D. DES OBLIGATIONS DISPROPROTIONNÉES POUR LA FRANCE EN MATIÈRE DE RÉDUCTION DES GAZ À EFFET DE SERRE ET DE DÉVELOPPEMENT DES ÉNERGIES RENOUVELABLES
Pour respecter la trajectoire définie par l'Union européenne, la France s'est donnée des objectifs de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre particulièrement ambitieux, d'au moins 50 % à l'horizon 2030 par rapport à 1990. Les efforts qu'elle doit accomplir s'accompagnent aussi d'un objectif contraignant de développement des énergies renouvelables. Cependant, dans les deux cas, les obligations imposées à la France semblent disproportionnées et ne pas tenir compte du niveau déjà très décarboné de son électricité.
1. Une trajectoire de décarbonation qui ne prend pas en compte le niveau de départ de la France par rapport au mix d'autres pays européens
L'Union européenne a défini des objectifs de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le cadre d'un ensemble de politiques qui visent à mettre en cohérence l'action de l'UE et de ses États membres avec les engagements pris au titre de l'Accord de Paris sur le climat. Toutefois, ces objectifs ne tiennent pas compte du niveau initial d'émissions des différents pays et, par conséquent, de la réalité de l'intensité carbone des activités économiques à l'échelle nationale. Les efforts de décarbonation demandés à la France et aux États membres s'appuient sur des critères purement statistiques et économiques par rapport à des niveaux de référence - 1990 et 2005 - identiques.
Pour la DGEC, « la prise en compte des "efforts passés" est une question complexe qui dépend également du point de référence. Ainsi la référence utilisée de 2005 masque des baisses d'émissions importantes de certains États membres antérieurement (notamment les États membres de l'Est). À l'inverse des États membres ont augmenté leurs émissions entre 1990 et 2005 (Espagne) ou ont eu des émissions stables sur cette période (France) »16(*).
Les objectifs nationaux sont ainsi déclinés dans le règlement dit de partage de l'effort, qui a été révisé en 2023, dans le cadre du paquet « Ajustement à l'objectif 55 »17(*). Le règlement actualisé a ainsi renforcé l'objectif global à l'échelle de l'Union de réduction des émissions de GES de 40 % par rapport à 2005, contre 30 % auparavant, avec des cibles contraignantes pour chaque État membre dans les secteurs non soumis au marché européen du carbone, à savoir une partie de l'agriculture, la gestion des déchets, le transport routier et le bâtiment.
Ces objectifs sont déterminés par rapport aux niveaux d'émissions de 2005, avec une flexibilité de plus ou moins 20 % autour de cette valeur de référence. La répartition des efforts de réduction entre pays est basée sur le PIB par habitant. Les pays ayant un PIB par habitant plus faible sont autorisés à augmenter leurs émissions, tandis que les pays plus riches, ayant un PIB par habitant plus élevé, doivent supporter une charge de réduction plus importante. Le mode de calcul prévoit aussi une correction tenant compte du rapport « coût-efficacité » afin de ne pas imposer aux États membres disposant d'un PIB supérieur à la moyenne européenne des coûts trop élevés pour atteindre leurs objectifs.
Le règlement Gouvernance 2018/1999 est ainsi venu instituer un mécanisme de gouvernance aux fins de :
a) mettre en oeuvre des stratégies et des mesures destinées à atteindre les objectifs généraux et les objectifs spécifiques de l'union de l'énergie ainsi que les engagements à long terme pris par l'Union en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre conformément à l'accord de Paris et, pour la première période de dix ans, qui s'étend de 2021 à 2030, en particulier les objectifs spécifiques de l'Union pour 2030 en matière d'énergie et de climat ;
b) stimuler une coopération entre les États membres, y compris, le cas échéant, au niveau régional, de manière à remplir les objectifs généraux et spécifiques de l'union de l'énergie ;
c) garantir l'actualité, la transparence, l'exactitude, la cohérence, la comparabilité et l'exhaustivité des informations soumises par l'Union et ses États membres au secrétariat de la CCNUCC et de l'accord de Paris ;
d) contribuer à accroître la sécurité réglementaire ainsi que la sécurité pour les investisseurs et à exploiter pleinement les possibilités de développement économique, de stimulation de l'investissement, de création d'emplois et de cohésion sociale.
De nouvelles limites nationales contraignantes, exprimées en quotas annuels d'émissions de GES, sont prévues et devront être fixées par des actes d'exécution pris par la Commission européenne. Des flexibilités sont proposées pour donner la possibilité aux États membres de s'échanger des quotas d'émissions de GES, d'en emprunter ou d'en mettre en réserve d'une année sur l'autre. Le contrôle de l'atteinte de ces objectifs se déroulera en deux phases, d'une part, en 2027, pour la période 2021-2025, et, d'autre part, en 2032, pour la période 2026-2030.
Il faut rappeler que la production électrique n'est pas concernée directement par ces objectifs de réduction des émissions de GES, étant soumise au système d'échange de quotas (SEQE-UE). Ces objectifs ont néanmoins un effet indirect en poussant au développement de l'électrification dans les secteurs concernés.
Avec l'actualisation de ce règlement dit de partage de l'effort, la France s'est vue assigner un objectif nettement plus ambitieux de diminution de 47,5 % de ses émissions d'ici 2030, contre 37 % précédemment, en prenant la même période de référence (2005). À titre d'exemple, l'Allemagne doit les réduire de 50 %, contre 38 % auparavant. Or ces deux pays ne partent pas du même point de départ, comme l'illustre le graphique ci-après.
Émissions totales de CO2 en France et en Allemagne en millions kt équivalents CO2
Source : données Banque mondiale
Émissions de CO2 par habitant dans l'UE, en France et en Allemagne entre 1990 et 2020 en tonnes
Source : données Banque mondiale
L'effort demandé à la France est donc proportionnellement considérable. La France a, en effet, déjà réduit ses émissions de gaz à effet de 125 millions de tonnes entre 1990 et 2021. Elle se situe au sixième rang des pays de l'UE les moins émetteurs par habitant en 2021.
Par habitant, les émissions de CO2 sont supérieures à celles de la France dans 20 pays de l'Union, pourtant 19 pays se voient imposer des efforts de réduction des émissions de CO2 inférieurs à ceux de la France !
À titre d'exemple, sur le graphe qui suit ont été représentées les courbes d'émissions de CO2 de pays de l'Union, qui tous, sont davantage émetteurs que la France mais qui, tous, ont des obligations de réduction des GES inférieurs à ceux de la France.
Émissions de CO2 par habitant dans quelques pays de l'UE ayant des obligations de réduction de leurs émissions inférieures à celles de la France 1990 et 2020 (tonnes)
Source : données Banque mondiale
Par ailleurs, il faut noter que la France, contrairement à l'Allemagne, l'Irlande et Malte, a atteint son objectif de réduction des GES fixé pour 2020, sans acheter de quotas d'émissions à d'autres États membres.
Les émissions de CO2 en France suivent ainsi une trajectoire baissière depuis 2005, en moyenne de - 2,8 % par an sur la période 2005-2021. Cette baisse a d'ailleurs tendance à s'accélérer au cours de ces dernières années (- 4,0 % en 2018, -2,1 % en 2019, -9,0 % en 2020, + 5,7 % en 2021 et -2,7 % en 2022). En 2023, les émissions de GES de la France ont continué à diminuer fortement ; la baisse a été de 5,8 % par rapport à 2022, selon les dernières estimations du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa).
Comme l'indique l'étude d'impact, présentée avec l'avant-projet de loi sur la souveraineté énergétique, « pour tenir cet objectif, la France devra désormais baisser ses émissions de gaz à effet de serre de 5 % chaque année entre 2022 et 2030, contre 2 % de réduction annuelle en moyenne de 2017 à 2022 et réduire drastiquement sa consommation énergétique ». Le Gouvernement avait, d'ailleurs, opté pour une formulation moins contraignante en matière de réduction des émissions de GES ou de consommation d'énergie, pour remplir l'objectif fixé au niveau européen d'ici 2030, en remplaçant le mot « réduire » dans le code de l'énergie par l'expression « tendre vers une réduction de »18(*).
2. Des objectifs de développement des énergies renouvelables qui ignorent la structure du mix électrique de la France
L'avance de la France en termes de décarbonation n'est pas non plus prise en compte dans les objectifs de développement des énergies renouvelables qui lui sont assignés par l'UE et qui ont, aussi, été renforcés dans la cadre des négociations sur le paquet « Fit for 55 ». Ces objectifs ignorent, en effet, la structure décarbonée du mix électrique français ainsi que les efforts de déploiement réalisés dans les énergies renouvelables par notre pays.
La révision de la directive sur les énergies renouvelables dite RED III, publiée en octobre 202319(*), a rehaussé l'objectif global contraignant en matière de déploiement des EnR, en le portant à au moins 42,5 % d'énergie produite à partir de sources renouvelables dans la consommation finale d'énergie de l'UE d'ici à 2030, avec comme ambition d'atteindre 45 % pour l'ensemble des États membres (objectif de 32 % dans RED II), ce qui correspond à un effort, pour la France, d'au moins 44 % d'ici 2030, selon les estimations de la Commission européenne.
Les objectifs nationaux fixés par la directive sur les énergies renouvelables sont également modulés en fonction du PIB par habitant de chaque État membre : les pays ayant un PIB par habitant plus élevé se voient assigner des objectifs plus ambitieux en matière d'énergies renouvelables, tandis que ceux avec un PIB par habitant plus faible bénéficient d'objectifs moins contraignants.
Source : ministère de la transition énergétique
Cette accélération des efforts demandés au niveau européen intervient alors même que la France n'a pas atteint ses objectifs de développement des énergies renouvelables fixés pour 2020 par la directive RED II. Comme l'a déclaré la commissaire à l'énergie, Mme Kadri Simson, le 15 février 2024, lors d'un discours devant les membres de la commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE) du Parlement européen, « la France doit considérablement revoir à la hausse son ambition en matière de sources d'énergie renouvelable pour atteindre au moins 44 % ».
Pourtant, la France a connu, en 2022, une nette accélération dans le développement des énergies renouvelables. Leur part dans la consommation finale d'énergie a atteint 20,7 %, soit une progression de 1,3 point par rapport à 2021. Ce niveau situe désormais la France au même rang que ses principaux partenaires européens de taille comparable, comme l'Allemagne qui affichait une part de 20,4 % d'énergies renouvelables dans sa consommation finale en 2022. Or la part attribuée à la France dans la directive de 2009 est l'une des plus ambitieuses des États membres, en termes de rythme de développement par rapport au référentiel de 2005, rendant son atteinte d'autant plus complexe.
Pour l'instant, la Commission européenne n'a lancé aucune procédure contentieuse à l'encontre de la France pour n'avoir pas atteint cet objectif. Comme l'a indiqué la directrice générale de l'énergie et du climat, Sophie Mourlon, lors de son audition devant la commission d'enquête, le 9 avril 2024, « [la Commission européenne] a rappelé [à la France] ses obligations et l'a interrogée sur les moyens qu'elle propose pour résoudre cette situation. Les discussions se poursuivent. La France a eu l'occasion d'indiquer à la Commission européenne qu'elle ne se souhaitait pas entrer dans les options qui conduiraient à payer une forme de soulte sans qu'elle ne permette le développement supplémentaire d'énergies, en particulier renouvelables [...] Dans nos discussions avec la Commission européenne, nous avons mis l'accent sur la résorption de l'écart, qui est opérée à une vitesse accélérée, et sur les gages que peut donner la France sur sa politique de développement des énergies renouvelables ». Le Gouvernement écarte, à ce jour, l'hypothèse d'un contentieux ouvert par la Commission européenne. Il plaide pour une prise en compte des efforts réalisés en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre ainsi que du principe de neutralité technologique.
C'est pourquoi le Gouvernement n'a pas souhaité inscrire de cibles chiffrées pour les énergies renouvelables dans le projet de plan national énergie-climat (PNEC), transmis à Bruxelles le 11 novembre 2023, lui préférant des objectifs d'énergies décarbonées. Sophie Mourlon a ainsi fait valoir que « la position de la France pour le futur s'appuie sur le fait que la politique de décarbonation européenne ne peut plus reposer exclusivement sur la fixation d'objectifs de développement des énergies renouvelables. Elles ne sont pas qu'électriques. Elles peuvent être développées sur la chaleur, le liquide, le gaz. Notre politique énergétique doit désormais fixer des objectifs de décarbonation, sans se perdre dans des sous-objectifs détaillés par filière et sous-filière. C'est ce que nous portons au niveau européen pour la discussion des futurs objectifs. Elle devrait s'enclencher après les élections européennes, et après la constitution de la nouvelle Commission. La position de la France consiste à laisser aux États membres la possibilité de choisir les voies de décarbonation les plus efficaces en fonction de leur politique énergétique et de leur situation individuelle »20(*).
La commission d'enquête souscrit à cette approche en relevant que, par nature, un texte européen fixant un objectif portant sur une catégorie d'énergie va à l'encontre du principe de neutralité technologique et est contraire à l'article 194 du TFUE qui garantit le droit, pour chaque État membre, de décider de son bouquet énergétique et de choisir les technologies ou procédés utilisés.
Du reste, la révision du règlement sur la gouvernance, adopté en 201821(*), qui définit un cadre commun pour permettre à l'Union européenne d'atteindre ses objectifs en matière de climat et d'énergie, pourrait être l'occasion de définir un cadre prenant en compte le degré de décarbonation des économies des États membres et la neutralité technologique afin de déterminer l'effort supplémentaire à fournir pour contribuer aux objectifs de l'Union. La révision de ce règlement et les modalités de la révision relèvent d'une décision de la prochaine mandature de la Commission européenne.
La commission d'enquête recommande que la France défende une révision du règlement sur la gouvernance de l'union de l'énergie qui prenne en compte le niveau de décarbonation déjà atteint par les États membres, en particulier la France. La formule qui définit les trajectoires de déploiement des énergies renouvelables par État membre entre 2020 et 2030, telle qu'elle figure à l'annexe II du règlement, pourrait être adaptée en ce sens.
Recommandation n° 1 |
Destinataire |
Échéance |
Support/Action |
Réviser le règlement relatif à la gouvernance de l'union de l'énergie et à l'action pour le climat afin de prendre en compte le niveau de décarbonation déjà atteint par la France |
État (Ministère en charge de l'énergie) et institutions européennes |
2025-2029 |
Règlement relatif à la gouvernance de l'Union de l'énergie et à l'action pour le climat |
3. La difficulté pour la France de peser sur les négociations européennes
Le poids de la France au sein des institutions européennes tend à s'affaiblir alors même que les décisions au niveau européen influent de plus en plus sur les législations et réglementations nationales.
Les déclarations du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire, s'inquiétant des objectifs trop contraignants en matière de déploiement des énergies renouvelables tels qu'ils ont été fixés par la directive RED III, adoptée en 2023 après d'âpres discussions au Conseil, posent la question de la défense des positions françaises au sein des institutions européennes.
En effet, les élargissements successifs mais aussi les résultats des scrutins européens, qui ont conduit à ce que la France soit proportionnellement à son poids peu représentée dans les groupes politiques dominants au sein de l'Union, ont, dans une certaine mesure, contribué à diluer la position de la France, la conduisant à rechercher plus systématiquement des alliés parmi les autres États membres. L'augmentation du nombre de pays a, en effet, opéré un rééquilibrage du poids des Etats au sein des différentes institutions. Ce nouvel équilibre s'est traduit dans la composition de la Commission européenne, dans le nombre des parlementaires européens et dans la réforme des règles de vote au Conseil. Par ailleurs, les récentes crises sanitaire et énergétique ont contribué à renforcer le rôle et le poids de la Commission européenne dans le processus législatif et décisionnel de l'UE, accentués par le recours de plus en plus systématique aux actes délégués et actes d'exécution dans la mise en oeuvre de la législation européenne. Ce qui pose la question taboue de la capacité d'action de la France au sein de la Commission et de ses services.
a) La co-législation marquée par une fragmentation des eurodéputés français au sein des groupes politiques
Alors que les traités successifs ont donné plus de pouvoirs au Parlement européen, en lui attribuant un rôle de co-législateur de droit commun avec le Conseil européen, la France y a perdu en influence et cette tendance devrait se poursuivre au regard des résultats des dernières élections au Parlement européen.
Selon les résultats provisoires fournis par la Parlement européen, après les élections européennes du 9 juin 2024, les députés français, désormais au nombre de 81, devraient se répartir, comme lors de la précédente mandature, au sein des sept groupes du Parlement européen. Il est vraisemblable que cette répartition continue à apparaître défavorable à l'influence française sur le processus législatif de l'Union européenne. En effet, plusieurs tendances se confirment : les députés français pèsent globalement peu parmi les deux groupes les plus influents, et leur poids numérique reste affaibli en raison de leur appartenance à des groupes marginalisés. Par ailleurs, leur nombre au sein du groupe centriste, en recul numérique, devrait diminuer fortement à l'issue du dernier scrutin.
Au cours de la législature 2019-2024, au regard de la proportion d'eurodéputés français, leur influence, est apparue plus limitée, comparée à celle des parlementaires d'autres grands États membres, en raison même de leur dispersion au sein des différents groupes politiques composant le Parlement européen.
Répartition des députés européens français (79) et allemands (96) dans les groupes politiques du Parlement européen - Législature 2019-2024
PPE |
S&D |
Renew |
Verts/ALE |
ECR |
ID |
NI |
La Gauche |
|
177 |
140 |
102 |
72 |
68 |
59 |
50 |
37 |
|
France |
8 |
7 |
23 |
12 |
1 |
18 |
4 |
6 |
Allemagne |
30 |
16 |
7 |
25 |
1 |
9 |
3 |
5 |
Source : Parlement européen
Alors que les eurodéputés allemands, italiens ou espagnols sont généralement concentrés dans un ou deux grands groupes parlementaires influents, les élus français se répartissent de manière plus éclatée entre plusieurs formations politiques, diluant ainsi leur poids collectif. Ainsi, au sein des deux premiers groupes du Parlement européen nouvellement élu, la France devrait se situer, avec 19 députés (contre 15 pour la législature 2019-2024 et 33 pour la législature 2014-2019), loin derrière l'Allemagne (44 élus, contre 46 précédemment), l'Espagne (42 élus, contre 34 précédemment), l'Italie (30 élus, contre 27 précédemment) et la Pologne (26 élus, contre 23 précédemment). Le poids des députés français au sein du premier groupe du Parlement européen, le Parti populaire européen (PPE), pourrait être encore affaibli. Il se situerait autour de 3 % (4,5 % pour la législature 2019-2024), contre près de 16 % pour les Allemands, ce parti ayant gagné de l'ordre de 14 sièges par rapport à la précédente mandature. Cette faible représentation de la France au sein des partis majoritaires serait cependant compensée, dans une certaine mesure, par la progression du nombre de députés français (9,5 %) au sein de l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D). Mais elle serait aussi fragilisée par l'affaiblissement du parti Renew qui devrait perdre 22 sièges dont 10 pour la France. Cette situation apparaît de nature à continuer d'affaiblir la position de la France au sein du Parlement européen et le levier d'influence dont elle pourrait disposer dans les négociations législatives.
En outre, au cours de la législature 2019-2024, sur les vingt commissions permanentes du Parlement européen, quatre commissions ont été présidées par des députés français : la commission de l'environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (Pascal Canfin - Renew), la commission des transports et du tourisme (Karima Delli - Verts/ALE), la commission de la pêche (Pierre Karleskind - Renew) et la commission du développement régional (Younous Omarjee - La Gauche). Six ont eu à leur tête un Allemand, à savoir celles de l'agriculture et du développement durable, du marché intérieur et de la protection des consommateurs, du commerce international, du contrôle budgétaire et des affaires étrangères.
La commission de l'industrie, de la recherche et de l'énergie (ITRE) était présidée par un député roumain, membre du PPE. Cette commission a notamment négocié la directive sur les énergies renouvelables, la réforme des marchés de l'électricité et du gaz, ou encore le règlement sur l'industrie propre (NZIA). Elle comptait six élus français pour le mandat 2019-2024 - mais seulement trois issus de groupes faisant régulièrement partie des négociations et majorités parlementaires (PPE, Renew et Verts), contre respectivement huit élus allemands (4 PPE, 1 S&D et 3 Verts), qui étaient ainsi deux fois plus nombreux à siéger dans cette commission. La France a ainsi manqué de relais dans une des commissions les plus influentes en raison des sujets traités liés en particulier à la crise énergétique au cours de la mandature qui s'est achevée. Par exemple, l'équipe de négociation22(*), autour du rapporteur socialiste espagnol Nicolás González Casares (S&D), ne comprenait qu'une députée française, membre du groupe La Gauche et élue de La France Insoumise.
Par ailleurs, au cours de la dernière mandature, neuf députés français ont quitté le Parlement européen (quatre pour l'Assemblée nationale, deux pour le Sénat, deux pour le gouvernement, un pour raisons personnelles). Seul un député sur cinq a exercé plus d'un mandat, alors que les députés allemands pour un tiers d'entre eux ont au moins deux mandats à leur actif. Les résultats des dernières élections européennes ne dérogent pas à cette tendance, avec près de 57 % de nouveaux entrants au Parlement européen au 10 juin 2024. L'inexpérience du processus de décision dans l'Union européenne notamment pour traiter de sujets complexes ne joue pas, en l'occurrence, en faveur des positions françaises.
b) Le recours plus systématique aux actes délégués affaiblit le rôle des États membres
Le recours de plus en plus systématique aux actes délégués par la Commission européenne pour appliquer la législation soulève des inquiétudes au regard d'un possible affaiblissement du rôle des États membres dans le processus législatif européen.
Dans le cadre du règlement sur la taxonomie européenne des investissements durables23(*), le recours à des actes délégués avait ainsi été prévu pour établir les critères d'examen technique permettant de déterminer si une activité contribue à l'atténuation du changement climatique. Or la classification de l'énergie nucléaire en tant qu'activité économique durable dans le cadre de ce processus a été suspendue à la décision de la Commission européenne, qui avait, dans un premier temps, décidé d'écarter d'emblée le nucléaire du premier acte délégué, et de reporter son sort à un acte délégué complémentaire. Il a fallu attendre près d'un an et de longs débats au sein des institutions européennes pour obtenir l'adoption de cet acte délégué reconnaissant temporairement le nucléaire comme une activité de transition dans la taxonomie européenne.
Les actes délégués, qui complètent les actes législatifs sur des éléments en principe non essentiels, ne sont pas transmis aux parlements nationaux aux fins de contrôle du respect du principe de subsidiarité. Comme le faisait remarquer l'ancien président de la commission des affaires européennes du Sénat, Simon Sutour, dans un rapport d'information publié en janvier 2014, « la pratique des actes délégués est loin d'être anodine et suppose, et même exige, une grande vigilance politique »24(*). Le recours trop fréquent de la Commission à des actes délégués est régulièrement dénoncé par le Sénat, qui considère que son utilisation trop systématique affaiblit le rôle de contrôle des Parlements nationaux et celui des États membres dans le processus législatif européen, donnant « une responsabilité excessive à la Commission européenne ».
c) Les négociations de la réforme du marché européen de l'électricité démontrent que l'exécutif doit s'impliquer davantage pour influencer les décisions européennes
La crise énergétique a mis sous pression l'Union européenne, confrontée à une hausse d'ampleur des prix du gaz et de l'électricité. Dans ce contexte, la France a joué un rôle majeur dans l'initiative prise par la Commission européenne de réformer l'organisation du marché européen de l'électricité. La bataille a débuté très tôt, le Gouvernement, par la voix des ministres concernés, appelant à une évolution profonde de ce marché dès l'automne 2021. Face aux critiques formulées sur le mécanisme de formation des prix de l'électricité, très corrélés à ceux du gaz, la France n'a eu de cesse tout au cours de l'année 2022 d'appeler la Commission européenne à engager cette réforme au plus tôt.
Lors du débat au Sénat sur la politique énergétique de la France, le 12 octobre 2022, la Première ministre, Mme Élisabeth Borne, a rappelé la position défendue à Bruxelles par le Gouvernement, depuis le début de la crise énergétique : « cette crise nous invite à réformer rapidement et en profondeur le marché européen de l'électricité ».
Après avoir apporté des réponses fluctuantes à cette demande, qui était appuyée par une majorité d'États membres, la Commission européenne a finalement proposé une réforme du marché européen de l'électricité. Ainsi, le 30 août 2022, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a annoncé que l'Union européenne préparait « une intervention d'urgence et une réforme structurelle du marché de l'électricité »25(*). Ce fut une première victoire pour la France qui ne cessait de lui demander de formuler des propositions législatives.
L'autre victoire pour la France a été la reconnaissance du nucléaire dans les mécanismes de soutien publics, avec la possibilité de soutenir les actifs nucléaires existants et les nouveaux investissements dans ce secteur au moyen de contrats pour différence. La France défendait, en effet, l'idée d'une véritable neutralité technologique entre toutes les filières bas-carbone, qu'elles soient renouvelables ou nucléaires. Lors de son audition par la commission d'enquête, Agnès Pannier-Runacher, en sa qualité de ministre de la transition énergétique de 2022 à 2024, s'est félicitée de cette avancée obtenue à Bruxelles : « Obtenir un CFD au niveau européen, c'était obtenir une stricte neutralité technologique entre les énergies renouvelables et le nucléaire. En d'autres termes, quel que soit le mode de régulation national que nous choisissions, il était essentiel d'avoir un texte parfaitement miroir entre le renouvelable et le nucléaire, et de permettre à tous nos successeurs d'utiliser les deux leviers avec les mêmes règles du jeu. Il s'agissait là d'un objectif intangible »26(*).
Les négociations de cette réforme du marché européen de l'électricité ont ainsi montré que la France pouvait être en mesure d'influer sur la décision européenne, tant en amont qu'en aval. Mais compte tenu de la fragilité de sa présence au sein des institutions européennes, il faut aux membres de l'exécutif redoubler d'efforts pour obtenir des résultats.
* 16 Réponse écrite au questionnaire de la commission d'enquête.
* 17 Règlement (UE) 2023/857 du Parlement européen et du Conseil du 19 avril 2023 modifiant le règlement (UE) 2018/842 relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l'action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris et le règlement (UE) 2018/1999.
* 18 Article premier de l'avant-projet de loi relatif à la souveraineté énergétique.
* 19 Directive (UE) 2023/2413 du Parlement européen et du Conseil du 18 octobre 2023 modifiant la directive (UE) 2018/2001, le règlement (UE) 2018/1999 et la directive 98/70/CE en ce qui concerne la promotion de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, et abrogeant la directive (UE) 2015/652 du Conseil.
* 20 Audition du 9 avril 2024.
* 21 Règlement (UE) 2018/1999 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 sur la gouvernance de l'union de l'énergie et de l'action pour le climat, modifiant les règlements (CE) n° 663/2009 et (CE) n° 715/2009 du Parlement européen et du Conseil, les directives 94/22/CE, 98/70/CE, 2009/31/CE, 2009/73/CE, 2010/31/UE, 2012/27/UE et 2013/30/UE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2009/119/CE et (UE) 2015/652 du Conseil et abrogeant le règlement (UE) n° 525/2013 du Parlement européen et du Conseil.
* 22 Nicolás González Casares, rapporteur (Espagne - S&D), Maria da Graça Carvalho (Portugal - PPE), Morten Petersen (Danemark - Renew), Michael Bloss (Allemagne - Verts), Marina Mesure (France -La Gauche), Zdzisaw Krasnodêbski (Pologne - ECR) et Paolo Borchia (Italie - ID).
* 23 Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l'établissement d'un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088.
* 24 Sénat, commission des Affaires européennes, La place des actes délégués dans la législation européenne, Rapport d'information n° 322 (2013-2014), déposé le 29 janvier 2014.
* 25 Discours d'orientation prononcé au Forum stratégique de Bled, en Slovénie - 30 août 2022.
* 26 Audition du30 avril 2024.