B. LE COÛT GLOBAL DE L'ACCORD-CADRE : UNE MULTIPLICATION PAR DEUX PAR RAPPORT AU COÛT DES TRAVAUX

1. Le montant maximal de l'accord-cadre

L'annexe 1 de l'accord-cadre signé le 4 avril 2023 entre la ville et la SPEM précise que «  le montant maximal de l'accord cadre est fixé à 1,813 milliard d'euros hors taxe. Il correspond au montant maximum de l'ensemble des redevances que la personne publique (la ville de Marseille) versera au partenaire (la SPEM). Ce montant est établi en euros courants à partir d'hypothèses posées tant sur l'indexation des coûts (de travaux, d'études, d'entretien-maintenance) que sur les conditions de financement de la dette portée par la SPEM et d'une estimation des coûts des travaux réalisée en valeur janvier 2021 ».

Dès lors, comme le montant maximal de l'accord intègre une part d'indexation, de révision et d'aléas, il est non révisable.

2. Les différentes composantes du montant maximal

Ce montant de 1,813 milliard d'euros hors taxe se compose de plusieurs éléments :

- le coût de l'opération qui s'entend comme le coût des travaux et des études augmenté des honoraires de la SPEM (hors rémunération de la SPEM laquelle fait l'objet d'une catégorie de coût spécifique). Ce coût est fixé à un maximum compris entre 2800 et 3200 euros hors taxe par mètre carré surface de plancher, selon la nature de l'intervention ;

- le coût de l'exploitation maintenance qui correspond à l'ensemble des dépenses permettant de garantir la durabilité et la conservation des écoles (les prestations concernées, limitativement énumérées dans l'annexe 5 de l'accord cadre, sont essentiellement celles liées à l'entretien du gros oeuvre, du chauffage et de la climatisation, de la plomberie et de l'électricité...). Ce coût est fixé à un maximum moyen de 36 euros hors taxe par mètre carré surface de plancher ;

- la rémunération de la SPEM qui couvre l'ensemble des dépenses de personnel, des frais de structure et des charges et honoraires correspondant à l'exécution des missions. Ce montant est plafonné à 8 % du coût des travaux ;

- les frais financiers intercalaires qui correspondent à la somme des coûts de portage des dettes entre la date de notification du marché et la date de mobilisation des dettes de long terme y compris les commissions. Ce montant est plafonné à 3 % du coût des opérations ;

- les frais d'indemnisation des candidats non retenus. Ce montant est plafonné à 1 % du coût des travaux ;

- les frais et études externes qui correspondent aux dépenses engagées par la SPEM pour l'organisation de chaque consultation relative à la passation des marchés subséquents. Ce montant est plafonné à 1 % du coût des opérations.

Il résulte des différentes composantes que le coût total de l'opération devrait être le suivant :

Cout total des travaux et frais annexes pour la SPEM

(en euros, hors taxes)

Source : commission des finances à partir des données transmises par la ville de Marseille

Le financement de ce coût total, soit 1,241 milliard d'euros hors taxes, est réalisé par une part de subvention en provenance de l'État et par le recours à l'emprunt.

Schéma de financement du volet « écoles » du plan Marseille en grand

(en euros)

Source : commission des finances à partir des données transmises par la ville de Marseille

En sus du financement des dépenses d'investissement, l'accord cadre prévoit des dépenses pour la maintenance, le gros entretien et le renouvellement (GER) ainsi que des frais de gestion afférents à cette maintenance.

Des dépenses, hors accord cadre, seront, par ailleurs, supportées par la ville.

Coût global, dans le contrat et hors contrat, du volet « écoles »

(en euros)

Source : commission des finances à partir des données transmises par la ville de Marseille

Il en résulte que le coût total de la rénovation de 188 écoles, maintenance comprise, s'élèvera à 1,8 milliard d'euros dans l'accord cadre augmenté de 523 millions de dépenses hors accord cadre (essentiellement des dépenses de fonctionnement) à la seule charge de la ville qui remboursera à la SPEM, sous forme de redevances trimestrielles, l'ensemble des coûts engagés (travaux, intérêts d'emprunts et maintenance et dépenses de gros entretien et renouvellement).

3. Des interrogations sur le chiffrage de certaines dépenses

Au regard des éléments transmis par la ville de Marseille sur le chiffrage global du volet « écoles », certains montants interrogent les rapporteurs spéciaux.

Premièrement, le montant total (investissement pour travaux et maintenance prévue dans le cadre de l'accord) s'élève à 1,843 milliard d'euros hors taxes alors que l'annexe 1 de l'accord cadre fixe un plafond de 1,813 milliard d'euros hors taxe soit un delta de 30 millions d'euros. Interrogée sur cet écart, la ville a précisé que certaines écoles ont finalement été sorties du projet permettant ainsi de respecter le montant plafond de l'accord cadre (Abeilles, ESPE, Montolieu). Il en résulterait que les écoles à rénover par la SPEM ne seraient plus au nombre de 188 mais de 185.

Par ailleurs, les frais intercalaires, plafonnés dans l'accord cadre, à 3 % du coût des opérations atteignent 3,8 % soit près de 7 millions de plus que le plafond prévu dans l'accord cadre de 3 %. Ce delta résulterait d'un taux Euribor négatif au moment de la rédaction de l'accord cadre et actuellement de 3,8 %.

Enfin, les intérêts d'emprunt, dans le schéma de financement, sont estimés à 601 millions d'euros. Pour évaluer ce montant, l'étude du mode de réalisation du plan écoles, réalisé par la ville de Marseille avant la signature de l'accord cadre, a procédé à des modélisations basées sur un financement à hauteur de 50 % par des prêts auprès de la banque européenne d'investissement (BEI) et à hauteur de 50 % auprès de banques commerciales. Ces prêts se décomposeront de prêts long terme de 25 ans et de prêts court terme de préfinancement d'une durée moyenne estimée à 2,6 années à partir des conditions du marché au 9 janvier 2023.

Sans pouvoir reconstituer l'ensemble des calculs, les rapporteurs spéciaux estiment que ce montant de 601 millions d'euros correspond environ à des prêts de 25 ans à 4,2 %.

D'un côté, les garanties apportées par l'État à hauteur de 650 millions d'euros pourraient générer des taux plus bas, mais d'un autre, le contexte économique plus tendu et la récente détérioration de la note française par l'agence de notation Standard and Poors pourraient avoir une incidence à la hausse sur ces mêmes taux, il est difficile à ce stade de confirmer la fiabilité des hypothèses retenues. Dès lors, les rapporteurs spéciaux se montreront attentifs à l'évolution des conditions de financement de la SPEM et de l'impact de ces conditions sur l'équilibre général du projet.

Par ailleurs, le chiffrage transmis par la ville comporte une actualisation en raison de l'indexation des coûts sur l'évolution réelle des indices (notamment indexe bâtiments travaux publics) estimée à 105,6 millions d'euros (cf. tableau supra). Cependant, l'étude du mode de réalisation mentionne pour sa part une actualisation estimée à 114 millions d'euros à la signature du contrat et à 183 millions d'euros au terme des travaux.

Enfin, dans sa réponse écrite la ville de Marseille a indiqué que la TVA à payer par la SPEM sur l'ensemble des opérations (travaux et maintenance) serait de 750 millions d'euros. Après interrogation des rapporteurs spéciaux, la ville a reconnu une erreur en raison d'un double comptage. La TVA serait donc, au final de 473 millions d'euros. Ce nouveau chiffre interroge encore les rapporteurs spéciaux dans la mesure où il correspond à une TVA de 20 % sur l'ensemble des prestations (et non à un taux de 19,6 %, le taux de droit commun pour les travaux réalisés par les collectivités territoriales).

Par ailleurs, le FCTVA n'est normalement récupérable que sur le loyer financier correspondant à la part « capital », soit sur les 916 millions d'euros de travaux à un taux de 16,4 % ce qui équivaut à un montant total de FCTVA de 150,3 millions d'euros et non 180 millions d'euros comme indiqué dans la réponse de la ville.

Au-delà de ces incohérences de chiffrage concernant la TVA et le FCTVA, actuellement la SPEM paye la TVA et la récupère. En effet, dans le cas où l'entreprise est assujettie à la TVA, elle est amenée à reverser à l'État la TVA collectée suite à l'exercice de son activité. Par ailleurs, l'entreprise possède diverses dépenses, notamment des acquisitions de biens et de services,  le remboursement des frais professionnels à ses employés...Aussi, en contrepartie, l'entreprise est en mesure de récupérer la TVA17(*) payée sur ces dépenses engagées dans le cadre de son activité professionnelle.

Pour autant, elle se fait rembourser la TVA par la ville de Marseille à travers les redevances versées. Les rapporteurs spéciaux n'ont pu avoir de précisions sur les montants de TVA reversés par la ville à la SPEM via la redevance. Les flux financiers afférents à la TVA entre la ville et la SPEM mériteraient d'être précisés. Un rescrit fiscal a été envoyé par la SPEM à la direction générale des finances publiques pour obtenir une réponse sur ce sujet. La réponse est toujours en attente à ce stade.

Dans ce contexte de chiffrages différents concernant les travaux, entre les différents documents transmis aux rapporteurs spéciaux, et d'incohérences entre les termes de l'accord cadre et les éléments recueillis auprès de la ville, il parait essentiel d'aligner les données et d'établir un plan de financement global stabilisé, au besoin en effectuant des mises à jour annuelles ou infra annuelles si nécessaire, afin de tenir compte de l'évolution des données et du périmètre évolutif des 188 écoles retenues ab initio.

Recommandation n° 3 : élaborer un plan de financement stabilisé incluant l'ensemble des dépenses de travaux, de maintenance et les frais annexes ainsi que l'ensemble des ressources en précisant leur origine (SPEM et ville de Marseille).

Recommandation n° 4 : préciser et sécuriser les flux financiers entre la ville et la société publique des écoles marseillaises afférents au paiement de la TVA (SPEM et ville de Marseille).

4. Une redevance soutenable pour la ville de Marseille ?

À compter de la date effective de mise à disposition de chaque école (et/ou tranche de travaux de chacun des marchés subséquents), la ville de Marseille devra verser à la SPEM une redevance qui sera payée par trimestre.

Cette redevance a donc vocation à évoluer au fur et à mesure de l'avancement des travaux et des livraisons des chantiers par la SPEM à la ville.

Concernant le premier marché subséquent, les premiers versements devraient intervenir au troisième trimestre 2024, pour un montant initial de 192 768 euros, et évoluer de manière croissante jusqu'au troisième trimestre 2025 pour atteindre en juin 879 107 euros par trimestre avant de décroitre entre juillet 2049 et juin 2050. Le montant total fixé par le marché est donc de 87 910 730 euros versés sur 26 ans soit 104 trimestres.

Les redevances suivantes seront fixées par chaque marché subséquent.

Toutefois, la ville a indiqué aux rapporteurs spéciaux, qu'en moyenne, cette dernière serait de 50 millions d'euros par an pendant 25 ans soit un total de 1,25 milliard d'euros. Cette estimation lissée devra cependant être affinée et confirmée dans la mesure où le financement total des travaux, déduction faite des subventions de l'État, augmenté des intérêts d'emprunts s'établit à 1,52 milliard d'euros soit l'équivalent, sur 25 ans, d'une redevance annuelle de 60,7 millions d'euros.

À ce montant de redevance annuelle, devront être ajoutées les dépenses de maintenance et gros entretien prévues dans l'accord cadre et estimées à 325,5 millions d'euros (soit 13 millions par an pendant 25 ans).

Par ailleurs, ces dépenses d'investissement seront complétées par des dépenses de fonctionnement directement à la charge de la ville estimées à 523,3 millions d'euros (soit 21 millions d'euros par an pendant 25 ans).

Enfin, pour la rénovation des 304 écoles pour lesquelles la ville conserve la maitrise d'ouvrage, les investissements prévisionnels s'établissent environ à 40 millions d'euros pendant 10 ans soit un total de près de 400 millions d'euros.

Au total, au cours des premières années, les dépenses d'investissement de la ville de Marseille pour la rénovation des écoles pourraient être comprises entre 103 et 113 millions d'euros par an.

Or, dans le programme pluriannuel d'investissement adopté par la ville pour la période 2024-2029, le niveau total d'investissement est fixé à 320 millions d'euros par an en moyenne. Il en résulte que les dépenses dédiées aux écoles représenteraient plus de 30 % de l'investissement total.

Par ailleurs, pour mémoire, les dépenses d'équipement de la ville se sont élevées à 189 millions d'euros en 2021 et 193,6 millions d'euros en 2022.

Dans un contexte où la ville affiche d'importantes ambitions d'investissement dans d'autres domaines, comme le verdissement, l'accès au logement et à la santé, ou encore la culture, la question de la soutenabilité à long terme d'un investissement massif au profit des écoles se pose donc légitimement.

Les rapporteurs spéciaux préconisent à ce titre un suivi fin des investissements et des mises à jour régulières du plan pluriannuel d'investissement (PPI) afin de finaliser la rénovation des écoles sans sacrifier d'autres investissements importants pour le territoire.

II. UN RÉEL AVANCEMENT DES TRAVAUX MAIS QUI DOIT ÊTRE NUANCÉ AU REGARD DES ENJEUX ET QUI SUSCITE DES INTERROGATIONS POUR L'AVENIR


* 17 La TVA récupérable est le montant de la taxe sur la valeur ajoutée qu'une entreprise assujettie à la TVA peut récupérer. Après calcul de cette déduction, l'entreprise verse seulement à l'Etat la TVA nette qui est la différence entre la TVA collectée et la TVA déductible.

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