PREMIÈRE PARTIE : UN SYSTÈME COMPLEXE TIRAILLÉ ENTRE SOUVERAINETÉ, EUROPE ET MARCHÉ
La politique énergétique de la France doit concilier les orientations nationales et ses propres moyens de production avec une stratégie européenne qui vise à offrir, à tous les Européens, une énergie abordable, sûre et durable, et un cadre juridique qui n'a cessé de se renforcer et de se complexifier depuis la libéralisation du marché de l'électricité.
L'Union européenne a ainsi adopté une série de textes dans l'optique d'harmoniser l'organisation et le fonctionnement des systèmes électriques nationaux. En ambitionnant de devenir le premier continent à atteindre la neutralité climatique, elle a donné une nouvelle impulsion à sa politique énergétique. Le Pacte vert pour l'Europe a, en effet, incité les pays européens à s'affranchir de leur dépendance aux combustibles fossiles et à accélérer la transition ver les énergies bas-carbone.
L'Europe a traversé une crise des prix des énergies sans précédent, à partir de la fin de l'été 2021, qui a mis en lumière les insuffisances et les imperfections du marché européen de l'électricité. Cette crise a conduit à l'adoption d'une réforme de ce marché visant à la stabilisation des prix sur le long terme et à une meilleure protection des consommateurs. L'ouverture à la concurrence et les régulations mises en oeuvre au niveau national ont aussi montré leurs limites.
I. UN CHOIX SOUVERAIN À GARANTIR DANS LE CADRE EUROPÉEN
L'Union européenne joue un rôle essentiel dans le domaine de l'énergie, et de l'organisation du marché de l'électricité, qui a été mis en lumière lors de la crise énergétique. Ce rôle a aussi été renforcé par les engagements pris dans le cadre du Pacte vert pour l'Europe6(*), qui réaffirme, dans la continuité de la « loi européenne sur le climat »7(*), l'ambition de la Commission européenne de faire de l'Europe le premier continent neutre sur le plan climatique d'ici 2050. Afin d'atteindre cet objectif, l'Union européenne doit notamment s'affranchir de sa dépendance aux énergies fossiles et développer la production d'énergies décarbonées à un coût abordable.
Pour autant, les États conservent une large marge de manoeuvre qu'il faut impérativement préserver. En particulier, c'est à chaque État de déterminer librement le mix électrique qu'il souhaite mettre en oeuvre. Ce qui n'est en rien un obstacle à une coopération européenne fructueuse. De son côté, l'Union européenne doit veiller à prendre en compte les efforts déjà accomplis en matière de décarbonation au moment de la fixation de ses objectifs. De ce point de vue, le passé doit inciter la France à avoir une action vigilante déterminée au sein des institutions européennes pour ne pas se voir imposer des obligations disproportionnées.
A. LES PRINCIPES POSÉS PAR L'ARTICLE 194 DU TRAITÉ SUR LE FONCTIONNEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE EN MATIÈRE DE POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE
Le Traité de Lisbonne a reconnu l'importance de la politique de l'énergie à l'échelle européenne, tout en assurant la préservation de la souveraineté des États membres dans la conduite de leur politique nationale énergétique.
1. L'esprit de solidarité au fondement de la politique de l'énergie de l'Union européenne
Le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), dans son article 194, introduit par le traité de Lisbonne, énonce que l'énergie est une compétence partagée entre l'Union européenne et ses États membres. Il définit ainsi les principes généraux de la politique énergétique de l'Union. Dans ce cadre, il prévoit que la politique de l'Union dans le domaine de l'énergie vise, « dans un esprit de solidarité entre les États membres » à atteindre quatre objectifs : assurer le fonctionnement du marché de l'énergie ; garantir la sécurité de l'approvisionnement énergétique dans l'Union ; promouvoir l'efficacité énergétique et le développement des énergies nouvelles et renouvelables ; et promouvoir l'interconnexion des réseaux énergétiques.
Comme l'a rappelé la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), dans un arrêt rendu le 15 juillet 2021, « l'"esprit de solidarité" doit imprégner les objectifs de la politique énergétique de l'Union et favoriser son développement »8(*). L'exigence de solidarité énergétique est un principe fondamental du droit de l'Union et constitue la base de la politique européenne en matière énergétique, que ce soit dans le cadre du fonctionnement du marché de l'énergie, de la promotion des interconnexions des réseaux énergétiques ou du développement des énergies renouvelables. Cela signifie concrètement que des États disposant de capacités électriques doivent les mettre à disposition d'un autre État qui en manquerait
2. Des garanties apportées en matière de souveraineté nationale
Les textes originaires tendent à protéger la souveraineté des États membres en matière d'énergie. Ils ont été rappelés, à plusieurs reprises, par les dirigeants européens. Lors de sa réunion du 19 décembre 2019, le Conseil européen a ainsi conclu, dans le cadre de la réalisation de l'objectif de neutralité climatique à l'horizon 2050, être conscient « de la nécessité d'assurer la sécurité énergétique, et de respecter le droit des États membres de décider de leur bouquet énergétique et de choisir les technologies les plus appropriées ».
L'article 194 du TFUE stipule très précisément que les mesures prises par l'Union européenne « n'affectent pas le droit d'un État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique ». En d'autres termes, l'Union européenne n'a pas compétence pour imposer un mix énergétique à un pays, qui reste de la seule responsabilité des États membres.
Ces principes ont également été insérés dans la « Stratégie de développement à long terme à faibles émissions de gaz à effet de serre » de l'UE, notifiée le 6 mars 2020, à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). Plus récemment, les pays réunis dans l'Alliance européenne du nucléaire, créée à l'initiative de la France, ont souligné, dans la feuille de route qu'ils ont présentée, le 11 juillet 2023, à la Commission européenne, intitulée « Une nouvelle stratégie sur l'utilisation de l'énergie nucléaire pour l'Union européenne », que « le principe de neutralité technologique et le droit souverain des États membres à déterminer leur mix énergétique doivent être réaffirmés et dûment pris en compte dans les politiques européennes ».
Article 194 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne
1. Dans le cadre de l'établissement ou du fonctionnement du marché intérieur et en tenant compte de l'exigence de préserver et d'améliorer l'environnement, la politique de l'Union dans le domaine de l'énergie vise, dans un esprit de solidarité entre les États membres :
a) à assurer le fonctionnement du marché de l'énergie ;
b) à assurer la sécurité de l'approvisionnement énergétique dans l'Union ;
c) à promouvoir l'efficacité énergétique et les économies d'énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables ; et
d) à promouvoir l'interconnexion des réseaux énergétiques.
2. Sans préjudice de l'application d'autres dispositions des traités, le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, établissent les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs visés au paragraphe 1. Ces mesures sont adoptées après consultation du Comité économique et social et du Comité des régions.
Elles n'affectent pas le droit d'un État membre de déterminer les conditions d'exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d'énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique, sans préjudice de l'article 192, paragraphe 2, point c).
3. Par dérogation au paragraphe 2, le Conseil, statuant conformément à une procédure législative spéciale, à l'unanimité et après consultation du Parlement européen, établit les mesures qui y sont visées lorsqu'elles sont essentiellement de nature fiscale.
* 6 Communication de la Commission du 11 décembre 2019 au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions intitulée « Le pacte vert pour l'Europe » - COM(2019) 640 final.
* 7 Règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil du 30 juin 2021 établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) n° 401/2009 et (UE) 2018/1999, dit « Loi européenne sur le climat ».
* 8 Affaire C-848/19 P. Arrêt de la Cour (grande chambre) du 15 juillet 2021. République fédérale d'Allemagne contre République de Pologne.