EXAMEN EN DÉLÉGATION

Jeudi 23 mai 2024

Présidence de Mme Françoise Gatel, présidente

Examen du rapport « trois recommandations » relatif au défi de l'ingénierie dans les petites communes

M. Daniel Guéret, rapporteur. - La précédente table ronde a permis de mettre en valeur des exemples stimulants d'initiatives et de coopérations déployées par des communes de dimension modeste, tout en soulignant également certains des défis auxquels elles sont confrontées.

Nous présentons, en conclusion de cette table ronde, trois recommandations sur les défis de l'ingénierie des petites communes, que les échanges tenus à l'instant permettent également de mettre en perspective.

Vaste sujet que le nôtre, qui vise à répondre aux questions suivantes : comment permettre à l'écrasante majorité des communes françaises - 85 % d'entre elles comptent en effet moins de 2 000 habitants - de concrétiser leurs projets ? Comment donner aux maires des petites communes le pouvoir de répondre aux besoins de leurs habitants ?

Nous avons mené, avec mon collègue Jean-Jacques Lozach, deux sessions enrichissantes d'auditions, qui nous auront permis d'échanger avec des acteurs très variés. Nous remercions pour leur disponibilité les élus locaux entendus, à savoir monsieur le Président du conseil départemental d'Eure-et-Loir, madame et messieurs les maires des communes creusoises de La Saunière et de Savennes, de la commune nivernaise de Varzy et de la commune haute-marnaise de Ceffonds, ainsi que monsieur le vice-président de la communauté de communes du Briançonnais. Nous savons également gré aux acteurs de l'ingénierie publique que nous avons auditionnés, au travers des représentants de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), de la Banque des territoires et de l'ensemble des intervenants de la table ronde de ce jour.

Je commencerai par dresser un rapide diagnostic de la situation. Le recul de l'État territorial, engagé depuis plus de 20 ans, et la suppression inattendue en 2014 de l'assistance technique de l'État pour des raisons de solidarité et d'aménagement du territoire (ATESAT) ont laissé nombre de petites communes démunies en matière de conception et de conduite de projets. Pour tenter de combler ce vide, les départements ont souvent pris le relais pour structurer une offre d'ingénierie territorialisée. Par exemple, le département d'Eure-et-Loir, avec son dispositif « bourgs centres » lancé en 2018, consacre des ressources significatives à l'ingénierie des petites communes.

Cette structuration est toutefois inégale d'un département à l'autre, risquant ainsi d'accentuer les disparités territoriales. Une étude de la Caisse des dépôts alerte sur un manque critique en expertise dans 26 départements. L'offre d'ingénierie « sur mesure » de l'ANCT, qui était l'une des principales attentes pour permettre un accompagnement de précision des petites communes, reste quant à elle bien trop limitée. L'augmentation de l'enveloppe des crédits propres de l'ANCT dédiée à l'ingénierie est en trompe-l'oeil. En effet, comme l'a montré la Cour des comptes dans une communication sur l'ANCT remise en février 2024 à la commission des finances du Sénat, seule une fraction de cette enveloppe, de l'ordre de 6 millions d'euros, est aujourd'hui consacrée à cette ingénierie « sur mesure ». De plus, l'appropriation de l'offre de service de l'ANCT est trop faible et l'ANCT reste encore méconnue de nombreux élus locaux.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur. - Après avoir retracé cette « chronique de la mort de l'ingénierie publique d'État », venons-en à nos recommandations.

La première a trait à la nécessaire coordination de l'offre de service en ingénierie. En effet, le recul de l'État territorial et l'affaiblissement des directions départementales et territoriales ont cédé la place à une offre d'ingénierie fragmentée et peu visible pour les élus des petites communes.

Au cours de nos auditions avec les maires des villes creusoises de La Saunière et de Savennes, il s'est apparu que la capacité de mener à bien des projets dépendait en grande partie d'une connaissance fine de l'écosystème des acteurs de l'ingénierie.

Savennes, commune de 200 âmes, a réussi à solliciter l'appui du conseil d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), de la communauté d'agglomération du grand Guéret et de plusieurs acteurs associatifs pour lancer un appel à idées qui a été un grand succès, destiné à repenser les manières d'habiter la ville et à dynamiser le secteur touristique.

Les idées existent sur nos territoires, mais encore faut-il savoir à quel interlocuteur s'adresser pour les concrétiser ! D'autres projets remarquables auraient certainement émergé si les conditions d'accès à l'ingénierie étaient plus limpides. Nous espérons que l'ANCT ressuscitera les projets dormants sur nos territoires. C'est pourquoi il reste plus que jamais nécessaire de renforcer le pouvoir d'orientation des préfets, qui doivent effectivement jouer leur rôle de délégué territorial de l'ANCT, comme le prévoit la loi. Les comités locaux de cohésion des territoires (CLCT) constituent l'instance à privilégier pour permettre au principe de subsidiarité de devenir la clef de répartition des services d'ingénierie, dont l'efficacité dépend des synergies entre les services locaux et nationaux.

Nous reprenons à notre compte la recommandation visant à faire du sous-préfet d'arrondissement l'interlocuteur de premier niveau sur les questions d'ingénierie. Nous regrettons que, dans un tiers des départements, la logique du « guichet unique » ne soit pas encore effective.

Nous formons donc le voeu que la circulaire du 28 décembre 2023, qui réaffirme les principes auxquels nous sommes attachés, soit appliquée de manière homogène à l'ensemble du territoire. En somme, nous sommes convaincus que les préfets sont la clef pour donner corps à un principe de subsidiarité intelligent.

Notre deuxième recommandation appelle à pérenniser les financements, pour favoriser la planification des projets des petites communes.

Dans le cadre de cette mission, nos échanges avec des élus locaux - en particulier avec M. Pierre Leroy, ancien maire de Puys-Saint-André et avec Mme Annie Zapata, maire de La Saunière - ont confirmé que l'émergence des projets dépendait en grande partie de la capacité à accéder à des financements pérennes.

La logique d'appel à projets engendre une incertitude sur les financements futurs et une dépendance qui peut brider les capacités des petites communes à investir dans des projets structurants. Or, les financements disponibles sont souvent ponctuels et liés à des projets spécifiques. C'est pourquoi nous recommandons d'expertiser la création d'un fonds national dédié à l'ingénierie, tel que proposé par l'Association nationale des pôles territoriaux (ANPP), que nous avons auditionnée. L'allocation d'une petite fraction des volumes financiers dédiés aux politiques d'investissement, sous la forme d'un fonds national, offrirait des moyens réguliers et pérennes pour les petites communes.

Enfin, comme le Sénat l'avait défendu dans ses « 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales », les dépenses en ingénierie d'animation pourraient utilement compter parmi les dépenses éligibles à une Dotation d`équipement des territoires ruraux (DETR) élargie. Il s'agirait effectivement d'élargir l'éligibilité des actions et donc d'élargir également les financements.

M. Daniel Guéret, rapporteur. - Je conclurai nos propos en présentant notre troisième recommandation et en dressant quelques perspectives.

L'esprit de notre dernière recommandation est de prévenir la création d'une « ingénierie à deux vitesses ». À cet effet, il est nécessaire de renoncer au caractère systématique des appels à projets et de structurer des réseaux d'ingénierie solides.

Tout d'abord, le recours fréquent aux appels à projets pénalise les communes qui ne disposent pas de la capacité administrative et technique nécessaire pour y répondre.

Les petites communes manquent souvent de l'ingénierie stratégique et pré-opérationnelle, nécessaire pour s'inscrire dans ces dispositifs. C'est pourquoi les projets des communes qui se sont portées candidates, mais n'ont pas été retenues dans le cadre du programme « Villages d'avenir » devraient bénéficier d'une priorité dans l'étude de leurs dossiers pour la prochaine cohorte de communes accompagnées, et faire l'objet d'une attention renforcée de la part des services préfectoraux.

Pour répondre à ce « déficit criant » d'ingénierie, il est essentiel de renforcer l'offre d'ingénierie « sur mesure », aujourd'hui largement insuffisante. Plus structurellement, un réseau d'ingénierie solide passe par la diffusion continue de bonnes pratiques, comme l'ont bien montré les intervenants de notre table ronde : que l'on pense par exemple à la coopération au sein du réseau BRUDED.

Pour reprendre les termes des représentants de la Banque des territoires que nous avons auditionnés, il convient en effet de « ne pas perdre d'énergie à réinventer des solutions duplicables qui ont fait leurs preuves ailleurs ». Faisons confiance à l'intelligence territoriale et exploitons les gisements d'ingénierie !

Le renforcement de la coordination des ingénieries publiques, la pérennisation des financements et la structuration des réseaux d'ingénierie publique territoriale sont des enjeux cruciaux pour que vive la démocratie locale, et pour donner aux élus locaux le « pouvoir d'agir » nécessaire en vue de mener à bien les projets essentiels au développement de leurs territoires.

Mme Françoise Gatel, présidente. - Nous constatons régulièrement la satisfaction des communes qui bénéficient de l'ingénierie de l'ANCT en matière de gestion de projets. Cependant, qu'en est-il en effet des autres communes ? Les appels à projets sont mortifères. Comment nous assurer que toutes les communes aient accès à l'ingénierie ?

La question du financement pose problème, notamment pour les programmes « Petites villes de demain » et « Villages d'avenir ». De plus, l'enveloppe de la DETR reste identique, alors qu'elle doit tenir compte d'un nombre croissant d'obligations.

Nous vous remercions vivement pour votre rapport et vos préconisations, qu'il conviendra de remettre officiellement au ministre.

Les recommandations sont adoptées.

La délégation adopte, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorise la publication.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page