépourvue de lisibilité
(1) Un dispositif peu lisible qui pourrait créer des distorsions de concurrence et fragiliser l'ambition de développer les contrats de moyen et long terme

En préambule, il est nécessaire de rappeler que le modèle de prélèvement prévu par l'accord est fondé sur les revenus moyens annuels tirés par EDF de son parc nucléaire. Il ne s'agit donc pas des prix effectivement payés par les clients qui peuvent très sensiblement varier selon les contrats, leur maturité et le moment auquel ils ont été conclus. Il est important également de rappeler qu'EDF a déjà vendu l'essentiel de sa production de l'année N+ 1 en année N. Cette couverture pluriannuelle a même vocation à se développer avec la généralisation de la commercialisation des contrats de moyen-terme prévus par l'accord.

Aussi, si une crise brutale survient en cours d'année et qu'EDF a déjà vendu l'essentiel de sa production à des prix plus modérés constatés avant le déclenchement de la crise, les revenus annuels de son parc nucléaire ne traduiront pas immédiatement, les effets de la crise. Le prélèvement et, par voie de conséquence, le reversement aux consommateurs au titre de cette année risque ainsi d'être limité. Or, les consommateurs, notamment les entreprises, et tout particulièrement les plus petites, dont les contrats seraient indexés sur les prix de marchés ou qui auraient à négocier un nouveau contrat au moment de la crise, se trouveraient pleinement exposés à la hausse des prix.

A contrario, et comme l'a signalé le CLEEE dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, « certains consommateurs qui, par chance, auraient signé leur contrat à un moment opportun, à des conditions de marché inférieures au prix moyen de vente d'EDF, pourraient se retrouver à bénéficier d'un effet d'aubaine parfois considérable ».

Aussi, la commission d'enquête craint-elle que le dispositif imaginé par le Gouvernement et EDF ne se traduise par des distorsions de concurrences massives au sein de notre tissu économique. Des distorsions qui pénaliseront aussi les entreprises concernées vis-à-vis de leurs concurrentes étrangères. Dans une telle hypothèse, il y a fort à parier que l'État serait contraint, comme il l'a fait pendant la crise que l'on vient de traverser, d'improviser en catastrophe des dispositifs exceptionnels d'aides complexes et coûteux pour les finances publiques.

Cette analyse rejoint notamment des anticipations réalisées par des organisations représentatives de l'industrie française comme par exemple France chimie (voir encadré ci-après).

Les insuffisances manifestes du dispositif de redistribution en cas de crise majeure d'après France chimie

En cas de crise énergétique comparable à celle de l'automne 2022, le nouveau schéma de régulation de l'électricité ne permettrait d'amortir qu'une partie de la hausse des prix de marché et une intervention de l'État serait nécessaire comme en 2023. France Chimie calcule en effet que, dans un contexte où le prix de calendaire à un an atteindrait 500 euros par MWh, le nouveau schéma conduirait à un prix net « rendu site » pour une PME industrielle à environ 325 euros par MWh. À titre de comparaison, le prix net rendu site obtenu en 2023 avec l'amortisseur de l'ARENH s'est établi, pour ce même consommateur, à 350 euros par MWh. Le nouveau schéma de régulation est bien insuffisant pour garantir un prix de détail reflétant le prix moyen de production.

La rente des producteurs d'électricité inframarginaux resterait particulièrement élevée et pèserait inutilement sur la compétitivité des entreprises industrielles. Si le coût de production de la centrale marginale se maintient au-dessus de 100 euros par MWh, par exemple avec un prix du gaz supérieur à 35 euros par MWh et un prix du COd'environ 80 euros par tonne, 90 % des moyens de production d'électricité en France bénéficieraient d'une rente excessive au regard de leur profil de coût et de risque. Dans le même temps, les consommateurs industriels, dont l'activité est fortement exposée à la concurrence internationale, ne recevraient qu'une redistribution d'environ 7 euros par MWh, bien insuffisante pour rester compétitifs.

Source : réponses de France chimie à la commission d'enquête

Le CLEEE estime ainsi que « la régulation proposée protège très mal les entreprises les moins aguerries, qui se retrouveront fortement exposées aux mouvements d'humeur d'un marché particulièrement spéculatif en période de crise. Le dispositif vient donc consacrer et amplifier la vaste loterie qu'est le marché de l'électricité aux yeux des consommateurs professionnels non experts ».

Alors que les modèles comme une régulation de type CfD ou le « scénario État » permettent d'avoir une vision précise des prix ex-ante, le choix du dispositif de contribution-reversement ex-post pourrait compromettre la logique interne de l'accord qui vise à encourager le développement des contrats sur des horizons de moyen et de long terme.

En effet, ce système de prélèvement-redistribution complexe et fluctuant crée une incertitude supplémentaire dans la composition du prix de la facture d'électricité des consommateurs, une incertitude qui pourrait avoir des effets très sensibles sur la compétitivité de chaque entreprise vis-à-vis de ses concurrentes en France comme à l'étranger. Certaines entreprises pourraient ainsi être tentées de refuser de s'engager sur des périodes de trois, quatre, cinq ans voir plus, afin de pouvoir anticiper avec le plus de précision possible les prix réels de l'électricité, redistribution comprise.

(2) Une mise en oeuvre extrêmement complexe qui sera scrutée par la Commission européenne

La nouvelle réglementation européenne prévoit que les prélèvements sur les producteurs réalisés dans le cadre d'un dispositif de CfD doivent être redistribués aux consommateurs sans induire de distorsion de concurrence entre les entreprises et en préservant des incitations aux économies d'énergie. Le dispositif de reversement prévu par l'accord de novembre ne s'applique pas dans le cadre d'un CfD, cependant, les premiers contacts pris par l'administration française avec les services de la Commission européenne laissent à penser que la direction générale de la concurrence (DGCOMP) pourrait lui appliquer les mêmes contraintes normatives. La Commission européenne se montrera vraisemblablement très attentive au détail de la méthodologie de redistribution qui serait décidée.

Cette méthodologie a déjà fait l'objet de nombreux travaux préparatoires au sein des administrations mais ses contours restent très flous. Elle devrait en toute hypothèse préciser le périmètre des consommateurs éligibles et son caractère uniforme ou non. Pour encourager au déplacement des consommations vers les périodes de moindre tension sur le réseau, des scénarios sont étudiés dans lesquels les droits à redistribution seraient ciblés sur certaines périodes de l'année.

c) Des petits consommateurs moins protégés qu'aujourd'hui

Dans la note précitée qu'il a réalisé sur les conséquences prévisionnelles de l'accord entre EDF et l'État, l'économiste Jacques Percebois fait le constat que le dispositif retenu sera nettement moins protecteur pour les petits consommateurs que celui qui existe aujourd'hui. Son analyse démontre que, dans toutes les hypothèses de prix de marché retenues (de moins de 78 euros par MWh jusqu'à 200 euros par MWh), le niveau de la part fourniture d'énergie des TRVe qui résulterait de la mise en oeuvre de l'accord serait nettement plus élevée que celui qui aurait résulté du modèle actuel, quand bien même cet écart tendrait à se réduire au fur et à mesure de l'augmentation des prix de marché : l'accord serait ainsi moins favorable de 25 % pour une hypothèse de prix de marché de 110 euros par MWh, 12 % pour une hypothèse de 150 euros et 5 % pour une hypothèse de 200 euros.

Cette analyse est confirmée par une autre expertise réalisée par le CLEEE à partir de quatre scénarios présentés dont les hypothèses sont précisées dans l'encadré ci-après. Dans chacun de ces scénarios, le prix moyen de fourniture de l'électricité aux horizons 2028-2035 résultant du modèle retenu dans l'accord de novembre 2023 serait supérieur au système actuel ou au « scénario État » qui a été abandonné dans les derniers jours de la négociation.

Les quatre scénarios testés par le CLEEE pour estimer le prix de fourniture de l'électricité aux horizons 2028-2035 selon différentes hypothèses de régulation

1. Un prix moyen de marché qui est celui anticipé pour 2028-2035 par les principales sociétés prévisionnistes, soit 82 euros par MWh, avec une production nucléaire de 350 TWh et une consommation de 500 TWh, correspondant aux estimations de RTE à cet horizon.

2. Un scénario de remontée modérée du prix du gaz et de l'électricité.

3. Un scénario de crise plus aigüe du gaz entraînant une remontée du marché à 200 euros par MWh.

4. Un scénario cumulant une crise du gaz et une crise de production nucléaire, ramenant cette production à 300 TWh.

Source : réponses du CLEEE à la commission d'enquête

d) Un dispositif qui illustre l'incohérence du Gouvernement quant à son ambition affichée de réindustrialisation

Lors de leur audition devant la commission d'enquête le 28 février 2024, les représentants des industriels avaient souligné que, pour qu'il satisfasse aux intérêts de long moyen-long terme de l'économie française, le nouveau modèle de régulation devait répondre à trois enjeux essentiels : compétitivité, visibilité et stabilité. Or, pour eux, aujourd'hui, le compte n'y est pas du tout. Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, le CLEEE a un avis tranché sur la question : « ces objectifs ne seront pas respectés avec la régulation proposée ».

Le Gouvernement met en exergue le développement de contrats à long terme (de dix à quinze ans), dont la mise en oeuvre est d'ailleurs beaucoup plus poussive qu'il ne l'avait escompté, mais, beaucoup d'entreprises, même de taille importante, n'auront pas les moyens de souscrire ces contrats. Elles ne pourront pas s'engager sur de telles durées et encore moins payer l'avance en tête importante qu'ils supposent. Par ailleurs, ces contrats de long terme ne couvriront pas toute la consommation des entreprises qui les souscriront. Elles devront aussi s'approvisionner, dans des proportions non négligeables sur les marchés de court et moyen terme. Aussi, au-delà de l'ambition légitime de développer les contrats de long terme, le modèle de régulation général choisi par le Gouvernement est-il tout à fait déterminant pour la compétitivité de l'économie française. Or, comme cela a été démontré supra, le modèle de régulation prévu dans le cadre de l'accord entre l'État et EDF n'en est pas un. Il n'offre aucune garantie de prix et expose totalement la fourniture d'électricité des entreprises aux aléas des marchés moyennant un dispositif de captation très partiel dont les modalités de redistribution seraient largement imprévisibles et qui serait de nature à générer d'importantes distorsions de concurrence.

C'est pour ces raisons que les représentants des industriels ont exprimé leur très vive inquiétude vis-à-vis de cet accord. Dans ses réponses à la commission d'enquête, le constat dressé par l'Union des industries utilisatrices d'énergie (Uniden) est à ce titre implacable : « le dispositif envisagé n'apporte aucune forme de visibilité aux industriels ».

France chimie745(*) affirme quant à elle qu'en conséquence de l'accord, « les entreprises de la Chimie subiront une perte de compétitivité importante ». D'après les simulations réalisées par cette organisation professionnelle, au regard des hypothèses de prix qui prévalaient en octobre 2023, au moment où l'accord a été conclu l'industrie chimique pourrait subir des hausses de prix de l'électricité allant de 50 % (pour les entreprises hyper électro-intensives) à 90 % (pour les entreprises électro-intensives) par rapport à la situation d'avant crise.

La commission d'enquête note que ces constats vont totalement à l'encontre des déclarations du Gouvernement concernant son ambition affichée de réindustrialisation du pays et d'électrification des processus industriels à des fins de décarbonation de l'économie nationale.

e) Pour fonctionner, l'accord supposerait un encadrement très étroit des activités d'EDF par la CRE

La commission d'enquête note qu'avec l'accord de novembre 2023, ce que gagnerait EDF en termes de liberté de commercialisation sur les marchés aurait pour contrepartie un encadrement extrêmement strict de ses activités par le régulateur.

Ainsi, les objectifs poursuivis par l'accord ne pourraient être pleinement atteints qu'à condition que la CRE dispose de moyens renforcés visant à assurer la transparence et la liquidité des marchés de moyen terme sur lesquels EDF mettrait aux enchères des produits de quatre à cinq ans. En effet, il ne suffit pas de décréter la création d'un marché de moyen terme en France pour garantir que par la seule logique de marché et la volonté d'EDF celui-ci se développera de façon équilibrée au bénéfice des consommateurs. Seule l'intervention, nécessairement plus intrusive qu'aujourd'hui, d'un régulateur pourrait s'en assurer.

Pour s'assurer que ce « nouveau » marché de moyen terme soit correctement approvisionné à tout moment, la CRE devrait être dotée de nouvelles missions de tenue de marché par lesquelles elle pourrait contraindre EDF à mettre en vente sur ce marché une part de sa production. Cette nouvelle mission, induite par l'accord de novembre 2023, conduirait la CRE à diriger une partie de la politique commerciale d'EDF. De façon tout à fait paradoxale, un accord visant à donner à EDF une totale liberté de commercialiser sa production sur les marchés pourrait se traduire in fine par la prise en main, par le régulateur, d'une partie de la politique commerciale du groupe.

Par ailleurs, pour assurer un minimum de visibilité aux consommateurs, il serait nécessaire de garantir une transparence beaucoup plus importante qu'aujourd'hui sur les prévisions de performance du parc nucléaire en exploitation. EDF serait contrainte de communiquer à la CRE des informations très précises sur les prévisions de performance d'exploitation de ses réacteurs pour que le régulateur puisse fournir aux consommateurs des informations les plus fiables possibles sur la production et les prix de la production nucléaire. Ce n'est qu'à ces conditions que le modèle prévu par l'accord de novembre 2023 pourrait recueillir la confiance des consommateurs.

2. Un système qui expose EDF au risque, sous-estimé au moment des négociations, de prix bas prolongés

En renonçant à l'option d'un CfD, et par voie de conséquence à la mise en oeuvre d'un prix de vente plancher sur la vente de la production du parc nucléaire, le modèle retenu par l'accord de novembre 2023 expose EDF aux aléas des marchés de gros de l'électricité et à l'hypothèse, largement sous-estimée lors des négociations, de prix bas prolongés. La notion de prix bas prolongés doit s'entendre de prix inférieur à l'addition, d'une part, des coûts complets de production du parc nucléaire existant dans un cadre non régulé, soit environ 66 euros par MWh selon les estimations de la CRE et, d'autre part, d'une contribution au financement par EDF du programme de nouveau nucléaire qui peut être estimée à ce jour à environ 10 à 12 euros par MWh. Aussi, des prix de marché inférieurs à 75 euros ou 80 euros par MWh ne permettraient pas de couvrir le coût complet de production du parc nucléaire en exploitation et les investissements d'EDF dans le programme de nouveau nucléaire. Or, aujourd'hui, l'hypothèse que les marchés se maintiennent durablement sous ces niveaux voire même nettement plus bas est loin d'être improbable. Ce n'était pas le cas en novembre 2023 lorsque l'accord a été conclu. En mai 2024, les prix à terme à horizon 2027 se situaient ainsi à seulement 57 euros par MWh.

Aussi, la commission d'enquête se pose légitimement la question de savoir ce qu'il adviendrait si cette hypothèse se réalisait durablement. Quelles seraient les conséquences pour EDF d'un maintien durable des prix de marché à un niveau si faible ?

Le Gouvernement comme EDF se sont montrés étonnamment évasifs sur cette question. Or, l'état actuel de la situation financière d'EDF, et tout particulièrement le niveau de son endettement, ne laisse guère de doute sur ce qu'il adviendrait. Sauf à ce que d'improbables et non souhaitables cessions d'actifs soient décidées, une recapitalisation de son actionnaire unique, l'État, serait absolument incontournable.

La commission d'enquête constate ainsi que l'accord de novembre 2023 ressemble à un accord « perdant-perdant » pour les consommateurs et les contribuables français dont l'issue dépendra uniquement des fluctuations imprévisibles des marchés. Dans l'hypothèse où les prix de marchés remontaient durablement à des niveaux élevés, les consommateurs verraient leur facture augmenter très sensiblement. Inversement, dans l'hypothèse où les prix de marchés restaient durablement à des niveaux faibles, le contribuable devrait être mobilisé pour renflouer EDF. Il va sans dire qu'une telle opération, considérée comme une aide d'État, ferait l'objet d'une attention très prononcée des services de la Commission européenne et les risques de contreparties exigées sur l'organisation et la gouvernance du groupe seraient réels.

Au cours de son audition devant la commission d'enquête, le PDG d'EDF a même évoqué un scénario sans doute plus inquiétant encore pour l'avenir du pays. Il a en effet indiqué qu'en cas de prix bas prolongés, le groupe pourrait alors devoir réduire ses investissements : « dans cette hypothèse, il faudrait envisager d'ajuster nos investissements à la baisse ».

Cette perspective, qui serait susceptible de remettre en cause le renouvellement du système de production électrique national, et tout particulièrement le programme de relance de la filière électronucléaire, compromettrait également gravement la décarbonation de toute l'économie française ainsi que la réalisation de nos objectifs climatiques. La commission d'enquête ne peut se résoudre à un tel scénario. Par conséquent, il lui apparaît indispensable d'apporter à EDF une garantie de long terme sur les revenus issus de la production de son parc nucléaire. Seul un prix plancher, prévu par un CfD, semble en mesure de lui apporter une telle garantie.

E. UN ACCORD DÉJÀ CADUC ?

Les faiblesses qui étaient inhérentes à l'accord de novembre 2023 sont à l'origine des difficultés significatives qu'il rencontre aujourd'hui dans sa mise en oeuvre. Celles-ci sont multiples. Plusieurs indices ne trompent pas. Il s'est agi notamment :

- du report sine die de la présentation au Parlement des dispositions prévues dans l'avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique ;

- du report, acté par le Gouvernement, de la clause de revoyure à six mois du dispositif ;

- de la désignation d'une mission de suivi indépendante des engagements pris par EDF en termes de politique commerciale.

Sur ce dernier sujet, la commission d'enquête s'étonne que cette décision n'ait pas été prise immédiatement lors de la conclusion de l'accord. Pourtant, lors de son audition, Pierre Jérémie a confirmé que cette suggestion avait été faite par le cabinet de la ministre de la transition énergétique dès le mois de novembre 2023.

1. Les hypothèses de référence de prix de marchés retenues lors des négociations sont obsolètes

La commission d'enquête en a eu la confirmation de sources internes à la négociation : jusqu'à la veille de l'accord, EDF comme l'Agence des participations de l'État (APE) restaient convaincues que les prix de l'électricité sur les marchés de gros se maintiendraient à des prix élevés, durablement supérieurs à au moins 100 euros par MWh. L'une comme l'autre n'avait pas anticipé la très forte baisse observée depuis.

En octobre 2023, dans la toute dernière phase des négociations de l'accord, les prévisions des marchés à horizon 2026 se situaient à près de 110 euros par MWh. À la mi-mai 2024, les prévisions de ces mêmes marchés à l'horizon 2026 étaient tombées à 60 euros par MWh. Pour 2027, les anticipations des marchés se situent même à un niveau encore inférieur de 57 euros par MWh.

Évolution des prix à terme sur les marchés de gros de l'électricité pour des fournitures en 2025, 2026 et 2027

(en euros par MWh)

CAL Y+ 1 : prix de marché pour une fourniture en 2025

CAL Y+ 2 : prix de marché pour une fourniture en 2026

CAL Y+ 3 : prix de marché pour une fourniture en 2027

Source : EEX, mai 2024

Devant les risques de prix bas prolongés, les réponses écrites faites par la DGEC à la commission d'enquête relèvent essentiellement de la « méthode Coué » : « nous estimons que ce scénario est peu probable compte tenu de l'ambition européenne de décarbonation, qui repose sur un signal prix du carbone élevé, qui conduit mécaniquement à soutenir les prix de marché de l'électricité ». La commission d'enquête considère qu'une telle « politique de l'autruche » n'est pas une bonne façon de prendre des décisions de politique énergétique de long terme aussi stratégiques pour notre pays.

Les trajectoires financières modélisées à l'automne 2023 pour déterminer le contenu de l'accord final reposaient sur des hypothèses de référence d'évolution des prix à moyen long terme qui, sans aucun doute, devraient être revues à la baisse aujourd'hui. Les scénarios de prix bas modélisés lors des négociations de l'accord, jugés peu probables à ce moment-là, se traduisaient par des perspectives financières insoutenables pour EDF et une augmentation sensible de son niveau d'endettement. Il est évident qu'aujourd'hui, ce type de scénarios est beaucoup plus réaliste qu'il ne pouvait l'être à l'automne 2023. Il est même permis de s'interroger sur le fait de savoir si cette hypothèse ne devrait pas être considérée désormais comme le scénario de référence. Auquel cas, il supposerait nécessairement d'introduire un modèle régulatoire de type CfD garantissant à EDF que sur le long terme, les revenus issus de son parc nucléaire existant lui permettent d'en couvrir les coûts complets ainsi que ses investissements dans le programme de nouveau nucléaire.

Compte-tenu de l'évolution des trajectoires prévisionnelles de prix de marché à moyen-terme, de nombreux acteurs du secteur estiment que le dispositif est d'ores et déjà caduc et qu'il est urgent de le réviser.

2. Une mise en oeuvre très laborieuse des contrats de moyen et long terme qui commence à faire douter le Gouvernement

La commission a pu le constater au cours de ses auditions et les décisions et déclarations récentes du Gouvernement ne trompent pas : la mise en oeuvre par EDF du volet politique commerciale de l'accord de novembre n'est pas à la hauteur des espérances de l'exécutif.

Le 20 juin 2024, devant le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), le ministre chargé de l'économie et des finances a même été jusqu'à déclarer qu'il était nécessaire de rouvrir les négociations avec EDF concernant l'accord de novembre 2023 : « est-ce que le prix est satisfaisant ? Non. Est-ce qu'il faudra par conséquent rouvrir la négociation avec EDF ? Ma réponse est oui (...) parce que le prix de sortie n'est pas suffisant et pas suffisamment compétitif pour l'industrie française ».

a) Les industriels ne s'empressent pas de signer de contrats de long terme

Malgré le volontarisme affiché par le Gouvernement, il est évident que la mise en oeuvre du volet politique commerciale de l'accord de novembre 2023 est beaucoup plus laborieuse qu'envisagé. Aucun CAPN n'a été signé à ce jour et les lettres d'intention ne se compteraient que sur les doigts d'une main.

Les secteurs économiques concernés tout comme EDF ne cachent pas les difficultés de négociation de ces contrats qui constituent pourtant le principal vecteur de compétitivité industrielle de l'accord de novembre 2023. Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, France industrie faisait état d'une situation « bloquée ».

Après des semaines de déni, le Gouvernement ne masque plus ses doutes et son exaspération face à une situation « vitrifiée » qu'il aurait pourtant pu anticiper au regard des faiblesses inhérentes à l'accord de novembre 2023.

Devant ce constat d'échec, le Gouvernement a dû reporter le bilan d'étape du dispositif qui était originellement prévu en mai. Thomas Courbe, directeur général des entreprises (DGE) a confirmé ce report lors de son audition du 9 avril 2024 devant la commission d'enquête.

Toujours en raison des difficultés rencontrées par les industriels et EDF pour conclure des contrats de long terme, le ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie a confié à Philippe Darmoyan et Julien Janes une mission de suivi.

En outre, la commission d'enquête regrette que les discussions sur l'extension du dispositif Exeltium semblent au point mort tandis que la perspective de contrats de long terme spécifiques aux secteurs électrosensibles, les contrats collectifs d'allocation nucléaire (CCAN), est toujours incertaine.

b) Les contrats de moyen-terme vendus ne concernent qu'une infime partie de la production d'EDF

La mise aux enchères par EDF de contrats destinés à créer en France un véritable marché de moyen-terme sur des horizons de quatre à cinq ans progresse à un rythme très modéré et ne représente à ce jour qu'une infime partie de la production du groupe. Au regard des premiers chiffres annoncés, le bilan reste très éloigné de l'objectif d'un « volume substantiel » de production prévu par l'accord et de la création d'un véritable marché.

Lors de son audition du 10 avril 2024, le PDG d'EDF a ainsi annoncé qu'environ 800 contrats avaient été signés pour un volume qui pourrait avoisiner les 6 ou 7 TWh, soit moins de 2 % de la production prévisionnelle annuelle à moyen terme du parc nucléaire historique (360 TWh). Dans les réponses écrites qu'elle a faite à la commission d'enquête, la DGEC estime que le « volume substantiel » prévu par l'accord de novembre 2023 pourrait supposer environ 300 TWh (100 TWh pour l'approvisionnement des clients du milieu de portefeuille et 200 TWh pour l'approvisionnement du marché de masse). L'écart est considérable.

Le CLEEE avait d'ailleurs signalé à la commission que le succès de la commercialisation de ces contrats de moyen-terme était tout sauf garantie, notamment car « la plupart des entreprises ne sont pas en mesure de connaître leurs besoins et de contractualiser plus de 2 ans en avance (incertitude sur le carnet de commande, risque de contrepartie, crainte de décalage par rapport à la concurrence, etc.) ».

II. LES CONTRATS DE LONG TERME POUR LES ENTREPRISES GRANDES CONSOMMATRICES D'ÉLECTRICITÉ DOIVENT ÊTRE OPTIMISÉS POUR ASSURER LA COMPÉTITIVITÉ DE L'ÉCONOMIE

A. LES CAPN : UN PARTAGE DES RISQUES À AFFINER, DES AVANCES EN TÊTE À AJUSTER, UNE ANALYSE JURIDIQUE À CONFIRMER

S'ils sont appelés à jouer un rôle déterminant dans la compétitivité de l'industrie française, les contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN) ne sont à ce jour pas complètement exempts d'incertitudes juridiques.

1. Des contrats de partenariats industriels réservés à des industriels électro-intensifs aux « reins solides »

Les contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN) s'adressent aux industriels pour lesquels l'électricité est un intrant économique majeur, c'est-à-dire aux secteurs électro-intensifs et hyper électro-intensifs. Ces contrats ne sont pas de simples contrats de fourniture mais de véritables partenariats industriels. C'est-à-dire que ces contrats ne prévoient pas la vente garantie d'un certain volume d'électricité (en MWh) mais la mise à disposition, pour des durées de dix à quinze ans, d'une quote-part de la puissance des réacteurs du parc nucléaire existant à un prix reflétant les coûts de production réels de ces derniers, moyennant :

- d'une part le paiement d'une avance importante (dite « avance en tête ») ;

- et d'autre part la prise en charge d'une part des risques pesant sur l'exploitation de ces réacteurs et les investissements réalisés par le producteur.

Ces contrats sont ainsi parfois qualifiés de « at cost, at risk »746(*), leur prix attractif allant de pair avec des règles de partage des risques entre les deux co-contractants. Dans le cadre de ce type de contrats, pour en réduire le prix, le co-contractant peut également valoriser des capacités d'effacement.

Les CAPN ont vocation à couvrir jusqu'à 50 % des volumes d'électricité consommés par les industriels qui les souscrivent. Après la fin du dispositif d'Arenh, ce type de contrats de long terme constitue un élément indispensable et absolument déterminant de la compétitivité de l'industrie française. L'Uniden a souligné cet enjeu dans ses réponses écrites à la commission d'enquête : « ces contrats sont les seuls à même de répondre au besoin de compétitivité et de visibilité des industriels électro-intensifs ».

Du fait de leurs caractéristiques et de leur durée, les CAPN ne s'adressent qu'à un nombre limité de grosses entreprises disposant d'une surface financière confortable, de conditions d'endettement suffisamment favorables pour couvrir l'avance en tête et qui ne sont pas confrontées à des difficultés économiques.

Comme indiqué supra, actuellement, notamment en raison de la diminution des prix sur les marchés de gros, les négociations entre les industriels et EDF autour des CAPN sont particulièrement complexes. Elles achoppent principalement sur deux sujets majeurs :

- d'une part le montant de l'avance en tête ;

- d'autre part l'étendue et les règles du partage des risques de production (qui peut résulter de problématiques techniques mais aussi de la modulation des réacteurs résultant des aléas du système électrique et des prix sur les marchés) et de surcoûts des investissements.

Selon les sources, la commission d'enquête note que les besoins annuels en matière de CAPN oscilleraient entre 15 TWh et 30 TWh, soit entre 5 % et 8 % de la production prévisionnelle du parc nucléaire historique.

Sans que leur nature de contrat « at cost, at risk » soit remise en cause, des clauses prévoyant des engagements de livraisons minimums de volumes d'électricité semblent nécessaires.

2. Les CAPN posent plusieurs problèmes juridiques qu'il sera nécessaire d'éclaircir

Le caractère innovant des CAPN ne va pas sans certaines incertitudes juridiques, notamment liées à l'accueil que leur réservera la Commission européenne et aux risques de contentieux auxquels ils pourraient être exposés. Du fait de la position dominante d'EDF sur les marchés amont et aval de l'électricité en France, un premier risque juridique relève du risque d'abus de position dominante au sens du droit européen de la concurrence. Cet enjeu renvoie essentiellement au risque dit de « verrouillage de marché », qui s'entend du risque d'un phénomène d'éviction concurrentielle liée à la position dominante d'EDF. Il suppose qu'EDF ne capte pas une part trop importante du marché considéré, en l'occurrence celui de l'approvisionnement du secteur industriel électro-intensif.

Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête ainsi que dans son avis sur l'avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique747(*), la CRE a notamment souligné cet enjeu : « la possibilité pour EDF de proposer ce type de contrats de long terme avec partage de risque industriel ne doit pas conduire à un verrouillage d'un segment du marché (en l'occurrence, les plus grands industriels). EDF en tant qu'unique exploitant de centrales nucléaires en France est en effet le seul à pouvoir conclure ce type de contrats. De ce fait, ces contrats doivent être strictement indépendants de toute offre de fourniture d'EDF pour les clients concernés et ne doivent donner lieu à aucun avantage ou aucune contrainte pour le reste de l'approvisionnement hors base ».

Un autre risque juridique à expertiser est celui que la Commission européenne puisse considérer les CAPN comme des aides d'État aux bénéfices des industriels. Pour éviter ce risque, il est nécessaire qu'elle puisse estimer que ces contrats ont été conclu conformément à un comportement jugé rationnel d'un opérateur en économie de marché, ce que la Commission européenne qualifie « d'opérations réalisées dans des conditions normales de marché ». Cependant, le fait qu'EDF est désormais détenue à 100 % par l'État pourrait conduire la Commission européenne à se montrer plus sourcilleuse. Ainsi, pour juger du caractère constitutif ou non d'une aide d'État de ces contrats, la direction générale de la concurrence (DGCOMP) étudiera probablement en détail leurs paramètres et notamment le niveau des prix pratiqués.

Pour que le dispositif soit conforme au droit de l'Union européenne, il semble impossible de réserver l'éligibilité de ces contrats aux seuls clients français. Ils pourront ainsi profiter à des industriels étrangers.

Par ailleurs, et alors que dans ses réponses écrites à la commission d'enquête EDF a confirmé ne pas envisager à ce stade d'ouvrir les CAPN aux fournisseurs alternatifs, la conformité de cette exclusion pourrait être contestée. Il n'est pas exclu que des contentieux soient portés par certains fournisseurs sur cette question. À ce titre, dans ses réponses à la commission d'enquête, TotalÉnergies estime que les CAPN « devraient être ouverts à l'ensemble des fournisseurs qui souhaitent en bénéficier. À défaut, si ces contrats étaient réservés aux électro-intensifs, EDF ne devrait pas être autorisé à vendre d'autres produits à ces mêmes clients afin de ne pas fausser la concurrence entre fournisseurs ».

B. LA PHASE 2 D'EXELTIUM EST TOUJOURS AU POINT MORT TANDIS QUE POUR LES ENTREPRISES ÉLECTROSENSIBLES TOUT RESTE À CONSTRUIRE

1. Explicitement prévue par l'accord de novembre 2023, la phase 2 d'Exeltium est pourtant toujours au point mort

Le contrat conclu en 2008 entre EDF et le consortium Exeltium, qui se compose de 25 groupes industriels électro-intensifs, a été conclu pour une durée de 24 ans, prévoyant un volume d'électricité cumulé sur la période de 148 TWh, soit des livraisons annuelles, entre 2010 et 2034, pour une moyenne de 7,5 TWh et un prix censé refléter les coûts de développement et d'exploitation du parc nucléaire d'EDF.

Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, EDF mentionne que « le coût d'accès à l'énergie résulte, d'une part, du versement par Exeltium d'une avance en tête correspondant au coût d'investissement de la puissance globale demandée par Exeltium sur le parc nucléaire d'EDF (1,7 milliard d'euros) et, d'autre part, du prix proportionnel de l'énergie électrique consommée ».

Présentation d'Exeltium et de sa potentielle extension par l'Uniden

Exeltium est un schéma de fourniture long-terme avec EDF d'électricité indexée notamment sur les coûts de production du parc électronucléaire via un consortium. Ce schéma, qui permet de financer l'avance en tête avec EDF, a fait l'objet d'une approbation par la Commission Européenne.

Après quatorze années de fonctionnement (le démarrage des livraisons ayant débuté le 1er mai 2010), on peut considérer le bilan comme modérément satisfaisant, eu égard notamment à un niveau de prix qui a dérivé de façon significative par rapport à l'objectif initial. En revanche, du point de vue gouvernance, satisfaction des actionnaires-clients et des prêteurs, notation des agences de notation et fonctionnement global de la structure, il est indéniable qu'il s'agit d'un succès avec une structure sans égale dans le monde. La déconsolidation, dans les comptes des actionnaires-clients, de la dette contractée par Exeltium pour verser l'avance en tête demandée par EDF en 2010 (1,75 milliard d'euros) est également un des atouts significatifs de la structure.

La faiblesse d'Exeltium est clairement liée à l'imposition par la Commission européenne d'une option de sortie sans frais pour les clients à trois échéances (2020, 2025 et 2030) alors qu'Exeltium reste garante du remboursement de la dette et se trouve potentiellement exposée à des prix de marché de gros susceptibles d'être inférieurs au prix Exeltium.

Un consortium est tout à fait l'outil compatible avec un contrat long terme d'approvisionnement en énergie électrique. À ce titre, la phase 2 d'Exeltium (la Commission européenne ayant validé en 2008 un contrat de fourniture de 314 TWh sur vingt-quatre ans dont seuls 148 TWh ont pu être financés en 2010 du fait de la crise financière mondiale) est tout à fait appropriée pour des volumes supplémentaires destinés aux sites éligibles, jusqu'au terme du contrat, soit le 30 avril 2034. Des échanges exploratoires sont d'ailleurs intervenus à ce sujet avec la Commission au cours des deux dernières années.

D'autre part, un tel modèle qui permet de mobiliser une avance en tête à un taux réduit à travers l'effet de levier et surtout déconsolidée pour les actionnaires-clients (du fait que le consortium ne verse aucun dividende) et dont la structure de fonctionnement est transparente et optimisée, constitue certainement un mécanisme parfaitement adapté aux besoins des électro-intensifs, et donc extensible, voire duplicable. Il adresse par ailleurs le besoin structurel pour EDF d'une consommation en base élevée pour limiter le recours croissant à la modulation du parc nucléaire du fait de la priorité d'accès au réseau de la production des actifs renouvelables.

Les 25 actionnaires-clients actuels d'Exeltium couvrent d'ores et déjà une partie non négligeable des besoins des électro-intensifs en France, mais sa couverture pourrait être encore accrue sachant qu'un nombre de 50 sociétés pourrait être envisagé au vu des éligibilités historiques.

Source : réponses écrites de l'Uniden à la commission d'enquête

EDF, qui s'appuie notamment sur l'interprétation qu'en a fait la Commission européenne, ne considère pas que le contrat Exeltium, auquel le groupe semble peu favorable, constitue un contrat de partenariat industriel « at cost at risk » au même titre que les CAPN : « bien que dénommé contrat de partenariat industriel, les risques industriels supportés par Exeltium dans le cadre du contrat sont plafonnés et les avenants successifs au contrat n'ont eu de cesse de limiter cette exposition. La Commission européenne a d'ailleurs eu l'occasion, du fait notamment de ces limitations, de qualifier le contrat de « contrat de fourniture sophistiqué » (...). Ce contrat ne remplit pas les critères de partage de risques attendu pour la qualification de contrat at cost at risk ».

Lors de la négociation avec la Commission européenne en 2008 au sujet du dispositif Exeltium, le total des livraisons autorisées s'élevait à 314 TWh, soit 166 TWh de plus que les volumes prévus dans le contrat en cours jusqu'en 2034. L'accord de novembre 2023 prévoit explicitement la mise en oeuvre d'une phase 2 du contrat permettant d'atteindre le niveau autorisé en 2008 par la Commission européenne.

Compte-tenu du regard critique d'EDF sur l'évolution qui a été celle du dispositif Exeltium et des attentes des industriels, les négociations sur les paramètres d'un nouveau contrat visant à étendre ce mécanisme s'annoncent particulièrement complexes. À ce stade, à la connaissance de la commission d'enquête, elles ne semblent pas avoir évolué depuis novembre 2023. Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, l'Uniden indiquait ainsi que, « selon Exeltium, aucune négociation n'est en cours sur le sujet avec EDF, et l'Uniden n'a pas d'information sur d'éventuelles perspectives de négociation en vue de la mise en oeuvre de la phase 2 d'Exeltium, telle qu'elle a été prévue dans l'accord du 14 novembre 2023 entre l'État et EDF ».

Pourtant, la commission d'enquête considère qu'il est nécessaire que la situation se débloque tant ce dispositif détermine la compétitivité des industriels électro-intensifs qui en sont parties prenantes, notamment vis-à-vis de leurs concurrents étrangers.

2. Prometteuse, l'hypothèse de contrats collectifs d'allocation nucléaire pour les entreprises électrosensibles reste à confirmer

Outre les CAPN et la phase 2 d'Exeltium qui s'adressent aux industriels électro-intensifs, l'accord de novembre 2023 a l'ambition de créer un nouveau type de contrats de long terme, inspiré des CAPN mais adapté aux entreprises électrosensibles qui n'ont pas les moyens de payer les avances en tête prévues dans le cadre des CAPN. Toujours au stade de la réflexion, ces dispositifs en devenir sont parfois qualifiés de « contrats collectifs d'allocation nucléaire » (CCAN) ou de CAPN simplifiés.

Contrairement aux CAPN qui sont conclus entre les industriels, le cas échéant regroupés en consortium, et EDF, les CCAN seraient intermédiés dans le cadre d'un montage, en cours de définition, qui impliquerait Bpifrance.

Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête, France industrie estime que les besoins associés à ce type de contrats pourraient s'élever à environ 15 TWh.

La commission d'enquête estime qu'un tel outil pourrait être un facteur de compétitivité pour les entreprises électrosensibles en capacité de s'engager sur des périodes longues mais qui ne pourraient pas assumer financièrement le coût des avances en tête des CAPN ni le partage des risques qu'ils supposent. Les réflexions des parties prenantes doivent donc se poursuivre pour concevoir dans les meilleurs délais un dispositif qui répondra aux besoins des secteurs économiques concernés au nombre desquels figurent748(*) notamment ceux de la métallurgie, des matériaux, de l'agro-alimentaire, des centres de données, des transports ou encore de l'eau.

III. UN CFD SUR LE PARC NUCLÉAIRE : UNE NÉCESSITÉ POUR PROTÉGER EDF ET LES CONSOMMATEURS DES FLUCTUATIONS ERRATIQUES DES MARCHÉS

Parce qu'il présente de nombreux avantages tant pour EDF que pour les consommateurs et que les difficultés juridiques parfois alléguées à son encontre ne sont à ce jour pas réellement étayées, il est nécessaire de mettre en place une régulation sous forme de CfD sur le parc nucléaire historique.

A. UN CFD SUR LE PARC NUCLÉAIRE HISTORIQUE : UNE SOLUTION PROTECTRICE POUR LES CONSOMMATEURS ET EDF

Comme rappelé supra, les autorités françaises ont négocié avec constance et succès au niveau européen la possibilité pour chaque État-membre de mettre en oeuvre des CfD sur l'ensemble des capacités de production décarbonées déjà existantes, c'est-à-dire, y compris le parc nucléaire existant français. Cet aboutissement peut être considéré comme un grand succès tant « ce cadre répond aux positions défendues lors de la négociation par les autorités françaises, aux positions défendues par EDF jusqu'en 2022 et au consensus des économistes du secteur. Il tire profondément les conséquences du retour d'expérience de la crise énergétique, mais également de l'impact des périodes de prix bas entre 2015 et 2019 sur le système électrique français et européen, ainsi que d'une décennie d'échanges entre les autorités françaises et la Commission européenne »749(*).

Parce qu'il sécurise et donne une visibilité de long terme sur les prix de vente de l'électricité de ce parc, un CfD bidirectionnel, qu'il soit basé sur un prix pivot unique ou, le cas échéant, sur un corridor de prix (définissant un prix plancher et un prix plafond), garantirait une protection réelle tant pour le consommateur que pour EDF et même le contribuable qui n'aurait pas à être sollicité pour recapitaliser notre fleuron électrique national dont la situation serait mise en péril par une période de prix bas prolongée.

Au cours de son audition devant le Sénat, Pierre Jérémie, directeur de cabinet adjoint de la ministre de la transition énergétique, qui a activement participé à l'ensemble du processus de négociation a ainsi déclaré que le CfD « offre ainsi une possibilité de régulation, permettant de traiter les cas où le libre jeu du marché ne conduirait pas à dégager des prix égaux aux coûts (...). In fine, cela permet de faire bénéficier durablement les consommateurs des justes coûts complets du système plutôt que des prix de marché volatils dépendant des coûts des centrales marginales. Dans le même temps, cela permet également, en période de prix de marché bas, de sécuriser les coûts complets des producteurs, notamment pour les technologies les plus intenses en capital ».

Le cadre sécurisant et porteur de visibilité de long terme du CfD s'impose d'autant plus que tout porte à croire, et les prévisions de RTE le confirment, que les prix de marchés sont appelés à devenir de plus en plus volatils dans les années à venir. À l'occasion de la crise que nous venons de traverser avec difficultés, le constat a été établi de façon unanime que les marchés de gros ne permettaient pas de donner les signaux de long terme nécessaires aux investissements dans la décarbonation et exposaient les consommateurs à des fluctuations de prix insupportables. Pour y remédier l'Union européenne, largement encouragée par les efforts français, qu'il faut saluer, a, en conséquence, adopté des mesures. Or, le Gouvernement renonce à y recourir pour rejeter les consommateurs et EDF dans les affres des fluctuations erratiques des marchés de gros de l'électricité.

Il n'est définitivement pas raisonnable de faire reposer des enjeux si considérables pour l'avenir de notre pays sur le pari que les prix de marché, cette fois-ci, finiront par converger naturellement vers les coûts de production du parc nucléaire. La théorie économique démontre que c'est une illusion dangereuse.

Par ailleurs, comme cela a été exposé supra, le choix d'un dispositif régulé de type CfD, parce qu'il conduit à sensiblement réduire les risques portés par le producteur, se traduit par une réduction du taux nécessaire à la rémunération de ses actifs et, par voie de conséquence, par une diminution du coût complet de production. Pour le parc nucléaire existant, la CRE a mesuré cet effet à environ 5 euros par MWh.

La commission d'enquête a été frappée par le nombre des acteurs du secteur de l'électricité qu'elle a entendu qui n'ont pas compris le changement de pied du Gouvernement sur la régulation du parc nucléaire existant tant l'option du CfD semblait faire l'unanimité. En définitive, en dehors de la direction d'EDF et du Gouvernement il semble même difficile de trouver des détracteurs à cette formule de régulation. Un tel isolement conduit nécessairement la commission d'enquête à s'interroger sur la solution retenue au terme d'une négociation « en vase clos ».

Les représentants des industriels n'ont ainsi pas caché à la commission leur incompréhension et leur désappointement devant la volte-face du Gouvernement. À titre d'exemple, dans ses réponses à la commission d'enquête, France chimie souligne qu'elle a « soutenu la position du Gouvernement visant à autoriser ces CfD pour les capacités de production nucléaire et se félicite que le compromis final ait retenu cette approche. Malheureusement, le Gouvernement ne capitalise par sur ce succès politique remporté au niveau européen. Cet outil aurait grandement simplifié le juste partage de la rente du parc nucléaire national et aurait assuré une visibilité suffisante à tous les acteurs du marché pour mener les investissements nécessaires à une transition énergétique compétitive ». L'Uniden est exactement sur la même ligne : « l'Uniden a proposé, pour le premier volet portant sur la régulation d'ensemble, l'adoption d'un dispositif prévisible et compréhensible par les entreprises, qui réponde aussi bien pour les industriels aux objectifs précités qu'au besoin d'un prix accessible pour les autres catégories de consommateurs tout en assurant la nécessaire protection de la trajectoire financière d'EDF tout en donnant à EDF des incitations à améliorer sa performance industrielle : celui du contrat pour différence appliqué à une partie du nucléaire existant, dont la possibilité a été introduite (grâce à l'action résolue de la France) dans la version révisée de la directive portant organisation du marché de l'électricité qui a fait l'objet d'un accord en trilogue fin décembre dernier ».

Si le 23 mai 2024750(*) le ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie a semblé exclure l'hypothèse d'un « retour » de l'option du CfD à la faveur de la future clause de revoyure de l'accord de novembre 2023, la commission d'enquête ne peut que noter cependant que l'article 11 de l'avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique maintenait ouverte cette perspective en proposant de modifier le code de l'énergie pour y inclure un dispositif de complément de rémunération (la dénomination des CfD actuels dans le code de l'énergie) dédié aux installations nucléaires.

B. SORTIR DE L'IMPASSE ET METTRE EN PLACE UN CFD SUR LE PARC NUCLÉAIRE EXISTANT À UN PRIX SITUÉ ENTRE 60 ET 65 EUROS LE MWH

Alors que rien n'indique que la Commission européenne verrait d'un mauvais oeil l'introduction d'un tel dispositif en France, il est urgent d'appliquer ce modèle de régulation pour enfin parvenir à atteindre l'objectif de faire converger les prix de l'électricité en France avec la compétitivité incomparable des coûts de production de son mix électrique.

1. Rien ne permet d'affirmer que la Commission européenne demanderait une réorganisation structurelle d'EDF en contrepartie d'un CfD

Aujourd'hui, le seul argument avancé par EDF pour expliquer son changement complet de posture à l'égard du CfD est le risque que la Commission européenne exige, en contrepartie, des réorganisations structurelles du groupe. Cependant, aux yeux de la Commission d'enquête, cette explication est à la fois incohérente et insatisfaisante.

Incohérente d'abord car ce sujet n'est pas apparu en 2022. Il préexistait au changement de position d'EDF. Incohérente encore car, au contraire, les développements infra le démontrent, ce risque est moins fort depuis la réforme du marché européen de l'énergie de 2023 qu'il ne pouvait l'être avant. Insatisfaisante enfin car, malgré les demandes répétées de la commission d'enquête à l'ensemble des acteurs du secteur et, au premier rang desquels EDF, l'État et la Commission européenne, et malgré la consultation de documents confidentiels ayant trait à ce sujet, rien ne permet aujourd'hui d'affirmer que ce risque est réel. Aucun élément concret et probant n'a pu être porté à la connaissance de la commission d'enquête par ceux qui mettent en avant cet argument qui, au regard de sa sensibilité, a surtout l'allure d'un « épouvantail » commode. Cette question qui ne fait l'objet que d'allusions imprécises semble entourée d'un étrange mystère que personne n'est en mesure d'expliquer.

Il est certes avéré que, parce qu'elle suppose une garantie de prix au producteur (un prix plancher), une régulation sous forme de CfD serait considérée comme une aide d'État qui devrait être approuvée par la direction générale de la concurrence (DGCOMP) de la Commission européenne. Il est également certains que la position dominante d'EDF sur les marchés amont et aval de l'électricité en France conduirait la Commission européenne à être vigilante à son égard. Mais, en toute hypothèse, les aides qui seront demandées dans le cadre du financement du programme de nouveau nucléaire ou un éventuel besoin de recapitalisation du groupe en cas de prix bas prolongés seront également considérés comme des aides d'État et devront être négociées avec la DGCOMP et approuvées par la Commission européenne.

Récemment cependant, plusieurs éléments de contexte, des évolutions du droit de l'Union européenne ou encore des exemples étrangers, semblent au contraire aller dans le sens d'une approche particulièrement ouverte de la Commission européenne à l'égard d'un CfD sur le parc nucléaire existant d'EDF.

En premier lieu, l'approche de l'Union européenne à l'égard de l'énergie nucléaire a beaucoup évolué récemment. Cette nouvelle approche s'est largement traduite dans le droit de l'Union européenne. La réforme du marché européen de l'électricité en est le meilleur exemple. Cette réforme prévoit explicitement la possibilité pour les États-membres de mettre en place un CfD sur leurs moyens de production décarbonés existants. En pratique, la raison d'être de cette disposition est de s'appliquer au parc nucléaire historique français. Elle a été spécifiquement intégrée au texte, à la demande de la France, dans cette perspective. Certes, les contempteurs du CfD indiquent qu'il ne s'agit que d'une réforme de la réglementation sectorielle et qu'en revanche la réglementation relative aux aides d'État, qui est appliquée par la DGCOMP, n'a quant à elle pas été assouplie. Cette affirmation est exacte mais il ne peut être contesté que cette nouvelle réglementation change le contexte dans lequel la Commission européenne sera amenée à analyser le CfD et crée une réelle « présomption de compatibilité ».

Auditionné devant la commission d'enquête, Pierre Jérémie a ainsi déclaré : « selon les échanges que j'ai eus avec la Commission en 2023, le règlement Market design institue ce que l'on pourrait appeler une présomption de compatibilité : comme il existe une disposition dans le droit sectoriel permettant de recourir aux CFD, y compris sur le nucléaire existant à l'occasion des prolongations, la Commission devrait en tenir compte. Sans doute, les deux législations opèrent dans des champs séparés, mais il existe un lien de présomption entre les deux ». D'après ces éléments, il semble que la Commission européenne a bien admis que la nouvelle réglementation sectorielle créait une « présomption de compatibilité » en faveur d'une régulation sous forme de CfD appliquée aux actifs de production existants tels que le parc nucléaire historique français.

Un autre point, soulevé par plusieurs acteurs et souligné par la Cour des comptes comme par l'Autorité de la concurrence, plaide dans le sens d'une approche constructive de la Commission européenne. Celle-ci pourrait être amenée à considérer, comme elle l'avait fait pour l'Arenh, qu'un CfD a au contraire des effets « pro-concurrentiels » sur le marché français de l'électricité en réduisant la position dominante d'EDF et en favorisant la concurrence sur le marché aval de détail.

Cette position a notamment été développée par la Cour des comptes dans un rapport de 2022 sur l'organisation des marchés de l'électricité : « la concentration de la production nucléaire historique au sein d'EDF et son caractère non réplicable avaient été qualifiés, dans la décision de 2012 de la Commission sur les TRV198, de « défaillance de marché » et avait justifié la proposition de création de l'Arenh. Dans la mesure où cette situation n'a pas évolué, il est probablement possible de proposer une nouvelle intervention publique sur ce motif ». Cette interprétation a également été avancée par l'Autorité de la concurrence dans un avis rendu le 21 janvier 2019751(*) : « la France pourrait probablement soutenir qu'une régulation prolongée de la production électronucléaire en France est nécessaire au maintien de la concurrence sur le marché de détail tout en restant compatible avec les règles de fonctionnement du marché intérieur de l'énergie ».

D'autres acteurs du secteur de l'énergie ont également confirmé à la commission d'enquête que dans la mesure où les volumes d'électricité placés sous CfD seraient librement accessibles à l'ensemble des fournisseurs, cette modalité de régulation aura un effet positif sur la concurrence du secteur aval, c'est-à-dire sur le marché de détail. Cet argument jouerait très certainement en faveur de ce type de régulation aux yeux de la Commission européenne.

Des acteurs de la négociation européenne ont également indiqué à la commission d'enquête que, paradoxalement, l'opposition très résolue d'EDF en 2023 à l'option du CfD aurait même convaincu les services de la Commission européenne que ce mode de régulation était plutôt de nature à limiter la position dominante du groupe et à corriger ce qu'elle considère être des défaillances de marché en France. Un acteur direct des négociations avec la Commission européenne a ainsi pu indiquer à la commission d'enquête que « pour ceux au sein de la Commission convaincus de l'existence d'un problème concurrentiel sur le marché français que le CfD concourait à résoudre, l'opposition alléguée d'EDF à cette option servait de confirmation concrète de leurs convictions ». Toujours d'après cet acteur, cette situation explique peut-être les raisons pour lesquelles, au cours de premiers échanges exploratoires, la Commission européenne s'était montrée ouverte à la régulation du parc nucléaire français par un CfD.

Outre le CfD négocié et approuvé par la Commission européenne752(*) pour le projet Hinkley Point, un autre précédent, en Belgique, permet également de conforter l'hypothèse d'une mise en oeuvre d'un CfD sur le parc nucléaire en exploitation en France. Cet exemple est d'autant plus intéressant que Electrabel, détenue à 100 % par Engie occupe une position dominante sur le marché de la production d'électricité en Belgique comparable à celle d'EDF en France. Or, Electrabel a pu adosser à un CfD la prolongation de l'exploitation de réacteurs nucléaires en exploitation en Belgique sans que la Commission européenne ne lui demande de réorganisation structurelle.

Malgré ses demandes réitérées la commission d'enquête n'a jamais pu avoir à sa disposition d'éléments probants attestant le fait que la Commission européenne exigerait d'EDF une réforme structurelle de son organisation du type « Hercule » en contrepartie d'un CfD. Et comme nous l'avons vu la réorganisation structurelle du groupe prévue dans le cadre du projet « Hercule » n'était pas demandée par la Commission européenne mais souhaitée, dès l'origine du projet, par EDF et l'État et supposait un CfD. Rien ne permet donc de conclure que la mise en oeuvre d'une régulation sous forme de CfD supposerait la réplication d'une réorganisation structurelle de type « Hercule ».

L'évolution que demanderait très probablement la Commission européenne en cas de mise en oeuvre d'une régulation sous forme de CfD du parc nucléaire en exploitation est une séparation comptable entre les activités de production de ce parc et les activités de commercialisation d'EDF. Cette demande viserait à s'assurer que le soutien apporté à l'activité de production nucléaire en cas de prix de marché inférieurs à ses coûts de production ne soit pas utilisé, sous forme de subventions dites « croisées », pour améliorer la compétitivité des activités de commercialisation de l'opérateur sur le marché aval. Cependant, comme décrit supra, le modèle actuel de l'accord de novembre suppose déjà lui aussi une identification très précise et une transparence parfaite des flux concernant le parc nucléaire historique. Cette exigence avait même été introduite dans l'avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique.

2. Le Gouvernement devrait mettre en oeuvre un CfD bidirectionnel garantissant à EDF et aux consommateurs un prix situé entre 60 et 65 euros par MWh

Compte-tenu de l'ensemble des faiblesses de l'accord conclu en novembre 2023 et de ses difficultés manifestes de mise en oeuvre, la commission d'enquête estime qu'il est urgent de sortir de l'impasse et de mettre en place une véritable régulation du parc nucléaire historique sous la forme d'un CfD.

Ce CfD devrait inclure l'ensemble de la production annuelle du parc nucléaire en exploitation à l'exclusion des volumes livrés dans le cadre de contrats de long terme.

Le détail du fonctionnement d'un CfD adossé à la production du parc nucléaire historique a déjà été expertisé par les services de l'État compétents et présenté dans plusieurs notes internes produites en 2022 et en 2023.

Les flux financiers générés par ce CfD devraient in fine être imputés aux consommateurs et non pas au budget de l'État. Ces flux transiteraient par un fonds de compensation, faisant l'interface entre les fournisseurs et EDF. Dès lors que les prix de marchés se situeraient en dessous du prix plancher, les fournisseurs alimenteraient ce fonds à hauteur de la différence constatée entre une moyenne des prix de marchés et le prix plancher du CfD. Inversement, en cas de prix de marchés supérieurs au prix plafond du CfD, le producteur alimenterait le « fonds CfD » qui reverserait les sommes considérées aux fournisseurs qui auraient l'obligation stricte de répercuter à l'euro près ce reversement à leurs clients. Ce dispositif ne serait pas optionnel et les fournisseurs devraient y souscrire pour pouvoir avoir accès à la production du parc nucléaire existant.

Le CfD devrait également inclure des dispositifs d'incitation à la performance permettant de garantir la productivité du parc nucléaire en exploitation.

Pour ne pas reproduire l'erreur de l'Arenh, les règles de fixation et d'évolution du prix pivot ou du corridor de prix de ce CfD devraient être définies dans la loi de façon très précise et mises en oeuvre par le régulateur de façon indépendante. Ces règles devraient s'appuyer sur une évaluation du coût comptable complet du parc nucléaire existant, sur le modèle de la méthode mise en pratique par la CRE, ainsi que, le cas échéant sur une estimation de la contribution d'EDF aux investissements nécessaires au programme de nouveau nucléaire. L'ajout d'une « brique » ayant pour vocation de couvrir tout ou partie de cette contribution de l'opérateur aux investissements nécessaires à la construction d'un nouveau parc de réacteurs EPR 2 pourrait à ce titre justifier le choix d'un corridor de prix ou d'un prix pivot sensiblement supérieur au coût complet comptable du parc existant.

En toute hypothèse, la commission d'enquête estime qu'il est légitime que ce CfD, et donc la compétitivité du parc nucléaire historique, puisse servir à financer le programme de nouveau nucléaire. Cette approche nécessite donc nécessairement :

- soit d'établir un corridor de prix qui pourrait se situer entre le coût comptable complet du parc existant calculé par la CRE, soit environ 60 euros par MWh, et un montant intégrant la couverture des investissements dans le programme de nouveau nucléaire à la charge d'EDF, montant qui pourrait ainsi avoisiner les 65 euros par MWh ;

- soit de fixer un prix pivot d'emblée supérieur aux coûts complets du parc en exploitation, à un niveau qui pourrait par exemple, en première approximation, se situer entre 60 euros par MWh et 65 euros par MWh.

Il ressort des échanges qui ont eu lieu lors des négociations de la réforme du marché européen de l'énergie que la principale crainte des États-membres, au premier rang desquels l'Allemagne, qui étaient opposés à l'idée d'un CfD sur le parc nucléaire français, était que le prix plancher de ce CfD soit fixé à un niveau trop bas et qu'il constitue une distorsion de concurrence indue au bénéfice de l'industrie française. Ces pays ne devraient pas voir d'un mauvais oeil l'intégration du financement du programme de nouveau nucléaire dans le calcul des prix de référence du mécanisme de régulation.

À terme, la commission d'enquête considère qu'il sera nécessaire d'intégrer l'ensemble des moyens de production décarbonés du mix électrique national dans ce dispositif de régulation sous forme de CfD, ce qui permettrait de rapprocher les prix de l'électricité du coût de production de plus de 90 % des centrales composant le mix national.

Une telle perspective donnerait aux consommateurs une grande visibilité sur le niveau de leurs factures et sur la compétitivité de long terme du prix de l'électricité en France. Seule une part extrêmement résiduelle du volume d'électricité consommée, essentiellement la mise en route de capacités thermiques pour répondre aux pointes de consommation, serait encore soumise aux aléas du marché, soit un maximum de 10 % à 15 % du prix total.

Pour s'assurer de son impact concret, la commission d'enquête suggère que la CRE réalise de façon périodique des évaluations de l'efficience de la régulation sous forme de CfD.

La commission d'enquête a étudié la possibilité et l'opportunité de mettre un terme anticipé au dispositif d'Arenh pour lui substituer dès 2025 une régulation sous forme de CfD. Cependant, compte-tenu du délai nécessaire à la conception de cette nouvelle régulation, et notamment à la détermination nécessairement très rigoureuse de la méthode de calcul et d'actualisation de son prix, ainsi qu'aux procédures de négociations avec la Commission européenne, il n'apparaît pas réaliste d'envisager qu'elle puisse être mise en oeuvre d'ici six mois. Par ailleurs, à très court terme, du fait de la baisse des prix de marché et compte-tenu de la valorisation de l'Arenh à 42 euros par MWh, une mise en oeuvre anticipé de la régulation pourrait se traduire par un effet inflationniste sur les prix payés par les consommateurs en 2025. Pour ces raisons, la commission d'enquête recommande que la nouvelle régulation du nucléaire historique sous forme de CfD entre en vigueur en 2026 après l'extinction du dispositif d'Arenh.

Recommandation n° 29

Destinataire

Échéance

Support/Action

Mettre en place un CfD sur le parc nucléaire historique fonctionnant au moyen d'un fonds de compensation géré par la CDC ou tout autre organisme et ayant vocation à être étendu à l'ensemble des moyens de production décarbonés.

État, EDF

2026

Législatif et règlementaire

C. LA CONSTRUCTION DES TRVE DEVRA ÊTRE BEAUCOUP PLUS PROTECTRICE POUR LES CONSOMMATEURS ET RÉDUIRE LEUR EXPOSITION AUX VARIATIONS ERRATIQUES DU MARCHÉ

Le modèle de régulation que recommande la commission d'enquête prenant la forme d'un CfD sur le parc nucléaire historique ayant vocation à être étendu à l'ensemble des moyens de production d'électricité décarboné et dont les effets se répercuteraient intégralement sur les consommateurs conduirait nécessairement à rendre les TRVe beaucoup plus protecteurs, stables et proches des coûts complets du mix de production national qu'aujourd'hui ou dans le modèle retenu par le Gouvernement dans le cadre de l'accord de novembre 2023.

Comme décrit supra dans les développements relatifs au fonctionnement des marchés de détail de l'électricité, principalement du fait du mécanisme « d'écrêtement » des droits d'Arenh, les TRVe ont complètement perdu le caractère protecteur des fluctuations erratiques des marchés qui constitue pourtant leur légitimité et leur raison d'être. L'accord de novembre 2023 accentuerait encore davantage ce phénomène puisqu'il exposerait en totalité les TRVe aux aléas des marchés. En effet, selon les dispositions retenues dans l'accord, et comme l'a confirmé la CRE à la commission d'enquête et dans des délibérations récentes, 100 % de la part « approvisionnement en énergie » de la construction des TRVe serait déterminée en fonction de la moyenne des prix de marchés à terme constatée au cours des deux années précédentes. À ce titre, les réponses écrites de la CRE à la commission d'enquête ne souffrent absolument aucune ambiguïté : « l'intégralité des volumes actuellement couverts par la part approvisionnement en énergie des TRVe sera approvisionné sur les marchés de gros de l'électricité de manière lissée sur deux ans ».

La commission d'enquête considère que cette situation n'est pas souhaitable et qu'elle pourrait même, à terme, fragiliser juridiquement la pérennité des TRVe.

En effet, selon la jurisprudence constante du Conseil d'État, la validité juridique des TRVe au regard du droit national et, par voie de conséquence du droit de l'Union européenne qu'il ne fait que transposer, est strictement conditionnée au fait qu'ils poursuivent « un objectif d'intérêt économique général de stabilité des prix de l'électricité ». Inversement, le même Conseil d'État a imposé la suppression des tarifs réglementés de vente de gaz (TRVg) dans la mesure où, puisqu'ils étaient davantage corrélés aux prix de marchés, ils ne répondaient pas à cet objectif de stabilité.

En dépit des leçons qui auraient dû être tirées de la crise des prix de l'énergie, le dispositif choisi par le Gouvernement met en danger les TRVe et remet en cause leur raison d'être en les exposant intégralement aux aléas des marchés de gros. La commission d'enquête recommande de faire exactement l'inverse en fixant une ligne fondée sur le respect de quatre grands principes, à savoir des TRVe :

- préservés ;

- plus protecteurs ;

- corrélés avec les coûts complets de production du mix électrique ;

- et plus stables.

La première priorité est de s'assurer que les TRVe soient bien préservés après 2025. Pour cela, le Gouvernement doit tout mettre en oeuvre au sein des instances européennes et auprès de ses partenaires pour veiller à la pérennisation dans le droit de l'Union européenne de la possibilité laissée aux États-membres d'appliquer des tarifs réglementés pour certaines catégories de consommateurs.

Il s'agira en effet de veiller à ce que la Commission européenne ne mette pas en oeuvre la possibilité de mettre fin aux tarifs réglementés que lui octroie le 10ème paragraphe de l'article 5 de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité : « au plus tard le 31 décembre 2025, la Commission réexamine la mise en oeuvre du présent article visant à parvenir à une fixation des prix de détail de l'électricité fondée sur le marché, et présente un rapport sur cette mise en oeuvre au Parlement européen et au Conseil assorti ou suivi, s'il y a lieu, d'une proposition législative. Cette proposition législative peut comprendre une date de fin pour les prix réglementés ».

Le système de régulation sous forme de CfD recommandé par la commission d'enquête se traduira mécaniquement par des TRVe plus protecteurs, car beaucoup moins exposés aux prix de marchés qu'aujourd'hui et également très largement corrélés aux coûts complets de production du mix électrique et en particulier à la compétitivité du parc électronucléaire en exploitation.

La commission souligne que, contrairement au dispositif retenu par le Gouvernement en novembre 2023, le dispositif de régulation qu'elle propose permettra de tenir la promesse qu'avait faite le Président de la République lors de son discours de Belfort : « nous mettrons en oeuvre, en accord avec la Commission européenne, une nouvelle régulation de l'électricité nucléaire (en remplacement de l'Arenh) afin que les consommateurs français, ménages et entreprises, puissent bénéficier de prix stables, proches des coûts de production de l'électricité en France ».

En effet, dans le scénario recommandé par la commission d'enquête, la part approvisionnement en énergie de la construction des TRVe serait structurellement dépendante du prix pivot ou du corridor de prix du CfD qui régulerait les revenus du parc nucléaire national. Cela signifie qu'au moins 60 % à 70 % de la part approvisionnement en énergie des TRVe serait structurellement stable entre 60 et 65 euros par MWh. Dans l'hypothèse, à terme, où une régulation de type CfD pourrait être étendue à l'ensemble des moyens de production décarbonés, hydraulique compris, c'est au moins 90 % de la part approvisionnement qui serait structurellement calculée sur le prix stable de cette régulation. Ce n'est qu'une part extrêmement résiduelle de moins de 10 % de la part approvisionnement en énergie qui se retrouverait ainsi encore exposée à l'évolution des prix de marchés. Pour rappel, avant application des mesures de « bouclier tarifaire », la proportion de la part approvisionnement en énergie des TRVe exposée aux aléas des prix de marchés a atteint 90 % en 2023 et le modèle soutenu par le Gouvernement l'expose quant à lui de façon structurelle à 100 %.

Le niveau de prix garanti par la régulation de type CfD étant calculé sur la base des coûts complets de production des centrales, moyennant une contribution aux investissements d'EDF dans le programme de nouveau nucléaire, les TRVe reflèteront de façon infiniment plus fidèle les coûts de production de notre mix électrique qu'aujourd'hui ou que dans le modèle proposé par le Gouvernement. Ils permettront aux consommateurs français de réellement bénéficier de la compétitivité incomparable du parc nucléaire national, que leurs aïeux ont d'ailleurs largement contribué à financer à travers les prix de l'électricité.

Par rapport au modèle actuel de tarif règlementé, dans le scénario proposé par la commission d'enquête, la part approvisionnement en énergie des TRVe pourrait presque être divisée par deux, passant de 125 euros par MWh aujourd'hui à environ 70 euros par MWh demain. Pour un foyer chauffé à l'électricité dans un appartement de quatre pièces qui consommerait environ 6 MWh par an, la baisse de prix correspondante sur sa facture d'électricité atteindrait 330 euros. Cette réduction représente plus de 20 % de la facture annuelle en 2024 (1 500 euros) de ce type de ménage.

Toutefois ce n'est pas tant la réduction de ce montant qui est importante et sécurisante pour le consommateur. Dans le système actuel comme dans le modèle soutenu par le Gouvernement, une baisse de même ampleur pourrait également être constatée dans l'hypothèse d'une diminution forte et durable des prix de marchés. L'essentiel dans la proposition de la commission d'enquête tient à la stabilité dans le temps de la part approvisionnement en énergie des TRVe qui serait structurellement insensibilisée aux aléas intempestifs des marchés quand le modèle choisi par le Gouvernement l'expose au contraire dans sa totalité à leurs fluctuations imprévisibles.

Une diminution attendue des TRVe en 2025

De façon mécanique, en raison de la baisse des prix sur les marchés de gros de l'électricité, le niveau des TRVe en 2025 sera amené à diminuer. En retenant l'hypothèse que la moyenne des prix de marchés constatés en 2024 serait la même que celle qui a été observée au cours des cinq premiers mois de l'année 2024, et toutes choses égales par ailleurs, la commission d'enquête estime que les TRVe TTC pourraient baisser de plus de 20 % en 2025.

En juin 2024, la Gouvernement s'est quant à lui engagé à une diminution de l'ordre de seulement 10 % à 15 % en précisant que ce scénario s'inscrivait dans une perspective de sortie complète du dispositif de « bouclier tarifaire » qui signifie un retour au niveau de fiscalité sur la consommation électrique qui prévalaient avant la crise, c'est-à-dire une augmentation de 21 euros par MWh à 32 euros par MWh du tarif normal d'accise sur l'électricité.

Source : commission d'enquête

Recommandation n° 30

Destinataire

Échéance

Support/Action

Rendre les TRVe plus protecteurs et plus stables en les adossant sur les volumes d'électricité vendus dans le cadre d'une régulation sous forme d'un CfD, le cas échéant étendue à l'ensemble des moyens de production décarbonés.

Gouvernement (ministère chargé de l'énergie)

CRE

2026

Législatif et règlementaire

IV. L'ÉLECTRICITÉ, PRODUIT DE PREMIÈRE NÉCESSITÉ, DOIT ÊTRE MOINS IMPOSÉE

La commission d'enquête estime que la fiscalité constitue un levier sur lequel il est possible d'agir pour :

- encourager la décarbonation et l'électrification des usages ;

- promouvoir la compétitivité de notre économie et de nos entreprises ;

- favoriser le pouvoir d'achat des ménages en réduisant le coût de leurs factures pour ce qui constitue un bien de première nécessité essentiel à la transition écologique.

A. DANS TOUTE SA DIVERSITÉ, LA FISCALITÉ REPRÉSENTE UN TIERS DE LA FACTURE D'ÉLECTRICITÉ DES CONSOMMATEURS

Depuis les années 2000 et avant la crise de l'énergie de 2022-2023, la hausse de la fiscalité a été la principale cause d'augmentation des prix de l'électricité, sa part dans la facture évoluant sur cette période de 25 % à près de 35 %.

1. Une part de la fiscalité dans les factures qui a augmenté pour représenter un tiers du prix final de l'électricité

Postes de coûts couverts par la facture au tarif règlement de vente d'électricité pour un client résidentiel en 2023

Source : commission des finances du Sénat d'après l'observatoire des marchés de détail de l'électricité et du gaz naturel, Commission de régulation de l'énergie, mai 2024

En 2022 comme en 2023, pour protéger les consommateurs de la flambée des prix de l'électricité, dans le cadre du dispositif dit de « bouclier tarifaire », les tarifs de l'accise sur l'électricité ont été minorés à leur plus bas niveau autorisé par le droit de l'Union européenne (voir infra dans le C du présent IV). De ce fait, sur ces deux exercices, la part de la fiscalité dans les TRVe s'est repliée à moins de 20 %.

Postes de coûts couverts par la facture au tarif réglementé de vente d'électricité pour un client résidentiel en 2021

Source : commission des finances du Sénat d'après l'observatoire des marchés de détail de l'électricité et du gaz naturel, Commission de régulation de l'énergie, juillet 2021

Entre 2007 et 2021 la part représentée par la fiscalité dans la facture d'électricité moyenne payée par un ménage est passée de 25 % à près de 35 %.

Évolution de la part représentée par la fiscalité dans les TRVe

Source : commission d'enquête à partir des données du SDES

Dans son rapport de 2022 sur l'organisation des marchés de l'électricité, la Cour des comptes notait qu'entre 2007 et 2020, la fiscalité avait augmenté de 130 %, soit plus de 36 euros par MWh alors que la composante hors taxe de la facture ne progressait « que » de 44 %. À l'intérieur de cette composante hors taxe, sur cette même période, la part TURPE a augmenté de 28 % (+ 11 euros par MWh) et la part fourniture d'électricité de 22 % (+ 10 euros par MWh).

Le graphique ci-après illustre un décrochage net sur la période 2010-2016 entre, d'une part, les TRVe hors taxe et, d'autre part, les TRVe hors TVA. Les TRVe TTC suivent quant à eux la même pente que les TRVe hors TVA. Ce constat s'explique par l'augmentation très significative entre 2010 et 2016 de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) créée pour financer les dispositifs de soutien aux installations de production d'électricité renouvelable, la péréquation tarifaire avec les territoires d'Outre-mer et la tarification sociale.

Comparaison de l'évolution des TRVe hors taxe, hors TVA et TTC

(en euros par MWh)

Source : commission d'enquête à partir des données du SDES

En effet, entre 2010 et 2016, le tarif de CSPE a augmenté de 4,5 euros par MWh à 22,5 euros par MWh, soit une hausse de + 400 %. Jusqu'en 2016, cette contribution visait à répercuter dans les tarifs TTC des consommateurs le coût des dispositifs publics de soutien. Cette prise en charge via les tarifs a été abandonnée en 2016 au profit d'un financement par le budget de l'État. Il s'impute sur les compensations des charges de service public de l'énergie suivies sur le programme 345 « Service public de l'énergie » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ». La contribution a été maintenue depuis à son niveau de 2016753(*). À partir de cette date, la part de la fiscalité dans la facture moyenne des ménages français a légèrement décru.

Évolution des tarifs de la contribution au service public de l'électricité (CSPE)

(en euros par MWh)

Source : commission d'enquête

2. L'accise sur l'électricité est la descendante de la contribution au service public de l'électricité (CSPE)

Le 1er janvier 2022, l'ancienne taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE), elle-même descendante de la contribution au service public de l'électricité (CSPE), a été rebaptisée « fraction perçue sur l'électricité » de « l'accise sur les énergies »754(*).

Cette taxe est assise sur la quantité d'électricité fournie ou consommée, exprimée en mégawattheures (MWh). Ses tarifs de droit commun755(*) sont de 32,0625 euros le MWh pour les ménages et les petites entreprises, 25,6875 euros le MWh pour les petites et moyennes entreprises et 22,5 euros le MWh pour les entreprises dont la puissance de l'électricité fournie dépasse les 250 kilovoltampères (kVA).

Ces tarifs sont le résultat de la fusion entre ce qui constituait l'ancienne contribution au service public de l'électricité (CSPE), dont le tarif de droit commun pour les ménages était de 22,5 euros par MWh, et les anciennes taxes départementale et communale sur la consommation finale d'électricité. Ces deux taxes ont été intégrées à leur niveau plafond dans les tarifs de l'accise sur l'électricité en tant que majoration de celle-ci. L'ancienne taxe départementale a ainsi été intégrée à un niveau de 3,18 euros par MWh et l'ancienne taxe communale à un niveau de 6,37 euros par MWh, soit un tarif cumulé de 9,55 euros par MWh.

Le produit de ces taxes continue d'être perçu par douzièmes par les collectivités territoriales au moyen du compte de concours financier « Avances aux collectivités territoriales ».

Tarifs « normaux » de l'accise sur l'électricité

(en euros par MWh)

Catégories fiscales

(prévues à l'article L. 312-24 du CIBS)

Tarif « normal » en 2023

Ménages (puissance inférieure ou égale à 250 kVA) et assimilés (puissance inférieure ou égale à 36 kVA)

32,0625

Petites et moyennes entreprises

(puissance inférieure ou égale à 250 kVA)

25,6875

Haute puissance

(supérieure à 250 kVA)

22,5

Source : commission d'enquête

De nombreux tarifs réduits de l'accise s'appliquent à différents secteurs économiques. Des taux très réduits s'appliquent notamment aux secteurs industriels électro-intensifs, allant de 0,5 euros par MWh pour les hyper électro-intensifs à 7,5 euros par MWh, selon la part de consommation électrique dans la valeur ajoutée des entreprises concernées et leur exposition à la concurrence internationale. Ces tarifs réduits sont absolument déterminants pour assurer la compétitivité des filières industrielles françaises.

L'accise sur l'électricité est encadrée par les dispositions de la directive 2003/96/CE du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l'électricité. Cette directive fixe notamment, au tableau C de son annexe 1, les niveaux minimums de taxation de 0,5 euro par MWh pour les consommations professionnelles et 1 euro par MWh pour les consommations non professionnelles. À son article 5, elle établit les exonérations et taux de taxation différenciés compatibles avec le droit de l'Union européenne (UE).

Avant la crise des prix de l'énergie et la minoration des tarifs de l'accise mise en oeuvre à compter de 2022, son rendement annuel, en incluant les fractions affectées aux collectivités territoriales, représentait environ 10 milliards d'euros.

Rendement annuel de l'accise sur l'électricité entre 2017 et 2021

(en millions d'euros)

Source : commission d'enquête

3. La TVA représente 15 % de la facture d'électricité

Deux taux de TVA s'appliquent en matière d'électricité :

- un taux réduit de 5,5 % est appliqué aux abonnements pour des puissances souscrites inférieures ou égales à 36 kVA ainsi que sur la contribution tarifaire d'acheminement (CTA) pour ce même niveau de puissance ;

- le taux normal de 20 % s'applique quant à lui à la consommation d'électricité, à l'accise sur l'électricité, aux abonnements pour une puissance souscrite supérieure à 36 kVA et à la CTA pour ce même niveau de puissance.

La TVA représente environ 15 % de la facture d'électricité d'un ménage. D'après l'administration fiscale, le rendement moyen de la TVA sur les factures d'électricité des ménages avoisine les 4 milliards d'euros.

Les règles de la TVA sont régies par la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, dite directive « TVA ». Depuis la réforme de cette directive en 2022, la livraison d'électricité est expressément listée756(*) dans les opérations susceptibles de se voir appliquer un taux réduit757(*).

4. La contribution tarifaire d'acheminement (CTA)
a) La CTA représente environ 4 % de la facture d'électricité d'un ménage

Instaurée par l'article 18 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz naturel et aux entreprises électriques et gazières, la contribution tarifaire d'acheminement (CTA), contrairement à sa dénomination, sert à financer des droits, acquis avant le 1er janvier 2005, relatifs au régime spécial de retraite des entreprises de réseaux de transport et de distribution d'électricité et de gaz naturel.

Les tarifs de la CTA sont fixés par arrêté ministériel. Ils représentent un pourcentage de la part fixe hors taxe du TURPE.

Prévus par l'arrêté du 20 juillet 2021 relatif aux taux de la contribution tarifaire sur les prestations de transport et de distribution d'électricité et de gaz naturel, les taux en vigueur sont les suivants :

- 10,11 % pour les consommateurs raccordés au réseau public de transport d'électricité ou à un réseau public de distribution d'électricité de tension supérieure ou égale à 50 kilovolts ;

- 21,93 % pour les autres consommateurs raccordés aux réseaux publics de distribution d'électricité.

La CTA représente environ 4 % de la facture d'électricité d'un ménage pour un rendement en 2023 de 1,7 milliard d'euros.

b) Le régime spécial des industries électriques et gazières

Géré par la Caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG), le régime des industries électriques et gazières (RSIEG) couvre les salariés bénéficiant du statut national du personnel de ces industries. Il représente 312 000 personnes dont 136 279 cotisants en 2022.

Le régime de retraite des industries électriques et gazières

Le régime prévoit des modalités spécifiques de calcul des pensions de retraite, d'acquisition de trimestres, de majoration de pensions ou encore de durée d'assurance. La pension est calculée à partir de la rémunération des six derniers mois, en prenant en compte la prime de fin d'année qui correspond à un treizième mois.

L'âge d'ouverture du droit à la retraite pour les catégories sédentaires est de 62 ans, à compter de la génération 1962. Des anticipations de départ à la retraite, d'un an à cinq ans, sont attribuées aux salariés ayant effectué une partie de leur carrière dans des emplois classés en catégorie active, en fonction de seuils de durées de services actifs effectués.

Source : commission d'enquête

Depuis 2005, le RSIEG est adossé au régime général et au régime de retraite complémentaire des salariés du secteur privé. En pratique, la CNIEG recouvre les cotisations d'assurance vieillesse des affiliés du régime spécial et reverse à la Caisse Nationale d'Assurance-vieillesse (CNAV) et à l'Agirc-Arrco un montant équivalent au produit des cotisations qui seraient encaissées si ses cotisants relevaient du régime général et du régime de retraite complémentaire. En contrepartie, la CNIEG perçoit de la CNAV et de l'Agirc-Arrco un versement correspondant au montant des prestations qui seraient dues aux retraités du régime spécial s'ils relevaient du régime général et leur verse des pensions calculées selon les règles du régime spécial.

Pour assurer la neutralité financière de l'adossement pour le régime général, les employeurs des industries électriques et gazières (IEG) versent à la CNAV une « contribution exceptionnelle, forfaitaire et libératoire » dite « soulte CNIEG », dont 40 %, soit 3 milliards d'euros, ont été versés au Fonds de réserve pour les retraites (FRR) en 2005 et reversés à la CNAV en 2020. Les 60 % restants sont versés à la CNAV en 20 annuités, de 2005 à 2024, pour un total de 4,6 milliards d'euros. La CNIEG a ainsi versé en 2022 une « soulte » de 350,6 millions d'euros.

Fonctionnement financier du mécanisme
d'adossement de la CNIEG au régime général

Source : Sénat, Rapport n° 84 (2023-2024) fait au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2024

Les pensions versées par la CNIEG sont constituées :

- des « droits adossés » correspondant aux montants reversés par le régime général et le régime de retraite complémentaire ;

- ainsi que de « droits spécifiques » relevant du régime spécial de calcul des retraites du RSIEG.

Ces derniers se composent de deux sous ensemble :

D'une part les droits spécifiques passés (DSP), constitués au 31 décembre 2004 au titre des retraites liquidées et des actifs présents jusqu'à cette date. Ces DSP comportent :

- les droits afférents à des activités régulées (DSPR) qui représentent au total plus de 60 % des droits spécifiques du régime et qui sont spécifiquement financés par la CTA ;

- et les droits afférents à des activités non régulées, c'est-à-dire concurrentielles (DSPNR), financés par la « cotisation DSPNR » payée par les entreprises.

D'autre part les droits spécifiques futurs (DSF) engrangés depuis le 1er janvier 2005 par les salariés actifs et les retraités du régime spécial avant l'atteinte du taux plein au régime général (préretraités au sens de l'adossement). Les DSF sont financés par une quote-part de la cotisation « régime spécial » payée par les entreprises du secteur des industries électriques et gazières.

La loi n° 2023-270 du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 a prévu la mise en extinction du RSIEG, fermé à compter du 1er septembre 2023. Après cette date, les nouveaux entrants sont affiliés au régime général. Toutefois, les salariés affiliés au RSIEG avant le 1er septembre 2023 bénéficient d'une « clause du grand-père » et continuent à percevoir ou à cumuler des droits spécifiques.

c) Un régime en excédent

Les charges de la CNIEG s'élèvent en 2022 à 8,4 milliards d'euros et les produits à 8,5 milliards d'euros, soit un excédent de 123 millions d'euros.

Charges et produits de la CNIEG en 2022

(en milliards d'euros)

Source : commission d'enquête, d'après le rapport comptable et financier 2022 de la CNIEG

L'excédent s'explique, comme les années précédentes, par les recettes de CTA, les autres sections étant réglementairement équilibrées. Les excédents cumulés de CTA s'établissent ainsi à 791 millions d'euros correspondant aux réserves de la CNIEG.

La CTA a vocation à financer deux éléments du régime des industries électriques et gazières :

- d'une part la soulte versée annuellement par la CNIEG à la CNAV dont le dernier versement doit intervenir cette année ;

- d'autre part les DSPR.

Utilisation des recettes de la CTA en 2022

(en millions d'euros)

Source : commission d'enquête, d'après le rapport comptable et financier 2022 de la CNIEG

La loi n° 2023-1250 du 26 décembre 2023 de financement de la sécurité sociale pour 2024 a modifié l'article 18 de la loi de 2004 pour supprimer la mention du fait que le taux de la CTA devait être fixé en fonction des besoins prévisionnels de financement des cinq prochaines années du régime IEG. Le Sénat avait adopté un amendement de suppression de cette modification qui ouvre la voie à une pérennisation de la CTA et à sa mobilisation à d'autres fins que ce pour quoi elle avait été instituée.

En effet, en raison de la fin des versements de la soulte à la CNAV et de la diminution mécanique758(*) dans les années à venir des droits qui avaient vocation à être couverts par la CTA, celle-ci devait progressivement tendre vers son extinction définitive.

B. UN PAYSAGE FISCAL TEMPORAIREMENT RÉVISÉ POUR RÉPONDRE AUX CONSÉQUENCES DE LA CRISE DES PRIX DE L'ÉNERGIE

Face à la crise des prix de l'énergie des dispositifs de soutien exceptionnels ont été mis en place dans le but d'en atténuer les effets sur les factures des consommateurs. Le plus fameux de ces dispositifs est sans doute le « bouclier tarifaire » sur les prix de l'électricité. Pour 2022 comme 2023, ce bouclier était constitué d'une dimension fiscale : la minoration des tarifs de l'accise sur l'électricité à leurs niveaux minimum autorisés par le droit de l'Union européenne.

Des dispositions des lois de finances initiales pour 2022 et pour 2023 avaient ainsi prévu que les tarifs de l'accise sur l'électricité soient minorés pour ces deux années à 1 euro/MWh pour les particuliers et 0,5 euros/MWh pour les professionnels.

Les moindres recettes pour l'État de cette minoration pour les années 2022 et 2023 ont été évaluées à 16,6 milliards d'euros par la Cour des comptes dans un rapport de mars 2024759(*). Dans ce même rapport, la Cour des comptes a estimé que cette mesure aurait bénéficié à hauteur de près de 9 milliards d'euros aux ménages et 8 milliards d'euros aux clients finals hors ménages, soit principalement les entreprises.

Évolution du rendement de l'accise sur l'électricité (2017-2023)

(en millions d'euros)

Source : commission d'enquête, d'après les documents budgétaires

L'article 92 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024 avait prévu une prolongation de la minoration des tarifs d'accise appliquée en 2022 et 2023 tout en l'assortissant d'un mécanisme permettant au Gouvernement d'augmenter ces tarifs par voie réglementaire, pour les consommations relevant de tarifs normaux760(*), dans la limite d'une augmentation de 10 % des TRVe TTC.

Le Gouvernement s'est saisi de cette possibilité au début de l'année 2024. Un arrêté du 25 janvier 2024 a ainsi prévu un relèvement de 20 euros par MWh des tarifs d'accise à compter du 1er février 2024. Ces tarifs ont ainsi été portés à 21 euros par MWh pour les particuliers et à 20,5 euros par MWh pour les professionnels non éligibles à des tarifs réduits.

Cette décision du Gouvernement s'est ainsi traduite par une augmentation moyenne d'environ 10 % des factures d'électricité des ménages.

C. LA FISCALITÉ DE L'ÉLECTRICITÉ, BIEN DE PREMIÈRE NÉCESSITÉ, DOIT ÊTRE ALLÉGÉE AU PROFIT DES CONSOMMATEURS

Depuis les années 2000 et jusqu'à la crise, les prix de l'électricité ont principalement augmenté en raison de la hausse de la fiscalité qui lui est appliquée. À l'heure où l'on promeut des objectifs ambitieux et nécessaires de décarbonation de nos sociétés et alors que l'électricité n'est pas une marchandise comme une autre mais un bien de première nécessité, il n'est pas raisonnable de lui appliquer les niveaux de fiscalité pratiqués aujourd'hui.

1. Une modulation des tarifs de l'accise sur l'électricité en fonction du niveau de consommation des particuliers et une baisse pour les professionnels

La commission d'enquête note qu'alors que la directive 2003/96/CE précitée prévoit explicitement à son article 5 que des taux de taxation différenciés de l'accise peuvent être appliqués selon les volumes de consommation, cette possibilité n'a toujours pas été mise en oeuvre en France. Or, elle présente un vrai intérêt en matière d'incitation à la sobriété et aux économies d'énergie.

Dans cette perspective, la commission d'enquête considère que toutes les consommations électriques ne doivent pas se voir appliquer la même fiscalité. Certaines consommations purement contraintes et impératives, que l'on peut qualifier de consommations « de base » doivent se voir appliquer une pression fiscale réduite. Inversement, dans une logique de justice sociale et de responsabilité individuelle, des consommations qui relèvent davantage du choix de mode de vie et du confort peuvent être davantage taxées.

Relèvent notamment de cette catégorie le choix de disposer de nombreux appareils électriques énergivores ou encore des consommations électriques de pur confort et de loisir telles que le fonctionnement d'une piscine individuelle ou encore l'éclairage d'un jardin.

Au regard des estimations réalisées par les fournisseurs d'énergie, au premier rang desquels EDF, il semble raisonnable de considérer que la consommation de base contrainte moyenne d'un ménage occupant un appartement de quatre pièces de 80 mchauffé à l'électricité représente environ 6 MWh par an. En 2024, la facture électrique d'un foyer de ce type atteint 1 500 euros par an et 125 euros par mois. Pour le même type de ménage, mais ne se chauffant pas à l'électricité, ce volume de base moyen peut être estimé à environ 4,5 MWh par an.

En ce qui concerne les consommations électriques des particuliers, la commission recommande donc d'établir une différenciation des tarifs d'accise sur l'électricité en fonction de deux critères : le volume d'électricité consommé et le type de chauffage utilisé par le foyer. Le cas échéant, la composition du foyer pourrait également être prise en compte.

Les seuils tarifaires fixés devront être établis de façon à ce que la mesure soit neutre pour les finances publiques, la hausse tarifaire sur les volumes consommés au-delà d'un seuil haut venant compenser la diminution tarifaire appliquée aux volumes consommés en-deçà d'un seuil bas. Cette mesure s'inscrit ainsi dans une perspective de justice sociale en réduisant la pression fiscale sur les volumes de consommation de base contraints. Elle présente aussi une logique incitative en augmentant au contraire la pression fiscale sur les volumes de consommation résultant de choix individuels.

Quelques points de références
sur la consommation électrique des ménages en France

Selon RTE, la consommation électrique annuelle moyenne d'un ménage en France est aujourd'hui de 5,7 MWh.

Selon EDF, pour un logement « au tout électrique » (chauffage, eau chaude et cuisson), la consommation moyenne d'un appartement de 30 m2 occupé par une personne seule équivaut à 3,6 MWh par an. Pour un appartement de 80 m2 occupé par deux ou trois personnes la consommation annuelle serait légèrement supérieure à 6 MWh.

Source : commission d'enquête

Si la commission d'enquête entend alléger la pression fiscale sur les consommations de base contraintes, elle ne souhaite pas pour autant affecter les recettes perçues par les collectivités au titre des anciennes taxes locales départementale et communale sur la consommation finale d'électricité. En effet, si ces taxes ont récemment été intégrées à l'accise, elles n'en constituent pas moins des composantes à part qu'il convient de distinguer. Contrairement à certains précédents fâcheux, la commission d'enquête n'entend pas faire peser sur les collectivités territoriales une mesure de soutien au pouvoir d'achat des consommateurs décidée à l'échelle nationale. Pour cette raison, la commission d'enquête n'entend pas abaisser le tarif de l'accise à un niveau inférieur à celui qui s'applique au titre des anciennes taxes locales, à savoir 9,5 euros par MWh, qui sert de base au calcul du rendement annuel reversé aux collectivités.

Le dispositif proposé, dont les seuils et les tarifs seront susceptibles d'être ajustés pour garantir sa neutralité budgétaire tout en reflétant les profils de consommation des ménages concernés, est le suivant :

- le tarif d'accise serait réduit de 21 euros par MWh aujourd'hui à 9,5 euros par MWh pour les volumes de consommation de base, calculés sur une base annuelle, inférieurs à 4,5 MWh pour un foyer qui n'est pas chauffé à l'électricité et à 6 MWh pour un foyer chauffé à l'électricité ;

- le tarif d'accise serait maintenu à 21 euros par MWh pour les volumes de consommation situés entre les seuils bas ci-dessus et 7, 5 MWh pour les ménages non chauffés à l'électricité et 9 MWh pour les autres ;

- pour les volumes de consommation supérieurs à 7,5 MWh ou 9 MWh qui excèdent significativement le socle de consommation de base, le tarif d'accise serait porté à 32 euros par MWh, c'est-à-dire le tarif de droit commun appliqué jusqu'en 2021.

Pour un foyer chauffé à l'électricité consommant 6 MWh d'électricité par an, cette mesure réduira structurellement sa facture annuelle (de 1 500 euros aujourd'hui) à hauteur de 69 euros, soit de 4,6 %. Sur une base mensuelle, pour une facture moyenne qui s'établit aujourd'hui à 125 euros, la réduction atteindrait 6 euros pour ce type de foyer.

S'agissant des consommations professionnelles, la commission d'enquête recommande de réduire le tarif de l'accise sur l'électricité, aujourd'hui fixé à 20,5 euros par MWh, au niveau de la part que représente les anciennes taxes locales sur l'électricité, soit 9,5 euros par MWh.

Pour un boulanger qui consomme en moyenne 99 MWh par an, la baisse pérenne du prix de sa facture annuelle résultant de cette mesure atteindrait 1 089 euros.

Cette baisse du tarif d'accise sur les consommations professionnelles entraînerait une perte de recettes pour l'État estimée à environ 1,5 milliard d'euros.

2. Une baisse ciblée des taux de TVA pour les particuliers

Tout en conservant la même logique de justice sociale et d'incitation qui préside à sa proposition relative aux tarifs d'accise sur l'électricité pour les particuliers, la commission recommande également de réduire de façon ciblée, pour les particuliers, le taux de TVA appliqué à une consommation électrique de base variant là encore en fonction du critère relatif au mode de chauffage utilisé par le foyer761(*). Le taux de TVA serait ainsi réduit à 5,5 % pour les volumes de consommation annuels situés sous les seuils de :

- 4,5 MWh pour un foyer qui n'est pas chauffé à l'électricité ;

- 6 MWh pour un foyer chauffé à l'électricité.

Sur ces volumes de consommation de base contraints, le taux de TVA appliqué à la fourniture d'énergie serait ainsi aligné sur celui qui prévaut aujourd'hui pour la part fixe de la facture correspondant à l'abonnement.

Les effets de cette diminution des taux de TVA sur la facture des consommateurs, comme sur les pertes de recettes qu'elle occasionnera pour l'État, sont dépendants de l'évolution du prix de la fourniture en électricité en général sur lequel le taux de TVA s'applique. Dans les conditions actuelles, en prenant pour référence le TRVe en vigueur en 2024, la baisse de sa facture annuelle qui résulterait de cette mesure pour un foyer chauffé à l'électricité consommant 6 MWh d'électricité par an atteindrait environ 175 euros.

La perte de recette pour l'État occasionnée par cette réduction du taux de TVA, très dépendante de l'évolution des prix de la fourniture d'électricité, d'après les valeurs moyennes historiques du rendement de la TVA sur la consommation d'électricité des ménages, pourrait avoisiner en moyenne le milliard d'euros selon les scénarios.

Une baisse générale du taux de TVA sur l'ensemble des consommations électriques n'apparaît pas souhaitable à la commission d'enquête, et ce pour plusieurs raisons.

Premièrement, elle serait injuste, générerait des effets d'aubaine massifs et serait contraire aux nécessaires efforts de sobriété et d'économies d'énergie. En effet, une baisse généralisée bénéficierait principalement à des consommations électriques de confort et de loisirs.

Deuxièmement, elle n'aurait aucune incidence sur la compétitivité de notre tissu économique dans la mesure où la TVA sur l'électricité est déductible par les entreprises.

Troisièmement, cette mesure serait extrêmement coûteuse pour les finances publiques. Ce qui signifie que la communauté nationale viendrait massivement subventionner les consommations électriques de confort et de loisirs des ménages les plus aisés.

3. Une prise en charge par le budget de l'État de l'équilibre financier du régime spécial des industries électriques et gazières

La commission d'enquête recommande enfin de substituer à la contribution tarifaire d'acheminement (CTA) une dotation budgétaire dans la mesure où elle considère que l'équilibre financier du Régime spécial des industries électriques et gazières (RSIEG), actuellement adossé à cette contribution, n'a pas à reposer sur les consommateurs d'électricité mais devrait être pris en charge par l'État. Au préalable, la commission estime nécessaire que les services de l'État établissent un rapport d'évaluation des conséquences potentielles de cette substitution.

À court terme, en raison de la disparition programmée de la soulte versée par la Caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG) à la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV) et des réserves accumulées par la CNIEG, le coût budgétaire de cette mesure pour l'État représenterait environ un milliard d'euros. Ce coût aura par ailleurs vocation à se réduire progressivement au fil des années en raison de la diminution progressive des dépenses d'un régime qui est désormais en phase d'extinction. Cette mesure se traduirait en moyenne par une baisse de 30 euros de la facture annuelle d'un consommateur particulier.

4. Une baisse des factures jusqu'à 40 %

L'effet cumulé de ces trois mesures fiscales ciblées sur les consommations de base représente une baisse structurelle d'environ 275 euros par an de la facture d'un foyer chauffé à l'électricité consommant 6 MWh d'électricité par an, soit 18 % de la facture de 1 500 euros qu'il paye aujourd'hui. Sur une base mensuelle, la baisse représente 23 euros sur une facture moyenne de 125 euros.

Ces mesures fiscales s'articulent par ailleurs avec la recommandation visant à mettre en oeuvre une véritable régulation des prix de la production décarbonée via un dispositif de CfD. La combinaison de l'ensemble de ces dispositifs conduit à une réduction structurelle d'environ 40 % la facture d'un ménage chauffé à l'électricité consommant 6 MWh d'électricité par an.

En effet, en prenant comme référence les tarifs d'électricité moyens observés en 2024 la conjonction de ces deux ensembles de dispositifs permettrait des baisses de prix structurelles équivalentes à :

- 6 500 euros sur la facture annuelle d'un boulanger (dont au moins 5 400 euros au titre de la régulation sous forme de CfD) qui consomme en moyenne 99 MWh par an762(*) ;

- plus de 600 euros sur la facture annuelle d'un ménage qui consomme en moyenne 6 MWh par an et 50 euros par mois.

Effet des mesures recommandées par la commission d'enquête sur la facture annuelle d'un ménage consommant 6 MWh d'électricité par an

(en euros)

Source : commission d'enquête

Ces mesures conduiraient à une perte de recette pour l'État estimée à environ 3,5 milliards d'euros. Afin de n'aggraver ni le déficit, ni la dette, la commission d'enquête propose de financer ces mesures de façon prioritaire par des réductions de dépenses en application des propositions formulées avec constance par le Sénat en la matière. Par exemple, les montants du chèque énergie pourraient, après étude d'impact, être revus pour tenir compte de la baisse des factures.

Recommandation n° 31

Destinataire

Échéance

Support/Action

Moduler les tarifs d'accise sur l'électricité en fonction des volumes de consommation.

Parlement et Gouvernement (ministère de l'économie et des finances)

2024

Législatif et règlementaire

Recommandation n° 32

Destinataire

Échéance

Support/Action

Réduire à 5,5 % le taux de TVA sur la consommation d'électricité des particuliers jusqu'à un seuil différencié selon le mode de chauffage utilisé.

Parlement et Gouvernement (ministère de l'économie et des finances)

2024

Législatif et règlementaire

Recommandation n° 33

Destinataire

Échéance

Support/Action

Assurer l'équilibre financier du régime des industries électriques et gazières par une dotation du budget de l'État à la place de la contribution tarifaire d'acheminement (CTA).

Parlement et Gouvernement (ministère de l'économie et des finances)

2024

Législatif et règlementaire

EXAMEN EN COMMISSION

(Mardi 2 juillet 2024)

M. Franck Montaugé, président. - Mes chers collègues, nous procédons aujourd'hui à l'examen du projet de rapport de la commission d'enquête sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050.

Je tiens tout d'abord à remercier chaleureusement l'ensemble des membres de cette commission pour leur disponibilité, chacun s'étant investi dans la mesure de ce que lui permettait son emploi du temps.

Nous avons mené un travail pluraliste, sans a priori, animé par la recherche du consensus et du pragmatisme, au service de l'intérêt de nos concitoyens, en essayant de nous tenir à l'écart du jeu - normal en démocratie - des controverses idéologiques ou des pressions des groupes d'intérêt, nombreux, de tous bords et actifs sur le sujet.

Nos travaux ont été très suivis par la presse et le grand public, avec plus de 640 000 vues sur YouTube, une durée moyenne de visionnage d'une vidéo d'audition de l'ordre de vingt à trente minutes et une moyenne de 15 400 spectateurs par audition, ce qui est beaucoup pour ce genre de support. L'audition de Jean-Marc Jancovici a attiré 177 000 spectateurs, ce qui l'a fait entrer au top 5 des vidéos YouTube du Sénat. Nos travaux ont été bien relayés sur LinkedIn et sur X (ex-Twitter), avec 50 posts sur les réseaux traditionnels, sans compter les messages de nos collègues et de certains de nos administrateurs.

Au total, nous avons entendu, le plus souvent sur la demande du rapporteur, parfois sous la forme de propositions spontanées, en plénière ou en audition rapporteur, près de 140 personnes. Le droit de communication du rapporteur a été largement exercé, ce dont je me félicite. Ainsi, plusieurs milliers de pages ont été exploitées, provenant d'entreprises et d'administrations, qui ont, dans l'ensemble, bien joué le jeu, d'associations, d'acteurs privés ou de personnes entendues. Nous nous sommes rendus à Bruxelles pour faire le point sur la réforme du marché de l'électricité et sur les possibilités de financement des différentes énergies.

Il me revient ensuite de vous rappeler les règles de procédure applicables à la présente réunion, au secret de nos travaux et au contenu du rapport jusqu'à la publication de nos conclusions.

Ce document est sous embargo strict pendant vingt-quatre heures. Durant cette période, il ne peut être consulté qu'aux fins de solliciter la réunion du Sénat en comité secret, c'est-à-dire à huis clos, pour statuer sur la publication ou la non-publication de l'ensemble du texte ou de certains passages. S'il est adopté, notre rapport sera publié le 4 juillet prochain, date à laquelle les résultats de nos travaux seront présentés en conférence de presse. D'ici là, rien ne doit filtrer à l'extérieur, ce qui proscrit toute communication à la presse, à des tiers ou sur les réseaux sociaux.

Tous ceux qui contreviendraient à cette règle s'exposeraient à des sanctions fondées non seulement sur notre règlement - le Président Larcher a rappelé à plusieurs reprises l'interdiction absolue d'une publicité anticipée, même de quelques minutes, sur les rapports ou les conclusions des commissions d'enquête -, mais aussi sur le code pénal, dont l'article 226-13 prévoit des peines d'emprisonnement en cas de divulgation dans les vingt-cinq ans, voire dans les cinquante ans, de toute information relative à une partie non publique des travaux d'une commission d'enquête.

Chacun d'entre nous doit respecter ces règles, pour des raisons à la fois juridiques et institutionnelles, car des fuites amoindriraient la portée de nos travaux.

La consultation du projet de rapport a eu lieu les 25, 26 et 27 juin derniers. Des exemplaires numérotés et nominatifs vous ont été distribués, contre émargement ; il vous sera demandé de les restituer à la fin de la réunion.

Après l'exposé de son contenu, je céderai la parole à ceux d'entre vous qui souhaiteraient s'exprimer pour un propos liminaire. Nous procéderons ensuite à l'examen des propositions de modification qui ont été déposées. Elles ont été distribuées sous la forme d'une liasse, avec un ordre de numérotation et d'examen correspondant à celui de leur insertion projetée au sein du rapport.

Après le vote sur ces propositions de modification, nous nous prononcerons sur les recommandations, puis sur le titre du rapport. Nous voterons enfin sur son adoption et sur sa publication.

Les groupes politiques auront la possibilité de présenter, dans les vingt-quatre heures suivant la fin de cette réunion, une contribution, qui sera annexée au rapport ; elle doit être d'une longueur raisonnable, d'une dizaine de pages au maximum.

Enfin, je vous propose que le compte rendu de la présente réunion soit, lui aussi, annexé au rapport de la commission d'enquête.

Il en est ainsi décidé.

M. Daniel Gremillet. -Si, à l'issue de la réunion de ce jour, la commission émet un vote favorable à l'adoption du rapport, plus rien ne s'opposera donc à la divulgation du contenu de ses travaux après la présentation du 4 juillet prochain ?

M. Franck Montaugé, président. - En cas de vote favorable, chacun des membres de la commission aura le droit de s'exprimer sur l'ensemble de nos travaux à partir du 4 juillet, pour autant que ceux-ci étaient publics... Les informations recueillies lors des auditions rapporteur non publiques ne peuvent ainsi faire l'objet d'une divulgation, à moins qu'elles ne figurent dans le rapport.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Merci à tous ceux qui ont pu participer à cette commission d'enquête, dont le sujet était aussi complexe que vaste. Nous aboutissons à un projet de rapport de plus de 700 pages, contenant énormément d'informations.

Ce rapport est conçu en quatre parties. La première, majoritairement descriptive, traite de la complexité du système actuel, sous l'influence conjointe de l'Union européenne et des marchés. La deuxième aborde la consommation et s'efforce de définir des scénarios réalistes, permettant de déterminer le niveau de production qu'il faut viser aux horizons 2035 et 2050. La troisième porte sur la production d'électricité, avec la préoccupation d'assurer un niveau suffisant pour ne pas risquer des ruptures, pour ne pas être obligé d'importer systématiquement d'importants volumes et pour, au contraire, être en mesure de continuer à en exporter. La quatrième est relative au prix de l'électricité et aux propositions envisageables pour que ce prix, qui concerne un bien de première nécessité et constitue un facteur de compétitivité pour nos entreprises, puisse demeurer le plus bas et le plus stable possible.

Pour ce qui concerne la partie européenne, nous rappelons, entre autres, que, selon le traité sur le fonctionnement de l'Union, les pays sont souverains en matière de choix de leur mix énergétique, ce qui nous paraît important. Nous observons également, au niveau européen, des évolutions, en particulier sur l'énergie nucléaire, dont nous souhaitons qu'elles se poursuivent afin d'obtenir une réelle neutralité technologique, dans les soutiens comme dans les contraintes imposées. En outre, nous formulons le souhait d'une présence accrue auprès des instances européennes pour faire valoir les positions de la France et de sorte que les efforts liés aux objectifs de décarbonation que nous partageons avec l'Union soient équitablement répartis entre les pays membres ; cela ne nous semble pas forcément le cas aujourd'hui, et nous avons le sentiment que la situation de départ de chaque État n'est pas parfaitement prise en compte - la France a, par exemple, une électricité très décarbonée. Je ne perds évidemment pas de vue que les objectifs énergétiques dépassent la seule ressource électrique...

Les marchés de l'électricité ont révélé, au cours de la crise énergétique, des imperfections rédhibitoires, qui nécessitaient une réforme. Celle qui a été engagée va dans le bon sens. La France a été à la pointe des demandes d'évolution de ces règles de marché et des discussions qui s'ensuivirent. Désormais, des contrats à plus long terme permettent davantage de stabilité des prix, tant pour les entreprises que pour les particuliers. Je pense notamment à la mise en place de contrats pour différence (CfD) et de contrats d'achat d'électricité de type PPA (Power Purchase Agreement).

Nous avons observé attentivement l'évolution de la consommation électrique dans le temps. Au cours des quinze dernières années, elle a d'abord stagné, avant de décliner. Cela tient à de nombreux efforts de sobriété, qu'il convient de poursuivre, ainsi qu'à des efforts d'efficacité énergétique. On dispose désormais de matériels qui consomment moins d'électricité qu'auparavant. Nous pensons qu'il faut aussi persévérer dans cette voie. Nous suggérons encore d'inciter, par des différences tarifaires plus marquées entre heures creuses et heures pleines, nos concitoyens et les entreprises à consommer de l'électricité au moment où elle est le plus disponible.

Cette partie du rapport inclut un paragraphe sur les outre-mer, la Corse et quelques îles, constitutifs des zones non interconnectées (ZNI) au réseau d'électricité continental ... Nous suggérons d'élaborer, à l'égard de ces territoires, une prospective globale et transverse sur l'ensemble de la problématique énergétique.

Nos scénarios de consommation se fondent sur les travaux et prévisions de Réseau de transport d'électricité (RTE), qui a publié un rapport particulièrement riche, de plus de 1 000 pages, sur les futurs énergétiques, et sur ceux de nombreux autres organismes - dont les académies, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), EDF, la Fabrique de l'industrie ou la Fondation Concorde. Nous en avons conclu qu'il était raisonnable et réaliste de prévoir une fourchette de consommation d'électricité de 580 à 615 térawattheures (TWh) par an à l'horizon 2035. Je vous rappelle qu'en 2023, la France a consommé 445 TWh.

Nous pensons que la courbe pourrait s'inverser à partir de 2028, avec une progression à près de 5 % par an entre 2028 et 2035. Il s'agit de la fourchette basse du scénario de référence de RTE. Le constat n'en nécessite pas moins que, dans les années à venir, nous fassions montre de volontarisme et que nous transformions nos habitudes de consommation énergétique pour les transférer dans une large mesure sur l'électricité. Nous estimons la consommation annuelle d'électricité en France à l'horizon 2050 à 700 TWh, soit 57 % de plus qu'en 2023, ce qui n'est pas négligeable.

Dans la troisième partie du projet de rapport, nous nous interrogeons sur les moyens de production susceptibles d'assurer ces besoins en électricité aux horizons 2035 et 2050. Nous nous sommes attachés à retenir ceux qui dégagent le moins de carbone et qui sont les moins onéreux. Sans surprise, nous concluons que le mix électrique devra comprendre concomitamment du nucléaire et des énergies renouvelables (EnR). Tout le monde, sans doute, en conviendra. La véritable question porte sur la proportion respective de ces deux catégories de sources de production.

Nous consacrons inévitablement de longs développements au nucléaire, laissé un peu en jachère pendant une trentaine d'années. La production nucléaire reste celle qui émet le moins de carbone et qui s'avère la moins chère au mégawattheure (MWh). Il faut en redémarrer la filière, ce qui n'est pas si simple et prend du temps. Construire et mettre en service une nouvelle centrale nucléaire requiert, en effet, une quinzaine d'années.

Il importe d'abord d'optimiser notre parc existant, en le prolongeant de quarante à soixante ans et en renforçant la puissance électrique de certaines centrales, à ce jour limitée à 900 MWh, car c'est sans doute l'investissement le plus rentable que nous puissions réaliser à court terme.

Il conviendrait ensuite de lancer la construction des réacteurs EPR2 d'ici à 2035. Le premier ne devrait pas fonctionner, au mieux, avant 2038. En faire 14 à l'horizon 2050 implique donc de s'y employer activement. En produire 12 entre 2038 et 2050 suppose une filière industrielle remise sur pied, fonctionnant à plein régime. Les conditions sont nombreuses pour y parvenir, et il nous faudra être vigilants sur ce point.

Enfin, un mouvement mondial s'opère dans le sens d'un renforcement du nucléaire. Il se traduit par la volonté de tripler la part de celui-ci d'ici à 2050. Dans ces conditions, il nous semble que la diminution du stock d'uranium risque d'être bien plus rapide que ce que l'on anticipe actuellement. Les difficultés pourraient ainsi se manifester non en 2100, comme certains l'annoncent, mais plutôt en 2070. Si cela peut paraître lointain, parler d'investissements d'avenir nécessite de regarder à long terme, ce qui équivaut à plusieurs décennies dans le domaine énergétique. Aussi, la volonté de construire des EPR2 d'une durée de vie de quatre-vingts ans d'ici à 2050 ne doit-elle pas négliger ce problème de la disponibilité de la ressource en combustible, qui pourrait ne pas excéder trente ou quarante ans. À cet égard, nous formulons une importante recommandation relative à une reprise immédiate de la recherche sur la quatrième génération de réacteurs, celle des réacteurs à neutrons rapides, qui s'est nettement affaiblie ces dernières années.

Nous préconisons également de maintenir un programme ambitieux de développement des énergies renouvelables, à la fois à l'horizon 2035 et à l'horizon 2050.

La première énergie renouvelable, c'est l'hydroélectricité, qui fait à peu près consensus. Les investissements y afférents sont bloqués par le pré-contentieux avec la Commission européenne sur le renouvellement des concessions, lequel n'a pas fait l'objet d'une mise en concurrence comme elle le demande. Il faut donc sortir très rapidement de cette situation bloquée, au plus tard à la mi-2025. En particulier, nous disposons, avec les stations de transfert d'énergie par pompage (Step), de capacités inutilisées à ce jour.

Dans le rapport, nous ne prenons pas position sur les modes d'exploitation - mise en concurrence, régime d'autorisation ou quasi-régie. Nous nous sommes contentés de dresser un tableau comparatif des avantages et des inconvénients de chacun d'entre eux.

Nous faisons l'hypothèse que la durée d'exploitation de certaines centrales nucléaires pourrait aller jusqu'à quatre-vingts ans. Selon nous, la moitié d'entre elles pourraient atteindre ce seuil, sous certaines conditions définies par l'autorité de contrôle.

Nous sommes très critiques sur « l'accord » - il n'y a pas de document signé - conclu entre EDF et le Gouvernement fixant le prix du mégawattheure électrique à 70 euros. Il ne nous semble protecteur ni pour EDF - dans l'hypothèse où les prix de marché resteraient à un niveau bas - ni pour le consommateur. Nous exprimons notre préférence pour un contrat pour différence fixant une fourchette de prix de référence, que nous estimons entre 60 euros et 65 euros le mégawattheure. Ce prix permet de couvrir les coûts de production tout en se préservant des évolutions possiblement erratiques des marchés de gros et de celles du prix du gaz, qui tend à fixer les prix de l'électricité. Une telle fourchette de prix permettrait de réduire de 22 % la partie « fourniture » du prix de l'électricité.

En outre, compte tenu du fait que l'électricité est un produit de première nécessité, il nous a semblé qu'il fallait réduire la fiscalité à laquelle elle est soumise. Nous avons écarté l'hypothèse d'une baisse générale de TVA, mesure très coûteuse et pas nécessairement juste si l'on fait un distinguo entre les consommations de base - contraintes - et les consommations résultant de choix personnels. Par ailleurs, une baisse de la TVA sur l'électricité consommée par les entreprises ne présente aucun intérêt, puisque ces dernières la récupèrent par la suite. C'est pourquoi nous préconisons des baisses ciblées de TVA, mais aussi d'accise, en modulant celles-ci en fonction du niveau de consommation.

Ainsi, nous proposons une TVA à 5,5 % sur la consommation de base, à savoir 4 500 kilowattheures par an sans chauffage électrique et 6 000 kilowattheures avec chauffage électrique, le taux de 20,6 % étant maintenu au-delà.

L'accise sur l'électricité, l'ancienne contribution au service public de l'électricité, a, quant à elle, été relevée récemment à 21 euros le mégawattheure ; nous proposons de la baisser à 9,5 euros le mégawattheure pour la consommation de base, étant entendu que nous avons également le souci de préserver les reversements aux collectivités territoriales. Son montant serait rehaussé à 32 euros pour les consommations dépassant un certain seuil.

Nous proposons de remplacer la contribution tarifaire d'acheminement, qui couvre le système de retraite des industries électriques et gazières, par une dotation budgétaire de l'État, ce qui permettrait d'alléger la facture d'électricité.

Ces mesures cumulées permettraient de faire baisser de 40 % la facture pour la consommation de base.

M. Daniel Gremillet. - Je remercie notre président, pour la manière dont il a conduit les débats, ainsi que notre rapporteur, pour nous avoir permis d'assister aux auditions qu'il a organisées.

Dans l'Union européenne, chaque État membre a le choix de son mix énergétique. Ces dernières années, nous avons payé très cher les interprétations divergentes qui ont pu être données à ce principe. Il est important de réaffirmer la place du nucléaire à l'horizon 2050 dans ce mix et d'envoyer, à cet effet, des signaux forts. Cela ne se fera pas d'un claquement de doigts.

De même, il faut relancer dès à présent le projet Astrid.

Enfin, il convient d'envoyer des signaux dans le domaine de la production d'énergie hydraulique, en faisant preuve de fermeté. C'est la meilleure énergie décarbonée qui soit.

M. Daniel Salmon. - Je m'associe aux remerciements qui viennent d'être formulés par Daniel Gremillet. Les travaux de la commission d'enquête ont donné lieu à des échanges très fructueux.

Le sujet était peut-être presque trop vaste. De fait, ce rapport contient énormément d'éléments. J'ai toutefois quelques regrets. Ainsi, la consommation d'énergie aurait dû être abordée davantage sous l'angle du choix de société : tant l'Ademe que RTE ont élaboré des scénarios d'une énergie 100 % renouvelable, ce qui suppose des choix. Selon moi, cet aspect est insuffisamment abordé dans le rapport. Ainsi, il aurait fallu se pencher bien davantage sur l'éolien et le solaire.

A contrario, le nucléaire est envisagé sous un angle très favorable et a fait l'objet de toutes les attentions dans le cadre de cette commission d'enquête, à tel point qu'il concentre une bonne part des recommandations du rapport. Cette vision franco-française n'est pas la mienne. D'ailleurs, il me semble bien qu'EDF est en train de renoncer à son projet de petit réacteur nucléaire (Small Modular Reactor, ou SMR) Nuward.

M. Daniel Gremillet. - Non !

M. Daniel Salmon. - Se pose aussi la question de notre approvisionnement en uranium. Lorsque nous étions pratiquement les seuls consommateurs au monde, l'épuisement des réserves n'était pas d'actualité ; dès lors que se multiplient les centrales, il en ira autrement, d'autant que le contexte géopolitique n'est plus le même.

En définitive, ce rapport, comme tous ceux que le Sénat produit, sera largement consulté, car il est de qualité et contient nombre d'informations. À chacun d'en faire bon usage...

M. Stéphane Piednoir. - Je me joins aux remerciements. Je suis quelque peu frustré de n'avoir pu assister à davantage de réunions, mais l'actualité du Sénat était dense.

Il était nécessaire d'envisager l'ensemble des problématiques liées au sujet : nucléaire, énergies renouvelables, fiscalité, etc. Il aurait fallu disposer de plus de temps, mais le format des commissions d'enquête nous contraint.

Si le nucléaire occupe une place importante dans ce rapport, c'est parce qu'il représente une part majeure dans notre production d'électricité. On ne peut pas dire que c'est un sujet franco-français tout en donnant l'alerte sur les possibles difficultés d'approvisionnement en uranium du fait du développement de ce type d'énergie dans le monde. De fait, le nombre de réacteurs dans le monde devrait augmenter, accroissant ainsi les besoins en uranium. Nous devons prendre toute notre part dans ce mouvement en construisant de nouveaux réacteurs et en relançant les réacteurs de quatrième génération, le programme Astrid ayant été stoppé en 2019. À cet égard, je suis en phase avec les préconisations du rapporteur. Je note que les équipes qui travaillaient sur Astrid ont été largement reconverties dans les projets de SMR.

J'indique également qu'EDF n'a pas renoncé à son projet Nuward : elle est simplement en train de le reconfigurer pour l'adapter, dans une visée commerciale, aux marchés internationaux.

La création de nouveaux sites nucléarisés nécessitera une acceptation sociale. Il y a là un travail à mener si nous voulons aller relativement vite.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Le rapport de notre commission d'enquête n'entend pas clore le débat sur les choix à faire en matière de politique énergétique. Il apporte un éclairage et propose des orientations.

M. Franck Montaugé, président. - Je vous propose de passer à l'examen des propositions de modification.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - À la page 4, la proposition de modification n° 1, présentée par Daniel Gremillet, vise à compléter la recommandation n° 8, « Développer l'autoconsommation en ajustant la réglementation », par les mots « en ajustant la réglementation et en laissant inchangés la propriété publique et l'équilibre financier des réseaux de distribution d'électricité détenus par les collectivités territoriales ».

Sur le fond, cette proposition me convient. Je propose néanmoins de supprimer les mots « détenus par les collectivités territoriales ».

M. Daniel Gremillet. - Je suis d'accord. Ce que je souhaite éviter, c'est que l'autoconsommation conduise notre pays à s'engager dans une voie qui ne serait pas tenable dans nos territoires.

La proposition de modification n° 1, ainsi modifiée, est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 2, présentée par Daniel Gremillet, vise, à la page 7, à remplacer la rédaction de la recommandation n° 25, « Si la revue de maturité du programme de nouveau nucléaire s'avérait très défavorable, ne pas exclure l'hypothèse de repartir d'un modèle de réacteur N4 modernisé », par la rédaction suivante : « Tout en soutenant l'ambition et la réalisation du programme Nouveau nucléaire, ne pas exclure des études sur un modèle de réacteur N4 modernisé complémentaire. »

Cette proposition de modification a pour objet de confirmer le soutien apporté au programme Nouveau nucléaire, tout en permettant des études sur des technologies complémentaires. Cependant, une telle rédaction semble laisser supposer que l'on pourrait développer, en complément des EPR 2, des réacteurs modernisés inspirés des réacteurs actuels. Cette perspective serait contraire à l'objectif de maîtrise industrielle du programme de nouveau nucléaire, qui exige de n'avoir qu'un seul type de réacteur construit à l'identique pour réaliser des « gains d'apprentissage ».

La solution alternative pourrait être de supprimer purement et simplement l'actuelle recommandation n° 25, qui vise à substituer un modèle de réacteur actuel modernisé aux EPR 2 si la revue de maturité du programme EPR 2 se révélait un échec.

Une autre solution, préférable, serait une rédaction alternative du type : « Tout en soutenant l'ambition et la réalisation du programme Nouveau nucléaire, ne pas exclure des études sur un modèle de réacteur N4 modernisé si la revue de maturité des EPR 2 s'avérait très négative. »

M. Daniel Salmon. - Tout le monde réclame à cor et à cri des EPR 2, mais je doute qu'ils soient aussi faciles à construire qu'on le pense. Selon moi, le nouveau nucléaire est déjà derrière nous... Nous nageons dans l'incertitude : l'EPR 2 reprend des éléments de l'EPR 1 qui fonctionnaient mal, notamment la cuve.

La proposition de modification n° 2, ainsi modifiée, est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Monsieur le président, compte tenu des nombreuses incertitudes qui pèsent sur la faisabilité technologique, les coûts et la souveraineté des différentes filières de production d'électricité, la stratégie française sur l'énergie et le climat (SFEC) doit intégrer, selon la proposition de modification n° 3, que vous avez présentée avec Victorin Lurel, Jean-Jacques Michau et Alexandre Ouizille, la possibilité d'un mix énergétique dont la production pourrait être supérieure à 50 % de nucléaire, mais aussi celle d'un mix dont la production pourrait être supérieure à 50 % d'énergies renouvelables. La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) qui en résulte devrait en tirer les conséquences opérationnelles.

Toutefois, il me semble préférable de conserver la rédaction actuelle. RTE a étudié les scénarios de mix de production d'énergie électrique à l'horizon de 2050, lesquels vont d'un système 100 % énergies renouvelables à un mix comprenant 50 % de nucléaire et 50 % d'énergies renouvelables - rappelons que le mix actuel comprend 70 % de nucléaire et 30 % d'énergies renouvelables. La note que nous avons demandée à RTE, et que nous avons annexée au rapport, indique qu'un tel mix n'est pas réaliste, compte tenu de la nécessaire relance du nucléaire. D'ailleurs, notre rapport fait l'hypothèse d'un mix comprenant 60 % de nucléaire et 40 % d'énergies renouvelables à l'horizon de 2050.

Il n'est pas nécessaire, à mon sens, d'ajouter de nouveaux scénarios, d'autant plus que les scénarios de mix de production d'énergie électrique comprenant un taux d'énergies renouvelables supérieur à celui du nucléaire ont déjà été étudiés.

M. Franck Montaugé, président. - La production électrique française est confrontée à de nombreuses incertitudes, qu'il s'agisse du nucléaire historique - quid du « grand carénage » ? -, du nouveau nucléaire - nous avons déjà évoqué nos incertitudes - ou des énergies renouvelables - quid des difficultés liées à l'implantation des unités de production dans nos territoires ou encore des problèmes de souveraineté ? Dans ces conditions, la France risque de ne pas pouvoir produire les volumes d'électricité nécessaires.

Voilà pourquoi nous souhaitons envisager non pas un nouveau scénario, mais la possibilité d'un mix énergétique comprenant ou bien plus de 50 % de nucléaire ou bien plus de 50 % d'énergies renouvelables.

Or nous n'avons pas eu de réponse claire sur une telle possibilité au cours de nos auditions. L'incertitude demeure : j'espère que les nouveaux projets technologiques pourront être mis au point, mais comment faire s'ils n'aboutissent pas ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La SFEC et la PPE devront être décidées prochainement. Cela dit, il faudra les adapter à notre maîtrise des évolutions technologiques ; à ce sujet, le déploiement de l'éolien offshore soulève quelques questions.

Je n'ai pas voulu prendre position sur ce que devra être la future PPE ; Daniel Gremillet a déposé une proposition de loi à ce sujet, dont j'espère que nous pourrons débattre bientôt. Nous présentons plusieurs choix, sans trancher ; le futur gouvernement fera des propositions.

M. Franck Montaugé, président. - Dans notre rapport, nous indiquons déjà vouloir renforcer la filière industrielle des énergies renouvelables. Il s'agit simplement, par cette proposition, de faire en sorte que le développement des énergies renouvelables soit piloté au regard de l'avancement du programme nucléaire.

Mme Denise Saint-Pé. - Notre rapport mentionne la nécessité de travailler sur une PPE, dont le contenu devra être débattu au Parlement, à l'aune des avancées technologiques. Pour l'heure, il est encore difficile de dire le chemin que nous voulons emprunter, puisque l'état des filières suscite de nombreuses interrogations et que l'on relance à peine le nucléaire...

Nous l'avons clairement dit, la PPE doit résulter non pas simplement d'une décision gouvernementale, mais d'un débat parlementaire.

M. Franck Montaugé, président. - Bien sûr, mais la PPE, aussi bien calibrée soit-elle, n'est pas la réalité du mix énergétique ! Se fixer des objectifs, même après des débats parlementaires, ne signifie pas être en mesure de les atteindre, compte tenu des nombreux risques auxquels nous sommes confrontés.

M. Alexandre Ouizille. - L'hypothèse présentée me semble problématique. Le mix énergétique actuel comprend 70 % d'énergie nucléaire et 30 % d'énergies renouvelables. Or la part du nucléaire va régresser dans les dix prochaines années, sous l'effet du développement des énergies renouvelables.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Notre recommandation n° 28 vise à approfondir l'étude des conditions et des effets du maintien d'une part de nucléaire de 70 % dans le mix électrique français à l'horizon de 2050.

Mon cher collègue, pour prendre en compte votre remarque, nous pouvons remplacer « 70 % » - objectif irréaliste - par « 60 % » : il m'importe avant tout d'étudier des scénarios où le mix électrique comprend davantage que 50 % d'énergie nucléaire. En conséquence, RTE devrait étudier un scénario supplémentaire, où le mix serait de 60 % d'énergie nucléaire et 40 % d'énergies renouvelables.

M. Franck Montaugé, président. - Cela ne répond pas à ma question...

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Certes, mais cela répond à celle d'Alexandre Ouizille.

M. Franck Montaugé, président. - Nous proposerions donc d'étudier un scénario comprenant 60 % d'énergie nucléaire et 40 % d'énergies renouvelables, l'étude d'un scénario inverse - 60 % d'énergies renouvelables et 40 % d'énergie nucléaire - ayant déjà été réalisée, n'est-ce pas ? (M. le rapporteur le confirme.)

La proposition de modification n° 3, ainsi modifiée, est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 4, présentée par MM. Montaugé, Lurel, Michau et Ouizille, vise à indiquer que la nouvelle SFEC doit donner lieu à une loi de programmation des finances publiques pour la transition écologique et énergétique. »

Cette proposition est déjà satisfaite. Dans le cadre de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, le Sénat avait rejeté un amendement déposé par le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires (GEST) visant à instituer une nouvelle loi de programmation quinquennale des financements de la transition écologique.

En revanche, dans le cadre de ce même projet de loi, le Sénat avait adopté un autre amendement déposé par le GEST visant non pas à instaurer une nouvelle loi de programmation, mais à ajouter une dimension financière aux lois de programmation sur l'énergie et le climat, telle que prévue à l'article L. 100-1 A du code de l'énergie par le biais d'une « programmation des moyens financiers nécessaires à l'atteinte des objectifs ».

Cette évolution est entrée en vigueur au travers de l'article 9 de la loi n° 2023-1195 du 18 décembre 2023 de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027. Ce même article prévoit également que le Gouvernement doit transmettre chaque année au Parlement, avant le début de la session ordinaire, une « stratégie pluriannuelle qui définit les financements de la transition écologique et de la politique énergétique nationale ».

Les votes et les compromis issus des travaux du Sénat en séance publique ne semblent pas devoir être remis en cause à l'occasion de l'adoption du rapport de la commission d'enquête.

M. Franck Montaugé, président. - Monsieur le rapporteur, vous nous assurez qu'une telle proposition est bien inscrite dans la loi, n'est-ce pas ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Oui ! Le Gouvernement avait même émis un avis favorable...

M. Franck Montaugé, président. - La proposition étant satisfaite, je la retire.

La proposition de modification n° 4 est retirée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - J'émets un avis favorable sur la proposition de modification n° 5 de MM. Montaugé, Lurel, Michau et Ouizille, visant à insérer la phrase suivante : « La commission d'enquête suggère de confier à RTE une étude relative au mécanisme de détermination du prix de gros sur le marché spot de l'électricité dans le cadre d'un mix électrique totalement décarboné, ce qui est l'objectif commun européen à l'horizon de 2050. »

La proposition de modification n° 5 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 6, présentée par M. Franck Montaugé, vise à mentionner davantage la taxe carbone et à ajouter une recommandation sur le niveau du carbone vis-à-vis du prix de l'électricité.

Le rapport évoque déjà longuement le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) et le fonctionnement du système européen d'échange de quotas d'émission (Seqe-UE). Une hausse de la taxe carbone, qui équivaut à une hausse du prix de l'énergie, aurait des impacts à bien mesurer. Certains secteurs économiques pourraient en pâtir très sérieusement. Des études ont montré que les secteurs de l'automobile, des machines et équipements, du plastique, des produits métalliques et métallurgiques seraient contraints à des suppressions d'emplois. Par ailleurs, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) des ministères sociaux a publié, le 21 février dernier, une étude relative à la taxe carbone qui montre que, en cas d'augmentation de la taxe carbone, les résidents des communes rurales perdent plus de pouvoir d'achat que les autres Français, vu le poids du transport et du chauffage individuel dans leur consommation. Parmi eux, seul un sur cinq est favorable à une hausse de la taxe carbone sans contrepartie.

Je suis donc réservé sur votre proposition, monsieur le président ; restons-en là, à mon sens.

M. Franck Montaugé, président. - Il est très difficile de mettre en oeuvre ce mécanisme sans entraîner de fortes conséquences sociales. Cela dit, je pense qu'il s'agit d'un outil fondamental, compte tenu du niveau que le réchauffement climatique a atteint dans la période actuelle.

M. Daniel Salmon. - La taxe carbone est un outil incitatif fantastique ; c'est le couteau suisse de la transition écologique. Si l'on veut mettre en place des politiques de sobriété et d'efficacité énergétiques, il faut donner un prix au carbone.

Bien sûr, cela soulève la question du pouvoir d'achat, mais celle-ci peut être abordée autrement, et nous avons des propositions sur le sujet. Nous avons besoin de la taxe carbone ; je souscris donc à cette proposition.

La proposition de modification n° 6 n'est pas adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 7 de Mme Martine Berthet vise à aborder de façon moins négative l'intérêt de l'hydrogène.

Je suggère d'examiner cette proposition de modification en même temps que la proposition n° 30 de M. Daniel Gremillet.

La proposition de modification n° 8 de M. Montaugé vise à aborder la question du renforcement des pouvoirs de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) en matière de tarif.

Cette proposition, qui a pour objet d'éviter des fraudes et des comportements abusifs des fournisseurs alternatifs, me semble satisfaite.

Nous partageons les conclusions du rapport d'information de nos collègues Dominique Estrosi Sassone et Fabien Gay intitulé Mieux prévenir et réprimer la fraude à l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), lesquelles visent à mieux protéger les consommateurs en renforçant les contrôles et les sanctions à l'encontre des comportements abusifs des fournisseurs alternatifs.

Notre recommandation n° 7 prévoit déjà de « mieux contrôler les fournisseurs alternatifs en renforçant significativement les règles prudentielles qu'ils doivent respecter ».

M. Franck Montaugé, président. - Il s'agit en fait d'autoriser la CRE à évaluer l'efficacité des contrats pour différence.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Nous statuerons alors sur cette proposition plus tard.

La proposition de modification n° 9 de Mme Saint-Pé vise à supprimer le terme « alternatif » de la recommandation n° 7, pour qu'elle s'adresse aussi à EDF.

Or appliquer les règles prudentielles auxquelles la recommandation fait référence à EDF n'a pas beaucoup de sens, car il s'agit désormais d'une entreprise publique.

Mme Denise Saint-Pé. - J'entends votre argument, monsieur le rapporteur : respectons la spécificité d'EDF en matière de production. Je retire ma proposition de modification.

La proposition de modification n° 9 est retirée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 10 de Mme Denise Saint-Pé porte sur la sobriété, en ce qu'elle insère, au dernier paragraphe de la page 283 : « En parallèle des efforts réalisés par les individus, il pourrait être pertinent d'interroger la réglementation relative aux appareils électriques, le cas échéant interdire certains appareils... ».

J'y suis défavorable. Nous n'avons pas investigué sur ce sujet, et il me semble gênant de le mentionner au dernier moment.

Mme Denise Saint-Pé. - J'entends, mais cela doit nous interpeller. Il faudra bien mettre un jour le nez dans la fabrication des appareils électriques si nous voulons atteindre la sobriété que nous préconisons. C'est un sujet d'avenir.

M. Stéphane Piednoir. - Je vous invite à consulter le rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) de l'an dernier, que j'ai rédigé avec la députée Olga Givernet, sur les aspects scientifiques et technologiques de la sobriété énergétique.

M. Daniel Salmon. - Je souscris à cette proposition de modification. L'efficacité n'a été que peu abordée dans ce rapport, alors que c'est l'un des enjeux de demain. Les 615 térawattheures mentionnés induisent des possibilités complètement différentes. Mais il est possible que la proposition ne soit pas bienvenue à cette heure...

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - En effet, surtout vu l'état de nos travaux. Peut-être cela donnera-t-il à certains de nos collègues l'envie de creuser le sujet ?

La proposition de modification n° 10 est retirée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Avec sa proposition de modification n° 11, Christine Lavarde souhaite supprimer, page 105, la phrase : « Par ailleurs, la commission d'enquête appelle l'exécutif à remettre sur le métier les projets de révision à la baisse des tarifs d'achat des contrats de soutien à la production d'électricité photovoltaïque signés entre 2006 et 2011 de telle sorte que la rente de situation qu'ils créent cesse de peser sur les finances publiques. » Avis favorable.

La proposition de modification n° 11 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 12 de Christine Lavarde remplace, page 167, la mention du rapporteur par celle de la commission d'enquête. J'y suis favorable.

La proposition de modification n° 12 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Mme Christine Lavarde, avec sa proposition de modification n° 13, prévoit, au premier encadré de la page 175, de remplacer « Enedis » par « le gestionnaire de réseau » et « EDF OA » par « l'acheteur obligé ». J'y suis favorable.

La proposition de modification n° 13 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 14 de Mme Denise Saint-Pé modifie les recommandations nos 9, page 188, et 12, page 299, dans le sens de l'information préalable du client.

Pour la recommandation n° 9, après les mots « sauf si le consommateur, », seraient insérés les mots : « dûment informé au préalable ». La recommandation n° 12 serait complétée par les mots : « après information préalable des usagers ». Avis favorable.

Mme Denise Saint-Pé. - L'usager doit être partie prenante au partage d'informations le concernant. Toutes les associations de consommateurs se battent sur ce point. Une lettre circulaire de la part du fournisseur suffit, mais il faut un accord préalable.

La proposition de modification n° 14 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Mme Denise Saint-Pé suggère, par sa proposition de modification n° 15, de mentionner les perspectives de la géothermie comme alternative à l'électrification, page 206. J'y suis favorable.

La proposition de modification n° 15 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 16 de Mme Denise Saint-Pé complète la troisième phrase du troisième paragraphe de la page 273 par les mots « mais justes », afin de mentionner des « prix bas, mais justes ». Avis favorable.

M. Franck Montaugé, président. - Qu'est-ce qu'un « prix juste » ?

M. Daniel Salmon. - La notion de « prix bas » peut également être interprétée...

Mme Denise Saint-Pé. - Ce sont des prix qui correspondent au coût de production, non des prix qui résultent du dumping.

M. Franck Montaugé, président. - Des prix compétitifs, en somme.

La proposition de modification n° 16 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Nous arrivons à la proposition de modification n° 17 de Mme Christine Lavarde, qui reprend la mention d'une croissance annuelle de 4,7 % page 275, et qui supprime le dernier paragraphe de cette même page.

Je conviens que ces deux paragraphes s'articulent mal. Je propose donc cette rédaction du dernier paragraphe : « Pour atteindre ce rythme de croissance très soutenu, la commission d'enquête estime qu'il convient d'augmenter le rythme de déploiement des équipements bas-carbone et d'accroître les signaux pour accélérer l'électrification des usages, tout en poursuivant les dynamiques d'efficacité et de sobriété. »

Mme Christine Lavarde. - Attention, les 615 térawattheures doivent bien être une prévision, non un objectif, alors que nous visons à moins de consommation. En effet, on parle du rythme de déploiement des émissions bas-carbone, avec un objectif de réduction des gaz à effet de serre, mais pas de la consommation directe d'électricité.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - J'entends votre objection. Nous pourrions donc opter, au début, pour la formulation : « Ce rythme de croissance très soutenue suppose... »

M. Daniel Salmon. - « Supposerait » ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Soit.

Mme Christine Lavarde. - Le bas-carbone n'est pas nécessairement moins consommateur d'électricité.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - C'est un changement d'énergie.

Mme Christine Lavarde. - Ne devrait-on pas plutôt parler de signaux-prix pour des investissements dans les unités de production ? Nous parlons d'un objectif ambitieux d'augmentation de la consommation. Nous devrions conclure à un besoin massif d'investissement, plutôt qu'à un objectif d'augmenter encore la consommation.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - On substitue l'électricité à d'autres énergies, ce qui est nécessaire pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre.

Mme Christine Lavarde. - Parle-t-on bien d'une consommation globale d'énergie équivalant à 615 térawattheures ? Si ce nombre est une pure consommation d'électricité, alors je ne comprends pas.

M. Alexandre Ouizille. - C'est un transfert d'usage.

Mme Christine Lavarde. - Mais une accélération n'est pas nécessairement en ligne avec le constat précédent.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Ce n'est pas un objectif ; c'est une prévision réaliste et ambitieuse.

Mme Christine Lavarde. - Je propose, en ce cas, de rédiger ainsi le début du paragraphe : « La commission d'enquête constate que la réalisation de ce rythme de croissance très soutenu suppose d'augmenter... »

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Formulation intéressante. J'y suis favorable.

M. Franck Montaugé, président. - Très bien.

M. Daniel Salmon. - Cela me convient. Il faut décarboner, et le faire rapidement, mais arriver à 615 térawattheures s'inscrit dans une dynamique globale de croissance. Pour ma part, je privilégie des trajectoires de sobriété : je ne pense pas qu'on les atteindra.

M. Daniel Gremillet. - Si la France réindustrialise, on va vers la croissance. Je partage l'avis du rapporteur. Sinon, cela veut dire que nous sommes en récession. Nous n'atteindrons pas la décarbonation et la hausse de la productivité sans augmentation. Ce compromis me convient.

La proposition de modification n° 17, ainsi modifiée, est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Avis favorable à la proposition de modification n° 18 de Mme Christine Lavarde, qui, page 283, remplace la mention du rapporteur par celle de la commission d'enquête.

La proposition de modification n° 18 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 19 de Mme Christine Lavarde supprime, au deuxième paragraphe de la page 289, les mots : « et devrait faire l'objet d'une évaluation interministérielle. Au-delà, les corps de contrôle de l'État pourraient être mobilisés par l'exécutif pour dégager des pistes et initiatives en matière de sobriété énergétique. » Avis favorable.

Mme Christine Lavarde. - Ce travail relève de notre mission de contrôle. Ne demandons pas un rapport !

La proposition de modification n° 19 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Mme Denise Saint-Pé suggère, par sa proposition de modification n° 20, d'insérer, après la première phrase du troisième paragraphe de la page 291, sur les véhicules lourds, la phrase : « Il convient néanmoins de développer les études relatives à l'hydrogène natif (hydrogène blanc). »

M. Franck Montaugé, président. - Bonne suggestion.

Mme Denise Saint-Pé. - Il existe des gisements non développés en France. Lançons des études !

Mme Christine Lavarde. - Le rapport mentionne l'électrification des véhicules lourds comme étant privilégiée, alors que, voilà encore trois ans, nous entendions justement que les batteries étaient trop lourdes pour les camions et qu'il valait mieux se tourner vers l'hydrogène. Pourquoi un tel changement d'orientation ?

Mme Denise Saint-Pé. - Lancer des études ne nous engage guère.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - On nous a alertés en audition, mais nous n'avons pu le vérifier. La proposition de Denise Saint-Pé ne peut nuire.

Mme Christine Lavarde. - Je n'ai pas de difficulté avec cet ajout, mais n'endossons pas un tel changement d'orientation.

M. Daniel Salmon. - Aujourd'hui, on observe de gros progrès sur les batteries. Ce qui était impensable hier devient probable pour demain. Pour l'utilitaire, la batterie devient le mode le plus performant, alors que l'hydrogène pose question. Pour les gros poids lourds, on progresse encore. Une batterie conserve 80 % de l'énergie, alors que le rapport est d'un dixième pour l'hydrogène issu de l'électricité nucléaire.

La proposition de modification n° 20 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je propose d'examiner la proposition de modification n° 21 de MM. Montaugé, Lurel, Michau et Ouizille, sur l'impact territorial des énergies renouvelables intermittentes, en même temps que la proposition de modification n° 26.

M. Franck Montaugé, président. - L'important est que ce thème soit abordé dans le rapport.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Avis favorable à la proposition de modification n° 22 de M. Franck Montaugé, qui ajoute une recommandation après la recommandation n° 13, page 325 : « Veiller à optimiser les investissements nécessaires aux réseaux de transports et de distribution en limitant une trop grande dispersion des sites de production électrique ». Limiter la dispersion réduit le coût des réseaux, qui est lourd.

M. Daniel Salmon. - J'entends bien, mais l'intérêt des énergies renouvelables est qu'elles sont diffuses. On peut avoir une répartition optimale sur le territoire avec des parcs photovoltaïques de 5 à 10 hectares, qui sont acceptables. Passer à 50 ou 100 hectares, c'est tout autre chose. Il y a un équilibre à trouver entre optimisation du réseau et moindre concentration.

M. Franck Montaugé, président. - Je suis d'accord, mais l'impact financier de l'optimisation du réseau est loin d'être neutre.

La proposition de modification n° 22 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 23 de Mme Christine Lavarde supprime le deuxième paragraphe du 2, page 356, qui commence par « Compte tenu des enjeux... ». Toutefois, l'idée n'était pas d'augmenter les effectifs de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), mais de s'assurer que les services de l'État puissent, à effectifs constants, disposer d'une véritable expertise sur les coûts de production des différentes filières et des scénarios de mix électrique, en accord avec la Cour des comptes.

Je propose une rédaction alternative, qui remplace les mots : « se dotent de réels moyens et compétences pour calculer et expertiser les coûts » par les mots : « réalisent de vrais travaux d'expertise des coûts ».

Mme Christine Lavarde. - Vu les effectifs de la DGEC, ce n'est de toute façon pas elle qui fera ces travaux : c'est la CRE. La Cour des comptes déplore un manque de travail qualitatif.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Nous pourrions donc nous appuyer sur la seule CRE ?

Mme Christine Lavarde. - Sur le renouvelable, c'est elle qui a le plus de données. C'est moins sûr, en revanche, sur des filières en devenir, comme le nouveau nucléaire.

M. Franck Montaugé, président. - La CRE, autorité indépendante, n'est pas censée travailler pour la DGEC.

Mme Christine Lavarde. - Elle rend ses travaux publics. Ses avis sur les projets d'arrêtés tarifaires sont basés sur des hypothèses de coûts, publiques dans les délibérations. C'est pour cela qu'elle collecte des données, notamment sur le renouvelable. En revanche, je ne sais pas quelles sont les données dont elle dispose pour le nucléaire.

M. Franck Montaugé, président. - Cela veut dire que l'État n'a pas ses propres moyens d'analyse.

Mme Christine Lavarde. - Il ne les a pas, mais, si c'était le cas, il y aurait une redondance entre la DGEC et la CRE, distantes de quelques stations de métro...

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je suis favorable à la proposition de modification et à la suppression du paragraphe.

M. Stéphane Piednoir. - Ne pourrait-on pas retenir la seule mention des services de l'État, sans citer la DGEC ?

Mme Christine Lavarde. - Cela engloberait-il les autorités de régulation et la CRE, financées par des deniers publics, qui font ce travail ?

M. Daniel Salmon. - Que dit la Cour des comptes sur ce sujet précisément ? Est-ce aux services centraux de l'État de faire le travail ? Il n'y a pas besoin de doublon si la CRE le fait déjà.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La Cour des comptes mentionne bien la DGEC.

Mme Christine Lavarde. - En creux, cela refond toute la régulation dans le domaine de l'énergie, car les données concrètes sont à la CRE, pas à la DGEC ! Je parle en connaissance de cause...

M. Didier Mandelli. - Il n'y a pas de structure équivalente à l'Autorité de régulation des transports (ART) au ministère des transports. C'est le même cas de figure. Supprimons le paragraphe.

La proposition de modification n° 23 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Avis favorable à la proposition de modification n° 24 de Mme Denise Saint-Pé, qui prévoit de compléter le (2) du a), page 399, par une présentation de la répartition des investissements dans le réseau de distribution entre Enedis et les autorités organisatrices de la distribution d'énergie (Aode) et l'importance des financements du compte d'affectation spéciale « Financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (Facé), anciennement le fonds d'amortissement des charges d'électrification, qui doit être préservé.

Je propose donc d'insérer le paragraphe suivant : « La commission d'enquête rappelle que la maîtrise d'ouvrage des travaux réalisés sur les infrastructures du réseau de distribution est partagée entre Enedis et les autorités organisatrices de la distribution d'énergie (Aode). Pour l'essentiel, les travaux portant sur les réseaux de distribution situés en zone rurale relèvent de la maîtrise d'ouvrage de ces dernières. Dans un rapport de 2022, la Cour des comptes estimait à environ 700 millions d'euros par an les investissements annuels consentis par les Aode au titre des opérations qui relèvent de leur maîtrise d'ouvrage. Instauré en 1936, le dispositif de financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale apporte un soutien financier indispensable aux investissements réalisés par les Aode dans les réseaux de distribution des communes rurales. La commission d'enquête tient à souligner le caractère essentiel de ce dispositif, dont il convient d'assurer la pérennité sur la durée. »

Mme Denise Saint-Pé. - L'État lorgne sur le Facé. Or ce fonds, peu doté, aide les collectivités, par exemple, à changer les fils nus en fils torsadés pour résister aux intempéries. Ce financement aide surtout les collectivités du monde rural, qui en ont bien besoin.

La proposition de modification n° 24 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Avec sa proposition de modification n° 25, Mme Christine Lavarde souhaite remplacer la mention du rapporteur, aux deuxième et quatrième paragraphes de la page 404, hors encadré, par celle de la commission d'enquête. Avis favorable.

La proposition de modification n° 25 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 26 de Mme Denise Saint-Pé insère, avant le tableau de la recommandation n° 14, page 405, le paragraphe : « Par ailleurs, au-delà des enjeux liés au réseau de distribution, il convient d'examiner les conditions d'une meilleure répartition des recettes tirées par les collectivités territoriales de l'implantation de capacités de production d'énergie renouvelable. »

M. Franck Montaugé, président. - Les critères aboutissent à une répartition différente de celle d'aujourd'hui.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je propose donc la rédaction suivante pour la recommandation n° 14 : « Tout en veillant à l'équilibre du développement des territoires, et aux conditions d'une meilleure répartition des recettes tirées par les collectivités de l'implantation de capacités de production d'énergie renouvelable, limiter la dispersion des sites de production électrique afin d'optimiser les investissements nécessaires aux réseaux de transports et de distribution. »

M. Franck Montaugé, président. - Nous sommes d'accord.

Mme Denise Saint-Pé. - C'est la grande question que vous posiez : où sont les sites ? Qui prend en charge le coût de raccordement ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Cette proposition de modification n° 26, si elle était adoptée, satisferait la proposition n° 21 et la proposition n° 27 de M. Montaugé.

La proposition de modification n° 26 est adoptée. En conséquence, les propositions de modification nos 21 et 27 deviennent sans objet.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Mme Denise Saint-Pé suggère, avec sa proposition de modification n° 28, de modifier la recommandation n° 16, page 421. Il s'agit de remplacer les mots : « intérêt économique pour la France » par les mots : « intérêt économique européen ».

Je propose que nous restions sur la notion de France. Dans le cas d'intérêts européens, c'est à l'Union européenne d'assurer la totalité du financement. Un partage se fait déjà sur le coût des interconnexions, selon l'intérêt de chaque pays.

Mme Denise Saint-Pé. - Dès lors que l'on est interconnecté - je le vois, habitant près de l'Espagne -, cela sert chacun des deux pays. En cas de déprise d'un pays, l'autre l'aide. Je ne suis cependant pas rigide sur le terme « européens ».

M. Franck Montaugé, président. - Historiquement, cela a profité aux exportations françaises plus qu'aux espagnoles...

M. Daniel Salmon. - Je rejoins la proposition de notre collègue. Il y a un réseau européen. L'interconnexion nous sert. On ne peut pas rester seulement franco-français alors que certains réseaux servent essentiellement au transit, comme entre l'Espagne et l'Allemagne. Pourquoi ne pas mentionner la France et l'Europe ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - C'est précisément pour la raison que vous avancez que mentionner les intérêts de la France, ce n'est pas jouer contre l'Europe. Je reste défavorable à la proposition.

Mme Denise Saint-Pé. - En ce cas, je la retire.

La proposition de modification n° 28 est retirée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 29, présentée par Mme Denise Saint-Pé, concerne les expérimentations de modulation de puissance électrique, destinée à éviter les coupures, qui se sont déroulées en zones rurales et que le projet de rapport mentionne en page 434. Il s'agirait de les conduire également dans une ou plusieurs métropoles de France.

Cette proposition ne me pose pas de difficulté.

La proposition de modification n° 29 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 30 de M. Daniel Gremillet complète, en la nuançant, la présentation de l'hydrogène de la page 457 du projet de rapport, afin de valoriser notamment l'hydrogène bas-carbone produit à partir de l'électricité nucléaire. Elle conduit à l'ajout d'un paragraphe très favorable à cette source d'énergie.

Ce paragraphe sur les perspectives prometteuses de la production d'hydrogène semble mal positionné. En effet, il serait placé dans une partie qui traite non de l'intérêt de la production d'hydrogène en tant que tel, mais de l'utilisation de l'hydrogène en matière de stockage d'électricité et des incertitudes en la matière ainsi que de la flexibilité du réseau électrique.

Toutefois, le titre de la partie considérée est effectivement trompeur, en ce qu'il laisse entendre que l'hydrogène constitue en soi une incertitude majeure. Aussi est-il proposé de remplacer la formulation « 3. L'hydrogène et le stockage de l'électricité : “une incertitude majeure” » par « 3. Utiliser l'hydrogène pour stocker de l'électricité : “une incertitude majeure” ».

En parallèle, il est suggéré, d'une part, de déplacer le paragraphe proposé par M. Daniel Gremillet dans la partie II du projet de rapport, relative à la consommation, aux pages 317 et suivantes, au 5 du C du IV, intitulé « 5. Dimensionner et phaser correctement la montée des besoins électriques liés aux utilisations de l'hydrogène bas-carbone », d'autre part, d'en retenir une rédaction légèrement modifiée, qui serait la suivante : « Si l'hydrogène peut soulever des incertitudes, notamment quant à son rendement, les conditions de son développement à des prix compétitifs méritent néanmoins d'être explorées. Au reste, de nombreux industriels, en France comme à l'étranger, plaident pour développer ce vecteur, afin de décarboner l'industrie ou la mobilité lourde. De plus, des stratégies de déploiement de l'hydrogène décarboné sont mises en oeuvre depuis plusieurs années, en France comme en Europe, et doivent être poursuivies. Le Sénat s'est d'ailleurs montré précurseur, en faisant adopter un objectif de 20 % à 40 % d'hydrogène décarboné d'ici 2030, dans le cadre de la loi Énergie-climat de 2019, et un objectif de 6,5 gigawatts (GW) d'hydrogène par électrolyse d'ici 2030, dans le cadre de la loi Nouveau nucléaire de 2023. En effet, en France, la relance de l'énergie nucléaire offre un potentiel d'essor de l'hydrogène à des coûts maîtrisés. »

M. Franck Montaugé, président. - Sommes-nous là en phase avec ce que dit RTE dans son étude sur les futurs énergétiques sur le sujet de l'hydrogène ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Il me semble que nous sommes en ligne avec les conclusions du gestionnaire du réseau de transport.

M. Daniel Gremillet. - Nous le sommes aussi avec les objectifs que le Sénat a fait adopter dans la législation.

Il n'était pas évident de bien positionner le paragraphe objet de la proposition dans le projet de rapport. Je suis d'accord avec votre proposition de rectification.

M. Daniel Salmon. - Je vote contre une proposition de modification qui se réfère au développement du nucléaire, quand l'hydrogène prend tout son sens d'abord avec les EnR, qui permettent d'obtenir directement une énergie électrique finale.

L'hydrogène entraîne une perte à la production de l'ordre de 60 %, quand l'énergie primaire du nucléaire, à savoir de la chaleur, offre déjà, pour obtenir de l'électricité, un rendement qui n'excède pas 30 %. Produire de l'hydrogène à partir de cette électricité d'origine nucléaire ramène ainsi le rendement de l'énergie primaire du nucléaire à environ 10 % seulement. Le gâchis est monumental !

Au surplus, à la différence des EnR, pour lesquelles le coût marginal est quasiment nul, le recours au nucléaire engendre des déchets. Il vaut donc mieux ralentir la marche de centrales nucléaires plutôt que celle d'éoliennes...

M. Daniel Gremillet. - Les auditions que j'ai pu réaliser à l'occasion de l'exercice d'autres responsabilités au sein de la commission des affaires économiques du Sénat montraient que les électrolyseurs à haute température permettent aujourd'hui des rendements bien meilleurs, y compris en comparaison de ceux que l'on obtient avec de l'hydrogène fabriqué à partir d'EnR. C'est prouvé scientifiquement, et nous le savons tous. C'est davantage un problème de sécurité du nucléaire et de positionnement à cet égard qui se pose. Le gâchis consisterait à ne pas mettre à profit notre capacité actuelle d'utilisation de la chaleur, l'énergie primaire du nucléaire.

La proposition de modification n° 30, ainsi modifiée, est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition n° 31 de Daniel Gremillet insère, à la page 460 du projet de rapport, après la citation d'Engie, un paragraphe sur les Step, indiquant qu'elles « constituent l'un des moyens de stockage de l'électricité les plus éprouvés et les plus prometteurs en France. »

Je souscris à l'insertion de ce paragraphe.

La proposition de modification n° 31 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition n° 32 de M. Daniel Gremillet tend à remplacer, à l'avant-dernier paragraphe de la page 466 du projet de rapport, les mots « construction massive de nouvelles centrales thermiques » par « flexibilités massives, dont les centrales thermiques de sources renouvelables ou bas-carbone ».

Je suis également d'accord.

La proposition de modification n° 32 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 33 de MM. Montaugé, Lurel, Michau et Ouizille concerne la recommandation n° 21 relative au différend sur les concessions hydroélectriques, formulée à la page 530 du document. Il s'agit de mettre en avant la solution du régime d'autorisation, qui était celle envisagée par le Gouvernement.

Dans la rédaction du projet de rapport, j'ai plutôt fait le choix d'inciter le Gouvernement à prendre rapidement position, sans mentionner de préférence pour une solution par rapport à une autre, tout en présentant un tableau comparatif des avantages et des inconvénients de chacune d'elles. Je souhaite que nous en restions à ce choix.

M. Franck Montaugé, président. - Je ne retire pas la proposition de modification, que je soumets au vote de la commission.

La proposition de modification n° 33 n'est pas adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Avec la proposition de modification n° 34, Mme Christine Lavarde suggère de remplacer l'échéance de 2024 de la recommandation n° 21, fixée à la page 530, par celle de 2025.

Je propose de retenir une échéance à mi-2025. Même si des incertitudes planent sur le prochain Gouvernement, la décision devra être prise assez rapidement.

M. Franck Montaugé, président. - C'est en effet plus réaliste ainsi.

M. Daniel Gremillet. - Et il importe, à un moment donné, de sonner la fin de la partie !

M. Franck Montaugé, président. - Oui, avec une date butoir.

La proposition de modification n° 34, ainsi modifiée, est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 35 de Mme Denise Saint-Pé, qui prévoit l'ajout des mots « , dans sa majorité, » après « la commission d'enquête » en page 537 du projet de rapport, n'a pas lieu d'être, l'ensemble du document supposant l'accord de la majorité des membres de la commission.

La proposition de modification n° 35 est retirée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 36 de Mme Christine Lavarde supprime, à la page 535 du projet de rapport, la phrase « Elle considère également que le développement des éoliennes terrestres doit prendre en compte une répartition équilibrée sur l'ensemble du territoire. »

L'idée émise dans le document est celle d'une répartition non diffuse, mais équilibrée, des éoliennes entre les régions, afin d'éviter des formes de concentration. Je préférerais maintenir la phrase en question.

M. Franck Montaugé, président. - Cela dit, les régimes de vent ne sont pas les mêmes partout et il est plus ou moins pertinent d'installer des éoliennes selon les régions.

Mme Christine Lavarde. - Je comprends mieux le sens de la phrase que j'ai proposé de supprimer. C'est son articulation avec les développements qui la précèdent dans le projet de rapport, sur les contraintes que pose le retrait des mâts d'éolienne, qui ne me semblait d'abord pas aller de soi. Je n'ai pas de difficulté avec le principe même que chacun prenne sa part à l'effort de production d'électricité d'origine éolienne.

La proposition de modification n° 36 est retirée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 37 de MM. Montaugé, Lurel, Michau et Ouizille tend à ce que, à la recommandation n° 26, les solutions de financement possibles, non précisées par la commission d'enquête, malgré les demandes réitérées en auditions, soient retenues et engagées en fonction de leurs coûts spécifiques.

Cette demande de modification semble satisfaite par la rédaction actuelle du rapport, qui prévoit que le dispositif de financement retenu soit optimal dans la perspective d'aboutir à un coût de l'électricité produite le plus faible possible.

M. Franck Montaugé, président. - Nous n'avons pas obtenu de réponse claire aux questions que nous avons posées sur la manière de financer le nouveau nucléaire, qui pèsera énormément sur les prix, bien davantage que les investissements initiaux.

Par ordre croissant, les quatre modes de financement sont les suivants : le financement public ; la base d'actifs régulés (BAR) ; les CfD ; les Power Purchase Agreements.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. -Je suggère d'intégrer à la recommandation n° 26 les mots suivants : « Les solutions de financement possibles, non précisées par la commission d'enquête malgré les demandes réitérées en auditions, doivent être retenues et engagées en fonction de leurs coûts spécifiques. Elles peuvent être combinées pour optimiser les coûts totaux engagés dans la moyenne et longue durée. »

La proposition de modification n° 37 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Par la proposition de modification n° 38, Daniel Gremillet propose, à la page 602 du rapport, de remplacer le paragraphe suivant : « La deuxième hypothèse nécessiterait de déployer des capacités de production d'électricité fondées sur les technologies des petits réacteurs modulaires (SMR). Or, d'ici 2050, il semble improbable que des capacités massives de SMR puissent être mises en service. Par ailleurs, la quasi-intégralité des acteurs interrogés par la commission d'enquête sur ce sujet ont confirmé le fait que l'utilité des SMR pour la production électrique en France était très discutable et, en toute hypothèse, les puissances et volumes de production concernés seraient nécessairement modestes. », par un paragraphe ainsi rédigé : « La deuxième hypothèse nécessiterait de déployer des capacités de production d'électricité fondées sur les technologies des petits réacteurs modulaires (SMR). D'ici 2050, et sans se substituer aux réacteurs électronucléaires existants ou aux EPR 2 en projet, les SMR pourraient constituer une voie de production d'électricité et de chaleur décarbonées complémentaire. En effet, ils peuvent permettre de répondre à un besoin local, de manière plus rapide et moins coûteuse. Par ailleurs, de nombreux pays développés ont engagé des projets de commercialisation à l'export. Plusieurs acteurs interrogés par la commission d'enquête sur ce sujet ont présenté les avantages et les inconvénients de cette technologie. »

M. Daniel Gremillet. - Il me paraît important d'insister sur les perspectives offertes à notre pays par les SMR. Une bataille internationale est en train d'être menée, tandis qu'EDF évolue quant à la taille envisageable de ces SMR, même si leur émergence possible viendrait contrarier son monopole.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Nous proposons une rédaction de compromis : « La deuxième hypothèse nécessiterait de déployer des capacités de production d'électricité fondées sur les technologies des petits réacteurs modulaires (SMR), dont plusieurs acteurs interrogés par la commission d'enquête ont présenté les avantages et les inconvénients. Les SMR pourraient constituer une voie de production d'électricité complémentaire et, plus encore, de chaleur décarbonées. En effet, ils peuvent permettre de répondre à un besoin local, de manière plus rapide et moins coûteuse, notamment via un raccordement aisé sur faible distance. Mis en oeuvre dans de nombreux pays développés, ils constituent, par ailleurs, un concept séduisant pour des projets de commercialisation à l'export et sont ainsi de nature à contribuer au renforcement de la filière nucléaire. Pour autant, d'ici 2050, il semble encore improbable que des capacités massives de SMR puissent être mises en service et leur permette de se substituer aux réacteurs électronucléaires existants ou aux EPR 2 en projet. »

M. Daniel Gremillet. - En effet, les SMR n'ont pas vocation à remplacer les EPR. En revanche, ils peuvent remplacer une source de production d'énergie non décarbonée, en particulier dans les zones en sous-capacité non interconnectées.

M. Franck Montaugé, président. - Il conviendrait de définir une doctrine nationale de développement et d'exploitation des SMR. Je suis sur la même ligne que Daniel Gremillet quant à l'usage qui peut en être fait, mais ils soulèvent quand même quelques questions : dissémination, sécurité, etc. Il faut définir une doctrine !

M. Daniel Gremillet. - Rien ne se fera sans le feu vert de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Par ailleurs, certaines technologies ne présentent pas de risque de dissémination.

M. Daniel Salmon. Pour que ces SMR soient rentables, il faut en produire en quantité, et, par conséquent, en exporter. À ce jour, un tel marché n'existe pas.

En outre, l'exportation de tels réacteurs soulève des questions géopolitiques et de dissémination. Compte tenu du marché actuel, les SMR ne peuvent être installés partout dans le territoire.

L'Autorité de sûreté nucléaire, que nous avons reçue, nous a d'ailleurs dit qu'il n'était pas question d'en rabattre sur la sûreté. Ces futures installations nécessiteraient d'être protégées - une centrale nucléaire, c'est un véritable bunker.

Le modèle économique des SMR soulève nombre de questions. Peut-être faudra-t-il qu'une caserne de gendarmes soit établie à proximité, alors même que le volume de production d'un SMR est bien plus faible que celui d'une centrale classique.

Il aurait été plus astucieux d'investir les 100 milliards d'euros consacrés au développement des SMR dans des politiques d'efficacité et de sobriété énergétiques, car la technologie du SMR n'est pas mûre.

M. Franck Montaugé, président. - Serait-il possible d'ajouter, avant la proposition de rédaction de M. Gremillet, les mots suivants : « Dans le cadre d'une doctrine nationale de développement et d'exploitation des SMR, » ?

M. Daniel Gremillet. - Le terme « doctrine » me pose problème.

M. Franck Montaugé, président. - On peut en choisir un autre.

M. Daniel Gremillet. - Peu de travaux ont été réalisés jusqu'à présent.

Dans certains cas - je pense au projet Naaera -, il n'y a guère besoin de sécuriser les installations à l'aide de CRS, mon cher collègue !

Ne tuons pas la recherche à la française. Ne soyons pas, une fois de plus, dépassés par des technologies qui voient le jour à travers le monde.

Comme pour l'hydrogène, tout se joue maintenant. La France restera-t-elle dans la course ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Nous pourrions écrire le membre de phrase proposé par M. le président, à savoir « Dans le cadre d'une stratégie nationale de développement et d'exploitation, les SMR », après la phrase suivante : « La deuxième hypothèse nécessiterait de déployer des capacités de production d'électricité fondées sur les technologies des petits réacteurs modulaires (SMR), dont plusieurs acteurs interrogés par la commission d'enquête ont présenté les avantages et les inconvénients. »

M. Franck Montaugé, président. - Très bien !

La proposition de modification n° 38, ainsi modifiée, est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je suis d'accord avec la proposition de modification n° 39 de Mme Berthet, laquelle vise à ajouter que les contrats de long terme doivent non seulement prévoir une garantie de prix, mais aussi un engagement en volumes livrés.

M. Franck Montaugé, président. - L'industriel est confronté aux variations de production : que se passe-t-il quand les consommations ne sont pas à la hauteur des volumes contractualisés ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je ne sais pas, mais un tel engagement ne me semble pas aberrant.

Mme Christine Lavarde. - Il s'agit d'un contrat ; il y a des clauses...

M. Franck Montaugé, président. Oui, mais le risque existe.

M. Daniel Gremillet. - Bien sûr, mais un tel risque pourra être anticipé par les contractants.

La proposition de modification n° 39 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 40 de MM. Montaugé, Lurel, Michau et Ouizille vise à créer un fonds de compensation CfD géré par la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

Je suis d'accord avec cette proposition et vous suggère de rédiger ainsi la recommandation : « Mettre en place un CfD sur le parc nucléaire historique fonctionnant au moyen d'un fonds de compensation géré par la CDC ou tout autre organisme et ayant vocation à être étendu à l'ensemble des moyens de production décarbonés. »

Mme Christine Lavarde. - Pourquoi avoir choisi la CDC ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La Caisse gère historiquement les dépôts. Au reste, il est écrit « ou tout autre organisme », ce qui permet de rester souple.

La proposition n° 40, ainsi modifiée, est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 41 de MM. Montaugé, Lurel, Michau et Ouizille tend à demander un rapport d'évaluation périodique de l'efficience des contrats pour différence à la CRE.

J'émets un avis favorable et vous propose d'insérer la phrase suivante : « La commission d'enquête suggère que la CRE réalise de façon périodique des évaluations de l'efficience de la régulation sous forme de CfD ».

La proposition de modification n° 41 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 42 de Mme Christine Lavarde vise à rédiger ainsi la phrase commençant par « Ce constat s'explique par (...) », à la page 701 du rapport : « Ce constat s'explique par l'augmentation très significative entre 2010 et 2016 de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) créée pour financer les dispositifs de soutien aux installations de production d'électricité renouvelable, la péréquation tarifaire avec les territoires d'outre-mer et la tarification sociale. »

La proposition de modification n° 42 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Avis favorable à la proposition de rédaction n° 43 de Mme Christine Lavarde, qui, à la deuxième phrase du dernier paragraphe de la page 701, remplace les mots : « dispositifs de soutien aux EnR » par les mots : « dispositifs publics de soutien ».

La proposition de modification n° 43 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Avec la proposition de rédaction n° 44, Mme Christine Lavarde suggère de rédiger ainsi les deuxième et troisième tirets, page 713 :

« - le tarif d'accise serait maintenu à 21 euros par MWh pour les volumes de consommation situés entre les seuils bas ci-dessus et 7, 5 MWh pour les ménages non chauffés à l'électricité et 9 MWh pour les autres ;

« - pour les volumes de consommation supérieurs à 7,5 MWh ou 9 MWh résultant de choix individuels et d'activités de loisirs, le tarif d'accise serait porté à 32 euros par MWh, c'est-à-dire le tarif de droit commun appliqué jusqu'en 2021. »

Il s'agit de baisser les volumes à partir desquels on serait soumis aux 21 euros par mégawattheure. Avis favorable.

La proposition de modification n° 44 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 45 de M. Franck Montaugé prévoit de modifier, dans ce même troisième tiret de la page 713, la formulation : « résultant de choix individuels et d'activités de loisirs ».

Je propose de la remplacer par les mots : « qui excèdent significativement le socle de consommation de base ».

Mme Denise Saint-Pé. - Quelle est la définition de « significativement » ?

Mme Christine Lavarde. - Il s'agit des seuils que nous avons définis précédemment.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - En effet.

La proposition de modification n° 45 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 46 de MM. Montaugé, Lurel, Michau et Ouizille tend à supprimer les trois derniers paragraphes de la page 716, relatifs à l'augmentation de TVA de 0,5 point, que je proposais pour compenser les baisses de recettes pour l'État de 3,5 milliards d'euros, dans le cas où des économies n'auraient pu être réalisées. J'assume cette idée, mais je suis favorable à la proposition de modification, pour ne pas focaliser l'attention des journalistes et éclipser le reste.

La proposition de modification n° 46 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 47 de M. Franck Montaugé porte sur la contribution sur la rente inframarginale de la production d'électricité (Crime), mentionnée page 716. Or celle-ci n'a eu qu'un très faible rendement, le Gouvernement s'étant trompé dans ses estimations. Sans dire qu'il faut la supprimer, nous ne pourrons pas nous appuyer sur elle pour tout compenser. Un contrat pour différence raisonnable diminuerait cette rente inframarginale. Avis défavorable.

La proposition de modification n° 47 de M. Franck Montaugé est retirée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Je suis favorable à la proposition de modification n° 48 de Mme Christine Lavarde, qui complète le deuxième paragraphe de la page 716, qui se termine par les mots : « propositions formulées avec constance par le Sénat en la matière. » Il s'agit d'ajouter la phrase : « Par exemple, les montants du chèque énergie pourraient être revus pour tenir compte de la baisse des factures. »

Cet ajout est bienvenu, notamment pour ceux qui se chauffent à l'électricité. La mention « par exemple » invite à une réflexion sur la révision du montant du chèque énergie.

Mme Denise Saint-Pé. - Je m'abstiendrai. Toucher au chèque énergie n'est guère judicieux en ce moment.

M. Franck Montaugé, président. - Je suis sans opinion à ce stade.

Mme Christine Lavarde. - On met du soutien sur le soutien ! Tout ce que nous venons de faire sur les accises, à 7,5 ou 9 mégawattheures, correspond à un retour à la situation d'avant la crise des prix. Le signal-prix sur le développement du renouvelable bénéficie à tous. Ne pas moduler augmentera encore le soutien, alors que les prix de marché vont diminuer.

Tout cela est de nature réglementaire, même si l'enveloppe est définie en loi de finances. Les premiers mégawatts ne coûteront presque rien...

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - On utilise le conditionnel.

M. Franck Montaugé, président. - Le sujet mérite d'être examiné sous toutes ses dimensions. Je n'ai pas les éléments pour juger de la pertinence de cette proposition sur un sujet aussi sensible.

Mme Denise Saint-Pé. - Certes, on enregistre des baisses depuis quelques mois, mais quid du long terme ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Cela s'inscrit dans le cadre de nos recommandations, qui devraient aboutir à une baisse des prix. Dans ce cas, il faut s'intéresser au montant du chèque énergie. Les termes « pourraient » et « par exemple » modèrent le propos. Mais je relève votre abstention.

Mme Denise Saint-Pé. - La rédaction mentionne bien qu'il convient de baisser le montant du chèque énergie.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Non.

Mme Christine Lavarde. - Nous avons modéré la rédaction. Nous avons fait beaucoup de calculs lors de l'examen du projet de loi de finances. On ne peut maintenir le taux de soutien alors que la part du revenu des ménages consacrée à l'énergie peut évoluer très rapidement selon le prix de l'énergie. Le Sénat est vigilant sur les finances publiques.

M. Daniel Salmon. - Les publics ciblés sont-ils bien identifiés ? Les plus défavorisés seront-ils touchés ? Qui sera gagnant ?

Mme Christine Lavarde. - Tout le monde, car tous les consommateurs d'électricité verront leur niveau d'accise baisser pour les premiers kilowattheures de consommation. Ce n'est pas le cas, en revanche, pour une piscine ou trois écrans plasma...

M. Daniel Salmon. - C'est presque de gauche, comme proposition !

M. Franck Montaugé, président. - Je voterai la proposition. Ce n'est pas une recommandation ; c'est un ajout dans le corps du texte du rapport. Accepteriez-vous d'ajouter la mention « , après étude d'impact, » après les mots « chèque énergie » ?

Mme Christine Lavarde. - Oui.

Mme Denise Saint-Pé. - Là, je serais d'accord.

La proposition de modification n° 48, ainsi modifiée, est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Par sa proposition de modification n° 49, Franck Montaugé, Victorin Lurel, Jean-Jacques Michau et Alexandre Ouizille demandent, d'une part, la suppression de la mention de la restriction du périmètre du compte de régulation des charges et des produits (CRCP), et, d'autre part, la remise par le Gouvernement d'un rapport d'évaluation annuel des conséquences du transfert éventuel du financement de la contribution tarifaire d'acheminement (CTA) au budget de l'État.

Sur le premier point, je propose d'enlever, dans le texte de la recommandation n° 15 de la page 416 du projet de rapport, le membre de phrase : « et en restreignant le périmètre du compte de régulation des charges et des produits (CRCP) au strict nécessaire. »

Par ailleurs, je suis favorable au second aspect de la proposition de modification. Nous pourrions, en conséquence, ajouter, à la page 717 du document, après la recommandation n° 34 de substitution d'une dotation budgétaire de l'État à la CTA, la phrase suivante : « Au préalable, la commission estime nécessaire que les services de l'État établissent un rapport d'évaluation des conséquences potentielles de cette substitution. »

M. Franck Montaugé, président. - Idéalement, j'aurais préféré que nous ne traitions pas de ce sujet du régime de retraite des industries électriques et gazières (IEG). Si je peux comprendre qu'il soit abordé et si les formulations retenues me conviennent, je ne suis pas sûr que nous gagnions beaucoup, du point de vue de l'intérêt général, au passage du système actuel d'une taxe à celui d'une dotation de l'État. Il me semble, au contraire, qu'il emportera un surcoût, dans un contexte de dégradation des finances de l'État.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - Son coût sera inchangé, les besoins de la caisse de retraite restant les mêmes. C'est simplement le contribuable qui paiera à la place du consommateur d'électricité. Du reste, les consommateurs sont à peu près tous contribuables, ne serait-ce que parce qu'ils s'acquittent de la TVA.

La proposition de modification n° 49 est adoptée.

M. Vincent Delahaye, rapporteur. - La proposition de modification n° 50 de MM. Montaugé, Lurel, Michau et Ouizille a pour objet une modulation du tarif de l'accise sur l'électricité en fonction des volumes de consommation. C'est ce que nous avons déjà prévu, et je souhaite que nous ne modifiions pas le texte de la recommandation n° 32. Sans conteste, les foyers les plus modestes bénéficieront, sur leur facture, de baisses et de modulations tarifaires.

M. Franck Montaugé, président. - Nous maintenons la proposition de modification, que je soumets au vote.

La proposition de modification n° 50 n'est pas adoptée.

Les recommandations, ainsi modifiées, sont adoptées.

M. Franck Montaugé, président. - Le titre proposé pour le rapport est le suivant : « Éclairer l'avenir : l'électricité aux horizons 2035 et 2050 ».

Le titre du rapport est adopté.

La commission d'enquête, à l'unanimité moins un vote contre, adopte le rapport et les recommandations ainsi modifiés, ainsi que les annexes, et en autorise la publication.

M. Franck Montaugé, président. - Mes chers collègues, je vous rappelle que les groupes politiques ont jusqu'à demain 17 h 35 pour présenter des contributions qui pourront être annexées au rapport.

Je vous remercie vivement de votre participation à des travaux qui nous ont occupés pendant près de six mois. J'ai beaucoup apprécié la qualité de votre contribution et le climat dans lequel nos échanges se sont déroulés.

CONTRIBUTION DU GROUPE ÉCOLOGISTE - SOLIDARITÉ ET TERRITOIRES

Le rapport produit par la commission d'enquête sur la production, la consommation et le prix de l'électricité est conforme aux travaux de qualité que rend le Sénat. Il apporte de nombreux éléments sur ce vaste sujet qu'est celui de l'électricité. Appréhender l'électricité en abordant ses différentes composantes, consommation, production et prix est indispensable car les uns dépendent des autres. Cependant, ce périmètre ambitieux n'a pas permis à la commission d'enquête, malgré un travail très conséquent, d'explorer au fond tous les domaines. Elle n'a que survolé certains points et s'est focalisée très majoritairement sur la production et en particulier sur la production nucléaire. Il eut été intéressant de se pencher plus fortement sur la consommation. À ce titre, les scénarios de sobriété et de frugalité ont été très peu abordés, lorsqu'ils l'ont été, cela a été de manière trop superficielle. De même le stockage, la flexibilité auraient mérité un travail plus approfondi.

Agir sur la consommation par la sobriété et l'efficacité énergétique

La production d'énergie est centrale mais les limites planétaires nous contraignent à revoir de manière globale les modes de consommation pour des raisons de finitude des ressources naturelles et de pollution généralisée. En ce sens, il manque dans ce rapport une vision sociologique qui aurait pu analyser l'impact des choix de développement sur la consommation de manière générale et la consommation d'énergie en conséquence. Le rôle de l'innovation est central, elle peut être au service de l'efficacité comme nous l'avons vu pour l'éclairage ou le froid, elle peut faire évoluer les process industriels vers de fortes réductions de consommation de matière et d'énergie. Mais elle peut également avoir des effets contraires avec la création de nouveaux besoins. Nous constatons bien souvent des effets rebonds qui limitent les gains attendus.

A titre d'exemple, la consommation du numérique est très peu analysée dans le rapport. Les data centers sont extrêmement consommateurs. On en dénombre 264 en France et leur consommation moyenne est estimée à 5,15 MWh/m²/an. Ainsi, un data center de 10 000 m² consomme en moyenne autant qu'une ville de 50 000 habitants. Le fonctionnement du matériel informatique représente environ 50 % des besoins énergétiques. Mais ce matériel a besoin d'être climatisé en permanence. On estime que 30 à 40 % de la consommation totale des data centers ne sert qu'à refroidir les baies de serveurs. Cette consommation gigantesque et exponentielle doit être interrogée car elle sert essentiellement à supporter les échanges numériques destinés aux loisirs et aux divertissements (TikTok, Youtube, Whatsapp ont besoin de ces data centers), et dans ce cadre n'apporte aucun gain de consommation dans les secteurs tertiaires ou secondaires.

Nous sommes donc confrontés à des choix de société qu'il eut été pertinent d'explorer davantage pour éclairer nos politiques énergétiques. Le choix de la continuité avec la poursuite de la trajectoire actuelle ou le choix de la bifurcation avec une consommation en adéquation avec les contraintes terrestres.

Nos propositions s'appuient essentiellement sur les scénarios « Génération frugale » et « coopérations territoriales » de l'ADEME ainsi que les scénarios M0 et M1 de RTE. Ces scénarios sont principalement axés sur la réduction de la consommation énergétique et des ressources naturelles, sur l'efficacité énergétique, ainsi que des changements comportementaux et des pratiques de vie plus sobres et responsables.

Les principales caractéristiques de ces scénarios sont :

1. Sobriété : gain de 90 TWh

· Forte diminution de la demande énergétique par habitant par le changement de comportement des consommateurs et une meilleure gestion de la demande énergétique.

· Mise en place de politiques et de pratiques qui favorisent la sobriété énergétique

Efficacité énergétique : gain de 200 TWh

· Amélioration substantielle de l'efficacité énergétique dans tous les secteurs (résidentiel, tertiaire, transport, industrie). A titre d'exemple les voitures électriques ont des rendements de 90% contre 25-35% pour les moteurs thermiques.

· Rénovation énergétique des bâtiments pour réduire les pertes de chaleur et pour améliorer le confort thermique.

· Réduction des consommations unitaires des équipements

Transition vers les énergies renouvelables :

· Montée en puissance des énergies renouvelables pour compenser la baisse de la consommation d'énergies fossiles.

· Développement de technologies de stockage de l'énergie et de gestion intelligente des réseaux pour intégrer davantage de production renouvelable variable ou intermittente.

Changements comportementaux :

· Promotion de modes de vie plus sobres et de comportements écoresponsables.

· Encouragement à la consommation locale et de saison, ainsi qu'à des pratiques de réutilisation et de recyclage.

Urbanisme et mobilités :

· Développement de villes plus compactes et mieux organisées pour réduire les besoins de déplacement.

· Promotion des modes de transport doux (marche, vélo) et des transports en commun pour réduire la dépendance à la voiture individuelle.

Réduction de la consommation de ressources :

· Mise en place de pratiques d'économie circulaire pour réduire l'extraction de ressources naturelles.

· Augmentation de la durabilité et de la réparabilité des biens.

La réduction des consommations s'inscrit dans le moyen et le long terme avec un objectif de la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) de diminution de 40% d'ici 2050, il convient en parallèle de mettre en place des moyens de production décarbonés et renouvelables.

Des technologies sont matures aujourd'hui et à un prix maîtrisé : éolien, solaire, hydroélectricité. Associées à de la flexibilité, elles ont la capacité d'assurer notre mix électrique d'ici deux décennies. Adapter la consommation à la production est une condition impérative mais ce point n'a pas été traité de manière approfondie dans ce rapport. Les tarifs heures pleines / heures creuses devraient être revus et les plages horaires affinées. Le tarif tempo mériterait d'être davantage mis en avant car il est à ce jour assez méconnu. Enfin, l'installation de compteurs déportés permettrait de gagner en efficacité. Alors que ce principe a été voté en 2015 dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, le décret d'application n'a été publié qu'en 2021 et de façon minimaliste. En effet, ce dernier prévoit que les fournisseurs d'électricité et de gaz naturel proposent l'offre de transmission des données, à leurs clients raccordés au réseau continental interconnecté bénéficiaires du chèque énergie. Les personnes éligibles restent en nombre assez limité et les applications mobiles ne permettent pas de connaître la consommation en temps réel (seulement la consommation des 24 dernières heures). Cet affichage de la consommation instantanée en kWh et en euros dans le logement (donc immédiatement visible) serait pourtant très efficace pour inciter à interrompre les appareils électriques oubliés ou inutiles.

Les énergies renouvelables à même de répondre aux enjeux

Le scénario RTE 100 % renouvelables en 2050 impose de limiter notre consommation aux alentours de 550 TWh et est totalement crédible comme l'a répété à plusieurs reprises Xavier Piechaczyk, président du directoire de RTE. Il réside dans un mix énergétique dans lequel solaire (200 GW), hydroélectricité (25 GW) et éolien (130 GW) assurent la majeure partie de la production électrique. La difficulté réside dans notre capacité à stocker, à effacer, à assurer une flexibilité de la consommation. La montée en puissance de ces capacités de production et de stockage se fera sur deux décennies, durant cette période le nucléaire historique assurera la transition. Des centrales thermiques fonctionnant avec des stockages de longue durée en gaz décarbonés pallieront les absences de production sur quelques jours dans l'année en association avec le stockage hydraulique et le stockage batteries.

La production d'hydrogène par électrolyse permet de développer un stockage flexible qui sera essentiel dans le cadre d'un scénario à hautes proportions en énergies renouvelables.

Une approche de l'électricité par le prisme de l'énergie nucléaire

Cette commission d'enquête s'inscrit dans un contexte d'urgence à décarboner notre société. Nous regrettons que l'essentiel des auditions se soit focalisé sur la relance du nucléaire. D'ailleurs 10 des 26 recommandations du rapport portent sur l'énergie nucléaire. Le retour en grâce de cette énergie est paradoxal car aucun des graves inconvénients inhérents à cette industrie n'a été réglé. Les augmentations de ses coûts, sa faisabilité technique, son incapacité à gérer ses déchets à l'amont comme à l'aval, sa faible capacité de résilience (en particulier dans une économie dégradée), la consommation extrêmement importante d'eau et évidemment les dangers inhérents et les questions de sûreté liées à cette technologie ne sont pas traités.

Les projets de constructions de nouveaux réacteurs EPR2 annoncés par le Président de la République (6 réacteurs dans un premier temps et potentiellement 8 par la suite) s'inscrivent sur le moyen terme avec les premières livraisons envisagées pour 2035 à Penly. Une échéance initiale particulièrement optimiste selon l'aveu même de spécialistes de la filière, qui apparait au fil des mois de plus en plus irréaliste. Or, pour être dans notre trajectoire de décarbonation afin de répondre à l'urgence climatique et pour assurer le bouclage énergétique pour 2030-2035 nous devons agir sans tarder. L'ensemble des scénarios envisagés (RTE, ADEME, Négawatt) prévoient que les énergies renouvelables fourniront l'essentiel de l'électricité en complément à une politique de sobriété et d'efficacité limitant les futurs besoins.

La question du coût de production est centrale. Dans un contexte de très fort développement des énergies éoliennes et solaires à des coûts fortement décroissants sur la dernière décennie, le prix du nucléaire joue en sa défaveur. Avec 447 GW installés en 2023, la production d'énergie solaire explose dans le monde et il aura fallu 8 ans pour passer de 100 TWh à 1000 TWh avec un déploiement rapide et bon marché.

L'absence totale de maîtrise des coûts sur l'EPR de Flamanville illustre bien les difficultés de cette filière. Cette tête de série, fleuron de la relance du nucléaire a viré au fiasco industriel et financier. Il n'y aura pas de série. Les différentes auditions ont permis de revenir sur l'échec cuisant de l'EPR1. De nombreuses leçons issues du retour d'expérience sont tirées. Il s'avère cependant que la course vers un EPR2 est également semée d'embûches en France et à l'international.

La première leçon est de ne pas commencer avant d'avoir terminé les plans de détail. Dans les faits, il semble que l'on se précipite à nouveau avec des travaux de génie civil déjà en cours à Penly. Cet EPR2 reprend une grande partie des organes de l'EPR1 comme la cuve qui pose pourtant toujours des problèmes de flux hydrauliques. Ceci interroge sur la fiabilité de ce futur réacteur.

La commission d'enquête préconise de ne pas exclure de reprendre la technologie N4 en la modernisant, ou comment faire du neuf avec du vieux. Cela reviendrait à faire un EPR3 car il s'agit de se mettre au niveau des normes de sécurité actuelles. On peut imaginer les délais !

Nous constatons que de nombreuses ombres planent sur cette filière, qui n'a rien résolu des problèmes du nucléaire. La question du combustible n'a jamais été aussi prégnante avec l'abandon de l'approvisionnement nigérien et le potentiel développement de nouveaux réacteurs dans le monde. La tension sur le minerai risque d'être forte dans 3 à 4 décennies, soit quelques années après la mise en service des EPR2.

Le coût d'un réacteur sera supérieur à 10 milliards d'euros, la facture dépendra grandement du financement. Le risque industriel sera porté par l'Etat pourtant déjà lourdement endetté. Le montage financier semble très incertain dans un contexte de forte fluctuation du prix du MWh. Comment financer le nouveau nucléaire alors que le MWh issu des EnR est beaucoup plus compétitif ?

Le réseau, un enjeu majeur

Le réseau de transport haute tension comme le réseau de distribution vont mobiliser de lourds investissements publics dans les décennies à venir. Le réseau est vieillissant, il doit être rénové et de plus il doit être adapté à l'électrification de nouveaux secteurs : véhicules électriques, pompes à chaleur, décarbonation de l'industrie. Ces éléments indispensables quel que soit le mix énergétique représentent une part importante des investissements nécessaires. De plus, le déploiement massif des productions renouvelables, par essence diffuses, nécessite des raccordements et le renforcement des interconnexions. Il s'agit ici d'optimiser sans pour autant retomber dans de très grosses unités de production. La question des équilibres territoriaux et celle de l'acceptabilité invitent à la planification et la rationalisation.

Une part plus importante de la facture consacrée au financement des réseaux semble inéluctable, elle devra être portée par les plus gros consommateurs.

Le coût de l'électricité

Le coût de production est un paramètre, mais il est nécessaire de toujours réfléchir en termes de coût système englobant production, stockage, flexibilité et réseaux. Les coûts complets annualisés peuvent être sensiblement plus élevés dans un scénario 100% renouvelable mais cela reste à confirmer sur le long terme. Nous estimons que c'est le coût de la responsabilité et de la sécurité s'inscrivant dans la démarche consommer moins mais vivre mieux.

Améliorer la gouvernance de l'Europe de l'électricité pour plus de solidarité

L'organisation actuelle du marché de l'électricité, bien essentiel et pilier de la transition énergétique, n'est pas satisfaisante. Elle protège insuffisamment les consommateurs vulnérables et ne permet pas aux États membres d'atteindre leurs objectifs politiques de décarbonation, le dogme de la concurrence montrant ses limites pour un secteur aussi stratégique. L'électricité devrait être accessible à toutes et tous, et les choix la concernant être le fruit de délibérations démocratiques.

Une évolution des directives européennes est nécessaire pour permettre aux États membres de mieux maîtriser leur mix électrique et le service offert aux consommateurs en les protégeant, tout en préservant l'optimisation de la rencontre entre l'offre et la demande électrique à la maille européenne, indispensable pour éviter le blackout.

Le modèle en place, dans lequel les investissements publics sont mis au service d'un marché en partie privé, combiné à la lenteur et l'insuffisance des investissements dans les renouvelables et les réseaux, ne permet pas d'atteindre les objectifs d'une politique énergétique, à savoir : garantir le droit à la subsistance, garantir le droit à une énergie accessible dans le respect des limites planétaires, respecter les objectifs climatiques onusiens. L'atteinte de ces objectifs passe notamment par :

-une démarche individuelle et collective de sobriété juste, dans laquelle s'envisagent le principe des premiers kWh gratuits et le plafonnement des consommations excessives ;

-la réalisation d'installations de production d'énergie renouvelable et des réseaux associés.

Il convient de réfléchir à construire un signal prix de long terme à adresser aux consommateurs d'électricité. Le modèle en place entretient un flou en termes de responsabilités entre les États, l'Union européenne et les acteurs privés qui sont censés investir en fonction des opportunités économiques. Ce flou de responsabilité et la construction actuelle des prix ne permettent ni aux producteurs d'avoir une vision à long terme des opportunités, ni aux consommateurs d'être protégés de fluctuations importantes des prix et du développement de rentes par les acteurs privés intégrés dans le marché.

Les défis techniques de l'intégration d'électricité produite à partir des énergies renouvelables impliquent une coordination d'investissements, de choix techniques, de choix de production (comme les coopératives d'énergie ou de production par les particuliers), de pratiques de consommations qui supposent des interventions publiques accrues sur le marché.

Le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires défend une évolution des règles européennes pour permettre une réelle subsidiarité entre les États membres et l'Union européenne concernant les décisions relatives au mix électrique tout en préservant les mécanismes d'optimisation entre l'offre et la demande à l'échelle européenne.

Conclusion

En juillet 2012, la commission d'enquête sur « le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques », à l'initiative du groupe écologiste, rendait son rapport.

Douze ans après, les conclusions d'alors, malheureusement peu suivies d'effets, montrent que l'on en est resté au même point :

« - l'ère de l'énergie électrique à relativement bon marché est révolue, par suite de besoins d'investissement massifs, tant pour le renouvellement de notre parc de production que pour l'adaptation du réseau ;

- le financement de la transition vers un nouveau modèle décentralisé privilégiant sécurité et efficacité énergétique - quelles qu'en soient les modalités - devrait passer par une politique de vérité des coûts et donc des prix qu'il n'est plus possible de différer et pour laquelle il convient de définir les mesures d'accompagnement qui en sont la condition de l'acceptabilité sociale. »

A ce jour, le modèle électrique français reste fragile, nous l'avons constaté avec la panne générique sur les centrales liée à la corrosion sous contrainte. Un système de production 100% renouvelable et durable, moins coûteux pour le consommateur est possible. Il implique une autre conception de la société, des citoyens responsabilisés des collectivités territoriales mobilisées et une forte implication de la puissance publique. Ce scénario nous libérera de notre dépendance envers les pays producteurs de pétrole, de gaz et d'uranium tout en assurant un haut niveau d'exigence en termes de sécurité d'approvisionnement.

Nous regrettons que ce rapport n'ait pas permis d'apporter une vision d'ensemble des nombreux enjeux à l'électricité en particulier ses interactions avec les modes de consommation et déplorons fortement que le parti pris pour l'énergie nucléaire ait en quelques sortes réduit à la portion congrue les auditions d'acteurs portant des alternatives crédibles. C'est pourquoi, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, par la voix de Daniel Salmon, a voté contre ce rapport.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LA COMMISSION

Mercredi 31 janvier 2024

Table ronde

M. Guillaume DEZOBRY, avocat et maître de conférences en droit public ;

M. Nicolas MEILHAN, ingénieur, spécialiste de l'énergie ;

M. Thomas PELLERIN-CARLIN, directeur de programme - Investissements climat européens, Cleantech, à l'Institute for climate economics (I4CE) ;

M. Jacques PERCEBOIS, professeur émérite à l'Université de Montpellier, directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (CREDEN).

Jeudi 1er février 2024

Table ronde

M. Thomas VEYRENC, directeur général économie, stratégie et finances chez Réseau de transport d'électricité (RTE) ;

M. Tanguy de BIENASSIS, analyste investissements énergie et climat à l'Agence internationale de l'énergie ;

M. Yves MARIGNAC, expert énergie à l'association négaWatt.

Mardi 6 février 2024

Table ronde

M. Olivier BARD, délégué général du Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (GIFEN) ;

M. Bernard DOROSZCZUK, président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ;

M. Etienne DUTHEIL, directeur de la division production nucléaire à la direction production nucléaire et thermique d'Électricité de France (EDF).

Jeudi 8 février 2024

Audition commune

M. Joël BARRE, délégué interministériel au nouveau nucléaire ;

M. Xavier URSAT, directeur exécutif en charge de la direction Ingénierie et Projets nouveau nucléaire et de la direction Innovation, Responsabilité d'entreprise et stratégie d'Électricité de France (EDF).

Table ronde

M. Dominique BUREAU, délégué général du Conseil économique pour le développement durable (CEDD) ;

M. Dominique JAMME, directeur général de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) ;

M. Philippe VASSILOPOULOS, directeur Développement de produits d'EPEX SPOT.

Mardi 13 février 2024

Table ronde

M. François JACQ, administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ;

M. Nicolas MAÈS, directeur général d'Orano ;

M. Bernard SALHA, directeur de la recherche et du développement d'Électricité de France (EDF) et directeur technique groupe.

Table ronde

M. Nicolas GOLDBERG, associé énergie et environnement chez Colombus Consulting ;

Mme Béatrice SÉDILLOT, cheffe, et Mme Bérengère MESQUI, sous-directrice des statistiques de l'énergie, du service des données et études statistiques du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires 

M. Julien TEDDÉ, directeur général d'Opéra Énergie.

Mercredi 14 février 2024

Table ronde

M. Nicolas DELOGE, directeur de la régulation des réseaux d'électricité et de gaz naturel à la Commission de régulation de l'énergie (CRE) ;

Mme Marianne LAIGNEAU, présidente du directoire d'Enedis ;

Mme Chloé LATOUR, directrice chargée de la stratégie industrielle chez Réseau de transport d'électricité (RTE).

Mardi 27 février 2024

M. Thomas PIQUEMAL, ancien directeur financier d'Électricité de France (EDF).

M. Thierry LE MOUROUX, directeur exécutif en charge de la préfiguration de la future direction Projets et Construction Nucléaires d'EDF.

Mercredi 28 février 2024

Table ronde

M. Frank ROUBANOVITCH, président du Comité de liaison des entreprises ayant exercé leur éligibilité sur le marché libre de l'électricité (CLEEE) ;

M. Alexandre SAUBOT, président de France Industrie ;

M. Nicolas de WARREN, président de l'Union des Industries Utilisatrices d'Énergie (UNIDEN).

Jeudi 29 février 2024

Table ronde

M. Fabien CHONÉ, président de FABELSI ;

M. Géry LECERF, président de l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG) ;

Mme Claire WAYSAND, directrice générale adjointe, en charge du secrétariat général, de la stratégie, de la recherche & innovation et de la communication du groupe ENGIE.

Mardi 5 mars 2024

Table ronde

Mme Valérie FAUDON, déléguée générale de la Société française d'énergie nucléaire (SFEN) ;

M. Olivier HOUVENAGEL, directeur de l'économie du système électrique de RTE ;

M. David MARCHAL, directeur exécutif de l'expertise et des programmes à l'ADEME.

Mercredi 6 mars 2024

Table ronde

M. Joseph FONIO, président et M. Pierre PEYSSON, directeur France Éolien en mer de RWE Renouvelables France ;

M. Michel GIORIA, délégué général de France Renouvelables ;

M. Jules NYSSEN, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER).

Jeudi 7 mars 2024

Table ronde

M. Guillaume DECAEN, directeur du développement France de Neoen ;

Mme Carlotta GENTILE LATINO, directrice des activités terrestres France d'EDF Renouvelables ;

M. David GRÉAU, délégué général d'Enerplan.

Mardi 19 mars 2024

Table ronde

M. Julien FRANÇAIS, directeur général de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) ;

Mme Alix PERRIN, professeur agrégée de droit à l'Université Paris Dauphine-PSL ;

Mme Emmanuelle VERGER-CHABOT, directrice d'EDF Hydro.

Mercredi 20 mars 2024

Table ronde

M. Yannick JACQUEMART, directeur nouvelles flexibilités chez RTE ;

Mme Catherine RIVIÈRE, directrice générale adjointe et M. Benjamin HERZHAFT, directeur du Centre de résultats Systèmes énergétiques, de l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN) ;

M. Stéphane SARRADE, directeur des programmes énergie au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

Mercredi 3 avril 2024

M. Marc BENAYOUN, directeur exécutif du groupe EDF, en charge du pôle Clients, Services & Territoires.

Jeudi 4 avril 2024

Table ronde

M. Antoine AUTIER, responsable des études et du lobby et Mme Lucile BUISSON, chargée de mission énergie - transports et environnement de l'UFC-Que Choisir ;

M. François CARLIER, délégué général de l'Association nationale de défense des consommateurs et usagers (CLCV).

M. Cédric LEWANDOWSKI, directeur exécutif du groupe EDF, en charge de la direction du Parc nucléaire et thermique.

Mardi 9 avril 2024

Table ronde

M. José FERNANDES, délégué syndical central CGT pour la FNME-CGT ;

M. Alexandre GRILLAT, secrétaire national affaires publiques et européennes à la CFE-Énergies, et Mme Amélie HENRI, déléguée syndicale centrale CFE Énergies ;

M. Paul GUGLIELMI, délégué syndical central - délégué fédéral FNEM-FO ;

M. Julien LAPLACE, délégué syndical central CFDT.

Mme Sophie MOURLON, directrice générale de l'énergie et du climat et M. Timothée FUROIS, sous-directeur des marchés de l'énergie à la direction générale de l'énergie et du climat.

M. Thomas COURBE, directeur général des entreprises et M. Hubert VIRLET, directeur de projets Politique énergétique et compétitivité à la direction générale des entreprises.

Mercredi 10 avril 2024

M. Luc RÉMONT, président-directeur général du groupe EDF.

Mercredi 30 avril 2024

Mme Emmanuelle WARGON, présidente et M. Dominique JAMME, directeur général, de la Commission de régulation de l'énergie (CRE).

Mme Agnès PANNIER-RUNACHER, en sa qualité d'ancienne ministre de la Transition énergétique.

Mercredi 15 mai 2024

Table ronde

M. Benjamin BAILLY, directeur des marchés et de l'innovation de Voltalis ;

Mme Natacha HAKWIK, présidente et M. Romain BENQUEY, référent sujet flexibilité, de Luciole ;

M. Vincent MAILLARD, président d'Octopus Energy ;

M. Sébastien PIALLOUX, vice-président flexibilité Europe/Australie d'Engie.

M. Pierre JÉRÉMIE, ancien directeur adjoint du cabinet de Mme Agnès Pannier-Runacher, ancienne ministre de la transition énergétique.

Jeudi 23 mai 2024

M. Roland LESCURE, ministre délégué chargé de l'Industrie et de l'Énergie.

M. Stéphane MICHEL, directeur général Gaz, électricité et énergies renouvelables chez TotalEnergies.

Lundi 27 mai 2024

M. Jean-Marc JANCOVICI, professeur à Mines Paris-PSL.

Jeudi 30 mai 2024

M. Alexis ZAJDENWEBER, commissaire aux participations de l'État.

Mercredi 5 juin 2024

M. Bruno LE MAIRE, ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR763(*)

Mardi 23 janvier 2024

M. Philippe VASSILOPOULOS, directeur Développement de produits d'EPEX SPOT et Mme Joanna CAP, relations institutionnelles EPEX SPOT ;

M. Grégory LAMOTTE, directeur général de Comwatt & Sunvolt.

Mercredi 24 janvier 2024

Mme Valérie FAUDON, déléguée générale de la Société française d'énergie nucléaire et M. Thomas JACQUEMET, relations institutionnelles SFEN.

Mardi 30 janvier 2024

M. Matthias LAFFOND, directeur des usages à l'Union française de l'Électricité, et M. Oussama HANED, chargé des relations institutionnelles à l'Union française de l'Électricité.

Mercredi 31 janvier 2024

M. Géry LECERF, président de l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG).

M. Jean-Luc SALANAVE, association UARGA d'experts de l'énergie.

Jeudi 1er février 2024

Mme Emmanuelle LEDOUX, directrice générale de l'Institut national de l'Économie circulaire, et M. Ugo CONZELMANN, Institut national de l'Économie circulaire.

Jeudi 8 février 2024

M. Hervé MACHENAUD, ancien-directeur exécutif production et ingénierie du Groupe EDF et directeur Asie-Pacifique (2010-2015) et administrateur du think tank Cérémé.

Mercredi 14 février 2024

M. Jean-Luc SALANAVE, professeur à l'école CentraleSupélec, expert de PNC-France (Patrimoine Nucléaire et Climat).

Jeudi 15 février 2024

M. Vincent de RIVAZ, ancien directeur général d'EDF Energy.

Mme Valérie FAUDON, déléguée générale de la Société française d'énergie nucléaire.

Mercredi 21 février 2024

M. Éric FEUNTEUN, expert automobiles électriques, chef des opérations Renault GIE.

M. Xavier MORENO, président du Cérémé, et M. Bruno LADSOUS, administrateur du Cérémé.

Lundi 26 février 2024

M. Serge DELAUNAY, ex-EDF.

M. Nicolas MEILHAN, ingénieur, spécialiste de l'énergie.

Mardi 27 février 2024

M. Philippe ANSEL, économiste spécialiste de la production électrique.

Mercredi 28 février 2024

M. Gwénaël PLAGNE, secrétaire général du CSEC EDF, Mme Julie ARDOINT, responsable affaires publiques du CSEC EDF, Mme Éloise HUGODOT-MARTIN, chargée d'affaires publiques du CSEC EDF, et M. Vincent BATTAL, coordinateur de campagne du CSEC EDF.

Jeudi 29 février 2024

M. Jacques PERCEBOIS, professeur émérite à l'Université de Montpellier, directeur du Centre de recherche en économie et droit de l'énergie (CREDEN).

Mardi 5 mars 2024

Audition commune

Mme Isabelle VINCENT, conseillère référendaire à la deuxième chambre, responsable du secteur « offre d'énergie » ;

M. Vincent RICHARD, conseiller maître à la deuxième chambre, section « énergie ».

Mercredi 6 mars 2024

M. Xavier CAÏTUCOLI, fondateur de Verso Energy, M. Romain VERDIER, directeur général délégué de Verso Energy, M. Théo SOULET, responsable des affaires réglementaires de verso Energy, et Mme Eleonor LASOU, conseil de Verso Energy.

Jeudi 7 mars 2024

M. Jean-Martin FOLZ, auteur du rapport sur la « construction de l'EPR de Flamanville ».

M. Fabien CHONÉ, président de FABELSI, co-fondateur de Direct Énergie.

M. Nicolas GOLDBERG, associé énergie et environnement chez Colombus Consulting.

Lundi 18 mars 2024

M. Bernard KASRIEL, ancien-directeur général de Lafarge.

Mardi 19 mars 2024

Mme Claire KERBOUL, administrateur de l'association de défense du Patrimoine Nucléaire et du Climat (PNC-France).

M. Arthur CLOUZEAU, responsable des relations institutionnelles EDPR France-Belgique.

Mercredi 20 mars 2024

Mme Karine REVCOLEVSCHI, directrice de la DOAAT d'EDF, et M. Bertrand Le THIEC, directeur des affaires publiques d'EDF.

Mardi 2 avril 2024

Mme Anne DEBRÉGEAS, ingénieure de recherche sur le fonctionnement et l'économie du système électrique, porte-parole de la Fédération syndicale SUD-Energie.

M. Jean-Louis BUTRÉ, président de la Fédération environnement durable, et M. Michel FAURE, vice-président de la Fédération environnement durable.

M. Vincent MAILLARD, président d'Octopus Energy.

M. Thomas VEYRENC, directeur général économie, stratégie et finances chez Réseau de transport d'électricité (RTE).

Mercredi 3 avril 2024

M. Frédéric FORTIN, économiste, spécialiste des énergies renouvelables.

M. Michel VENEAU, président national de l'Union nationale des locataires indépendants (UNLI), et M. Alexandre GUILLEMAUD, chargé de mission national de l'UNLI.

Lundi 8 avril 2024

Mme Anne-Sophie CHAMOY, vice-présidente de Luciole, M. Romain BENQUEY, référent sujet flexibilité de Luciole, et M. Romain RYON, membre de Luciole (Effy).

M. Géry LECERF, président de l'Association française indépendante de l'électricité et du gaz (AFIEG), M. Stéphane RADUREAU, président du collègue électricité de l'AFIEG, et M. Gabin GUILPAIN, de l'AFIEG.

Mercredi 10 avril 2024

M. Olivier DAUGER, co-président de France Gaz Renouvelables, et Mme Cécile FRÉDÉRICQ, directrice générale de France Gaz Renouvelables.

M. Luc RÉMONT, président-directeur général du groupe EDF.

Jeudi 11 avril 2024

M. Vincent BERGER, Haut-commissaire à l'énergie atomique.

Mardi 14 mai 2024

M. Cédric PHILIBERT, chercheur à l'IFRI.

Mercredi 15 mai 2024

M. Nicolas BERGHMANS, chercheur en politiques climatiques et énergétiques à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).

Mercredi 22 mai 2024

M. Éric SARTORI, secrétaire de l'association PIEBÎEM (Préserver l'Identité Environnementale de la Bretagne sud et des Îles contre l'Éolien en Mer).

M. Hervé GUILLOU, ancien PDG de TechnicAtome et de NavalGroup, président du groupe de travail sur le programme EPR2.

Jeudi 23 mai 2024

Audition commune

Mme Pauline BOYER, experte nucléaire et chargée de campagne de l'organisation internationale Greenpeace ;

Mme Florence de BONNAFOS, experte financière de l'organisation internationale Greenpeace.

Vendredi 24 mai 2024

M. Vincent LAGNEAU, président de la Commission nationale d'évaluation des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs (CNE2) ;

M. Christophe FOURNIER, vice-président de la CNE2 ;

M. Philippe GAILLOCHET, membre de la CNE2 ;

Mme Virginie MARRY, membre de la CNE2.

DÉPLACEMENT

Jeudi 21 mars 2024

Bruxelles

Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne :

· Entretien puis déjeuner de travail avec M. Cyril PIQUEMAL, représentant permanent adjoint, et avec Mme Léa BOUDINET, conseillère chargée de l'énergie.

Parlement européen :

· Entretien avec M. Christophe GRUDLER, député européen (France - Renew), membre de la commission ITRE du Parlement européen ;

· Entretien avec M. Nicolas GONZALES CAZARES, député européen (Espagne - Socialiste), rapporteur du Parlement européen sur la réforme du marché européen de l'électricité, membre de la commission ITRE du Parlement européen.

Agence européenne des Régulateurs d'Énergie (CEER) :

· Entretien avec M. Christophe BEAUDE, représentant à Bruxelles.

Commission européenne :

· Entretien avec M. Christof LESSENICH, chef de l'unité « marché européen de l'énergie » à la direction générale chargée de l'énergie.

Eurelectric : entretien avec :

· M. Yvan HACHEZ, président de la commission marchés et investissement (Engie Belgique) ;

· Mme Anne-Malorie GÉRON, vice-présidente de la commission marchés et investissement (Fortum) ;

· Mme Donia PEERHOSSAINI, conseillère intégration marchés de gros (Secrétariat Eurelectric) ;

· M. Christian GRUBER, conseiller conception marché de gros (Secrétariat Eurelectric) ;

· Mme Charlotte RENAUD, directrice marchés et clients (Secrétariat Eurelectric).


* 1 Bilan électrique 2023, p. 6. https://assets.rte-france.com/prod/public/2024-02/Bilan-electrique-2023-synthese.pdf

* 2 Photovoltaïque avec panneaux d'origine chinoise.

* 3 Les hypothèses dites 1, 2 et 3 anticipent respectivement une prolongation de l'ensemble des réacteurs du parc actuel au-delà de 60 ans, de deux réacteurs sur trois et d'un réacteur sur deux.

* 4 L'hypothèse dite A prévoit une première mise en service dès 2036 permettant de disposer de 14 nouveaux réacteurs en fonctionnement à l'horizon 2050. L'hypothèse dite B retient quant à elle une première mise en service en 2038 pour 12 réacteurs en fonctionnement en 2050.

* 5 Ces 6 scenarios sont des combinaisons des hypothèses (1, 2 et 3) relatives à la prolongation des réacteurs actuels et de celles (A et B) liées au rythme de mise en service du nouveau parc de réacteurs.

* 6 Communication de la Commission du 11 décembre 2019 au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions intitulée « Le pacte vert pour l'Europe » - COM(2019) 640 final.

* 7 Règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) n° 401/2009 et (UE) 2018/1999, dit « Loi européenne sur le climat ».

* 8 Affaire C-848/19 P. Arrêt de la Cour (grande chambre) du 15 juillet 2021. République fédérale d'Allemagne contre République de Pologne.

* 9 Résolution européenne du Sénat n° 47 (2021-2022) du 7 décembre 2021 sur l'inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables.

* 10 Résolution européenne du Sénat n° 124 (2021-2022) du 5 avril 2022 sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

* 11 Résolution du Sénat n° 141 (2021-2022) du 22 juillet 2022 portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de directive COM (2022) 222 final du Parlement européen et du Conseil modifiant la proposition de directive modifiant la directive (UE) 2018/2001 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, la directive 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments et la directive 2012/27/UE relative à l'efficacité énergétique.

* 12 Résolution européenne du Sénat n° 141 (2022-2023) du 19 juin 2023 relative aux propositions de règlement du Parlement européen et du Conseil portant réforme du marché de l'électricité de l'Union.

* 13 Règlement (Euratom) 2021/765 du 10 mai 2021 du Conseil établissant le programme de recherche et de formation de la Communauté européenne de l'énergie atomique pour la période 2021-2025 complétant le programme-cadre pour la recherche et l'innovation « Horizon Europe » et abrogeant le règlement (Euratom) 2018/1563.

* 14 Rapport d'information du Sénat intitulé « L'énergie nucléaire en Europe : union ou confusion ? » n° 320 (1999-2000), fait au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, sur l'adéquation du traité Euratom à la situation et aux perspectives de l'énergie nucléaire en Europe, 2 mai 2020.

* 15 Audition du 23 mai 2024.

* 16 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 17 Règlement (UE) 2023/857 du Parlement européen et du Conseil du 19 avril 2023 modifiant le règlement (UE) 2018/842 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l'action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris et le règlement (UE) 2018/1999.

* 18 Article premier de l'avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique.

* 19 Directive (UE) 2023/2413 du Parlement européen et du Conseil du 18 octobre 2023 modifiant la directive (UE) 2018/2001, le règlement (UE) 2018/1999 et la directive 98/70/CE en ce qui concerne la promotion de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, et abrogeant la directive (UE) 2015/652 du Conseil.

* 20 Audition du 9 avril 2024.

* 21 Règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat, modifiant les règlements (CE) n° 663/2009 et (CE) n° 715/2009 du Parlement européen et du Conseil, les directives 94/22/CE, 98/70/CE, 2009/31/CE, 2009/73/CE, 2010/31/UE, 2012/27/UE et 2013/30/UE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2009/119/CE et (UE) 2015/652 du Conseil et abrogeant le règlement (UE) n° 525/2013 du Parlement européen et du Conseil.

* 22 Nicolás González Casares, rapporteur (Espagne - S&D), Maria da Graça Carvalho (Portugal - PPE), Morten Petersen (Danemark - Renew), Michael Bloss (Allemagne - Verts), Marina Mesure (France -La Gauche), Zdzisaw Krasnodêbski (Pologne - ECR) et Paolo Borchia (Italie - ID).

* 23 Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l'établissement d'un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088.

* 24 Sénat, commission des Affaires européennes, La place des actes délégués dans la législation européenne, Rapport d'information n° 322 (2013-2014), déposé le 29 janvier 2014.

* 25 Discours d'orientation prononcé au Forum stratégique de Bled, en Slovénie - 30 août 2022.

* 26 Audition du30 avril 2024.

* 27 Règlement (UE) 2018/1999 du Parlement Européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat, modifiant les règlements (CE) no 663/2009 et (CE) no 715/2009 du Parlement européen et du Conseil, les directives 94/22/CE, 98/70/CE, 2009/31/CE, 2009/73/CE, 2010/31/UE, 2012/27/UE et 2013/30/UE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2009/119/CE et (UE) 2015/652 du Conseil et abrogeant le règlement (UE) n° 525/2013 du Parlement européen et du Conseil.

* 28 Règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) n° 401/2009 et (UE) 2018/1999, dit « Loi européenne sur le climat ».

* 29 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 11 décembre 2019 intitulée « Le pacte vert pour l'Europe » - COM(2019) 640 final.

* 30 Résolution n° 124 (2021-2022) sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », devenue résolution du Sénat le 5 avril 2022.

* 31 Ce facteur est égal à 97,5 % en 2026, 95 % en 2027, 90 % en 2028, 77,5 % en 2029, 51,5 % en 2030, 39 % en 2031, 26,5 % en 2032 et 14 % en 2033. À partir de 2034, aucun facteur MACF ne s'applique.

* 32 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 8 juillet 2020 intitulée « Une stratégie de l'hydrogène pour une Europe climatiquement neutre » - COM(2020) 301 final.

* 33 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 19 novembre 2020 intitulée « Une stratégie de l'UE pour exploiter le potentiel des énergies renouvelables en mer en vue d'un avenir neutre pour le climat » - COM(2020) 741 final.

* 34 Règlement (UE) 2022/869 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2022 concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes, modifiant les règlements (CE) no 715/2009, (UE) 2019/942 et (UE) 2019/943 et les directives 2009/73/CE et (UE) 2019/944, et abrogeant le règlement (UE) n° 347/2013.

* 35 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 20 janvier 2014 intitulée « Énergie bleue Réaliser le potentiel de l'énergie océanique dans les mers et les océans européens à l'horizon 2020 et au-delà » - COM(2014) 8 final.

* 36 Communication du 6 février 2024 de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen, et au Comité des régions intitulée : « Garantir notre avenir - Objectif climatique pour l'Europe pour 2040 et voie vers la neutralité climatique à l'horizon 2050 pour une société durable, juste et prospère » - COM(2024) 63 final.

* 37 Frans Timmermans a démissionné de la Commission européenne le 22 août 2023 pour participer aux élections législatives néerlandaises anticipées du 22 novembre 2023.

* 38 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions du 8 mars 2018 intitulée « Plan d'action : financer la croissance durable » - COM(2018) 97 final.

* 39 Règlement (UE) 2020/852 du 18 juin 2020 sur l'établissement d'un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088, dit « taxonomie ».

* 40 L'atténuation du changement climatique ; l'adaptation au changement climatique ; l'utilisation durable et la protection des ressources aquatiques et maritimes ; la transition vers une économie circulaire ; la prévention et le contrôle de la pollution ; la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes.

* 41 Ces activités concernent les forêts, l'industrie, l'énergie (production d'électricité renouvelable, stockage, systèmes de chauffage), l'approvisionnement en eau, l'assainissement et la gestion des déchets, le transport, l'immobilier, les technologies de l'information et de la communication, la recherche.

* 42 Règlement délégué (UE) 2022/1214 de la Commission du 9 mars 2022 modifiant le règlement délégué (UE) 2021/2139 en ce qui concerne les activités économiques dans certains secteurs de l'énergie et le règlement délégué (UE) 2021/2178 en ce qui concerne les informations publiques spécifiques relatives à ces activités économiques.

* 43 Une activité est considérée comme transitoire si elle contribue substantiellement à l'atténuation du changement climatique et s'il n'existe pas d'alternative bas-carbone économiquement ou technologiquement viable.

* 44 Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à l'établissement d'un cadre de mesures en vue de renforcer l'écosystème européen de la fabrication de produits de technologie "zéro net" - COM(2023) 161 final - accord conclu en trilogue le 16 février 2024.

* 45 Notamment la proposition d'un cadre pour définir une nouvelle cible climatique à l'horizon 2040.

* 46 Règlement (UE) 2021/1056 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2021 établissant le Fonds pour une transition juste.

* 47 Assemblée nationale, Rapport fait au nom de la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 mars 2023.

* 48 Ibid, p. 264.

* 49 Cf. Intervention d'Emmanuel MACRON, Ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique, “World Nuclear Exhibition”, Le Bourget, 28 juin 2016.

* 50 Sharon Wajsbrot, « L'État fait plancher EDF sur ses futurs EPR en France », Les Echos, 15 octobre 2019, p. 17.

* 51 Jimmy Energy.

* 52 Naarea.

* 53 Newcleo.

* 54 Renaissance fusion.

* 55 « Nous avons constaté que le conflit entre ces deux secteurs (éolien et pêche) restait sans issue », Cour des comptes européenne, Rapport spécial Énergies marines renouvelables dans l'UE. Des plans de croissance ambitieux, mais une durabilité difficile à garantir, septembre 2023, p. 41.

* 56 Jean-Marc Jancovici, Éléments de base sur l'énergie au XXIe siècle, Partie 7 - Les renouvelables.

* 57 https://seashepherd.fr/eolien-en-mer-lurgence-dun-moratoire-pour-preserver-la-biodiversite/

* 58 Base Carbone de l'ADEME.

* 59 Pour une utilisation en centrale électrique, respectivement 1060, 730 et 418 Kg CO2/MWh.

* 60 Règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat, modifiant les règlements (CE) no 663/2009 et (CE) no 715/2009 du Parlement européen et du Conseil, les directives 94/22/CE, 98/70/CE, 2009/31/CE, 2009/73/CE, 2010/31/UE, 2012/27/UE et 2013/30/UE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2009/119/CE et (UE) 2015/652 du Conseil et abrogeant le règlement (UE) n° 525/2013 du Parlement européen et du Conseil.

* 61 Règlement (UE) 2023/857 du Parlement européen et du Conseil du 19 avril 2023 modifiant le règlement (UE) 2018/842 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l'action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris et le règlement (UE) 2018/1999.

* 62 Directive (UE) 2023/2413 du Parlement européen et du Conseil du 18 octobre 2023 modifiant la directive (UE) 2018/2001, le règlement (UE) 2018/1999 et la directive 98/70/CE en ce qui concerne la promotion de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, et abrogeant la directive (UE) 2015/652 du Conseil.

* 63 Règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat, modifiant les règlements (CE) no 663/2009 et (CE) no 715/2009 du Parlement européen et du Conseil, les directives 94/22/CE, 98/70/CE, 2009/31/CE, 2009/73/CE, 2010/31/UE, 2012/27/UE et 2013/30/UE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2009/119/CE et (UE) 2015/652 du Conseil et abrogeant le règlement (UE) n° 525/2013 du Parlement européen et du Conseil.

* 64 Réponse écrite de la DGEC au questionnaire de la commission d'enquête.

* 65 Règlement sur la répartition de l'effort.

* 66 Utilisation des terres, changement d'affectation des terres et foresteries.

* 67 Recommandation de la Commission du 18 décembre 2023 sur le projet de plan national intégré actualisé en matière d'énergie et de climat de la France couvrant la période 2021-2030 et sur la cohérence des mesures prises par la France avec l'objectif de neutralité climatique de l'Union.

* 68 Audition du 23 mai 2024.

* 69 Audition du 13 février 2024.

* 70 Audition du 13 février 2024.

* 71 Yves Bréchet, « Quelles conditions pour relancer durablement le nucléaire en France ? », Annales des Mines - Responsabilité et environnement, vol. 113, no. 1, 2024, pp. 103-108.

* 72 A l'exception de la biomasse.

* 73 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 74 Audition du 8 février 2024.

* 75 Audition du 23 mai 2024.

* 76 CRE, Rapport, Les prix à terme de l'électricité pour l'hiver 2022-2023 et l'année 2023, décembre 2022.

* 77 Pour une capacité donnée, le revenu nécessaire à son maintien en activité (si elle est existante) ou à sa construction (pour une nouvelle capacité) mais qui n'est pas apporté par le marché de l'énergie.

* 78 Table ronde du 8 févier 2024.

* 79 Dominique Bureau, Jean-Michel Glachant et Katheline Schubert - Le triple défi de la réforme du marché européen de l'électricité - Notes du Conseil d'analyse économique 2023/1 - numéro 76.

* 80 Réponse écrite d'EDF au questionnaire de la commission d'enquête.

* 81 Projet de note d'information établi par l'État français, soumis à l'Autorité des marchés financiers dans le cadre de l'OPA sur EDF.

* 82 Ce qui, pour un total de 633 120 350 actions représenterait un total de 7,59 milliards d'euros.

* 83 Ce qui, pour 131 747 484 Oceane représenterait 2,04 milliards d'euros.

* 84 Répartis entre l'Agence des participations de l'État (74,92 % du capital) et l'EPIC Bpifrance (8,77 % du capital).

* 85 Article 2 de la loi n° 2024-330 du 11 avril 2024 visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement.

* 86 Autorité de la concurrence, Rapport d'évaluation du 18 décembre 2015 sur le dispositif d'Arenh.

* 87 Assemblée nationale, Rapport fait au nom de la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France, 2023.

* 88 Sénat, Rapport d'information n° 833 (2022-2023) fait au nom de la commission des affaires économiques sur les conditions d'utilisation de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, juillet 2023.

* 89 Ce dispositif a notamment été analysé en détail dans le rapport d'information sénatorial de juillet 2023 sur les conditions d'utilisation de l'Arenh.

* 90 Décret n° 2022-1380 du 29 octobre 2022 modifiant les modalités d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique.

* 91 En outre, la CRE a signalé à la commission d'enquête que, depuis le début de l'année 2023, huit décisions du CoRDiS sur saisine de la CRE ont conduit à suspendre partiellement ou intégralement les volumes d'Arenh de certains fournisseurs.

* 92 La liste des installations éligibles à l'obligation d'achat en guichet ouvert est définie aux articles D. 314-15 et D. 314-16 du code de l'énergie et celle des installations éligibles au complément de rémunération en guichet ouvert est définie aux articles D. 314-23 à D. 314-25 du code de l'énergie.

* 93 Les dernières lignes directrices sur les aides d'État au climat, à la protection de l'environnement et à l'énergie sont applicables depuis le 27 janvier 2022.

* 94 Article R314-12 du code de l'énergie.

* 95 Fil de l'eau.

* 96 Concernant l'obligation d'achat, les données ne tiennent pas compte des installations gérées par les entreprises locales de distribution (ELD) et par les organismes agréés, qui ne représentent toutefois qu'une part marginale des installations sous obligation d'achat.

* 97 Données fournies à la commission d'enquête par la Commission de régulation de l'énergie.

* 98 Commission de régulation de l'énergie - Analyse - Coûts et rentabilité des énergies renouvelables en France métropolitaine - Éolien terrestre, biomasse, solaire photovoltaïque - avril 2014.

* 99 Sénat, Rapport d'information n° 864 (2020-2021) du 29 septembre 2021 fait au nom de la commission des finances sur la révision des tarifs d'achats des contrats photovoltaïques signés entre 2006 et 2011.

* 100 Délibération n° 2023-200 de la Commission de régulation de l'énergie du 13 juillet 2023 relative à l'évaluation des charges de service public de l'énergie pour 2024 et à la réévaluation des charges de service public de l'énergie pour 2023.

* 101 Délibération n° 2023-293 de la Commission de régulation de l'énergie du 21 septembre 2023 portant modification de la délibération n° 2023-200 du 13 juillet 2023 relative à l'évaluation des charges de service public de l'énergie pour 2024 et à la réévaluation des charges de service public de l'énergie pour 2023.

* 102 Délibération n° 2022-202 du 13 juillet 2022 relative à l'évaluation des charges de service public de l'énergie pour 2023.

* 103 Cour des comptes - Le soutien aux énergies renouvelables - mars 2018.

* 104 Ibid.

* 105 Délibération de la CRE du 6 juin 2024 portant avis sur trois projets de cahiers des charges modificatifs des appels d'offres dits « PPE2 PV Bâtiment », « PPE2 PV Sol » et « PPE2 Neutre ».

* 106 Paul Lewis Joskow (1947-) économiste américain, « Capacity payments in imperfect electricity markets: Need and design », MIT, 2007.

* 107 Groupe de travail sur la maîtrise de la pointe électrique « Rapport Poignant - Sido » , avril 2010.

* 108 Cour des comptes, L'organisation des marchés de l'électricité, 2022.

* 109 RTE, Retour d'expérience sur le mécanisme de capacité français, 2021.

* 110 Directive 96/92/CE du parlement européen et du conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité.

* 111 Directive 2003/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et abrogeant la directive 96/92/CE.

* 112 Il convient de distinguer le producteur d'électricité qui transforme des sources d'énergies primaires en électricité et l'injecte sur le réseau du fournisseur d'électricité qui commercialise l'électricité qu'il produit où qu'il achète.

* 113 Cour des comptes - Rapport sur l'organisation des marchés de l'électricité - juillet 2022.

* 114 Commission de régulation de l'énergie - Observatoire des marchés de l'électricité et du gaz naturel - Quatrième trimestre 2023.

* 115 Ibid.

* 116 Cour des comptes - Rapport public annuel 2015 - février 2015.

* 117 Table ronde du 29 février 2024.

* 118 Cf. Partie I - IV - 1. L'Arenh : une régulation dysfonctionnelle.

* 119 Article L. 335-2 du code de l'énergie.

* 120 Commission de régulation de l'énergie - Rapport sur le fonctionnement des marchés de détail français de l'électricité et du gaz naturel entre 2020 et 2022 - novembre 2023.

* 121 Table ronde du 4 avril 2024.

* 122 Cour des comptes - Référé : « L'évaluation de la mise en oeuvre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique » - 22 décembre 2017.

* 123 Contribution de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) adressée à la commission d'enquête.

* 124 L'AFIEG est l'association française indépendante de l'électricité et du gaz. Elle regroupe des entreprises françaises et des filiales d'opérateurs européens des secteurs électrique et gazier : Alpiq Energie France, Endesa, Fortum France, TotalEnergies Electricité et Gaz France, GazelEnergie, Vattenfall. Enovos et Primeo Energie, BKW France et SEFE Energy sont membres associés.

* 125 Table ronde du 29 février 2024.

* 126 Contribution de l'Association nationale des opérateurs détaillants en énergie (ANODE) adressée à la commission d'enquête.

* 127 La plupart des PME et même des ETI n'y recourent pas.

* 128 Il s'agit par exemple des secteurs de l'aluminium, du silicium et du chlore-soude.

* 129 Il s'agit par exemple des secteurs de l'acier, de la chimie, du papier, etc.

* 130 Il s'agit par exemple des secteurs de l'automobile, du verre, du ciment, etc.

* 131 France Chimie est l'organisation professionnelle qui représente les entreprises de la chimie en France.

* 132 CRE, Observatoire des marchés de détail de l'électricité et du gaz naturel, quatrième trimestre 2023, juin 2024.

* 133 Des TPE, des petites communes, des associations, etc.

* 134 Son article 5.

* 135 Directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et modifiant la directive 2012/27/UE.

* 136 La directive définit la microentreprise comme « une entreprise qui emploie moins de dix personnes et dont le chiffre d'affaires annuel et/ou le total du bilan annuel n'excède pas 2 millions d'euros ».

* 137 Comme les boulangers, les bouchers, les fleuristes ou encore les petits restaurateurs.

* 138 Loi n° 2024-330 du 11 avril 2024 visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement.

* 139 Notamment dans la décision CE, Assemblée, 18 mai 2018, ANODE.

* 140 Le Conseil d'État considère ainsi que « l'entrave à la réalisation d'un marché de l'électricité concurrentiel que constitue la réglementation tarifaire contestée peut être regardée comme poursuivant l'objectif d'intérêt économique général de stabilité des prix ».

* 141 Elle est définie par l'article L. 337-6 du code de l'énergie qui précise que « les tarifs réglementés de vente d'électricité sont établis par addition du prix d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, du coût du complément d'approvisionnement au prix de marché, de la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale de l'activité de fourniture ».

* 142 CE, 7 janvier 2015, ANODE.

* 143 Les coûts de commercialisation retenus par la CRE sont ceux d'EDF.

* 144 Délibération n° 2023-17 de la CRE du 19 janvier 2023 portant proposition des tarifs réglementés de vente d'électricité.

* 145 Délibération n° 2023-17 de la CRE du 19 janvier 2023 portant proposition des tarifs réglementés de vente d'électricité.

* 146 Délibération n° 2022-08 de la CRE du 18 janvier 2022 portant proposition des tarifs réglementés de vente d'électricité.

* 147 Le cas échéant après l'application de mesures de gels dans le cadre des dispositifs de « boucliers tarifaires ».

* 148 Y compris la TVA.

* 149 Le service statistique rattaché au ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

* 150 Audition du 13 février 2014.

* 151 RTE, Bilan électrique 2022 - Un système électrique français résilient face à la crise énergétique - février 2023.

* 152 Cour des comptes, rapport public thématique sur les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l'énergie, mars 2024.

* 153 Commission de régulation de l'énergie - Rapport sur les prix à terme de l'électricité pour l'hiver 2022-2023 et pour l'année 2023 - décembre 2022.

* 154 Rapport de la Cour des comptes sur les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l'énergie - mars 2024.

* 155 Sénat, Rapport d'information n° 779 (2022-2023), L'usine à gaz des aides énergies, juin 2023.

* 156 Cour des comptes, Les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l'énergie, mars 2024.

* 157 À l'exception de l'Espagne à partir de 2023.

* 158 Cour des comptes, Les mesures exceptionnelles..., Op. cité.

* 159 Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2023 modifiant les règlements (UE) n° 1227/2011 et (UE) 2019/942 afin d'améliorer la protection de l'Union contre la manipulation du marché de gros de l'énergie, COM(2023) 147 final ; Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2023 modifiant les règlements (UE) 2019/943 et (UE) 2019/942 ainsi que les directives (UE) 2018/2001 et (UE) 2019/944 afin d'améliorer l'organisation du marché de l'électricité de l'Union, COM(2023) 148 final ; Recommandation de la Commission européenne du 14 mars 2023 relative au stockage de l'énergie - « Soutenir un système énergétique de l'UE décarboné et sûr » (2023/C103/01).

* 160 Résolution du Sénat n° 141 (2022-2023) du 19 juin 2023 relative aux propositions de règlement du Parlement européen et du Conseil portant réforme du marché de l'électricité de l'Union.

* 161 CRE - remise du rapport du groupe académique international à la CRE « au-delà de la crise ; repenser le marché électrique européen ».

* 162 Réponse écrite de la Commission de régulation de l'énergie au questionnaire de la commission d'enquête.

* 163 Pierre Jérémie, Laure Rosenblieh et Léa Boudinet - L'article 19b du règlement Electricity market design au coeur de la réforme du marché de l'électricité - Energie-Environnement-Infrastructures - numéro 3 - mars 2024.

* 164 Réponse écrite de la Commission de régulation de l'énergie au questionnaire de la commission d'enquête.

* 165 Réponse écrite de la DGEC au questionnaire de la commission d'enquête.

* 166 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 167 Réponse écrite du Syndicat des énergies renouvelables (SER) au questionnaire de la commission d'enquête.

* 168 Il est à noter que les séries statistiques du SDES sont une mesure de la consommation finale d'électricité, alors que les données affichées par RTE dans ses Bilans prévisionnels correspondent à la consommation intérieure d'électricité corrigées de l'aléa climatique (voir définition en début de cette partie).

* 169 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 170 Bilan électrique 2023, p. 6. https://assets.rte-france.com/prod/public/2024-02/Bilan-electrique-2023-synthese.pdf

* 171 Les résultats de l'enquête mené par RTE en partenariat l'institut IPSOS sur un large panel de français (13 000 personnes) à l'issue de l'hiver 2022-2023 suggèrent que les arguments financiers sont ceux ayant le plus pesé dans la décision des ménages d'entreprendre des actions de réduction de la consommation d'électricité lors de l'hiver 2022-2023. En effet, ces arguments sont évoqués par 79 % des répondants pour expliquer la mise en place des écogestes lors de l'hiver en question. Les tarifs réglementés de l'électricité ont augmenté une première fois au 1er février 2023, de 15 % en moyenne, et une seconde fois en août de 10 % en moyenne lors de la réactualisation annuelle du tarif réglementé de vente10.

* 172 RTE publie sur son site institutionnel des données relatives à l'évolution de la consommation : https://analysesetdonnees.rte-france.com/consommation/synthese

* 173 SDES, Bilan énergétique provisoire 2021.

* 174 RTE, Bilan électrique 2023, p.133. Voir : https://assets.rte-france.com/analyse-et-donnees/2024-03/Bilan %20 %C3 %A9lectrique %202023 %20rapport %20complet_29fev24.pdf

* 175 https://energy.ec.europa.eu/document/download/64002c8c-5961-4ef2-a576-80ad135fbdde_en?filename=New_Quarterly_Report_on_European_Gas_Markets_Q3_2023.pdf

* 176 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 177 Créée en 1978, cinq ans après le premier choc pétrolier et un an avant le second, l'UNIDEN représente les industries fortement consommatrices d'énergie actives en France. Les adhérents de l'UNIDEN représentent environ 70 % de la consommation énergétique industrielle en France.

* 178 Bilan énergétique de la France pour 2021.

* 179 Enquête annuelle sur les consommations d'énergie dans l'industrie (EACEI, 2021), Fichier approché du résultat d'Esane (FARE, 2021), Données annuelles de déclarations sociales (DADS, 2021).

* 180 Synthèse hebdomadaire de la consommation électrique française de RTE : https://www.rte-france.com/synthesehebdomadaire-consommation-electrique-francaise

* 181 Note d'analyse de l'institut énergie développement, réalisée à la demande du CSEC d'EDF-SA, « LE PASSAGE DE L'HIVER 2023-2024 », publiée en octobre 2023.

* 182 Illustration de l'Ademe reprise par EDF, https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/jeunes-enseignants/pour-les-jeunes/lenergie-de-a-a-z/lelectricite-au-quotidien/la-consommation-delectricite-en-chiffres

* 183 Créée par la loi n°2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie. Son statut est encadré par la loi n°2017-55 du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes.

* 184 Source : Open Data d'Enedis, fin mars 2024, disponible à l'adresse suivante : Parc raccordé - Graphique -- Enedis Open Data.

* 185 Réponses écrites au questionnaire de la commission d'enquête.

* 186 Réponses écrites au questionnaire de la commission d'enquête. Ces chiffres reportés en capacité installée servent à estimer la croissance du parc d'installations utilisées pour l'autoconsommation mais ne fournissent pas d'estimations du volume d'électricité et de la temporalité de consommation associée.

* 187 Mehr Photovoltaik mit Solarpaket | Bundesregierung.

* 188 La Fédération allemande du solaire Solarwirtschaft (BSW-Solar) indique que le premier million d'installations photovoltaïques a été atteint en 2011, puis la barre des 2 millions d'installations PV a été franchie en 2020, 3 millions en 2023 et le seuil des 4 millions pourrait le sera en 2024.

* 189 En 2023 se instalaron en España 1.706 MW de autoconsumo fotovoltaico | Comunicación | UNEF.

* 190 Futurs Énergétiques 2050, RTE, 2022.

* 191 Le Watt crête (Wc) définit la puissance maximale de production photovoltaïque sous un ensoleillement standard de référence. Source du chiffre : contribution écrite d'EDF.

* 192 RTE, Futurs énergétiques, p. 323.

* 193 EDF, réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 194 À noter que les dispositions relatives au partage d'énergie de la directive sur la réforme du marché de l'électricité récemment adoptée (article 15a) - en attente d'entrée en vigueur - stipulent que l'ensemble des règles relatives à la fourniture doivent s'appliquer au partage d'énergie / à l'autoconsommation collective. Bien que ces dispositions ne soient pas encore transposées en droit français, il est souhaitable que, dans l'optique de cette transposition, les pouvoirs publics rappellent et communiquent de manière claire et lisible à l'ensemble des acteurs intéressés que s'appliquent à l'autoconsommation collective l'ensemble des règles relatives à la fourniture d'électricité conformément aux nouvelles dispositions prévues par la directive. Ainsi, il pourrait être envisagé la publication par la DGEC d'un guide synthétisant l'ensemble des obligations à respecter par tout acteur en situation de fourniture d'électricité et rappelant les droits des consommateurs.

* 195 Horosaisonnalisation du tarif d'achat des surplus (ou équivalent marché et complément de rémunération) reflétant au mieux la structure des prix de marché.

* 196 La date de versement de la prime à l'investissement aux producteurs photovoltaïques en ACI dépend de la taille de l'installation : pour les installations = 9 kWc, la prime est versée en 1 fois au moment de la première facture ; pour les installations > 9 kWc, la prime est versée à hauteur de 80 % au cours de la première année, le versement des 20 % restants étant réparti au cours des 4 années suivantes ; la fréquence de facturation étant annuelle pour les installations = 36 kWc, semestrielle pour les installations entre 36 et 100 kWc et mensuelle pour les installations > 100 kWc. Pour les installations = 9 kWc, la prime à l'investissement est donc versée en 1 fois à l'issue de la première année.

* 197 Source : contribution écrite EDF

* 198 Bilan prévisionnel 2023, p.73.

* 199 P. 406

* 200 Futurs énergétiques 2050, p. 134.

* 201 Bilan électrique 2023, page 19.

* 202 Bilan électrique 2023, RTE.

* 203 Bilan 2lectrique 2023, RTE.

* 204 ADEEF, ADEME, ENEDIS, RTE, Étude « Valorisation socio-économique des réseaux électriques intelligents », Juillet 2017.

* 205 Étude réalisée par le cabinet Suédois IoT Berg Insight qui suit de près l'évolution de ce marché depuis la création de l'entreprise en 2004 et publie régulièrement des mises à jour.

* 206 Règlement (UE) 2016/679 du parlement européen et du conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).

* 207 Enedis, réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 208 Luciole, Union pour une consommation intelligente et optimisée de l'énergie, est un collectif d'une quinzaine de TPE & PME intervenant dans le domaine des flexibilités.

* 209 Audition du 15 mai 2024.

* 210 Réponse au questionnaire de la commission d'enquête.

* 211 À noter que ce texte ne s'applique pas aux collectivités de Saint-Martin et Saint-Barthélemy qui disposent de la compétence énergie sur leur territoire et devront prendre leurs propres arrêtés.

* 212 DGEC, réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête

* 213 Fédération des entreprises de l'outre-mer, rapport La transition énergétique, une chance pour les outre-mer, 2023, disponible sur ce lien : https://www.synergile.fr/wp-content/uploads/2023/08/Les-entreprises-au-coeur-de-la-transition-energetique_Synthese-du-cycle-de-seminaire-FEDOM_juillet2023.pdf

* 214 DGEC, réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 215 Cour des comptes, Les soutiens publics aux zones non interconnectées (ZNI), avril 2023. 2

* 216 CRE, rapport annuel 2021, 2021.

* 217 Cour des comptes, op. cit.

* 218 CRE, réponse au questionnaire de la commission d'enquête.

* 219 Fédération des Entreprises des Outre-mer (FEDOM), op.cit.

* 220 Ibid.

* 221 Réponse au questionnaire de la commission d'enquête.

* 222 DGEC, réponse au questionnaire de la commission d'enquête. Pour information, la distinction entre les sous actions « transition énergétique » et « mécanisme de solidarité » ne s'opère qu'à partir de 2018.

* 223 DGEC, réponse au questionnaire de la commission d'enquête.

* 224 DGEC, réponse au questionnaire de la commission d'enquête. Infographie construite sur la base des délibérations de la CRE 2021, 2022 et 2023.

* 225 Cour des comptes, op. cit.

* 226 EDF, réponse au questionnaire de la commission d'enquête.

* 227 Ibid.

* 228 Ibid.

* 229 Ibid.

* 230 Source : https://orkustofnun.is/gogn/Talnaefni/OS-2019-T006-01.pdf

* 231 Source : Master Plan http://www.ramma.is/english/

* 232 Issu de la loi islandaise (48/2011) sur l'environnement et l'utilisation de l'énergie.

* 233 Sur la base d'éléments transmis par le ministère de l'économie et des finances, Direction générale du Trésor, Service Économique Régional pour les Pays Nordiques, Ambassade de France en Suède.

* 234 Cour des Comptes, Les soutiens publics aux zones non interconnectées (ZNI), avril 2023.

* 235 Le code de l'énergie prévoit que les PPE couvrent une décennie, sous la forme de deux périodes de cinq ans, avec une révision au moins tous les cinq ans. Les premières PPE des ZNI, couvrant les périodes 2018-2023 et 2023-2028, auraient dû faire l'objet de révisions publiées à la fin de l'année 2018. Début 2023, seule la PPE révisée de La Réunion avait été publiée - avec plus de trois ans de retard, en avril 2022. Les autres révisions ont au moins quatre ans de retard.

* 236 DGOM, réponse au questionnaire de la commission d'enquête.

* 237 Cour des comptes, op. cit.

* 238 Cour des comptes, op. cit.

* 239 DGOM, réponse au questionnaire de la commission d'enquête.

* 240 https://base-empreinte.ademe.fr/donnees/jeu-donnees

* 241 https://www.edf.fr/groupe-edf/produire-une-energie-respectueuse-du-climat/lenergie-nucleaire/notre-vision/analyse-cycle-de-vie-du-kwh-nucleaire-dedf#:~:text=4 %20g %20de %20CO %E2 %82 %82 %20par,Analyse %20du %20cycle %20de %20vie %20 %C2 %BB.

* 242 S'agissant de la biomasse et de la méthanisation, le Sénat a publié le rapport de la mission d'information sur La méthanisation dans le mix énergétique : enjeux et impacts, septembre 2021.

* 243 RTE, Bilan électrique 2023.

* 244 Bilan électrique 2023, p. 95.

* 245 Ibid.

* 246 MtCO2eq : l'unité MtCO2eq signifie millions de tonnes en équivalent CO2 ; c'est-à-dire la quantité de dioxyde de carbone (CO2) qui aurait la même capacité à retenir le rayonnement solaire qu'une quantité donnée d'un autre gaz à effet de serre.

* 247 Bilan électrique 2023, page 94.

* 248 RTE, Bilan électrique 2023, p. 96.

* 249 Source : SDES, Bilan énergétique de la France 2023.

* 250 CITEPA, Rapport Secten 2023 ; European Environment Agency ; Eurostat ; ENTSO-E ; calculs : RTE et European Environmental Agency.

* 251 https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-du-climat-2022/10-emissions-de-ges-de-lindustrie

* 252 https://app.electricitymaps.com/map

* 253 Existent aussi, la biomasse, la géothermie, l'énergie solaire sous forme thermique...

* 254 Théma de la DGE, Quelle incidence de la hausse des prix de l'énergie sur l'industrie ?, septembre 2023.

* 255 Rapport de la Fabrique de l'industrie, 2022, « L'industrie face aux prix de l'énergie Les marchés européens sont-ils en défaut ? » https://www.la-fabrique.fr/wp-content/uploads/2022/11/n42-industrie-face-aux-prix-de-l-energie_web.pdf

* 256 Op. cit.

* 257 Op. cit.

* 258 Mathieu Bordigoni, l'impact du coût de l'énergie sur la compétitivité de l'industrie manufacturière, 2013.

* 259 Opt cit.

* 260 Jean-Marc Jancovici, « L'énergie, de quoi s'agit-il exactement ? », blog jancovici.com, 1er août 2011, https://jancovici.com/transition-energetique/l-energie-et-nous/lenergie-de-quoi-sagit-il-exactement/

* 261 Julien Deleuze, énergie et croissance, La Revue de l'Énergie n° 635, décembre 2017.

* 262 Interview « la croissance une affaire d'énergie », Le journal du CNRS, 2015, disponible sur ce lien : https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-croissance-une-affaire-denergie

* 263 Burke, Paul J., et Csereklyei, Zsuzsanna, « Understanding the Energy-GDP Elasticity: A Sectoral Approach », CAMA Working Paper No. 45/2016.

* 31 Clément Ramos, et Justine Mossé, , Découplage et croissance verte, Carbone 4, septembre 2021. Les auteurs définissent le découplage comme « la possibilité d'une croissance économique, mesurée par une hausse du PIB, qui a lieu avec une baisse simultanée des consommations de ressources et des impacts environnementaux ».

* 264 Pierre Veltz, L'économie désirable, 2021.

* 265 Branche énergie au sens de l'Insee, incluant les activités raffinage et cokéfaction d'une part, la production et distribution d'électricité, de gaz, de vapeur et d'air conditionné d'autre part. Elle n'inclut pas l'extraction de matières premières énergétiques. Source : Insee, Comptes nationaux base 2014.

* 266 SDES, Bilan énergétique de la France 2023, p. 10.

* 267 Interview « la croissance une affaire d'énergie », op. cit.

* 268 Rapport de la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France, mars 2024.

* 269 Bertrand Château, article « la prévision de la consommation d'électricité en France : bilan et perspective » fourni en réponse au questionnaire de la commission d'enquête.

* 270 Revue de l'énergie n°370, La prévision énergétique en mutation ? janvier 1985.

* 271 Dans les années 1970, avec Bruno Lapillonne, Bertrand Château a jeté les bases d'une nouvelle méthode de prévision énergétique, consignées dans une thèse de Doctorat (1977). Ensemble, ils ont construit sur cette base une génération de modèles de prévision (modèles « MEDEE ») utilisés de 1980 à nos jours dans nombre de prévisions officielles en France, en Europe, au Canada, en Chine et dans beaucoup autres pays sur tous les continents. Chercheur à l'Institut Économique et Politique de l'Energie (IEPE) de Grenoble, équipe de recherche du CNRS, de 1973 à 1980, puis à l'Agence Française pour la Maîtrise de l'énergie (AFME) jusqu'en 1986, il en a pris la direction du service économique en 1989. Il a fondé en 1991 le bureau d'études et d'information "Enerdata", qu'il a dirigé jusqu'en 2013.

* 272 Voir notamment l'article « les prévisions officielles de demande d'énergie à 2020 pour la France, partie 2 quels enseignements ». Bertrand Château, décembre 2020.

* 273 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 274 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 275 Voir notamment : Bertrand Château, « Les prévisions officielles de demande d'énergie à 2020 pour la France », 22 Octobre 2020 et Bertrand Château, « la Prévision énergétique en mutation », Revue de l'énergie 1985. Bertrand Château a également fourni une contribution écrite détaillée relative à 50 ans de prévisions de consommation d'électricité en France, bilan et perspectives.

* 276 Bertrand Château, « la Prévision énergétique en mutation », Revue de l'énergie 1985.

* 277 Réponse au questionnaire de la commission d'enquête.

* 278 Les prévisions retenues sont celles construites sous l'égide du Commissariat général du Plan (CGP), de la Mission interministérielle sur l'Effet de serre (MIES) et de la Direction générale de l'Energie et des Matières Premières (DGEMP).

* 279 Bertrand Château, Les prévisions officielles de demande d'énergie à 2020 pour la France, octobre 2020.

* 280 La consommation réalisée est présentée corrigée des effets météorologiques, afin de permettre une comparaison d'une année sur l'autre indépendamment de la variabilité météorologique. En termes de périmètre, ces valeurs concernent la France métropolitaine en-dehors de la Corse et excluent la consommation liée à l'enrichissement d'uranium par l'usine Eurodif (dont l'exploitation s'est arrêtée en 2012). Les prévisions de consommation représentées sur ce graphique correspondent aux scénarios « médian » des trajectoires étudiées par RTE.

* 281 Futurs énergétiques 2050, p. 47

* 282 SNBC, p. 31

* 283 Deux modifications : le rythme de rénovation thermique des bâtiments, très ambitieux au regard de l'historique ou de l'expérience internationale, a été revu en légère baisse, de même que la part du chauffage par radiateurs électriques (effet Joule). Un développement significatif des pompes à chaleur hybrides a également été introduit dans la trajectoire. De plus, les éléments de sobriété relevant de ruptures comportementales par rapport aux tendances observées n'ont pas été repris dans la trajectoire de référence mais développés dans des proportions plus importantes dans un scénario dédié.

* 284 L'hypothèse de croissance du PIB entre 2030 et 2050 retenue par la SNBC a été jugée trop élevée au regard de l'historique des années passées et des perspectives existantes : elle a été revue à la baisse (rythme de croissance annuelle de + 1,3 % par an en moyenne contre + 1,7 % dans la SNBC entre 2030 et 2050).

* 285 L'évolution démographique a été recalée sur la projection « fécondité basse » de l'INSEE, qui apparait aujourd'hui plus réaliste et plus cohérente avec les observations récentes.

* 286 Il s'agit notamment des grandes politiques publiques de type France Relance, France 2030, ou la stratégie hydrogène. Il s'agit aussi de la réglementation environnementale 2020 (RE2020) et la réforme du diagnostic de performance énergétique (DPE) dans le secteur du bâtiment, qui va renforcer le poids relatif du chauffage électrique dans la construction neuve, ainsi que la stratégie hydrogène de la France. Enfin, des ajustements sur la consommation d'électricité de certains usages (sidérurgie, data centers, climatisation) ont été intégrés pour affiner le réalisme de la projection (toutes choses étant égales par ailleurs, ces réajustements ont un impact haussier).

* 287 Précisément, les variantes autour de la trajectoire de référence s'échelonnent ainsi : variante « Sobriété » (555 TWh), variante « Moindre électrification » (578 TWh), variante « Électrification rapide » (700 TWh), variante « Efficacité énergétique réduite » (714 TWh), variante « Réindustrialisation profonde » (752 TWh) et variante « Hydrogène + » (754 TWh).

* 288 Futurs énergétiques 2050, p. 145.

* 289 Futurs énergétiques 2050, p. 86.

* 290 Perspective de la demande française d'électricité d'ici 2050. Avis de l'Académie des technologies, 10 mars 2021.

* 291 Réponse au questionnaire de la commission d'enquête.

* 292 https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-transports-2023/19-consommation-denergie-des-transports-

* 293 <la consommation finale énergétique de la France en 2019 serait de l'ordre de 1600 à 1700 TWh selon le bilan énergétique de la France publié par le SDES et non 2100 TWh. Dans ces données, la consommation de gaz inclut le gaz utilisé pour la production d'électricité et ne représente donc pas seulement la consommation finale, la consommation de pétrole correspond à une consommation primaire (incluant les pertes) et non une consommation finale.

* 294 Académie des sciences, avis publié le 10 mars 2021.

* 295 Transition 2050, page 8.

* 296 Tableau de synthèse, page 6 dans le rapport final du « Feuilleton Mix électrique : Quelles alternatives et quels points communs ? » publié en février 2022, https://librairie.ademe.fr/cadic/6843/feuilleton_mix_electrique_transitions2050_ademe.pdf

* 297 https://cereme.fr/wp-content/uploads/2022/04/Rapport-Roland-Berger-scenario-du-Cereme.pdf

* 298 https://www.la-fabrique.fr/fr/publication/couvrir-nos-besoins-energetiques-2050-se-prepare-aujourdhui/

* 299 Pour mémoire, RTE a modélisé davantage d'années météo (200 au lieu d'une seule) et a tenu compte des effets du réchauffement climatique. Cependant, les résultats sont globalement, à hypothèses comparables, globalement concordants.

* 300 https://www.uniden.fr/projection-a-2050-de-la-consommation-electrique-de-lindustrie-manufacturiere-francaise/

* 301 https://www.fondationconcorde.com/etudes/strategie-pour-electricite-decarbonee-et-bon-marche/

* 302 Table ronde du 1er février 2024.

* 303 https://www.voix-du-nucleaire.org/non-classe-fr/terrawater-telechargements/

* 304 Véhicules légers.

* 305 Inclut les bus et cars.

* 306 Table ronde du 29 janvier 2024.

* 307 Bilan prévisionnel 2023

* 308 Bilan prévisionnel 2023, chapitre consommation, p. 17.

* 309 Table ronde du 29 janvier 2024.

* 310 Ces objectifs de réduction de la part du nucléaire avaient été insérés dans le code de l'énergie par la loi du 17 août 2015 avec une échéance à 2025, portée à 2035 par la loi énergie-climat du 8 novembre 2019.

* 311 Ces bilans présentent notamment les évolutions de la consommation, en fonction notamment des actions de sobriété, d'efficacité et de substitution d'usages, des capacités de production par filière, des capacités d'effacement de consommation, des capacités de transport et de distribution et des échanges avec les réseaux électriques étrangers. »

* 312 Bilan prévisionnel 2023, chapitre consommation, p.13

* 313 RTE, Bilan prévisionnel 2023.

* 314 https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-ns_-_biomasse_agricole_-_quelles_ressources_pour_quel_potentiel_-_29-07-21.pdf

* 315 Table ronde du 1er février 2024.

* 316 Règlement (UE) 2023/2405 du parlement européen et du conseil, octobre 2023, relatif à l'instauration d'une égalité des conditions de concurrence pour un secteur du transport aérien durable (ReFuelEU Aviation) - https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=OJ:L_202302405

* 317 Règlement (UE) 2023/2405 du parlement européen et du conseil, octobre 2023, règlement du parlement européen et du conseil relatif à l'utilisation de carburants renouvelables et bas carbone dans le transport maritime et modifiant la directive 2009/16/ -

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52021PC0562&from=SV

* 318 Les fournisseurs de carburants devront intégrer 2 % de CDA en 2025, 6 % en 2030 et 70 % en 2050. D'autre part, à partir de 2030, 1,2 % des carburants devront être des carburants de synthèse, et cette part devra être portée à 35 % en 2050.

* 319 https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/fit-for-55-refueleu-and-fueleu/

* 320 https://librairie.ademe.fr/mobilite-et-transport/6680-electro-carburants-en-2050-quels-besoins-en-electricite-et-co2-.html

* 321 Table ronde du 1er février 2024.

* 322 Rythme de croissance annuelle retenue de + 1,3 % par an en moyenne contre + 1,7 % dans la SNBC entre 2030 et 2050.

* 323 European Network of Transmission System Operators for Electricity

* 324 Voir le rapport : https://2022.entsos-tyndp-scenarios.eu/wp-content/uploads/2022/04/TYNDP2022_Joint_Scenario_Full-Report-April-2022.pdf

* 325 https://2022.entsos-tyndp-scenarios.eu/download/

* 326 Dena est une agence d'État indépendance chargée d'éclairer les politiques publiques en matière d'énergie et de climat.

* 327 https://www.agora-energiewende.de/fileadmin/Projekte/2021/2021_11_DE_KNStrom2035/A-EW_264_KNStrom2035_WEB.pdf

* 328 Comme l'écrivait la commission d'enquête de l'Assemblée nationale visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France : « les pouvoirs publics doivent néanmoins garder à l'esprit les limites inhérentes à ce type d'exercices prospectifs, afin de ne pas réduire trop dangereusement les marges du système électrique ».

* 329 Bilan prévisionnel 2023, page 35.

* 330 Formulé par François Loos, alors ministre délégué à l'industrie, lors d'un colloque sur le lancement des certificats d'économies d'énergie le 8 novembre 2005.

* 331 Bilan prévisionnel, chapitre consommation, p. 36.

* 332 Bertrand Château, réponse au questionnaire de la commission d'enquête.

* 333 Table ronde du 1er février 2024.

* 334 L'Ademe a produit un guide gratuit et pratique pour informer sur les équipements et les usages qui consomment le plus dans un cadre domestique et propose des conseils pour réduire les consommations et donc sa facture : https://librairie.ademe.fr/cadic/7232/EXE_231127_ADEME_GuidePP_ReduireFactureElectricite_MajOct23_WEB__1_.pdf

* 335 RTE, Bilan de l'hiver 2022-2023 : des coupures d'électricité évitées grâce à la baisse de la consommation, 16 mars 2023.

* 336 Table ronde du 1er février 2024.

* 337 Table ronde du 1er février 2024.

* 338 Table ronde du 1er février 2024.

* 339 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/dp-plan-sobriete.pdf

* 340 Le terme "cumac" correspond à la contraction de "cumulés" et "actualisés". Par exemple, le montant de kWh cumac économisé suite à l'installation d'un appareil performant d'un point de vue énergétique correspond au cumul des économies d'énergie annuelles réalisées durant la durée de vie de ce produit. Les économies d'énergie réalisées au cours de chaque année suivant la première sont actualisées en divisant par 1,04 les économies de l'année précédente (taux d'actualisation de 4 %).

* 341 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Brochure_CEE_4p_A5_2023.pdf

* 342 Commissariat général au développement durable (CGDD) du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, direction du Budget (DB), direction de la Législation fiscale.

(DLF) et direction générale du Trésor (DGT), rattachées au ministère de l'Économie, des Finances et

de la Souveraineté industrielle et numérique (MEFSIN), rapport sur L'impact environnemental du budget de l'État , en annexe du projet de loi de finances (PLF) de 2023.

* 343 Dominique ESTROSI SASSONE, et Guillaume GONTARD, rapport du Sénat relatif à l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, juin 2023.

* 344 Ademe, rapport Évaluation du dispositif des CEE, 2020

* 345 Op. cit. page 16.

* 346 Bilan prévisionnel 2024, p. 51.

* 347 RTE, Enjeux du développement de l'électromobilité pour le système électrique, mai 2019. On peut y lire que les trajectoires de déploiement des véhicules électriques sont construites à partir d'une modélisation du parc de véhicules par énergie, basé sur des hypothèses de part de marché par motorisation et par type de véhicule (voitures particulières, utilitaires légers, bus, cars et camions). Cette modélisation tient compte d'un grand nombre de paramètres (taille des batteries, habitudes de déplacement et de recharge, disponibilité des bornes, etc.), détaillés dans le rapport.

* 348 RTE, réponse au questionnaire de la commission d'enquête.

* 349 Règlement 2023/851 du parlement européen et du conseil du 19 avril 2023 modifiant le règlement (UE) 2019/631 en ce qui concerne le renforcement des normes de performance en matière d'émissions de CO2 pour les voitures particulières neuves et les véhicules utilitaires légers neufs conformément à l'ambition accrue de l'Union en matière de climat. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32023R0851

* 350 Ademe, Transition 2050, Edition 2024, Chiffres estimés sur la base d'une lecture des courbes de l'étude.

* 351 France Stratégie, Prospective des transports et des mobilités 2040-2060.

* 352 Global EV Outlook 2024 (windows.net).

* 353 eu reference scenario 2020-MJ0221816ENN.pdf

* 354 AIE, Global EV Outlook 2023: Catching up with climate ambitions

* 355 En 2019, les véhicules tout électriques (BEV) ont représenté 42,5 % des nouvelles immatriculations (1,9 % en France). La même année, la part de marché de l'ensemble des véhicules électriques (hybrides rechargeables inclus) a été de 56 % en Norvège (25 % en Islande, 11 % en Suède, 7 % en Finlande, 4 % au Danemark, 2,6 % en France).

* 356 Source (en anglais) : Association norvégienne du véhicule électrique https://elbil.no/english/norwegian-ev-policy/

* 357 Source (en anglais) : https://www.regjeringen.no/en/topics/transport-and-communications/veg/faktaartikler-vei-og-ts/norway-is-electric/id2677481/

* 358 Table ronde du 24 février 2024.

* 359 Citée page 10 du rapport de la commission de régulation de l'énergie disponible à cette adresse : https://www.cre.fr/fileadmin/Documents/Consultations_publiques/import/231214_CP_2023-13_Structure_TURPE_7_HT_et_HTA-BT.pdf

* 360 Étude « hit the road » disponible au lien suivant : htps://www.avere-france.org/wp-content/uploads/2023/09/Avere_Hit_the_Road_TOME_2.pdf

* 361 https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-bornes-de-recharge-pour-voiture-electrique-un-deploiement-du-reseau-a-accelerer-des-derapages-tarifaires-a-stopper-n113938/

* 362 Ibid.

* 363 Ibid.

* 364 Estimations tirées du rapport du comité de prospective de la CRE, intitulé « donner du sens aux données du consommateur », décembre 2019.

* 365 Ibid.

* 366 Comité de prospective de la CRE, rapport Donner du sens aux données du consommateur, 2019.

* 367 https://www.uniden.fr/projection-a-2050-de-la-consommation-electrique-de-lindustrie-manufacturiere-francaise/

* 368 Ahmed Gailani (dir.), chercheur en décarbonation industrielle, de l'Université de Bath et de l'Imperial College de Londres. Étude parue dans la revue Joule, évoquée dans cet article : https://trustmyscience.com/decarboner-85-pourcent-industrie-avec-technologies-actuelles-possible-selon-etude/

* 369 Uniden, réponse aux questionnaires de la commission d'enquête.

* 370 Rapport d'information du Sénat fait au nom de la commission des finances sur les aides à la décarbonation de l'industrie du plan France 2030, rapporteurs Laurent SOMON et Thomas DOSSUS, disponible : https://www.senat.fr/rap/r23-640/r23-6400.html#toc0

* 371 Ibid.

* 372 Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur la lutte contre le réchauffement climatique et l'industrialisation de la France, à Paris le 8 novembre 2022, consultable : https://www.vie-publique.fr/discours/287111-emmanuel-macron-08112022-climat

* 373 Rapport du Sénat, op. cit.

* 374 Table ronde du 15 février 2024.

* 375 Réponse au questionnaire de la commission d'enquête.

* 376 Bilan prévisionnel 2023, p. 75.

* 377 Hors besoins en électricité pour la production d'hydrogène.

* 378 Rapport Ademe et RTE, « réduction des émissions de CO2, impact sur le système électrique : quelle contribution du chauffage dans les bâtiments à l'horizon 2035 ? », page 44.

* 379 Rapport Ademe et RTE, op. cit, page 58.

* 380 Exprimés en équivalent « rénovations performantes, équivalent à -75 kWh/m²/an ». Source : Onre, La rénovation énergétique des logements bilan des travaux et des aides entre 2016 et 2019, Résultats définitifs, mars 2022.

* 381 Toujours exprimés en équivalent « rénovations performantes, équivalent à -75 kWh/m²/an ».

* 382 Commission de l'économie du développement durable du ministère de la transition environnementale, rapport d'activité annuel 2022, p. 116 https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/CEDD_Rapport_annuel_2022.pdf

* 383 Op. cit.

* 384 Voir Rapport d'activité 2022 de la Commission de l'économie du développement durable du ministère de la transition environnementale.

* 385 Louis-Gaëtan Giraudet, Lucas Vivier. La difficile quantification de la place du bâtiment dans la décarbonation. Transitions. Les nouvelles Annales des Ponts et Chaussées, 2022, Bâtiments et construction en transition, 2, pp.12-19. hal-03946309.

* 386  https://presse.ademe.fr/2018/10/enquete-renovation-seuls-25-des-travaux-realises-ont-un-impact-energetique.html

* 387 La Revue de l'Énergie n° 646 - septembre-octobre 2019.

* 388 Apur, Consommations réelles d'énergie des logements parisiens, volet 1 : parc social et opérations plan climat, mars 2024.

* 389 Pour les logements équipés d'un chauffage électrique, la consommation médiane d'énergie réelle finale est de 65 kWh par m² et par an, et de 129 kWh pour les logements équipés d'un chauffage individuel au gaz. Pour les logements équipés d'un chauffage collectif, elle est de 174 kWh par m² et par an pour le gaz et de 140 kWh pour le chauffage urbain.

* 390 Ibid.

* 391 Ibid.

* 392 Futurs énergétiques 2050, chapitre consommation, p.99.

* 393 Hugues Ferreboeuf (dir.), Pour une sobriété numérique, The Shift Project, rapport, 4 octobre 2018.

* 394 Liliane Dedryver, et alii, Maîtriser la consommation du numérique : le progrès technologique n'y suffira pas, France Stratégie, document de travail N°2020-15, octobre 2020.

* 395 Ademe, Arcep, Deloitte, Évaluation de l'impact environnemental du numérique en France et analyse prospective, 2023.

* 396 Cyrille Dalmont, La stratégie énergétique européenne aura-t-elle raison de l'écosystème numérique européen ?, Institut Thomas More, Janvier 2024.

* 397 https://www.arcep.fr/cartes-et-donnees/nos-publications-chiffrees/barometre-du-numerique/le-barometre-du-numerique.html

* 398 Conseil général de l'économie, Réduire la consommation énergétique du numérique, ministère de l'Économie, décembre 2019.

* 399 Voir le rapport Electricity Outlook 2024 publié en janvier 2024.

* 400 Clubic, « ChatGPT & co : pourquoi le coût énergétique de l'IA pose un vrai problème », 13 mars 2023.

* 401 Da Sois, Julien, « Électricité : Microsoft fait le pari (osé) de la fusion nucléaire en signant un contrat avec la start-up Helion », Le Figaro, 13 mai 2023.

* 402 Crypto-actif : « Représentation numérique d'une valeur qui n'est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n'est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d'une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d'échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement » (Source : Article L54-10-1 du Code monétaire et financier).

* 403 Communication du 18 octobre 2022 au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions.

* 404 Le délestage est une interruption volontaire et momentanée de la fourniture d'électricité sur une partie du réseau électrique. Cette mesure est destinée à retrouver l'équilibre entre l'électricité injectée et celle tirée du réseau.

* 405 Table ronde du 1er février 2024.

* 406 RTE, Futurs énergétiques 2050, p. 445.

* 407 « Energy Technology Perspectives 2020 » (AIE, septembre 2020) : https://www.iea.org/reports/energy-technology-perspectives-2020

* 408 RTE, 2020, « La transition vers un hydrogène bas-carbone, atouts et enjeux pour le système électrique à l'horizon 2030-2035 », https://assets.rte-france.com/prod/public/2020-07/rapport %20hydrogene.pdf

* 409 https://www.rte-france.com/wiki-energie/hydrogene-vert-mythe-realite

* 410 Ibid.

* 411 Ibid.

* 412 Voir notamment le détail : https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/DP %20- %20Strat %C3 %A9gie %20nationale %20pour %20le %20d %C3 %A9veloppement %20de %20l %27hydrog %C3 %A8ne %20d %C3 %A9carbon %C3 %A9 %20en %20France.pdf

* 413 ministère de l'économie, des finances et de la relance, Stratégie nationale pour le développement de l'hydrogène décarboné en France , 8 septembre 2020.

* 414 https://www.ecologie.gouv.fr/consultation-sur-nouvelle-strategie-francaise-deploiement-lhydrogene-decarbone

* 415 Exemple : production nationale d'hydrogène décarboné en France, importation d'hydrogène renouvelable en Allemagne, production d'hydrogène fossile avec capture du carbone au Royaume Uni...

* 416 Le TYNDP « Plan de développement du réseau sur dix ans » (abrégé en TYNDP d'après son nom en anglais) est élaboré par ENTSO-E. ENTSO-E est le réseau européen des gestionnaires de réseau(x) de transport d'électricité (en anglais European Network of Transmission System Operators for Electricity, ENTSO-E). Cette association représente 42 gestionnaires de réseau de transport d'électricité de 35 pays à travers l'Europe.

* 417 CEA, Étude Sisyphe : dynamique de la demande Européenne en hydrogène bas carbone d'ici 2040, avril 2024.

* 418 CEA, Op. Cit.

* 419 https://about.bnef.com/blog/hydrogen-10-things-to-watch-for-2024/

* 420 À titre d'exemple, la presse spécialisée à récemment relayé les difficultés du plus grand site de production d'hydrogène vert au mondé, situé à Kuga (Chine) : « Cumulant 260 MW, les électrolyseurs n'ont pas le rendement attendu, conduisant l'opérateur de l'installation, à devoir parfois suspendre le fonctionnement de l'un d'eux pour que les autres puissent être utilisés normalement. ». Voir le détail : 421 https://www.h2-mobile.fr/actus/hydrogene-vert-problemes-techniques-bloquent-grand-site-monde/

* 422 Table ronde du 1er février 2024.

* 423 https://iea.blob.core.windows.net/assets/3f7f2c25-5b6f-4f3c-a1c0-71085bac5383/Renewables_2023.pdf

* 424 https://www.cea.fr/presse/Documents/CEA-etude-hydrogene-sisyphe.pdf

* 425 Table ronde du 1er février 2024.

* 426 RTE, réponse écrite aux questionnaires de la commission d'enquête.

* 427 Bilan prévisionnel 2023, principaux résultats, p. 52.

* 428 RTE, Bilan prévisionnel 2023, chapitre 2, p. 89.

* 429 RTE, Futurs énergétiques 2050, p. 319.

* 430 456 TWh.

* 431 Les émissions rapportées à l'énergie produite.

* 432 Dans un contexte marqué notamment par les suites de la guerre du Kippour et les tensions sur le prix du pétrole, le Premier ministre Pierre Messmer annonce le 6 mars 1974 à la télévision la construction de « treize centrales nucléaires de 1 000 MW », donc 13 000 MW de capacité installée supplémentaire, soit la puissance totale d'EDF disponible en 1962.

* 433 ORE, RTE, Enedis, SER - Panorama de l'électricité renouvelable au 31 décembre 2023.

* 434 Directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables.

* 435 Audition du 19 mars 2024.

* 436 Audition du 20 mars 2024.

* 437 Table ronde du 6 mars 2024.

* 438 Table ronde du 7 mars 2024.

* 439 Émettant en moyenne 10 millions de tonnes (Mt) de CO2 par an sur un total d'émissions en France de 385 millions de tonnes équivalent CO2 en 2023.

* 440 La centrale de Cordemais se compose de deux tranches.

* 441 Cour des comptes, L'analyse des coûts du système de production électrique en France, 2021.

* 442 Réponses écrites aux questionnaires de la commission d'enquête.

* 443 Développés en France dans les années 1950.

* 444 Cour des comptes, L'arrêt et le démantèlement des installations nucléaires, 2020.

* 445 Arrêté ministériel du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement et décret n° 2014-928 du 19 août 2014 relatif aux déchets d'équipements électriques et électroniques et aux équipements électriques et électroniques usagés.

* 446 L'analyse des coûts du système de production électrique en France, Cour des comptes, 2021.

* 447 Pour « Levelized Cost of Energy » ou « coût actualisé de l'énergie ».

* 448 Le taux d'actualisation retenue est généralement le coût moyen pondéré du capital (CMPC).

* 449 Un loyer qui représente pour chaque investissement l'annuité constante d'un remboursement en intérêt et en capital sur la durée de vie de l'actif de production concerné.

* 450 C'est-à-dire l'ensemble des coûts fixes et variables, y compris les dépenses de démantèlement et de gestion des déchets.

* 451 C'est-à-dire, : « toutes les dépenses non actualisées nécessaires à la mise en service industriel d'une centrale (littéralement comme si la centrale était construite « en une nuit »), à savoir le coût de construction et d'ingénierie, ainsi que tous les autres coûts intervenant avant la mise en service industrielle » in Société française d'énergie nucléaire (SFEN), Combien coûte le nucléaire ? Note de novembre 2022. 

* 452 Synthèse du rapport de la CRE sur le coût de production du parc nucléaire existant d'EDF, juillet 2023.

* 453 IRENA, Renewable power generation costs in 2020, 2021.

* 454 Par courrier, le 10 mars 2023, le Gouvernement a sollicité l'expertise de la CRE « afin de déterminer le prix accessible de l'électricité nucléaire dans des engagements longs de l'opérateur nucléaire pour l'ensemble des consommateurs français en sécurisant la couverture des coûts de l'outil nucléaire ».

* 455 AIE, World energy outlook, , 2021.

* 456 SFEN, Comment financer le renouvellement du parc nucléaire ? Construire un modèle de financement afin de garantir une électricité compétitive pour la France, octobre 2022.

* 457 SFEN, Combien coûte le nucléaire ? Économie du nucléaire dans le système électrique, novembre 2022.

* 458 Dans son étude sur les futurs énergétiques, RTE a retenu une valeur nettement plus prudente et réaliste située entre 70 % et 80 %.

* 459 La description détaillée de cette évolution est présentée infra dans le II de la présente partie.

* 460 Environ 90 euros par MWh en ajoutant l'inflation.

* 461 Variante que RTE qualifie de « gaz verts très compétitifs ».

* 462 Dans son rapport précité sur les coûts de production du système électrique français.

* 463 SFEN, Combien coûte le nucléaire ? Économie du nucléaire dans le système électrique, 2022.

* 464 Cour des comptes, Les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l'énergie, mars 2024.

* 465 Dont les déterminants et les effets sont décrits en détail infra dans le B du présent I.

* 466 Réponses écrites d'Enedis au questionnaire de la commission d'enquête.

* 467 Pour « haute tension A ».

* 468 À travers des contrats de concession passés avec les autorités concédantes que sont les AODE encadrés par un modèle de cahier des charges fruit d'une négociation entre Enedis et la fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR).

* 469 Enedis : contrôle des comptes et de la gestion, exercices 2011 à 2018, Cour des comptes, 2021.

* 470 Dans ses réponses écrites au questionnaire de la commission.

* 471 Le scénario dit de « réindustrialisation profonde ».

* 472 Le scénario dit « N03 ».

* 473 Délibération n° 2024-34 de la CRE du 8 février 2024 portant approbation du programme d'investissements 2024 de RTE.

* 474 Expression employée par RTE dans le SDDR 2019.

* 475 D'autres zones sont par ailleurs déjà à l'étude telles que le grand port maritime de Saint-Nazaire et les bassins situés entre Valenciennes et Maubeuge ou aux environs de Mulhouse.

* 476 Des lignes et des postes électriques de très haute tension en 225 et 400 kV.

* 477 Qui répond aux besoins d'adaptation du réseau générés par l'évolution progressive des charges existantes, afin de respecter les plages de tension contractuelles aux points de livraison, éliminer les risques de surcharge dans les ouvrages et de reconstituer les marges nécessaires pour les manoeuvres de conduite et d'exploitation (reprise de charge) suite à des travaux ou à un incident sur le réseau.

* 478 Ces investissements visent à assurer un bon niveau de qualité de fourniture et de résilience des ouvrages face aux risques auxquels ils sont soumis, particulièrement dans le contexte de l'évolution des aléas climatiques.

* 479 Ce pic de travaux et d'investissements s'explique principalement par l'équipement des immeubles d'habitat collectif en infrastructures de recharge, en particulier sur des « colonnes horizontales » dont la réglementation facilite la réalisation avec notamment un préfinancement par le tarif d'utilisation du réseau public d'électricité (TURPE).

* 480 Les hypothèses sous-jacentes retenues par Enedis correspondent à 8 millions de véhicules électriques immatriculés en 2030, 13 millions en 2032, 17 millions en 2035 puis 27 millions en 2040.

* 481 Il s'agit par exemple de la création de nouveaux postes de transformation, de l'augmentation de la puissance de transformation ou encore de l'augmentation de la capacité de transit de lignes.

* 482 Qui s'est étalé jusqu'en 2017.

* 483 Les lignes sensibles aux épisodes de vent violent, de givre ou de neige collante, et à la proximité de zones boisées.

* 484 Rapport public annuel 2024, Cour des comptes, mars 2024.

* 485 Et 313 milliards d'euros à horizon 2045.

* 486 Enedis : contrôle des comptes et de la gestion, exercices 2011 à 2018, Cour des comptes, 2020.

* 487 Incluant la fiscalité.

* 488 Fourniture + acheminement d'électricité.

* 489 C'est-à-dire le TURPE.

* 490 Dans une analyse issue d'une réponse à un questionnaire de la commission d'enquête.

* 491 Enedis : contrôle des comptes et de la gestion, exercices 2011 à 2018, Cour des comptes, 2020.

* 492 Part du résultat net dans le chiffre d'affaires.

* 493 Dans le rapport précité consacré à Enedis.

* 494 En norme comptable française.

* 495 RTE réclamait à l'époque 5,35 % tandis que la CRE estimait qu'il devait se situer entre 4,2 % et 4,7 %.

* 496 Rapport sur réseau transport d'électricité (RTE), exercices 2013 à 2019, Cour des comptes, 2021.

* 497 Projet de schéma décennal de développement du réseau (SDDR) proposé en mars 2024 par RTE.

* 498 Une interconnexion sous-marine.

* 499 Le règlement (UE) n° 2022/869 du 30 mai 2022 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2022 concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes.

* 500 L'organisation des marchés de l'électricité, Cour des comptes, juillet 2022.

* 501 La loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV).

* 502 RTE dans son Bilan prévisionnel pour 2015, p. 12, définit cet arbitrage d'intérêt général entre « d'une part, les avantages que retirent les consommateurs du fait d'un moindre risque de rupture d'approvisionnement et, d'autre part, le coût supporté par la collectivité des moyens supplémentaires d'offre de production et d'effacement de consommation qu'il faut développer pour réduire ce risque ».

* 503 Décret n°2021-1781 du 23 décembre 2021.

* 504 Ces réservent sont répartie en réserve primaire, réserves secondaire et tertiaire. Sur la base de prévisions que RTE qualifie de prudentes, les besoins totaux de réserves opérationnelles à l'horizon 2050 sont estimés entre 4 et 9 GW au total dans les différents scénarios, contre près de 3 GW aujourd'hui.

* 505 Décret n°2006-1170 du 20 septembre 2006 relatif aux bilans prévisionnels pluriannuels d'équilibre entre

l'offre et la demande d'électricité.

* 506 L'article 6 prévoyait que le ministre chargé de l'énergie arrêterait la programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité en s'appuyant sur « un bilan prévisionnel pluriannuel établi au moins tous les deux ans ».

* 507 RTE, réponse au questionnaire de la commission d'enquête.

* 508 Clean energy package.

* 509RTE, étude Proposition pour la mise à jour du critère de sécurité d'approvisionnement du système électrique français, non datée.

* 510 AIE et RTE, étude Conditions et prérequis en matière de faisabilité technique pour un système électrique avec une forte proportion d'énergie renouvelables à l'horizon 2050, janvier 2021.

* 511 RTE, Futurs énergétiques 2050, p. 143.

* 512 CRE, Analyse et enseignements sur le pic de prix sur l'enchère journalière pour le 4 avril 2022, 2022.

* 513 RTE signale qu'en raison des contraintes de réseau sur une branche critique allemande et alors que l'Autriche et la France étaient toutes deux en situation tendue, la France a pu importer environ 3100 MW depuis l'Allemagne et la Belgique entre 7 et 9h (contre une capacité maximale depuis ces pays comprise entre 3600 et 3700 MW) et à l'Autriche a pu importer environ 1700 MW depuis l'Allemagne (contre une capacité maximale comprise entre 4900 et 5300 MW). L'algorithme a donc logiquement bien privilégié la France, pays le plus tendu de la zone.

* 514 RTE, Futurs énergétiques 2050, p. 290.

* 515 Voir la communication du Gouvernement : https://www.sgdsn.gouv.fr/nos-missions/anticiper-et-prevenir/developper-et-structurer-la-capacite-de-resilience-de-la-nation

* 516 Directive Générale Interministérielle relative à la Planification de défense et de sécurité nationale, annexe 4, disponible sur ce lien : https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf/circ?id=45441

* 517 Article L 2151-1 du code de la défense repris dans l'IGI n°6600.

* 518 SGDSN, site internet : https://www.sgdsn.gouv.fr/files/files/Publications/plaquette-saiv.pdf

* 519 Réponse au questionnaire de la commission d'enquête

* 520 RTE, réponse au questionnaire de la commission d'enquête.

* 521 Il s'agit d'appréhender un scénario critique dans lequel, par exemple, surviendrait une vague de froid intense, une indisponibilité simultanée de plusieurs réacteurs nucléaires, une situation de vent faible ou très faible en Europe ou en France.

* 522 RTE, réponse au questionnaire de la commission d'enquête.

* 523 RTE, Futurs énergétiques 2050, p. 291.

* 524 Ibid.

* 525 L'approche probabiliste consiste, pour RTE, à confronter les niveaux d'offre et de demande « en simulant le fonctionnement du système électrique européen au pas horaire sur une année entière. Ces simulations prennent en compte les principaux événements susceptibles de menacer la sécurité d'approvisionnement : les vagues de froid qui peuvent entraîner de fortes variations de la puissance appelée, les indisponibilités des groupes de production qui peuvent réduire la capacité disponible, les apports hydrauliques variables qui peuvent restreindre le productible sur plusieurs semaines voire plusieurs mois et la variabilité des productions éolienne et photovoltaïque ». RTE, bilan prévisionnel 2015, p. 13.

* 526 Futurs énergétiques respectivement p. 288. et p.132 et contribution écrite.

* 527 Conseil général de l'économie, Flexibilité du système électrique : contribution du pilotage de la demande des bâtiments et des véhicules électriques, mai 2020.

* 528 RTE, Futurs énergétiques 2050, p. 132.

* 529 Ademe, Avis d'experts « Flexibilité du système électrique », mars 2024.

* 530 Plan national intégré énergie-climat de la France, projet de mise à jour, octobre 2023.

* 531 RTE, Futurs énergétiques 2050, page 320.

* 532 Réponse aux questionnaires de la commission d'enquête par Luciole et Voltalis. Dans son avis d'experts « Flexibilité du système électrique », publié en mars 2024, l'Ademe reprend les chiffres de son étude datant de 2017 qui ne tient donc pas compte des phénomènes d'électrification en cours qui doivent permettre d'augmenter sensiblement le gisement. Le gisement technique d'effacement pour l'industrie et le secteur tertiaire est estimé entre 6,5 à 9,5 GW. Pour le gisement résidentiel, l'Ademe reprend les chiffres transmis par l'opérateur d'effacement Voltalis, estimant ce gisement à 15 GW. Luciole dans sa contribution écrite ou encore dans le rapport du Comité de prospective de la CRE sur « l'aval compteur », de juin 2021 reprennent ces chiffres.

* 533 Source : EDF : https://particulier.edf.fr/content/dam/2-Actifs/Documents/Offres/Grille_prix_Tarif_Bleu.pdf

* 534 https://www.totalenergies.fr/particuliers/electricite/offres-d-electricite/offre-charge-heures/comment-rentabiliser-vos-heures-super-creuses

* 535 Voir l'article des Échos : https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/electricite-vers-la-revolution-des-heures-creuses-2095345

* 536 Délibération de la CRE du 21 janvier 2021, portant décision sur le tarif d'utilisation des réseaux publics de distribution d'électricité.

* 537 CRE, consultation publique n°2023-13 du 14 décembre 2023 portant sur la structure tarifaire des prochains tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité « turpe 7 ».

* 538 Table ronde du 15 mai 2024.

* 539 Délibération de la CRE du 28 mars 2024 portant communication de l'avancement des projets bénéficiant de dérogations accordées dans le cadre du dispositif d'expérimentation réglementaire.

* 540 Ademe, Avis d'experts « Flexibilité du système électrique », mars 2024.

* 541 « Le Barème Forfaitaire Hors Taxes d'un Site de Soutirage Profilé en option tarifaire Base est calculé comme étant égal au coût d'approvisionnement de la part fourniture tel que défini dans le dernier rapport sur les tarifs réglementés de vente d'électricité publié par la Commission de régulation de l'énergie » - règles NEBEF.

* 542 « Le prix calendaire base, défini comme le niveau correspondant au complément de fourniture, ou `complément marché', relevant des achats sur les marches de gros de l'électricité, en euros par Mégawattheure. Ce prix de marché de référence est calculé comme la moyenne, pondérée par les volumes échangés, des produits calendaires bases échangés sur les marchés organisés et de gré à gré, à la date d'entrée en vigueur du Barème Forfaitaire d'un Site de Soutirage Profilé en option tarifaire Base » - règles NEBEF.

* 543 L'article L 271-3 est rédigé ainsi : « Dans le cas où les effacements de consommation sont valorisés sur les marchés de l'énergie ou sur le mécanisme d'ajustement, un régime de versement vers les fournisseurs d'électricité des sites effacés est défini sur la base d'un prix de référence et des volumes d'effacement comptabilisés comme des soutirages dans le périmètre des responsables d'équilibre des fournisseurs des sites effacés. Le prix de référence reflète la part " approvisionnement " du prix de fourniture des sites de consommation dont la consommation est en tout ou partie effacée ».

* 544 Comité de prospective de la CRE, rapport L'aval compteur, juin 2021.

* 545 Ibid.

* 546 Les appels d'offres actuels sont essentiellement tournés vers les problématiques de sécurité énergétiques.

* 547 Article 12 de la directive 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019.

* 548 Ibid.

* 549 Ibid.

* 550 Article L. 224-15 du code de la consommation.

* 551 RTE, bilan électrique 2023.

* 552 Prévu dans la SFEC.

* 553 Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête.

* 554 Union française de l'électricité (UFE), Note d'explication du modèle économique d'une STEP, 2013.

* 555 Il est prévu que l'avis de concession soit publié cette année.

* 556 Cour des comptes, Les enjeux structurels pour la France, novembre 2021.

* 557 Article L. 593-18.

* 558 Qui a concerné les études et les modifications des installations communes à tous les réacteurs de 900 MW qui sont conçus sur un modèle similaire.

* 559 Sur le modèle de la décision n° 2021-DC-0706 du 23 février 2021 précitée pour le palier des réacteurs de 900 MW.

* 560 Table ronde du 6 février 2024.

* 561 Une analyse qui s'appuyait notamment sur des retours sur expérience de centrales aux Etats-Unis, en Inde, au Canada ou en Suisse, pays dans lesquels des réacteurs de conception analogue fonctionnent d'ores et déjà depuis plus de 50 ans.

* 562 Avis n° 2023-AV-0420 de l'Autorité de sûreté nucléaire du 13 juin 2023 sur les perspectives de poursuite du fonctionnement des réacteurs électronucléaires d'EDF jusqu'à leurs 60 ans.

* 563 Voir l'encadré ci-après.

* 564 RTE, Bilan prévisionnel 2023.

* 565 Rapport d'audit sur la maîtrise industrielle des arrêts de réacteurs du parc nucléaire d'EDF, juin 2022.

* 566 Le circuit d'injection de sécurité (RIS) est un système de sauvegarde qui injecte de l'eau borée dans le circuit primaire principal du réacteur pour refroidir le coeur en cas de brèche sur le circuit primaire. L'objectif est ainsi de maintenir un inventaire en eau suffisant dans le coeur permettant de refroidir le combustible.

* 567 Cour des comptes, L'adaptation des parcs nucléaire et hydro-électrique au changement climatique, rapport public annuel 2024.

* 568 Sénat, Rapport d'information n° 442 (2022-2023) fait au nom de la commission des finances pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur l'adaptation des centrales nucléaires aux conséquences du changement climatique.

* 569 Études neutroniques, études mécaniques (tenue des tuyauteries des circuits), études d'accident, comportement du combustible.

* 570 La puissance maximale susceptible de faire l'objet d'une modulation à un moment donné.

* 571 Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête.

* 572 Réponses écrites d'EDF au questionnaire de la commission d'enquête.

* 573 Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête.

* 574 Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête.

* 575 Réponses de RTE à la commission d'enquête.

* 576 « Soyons Tous Acteurs de la Réussite des Arrêts de Tranches ».

* 577 Article L. 511-1 du code de l'énergie.

* 578 Article L. 521-16 du code de l'énergie.

* 579 Directive 2004/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession.

* 580 Procédure d'infraction 2003/2237.

* 581 Décret n° 2008-1009 du 26 septembre 2008 modifiant le décret n° 94-894 du 13 octobre 1994 modifié relatif à la concession et à la déclaration d'utilité publique des ouvrages utilisant l'énergie hydraulique et le décret n° 99-872 du 11 octobre 1999 approuvant le cahier des charges type des entreprises hydrauliques concédées.

* 582 Cité dans la mise en demeure n° 2018/2378.

* 583 Mise en demeure de la DGCOMP 2015/2187 concernant l'attribution et le maintien au bénéfice d'EDF de l'essentiel des concessions hydroélectriques françaises sur le fondement des articles 102 et 106 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne.

* 584 Mise en demeure de la DGGROW 2018/2378 relative au respect de la directive concessions 2014/23/UE par les autorités françaises.

* 585 Sept autres pays, l'Allemagne, l'Autriche, l'Italie, la Pologne, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède ont également reçu une lettre de mise en demeure de la Commission européenne, le 7 mars 2019. Par décision du 23 septembre 2021, la Commission a clôturé les mises en demeure visant l'Autriche, la Suède et l'Allemagne, qui ont toutes trois recours au régime de l'autorisation.

* 586 À ce jour, 41 contrats de concessions de plus de 4,5 MW sont échus et prorogés sous le régime des délais glissants, pour une puissance cumulée de plus de 3,4 GW.

* 587 Articles 3, 30 et 31 de la directive 2014/23/UE.

* 588 Mise en demeure n° 2018/2378.

* 589 Cela concerne le renouvellement des concessions de Camon et Valentine (décision de renouvellement du 18 décembre 2008), de Kembs (décision de renouvellement du 17 juin 2009) et de la Moyenne Romanche (décision de renouvellement du 29 décembre 2010), ainsi que celle relative à l'attribution de la nouvelle concession du barrage et centrale de Romanche-Gavet (décision d'attribution du 29 décembre 2010).

* 590 Cour des comptes - Le renouvellement des concessions hydroélectriques - Référé n°S2022-1979 - 2 décembre 2022.

* 591 18 mars 2024.

* 592 Cour des comptes - Le renouvellement des concessions hydroélectriques - Référé n°S2022-1979 - 2 décembre 2022.

* 593 Ibid.

* 594 Audition du 15 mai 2024.

* 595 Cour des comptes - Compte de commerce 914 « Renouvellement des concessions hydroélectriques - Note d'analyse de l'exécution budgétaire - 2019.

* 596 Directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession.

* 597 Directive 2006123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur.

* 598 « raisons impérieuses d'intérêt général » : des raisons reconnues comme telles par la jurisprudence de la Cour de justice, qui incluent les justifications suivantes : l'ordre public, la sécurité publique, la santé publique, la préservation de l'équilibre financier du système de sécurité sociale, la protection des consommateurs, des destinataires de services et des travailleurs, la loyauté des transactions commerciales, la lutte contre la fraude, la protection de l'environnement et de l'environnement urbain, la santé des animaux, la propriété intellectuelle, la conservation du patrimoine national historique et artistique, des objectifs de politique sociale et des objectifs de politique culturelle.

* 599 Article 30 de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession.

* 600 Article 18, paragraphe 2, de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 sur l'attribution de contrats de concession.

* 601 Article 107 du Traité de fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) : « Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».

* 602 Séance du 13 mars 2014.

* 603 RTE - Bilan prévisionnel 2023-2035 - 28 novembre 2023.

* 604 Directive (UE) 2023/1791 du Parlement européen et du Conseil du 13 septembre 2023 relative à l'efficacité énergétique et modifiant le règlement (UE) 2023/955 (refonte).

* 605 Table ronde du 6 mars 2024.

* 606 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 607 Délibération n° 2024-36 de la Commission de régulation de l'énergie du 15 février 2024 relative à l'instruction des offres remises dans le cadre du dialogue concurrentiel, n° 1/2021 portant sur des éoliennes terrestres flottantes de production d'électricité dans une zone au large du sud de la Bretagne.

* 608 Table ronde sur l'éolien terrestre et en mer, le 6 mars 2024.

* 609 Ibid.

* 610 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 611 Délibération n° 2024-36 de la Commission de régulation de l'énergie du 15 février 2024 relative à l'instruction des offres remises dans le cadre du dialogue concurrentiel, n° 1/2021 portant sur des éoliennes terrestres flottantes de production d'électricité dans une zone au large du sud de la Bretagne.

* 612 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 613 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 614 L'Europe a pour objectif de pouvoir couvrir au moins 40 % de ses besoins en technologies vertes d'ici à 2030. Cela représente au moins 30 GW de panneaux solaires, 36 GW d'éoliennes, 31 GW de pompes à chaleur, 100 GW d'électrolyseurs et 550 GWh de batteries à produire sur le sol européen.

* 615 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête

* 616 Lors de la table ronde sur l'éolien terrestre et en mer organisée par la commission d'enquête le 6 mars 2024.

* 617 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 618 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 619 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 620 Lors de la table ronde sur l'énergie solaire organisée par la commission d'enquête le 7 mars 2024.

* 621 Lors de la table ronde sur l'éolien terrestre et en mer, le 6 mars 2024.

* 622 Idem.

* 623 Instruction du Gouvernement du 16 septembre 2022 relative à l'organisation de la répartition et du délestage de la consommation de gaz naturel et de l'électricité dans la perspective du passage de l'hiver 2022-2023 et à l'accélération du développement des projets d'énergie renouvelable.

* 624 Directive (UE) 2023/2413 du Parlement européen et du Conseil du 18 octobre 2023 modifiant la directive (UE) 2018/2001, le règlement (UE) 2018/1999 et la directive 98/70/CE en ce qui concerne la promotion de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, et abrogeant la directive (UE) 2015/652 du Conseil.

* 625 Loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables.

* 626 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 627 Assemblée nationale, rapport n° 1028 fait au nom de la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France, 2023.

* 628 Jean-Martin Folz, La construction de l'EPR de Flamanville, 2019.

* 629 Cour des comptes, La filière EPR, 2020.

* 630 Réponses de l'ASN à la commission d'enquête.

* 631 Les « internes de cuve ».

* 632 Deux réacteurs des centrales de Turkey Point, Surry et Peach Bottom.

* 633 Table ronde du 6 février 2024.

* 634 Cour des comptes, La filière EPR, 2020.

* 635 Le 7 mai 2024.

* 636 En euros de 2015.

* 637 En 2022, le coût total avait déjà été réévalué de 40 % pour atteindre 25 milliards de livres.

* 638 Selon ses réponses écrites à la commission d'enquête.

* 639 Réponses écrites d'EDF à la commission d'enquête.

* 640 Jean-Martin Folz, La construction de l'EPR de Flamanville, 2019.

* 641 Les réacteurs du palier N4.

* 642 Tête de série du palier N4.

* 643 Le réacteur n° 2 de Civaux.

* 644 Une demande spécifique des ingénieurs allemands lors de la conception de l'EPR.

* 645 La phase dite de « detailed design ».

* 646 Il existe également un enjeu substantiel de mise à jour et de digitalisation des opérations réalisées par les services d'ingénierie.

* 647 Relative à l'organisation de la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection pour répondre au défi de la relance de la filière nucléaire.

* 648 Relative à l'accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes.

* 649 AEN, Unlocking reductions in the construction costs of nuclear, a practical guide for stakeholders, 2020.

* 650 Les autres hypothèses sous-jacentes à ce calcul sont basées sur un coût de construction overnight de 4 500 dollars par kW, un facteur de charge de 85 %, une durée de fonctionnement de 60 ans et une durée de construction de 7 ans.

* 651 En préservant des dispositifs incitatifs au respect des prévisions.

* 652 Mécanisme par lequel se succède une rémunération en phase de construction puis une garantie de prix en phase d'exploitation.

* 653 Jan Horst Keppler, « Financement du nouveau nucléaire et gestion des risques dans des économies sous contrainte carbone », Annales des Mines - Responsabilité et environnement, vol. 113, no 1, 2024, pp. 20-26.

* 654 Site internet de l'ASN.

* 655 Les usines UP2-800 et UP3.

* 656 À Seversk, en Sibérie.

* 657 À l'occasion de la présentation du rapport annuel de l'ASN devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

* 658 Y compris Flamanville 3.

* 659 Y compris Flamanville 3.

* 660 Y compris Flamanville 3.

* 661 Rappel : le coefficient de disponibilité Kd intègre les périodes d'arrêt des réacteurs (avaries, maintenance des centrales...) alors que le coefficient d'utilisation Ku concerne les circonstances où, la centrale étant disponible, la totalité de l'énergie pouvant être produite ne l'a pas été, par exemple en cas de modulation de puissance.

* 662 Par rapport à aujourd'hui.

* 663 Qui suppose la fermeture de la moitié des réacteurs du parc nucléaire historique après 60 ans et un retard dans les chantiers du programme de nouveau nucléaire.

* 664 Les réserves jusqu'à 40 USD/kg étaient comptabilisées pour 775 000 tonnes et celles à 80€ pour 1,9 millions de tonnes.

* 665 Le Red Book inclut dans cet ensemble des ressources « pronostiquées » et des ressources « spéculatives ». Les premières désignent l'uranium qui devrait se trouver dans des dépôts pour lesquels les preuves sont principalement indirectes et qui sont censés exister dans des zones géologiques définies, les secondes, se réfèrent à l'uranium que l'on pense exister, principalement sur la base de preuves indirectes et d'extrapolations géologiques.

* 666 Audition du 27 mai 2024.

* 667 Publié en mars 2021.

* 668 Sylvain David, Sandra Bouneau, et Adrien Bidaud. « Futur du nucléaire : la question cruciale du cycle du combustible », Pour la Science, vol. 549, no. 7, 2023, pp. 38-45.

* 669 Éventuellement complété de MOX.

* 670 Audition du 9 avril 2024.

* 671 Audition du 13 février 2024.

* 672 Audition du 13 février 2024.

* 673 Elle semblait avoir timidement repris lorsque, le 20 juin dernuer, le Niger a annoncé avoir retiré à Orano son permis d'exploitation du gisement d'Imouraren.

* 674 L'entreprise russe Rosatom et l'Autorité chinoise de l'énergie atomique (CAEA) ont signé, en marge de la visite officielle en Russie du président chinois, Xi Jinping, du 20 au 23 mars 2023, un programme global de coopération à long terme dans le domaine des réacteurs à neutrons rapides et de fermeture du cycle du combustible nucléaire.

* 675 Assemblée nationale, rapport fait au nom de la commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France, 30 mars 2023.

* 676 Les combustibles utilisés dans les réacteurs nucléaires actuels sont composés d'un assemblage d'uranium parfois associé à du plutonium. Au fil du temps, ces combustibles deviennent moins performants. Ils sont alors traités, principalement à l'usine Orano de La Hague. Ce traitement permet de récupérer les matières (plutonium et uranium) pouvant être recyclées et servir à la fabrication de nouveaux combustibles nucléaires. Les résidus non réutilisables obtenus lors de ce traitement constituent les déchets HA. Il s'agit de résidus de la combustion nucléaire de l'uranium qui se produit au sein des réacteurs nucléaires. Hautement radioactifs, ils représentent de 3 à 5 % du combustible usé. (Source : ANDRA).

* 677 Pierre-Marie Abadie, « La gestion responsable et durable des déchets radioactifs en France », in Annales des Mines - Responsabilité et environnement, vol. 113, no. 1, 2024, pp. 94-99.

* 678 La CNE est une commission créée par la Loi du 31 décembre 1991 et renforcée par la Loi du 28 juin 2006, qui a pour mission d'évaluer annuellement, et de manière indépendante, l'état d'avancement des études et recherches relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs.

* 679 Réponse de la DGEC au questionnaire de la commission d'enquête.

* 680 « La capacité d'extraire une certaine puissance d'un volume donné de combustible (environ 500 W/cm3) fixe la masse de combustible (U + Pu) dans un réacteur de 1 GWe à 44 tonnes avec une concentration Pu/(U + Pu) à 17 % pour assurer la régénération, soit une masse de plutonium en réacteur d'environ 8 tonnes. De plus, le combustible doit régulièrement être retraité afin d'en extraire les produits de fission qui s'accumulent et remplacer la matière fertile consommée. Lors de ce traitement, le plutonium doit être récupéré et réinjecté dans le nouveau combustible (multirecyclage). Le combustible passe au moins sept ans hors coeur pour être retraité et cinq ans en coeur. L'inventaire total de plutonium immobilisé pour un réacteur rapide de 1 GWe est donc de l'ordre de 8 × 5 + 7/5 = 19,2 tonnes ». Sylvain David, Sandra Bouneau, et Adrien Bidaud. « Futur du nucléaire : la question cruciale du cycle du combustible », Pour la Science, vol. 549, no. 7, 2023, pp. 38-45.

* 681 Dont 15 tonnes seraient propriété du Japon.

* 682 CNE2, Rapport d'évaluation n°17, Juin 2023, pp.19-20.

* 683 CEA, Direction de l'énergie nucléaire et Direction de l'innovation et du soutien nucléaire, Programme Aval du Cycle, Document Technique DEN, Inventaire prospectif entre 2016 et 2100 des matières et des déchets radioactifs produits par le parc français selon différents scénarios d'évolution, 25 octobre 2018. Voir aussi Sylvain David, Sandra Bouneau, et Adrien Bidaud. « Futur du nucléaire : la question cruciale du cycle du combustible », Pour la Science, vol. 549, no. 7, 2023, pp. 38-45.

* 684 Réponses écrites à la commission d'enquête suite à l'audition rapporteur du 11 avril 2024.

* 685 Youinou, G. & Vasile, Alfredo, « Plutonium Multirecycling in Standard PWRs Loaded with Evolutionary Fuels ». Nuclear Science and Engineering, 151, 2005, pp.25-45.

* 686 Cécile Evans (Orano), François Sudreau (CEA), Guillaume Vaast et Frédéric Laugier (EDF), Yolanda Rugama et Pierre-Henri Louf (Framatome), Projet multirecyclage en rep Présentation, SFEN Provence Aix en Provence, 23 juin 2023.

* 687 Ces différences sont notamment liées aux conditions d'expérimentation : composition exacte du combustible utilisé, fraction du parc de réacteurs fonctionnant avec des combustibles fabriqués avec du plutonium multirecyclé...

* 688 CNE2, 18ème rapport, juin 2024.

* 689 Réponses écrites transmises à la commission d'enquête.

* 690 Audition du 13 février 2024.

* 691 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 692 Audition du 13 février 2024.

* 693 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.

* 694 ASN n° 2020-AV-0363 du 8 octobre 2020 : l'ASN « estime que la valorisation d'une matière radioactive peut être considérée comme plausible si l'existence d'une filière industrielle est réaliste à un horizon d'une trentaine d'années. Pour toute perspective plus lointaine, il est nécessaire d'anticiper les besoins d'entreposage sur les durées correspondantes, plus longues qu'une trentaine d'années, dans des conditions sûres, et la gestion possible de la substance radioactive en tant que déchet. En tout état de cause, l'absence de perspective d'utilisation à l'horizon d'une centaine d'années doit conduire à requalifier la substance en déchet. ». Un peu plus loin, l'ASN notait : « L'ASN constate que les flux prévisionnels d'utilisation de l'uranium appauvri ne sont pas en adéquation avec les quantités détenues sur le territoire national et les flux prévisionnels de production, et que la consommation de l'ensemble du stock de matière existant est irréaliste avec les filières de valorisation envisagées à l'échelle du siècle.

En conséquence, l'ASN estime indispensable qu'une quantité substantielle d'uranium appauvri soit requalifiée, dès à présent, en déchet radioactif. Dans cette perspective, l'Andra doit poursuivre, en lien avec Orano, les études visant au stockage de l'uranium appauvri. »

* 695 Voir notamment les interrogations du rapport de l'OPECST, L'énergie nucléaire du futur et les conséquences de l'abandon du projet de réacteur nucléaire de 4e génération « Astrid », Rapport n° 758 (2020-2021), déposé le 8 juillet 2021.

* 696 Audition du 29 novembre 2022.

* 697 Sylvain David, Sandra Bouneau, et Adrien Bidaud. « Futur du nucléaire : la question cruciale du cycle du combustible », Pour la Science, vol. 549, no. 7, 2023, pp. 38-45.

* 698 L'uranium est dit « appauvri » lorsque sa composition en isotopes légers (uranium 235 et 234) a été réduite à moins de 0,4 %. II s'agit principalement d'un sous-produit des opérations d'enrichissement d'uranium. Ces dernières consistent à séparer, par diffusion gazeuse ou centrifugation, de l'uranium naturel en deux lots : l'un enrichi en uranium 235 pour être utilisé dans les réacteurs électronucléaires et l'autre appauvri en uranium 235. Pour fabriquer 1 tonne d'uranium enrichi, on crée environ 8 tonnes d'uranium appauvri.

* 699 Pour une production d'environ 400 TWh par an.

* 700 Le chiffre est en fait entre 7000 et 8000 tonnes par an.

* 701 CEA, Le cycle du combustible des réacteurs à neutrons rapides, 2014.

* 702 Américium, Neptunium, Curium.

* 703 Jean-Michel Delbecq, Bertrand Carlier, Christine Chabert-Koralewski, Romain Eschbach, Claude Garzenne, Frédéric Laugier, Alain Zaetta, « Transmutation des actinides mineurs dans les systèmes de 4e génération », Techniques de l'ingénieur, 10 janv. 2015.

* 704 Voir Revue générale nucléaire, Au coeur de la stratégie française Recycler, réutiliser, sécuriser, 4. La transmutation : retours d'expériences, enseignements et perspectives, publié le 24 avril 2023 - Mis à jour le 25 juillet 2023.

* 705 Audition du 13 février 2024.

* 706 La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a évalué le coût de la partie « aval » du cycle à environ 7 euros/MWh.

* 707 Olivier Houvenagel, directeur de l'économie du système électrique de RTE, entendu par la commission d'enquête le 5 mars 2024.

* 708 Acronyme de l'anglais Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration.

* 709 Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, L'énergie nucléaire du futur et les conséquences de l'abandon du projet de réacteur nucléaire de 4e génération « Astrid », Rapport n° 758 (2020-2021), déposé le 8 juillet 2021.

* 710 Audition du 13 février 2024.

* 711 « Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique, agissant dans l'exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l'exécution de la loi est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. »

* 712 Audition du 13 février 2024.

* 713 Idem.

* 714 World Nuclear Association, Fast Neutron Reactors, 26 août 2021.

* 715 Réponses écrites au questionnaire complémentaire de la commission d'enquête, 17 avril 2024.

* 716 Audition du 23 mai 2024.

* 717 Audition du 13 février 2024.

* 718 Sur les partenariats dans le cadre d'Astrid, cf. Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, L'énergie nucléaire du futur et les conséquences de l'abandon du projet de réacteur nucléaire de 4e génération « Astrid », Rapport n° 758 (2020-2021), déposé le 8 juillet 2021, p. 74.

* 719 Et sans doute d'Orano, pour le cycle du combustible mais avec un décalage de plusieurs années.

* 720 Réponses écrites à la commission d'enquête suite à l'audition rapporteur du 11 avril 2024.

* 721 Thierry Le Mouroux, directeur exécutif en charge de la préfiguration de la future direction Projets et Construction Nucléaires d'EDF, audition du 27 février 2024.

* 722 David Settimo, Rémy Dupraz, Nicole Fortunet, Noël Camarcat, Economical features of commercial sodium fast reactor in France, avril 2022.

* 723 Ibid p. 12.

* 724 Ibid.

* 725 Réponses écrites à la commission d'enquête suite à l'audition rapporteur du 11 avril 2024.

* 726 Réponses écrites au questionnaire complémentaire de la commission d'enquête, 17 avril 2024.

* 727 « le reste au niveau des treize partenaires industriels ». CEA, direction de l'énergie nucléaire, Avancées des recherches sur la séparation-transmutation et le multi-recyclage du plutonium dans les réacteurs à flux de neutrons rapides, juin 2015, p.11.

* 728 Réponses écrites à la commission d'enquête suite à l'audition rapporteur du 11 avril 2024.

* 729 Le CEA a déjà, par le passé, élaboré des projets de programmation en la matière. Cf, par exemple, CEA, direction de l'énergie nucléaire, La gestion durable des matières radioactives avec les réacteurs de 4e génération, décembre 2012.

* 730 Réponses écrites à la commission d'enquête suite à l'audition rapporteur du 11 avril 2024.

* 731 À l'instar de la société NERSA pour Superphénix.

* 732 Haut fonctionnaire ayant dirigé successivement l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et l'Autorité de la statistique publique.

* 733 Rapport de la commission sur l'organisation du marché de l'électricité, Paul Champsaur, avril 2009.

* 734 Les députés François Brottes et Jean-Claude Lenoir, les sénateurs Jean-Marc Pastor et Ladislas Poniatowski.

* 735 Jean Bergougnoux, Martin Hellwig, Daniel Labetoulle et Jacques Percebois.

* 736 Un projet de lettre de mission avait même été rédigé.

* 737 Ces prix pouvant être identiques ou différents dans l'hypothèse d'un corridor de prix.

* 738 Le ministre de l'économie et des finances, le ministre en charge de l'industrie et la ministre de la transition énergétique.

* 739 De 2022.

* 740 Ou « rubans » nucléaires de moyen terme.

* 741 Table ronde du 28 février 2024.

* 742 Cour des comptes, Les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l'énergie, mars 2024.

* 743 78 euros par MWh moins 66 euros par MWh.

* 744 Jacques Percebois, Les paris liés à la réforme du marché de l'électricité et le débat sur le contenu de l'accord entre l'État et EDF, 2024.

* 745 Dans ses réponses écrites à la commission d'enquête.

* 746 Ou « à prix coûtant mais à risque ».

* 747 CRE, délibération n° 2024-10 du 18 janvier 2024 portant avis sur le projet de loi relatif à la souveraineté énergétique.

* 748 D'après les réponses écrites du CLEEE à la commission d'enquête.

* 749 Pierre Jérémie lors de son audition devant la commission d'enquête du 15 mai 2024.

* 750 Lors de son audition devant la commission d'enquête.

* 751 Avis n° 19-A-01 du 21 janvier 2019 concernant un projet de décret relatif au dispositif d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh).

* 752 Lorsque le Royaume-Uni faisait encore partie de l'Union européenne.

* 753 Rebaptisée taxe intérieure de consommation finale sur l'électricité (TICFE) puis accise sur l'électricité.

* 754 Ses dispositions législatives sont définies aux articles L. 312 1 à L. 312 107 du code des impositions sur les biens et services (CIBS).

* 755 Figurant à l'article L. 312 37 du CIBS.

* 756 Au paragraphe 22 de l'annexe III de la directive.

* 757 C'est-à-dire en France les taux de 5,5 % ou de 10 %.

* 758 Pour des raisons d'évolution démographique.

* 759 Cour des comptes, Les mesures exceptionnelles de lutte contre la hausse des prix de l'énergie, 2024.

* 760 C'est-à-dire hors tarifs réduits qui demeurent minorés à 0,5 euros par MWh pour les secteurs concernés.

* 761 Des modalités de prise en considération de la composition du foyer pourrait également être prises en considération dans les seuils retenus.

* 762 Ce chiffre correspond à la consommation électrique moyenne annuelle d'une boulangerie d'après une étude de 2008 de l'Agence régionale de l'environnement et des nouvelles énergies (Arene) et de l'Ademe.

* 763 Ces auditions n'ont pas fait l'objet de comptes rendus publiés et les personnes entendues n'ont pas été appelées à prêter serment.

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