B. AFFIRMER UN LEADERSHIP INTERNATIONAL APRÈS L'ACCORD DE PARIS
Les nouvelles programmations et la régulation énergétiques doivent encourager plus fortement la sortie des énergies fossiles, a fortiori de celles en provenance de régimes illibéraux, en encadrant davantage les activités brunes et en tarissant les soutiens publics, en encourageant les énergies renouvelables et en promouvant la sobriété énergétique.
1. Actualiser dès cette année la programmation énergétique nationale
L'article L. 100-1 A du code de l'énergie, issu de la loi « Énergie-Climat », de 2019291(*), a prévu qu'une loi détermine les objectifs de la politique énergétique nationale, à compter du 1er juillet 2023 puis les 5 ans. Cette loi doit englober 5 grands domaines : la réduction des émissions de GES, la réduction de la consommation énergétique, le développement et le stockage des énergies renouvelables, la diversification du mix de production d'électricité, la rénovation énergétique des bâtiments et l'autonomie énergétique dans les outre-mer. Elle doit prévaloir sur 4 documents réglementaires : la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), le plan national intégré en matière d'énergie et de climat (Pniec) et la stratégie de rénovation de long terme.
Or, le ministre de l'énergie, Roland Lescure, a annoncé renoncer à légiférer sur le sujet, par voie de presse, le 10 avril dernier.
Légiférer sur nos objectifs énergétiques nationaux constitue pourtant :
- une exigence démocratique, le principe d'une loi quinquennale sur l'énergie étant issu du compromis de la commission mixte paritaire (CMP) issu de la loi « Energie-Climat » de 2019 ;
- une nécessité économique, les entreprises, les collectivités et les citoyens ayant besoin de visibilité pour mener à bien leurs projets liés à la transition énergétique ;
- une obligation légale, la loi quinquennale sur l'énergie conditionnant l'entrée en vigueur de la PPE, de la SNBC, des comités régionaux de l'énergie et des zones d'accélération des énergies renouvelables ;
- une obligation européenne, les règlements et les directives issus du paquet « Ajustement à l'objectif 55 » de 2021 devant être pleinement intégrés à notre droit national, d'autant que certains sont déjà applicables (Loi européenne sur le climat, ReFuelEU Aviation, FuelEU Maritime, directive sur les énergies renouvelables, directive sur l'efficacité énergétique).
Dans un courrier au Premier ministre, publié le 2 avril 2024292(*), la présidente du Haut conseil pour le climat (HCC) a indiqué : « Le Haut conseil pour le climat souhaite attirer toute votre attention sur le niveau d'urgence actuel, tant en matière d'atténuation que d'adaptation, qui invite à réaffirmer fermement et sans délai la politique climatique de la France, en adoptant au plus vite les documents de programmation prévus dans la loi de 2019 relative à l'énergie et au climat. Le Haut conseil pour le climat a salué l'articulation et la mise en cohérence des différentes composantes des politiques climatiques présentées par le Secrétariat général à la planification écologique au Conseil national de la transition écologique du 12 juillet 2023, qui faisait écho aux recommandations formulées dans ses rapports. Cependant, à ce jour, le Haut conseil pour le climat constate qu'après plusieurs consultations et débats, ni la loi de programmation énergie et climat, ni la Stratégie française énergie et climat, ni la 3è Stratégie nationale bas-carbone, ni le 3è Plan national d'adaptation au changement climatique, ni la 3è Programmation pluriannuelle de l'énergie n'ont été formellement adoptés, en dépit des obligations législatives. Ces documents sont essentiels afin de guider l'action climatique à long terme. Ces documents doivent en outre fixer le niveau des budgets carbone de la France pour les périodes 2029-2033 et 2034-2038 en cohérence avec l'atteinte de la neutralité carbone en 2050, établir les priorités d'action pour la production et la gestion de l'énergie au-delà de 2028, et fixer les nouveaux plafonds indicatifs d'émissions pour les transports internationaux et l'empreinte carbone de la France. Le Haut conseil pour le climat ne peut que s'inquiéter du risque de recul de l'ambition de la politique climatique induit par les dérives de calendrier de ses instruments les plus structurants. »
C'est la raison pour laquelle la commission d'enquête appelle le Gouvernement à présenter la loi quinquennale sur l'énergie attendue, ainsi que la PPE et la SNBC devant en découler.
En premier lieu, la commission d'enquête souhaite que cette loi acte la sortie des énergies fossiles, en fixant des objectifs de réduction de 55 % des émissions de GES, de 30 % de la consommation d'énergie totale et de 45 % de la consommation d'énergie fossile d'ici 2030, contre 40 %, 20 % et 40 % actuellement. Elle souhaite aussi que cette loi acte la sortie de la production d'électricité à partir de charbon d'ici 2027, le Gouvernement l'ayant promise dès 2022, mais jamais pleinement réalisée depuis lors.
En deuxième lieu, la commission d'enquête attend de cette loi qu'elle promeuve l'essor des énergies renouvelables et une politique de sobriété, d'efficacité et de rénovation énergétiques ambitieuse.
D'une part, il est indispensable de garantir un socle d'électricité décarbonée, d'au moins 580 TWh d'ici 2035 pour accompagner l'électrification des usages. Ce niveau permettrait de couvrir a minima la nouvelle référence minimale de consommation d'électricité de RTE, dans son Bilan prévisionnel, de 2023293(*).
D'autre part, il est crucial de porter de 10 à 20 % la consommation de biogaz d'ici 2030, pour compenser la sortie des importations d'hydrocarbures russes. Ce niveau permettrait de contribuer à l'objectif européen jusqu'à 35 milliards de mètres cubes de biométhane, évoqué par le plan « REPowerEU », de 2022294(*).
Il est également nécessaire de prévoir des trajectoires d'incorporation pour les biocarburants et les e-carburants, afin de les diffuser dans le secteur des transports, notamment parmi les modes (maritime et aérien) les plus difficiles à électrifier.
Enfin, il est utile de promouvoir les installations de récupération de la chaleur fatale et de captage et de stockage du CO2, notamment sur les sites industriels. La commission d'enquête déplore l'instabilité juridique et financière de la politique de soutien à la rénovation thermiques des bâtiments. Selon la commission d'enquête sénatoriale sur l'efficacité des politiques publiques en matière d'efficacité énergétique, dont la présidente était Dominique Estrosi Sassone et le rapporteur Guillaume Gontard, « il y a un risque de découragement face à l'instabilité, la complexité et un reste à charge qui reste trop élevé alors que la tâche est considérable. »295(*)
L'urgence de disposer d'un socle d'électricité décarbonée a également été relevée par Louis Gallois, président de La Fabrique de l'Industrie, qui a indiqué : « Je ne veux pas jouer les prophètes de malheur, mais il me semble nécessaire d'envisager très sérieusement l'hypothèse - qui n'est pas assurée - d'une insuffisance de la production d'électricité entre 2030 et 2040. »
L'intérêt de promouvoir la production de biogaz a été indiquée par Patrice Geoffron, professeur d'économie, qui a affirmé : « L'autre solution est de regarder la capacité que nous avons à produire du biométhane. Je sais que cette question a été soulevée dans vos débats. Les quantités que nous pourrions produire ne nous permettront pas de nous passer totalement de gaz naturel, mais l'ordre de grandeur me paraît intéressant. L'objectif de la puissance publique était de consommer 10 % de gaz sous forme de biogaz en 2030. Le plan REPowerEU invite les Européens à doubler l'objectif. Si nous parvenons à consommer 20 % de gaz sous forme de biogaz, cela correspondra à ce que nous importions de Russie. »
Cet intérêt a aussi été mis en avant par Emmanuelle Wargon, présidente de la CRE, en ces termes : « La CRE a ainsi validé 345 zones de raccordement, qui couvrent environ 70 % du territoire ; elle accompagne 1 200 projets en cours ou à venir, pour environ 25 térawattheures (TWh) de production de biogaz par an. Nous en sommes actuellement à 11 TWh de biogaz injecté et il faudra poursuivre pour remplacer progressivement le gaz fossile par du biogaz. Selon les prévisions nationales, nous devrons probablement diviser par deux notre consommation globale de gaz à l'horizon 2050, et ce gaz devra être, en intégralité, du biogaz produit localement par des unités de méthanisation. Nous accompagnons donc cette politique de développement du biogaz. »
S'agissant de la nécessité de développer les biocarburants et les e-carburants dans les secteurs les plus difficiles à électrifier, c'est Carlos Tavares, P-DG de Stellantis, qui l'a indiquée dans sa contribution écrite transmise à la commission d'enquête : « En complément, pour assurer la décarbonation du parc roulant, un levier majeur pourrait être l'usage des carburants alternatifs de synthèse : e-Fuels. Cependant, en Europe, il est à craindre que leurs quantités restent limitées pour le transport automobile, en raison des besoins très élevés d'énergie décarbonée nécessaire à leur production et à leurs coûts élevés. Ils seraient ainsi prioritairement alloués aux modes de transport ne disposant pas ou peu de technologies de décarbonation alternatives (aérien et maritime). »
Quant au ministre de l'écologie Christophe Béchu, il a plaidé pour le remploi de la chaleur fatale des sites industriels, en ces termes : « L'un des modèles auxquels je crois le plus est celui des zones industrielles bas-carbone, qui permettent à des entreprises de plus petite taille de bénéficier de la chaleur de leurs voisins et de dispositifs d'investissement appuyant une diminution de notre dépendance aux énergies fossiles. »
L'efficacité énergétique est par ailleurs une condition préalable cruciale pour atteindre les objectifs climatiques de l'Europe à l'horizon 2050, comme a pu le souligner la paléontologue et ancienne présidente du Giec Valérie Masson Delmotte lors de son audition : « les engagements des États signataires qui portent le plus d'effet sont le triplement des énergies renouvelables et le doublement du rythme d'augmentation de l'efficacité énergétique. » Son importance a été encore soulignée par la crise énergétique actuelle, alors que l'Europe cherche de toute urgence des moyens de mettre fin à sa dépendance aux importations russes de combustibles fossiles.
Pour autant, le captage et le stockage du CO2 ne doivent intervenir que pour les émissions résiduelles pour lesquelles il n'y a pas de technologie ou d'alternative ou à titre transitoire. Lors de son audition, la présidente du Haut conseil pour le climat Corinne Le Quéré a précisé : « les puits de carbone forestiers diminuent - car les forêts sont fragilisées par le réchauffement climatique, le budget carbone cible incluant à la fois les émissions et le stockage de carbone dans les sols et les forêts est en voie d'être dépassé ». Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et ancienne présidente du Giec a, quant à elle, déclaré : « le pari sur une capacité des acteurs des énergies fossiles à déployer du captage et du stockage n'est pas gagné - la réalité n'est pas du tout à la hauteur de cet affichage. On ne peut que déplorer une forme de greenwashing ou de technowashing en la matière. Il est essentiel de considérer le rapport du HCC296(*) sur le potentiel de captage, de stockage et la réutilisation du carbone, paru en novembre dernier, en regard de la capacité affichée par les entreprises d'abattre des émissions à très grande échelle. »
En troisième lieu, cette loi doit être l'occasion d'adapter le cadre législatif applicable. D'une part, les projets d'énergies renouvelables peuvent encore être facilités, s'agissant notamment des projets solaires, hydrauliques ou de biogaz, dans la continuité de la loi « Aper », du 10 mars 2023297(*). D'autre part, les actions de sobriété et d'efficacité énergétiques peuvent être renforcées, pour les entreprises, les administrations et les particuliers. Enfin, les pouvoirs des autorités de régulation appellent à être consolidés, la CRE étant amenée à jouer un rôle de plus en plus important au-delà des seuls marchés d'électricité et du gaz, notamment en matière d'hydrogène ou de captage et de stockage du CO2.
Lors de son audition devant la commission d'enquête, Patrick Pouyanné, P-DG du groupe TotalEnergies, a rappelé que le cadre français présente des rigidités en matière d'investissements dans les projets d'énergies renouvelables : « De plus, en Europe, tout est lent - je suis désolé de vous le dire - et cela pour deux raisons. Premièrement, il n'y a pas assez de fonctionnaires pour s'occuper de ce type de projets. Cela peut paraître étonnant, mais le guichet en face de nous est surchargé. Les projets sont très nombreux et, même s'ils sont petits, ils requièrent une instruction des procédures, que ce soit en matière de biodiversité, d'archéologie ou autre. Il n'y a pas assez d'agents pour le faire et cela prend donc du temps. Deuxièmement, dans nos démocraties, il y a des droits de recours importants et les recours sont lents. [...] Alors que, en France, il faut cinq ans pour développer un projet d'énergies renouvelables, au Texas, il ne faut qu'un an. Aujourd'hui, j'ai besoin de deux à trois fois plus de personnes pour produire des MWh en France que dans d'autres pays. Telle est donc la situation en Europe, même si encore une fois cela ne veut pas dire qu'il faut renoncer. »
D'autres intervenants ont également souligné les difficultés des entreprises à investir dans les filières renouvelables en France : délais trop longs, procédures trop complexes, absence de mesures de lutte le dumping... Ce constat est particulièrement vrai pour les produits chinois et la filière photovoltaïque. La commission d'enquête, toujours soucieuse de conforter la souveraineté énergétique, s'inquiète de la disparition des dernières entreprises françaises de production de panneaux photovoltaïques et de l'inaction de l'État et de l'Union européenne vis-à-vis du dumping pratiqué par certains industriels chinois. Cette inaction apparaît totalement contradictoire avec l'objectif affiché par le ministre de l'économie Bruno Lemaire, selon lequel 40 % des panneaux photovoltaïques devraient être produits en France à l'horizon 2030298(*).
Dans ce contexte, la commission d'enquête propose de davantage structurer et développer les filières industrielles des énergies renouvelables. Pour ce faire, elle propose deux séries d'actions concrètes. À l'échelon européen, il lui apparaît nécessaire d'instituer un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) en matière d'énergies renouvelables, au-delà de ceux sur les réseaux d'électricité et l'hydrogène existants, ainsi que des mesures de lutte contre le dumping des industriels chinois et de promotion des industriels européens dans le cadre des marchés publics (Buy European Act). À l'échelon national, il lui apparaît utile de mieux intégrer les énergies renouvelables au dispositif Territoires d'industrie et d'assortir de souplesses administratives les zones d'accélération pour l'implantation des énergies renouvelables, en préservant les compétences des collectivités territoriales.
Quant à la présidente de la CRE, Emmanuelle Wargon, dans sa contribution transmise à la commission d'enquête, elle a plaidé pour conforter les compétences de la CRE, non pour le gaz, ou pour le pétrole, mais pour l'hydrogène et le captage et le stockage du CO2 : « La CRE dispose de compétences importantes concernant le gaz. Elle n'en dispose d'aucune sur le pétrole et n'a pas la volonté d'en posséder. Ses compétences sur le gaz ont été complétées ces dernières années jusqu'à récemment dans la loi pouvoir d'achat de juillet 2022. La CRE estime qu'elles sont nécessaires et bien dimensionnées pour mener à bien ses missions de régulation des réseaux, d'accompagnement de la transition énergétique et de surveillance du bon fonctionnement des marchés de détail et de gros. En revanche, deux sujets d'avenir vont nécessiter des réseaux et sans doute, une régulation. Il s'agit de l'hydrogène et de la capture, le stockage et l'utilisation du carbone. La CRE travaille en ce moment à la définition des besoins et à des propositions de cadre de régulation adapté. Compte tenu de son expérience dans la régulation des réseaux électriques et gaziers, la CRE estime qu'elle serait l'institution la plus à même de réguler ces nouveaux réseaux. »
Recommandation n° 4 : D'ici la fin de l'année 2024, présenter la loi de programmation énergétique et actualiser la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) qui en découlent : - en fixant des objectifs de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre (GES), de 30 % de la consommation d'énergie totale et de 45 % de la consommation d'énergie fossile dès 2030 ; - en mettant un terme à la production d'électricité à partir de charbon, sauf en cas de menace grave pour la sécurité d'approvisionnement électrique, dès 2027 ; - en portant de 10 à 20 % la consommation de biogaz en 2030 pour compenser la fin des importations russes ; - en fixant un objectif production d'au moins 580 TWh d'électricité décarbonée, notamment d'origine nucléaire, en 2035 pour accompagner l'électrification des usages ; - en prévoyant des trajectoires d'incorporation pour les biocarburants et les e-carburants, notamment pour les secteurs (maritime et aérien) les plus difficiles à électrifier ; - en promouvant la récupération de la chaleur fatale ainsi que le captage et le stockage du CO2, notamment sur les sites industriels ; - en promouvant les actions de sobriété et d'efficacité énergétiques ; - en facilitant l'instruction des projets d'énergies renouvelables ; - en consolidant les compétences de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) au-delà des marchés de l'électricité et du gaz. |
Recommandation n°5 : Mieux structurer et développer les filières industrielles des énergies renouvelables en prévoyant : - à l'échelon européen, d'instituer un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) en matière d'énergies renouvelables, ainsi que des mesures de lutte contre le dumping chinois et de promotion des industriels européens dans le cadre des marchés publics (Buy European Act) ; - à l'échelon national, de mieux intégrer les énergies renouvelables au dispositif Territoires d'industrie et d'assortir de souplesses administratives les zones d'accélération pour l'implantation des énergies renouvelables, en laissant les compétences des collectivités territoriales inchangées. |
2. Moderniser le droit minier pour sortir des énergies fossiles
La France a été pionnière dans la modernisation de son droit minier avec l'interdiction de la technologie des gaz et huiles de schiste, par la loi « Fracturation hydraulique », de 2011299(*), l'interdiction de l'attribution de nouveaux permis fossiles et l'extinction des concessions existantes au 1er janvier 2040, par la loi « Hydrocarbures », de 2017300(*), ou encore la réforme du code minier et la consécration d'un objectif de souveraineté minière, par la loi « Climat-Résilience », de 2021301(*).
Lors de la COP28, à Dubaï en Arabie saoudite, le 1er décembre 2023, le Président de la République a rappelé : « il semble que la priorité des priorités est que les pays les plus avancés sortent des énergies fossiles »302(*).
La commission d'enquête considère que le droit minier peut encore être consolidé pour accélérer la sortie des énergies fossiles. D'une part, l'interdiction de la fracturation hydraulique et l'extinction des concessions fossiles d'ici à 2040 sont des acquis à maintenir. D'autre part, la suppression des exemptions prévues à la loi « Hydrocarbures », qui permettent d'exploiter du gaz de mine ou des hydrocarbures connexes, pourrait être envisagée à l'horizon 2040, après étude de son impact sur l'économie et la sécurité. Enfin, les meilleurs standards économiques, sociaux et environnementaux doivent être promus activement, à travers une politique de labellisation, nationale voire européenne, en faveur des projets miniers durables sur ces plans.
En effet, l'article L. 111-6 du code minier dispose qu'il est mis fin progressivement à la recherche et à l'exploitation du charbon et de tous les hydrocarbures liquides ou gazeux, quelle que soit la technique employée, « à l'exception du gaz de mine » et des « hydrocarbures [dont] l'extraction est reconnue comme le préalable indispensable à la valorisation des substances sur lesquelles porte le titre d'exploitation ».
La commission d'enquête considère que la France doit porter au niveau international ses propres initiatives en matière de droit minier. Elle doit plaider pour appliquer à l'étranger le même cadre protecteur que celui en son sein. À l'occasion de la COP27, à Charm el-Cheikh, en Égypte, le 19 novembre 2022, puis de la COP15, à Montréal, au Canada, le 15 décembre 2022, une interdiction de l'exploitation minière des grands fonds marins avait été proposée par la France. Il importe maintenant de mobiliser une coalition d'États et d'obtenir un traité en ce sens, à l'occasion des prochaines conférences des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP) et à la Convention sur la diversité biologique (CDB) et des prochaines réunions de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM).
Lors de son audition devant la commission d'enquête, le ministre de l'écologie Christophe Béchu, a rappelé la nécessité d'agir internationalement pour réguler l'activité minière : « Je relie d'ailleurs cette décision à l'annonce, par le Président de la République, en marge du sommet de Charm el-Cheikh, du refus de la France de participer à l'exploitation minière des fonds sous-marins. On comprend aisément la difficulté, pour l'humanité, de tourner le dos à des énergies qui sont sources de richesse. En revanche, le fait que nous ne trouvions pas d'accord sur la préservation d'espaces vierges que personne n'a commencé à exploiter et que nous soyons le seul pays à nous prononcer pour ce refus, tandis qu'une trentaine d'autres plaident en faveur d'un moratoire et qu'un pays tel que la Norvège - pourtant peu avare de discours sur la question des engagements climatiques - délivre les premiers permis de forage, peut participer à une forme de découragement dans la fonction qui est la mienne. »
Recommandation n° 6 : Moderniser le droit minier pour sortir plus rapidement des énergies fossiles : - en maintenant l'interdiction de la fracturation hydraulique et l'extinction des concessions fossiles d'ici à 2040 ; - en évaluant la suppression de certaines dérogations à la sortie des énergies fossiles (gaz de mine et substances connexes) ; - en instituant une politique de labellisation, nationale voire européenne, en faveur des projets miniers durables, pour promouvoir les meilleurs standards économiques, sociaux et environnementaux, pour l'extraction des minerais et des métaux indispensables à l'atteinte de nos objectifs d'électrification des usages ; - en plaidant, dans le cadre des conférences des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP) et à la Convention sur la diversité biologique (CDB) et des réunions de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), pour un traité interdisant l'exploitation minière des grands fonds marins. |
3. Faire preuve de davantage de vigilance sur le GNL
Face à la réduction des importations de gaz russe dans le cadre des différents paquets de sanctions décidés à la suite de l'invasion de l'Ukraine, l'Union européenne a dû dans l'urgence diversifier ses importations afin d'assurer la sécurité d'approvisionnement du continent en gaz.
Afin de réduire les importations de gaz russe dont l'Union européenne dépendait à hauteur d'environ 40 %, les importations en gaz naturel liquéfié (GNL), transitant par voie maritime depuis les États-Unis ou le Qatar ont ainsi augmenté. La présidente de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) indiquait ainsi devant la commission d'enquête que les sanctions à l'égard de la Russie ont conduit à une « inversion très rapide des flux gaziers en 2022 : alors que le gaz cheminait traditionnellement par les pipelines de l'est vers l'ouest, les flux gaziers se sont inversés très rapidement y compris entre la France et l'Allemagne. Nos terminaux méthaniers tournaient ainsi à plein régime, à 95 % de fonctionnement, et ils tournent encore fortement, à 80 %. » Le Havre a notamment accueilli une nouvelle unité flottante de stockage et de regazéification (FSRU) de gaz, autorisée pour cinq ans et exploitée par TotalEnergies, afin de regazéifier du gaz transitant sous forme liquide depuis d'autres pays - notamment les États-Unis.
Si l'urgence du nouveau contexte énergétique né de l'invasion de l'Ukraine par la Russie a justifié la construction de nouveaux terminaux en Europe, il convient aujourd'hui d'évaluer les capacités installées au regard des besoins.
La commission d'enquête soutient la diversification des sources d'approvisionnement en gaz afin d'assurer la sécurité d'approvisionnement dans le cadre de la mise en oeuvre des sanctions russes, mais elle estime qu'elle ne doit pas pour autant occulter l'enjeu de la création de nouvelles dépendances et vulnérabilités géopolitiques ainsi que la question de l'impact environnemental du GNL. Les émissions de gaz à effet de serre du GNL dépendent des conditions d'extraction du gaz, qui sont très hétérogènes, et de l'efficacité de sa chaîne de transformation :
- en effet, le GNL est, aux États-Unis, issu à 80 % de la production de gaz de schiste, dont l'extraction nécessite le recours à des techniques de fracturation hydraulique qui engendrent une forte pollution des sols et libèrent du méthane particulièrement nocif pour l'environnement ;
- de plus, selon Valérie Masson Delmotte303(*), « le GNL a la particularité d'être moins efficace d'un point de vue énergétique en raison des contraintes de liquéfaction et transports ». L'enjeu est donc d'obtenir une information fiable sur son empreinte carbone nette.
Une publication de Carbone4 en octobre 2021304(*) a estimé l'empreinte carbone amont du gaz naturel selon son origine. Celle-ci dépend de plusieurs éléments :
- le lieu de production : la qualité des infrastructures, les procédés d'extraction et le mix énergétique du pays ;
- le mode de transport : par gazoduc ou par méthanier ;
- la distance parcourue jusqu'à la France.
Ses travaux concluent à une empreinte carbone particulièrement élevée du GNL et notamment du gaz importé depuis les États-Unis. Elle serait estimée à 85 gCO2e/kWh PCS, une valeur que Carbone4 estime « probablement sous-estimée ». À titre de comparaison, le GNL importé d'Algérie aurait une empreinte carbone de 80 gCO2e/kWh PCS mais le gaz naturel importé par gazoduc depuis le même pays entraînerait seulement 66 gCO2e/kWh PCS. De manière générale, en considérant le mix d'approvisionnement français de 2019, l'empreinte carbone « amont » du gaz transformé sous forme gazeuse (par gazoduc) serait 2,5 fois moins élevée que celle du gaz transporté sous forme liquide (GNL).
À date de la publication de l'étude, en 2019, Carbone4 estimait que le GNL représentait 37 % des approvisionnements en gaz français mais 60 % des émissions de gaz à effet de serre « amont » du gaz importé. Or, en 2022, la part du GNL dans les importations a considérablement augmenté, passant à près de 59 % des importations totales de gaz305(*). De même, la part du GNL américain dans les importations françaises de GNL a augmenté depuis 2019 : de janvier à juillet 2023, 43,9 % des importations de GNL étaient en provenance des États-Unis, suivies par les importations de Russie, représentant 15,7 % puis, 14,6 % d'Algérie et 8,3 % du Qatar306(*).
La commission d'enquête est donc favorable à une fiabilisation de l'information sur l'empreinte carbone du GNL importé par la France, en fonction de sa provenance, des technologies utilisées et des émissions induites de méthane.
Recommandation n° 7 : Mieux évaluer le gaz naturel liquéfié (GNL) :
- en actualisant les facteurs d'émissions liés au GNL calculés par l'Agence de l'environnement et la maîtrise de l'énergie (ADEME) afin d'obtenir une information fiable sur ses émissions de gaz à effet de serre (GES) ;
- en confiant à la Commission de régulation de l'énergie (CRE) la mission de réaliser un bilan annuel de la provenance et des émissions de GES liées aux importations de GNL sur le territoire français.
4. Mobiliser les leviers budgétaires et fiscaux nationaux pour accompagner les projets liés à la transition énergétique
Pour accompagner les projets liés à la transition énergétique, et compenser les surcoûts induits par la substitution d'énergies décarbonées à celles fossiles, il est indispensable de mobiliser à plein les outils budgétaires et fiscaux nationaux.
Dans le domaine de l'énergie, plusieurs leviers attendent ainsi d'être mobilisés.
Tout d'abord, les appels d'offres en direction des projets d'électricité, de gaz et d'hydrogène renouvelables doivent permettre de compenser les éventuels surcoûts auxquels sont confrontés les producteurs. Afin de garantir que les projets sélectionnés soient peu émissifs et bénéficient aux industriels nationaux et européens, un « bilan carbone » a été prévu aux articles L. 314-1 A, L. 446-1 et L. 812-1 du code de l'énergie, par les lois « Energie-Climat », de 2019, « Climat et résilience », de 2021, et « Aper », de 2023. Ces « bilans carbone » doivent être maintenus, à l'heure où le Gouvernement en remet certains en cause dans le cadre du projet de loi de simplification de la vie économique, en cours.
Plus encore, un soutien à l'investissement (Capex) et au fonctionnement (Opex) doit être proposé aux projets industriels liés à la transition énergétique. Si les besoins des batteries électriques et des électrolyseurs d'hydrogène sont bien pris en compte, il n'en va pas de même du biogaz, des biocarburants et des e-carburants. Bien sûr, le développement des biocarburants et, plus généralement, des produits énergétiques issus de la biomasse doit s'articuler avec de strictes conditions en matière de conflits d'usages et d'empreinte d'environnementale.
Dans sa contribution écrite, transmise à la commission d'enquête, Rodolphe Saadé, P-DG de CMA-CGM a indiqué que « la mise en place de dispositifs de soutien dédiés au Capex (Fonds d'innovation UE, Ademe, France 2030) et aux Opex (par exemple le soutien à la production d'électricité renouvelable ou décarbonée) est nécessaire aux niveaux national, européen, et international afin de prendre en charge une partie du surcoût de ces carburants décarbonés jusqu'à ce qu'ils deviennent compétitifs. »
Au-delà des soutiens budgétaires, les incitations fiscales doivent également être consolidées. Parmi ces dispositifs figure la taxe incitative relative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans le transport (TIRUERT), mentionnée à l'article 266 quindecies du code des douanes. Si cette taxe, seule ou complétée307(*), intègre bien les biocarburants, le biogaz et les secteurs routier et aérien, elle pourrait être étendue au secteur maritime et aux carburants synthétiques durables. Par ailleurs, sa trajectoire devrait être plus claire et plus stable, en somme prévisible sur plusieurs années.
Dans sa contribution écrite, transmise à la commission d'enquête, Roldophe Saadé, P-DG de CMA-CGM, a indiqué qu'« à ce stade le dispositif de TIRUERT n'intègre pas le secteur du transport maritime, ce qui n'incite pas les énergéticiens à proposer des carburants décarbonés au transport maritime ». De son côté, le P-DG de Stellantis, Carlos Tavares, a affirmé « Sur un plan général, le mécanisme de la TIRUERT doit participer à favoriser l'offre et la demande en produits énergétiques décarbonés pour le transport. Pour cela, il convient de donner de la visibilité et de la stabilité dans le temps sur la trajectoire prévue, le taux et l'assiette, ceci sur une période minimale de 5 ans. »
Enfin, il est illusoire d'espérer diffuser massivement l'électromobilité sans compenser les surcoûts induits par l'acquisition des véhicules électriques auprès des ménages, à commencer par les plus modestes. Or, les aides à la mobilité propre (bonus automobile, prime à la conversion, leasing social) sont instables sur le plan normatif et insuffisantes sur le plan budgétaire. Il est donc crucial de maintenir les aides à la mobilité propre pour les particuliers et de les compléter pour les professionnels.
Dans sa contribution écrite, transmise à la commission d'enquête, Carlos Tavares, P-DG de Stellantis, a précisé que « Stellantis soutient toute mesure susceptible de favoriser, d'accélérer la décarbonation du parc de véhicules existants. Aussi, les dispositifs de bonus écologique, de prime à la conversion et de leasing social ont toute leur place dans le panel des différentes aides à l'électrification automobile et doivent être maintenus ou renouvelés - car ils constituent un effet de soutien massif au développement des ventes de véhicules électriques en France. »
Pour la commission d'enquête, ces différents outils budgétaires et fiscaux doivent impérativement être mobilisés pour stimuler à la fois l'offre et la demande, en direction de la transition énergétique.
En plus d'être équitable socialement, la transition écologique doit être déployée de façon adaptée à la réalité des territoires. Il est donc essentiel d'accompagner les collectivités territoriales dans sa mise en oeuvre. À cet égard, la diminution en février dernier de 400 millions d'euros, sur un total de 2,5 milliards d'euros prévus en loi de finances des crédits du fonds vert, risque de retarder le déploiement de nombreux projets nécessaires à la transition écologique dans les territoires. Ce fonds est en effet destiné à soutenir les actions portées par les collectivités territoriales relatives à la performance environnementale, l'adaptation du territoire au changement climatique et l'amélioration du cadre de vie. Il constitue donc un outil précieux de territorialisation de la mise en oeuvre de la transition écologique. Il est donc indispensable que le Gouvernement revienne sur cette décision contraire à la volonté du Parlement. Toute réduction additionnelle de sa dotation aurait de surcroît des conséquences particulièrement néfastes.
Par ailleurs, la fiscalité des transports pourrait également être mobilisée afin de favoriser la décarbonation du secteur, qui représente 32 % des émissions de gaz à effet de serre françaises. Comme l'a souligné l'économiste Patrice Geoffron devant la commission d'enquête, « Si l'on regarde la trajectoire des émissions des transports, on s'aperçoit qu'il y a une espèce de faux plat montant depuis des décennies. Mais si nous parvenons à casser cette courbe, on importera, entre maintenant et 2030, 100 milliards d'euros de pétrole en moins, simplement pour la France ».
Même si l'objet de la commission d'enquête ne portait pas directement sur ces aspects il n'est pas inutile de rappeler qu'une fiscalité plus favorable pour les services de transport collectif de voyageurs ferroviaire, guidé et routier, serait opportune pour favoriser leur développement.
Une diminution de la TVA de 10 % à 5,5 % pour les services de transport collectif de voyageurs ferroviaire, guidé et routier, serait opportune pour favoriser leur développement.
Pour les trajets de longue distance, assurés majoritairement par les lignes à grande vitesse dans le cadre de services librement organisés, une telle baisse pourrait permettre, dans un contexte d'ouverture à la concurrence, de réduire le coût des billets.
En outre, les membres de la commission d'enquête rappellent que la baisse de la demande d'hydrocarbures dépend aussi du développement de l'offre de transports publics du quotidien afin de décarboner ce secteur. C'est d'ailleurs l'ambition du développement des services express régionaux métropolitains (Serm), dont le cadre législatif a été récemment fixé par la loi 2023-1269 du 27 décembre 2023 relative aux services express régionaux métropolitains.
Cependant, l'ensemble des projets de développement des transports collectifs du quotidien souffre de difficultés de financement. Le cas des Serm est à cet égard exemplaire : les moyens nécessaires aux investissements dans les nouvelles infrastructures, mais également pour assurer leur fonctionnement, n'ont pas encore été identifiés. Cette offre de transports est en effet portée par les autorités organisatrices de la mobilité, qui font face à une hausse rapide des dépenses sans avoir de nouveaux moyens pour y répondre. La diminution de la fiscalité sur les services de transports collectifs du quotidien pourrait leur donner des moyens supplémentaires pour résoudre cette crise de financements.
Enfin, certains modes de transports font face à des difficultés techniques particulières pour mener à bien leur trajectoire de décarbonation. C'est le cas du transport aérien -- qui reste la seule solution pour de nombreux déplacements -- et le transport maritime.
Le transport aérien représente environ 2,5 % des émissions de dioxyde de carbone mondiales. Il serait cependant responsable d'environ 5 % du réchauffement climatique. Cet écart s'explique notamment par le fait que les traînées blanches de condensation émises par les aéronefs sont source d'effet de serre.
Comme l'a rappelé le président-directeur général d'Airbus, Guillaume Faury, la décarbonation de l'aviation repose sur deux piliers industriels. Le premier est la sobriété énergétique des aéronefs. Pour Guillaume Faury, « L'intensité carbone des avions, donc les émissions ou la consommation par passager et par kilomètre parcouru, ont baissé de 80 % ; cela correspond à une réduction d'un facteur 5 entre les années 1960 et aujourd'hui et à une réduction de moitié entre 1992 et aujourd'hui. La consommation de carburant a donc fortement baissé : cela s'explique par le fait que les avions volent à haute altitude, où l'air est peu dense, et ont donc besoin de peu d'énergie pour voler. La consommation de carburant s'est donc très fortement améliorée, mais le potentiel d'amélioration reste important. » Les compagnies aériennes doivent donc être incitées à renouveler rapidement leurs flottes, ce qui pourrait passer par des dispositifs de suramortissement.
Néanmoins, la seule diminution de la consommation de carburant ne permet pas d'atteindre la neutralité carbone, et peut même coexister avec une augmentation des émissions globales du secteur aérien compte tenu de la hausse tendancielle du trafic.
C'est pourquoi un deuxième levier industriel doit être utilisé : celui des carburants moins émissifs en gaz à effet de serre -- les carburants d'aviation durable (CAD), qui pourraient être remplacés dans un second temps par l'hydrogène selon Guillaume Faury. Le règlement européen ReFuel EU Aviation prévoit ainsi une trajectoire d'incorporation croissante de CAD atteignant 70 % en 2050. Or, actuellement, les compagnies ne sont pas incitées à utiliser des CAD, qui sont beaucoup plus onéreux que les carburants classiques -- entre trois et cinq fois plus chers selon les principales estimations. Il pourrait donc être opportun de mettre en oeuvre un crédit d'impôt incitatif à l'achat de CAD pour les compagnies aériennes.
Le transport maritime fait également face à des défis techniques complexes pour assurer sa décarbonation. Ce secteur est responsable de 3 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales d'origine anthropique. Comme l'a rappelé Rodolphe Saadé, président-directeur général de CMA-CGM, dans une contribution écrite transmise à la commission d'enquête, « Le transport maritime est le moyen de transport le plus efficient en termes de consommation d'énergie et d'émissions de gaz à effet de serre à la tonne transportée par kilomètre, avec un facteur 20 par rapport au routier et 100 par rapport à l'aérien ». Le secteur devra cependant fournir des efforts importants de décarbonation en s'appuyant sur plusieurs leviers comme l'optimisation des opérations et l'usage de carburants bas-carbone. C'est ce levier qui est le plus important pour assurer la transition du secteur. Le règlement européen ReFuel EU Maritime fixe donc une trajectoire ambitieuse de réduction de l'intensité annuelle moyenne en GES de l'énergie utilisée à bord d'un navire d'ici 2050, qui devra alors avoir diminué de 80 %.
Selon Rodolphe Saadé, « les énergies alternatives identifiées disponibles à date pour le secteur maritime sont l'incorporation de biofuels dans les navires conventionnels, de gaz naturel liquéfié (GNL) et biométhane dans les navires propulsés au GNL et de biométhanol dans les navires propulsés au méthanol ». Cependant, l'usage de ces énergies, et notamment du GNL, ne permettra pas au secteur d'atteindre la neutralité carbone compte tenu des conflits à venir sur l'usage de la biomasse. Pour CMA-CGM, « À moyen et long terme, les carburants produits à partir d'électricité renouvelable ou bas carbone (e-fuels comme le e-méthane et le e-méthanol) seront nécessaires pour le passage à l'échelle, les ressources en biomasse étant par nature limitées ». Des investissements supplémentaires seront donc nécessaires, alors que l'usage de biométhane et de biométhanol représente déjà d'importants surcoûts, évalués à trois à cinq fois le prix des carburants traditionnels. La mise en place d'un crédit d'impôt pour soutenir l'achat de carburants maritimes durables et limiter l'écart de prix avec les carburants traditionnels pourrait donc être envisagée.
Recommandation n° 8 : Mobiliser les leviers budgétaires et fiscaux pour accompagner la transition énergétique : - en consolidant le « bilan carbone » appliqué à la sélection des projets d'électricité, de gaz et d'hydrogène renouvelables soutenus par appels d'offres ; - en prévoyant un soutien en Opex et en Capex aux projets industriels, notamment pour la production de biogaz, de biocarburants et d'e-carburants, vertueux s'agissant des conflits d'usages et de l'empreinte environnementale ; - en étendant la taxe incitative relative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans le transport (TIRUERT) aux secteurs (maritime) et technologies (carburants synthétiques durables) omis et en conférant à sa trajectoire d'évolution de la visibilité et de la stabilité sur plusieurs années ; - en maintenant et consolidant les aides à l'acquisition des véhicules propres (bonus automobile, prime à la conversion, leasing social), pour les particuliers comme pour les professionnels ; - en réexaminant l'arbitrage des financements de l'État en faveur de la transition énergétique ; - en favorisant davantage fiscalement les services de transport collectif de voyageurs ferroviaires, guidés et routiers à travers une diminution du taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui leur est applicable ; - en mettant en oeuvre des dispositifs de crédits d'impôt et de suramortissement en faveur de l'achat de carburants durables et d'investissements pour les aéronefs et navires les plus vertueux ; - en instituant des dispositifs de crédits d'impôts incitatifs à l'achat de carburants durables pour les avions et les navires. |
5. Consolider le rôle pionnier de la France dans la mise en oeuvre des objectifs européens de transition énergétique
Avec le paquet « d'Hiver », présenté le 30 novembre 2016, puis le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », présenté le 15 juillet 2021, les règlements et les directives de l'UE en matière d'énergie et de climat se sont succédé et superposés à une allure soutenue. Le Gouvernement n'a toujours pas transcrit en droit national ce dernier paquet, qui prévoit des objectifs en matière de réduction des émissions de GES, d'énergies renouvelables ou encore d'efficacité énergétique. La commission d'enquête estime que ces paquets doivent être à présent appliqués. L'enjeu est de donner aux entreprises, aux collectivités et aux citoyens la visibilité et la stabilité nécessaires pour réussir la transition énergétique à l'échelle de l'Union. Naturellement, les effets économiques et sociaux de ces paquets doivent être évalués pour permettre, le cas échéant, d'en compenser les surcoûts et d'en corriger les difficultés.
La réforme du système européen d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (SEQE-UE) pourrait conduire à une hausse des revenus issus de ce marché.
Or, la directive modifiant ce système, du 10 mai 2023308(*), prévoit la réutilisation des recettes issues de ce système, notamment pour soutenir les ménages à revenus faibles et moyens dans la transition (article 10§3 h bis de la directive du 13 octobre 2003309(*)). De plus, le règlement du 10 mai 2023310(*) prévoit l'institution d'un Fonds social pour le climat et de plans sociaux pour le climat (articles premier et 4). Le Gouvernement français doit saisir cette opportunité et présenter un plan social pour le climat ambitieux.
De plus, le Fonds social européen pour la transition juste, institué par le règlement du 24 juin 2021311(*), mériterait d'être renforcé pour mieux accompagner les salariés directement impactés par la transition écologique. La bataille pour le climat est devenue une guerre économique pour l'accès aux ressources comme pour l'émergence d'une économie verte et de nouveaux champions industriels. La Chine, à travers une planification offensive et souvent agressive, et les États-Unis, notamment à travers le programme IRA qui alloue à hauteur de 400 Mds$ de subventions publiques à la transition écologique, en sont aujourd'hui les principaux acteurs. L'Union européenne, historiquement pionnière sur le climat, ne peut laisser cette opportunité économique lui échapper plus longtemps. La commission d'enquête plaide pour que la France et l'Union se dotent d'une grande politique industrielle et d'outils pour soutenir les transitions et les relocalisations industrielles avec de l'investissement public européen et un Buy European Act ciblés sur les secteurs stratégiques de souveraineté.
Lors de son audition devant la commission d'enquête, Emmanuelle Wargon, présidente de la CRE, a insisté sur l'intérêt d'une action européenne en matière d'énergie, via le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » : « Comment pousser une transformation à la bonne vitesse, en apportant des solutions opérationnelles pratiques, simples et accessibles à nos concitoyens et comment le faire tous ensemble ? [...] La politique énergétique recouvre trois objectifs difficiles à concilier : la protection des consommateurs, c'est-à-dire l'accès à une énergie à un prix abordable - les énergies fossiles sont parfois moins chères que les énergies renouvelables - ; la transition écologique et énergétique ; la sécurité d'approvisionnement et la souveraineté, afin d'éviter une situation de difficultés telle qu'elle aboutirait à un manque ou un rationnement. [...] La France peut-elle opérer seule ? Il faut d'abord le faire à l'échelle européenne, au travers du Pacte vert pour l'Europe et du Paquet « Fit for 55 », en français « Ajustement à l'objectif 55 », pour maintenir une concurrence équitable entre les différents pays afin de ne pas pénaliser les pays qui font des efforts de décarbonation. La France cause 1 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES), l'Europe environ 10 %. Nous ne résoudrons donc pas la crise climatique seuls, mais il existe un potentiel effet d'entraînement sur les États-Unis, la Chine et l'Asie en général. »
Et pour réussir l'application du paquet « Ajustement 55 », deux préalables sont indispensables. D'une part, une neutralité technologique doit être garantie aux différentes énergies renouvelables dans les textes en cours. À titre d'illustration, le règlement « NZIA » doit intégrer les biocarburants, les e-carburants et l'hydroélectricité et les « PIIEC » ces énergies et le biogaz. D'autre part, les « PIIEC » existants en matière de batteries électriques et d'électrolyseurs d'hydrogène doivent être effectivement et rapidement appliqués.
La nécessité de mieux faire prévaloir la neutralité technologique dans les directives et règlements européens a été rappelée par le P-DG de CMA-CGM Rodolphe Saadé, dans sa contribution écrite transmise à la commission d'enquête : « Concernant la réglementation "Net Zero Industry Act", CMA-CGM accueille favorablement l'inclusion des carburants alternatifs durables (SAF) à destination des secteurs maritime et aérien dans les listes des technologies zéro-émission stratégiques. Le groupe soutient également le maintien du biogaz et du biométhane dans cette liste. »
Le besoin d'accélérer la mise en oeuvre des directives et règlements mais aussi des PIIEC a été relevé par le P-DG de Stellantis Carlos Tavares, dans sa contribution écrite transmise à la commission d'enquête : « Les dernières propositions européennes pour soutenir la compétitivité de l'industrie (NZIA, CRMA) vont dans le bon sens mais elles doivent être mises en place plus rapidement et éviter des lourdeurs administratives qui impactent la compétitivité, tout en s'appliquant sur une période temporelle cohérente de la phase de transition (visibilité sur plusieurs années) [...] Les projets importants d'intérêt européencommun (PIIEC) en matière d'électromobilité et d'hydrogène sont un important outil de soutien au développement des technologies de décarbonation pour l'automobile. [...] En revanche, force est de constater que ces dispositifs sont encore très fortement perfectibles : leur complexité administrative et leurs délais d'instruction trop longs pénalisent la rapidité de lancement de ces projets stratégiques. »
Lors de son audition devant la commission d'enquête, le P-DG de Stellantis Carlos Tavares avait d'ailleurs rappelé que le cadre européen avait contribué à accélérer la stratégie du groupe : « Ensuite, il est difficile de déterminer précisément la part des différents facteurs de notre évolution stratégique mais, tout d'abord, il est incontestable que l'interdiction de la vente des véhicules thermiques - qui a été annoncée bien à l'avance - est un facteur d'ordre premier. Je pense également que le niveau d'éducation et de prise de conscience moyen a nettement augmenté avec les publications scientifiques relatives au changement climatique et l'ensemble des COP qui se sont tenues au fil des années. »
Si la transition énergétique doit donc être promue, via l'application du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », il en va de même de la souveraineté énergétique, à travers le plan REPowerEU ; dans ce cadre, les sanctions européennes à l'égard de la Russie doivent être évaluées et, très certainement, consolidées. Le gaz russe représente encore 15 % des importations de gaz de l'Union, soit sous forme de GNL (6,1 %) soit par le biais de gazoducs (8,7 %). Or les importations européennes d'hydrocarbures russes ont, de fait, pour conséquences de financer l'effort de guerre de la Russie.
Aussi la commission d'enquête plaide-t-elle pour inclure le GNL russe dans le champ des produits sous sanctions européennes, aux côtés des autres déjà inclus (stockage de gaz, pétrole brut, gaz de pétrole liquéfié, produits pétroliers, charbon). De plus, au regard de la situation de l'Ukraine, et du soutien sans réserve que la France s'est engagée à lui apporter, et dans la mesure où notre pays joue un rôle géopolitique de premier plan, la commission d'enquête appelle à ce que la France arrête les importations de GNL russe dès que possible.
À l'occasion de son audition devant la commission d'enquête, Patrick Pouyanné, P-DG de TotalEnergies, a mis en garde contre les effets inflationnistes d'une sortie du GNL russe avant 2027 : « Nous sommes en train de construire des capacités supplémentaires aux États-Unis et au Qatar. Mais, d'ici à 2027, si nous bannissons le GNL russe, les prix du gaz repartiront à la hausse. Si les autorités politiques prennent cette décision, nous exercerons sans état d'âme la clause de force majeure prévue au contrat et cesserons les importations de GNL. Dans l'intervalle, je ne peux pas le faire, car nous sommes liés à la Russie par un contrat Take or pay : tant qu'à les payer, je préfère avoir en échange le gaz dont l'Europe a besoin... ».
Recommandation n°9 : Consolider le cadre européen en faveur de la transition et de la souveraineté énergétiques : - en appliquant le paquet « Ajustement 55 », et en évaluant ses effets ; - en garantissant une neutralité technologique aux énergies renouvelables dans les différents textes européens, notamment les biocarburants, les e-carburants, le biogaz et l'hydroélectricité ; - en accélérant la mise en oeuvre des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), notamment pour les batteries électriques et les électrolyseurs d'hydrogène ; - en imposant 30 % de panneaux photovoltaïques fabriqués dans l'un des pays membres de l'Union européenne, pour les projets de plus de 3 mégawatts-crêtes (MWc). |
Recommandation n° 10 : Hisser la France en position de pionnier par rapport aux autres pays européens :
- en proposant l'inclusion du GNL russe aux produits énergétiques sous sanctions européennes ;
- en donnant l'exemple par l'arrêt dès que possible des importations de GNL russe en France.
La sortie de la dépendance au gaz russe ne doit pas avoir pour effet d'importer davantage de gaz en provenance d'États tout aussi peu respectueux du droit international.
Dans cette perspective et afin d'inciter en particulier l'Azerbaïdjan à rechercher des solutions pacifiques au règlement de ses différends avec l'Arménie, la commission d'enquête recommande au Gouvernement de dissuader tout nouvel investissement d'entreprises françaises dans le secteur des hydrocarbures en Azerbaïdjan tant que la situation dans le Sud Caucase n'aura pas été pacifiée. La commission d'enquête recommande ainsi à TotalEnergies de surseoir à la mise en oeuvre de la seconde phase du projet d'Absheron tant que les conditions ne seront pas réunies pour que ce projet ne participe pas, même indirectement, à encourager de nouvelles actions de déstabilisation régionale.
Recommandation n°11 : Favoriser la recherche d'une solution pacifique aux différends dans le Sud Caucase en demandant l'arrêt des nouveaux projets ou de nouvelles phases de projets en cours impliquant des entreprises françaises dans le secteur des hydrocarbures en Azerbaïdjan.
6. Consolider le cadre international de la transition énergétique
Compte tenu du principe de responsabilité commune, mais différenciée des pays dans le réchauffement climatique, les pays développés parties de la CCNUCC se sont engagés à fournir des ressources financières pour aider les pays en développement en matière d'atténuation et d'adaptation. Les pays développés ont ainsi pour objectif depuis 2020 de mobiliser 100 milliards de dollars par an -- y compris via des financements privés -- pour accompagner les pays en développement dans leur transition. Cet objectif devrait être atteint avec trois ans de retard en 2023 selon l' OCDE. Un Fonds vert pour le climat a ainsi été créé. Ila déjà engagé 12,8 milliards de dollars pour soutenir des projets d'atténuation et d'adaptation au changement climatique.
À l'occasion de la COP28 à Dubaï, un accord a été trouvé pour concrétiser la mise en oeuvre d'un autre fonds visant à compenser les pertes et dommages causés par le réchauffement climatique. Pour le politiste et membre du Giec François Gemenne, « ce fonds doit être regardé comme la pierre angulaire de ce qu'on appelle la justice climatique : les pays du Sud réclament depuis au moins vingt-cinq ans la prise en compte de cette question et l'indemnisation des pertes et dommages qu'ils subissent déjà en raison du changement climatique. Voilà qui favorisera une forme de concorde vers un objectif commun, y compris sur les questions de transition ».
Toutefois, comme l'a souligné l'économiste Patrice Geoffron devant la commission d'enquête : « Nous avons beaucoup de difficultés à assumer nos responsabilités historiques. Le timide Fonds pertes et dommages va dans la bonne direction, c'est une avancée de l'Accord de Paris, mais les ordres de grandeur sont sans rapport avec les dégâts macroéconomiques. » La France a versé la plus grande contribution à ce fonds, d'un montant de 100 millions d'euros. Le montant total versé par l'ensemble des contributeurs ne dépasse cependant pas 800 millions de dollars pour des besoins estimés à plusieurs centaines de milliards.
Afin de compenser les dommages causés par le réchauffement climatique dans les pays les plus vulnérables, de soutenir leurs efforts d'adaptation et d'atténuation, il est indispensable que la France propose aux autres États parties de rehausser leur soutien à ces fonds. La transition énergétique des pays en développement ne pourra en effet pas se faire sans un soutien massif des pays développés.
Une fraction des recettes issues du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) déployé à l'échelle de l'Union européenne pourrait ainsi être affectée à la transition énergétique des pays en développement.
La commission d'enquête estime qu'il pourrait être opportun que ce fonds pertes et dommages soit financé selon le principe du « pollueur--payeur ». Il pourrait être ainsi envisagé de mettre en place à l'échelle internationale une contribution versée par les entreprises du secteur pétrolier et gazier définie dans le cadre d'un accord au sein de l'OCDE afin d'éviter les distorsions de concurrence entre les acteurs.
Il est en particulier indispensable de faciliter le développement de projets de production d'énergies renouvelables dans les pays en développement, compte tenu de leurs besoins croissants et de la nécessité de diminuer rapidement la production d'électricité à partir de charbon. François Gemenne a indiqué devant la commission d'enquête que : « l'immense majorité de ces investissements reste concentrée dans les pays industrialisés et en Chine ; quant aux investissements dans la décarbonation des systèmes énergétiques dans les pays du Sud, ils restent absolument insuffisants. Pour vous donner une idée du gouffre qu'il nous reste à franchir, la puissance totale installée en énergie solaire sur le continent africain reste pour l'instant inférieure à la puissance totale du solaire en France qui est pourtant loin d'être championne du monde du déploiement des énergies renouvelables, au point d'être mise à l'amende par la Commission européenne pour ses retards. Il y a donc un énorme besoin d'investissements dans la décarbonation du mix énergétique des pays du Sud. Or ils ne se font pas, car les investisseurs sont trop frileux : il s'agit d'investissements plus risqués en raison de l'instabilité du contexte économique et politique. À ce déficit d'investissements s'ajoutent les subsides qui continuent à être versés chaque année aux énergies fossiles ». Son analyse est partagée par Rémi Rioux, le directeur général de l'Agence française de développement (AFD), qui a souligné que « les besoins en matière d'énergie renouvelable sont tellement gigantesques que nous pouvons employer sans grande difficulté » les fonds de l'AFD dans ce secteur. Il convient donc de veiller à ce qu'une proportion suffisante des moyens de l'AFD serve à soutenir le financement des énergies renouvelables dans les pays en développement, en particulier l'installation de réseaux électriques.
Par ailleurs, certains secteurs internationaux ne peuvent être décarbonés qu'en instaurant des règles communes et un véritable level playing field entre les acteurs. C'est en particulier le cas du transport aérien et du transport maritime. Compte tenu des efforts de décarbonation menés par CMA-CGM, Rodolphe Saadé a en effet souligné devant la commission d'enquête pâtir « de l'absence de règles équitables pour tous. Dans la course à la décarbonation, il n'existe pas d'incitation à faire partie des pionniers. Par conséquent, CMA-CGM s'expose au risque de perdre un avantage compétitif vis-à-vis de ses concurrents qui ne font pas les mêmes efforts ».
Il pourrait donc être opportun que l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) et l'Organisation maritime internationale (OMI) puissent définir de telles règles.
L'OACI, en particulier, a déjà fixé une trajectoire de décarbonation qui prévoit l'atteinte de la neutralité carbone du secteur aérien en 2050312(*). Il serait souhaitable que l'organisation détermine des règles communes permettant l'atteinte de ce résultat avec des étapes intermédiaires garantissant le sérieux de la trajectoire. La définition d'une trajectoire mondiale d'incorporation de CAD pour les vols internationaux, sur le modèle du dispositif mis en oeuvre par le règlement ReFuel EU Aviation, jetterait les bases d'une trajectoire commune à l'ensemble des acteurs du secteur. La commission d'enquête recommande donc que la France soutienne une telle position au sein de l'OACI. L'organisation a déjà fixé des normes relatives à la certification des CAD, qui pourraient être utilisées par l'ensemble des États afin de veiller au respect de cette trajectoire. Celle-ci pourrait être différenciée entre les États, notamment en fonction de leur niveau de développement.
L'OMI, dans la continuité de son action en faveur de la décarbonation du secteur, pourrait également définir des règles du jeu équitables entre les acteurs. Elle pourrait notamment définir les technologies utilisables par les entreprises du transport maritime dans le cadre de leur décarbonation afin que les acteurs puissent définir des feuilles de route précises, et ainsi avoir « plus de clarté s'agissant des énergies qu'il convient de choisir pour continuer à avancer », comme l'a souligné Rodolphe Saadé.
Recommandation n° 12 : Consolider le cadre international de la transition énergétique :
- en abondant les fonds mis en oeuvre dans le cadre de la CCNUCC à destination des pays en développement, notamment au travers de l'affectation d'une fraction des recettes du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières (MACF) ;
- en étudiant la possibilité de mettre en oeuvre à travers l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) une contribution versée par les entreprises du secteur des énergies fossiles afin d'abonder le fonds pertes et dommages ;
- en facilitant le développement des projets d'énergies renouvelables dans les pays en développement en mobilisant davantage les moyens de l'Agence française de développement (AFD) à cet effet ;
- en instituant des règles communes à l'ensemble des acteurs du transport aérien et maritime international définies au sein de l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) et de l'Organisation maritime internationale (OMI).
7. Inciter les secteurs bancaire et assurantiel à financer la transition énergétique
a) Favoriser l'accès au financement des acteurs de la transition énergétique
Dans le secteur de la banque et de l'assurance, la commission d'enquête a constaté qu'une réorientation des financements liés aux énergies fossiles vers des énergies bas-carbone est à l'oeuvre.
Crédit Agricole313(*), Axa314(*) et BNP Paribas315(*), auditionnés par la commission d'enquête, se sont tous trois engagés à aligner leurs activités sur une trajectoire de neutralité carbone d'ici 2050.
Ces entreprises ont développé des stratégies d'exclusion sectorielles afin de se désengager d'activités liées aux énergies fossiles.
D'abord, des engagements en ce qui concerne le charbon ont été pris à partir de 2015, voire 2010.
Laurence Pessez, directrice de la responsabilité sociale et environnementale de BNP Paribas a indiqué à la commission d'enquête qu'« une première politique a été définie en 2010, puis progressivement durcie. [...] Finalement, en 2020, nous avons décidé d'arrêter complètement de financer la chaîne de valeur du charbon, à l'horizon 2030 en Europe et dans les pays de l'OCDE, et à l'horizon 2040 dans le reste du monde. »
De même, Philippe Brassac, directeur général du Crédit Agricole, a précisé : « Nous avons probablement été l'une des premières banques au monde à annoncer, par ma voix, lors de la COP21, sa sortie progressive des financements du charbon. Depuis, ces derniers ont totalement pris fin. Aujourd'hui, une telle mesure paraît banale, mais en 2015 nous avons été les premiers à aller dans cette voie. »
Pour ses activités d'assurance mais aussi d'investissements, AXA a pris des engagements similaires. Selon Thomas Buberl, directeur général d'AXA, « En 2015, lors de la COP21, à Paris, nous avons été le premier investisseur institutionnel à s'engager à sortir du charbon. » En 2019, le groupe a annoncé sa sortie totale du charbon d'ici à 2030 pour les pays de l'OCDE et d'ici à 2040 pour les autres pays316(*).
En ce qui concerne le pétrole et le gaz, les premières exclusions ont ciblé les hydrocarbures non-conventionnels.
Pour BNP Paribas, Laurence Pessez a indiqué à la commission d'enquête : « Notre première politique de financement et d'investissement pour le secteur du pétrole et du gaz a été publiée en 2017 et était centrée sur les acteurs dont le modèle d'affaires était tourné vers l'exploration et la production de ces énergies fossiles. Dans la mesure où ils n'avaient pas la possibilité de se diversifier et que la production de ce type d'énergies est totalement incompatible avec l'objectif de maintien du réchauffement climatique en deçà de la limite fixée par l'accord de Paris, nous avons, là encore, décidé de cesser de financer ces acteurs, ainsi que les infrastructures de transport - pipelines ou terminaux d'exportation de gaz naturel liquéfié - alimentées par un important volume de pétrole ou de gaz non conventionnels. En 2017, BNP Paribas était la première des trente-cinq plus grandes banques internationales à prendre une telle décision ; nous étions donc des pionniers. [...] Cette politique de financement et d'investissement ayant trait aux pétroles et gaz non conventionnels, à l'origine centrée sur les entreprises spécialistes qui ne pouvaient pas se diversifier, s'est étendue, en 2020 et en 2022, aux acteurs diversifiés comme les majors, dont une partie de la production provient de sources non conventionnelles, et aux acteurs présents dans les régions sensibles, pour ce qui concerne le climat, la biodiversité et les droits humains, que sont l'Arctique et l'Amazonie. »
De même, en décembre 2021, Crédit Agricole a annoncé sa sortie des hydrocarbures non-conventionnels à compter de janvier 2022317(*).
En tant qu'assureur, AXA exclut également les polices liées à des projets d'hydrocarbures non-conventionnels. Thomas Buberl a indiqué : « En matière d'assurance, la plupart du temps, nous avons la possibilité de choisir les projets. Nous n'en acceptons aucun relatif au gaz ou pétrole de schiste. Si la police porte sur l'entreprise dans son ensemble, ce qui est assez rare, nous avons un seuil qui détermine si cette dernière tire une trop grande part de ses revenus de telles sources d'énergie, ce qui nous conduira à un refus. »
En tant qu'investisseur, AXA différencie les entreprises selon la part de leur activité dédiée aux hydrocarbures non-conventionnels. Alban de Mailly Nesle a différencié les financements directs aux entreprises, dont sont exclues les sociétés qui tirent leurs revenus à plus de 5 % des sables bitumineux ou à plus de 30 % du gaz de schiste, des financements directs de projets. Pour ces derniers, il a précisé : « nous ne participons à aucun projet qui porte sur du gaz de schiste ou, plus généralement, sur du pétrole ; nous choisissons ceux qui sont en lien avec du renouvelable. »
En ce qui concerne les hydrocarbures conventionnels, les politiques d'exclusion des banques distinguent les financements affectés à un projet spécifique (financements « projets ») des financements octroyés à une entreprise (financements « corporate »).
Ainsi, BNP Paribas a annoncé, en janvier et en mai 2023, diverses mesures de désengagement du financement de la production d'hydrocarbures, que Yannick Jung a explicité dans les termes suivants devant la commission d'enquête : « La première mesure est l'arrêt de tous les financements consacrés au développement de nouveaux champs, pour le gaz comme le pétrole, et ce quelles que soient les modalités de financement. La deuxième mesure se concentre sur l'arrêt complet du financement des sociétés spécialisées dans l'exploration et la production de pétrole, qui ont été présentées comme indépendantes lors de certaines de vos auditions passées. La troisième mesure est la réduction graduelle des parts de crédits généralistes destinés aux grands énergéticiens intégrés, aussi appelés "majors", qui sont attribuables à l'exploration et à la production d'hydrocarbures. »
De même, en 2023, Crédit Agricole a pris la décision de concentrer ses financements « projets » sur les seuls projets d'énergie renouvelable et bas-carbone. Ainsi, Crédit Agricole ne finance plus de nouveaux projets d'extraction de pétrole318(*). Néanmoins, Philippe Brassac a souligné : « nous n'excluons aucun projet d'ENR ; nous n'écartons donc pas les projets des énergéticiens, ce qui nous vaut diverses critiques. Certains estiment en effet qu'en finançant de tels chantiers l'on permet aux énergéticiens de financer leurs autres activités ; c'est probable. Mais notre politique, menée de manière transparente, est de ne passer à côté d'aucun projet de financement d'énergies renouvelables. »
En ce qui concerne les financements « corporate » non affectés, Crédit Agricole - comme BNP Paribas - ne finance plus les « indépendants spécialisés » : « nous assumons, nonobstant les critiques, de décider en fonction des plans de transition et notamment de leur crédibilité. Nous avons ainsi rompu radicalement avec les indépendants spécialisés, qui ne font que de l'oil and gas et n'ont tout simplement pas de plan de transition. Le groupe Crédit Agricole n'a plus aucune action, ni en projet ni en corporate, avec ces acteurs-là. »
En tant qu'investisseur, Axa exclut les entreprises pétrolières et gazières de ses investissements, à l'exception des groupes les plus actifs pour adapter leurs modèles d'affaires aux impératifs de la transition énergétique (les « active transition players »). Thomas Buberl a ainsi mentionné : « Nous n'investissons désormais plus que dans quelques entreprises les plus ambitieuses en termes de transition énergétique, soit environ 10 % des entreprises de l'industrie des énergies fossiles. » Les mêmes exclusions sont applicables aux souscriptions d'assurance de nouveaux projets d'exploration et de développement pétroliers à compter de 2024 et gaziers à compter de 2025.
Les acteurs auditionnés ont également souligné que le financement bancaire ne recouvre pas l'intégralité des financements des entreprises. Philippe Brassac a ainsi noté : « Rappelons que le bilan des banques ne recouvre qu'une partie des financements des projets puisque les marchés obligataires peuvent subvenir aussi à ceux-ci. » Les banques intervenant dans la structuration d'émissions obligataires ont pu prendre des engagements afin de favoriser les obligations fléchées vers le financement de certains projets.
Pour le Crédit Agricole, Philippe Brassac a ainsi précisé : « Je préfère rappeler que notre politique de financement est très claire : nous ne ciblons que les obligations traçables vers des projets d'énergies renouvelables. »
De la même manière, BNP Paribas cible les obligations vertes et n'accompagne plus les entreprises dans leurs émissions d'obligations conventionnelles, même si Jean-Laurent Bonnafé a nuancé : « Pour le moment, il n'est pas dans la pratique de ces entreprises de se consacrer aux émissions obligataires vertes, dont la seule finalité est de financer un tel secteur ; elles se limitent aux obligations conventionnelles pour que leur approche reste équivalente à celle des grands compétiteurs nord-américains. Pour notre part, nous nous en sommes retirés, parce que certains affirmaient que de telles obligations, générales par nature, étaient susceptibles de financer tout et son contraire. En réalité, l'analyse des cash flows laisse penser que, à cet instant du cycle, cette remarque n'est pas tout à fait exacte ; néanmoins, nous avons indiqué à l'ensemble de nos clients que, selon nous, il convenait de financer le bas-carbone au travers d'obligations vertes. Ainsi, quand les entreprises peuvent le faire, elles le font et, si elles ne le font pas, pour des raisons qui leur sont propres et qui peuvent être variées, nous ne les accompagnons pas. »
Les alliances sectorielles pour l'objectif Net Zero en 2050
La Net Zero Banking Alliance est une initiative lancée en avril 2021 dans le cadre du programmes nations unies pour l'environnement. Elle rassemble 144 banques issues de 44 pays, engagées pour atteindre l'objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre en 2050. Ces banques représentent un volume d'actifs 41 % des actifs bancaires mondiaux319(*).
La Net Zero Asset Owner Alliance, lancée en 2019 sous l'égide des Nations unies, est une initiative analogue d'investisseurs institutionnels.
La Net Zero Insurance Alliance, instance-miroir pour l'assurance, était présidée jusqu'à l'été 2023 par AXA. Thomas Buberl a résumé : « Le travail que nous avons mené au sein de celle-ci a permis d'adapter les méthodologies de mesure et le pilotage de la décarbonation des activités de souscription. »
Ces initiatives ont défini un cadre commun de fixation des objectifs de décarbonation des portefeuilles d'investissements et des financements pour différents secteurs comme la production d'électricité, l'automobile, l'acier, l'aluminium, le ciment, le transport maritime, le transport aérien, l'immobilier commercial et résidentiel ainsi que l'agriculture.
Outre l'exclusion des actifs « bruns », les acteurs auditionnés ont insisté sur la nécessaire montée en puissance du financement des actifs « verts ».
Ainsi, Philippe Brassac, directeur général du Crédit Agricole, a-t-il indiqué à la commission d'enquête : « on ne doit pas confondre "verdir son bilan" et "verdir l'économie". Ces deux objectifs ne sont pas incompatibles, mais ils sont bel et bien distincts. Verdir son bilan bancaire, c'est relativement simple : il suffit pour cela de pratiquer des exclusions immédiates. Pour un groupe comme le nôtre, ce serait peu coûteux. [...] Verdir l'économie, c'est autre chose, même si les deux actions sont complémentaires. C'est prendre des risques très importants en volume, et de plus en plus grands, vers les énergies renouvelables. [...] C'est aussi accompagner les transitions de tous les acteurs qui souhaitent évoluer en ce sens, qu'il s'agisse des entreprises ou des ménages. C'est investir dans les EnR et les énergies bas carbone pour accompagner la transition de nos sociétés, notamment la société française, sans créer de laissés-pour-compte. »
Il a souligné la part importante de financements du Crédit Agricole liés à la production d'énergies bas-carbone : « Nous portons dans nos bilans 13,1 milliards d'encours sur les actifs dédiés à la production d'énergies renouvelables ou bas-carbone. Le chiffre est peu connu, mais, dans nos propres bilans, ces encours sont désormais supérieurs à ceux des actifs productifs du secteur de l'oil and gas, qui s'élèvent, eux, à 10,4 milliards d'euros. »
De même, Yannick Jung a décrit en ces termes la stratégie de BNP Paribas : « Elle est construite autour de deux grands axes. Le premier, c'est le désengagement progressif du financement de la production d'énergies fossiles, entamé depuis maintenant dix ans, qui entre en phase d'accélération [...]. Le deuxième, c'est la réallocation massive de nos moyens financiers et humains vers le soutien aux énergies bas-carbone. Nous nous sommes fixé une cible de 40 milliards d'euros de financements en place d'ici à la fin de l'année 2030 [...]. »
Il a détaillé cet objectif à horizon 2030 : « Notre plan de marche doit nous permettre de ramener le poids du stock résiduel de financements des énergies fossiles à moins de 20 % d'ici à la fin de l'année 2028 et à moins de 10 % d'ici à 2030 avec, en face, 90 % du stock de financement consacré aux énergies bas-carbone. En d'autres termes, en 2030, nous aurons un rapport exactement inverse de celui de 2012 : 90 % de vert, pour 10 % de brun. » Il a également précisé que la part de financements dirigés vers la production d'énergies bas-carbone était, en septembre 2022, de 54 % et en septembre 2023, de deux tiers contre seulement un tiers vers les énergies fossiles.
Enfin, Thomas Buberl a rappelé les objectifs d'AXA fixés en 2015 et rehaussés par la suite : « En 2015, nous nous sommes également fixé notre premier objectif d'investissement vert, à hauteur de 3 milliards d'euros. Aujourd'hui, après huit ans, ce montant a été multiplié par dix, puisqu'il atteint 30 milliards d'euros. Ces investissements verts s'inscrivent dans un cadre interne très strict qui s'appuie sur des labels externes, des certifications et des normes environnementales. » Cet objectif a été rehaussé : en 2023, AXA s'est engagé à réduire l'intensité carbone de ses investissements au sein de l'actif général de 50 % entre 2019 et 2030320(*), conformément au protocole et au définis par la Net-Zero Asset Owner Alliance.
Néanmoins, ils ont souligné que les financements liés aux énergies fossiles restent souvent moins risqués et plus rentables que les financements « verts ».
Ainsi Philippe Brassac, directeur général du Crédit Agricole, a indiqué à la commission d'enquête321(*) : « Sur le plan prudentiel, des mécanismes devraient être mis en place pour que les risques pondérés par les superviseurs puissent favoriser un green supporting, c'est à dire favoriser des financements verts plutôt que punir les financements bruns. De tels mécanismes n'existent pas de facto. Pour les superviseurs, qui regardent les risques, les financements verts sont plus risqués que les financements bruns. Certes ils sont un poison pour la planète, mais ils sont moins risqués que les investissements verts. C'est pourquoi je dis que, aujourd'hui, être un acteur de la transition écologique, c'est prendre des risques en investissant dans les énergies renouvelables et dans des technologies qui sont moins matures et donc plus risquées. Selon nous, il serait bien que les autorités favorisent les financements verts, soit par des taux bonifiés, soit par des risques pondérés. »
Dans cette logique, dans une tribune au journal Le Monde fin 2023322(*), le Président de la République a prôné une réforme de la gouvernance financière mondiale dans le cadre d'un « Pacte mondial pour le climat » défendant notamment l'instauration de taux d'intérêt différenciés selon l'intensité carbone des actifs financés.
Il a justifié sa proposition en ces termes :
« Le coût de l'investissement doit être à l'avenir plus élevé pour un acteur qui s'engage dans le secteur fossile. Nous avons besoin d'un taux d'intérêt vert et d'un taux d'intérêt brun. Cela vaut aussi pour le commerce : nous avons besoin d'une clause climatique dans nos accords commerciaux, car nous ne pouvons pas à la fois imposer le verdissement à nos industries et libéraliser les échanges de produits polluants à l'international. »
Cette proposition de taux d'intérêt différenciés ne pourrait être mise en oeuvre qu'au niveau européen, via la Banque centrale européenne. La différenciation des taux pourrait également permettre d'inciter les acteurs financiers à se tourner davantage vers les énergies renouvelables, intensives en capital et donc pénalisées par la remontée des taux d'intérêt.
Ce rôle important des acteurs financiers a notamment été souligné par la Cour des comptes dans son rapport public annuel pour 2024323(*). Dans une partie dédiée au rôle des institutions financières et bancaires dans l'adaptation de l'économie au changement climatique, elle note que : « les acteurs financiers sont désormais soumis à un encadrement règlementaire fondé sur des exigences de transparence, qui les incite à financer, accompagner et investir dans des projets favorables à la transition écologique et à l'adaptation - et, a contrario, à exclure à terme les secteurs qui y sont défavorables. Une approche prudentielle, poursuivant les mêmes objectifs, est mise en oeuvre en parallèle, à la demande de la Banque centrale européenne et des superviseurs nationaux », tout en alertant sur le fait que « ce cadre d'action est en cours d'appropriation par les acteurs : toutes les conditions d'application n'en sont pas encore définies et les risques « d'écoblanchiment » demeurent élevés ».
De même, la Cour alerte sur le « foisonnement d'engagements hétérogènes, de produits financiers non concordants pour des appellations similaires et l'absence de critères de suivi uniformisés, y compris au sein du pôle financier public ». Elle précise que : « les données disponibles tendent à montrer que la (ré)allocation des flux financiers vers la transition de l'économie est d'ampleur très limitée, le premier critère d'allocation des flux demeurant la rentabilité financière, et non l'impact environnemental ».
La Cour identifie trois leviers d'action pour accentuer le financement de la transition et de l'adaptation : « une définition et un contrôle plus rigoureux de l'impact environnemental des produits financiers auto-proclamés "verts", l'amélioration de la rentabilité des projets de transition et d'adaptation - en agissant sur la règlementation et sur les curseurs économiques et financiers sous-jacents à ces projets - et, enfin, l'intégration des enjeux de financement dans la gouvernance et le pilotage des politiques publique de l'adaptation. ».
Recommandation n° 13 : Impliquer davantage la finance dans la transition énergétique :
- en incitant les acteurs financiers à poursuivre les efforts déjà engagés pour réorienter les financements liés aux énergies fossiles vers les énergies bas-carbone ;
- en poursuivant, en lien avec la taxonomie verte, la réflexion au niveau européen sur la mise en oeuvre de taux d'intérêt différenciés selon l'intensité carbone des actifs financés afin de favoriser l'accès au financement des projets en faveur de la transition énergétique ;
- en favorisant la prise en compte des actifs échoués dans les obligations de reporting extra financier et les exigences prudentielles des banques européennes ;
- en développant un éco label européen pour les produits financiers, pour donner un cadre européen clair définissant les investissements responsables et harmoniser les pratiques.
b) Renforcer le soutien public à la décarbonation de l'industrie au niveau européen
La commission d'enquête a mis en exergue le coût important de la transition énergétique pour les acteurs économiques et les risques de perte de compétitivité liés à une réglementation asymétrique en matière de lutte contre le changement climatique.
Elle estime nécessaire la mobilisation d'aides publiques ciblées en faveur de la décarbonation, notamment de l'industrie, où la décarbonation mobilise d'importants coûts en capitaux. Elle salue par exemple, comme mentionné par Louis Gallois devant la commission d'enquête, le soutien de l'État apporté à Arcelor Mittal dans le cadre de la décarbonation de la production d'acier via la réduction directe du minerai de fer grâce à l'hydrogène.
Aujourd'hui, le soutien à l'industrie dans l'Union européenne passe majoritairement par l'assouplissement du régime des aides d'État : un dispositif bienvenu, mais qui laisse aux États-membres le soin de financer et d'attribuer des aides, entraînant des effets d'asymétrie liés à un recours contrasté à ces aides selon les États membres324(*).
Aux États-Unis, à l'inverse, l'Inflation Reduction Act mobilise 415 milliards de dollars d'aides publiques en soutien aux entreprises engagées dans des projets de décarbonation. Répliqué au niveau européen, un tel dispositif permettrait de limiter les asymétries entre États-membres. Auditionné devant la commission d'enquête, Louis Gallois a rappelé la capacité d'emprunt propre considérable des états-membres de l'Union européenne, qui bénéficient d'une notation favorable, qui pourrait être mobilisée au service d'un « IRA européen » comme elle a été mobilisée dans le cadre du plan NextGeneration EU à la suite de la crise sanitaire.
Recommandation n° 14 : Renforcer l'industrie européenne :
- en mobilisant la capacité d'emprunt européen en adoptant un Inflation Reduction Act européen, en faveur de la décarbonation de l'industrie ;
- en mettant en place un Buy European Act qui favorise les industries européennes dans les secteurs stratégiques.
c) Étendre l'initiative française d'exclusion des énergies fossiles des garanties publiques à l'exportation
Depuis 2021, la coalition internationale « export finance for future » (E3F) a pour objectif d'orienter les financements exports vers des projets soutenables et cohérents avec les objectifs climatiques de l'Accord de Paris. Cette coalition compte aujourd'hui 10 pays : France, Allemagne, Danemark, Espagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Belgique, Finlande et Italie.
Les pays de l'OCDE sont quant à eux régis, pour leurs garanties publiques aux crédits à l'exportation, par l'Arrangement de 1978 sur les crédits à l'exportation bénéficiant d'un soutien public. La réforme de l'Arrangement de l'OCDE entérinée à l'été 2023 a déjà conduit à l'interdiction du financement des centrales thermiques à charbon - mesure adoptée par la France dès 2015 - qui ne sont pas dotées d'une technologie de capture du carbone. Selon Bpifrance, concernant la restriction du soutien aux énergies fossiles, la France soutient pleinement une réforme de l'Arrangement OCDE pour élargir le champ d'interdiction, qui porte à ce jour uniquement sur les centrales à charbon.
La commission d'enquête estime que seule une action coordonnée des états-membres de l'Union européenne permettra d'approfondir les engagements pris en matière d'exclusion des énergies fossiles des mécanismes de garanties publiques à l'exportation sans pénaliser les entreprises françaises. En effet, plusieurs dizaines de PME325(*) ont dû adapter leurs modèles d'affaires en 2023 compte tenu de l'arrêt soudain des garanties publiques à l'exportation après l'accélération du calendrier prévu en 2021, alors même que leurs concurrentes européennes n'y étaient pas confrontées. Le directeur général de Bpifrance a indiqué à la commission d'enquête que « la petite centaine de PME industrielles de la chaîne de sous-traitance ne peut plus se couvrir avec l'assurance-crédit française, lorsqu'elle participe à des projets à l'export. Soit ces entreprises se réorientent vers d'autres activités, soit elles sollicitent de l'assurance-crédit italienne, britannique ou allemande ; mais l'activité de ces agences étrangères obéit à des règles de parts nationales : elles n'acceptent de couvrir un projet qu'en contrepartie de l'installation dans leur pays d'un petit atelier de production, par exemple... ».
Recommandation n° 15 : Intensifier l'action au sein de la coalition Export Finance for Future (E3F) pour aligner le cadre juridique des garanties publiques à l'exportation des autres pays membres sur celui de la France en vue d'une révision de l'Arrangement OCDE pour élargir le champ de l'interdiction des garanties publiques à l'exportation qui concerne aujourd'hui uniquement les centrales à charbon.
* 291 Loi n° 2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat.
* 292 Le courrier du Haut conseil pour le climat (HCC) est consultable ici.
* 293 Réseau de transport d'électricité (RTE), Bilan prévisionnel. Principaux Résultats, Edition 2023, 2023.
* 294 Communications de la Commission européenne du 8 mars 2022, « REPowerEU : Action européenne conjointe pour une énergie plus abordable, plus sûre et plus durable », COM (2022) 108 final, puis du 18 mai 2022, « Plan REPowerEU », COM (2022) 230 final.
* 295 Rapport n° 811 (2022-2023), fait au nom de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique, tome I - Rapport, enregistré le 29 juin 2023, p. 17.
* 296 Le rapport du Haut conseil pour le climat (HCC) est consultable ici.
* 297 Loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables.
* 298 Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, sur l'action du Gouvernement en faveur du photovoltaïque, à Manosque le 5 avril 2024, consultable ici.
* 299 Loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l'exploration et l'exploitation des mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique.
* 300 Loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement.
* 301 Loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
* 302 Discours du Président de la République à l'occasion de la session plénière de la COP 28 de Dubaï, consultable ici.
* 303 Audition du lundi 29 janvier 2024.
* 304 Publication de Carbone4 d'octobre 2021 intitulée Importations de gaz naturel, Tous les crus ne se valent pas.
* 305 Rapport de l'Institute for Energy Economics and Financial Analysis, octobre 2023, p.13 : « Les volumes de gaz et de GNL importés ont atteint un niveau de 635 TWh/an pour 2022. En 2022, les importations par canalisations ont diminué de moitié pour atteindre 266 TWh/an ».
* 306 Ibid.
* 307 Une taxe incitative relative à la réduction de l'intensité d'émission de gaz à effet de serre dans les transports (article 266 sexdecies du code des douanes) a été introduite, notamment pour le biogaz, par la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
* 308 Directive (UE) 2023/959 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 modifiant la directive 2003/87/CE établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans l'Union et la décision (UE) 2015/1814 concernant la création et le fonctionnement d'une réserve de stabilité du marché pour le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre de l'Union.
* 309 Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil.
* 310 Règlement (UE) 2023/955 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 instituant un Fonds social pour le climat et modifiant le règlement (UE) 2021/1060.
* 311 Règlement (UE) 2021/1056 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2021 établissant le Fonds pour une transition juste.
* 312 OACI, Assemblée générale, 7 octobre 2022, Résolution A41-21, point 8.
* 313 Audition du jeudi 7 mars 2024.
* 314 Audition du jeudi 2 mai 2024.
* 315 Audition du lundi 6 mai 2024.
* 316 « Axa s'engage à éliminer progressivement le charbon », 27 novembre 2019, page consultée le 2 juin 2024.
* 317 Communiqué de presse de Crédit Agricole du 1er décembre 2021.
* 318 Communiqué de presse de Crédit Agricole du 6 décembre 2022.
* 319 Site de l'UNEPFI consulté le 2 juin 2024.
* 320 Communiqué de presse du groupe AXA du 29 juin 2023.
* 321 Audition du jeudi 7 mars 2024.
* 322 Tribune publiée dans le journal le Monde le vendredi 29 décembre 2023, « Emmanuel Macron : "Nous devons accélérer en même temps sur le plan de la transition écologique et de la lutte contre la pauvreté" ».
* 323 Rapport public annuel 2024 de la cour des comptes, dédié au bilan de l'action publique face au changement climatique.
* 324 Audition de Louis Gallois.
* 325 Réponses au questionnaire de BpiFrance.