II. LE NOUVEAU PROGRAMME « VILLAGES D'AVENIR » : UN COMPLÉMENT NÉCESSAIRE MAIS INSUFFISANT EN FAVEUR DES PETITES COMMUNES

En juin 2023, dans le cadre du plan « France Ruralités », la Première ministre présentait le programme « Villages d'avenir », piloté par l'ANCT38(*) pour apporter un soutien en ingénierie aux communes de moins de 3 500 habitants. Ce programme, initié depuis janvier 2024 et procédant d'une démarche novatrice, devra éviter plusieurs écueils dans le cadre de son déploiement.

1. Le programme « Villages d'avenir » est destiné spécifiquement aux communes de moins de 3 500 habitants

Le programme « Villages d'avenir », qui s'inspire d'une idée initialement portée par l'Association des maires ruraux de France (AMRF), « apporte une réponse à la maille la plus fine de notre organisation territoriale »39(*), pour pallier les carences d'ingénierie des communes de moins de 3 500 habitants. M. Éric Etienne, Directeur général délégué « Territoires et ruralités » au sein de l'ANCT, en a détaillé les principes à vos rapporteurs.

L'objet du programme est d'offrir un accompagnement personnalisé à des communes candidates pour la mise en oeuvre d'un ou plusieurs projets relevant de « l'ensemble des champs du développement local ». À cette fin, le programme « Villages d'avenir » a prévu le recrutement par l'État de 100 chefs de projet, auxquels s'ajoutent 20 ETP mis à disposition par le Cerema, « positionnés au sein des services de l'État local ». À la date de l'audition de M. Éric Etienne, 116 chefs de projets avaient été recrutés, et 92 avaient pris leur fonction (dont 58 affectés en préfecture, 30 en sous-préfecture et 32 en DDT)40(*).

Un « dispositif national de formation des chefs de projets » est prévu par l'instruction ministérielle du 14 août 2023 pour harmoniser les pratiques. Ainsi, au premier semestre 2024, trois sessions de formation sont organisées pour les chefs de projet, auxquelles la Banque des territoires apporte des financements et un appui41(*).

Les programmes « Villages d'avenir » et « Petites villes de demain » (PVD) divergent dès lors sur deux points principaux :

- le champ de « PVD » est plus large, puisqu'il concerne les communes de moins de 20 000 habitants exerçant des fonctions dites de petite centralité. « PVD » ne répondait donc qu'imparfaitement42(*) aux besoins des petites communes stricto sensu ;

- dans le cadre de « PVD », les chefs de projet sont placés directement au sein des équipes communales ou intercommunales de la collectivité labellisée. À l'inverse, les chefs de projet « Villages d'avenir » ont pour mission d'« épauler les sous-préfets, afin d'aller au contact des élus et les aider à déployer les programmes de l'ANCT »43(*).

2. Quelque 2 458 communes lauréates ont été retenues au terme du premier appel à projets

Au 1er janvier 2024, sur les 4 000 candidates44(*), 2 458 communes rurales lauréates (dont la taille moyenne est de 889 habitants) ont été sélectionnées dans le cadre de la première vague de labellisation « Villages d'avenir » pour bénéficier d'un appui de 12 à 18 mois.

La Saunière compte parmi les 31 « Villages d'avenir » creusois. Vos rapporteurs ont auditionné Mme Annie Zapata, maire de cette commune d'environ 650 habitants, qui accueille favorablement le dispositif, sans pour autant l'avoir attendu avant d'envisager le lancement de projets (épicerie participative, aménagement d'une salle polyvalente, ou encore construction d'un nouveau bâtiment communal). Mme Annie Zapata souhaiterait pouvoir bénéficier d'un accompagnement dans la recherche de financements, ce à quoi devraient pouvoir l'aider les deux chargés de projets recrutés dans la Creuse.

Les modalités de sélection des communes lauréates de la première vague du programme « Villages d'avenir »

Les communes pouvaient se porter candidates par groupe de 2 à 8 communes ; les projets des communes rurales seules et sans fonction de centralité étaient également éligibles. La procédure pour se porter candidat était sans formalisme : un simple courrier comportant une brève description du projet suffisait. Parmi les domaines d'action les plus fréquents chez les lauréats, figurent la réhabilitation de bâtiments et l'aménagement d'espaces (environ 1 300 communes), la transition écologique et la biodiversité (environ 500 communes), les services et commerces de proximité ou encore la transition énergétique.

L'instruction des candidatures a été menée par les préfets de départements. Les communes ont été sélectionnées « sur la base de la qualité et l'enjeu de leurs projets »45(*). Les stratégies de communication des préfectures ont varié, entre une « communication large ou une communication restreinte, destinée à des communes pré-identifiées comme porteuses de projets ».

L'audition de M. Philippe Ponsard, maire de Savennes - commune creusoise d'environ 200 habitants qui n'est pas partie au programme « Villages d'avenir » - a montré qu'il restait possible pour des communes de dimension modeste de mener à bien des projets innovants, à condition toutefois de disposer d'une connaissance fine de l'écosystème des acteurs de l'ingénierie. En 2020, l'équipe communale de Savennes a pu initier un appel à idées « Vivre demain aujourd'hui ! »46(*), en comptant sur l'appui du CAUE, de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), de la communauté d'agglomération du grand Guéret et de plusieurs acteurs associatifs.

Soulignant la volonté des élus locaux de mener à bien des projets, M. Gilles Noël, vice-président de l'AMRF et maire de Varzy, appelait de ses voeux lors de la table ronde en conclusion de cette mission « à faire en sorte que la théorie du ruissellement puisse être inversée » afin que les petites communes « bénéficient d'accompagnements (...) qui ne descendent pas sur des petits villages comme les nôtres »47(*).

3. Le déploiement de « Villages d'avenir » devra éviter plusieurs écueils, en particulier dans la phase de concrétisation des projets

Les représentants de la Banque des territoires, auditionnés par vos rapporteurs, ont mis en avant les atouts du programme « Villages d'avenir » (« démarche ascendante faisant le pari du volontarisme des communes », « logique de mutualisation des moyens d'ingénierie »), tout en mettant en exergue certains points de vigilance :

- l'absence d'enveloppe financière dédiée au financement des projets peut engendrer des désillusions si la mobilisation des financeurs dans la phase de concrétisation des projets n'est pas à la hauteur des attentes ;

- l'assistance à maîtrise d'ouvrage des communes dans la phase de mise en oeuvre opérationnelle - nécessaire pour concrétiser les projets - « ne semble pas avoir été clairement appréhendée »48(*).

Par ailleurs, le dispositif comporte des limites inhérentes à la logique d'appels à projets. D'une part, la durée d'accompagnement est inférieure au « temps de maturation des projets complexes et structurants »49(*), afin de répondre aux besoins de nouvelles cohortes de communes. D'autre part, le programme « Villages d'avenir » perpétue l'approche systématique des appels à projets. Le président de l'AMRF, M. Michel Fournier appelait à « ne pas délaisser » les communes qui se sont portées, en vain, volontaires, « sous peine de générer de la frustration »50(*).

La direction générale déléguée « Territoires et ruralités » de l'ANCT, s'est certes voulue rassurante : « Assez systématiquement, nous constatons une attention particulière des services de l'État aux communes non retenues dans la première vague », au travers d'une « mise en file d'attente pour un traitement après la réalisation des projets des communes retenues », de la « mise en place d'ingénierie sur mesure ou d'un poste de VTA », ou encore de l'« organisation de réunions d'information, [ou d'une] prise de contact par la DDT ».


* 38 Au titre de ses missions, l'ANCT est chargée du pilotage des programmes nationaux de « revitalisation » des territoires, notamment : Action coeur de ville, Entrées de ville, Territoires d'industrie, Petites Villes de demain, Avenir montagnes, France Très Haut Débit, France mobile et - depuis récemment - Villages d'avenir.

* 39 Réponses de la Banque des territoires au questionnaire de vos rapporteurs.

* 40 L'ANCT précise avoir reçu en moyenne 5 candidatures par poste (entre 2 et 20 postulants selon les départements, le nombre de candidats étant proportionnelle à la taille de la ville de localisation du poste). Les chefs de projet recrutés justifient d'une expérience professionnelle comprise entre 7 et 20 ans, et une majorité a travaillé dans le secteur public.

* 41 La formation, organisée sur deux jours, comprenait notamment des interventions et échanges avec des élus, des apports d'expertise en matière de financement de projets et de compétence des collectivités locales.

* 42 Le programme « Petites villes de demain », doté d'un budget de 3 milliards d'euros sur la période 2020-2026, a pour principal objet de revitaliser des communes de moins de 20 000 habitants. PVD concerne à ce jour quelque 1 600 collectivités, dont 52 % sont des communes de moins de 3 500 habitants, confrontées à des vulnérabilités telles que la dégradation du bâti ancien ou l'érosion commerciale (voir le compte rendu de l'audition de M. Christophe BOUILLON, président de l'ANCT, par la commission des finances de l'Assemblée nationale le 31 janvier 2024).

* 43 Selon les termes de Mme Cécile RAQUIN, directrice générale des collectivités locales, lors de son audition par la commission des finances du Sénat, le 14 février 2024 (voir le compte rendu).

* 44 Selon les chiffres cités par le vice-président de l'AMRF et maire de la commune de Varzy, M. Gilles Noël, au cours de la table ronde du 23 mai 2024 en conclusion de cette mission (voir compte rendu annexé).

* 45 Réponses écrites de la direction « Territoires et Ruralités » de l'ANCT au questionnaire adressé par vos rapporteurs.

* 46 Fin 2020, l'équipe municipale de Savennes a lancé un appel à idées intitulé « Vivre demain aujourd'hui ! », visant à « réinventer les manières d'habiter à la campagne ». Le nombre et la qualité des candidatures a dépassé les espérances : quatorze équipes ont proposé de réfléchir à des manières innovantes et économes d'habiter, d'accueillir, de travailler et de se déplacer sur le territoire de la commune de Savennes.

* 47 Voir compte rendu, annexé au rapport, de la table ronde organisée lors de la réunion plénière de la délégation du 23 mai 2024.

* 48 Réponses écrites de la Banque des territoires au questionnaire transmis par vos rapporteurs.

* 49 Ibidem.

* 50 Intervention de M. Michel Fournier, Président de l'AMRF, à l'occasion de rencontres organisées par la délégation aux collectivités territoriales de l'Assemblée nationale le 1er février 2024 sur le thème des politiques de redynamisation des villes petites ou moyennes et de la ruralité.

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