B. L'OFFRE D'INGÉNIERIE « SUR MESURE » DESTINÉE AUX PETITES COMMUNES RESTE TROP LIMITÉE
Alors que l'apport d'« ingénierie sur mesure » devait constituer l'une des principales nouveautés de l'ANCT, l'enveloppe financière dédiée reste modeste.
1. Les montants consacrés par l'ANCT à l'offre d'« ingénierie sur mesure » restent très limités
L'ANCT est chargée - au-delà du pilotage de programmes nationaux (cf. II infra.) - de la responsabilité de faciliter « l'accès des porteurs de projets aux différentes formes, publiques ou privées, d'ingénierie juridique, financière et technique, qu'elle recense »27(*).
En d'autres termes, l'ANCT est chargée d'une mission d'ingénierie « sur mesure », qui vise à apporter conseil et soutien aux communes les moins dotées dans la conception, la définition et la mise en oeuvre de leurs projets territoriaux. Selon M. Christophe Bouillon, l'Agence a soutenu depuis 2020 quelque « 1 500 collectivités dont les projets étaient bloqués »28(*). La Cour des comptes précise que 1 200 projets ont été accompagnés « sur-mesure »29(*).
Il convient naturellement de saluer l'augmentation de l'enveloppe dédiée à l'accompagnement en ingénierie, dont le montant a été porté à 40 millions d'euros en loi de finances pour 2024, contre 20 millions d'euros (M€) ouverts en loi de finances pour 2022. Ce doublement des crédits confèrera aux préfets « davantage de moyens d'activer, via des marchés publics, le recours à des interlocuteurs qui pourront conseiller les collectivités, en particulier les plus petites, sur le cheminement à suivre » pour mener à bien « des projets qui leur semblent parfois trop lourds à porter bien que nécessaires et finançables dès lors qu'une aide adéquate leur est apportée »30(*).
Toutefois, vos rapporteurs rappellent que ces montants sont en trompe-l'oeil, dès lors que la part spécifiquement « sur mesure » s'élevait en réalité à seulement 5,8 M€ en 2021 et à 6,7 M€ en 202231(*). En effet, l'enveloppe dédiée à l'accompagnement en ingénierie (dotée de 20 M€ en 2021) sert à l'ensemble des dépenses d'ingénierie de l'ANCT (y compris, notamment, pour le financement de la participation de l'ANCT aux chefs de projet du programme « Petites villes de demain » et pour les dépenses d'accompagnement des autres dispositifs nationaux).
Enfin, l'ANCT reste méconnue des élus locaux (52 % déclarant ne pas la connaître32(*)). La faible appropriation de l'offre de services constitue l'un des facteurs explicatifs des faibles volumes d'« ingénierie sur mesure » déployés, les demandes d'accompagnement étant largement inférieures aux besoins réels.
Répartition des dépenses de l'enveloppe dédiée à l'accompagnement en ingénierie de l'ANCT (en €)
Source : Cour des comptes, communication à la commission des finances du Sénat
La gratuité des prestations d'ingénierie de l'ANCT pour les communes de moins de 3 500 habitants : apports et limites En 2021 était décidée la gratuité des prestations d'ingénierie de l'ANCT, pour les communes de moins de 3 500 habitants et les EPCI de moins de 15 000 habitants. Comme le relevaient Charles Guené et Céline Brulin dans leur rapport « ANCT : se mettre au diapason des élus locaux ! »33(*), cette mesure a priori séduisante pourrait cependant constituer une « fausse bonne idée ». L'ingénierie gratuite n'est en effet accessible qu'en l'absence d'une réponse locale, au risque d'induire une différence de traitement entre les départements qui ont développé une ingénierie publique et ceux qui en sont dépourvus. Or, lorsqu'ils existent, les opérateurs de l'ingénierie locale proposent des réponses souvent payantes, à l'instar d'une Agence Technique Départementale. Ainsi, tel département devra financer le recours à une prestation auprès des acteurs locaux, tandis que son voisin, dépourvu d'ingénierie locale, bénéficiera de cette prestation gratuitement. |
2. La coordination de l'ANCT avec ses partenaires, dont l'action reste trop souvent méconnue, est un enjeu incontournable
L'ANCT, qui agit comme « concepteur, pilote, animateur, instructeur, ou coordinateur » selon les cas, doit assurer la cohérence de ses interventions avec d'autres opérateurs nationaux.
Le renouvellement en cours des conventions-cadres pluriannuelles signées avec les cinq principales institutions partenaires34(*) constitue de ce point de vue une occasion d'améliorer la lisibilité et l'articulation des offres35(*). L'un des enjeux consisterait à préciser le choix de l'ANCT de privilégier l'ingénierie dite « amont »36(*), afin de s'assurer que l'appui de l'ANCT s'oriente de manière complémentaire avec ses partenaires.
Dans cet esprit, l'ANCT précise avoir procédé courant 2023 à un recensement des offres de service des opérateurs afin d'en établir une cartographie, ce dont vos rapporteurs se réjouissent.
Vos rapporteurs, qui ont auditionné les représentants de la Banque des territoires dans le cadre de cette mission, ont souhaité mettre en lumière son action technique et financière au soutien des territoires les plus faiblement dotés en expertise, qui reste encore largement méconnue (voir encadré ci-dessous).
L'action méconnue de la Banque des territoires au soutien de l'ingénierie des petites communes La Banque des territoires consacre 110 millions d'euros à l'ingénierie d'accompagnement des programmes nationaux de l'ANCT37(*). Parmi ses principales actions, on pourra citer : - le programme de subventions et de soutien méthodologique. Les aides prennent ici la forme de subventions, comprises entre 10 % et 100 % du coût des études nécessaires, et visent deux grands types de prestations (l'aide à la définition de stratégies territoriales, ainsi que l'aide au montage et à la gouvernance de projets) ; - le service « Territoires conseils », qui offre des appuis méthodologiques, un service de renseignements juridiques et financiers et des guides méthodologiques pour les communes et intercommunalités de moins de 10 000 habitants. - la Banque des territoires réserve par ailleurs un soutien spécifique en ingénierie aux communes bénéficiaires des programmes nationaux d'ingénierie, en particulier « Petites villes de demain » et « Villages d'avenir ». |
Lors de leur audition par vos rapporteurs, les représentants de la Banque des territoires ont indiqué que la strate des petites communes était celle « qui connai[ssai]t le moins l'offre de service de la Banque des Territoires », et ont fait savoir qu'une campagne de communication (« Rural Consult ») avait été lancée pour favoriser le réflexe du recours aux dispositifs de la Banque des territoires par les élus locaux.
* 27 Dispositions figurant à l'article L. 1231-2 du CGCT.
* 28 Voir le compte rendu de l'audition de M. Christophe BOUILLON, président de l'ANCT, par la commission des finances de l'Assemblée nationale le 31 janvier 2024.
* 29 Cour des comptes, communication à la commission des finances du Sénat sur L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), février 2024.
* 30 Rapport d'information n°337 (2023-2024) de M. Bernard DELCROS, déposé le 14 février 2024, p. 10.
* 31 Cour des comptes, communication à la commission des finances du Sénat sur L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), février 2024, p. 55.
* 32 Rapport d'information n°313 (2022-2023), op.cit.
* 33 Ibid.
* 34 Les cinq principales institutions partenaires, participant à l'offre d'ingénierie de l'ANCT sur la base de participations négociées, sont le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), l'Agence nationale de l'habitat (Anah), l'Agence de la transition écologique (Ademe) et la Banque des territoires.
* 35 Rapport Cour des comptes, p. 29.
* 36 Ingénierie intervenant au stade de la définition et du cadrage de projets. Elle intervient au stade du diagnostic, de l'élaboration de projets de territoire, de l'accompagnement à l'élaboration de projets thématiques (études de faisabilité ou de définition), de la concertation et de la participation des habitants, ainsi que de la recherche de financements.
* 37 Cour des comptes, communication à la commission des finances du Sénat sur L'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), février 2024, p. 55.