B. UNE ABSENCE DE CADRE GÉNÉRAL STRUCTURANT
1. Un plan sans véritable plan, en dehors de toute démarche contractuelle ou partenariale qui conduit à des divergences d'interprétation
a) De nombreux outils contractuels existants entre l'État et les collectivités....
Les contrats et partenariats passés entre l'État et les collectivités territoriales sont aujourd'hui de plus en plus nombreux et concernent de nombreux champs thématiques (industrie, revitalisation des centres villes, ruralité, écologie...). Ils constituent aujourd'hui un instrument majeur de l'action publique territoriale, dans lequel la politique d'octroi des dotations d'investissement de l'État s'inscrit désormais pleinement.
Bien qu'existant depuis les années 1970, le recours au procédé contractuel entre l'État et les collectivités territoriales pour la conduite et le financement de projets partagés a connu un fort essor dans les années récentes, dans l'intérêt bien compris de l'État et des collectivités territoriales.
En effet, comme l'expliquent les députées Stella Dupont et Bénédicte Taurine dans leur récente Mission « flash » sur la contractualisation5(*), « la mise en oeuvre de la décentralisation entraîne l'effacement de la décision unilatérale de l'État dans les territoires. Mais la volonté de l'État d'encourager les priorités de son agenda politique demeure. La mise en oeuvre de politiques publiques nationales implique l'établissement d'un partenariat avec les collectivités territoriales. De leur côté, les exécutifs locaux ont besoin des financements de l'État pour monter leurs projets, leurs ressources budgétaires n'étant parfois pas suffisantes pour mener à bien les projets complexes en dépit des possibilités de co-financement ».
Il existe ainsi historiquement trois démarches contractuelles principales dans le cadre desquelles les dotations de l'État sont susceptibles d'être mobilisées : les contrats de plan État-régions, les contrats de ville et les contrats de ruralité.
Ces trois formes de contrats ont par ailleurs été récemment complétées par les contrats de relance et de transition écologique (CRTE). Institués dans le cadre du plan de relance et pour la durée du mandat municipal 2020-2026, ces nouveaux outils contractuels sont en principe signés à l'échelle des intercommunalités et leur mise en oeuvre est confiée à l'ANCT.
Trois objectifs leur étaient assignés par la circulaire du Premier ministre du 20 novembre 2020 relative à l'élaboration des CRTE 6(*) :
- accélérer la relance dans les territoires ;
- accompagner les transitions (écologique, numérique, économique, démographique...) sur la base d'un projet de territoire ;
- simplifier le paysage contractuel, en allant vers un contrat plus intégrateur, expression d'un dialogue renouvelé entre l'État et les collectivités locales.
Adoptant ainsi une approche transversale et interministérielle, et bénéficiant à cette fin d'un portage politique fort au niveau du Premier ministre, les CRTE s'adressent à tous les types de territoires et ont notamment vocation à remplacer les contrats de ruralité pour les intercommunalités qui y sont engagées.
Leur objectif est également de regrouper l'ensemble des initiatives partenariales présentes sur les territoires telles que les programmes « action coeur de ville », « petites villes de demain », « territoires d'industrie » ...
Par ailleurs, les contrats ont été, depuis 2017, complétés par la mise en oeuvre de programmes partenariaux afin d'accompagner les transformations territoriales dans des domaines spécifiques. Ainsi, ces programmes portent sur le soutien au développement des villes moyennes (« action coeur de ville »), aux petites centralités (« petites villes de demain »), au développement industriel (« territoires d'industrie »). Ces principaux programmes sont également complétés par des programmes spécifiques (avenir montagnes, inclusion numérique, cités éducatives, France services...)
Au plan opérationnel, ces programmes sont pilotés par l'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). Ils visent avant tout à orienter, ordonner et valoriser des financements préexistants émanant de différents acteurs (ministères, collectivités territoriales, opérateurs...) sur un territoire donné, parmi lesquels les dotations d'investissement de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », en particulier la DSIL et la DETR. Ils n'impliquent donc, pour l'essentiel, pas de crédits nouveaux, même si l'État y apporte un soutien financier à la marge via le programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » de la mission « Cohésion des territoires ». Il s'agit donc essentiellement d'une labellisation des financements qui présente toutefois le mérite de créer une dynamique autour de projets partagés et fédérer les acteurs d'un territoire.
b) ...mais non utilisés dans le cadre du plan Marseille en grand, qui se déroule en dehors de tout cadre et document formalisé
Dans le cas du plan Marseille en grand, et contrairement aux démarches contractuelles et partenariales précitées, le lancement du plan n'a fait l'objet d'aucune consultation globale des élus locaux, de la ville ou de la métropole.
Par ailleurs, aucune contractualisation, quelle que soit sa forme, n'a été signée entre la ville et l'État. Il en résulte que la liste des projets et actions et des crédits alloués à leur financement ne sont pas formalisés dans un document unique et partagé par l'ensemble des acteurs concernés par la mise en oeuvre du plan.
Subséquemment, il n'existe pas de feuille de route, qui permettrait de décliner le plan par domaines, par objectifs et par actions et de définir un calendrier de réalisation précis pour chacun des volets.
Le seul document servant de référence, sur la base du prononcé, est le discours du Président de la République du 2 septembre 2021.
Si ce discours contient de nombreux engagements précis dont certains sont chiffrés, il ne permet pas à lui seul de dresser la liste exhaustive des actions envisagées à déployer.
c) Des interprétations divergentes et des différences entre les annonces présidentielles et les documents transmis
Ainsi, il en résulte des possibilités d'interprétation divergentes et des transpositions volontairement ou involontairement différentes du prononcé.
À titre d'exemple, sur le volet « emploi », le Président de la République mentionne trois carrefours de l'entreprenariat alors que les documents transmis aux rapporteurs spéciaux en évoquent cinq.
S'agissant du volet « écoles », le Président de la République évoque 174 établissements dans un état de délabrement tel que l'apprentissage y est devenu impossible et qu'il est donc nécessaire de rénover, tandis que les documents transmis font mention, pour leur part, de 188 écoles qui seront rénovées avec des crédits de l'État.
Il en résulte que les actions à mettre en oeuvre diffèrent entre le discours du Président de la République, les éléments transmis par le secrétariat d'État à la ville et à la citoyenneté et ceux transmis par la préfecture des Bouches-du-Rhône, de sorte qu'il est difficile, voire impossible de dresser un état exhaustif des actions à mener et, subséquemment, à suivre.
La tâche est rendue d'autant plus malaisée que parmi les annonces du Président de la République certaines actions ne relèvent pas spécifiquement du plan Marseille en grand comme, par exemple, achever le dédoublement des classes de CP et CE1 dans les zones REP et REP+ (qui a commencé dès 2017) qui concerne l'ensemble du territoire, ou encore le vote de la loi visant à accélérer et à simplifier la rénovation de l'habitat dégradé adopté le 9 avril 2024.
En l'absence de tels documents de cadrage, il s'avère ainsi quasiment impossible de suivre efficacement les avancées du plan dans son ensemble et d'identifier les éventuels retards.
2. Une articulation avec le contrat métropolitain signé en 2022 entre l'État et la ville de Marseille pas toujours facile à établir
En juin 2022, un contrat métropolitain de relance et de transition écologique (CMRTE) a été signé entre l'État et la métropole Aix-Marseille Provence pour la période 2022-2026.
Ce contrat a pour vocation d'intégrer au sein d'un même contrat les différents dispositifs et politiques partenariales de l'État :
- le protocole entre la présidente de la Métropole et le préfet signé le 14 décembre 2021 concernant le volet « mobilité » du plan Marseille en grand ;
- 18 contrats de ville signés le 7 janvier 2016 ;
- 5 conventions concernant le dispositif Petites villes de demain (Port Saint Louis du Rhône, Berre l'Étang, Trets, Sénas et Lambesc/la Roque-d'Anthéron) ;
- le Pacte de territoire de Gardanne/Meyreuil signé le 22 décembre 2020 qui vise à mettre en oeuvre un projet de territoire qui fera émerger des projets économiques à même de compenser la perte d'activité liée à la fermeture de la centrale à charbon ;
- le Projet partenarial d'aménagement (PPA) pour le centre-ville de Marseille, en faveur de la revitalisation du centre-ville et de la lutte contre l'habitat indigne ;
- l'opération d'intérêt national Euromediterranée, vecteur du développement de l'attractivité et du rayonnement de la métropole et de la ville de Marseille.
Au total, le contrat mentionne 185 projets d'investissement pour la Métropole et les villes qui la composent, dont le coût total est estimé à près de 4 milliards d'euros.
Bien que signé après l'annonce du plan Marseille en grand, l'articulation entre le CMRTE et ce dernier n'est pas pleinement assurée et des divergences sont également identifiées. En effet, du fait de la dénomination différente de certaines actions, d'éléments supplémentaires ou absents dans le CMRTE par rapport aux annonces du plan Marseille en grand, et enfin d'éléments de chiffrages qui varient de l'un à l'autre, il est, une fois encore, difficile de croiser les données afin d'avoir une analyse fiable des actions et de leur financement.
3. Un suivi à dimension gouvernementale mais pour le moins succinct
a) Un suivi assuré par de nombreux acteurs....
Le suivi du plan Marseille en grand est assuré à plusieurs niveaux par des acteurs différents.
Au niveau national, un comité de pilotage général, présidé par la Secrétaire d'État à la ville et à la citoyenneté, en charge du plan Marseille en Grand, s'est tenu le 24 novembre 2023, en présence des parlementaires et des opérateurs (SPEM, établissement public d'aménagement (EPA) Euromediterranée, SPAL-IN7(*) Centre-Ville...) pour un suivi du plan dans sa globalité.
Un prochain comité de pilotage général est prévu à la fin du mois de mai afin de respecter une périodicité biannuelle.
Cependant, force est de constater qu'avant novembre 2023, soit pendant plus de deux ans, aucun comité de pilotage n'a été organisé alors même que certaines actions étaient annoncées avec une réalisation à brève échéance et nécessitaient donc un suivi précoce.
Parallèlement, des réunions interministérielles avec les cabinets du Président de la République et du premier Ministre sont organisées pour assurer un suivi transversal et cadencer le rythme de déploiement du plan Marseille en Grand. Concernant le volet « écoles » ces réunions interministérielles ont en principe lieu une fois par mois sur la base d'un tableau de suivi.
Toutefois, malgré la demande adressée au cabinet du Premier ministre, aucun compte rendu n'a été transmis aux rapporteurs spéciaux, de même que les dates de ces réunions n'ont pas été communiquées. Il a seulement été précisé que la société publique des écoles marseillaises (SPEM) a été constituée en février 2022, que son directeur a été nommé en septembre de la même année et que les premiers mois suivants ont été dédiés à la constitution de l'équipe et à la structuration administrative et financière de la société. Les rapporteurs spéciaux en déduisent donc que les premières réunions mensuelles ont été organisées à partir de début 2023 soit 18 mois après le lancement du plan.
Au niveau local, le suivi du plan Marseille en Grand est assuré par le Préfet de département, appuyé par la sous-préfète en charge spécifiquement du plan, à travers plusieurs instances de suivi :
- comité de suivi interne aux services de l'État, présidé par la sous-préfète, composé des chefs de file désignés sur chacun des volets (DDTM, Préfecture de police, ARS PACA, DASEN, DDETS, CNC, SPEM...) ;
- des réunions de suivi hebdomadaires pour le volet bâtimentaire du plan « écoles » ;
- des relations bilatérales avec les opérateurs et les collectivités territoriales (exemple : avec la métropole pour le GIP mobilité, la Ville pour le plan écoles, le CNC pour le volet Cinéma, etc.)
La sous-préfète participe également aux comités de pilotage organisés par les chefs de file des différents volets (écoles, santé, rénovation urbaine...). Enfin, le préfet et la sous-préfète sont présents au conseil d'administration du GIP mobilité et de la SPEM.
La secrétaire d'État a également participé :
- au conseil d'administration de la Société des écoles de Marseille (SPEM) le 24 février 2024 ;
- au GIP mobilités le 14 mars 2024 ;
- à la revue de projets ANRU le 22 mars 2024.
Dans ce cadre, les services préfectoraux tiennent à jour un tableau de suivi des mesures du plan Marseille en Grand, ainsi qu'un suivi budgétaire des crédits consommés en AE et CP, régulièrement actualisé par la préfecture et par les services pilotes sur chaque sujet.
Enfin, des réunions bilatérales sont organisées toutes les semaines entre le cabinet de la secrétaire d'État (directeur de cabinet adjoint) et la sous-préfète chargée du suivi du plan Marseille en Grand pour faire le point sur les dossiers et les prochaines grandes échéances à organiser (revue de projets, GIP, CA....). Ces réunions prennent la forme de point d'étape mais demeurent relativement informelles et ne font l'objet d'aucun ordre du jour ou compte rendu.
b) ...mais qui pour autant ne permet pas une vision précise de l'avancement des projets
Au niveau gouvernemental le suivi du plan Marseille en grand prend essentiellement la forme d'un tableau qui récapitule par domaine, les objectifs, les annonces, l'échéance initiale ainsi que l'état d'avancement.
Pour autant, ce tableau est très succinct et se limite à indiquer « réalisé » ou « en cours » sans précision en cas de non réalisation alors que l'échéance est passée. De même, quand l'action est « en cours », aucune mention n'est faite sur le niveau d'avancement ou sur un éventuel décalage du calendrier.
Aucun compte rendu de réunion n'a été transmis à l'exception de celui relatif au comité de pilotage général. Ce dernier est d'ailleurs assez lacunaire. Dans l'hypothèse où des documents plus précis auraient été diffusés lors de ce comité, ils n'ont pas été remis aux rapporteurs spéciaux.
c) La nomination tardive d'une sous-préfète en charge du suivi du plan
Il faut attendre octobre 2022 soit plus d'un an après le lancement du plan Marseille en grand pour qu'une sous-préfète soit nommée en charge spécifiquement du suivi du plan.
En effet, en première intention, le suivi du plan a été confié au préfet à l'égalité des chances. Face à l'ampleur du projet, une sous-préfète a ensuite été dédiée à la politique de la ville dont une des missions était le suivi du plan Marseille en grand. Enfin, une sous-préfète a été nommée spécifiquement pour ce suivi.
Si les rapporteurs spéciaux saluent la désignation d'une personne exclusivement dédiée au plan, ils s'étonnent toutefois du temps écoulé entre le lancement de ce chantier colossal par le Président de la République et la nomination d'une sous-préfète alors même que, dès le commencement, l'ampleur du travail de coordination et de suivi ne faisait pas de doute compte tenu des montants annoncés, d'une réalisation prévue sur plus de 10 ans et du nombre de secteurs et d'acteurs concernés.
* 5 Mission « flash » sur la contractualisation, communication des députées Stella Dupont et Bénédicte Taurine devant la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée nationale, 2020.
* 6 Instruction du Premier ministre n°6231/SG du 20 novembre 2020 relative à l'élaboration des contrats de relance et de transition écologique.
* 7 Société publique locale d'aménagement d'intérêt national.