C. DE L'EURATOM À L'ALLIANCE DU NUCLÉAIRE, LA LENTE CONSTRUCTION D'UNE COOPÉRATION EUROPÉENNE DANS LE DOMAINE DE L'ÉNERGIE NUCLÉAIRE

En 1957, est signé, en même temps que le traité instituant la Communauté économique européenne, le traité instituant la Communauté européenne de l'énergie atomique (Euratom). Il s'agit d'un traité qui s'applique à un seul secteur d'activité économique bien spécifique, l'énergie nucléaire.

1. Une coopération pour construire une industrie nucléaire puissante

Les États fondateurs considèrent alors que la maîtrise de la technologie nucléaire doit contribuer au développement d'une industrie nucléaire puissante et participer à l'équilibre des relations internationales. Après avoir levé les hypothèques liées au nucléaire militaire, des négociations se sont engagées, à partir du milieu des années 1950, pour créer une organisation européenne dans le domaine atomique. Lors de la conférence de Messine en juin 1955, les pays fondateurs estimaient, en effet, qu'il fallait « étudier la création d'une organisation commune à laquelle seront attribués la responsabilité et les moyens d'assurer le développement pacifique de l'énergie atomique en prenant en considération les arrangements spéciaux souscrits par certains gouvernements avec des tiers ».

Selon les termes du Traité Euratom, « l'énergie nucléaire constitue la ressource essentielle qui assurera le développement et le renouvellement des productions et permettra le progrès des oeuvres de paix ». Plusieurs missions sont ainsi confiées à l'Euratom à l'article 2 du traité : favoriser la recherche sur les technologies nucléaires civiles et la diffusion des connaissances ; favoriser les investissements ; constituer des entreprises communes ; assurer l'approvisionnement en minerais et combustibles nucléaires ; édicter des normes de protection ; développer un usage strictement pacifique de l'énergie nucléaire ; promouvoir l'utilisation du nucléaire civil à l'échelle mondiale. Cependant, l'évolution du contexte international, en particulier la baisse des prix du pétrole, va entraver le fonctionnement d'Euratom et conduire à la fin, à l'échelle européenne, d'une politique ambitieuse dans le domaine du nucléaire civil.

Le traité Euratom fournit le cadre juridique dans lequel les institutions formulent et mettent en oeuvre les politiques communes dans le cadre de l'Euratom. Il sert de base juridique pour adopter des recommandations et des décisions, qui bien que non contraignantes, établissent des normes européennes dans les domaines, entre autres, du développement du nucléaire civil, de la recherche fondamentale et de la sécurité de l'approvisionnement en minerais et combustibles fissiles. L'Union européenne permet de disposer d'une approche commune et d'harmoniser les règlementations des États membres en matière d'énergie nucléaire.

2. Des institutions communes au service de cette ambition européenne

Les institutions établies pour la Communauté européenne de l'énergie atomique sont partagées avec celles de l'Union européenne, bien qu'Euratom soit encore une entité juridique distincte. Le traité Euratom donne un rôle prépondérant au Conseil en instaurant un système de vote reposant, selon les thématiques, sur la majorité simple, la majorité qualifiée ou encore l'unanimité. Il prévoit, dans certains cas, la consultation du Parlement européen. En revanche, la procédure de codécision ne trouve pas à s'appliquer dans les différents domaines d'action du titre II du traité.

Les institutions communautaires sont responsables de la mise en oeuvre du traité et des deux organismes propres à l'Euratom :

- l'Agence d'approvisionnement en matières nucléaires, chargée de la coordination des achats européens de minerais et combustibles nucléaires ;

- l'Office de contrôle de sécurité, qui effectue des contrôles comptables et physiques dans toutes les installations nucléaires de la Communauté.

Par ailleurs, le Centre commun de recherche (CCR), institué en vertu de l'article 8 du traité Euratom, qui est un service scientifique interne de la Commission européenne, est engagé dans le développement de l'industrie nucléaire civile européenne, notamment dans le cadre du projet de réacteur thermonucléaire expérimental international (ITER).

3. Des financements européens qui demeurent modestes

Le neuvième programme de recherche et de formation de l'Euratom, intégré au programme-cadre Horizon Europe, couvre spécifiquement la recherche et l'innovation nucléaires. Il concerne des actions indirectes dans le domaine de la recherche, principalement sur l'énergie de fusion nucléaire et la radioprotection, et des actions directes entreprises par le Centre de recherche de la Commission européenne. Il dispose d'un budget de 1,38 milliard d'euros pour la période 2021-202513(*), répartis ainsi :

- les activités de recherche et de développement dans le domaine de la fusion pour 583 millions d'euros ;

- les activités de recherche dans les domaines de la fission, de la sureté et de la radioprotection pour 266 millions d'euros ;

- les activités nucléaires du Centre commun de recherche de la Commission européenne pour 532 millions d'euros.

Une enveloppe de 30 millions d'euros a été allouée aux projets SMR par le programme Euratom de recherche et de formation.

Autant dire qu'Euratom ne dispose pas de moyens à l'échelle des projets nucléaires qui, pour être performants en termes de coûts variables, sont gourmands en termes de coûts fixes en raison de l'ampleur des investissements à consentir.

La DGEC a indiqué que la France soutenait l'augmentation du budget Euratom de recherche et de formation dans le domaine de l'énergie nucléaire ainsi que la publication d'un nouveau programme portant notamment sur des objectifs indicatifs de production d'énergie nucléaire et sur les investissements nécessaires à leur réalisation.

4. Un traité désormais concurrencé par l'Alliance du nucléaire

L'ambition du traité Euratom d'organiser sur le territoire européen l'ensemble de la filière électronucléaire, alors naissante, ne s'est pas réellement concrétisée, pour des raisons tant juridiques que politiques, comme le soulignait, dès 2000, un rapport du Sénat qui dressait un bilan particulièrement sévère de ses réalisations : « insuffisante adaptation juridique, inadéquation à la diversité des politiques nucléaires des États membres et dilution progressive dans le processus européen d'intégration économique : telles sont les trois causes de la péremption de nombre des dispositions du traité Euratom » 14(*).

Il faisait valoir ainsi que « les pouvoirs attribués à ces structures nationales se sont révélés assez rapidement inadaptés, et elles ont été soit remplacées, soit réformées. La CEEA, elle, continue de présenter une apparence juridique qui ne correspond pas à la réalité ». Par ailleurs, l'énergie nucléaire n'a pas été développée dans l'ensemble des pays européens et cette politique a revêtu une forte dimension nationale. Les fortes divergences sur la place du nucléaire dans la politique énergétique européenne qui se sont manifestées parmi les États membres et au sein des instances européennes n'a pas non plus contribué à assoir et à développer ses missions. Enfin, le programme de recherche et de formation a été intégré au programme-cadre de recherche de la Communauté européenne, puis de l'Union, et a affaibli la spécificité d'Euratom.

Euratom, par nature, comprend les mêmes membres que l'Union européenne alors que certains sont très hostiles au nucléaire. Il n'est pas difficile d'imaginer que son contexte de fonctionnement n'est guère propice aux projets ambitieux.

Cette ambition d'une coopération européenne dans le domaine de l'énergie nucléaire est aujourd'hui portée par le lancement, en février 2023, à l'initiative de la France, d'une Alliance du nucléaire au niveau européen. Cette alliance s'inscrit dans le cadre de projets communs qui visent à promouvoir l'énergie nucléaire et à faciliter le développement des investissements dans ce secteur, comme l'a souligné Roland Lescure, ministre délégué chargé de l'industrie et de l'énergie, lors de son audition devant la commission d'enquête : « les conséquences industrielles sont importantes car il s'agit de construire une vraie filière nucléaire européenne, avec des têtes de pont françaises mais pas uniquement. Des entreprises tchèques pourraient aussi nous aider à construire des réacteurs. C'est une fierté pour nous, de construire une filière nucléaire européenne »15(*).

Cette alliance a vocation à porter la voix des pays européens favorables à cette source d'énergie et, surtout, à peser sur la vision qui devra être celle de la prochaine Commission européenne en matière énergétique. La création de l'Alliance du nucléaire est clairement à mettre au crédit du Gouvernement et de la ministre de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher.

Alliance européenne du nucléaire

Lancée à l'initiative de la France, le 28 février 2023, l'Alliance du nucléaire a vocation à réunir tous les pays d'Europe souhaitant s'appuyer sur l'énergie nucléaire, aux côtés des renouvelables, pour réussir leur transition énergétique. Elle vise à faire reconnaître le rôle du nucléaire dans la décarbonation de l'économie européenne, à assurer la sécurité de l'approvisionnement et à contribuer à une autonomie stratégique ouverte.

Onze États membres, parmi lesquels, la Bulgarie, la Croatie, la France, la Hongrie, la Finlande, les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie, ont ainsi marqué leur volonté de renforcer la coopération européenne dans le domaine de l'énergie nucléaire.

Cette Alliance doit ainsi favoriser une coopération plus étroite entre les secteurs nucléaires nationaux à travers les chaînes d'approvisionnement, promouvoir des programmes de formation et des projets industriels communs, notamment basés sur des technologies innovantes, et envisager des possibilités de coopération scientifique accrue et de déploiement des meilleures pratiques dans le domaine de la sécurité.

Cette Alliance doit permettre la création d'un cadre européen global propice au développement de l'énergie nucléaire, en étudiant les aspects essentiels des politiques, tels que ceux liés au financement, qui constituent l'un des enjeux essentiels. Des discussions sont ainsi conduites pour créer « un groupe de travail sur les instruments européens permettant le déploiement de réacteurs nucléaires au sein de l'Union européenne et de la chaîne de valeur européenne correspondante ». Son objectif est notamment d'étudier les possibilités en matière d'instruments de financement (notamment, soutien de la BEI, Fonds pour l'innovation, lignes directrices concernant les aides d'État, PIIEC) et leurs avantages, ainsi que la manière dont ils pourraient être utilisés ou actualisés pour soutenir le déploiement de grands réacteurs et de petits réacteurs modulaires.

Enfin, un dernier enjeu vise à renforcer la chaîne de valeur industrielle européenne en matière d'énergie nucléaire.

Plusieurs résultats ont déjà été obtenus dans le cadre de cette coopération :

- la reconnaissance de l'énergie nucléaire dans la décarbonation de l'économie dans le cadre du règlement pour une industrie « Zéro émission net », ainsi que de la dernière communication de la Commission européenne sur l'objectif climatique à l'horizon 2040, qui ouvrent la voie à une approche plus neutre sur le plan technologique dans les politiques de l'UE ;

- le lancement par la Commission européenne de l'Alliance industrielle européenne sur les petits réacteurs modulaires (SMR).

Source : Commission d'enquête d'après le ministère de la Transition énergétique


* 13 Règlement (Euratom) 2021/765 du 10 mai 2021 du Conseil établissant le programme de recherche et de formation de la Communauté européenne de l'énergie atomique pour la période 2021-2025 complétant le programme-cadre pour la recherche et l'innovation « Horizon Europe » et abrogeant le règlement (Euratom) 2018/1563.

* 14 Rapport d'information du Sénat intitulé « L'énergie nucléaire en Europe : union ou confusion ? » n° 320 (1999-2000), fait au nom de la délégation du Sénat pour l'Union européenne, sur l'adéquation du traité Euratom à la situation et aux perspectives de l'énergie nucléaire en Europe, 2 mai 2020.

* 15 Audition du 23 mai 2024.

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