B. L'ABSENCE DE POLITIQUE DE SANTÉ RESPIRATOIRE EN FRANCE
1. Une absence globale de stratégie de prévention
Malgré un diagnostic bien établi concernant le rôle des facteurs comportementaux et environnementaux dans le développement des pathologies respiratoires, la prévention en santé respiratoire est actuellement déficiente.
Les dépenses relatives aux actions de prévention représentent un montant total de 150 millions d'euros en 2022, dont la majeure partie - 128 millions d'euros - est consacrée à la lutte contre le tabac. Les dépenses consacrées aux actions de prévention de la qualité de l'air extérieur et intérieur, principalement à l'initiative des ARS qui mobilisent leurs fonds d'intervention régionaux (FIR), restent limitées, de l'ordre de 10 millions d'euros. Les 12 millions d'euros restants sont dédiés à des actions de prévention de l'exposition au risque chimique en milieu professionnel.
La lutte contre le tabagisme, qui concentre donc 85 % du budget de la prévention en santé respiratoire, affiche pourtant un bilan mitigé en France, si on le compare à la situation des pays européens voisins. La persistance d'un niveau de prévalence tabagique élevé en France - 25,3 % en 2021 contre 16,5 % en moyenne dans les pays de l'OCDE8(*) - devrait conduire non seulement à renforcer les actions inscrites dans les plans nationaux de lutte contre le tabagisme mais aussi à mieux cibler la prévention sur les populations identifiées comme les plus vulnérables (cf. supra). Il est à noter qu'un renforcement des actions de prévention ne suppose pas nécessairement des coûts supplémentaires pour les finances publiques : l'augmentation des droits d'accise sur le tabac constitue ainsi une mesure contribuant à la lutte contre le tabagisme9(*).
Concernant la qualité de l'air extérieur, les politiques tendant à réduire la pollution atmosphérique se révèlent notoirement insuffisantes pour atteindre les objectifs gouvernementaux, malgré quelques résultats positifs rappelés par la Cour des comptes. Cette situation a conduit à la condamnation de la France par le Conseil d'État à plusieurs reprises entre 2020 et 2023, en raison du non-respect des seuils européens de concentration du dioxyde d'azote et des particules fines dans plusieurs agglomérations françaises. La Cour relève cependant que le ministère de la transition écologique dépense 5,1 milliards d'euros pour des actions de prévention de la pollution atmosphérique, en particulier des mesures d'amélioration de la qualité de l'air, tout en relevant que l'efficience de ces dépenses n'est pas certaine et mériterait d'être évaluée.
L'amélioration de l'information du grand public sur les épisodes de pollution atmosphérique et les risques qu'ils comportent, notamment pour certaines populations fragiles, est une nécessité alors que les outils et supports dédiés font toujours défaut. Si tel est l'objet de RecoSanté, service public numérique qui informe et propose des recommandations pour s'adapter au quotidien, celui-ci demeure à ce jour trop confidentiel10(*).
Enfin, les connaissances sur les polluants intérieurs sont relativement récentes et encore peu accessibles au grand public. L'observatoire de la qualité de l'air intérieur (OQAI) réalise des mesures qui ont mis en évidence une pollution de l'air intérieur particulièrement préoccupante pour les jeunes enfants : dans 96 % des salles de classes ayant fait l'objet de mesures, un dépassement des valeurs guides de l'OMS pour les particules fines a été observé. Santé publique France a également souligné les risques associés à l'exposition dans les salles de classe des enfants de 6 à 11 ans à certains polluants comme le formaldéhyde ; environ 30 000 cas d'asthme évitables seraient imputables à ces composés organiques volatils et aux moisissures11(*).
La sensibilisation des populations à l'utilisation de certains équipements (cuisinières et fours à gaz) ou produits (produits ménagers), qui polluent les environnements quotidiens, mériterait d'être développée pour une meilleure appropriation des enjeux par chacun et pour favoriser l'adaptation des modes de vie.
2. Une politique de santé dépensière mais peu efficiente
La Cour des comptes fait le constat de dépenses de santé en hausse, mais non pilotées. En 2022, les dépenses de prise en charge des maladies respiratoires s'établissent à 6,7 milliards d'euros, dont 3,7 milliards pour les maladies respiratoires chroniques (incluant les dépenses de ville, d'hospitalisation et les prestations en espèce) et 3 milliards pour les cancers du poumon. Ces dernières représentent 44,8 % du total des dépenses, pour moins de 2 % des cas des pathologies recensées. L'évolution dynamique de ces dépenses est particulièrement portée par le coût des médicaments anticancéreux, à l'hôpital et en ville. Cette situation plaide en faveur d'une prévention renforcée du cancer du poumon, qui pourrait s'appuyer sur une campagne de dépistage organisée, en accord avec les recommandations publiées par la Haute Autorité de santé en février 202212(*).
Outre des interrogations sur l'efficacité de la dépense publique, la Cour relève plus largement que l'organisation du parcours des personnes souffrant d'une pathologie respiratoire est un impensé de la politique de santé actuelle. La prise en compte de chacune des étapes de ce parcours - prévention, dépistage et prise en charge - et leur articulation est à peu près inexistante. Ainsi, l'importance du sous-diagnostic de la BPCO et de l'asthme en population générale nuit à l'efficacité de la politique de santé. Il en résulte des hospitalisations évitables, dont les coûts sont bien supérieurs à ceux qui résulteraient d'une politique préventive dynamique. Elle conclut ainsi : « Une prévention plus développée et une anticipation de la prise en charge des maladies respiratoires chroniques permettrait de réduire une partie non négligeable des dépenses d'hospitalisation (0,9 milliards d'euros), en urgence et potentiellement évitables ».
Dans un contexte d'aggravation des tensions sur les ressources hospitalières et de mise sous tension récurrente des servies d'accueil des urgences qui fonctionnent le plus souvent en sous-effectifs, l'optimisation des flux et l'organisation des prises en charge préhospitalières est devenue une exigence.
Enfin, le manque d'articulation entre les actions menées par le ministère de la santé et le ministère de la transition écologique est problématique du point de vue de l'efficience globale des politiques conduites. Les dépenses consacrées par le ministère de la transition écologique aux actions en faveur de la qualité de l'air extérieur et intérieur ont crû de façon significative, mais sans que l'évaluation de leur impact sanitaire ne soit recherchée.
* 8 OCDE, Évaluation du programme national de lutte contre le tabagisme en France, Document de travail sur la santé n° 155, 16 juin 2023.
* 9 Selon l'OMS, l'augmentation des prix du tabac par la hausse de la fiscalité constitue la mesure de lutte contre le tabagisme la plus efficiente.
* 10 9 343 abonnés étaient dénombrés en 2023.
* 11 Santé publique France, résultats de la première évaluation quantitative des impacts sur la santé (EQIS) de la pollution de l'air dans les salles de classes des écoles élémentaires.
* 12 Dans la continuité d'un rapport de la HAS du 1er février 2022 indiquant un avis favorable de l'autorité sanitaire à l'expérimentation d'un dépistage organisé chez les personnes à risque élevé de cancer du poumon, un projet pilote devrait être initié par l'INCa.