B. LA MISE EN oeUVRE DE LA POLITIQUE ÉNERGETIQUE DOIT DEMEURER UNE RESPONSABILITÉ DES ÉTATS MEMBRES
La Commission européenne définit ainsi les grandes orientations de la politique énergétique, tandis que les États membres fixent les moyens pour leur mise en oeuvre. En tant que compétence partagée, l'énergie est, par conséquent, soumise au respect du principe de subsidiarité, défini par le traité sur l'Union européenne.
1. Le respect du principe de subsidiarité consacré par les traités
L'article 5 du traité sur l'Union européenne (TUE) prévoit, en effet, que l'Union européenne ne peut intervenir, en vertu du principe de subsidiarité, que « si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union ». Il ressort aussi qu'un tel principe est indissociable de celui de proportionnalité. Ainsi, en vertu de ce dernier, les moyens mis en oeuvre par la Commission européenne doivent permettre aux États membres de conserver des marges de manoeuvre suffisantes pour atteindre les objectifs fixés en matière de transition climatique et énergétique, au regard des particularités de leur mix énergétique et des technologies ou procédés retenus, mais aussi du degré actuel de décarbonation de leur production d'énergies.
Le respect du droit des États de choisir leur bouquet énergétique et les technologies les plus adaptées pour atteindre la neutralité carbone, qui s'inscrit dans le cadre des traités, doit fonder la politique énergétique européenne.
Par conséquent, l'application du principe de neutralité technologique est essentielle, en particulier pour les pays européens qui disposent déjà d'une production d'électricité fortement décarbonée, comme la France.
La politique européenne dans le domaine de l'énergie doit ainsi tenir compte de l'ensemble des sources d'énergie bas-carbone et ne pas discriminer certaines technologies, en particulier le nucléaire, qui doivent pouvoir bénéficier des dispositions de la législation européenne qui s'appliquent au titre des énergies renouvelables.
La commission d'enquête considère, par ailleurs, que l'Union ne doit pas imposer aux États membres qui ont réalisé des efforts importants dans la décarbonation de leur mix électrique des objectifs de diversification inadaptés à la structure de leur approvisionnement énergétique ou manifestement disproportionnés. Nous verrons que cela n'a pas toujours été le cas.
2. Le Sénat s'inscrit dans le cadre d'un contrôle vigilant et constant du principe de subsidiarité
Depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en décembre 2009, le Sénat et l'Assemblée nationale disposent de compétences en matière de contrôle de la subsidiarité, prévues par l'article 88-6 de la Constitution. Ainsi chaque assemblée peut adopter un avis motivé sous la forme d'une résolution si elle estime qu'un projet d'acte législatif européen ne respecte pas les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Le Parlement peut aussi se prononcer sur le fond des projets de textes européens qui lui sont soumis en adoptant des résolutions adressées au Gouvernement sur le fondement de l'article 88-4 de la Constitution.
Au cours de ces dernières années, le Sénat a pris position sur les conditions de mise en oeuvre de mesures relatives à la politique énergétique de l'Union, en adoptant plusieurs résolutions européennes et avis motivés au titre du contrôle de subsidiarité. Lors de sa visite au Sénat, le 7 janvier 2022, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a d'ailleurs relevé que « le Sénat est l'une des assemblées parlementaires les plus actives de l'Union européenne dans son dialogue politique avec la Commission européenne ».
Liste des prises de position du Sénat dans
le domaine de l'énergie
entre le
1er janvier 2017 et le
31 décembre 2023
Texte |
Prise de position du Sénat |
Agence de l'Union européenne pour la coopération des régulateurs de l'énergie |
Avis motivé du 5 avril 2017 |
Marché intérieur de l'électricité |
Avis motivé du 16 mai 2017 |
Paquet « Énergie propre pour tous les Européens » |
Résolution européenne du 8 septembre 2017 Avis politique du 6 juillet 2017 |
Règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel |
Avis motivé du 10 janvier 2018 |
Cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant la loi européenne sur le climat |
Avis motivé du 22 mai 2020 |
Programme de travail de la Commission pour 2020 - Réalisation du gazoduc Nord Stream 2 |
Résolution européenne du 21 août 2020 Avis politique du 16 juillet 2020 |
Inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie des investissements durables |
Résolution européenne du 7 décembre 2021 Avis politique du 24 novembre 2021 |
Paquet « Ajustement à l'objectif 55 » |
Résolution européenne du 5 avril 2022 |
Directive relative aux énergies renouvelables, à la performance énergétique et à l'efficacité énergétique |
Avis motivé du 27 juillet 2022 |
Protection de l'Union contre la manipulation du marché de gros de l'énergie |
Avis motivé du 22 mai 2023 |
Réforme du marché de l'électricité |
Résolution européenne du 19 juin 2023 Avis politique du 1er juin 2023 |
Le Sénat a ainsi souligné, à plusieurs reprises, qu'en imposant des choix technologiques entre les différentes sources d'énergie à l'échelle de l'Union, la Commission européenne ne prenait pas suffisamment en considération les spécificités nationales, notamment en termes de bouquet énergétique et d'adaptation de la structure des systèmes énergétiques des États membres aux enjeux de décarbonation.
Dans sa résolution sur l'inclusion de l'énergie nucléaire dans la taxonomie verte, adoptée le 7 décembre 20219(*), et celle sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », adoptée le 7 avril 202210(*), le Sénat a ainsi rappelé la nécessité de faire prévaloir la neutralité technologique, dans la législation européenne sur l'énergie, de même que des objectifs et des normes adaptés et proportionnés aux différents mix des États membres.
Le Sénat a aussi considéré dans une résolution en date du 27 juillet 2022, portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité,11(*) que le renforcement exigé de la part d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie, « porté à un niveau élevé », et l'obligation envisagée d'installations solaires sur les structures bâties tendaient à remettre en cause le droit, garanti par l'article 194, paragraphe 2, du TFUE, d'un État membre de déterminer son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique, que ces mesures ne tenaient pas assez compte des « spécificités nationales, au regard de la composition du bouquet énergétique et du degré actuel de décarbonation de la production d'énergies dans les différents États membres », et qu'elles représentaient donc une « contrainte excessive ». Dans sa réponse, la Commission a réfuté toute remise en cause du choix, par chaque État membre de son bouquet énergétique national, estimant que la proposition fixait des objectifs globaux, à charge pour les États membres de décider « comment y parvenir ». De telles considérations ont aussi été rappelées dans la résolution du 19 juin 2023 sur la réforme du marché de l'électricité12(*) qui doit ainsi « garantir la compétence des États membres dans la définition de leur bouquet énergétique et assurer à l'énergie nucléaire et à l'hydrogène en étant issus, piliers de notre sécurité d'approvisionnement électrique, une complète neutralité technologique ».
La commission d'enquête rappelle que la France doit défendre à Bruxelles, dans le cadre de l'article 194 du TFUE et du principe de subsidiarité, inscrit à l'article 5 du TUE, la reconnaissance de l'ensemble des technologies et procédés contribuant à l'atteinte des objectifs climatiques et à la transition énergétique.
* 9 Résolution européenne du Sénat n° 47 (2021-2022) du 7 décembre 2021 sur l'inclusion du nucléaire dans le volet climatique de la taxonomie européenne des investissements durables.
* 10 Résolution européenne du Sénat n° 124 (2021-2022) du 5 avril 2022 sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».
* 11 Résolution du Sénat n° 141 (2021-2022) du 22 juillet 2022 portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité de la proposition de directive COM (2022) 222 final du Parlement européen et du Conseil modifiant la proposition de directive modifiant la directive (UE) 2018/2001 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, la directive 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments et la directive 2012/27/UE relative à l'efficacité énergétique.
* 12 Résolution européenne du Sénat n° 141 (2022-2023) du 19 juin 2023 relative aux propositions de règlement du Parlement européen et du Conseil portant réforme du marché de l'électricité de l'Union.