IV. TOTALENERGIES : UN SYMBOLE DE NOTRE DÉPENDANCE AUX HYDROCARBURES APPELÉ À INCARNER LA DÉCARBONATION DE NOTRE ÉCONOMIE
A. UNE ENTREPRISE AU CENTRE DE TOUTES LES ATTENTIONS DANS LE CONTEXTE DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE
Alors que TotalEnergies estime que son activité représente 1,5 % de la production mondiale de pétrole, son nom est associé à une vingtaine de projets pétroliers ou gaziers qualifiés de « bombes carbone » qui auraient pour effet d'en faire un des principaux pollueurs de la planète. Cet écart entre la part de l'entreprise dans la production mondiale de pétrole et la responsabilité qui lui est attribuée illustre l'image contrastée qui colle à la peau de la principale major de l'Union européenne.
Dans ce débat public parfois passionné, la commission d'enquête a opté pour une présentation factuelle des positions des différents acteurs, sans jugement de valeur de sa part.
1. Les activités de production et de commercialisation d'énergie
Le groupe TotalEnergies conduit des activités de production et de commercialisation d'énergie, en France et dans le monde.
Dans sa réponse écrite transmise à la commission d'enquête, le groupe a précisé la nature de son activité de production et de vente d'énergie à date, pour la France et dans le monde.
En 2023, le groupe a produit 1,2 million de barils équivalent pétrole par jour (Mbep/j) de produits raffinés dans le monde, sur un total de 102 Mbep/j, soit 1,2 %. Pour la France, ce niveau est de 0,5 Mbep/j, sur un total de 1,5 Mbep/j, soit 33 %.
Au total, la production d'énergie finale du groupe dans le monde a atteint 15,1 pétajoules par jour (PJ/j) en 2023, dont 53 % de pétrole, 42 % de gaz naturel, 3 % d'électricité renouvelable et 3 % d'électricité autre. Le niveau du charbon, des bioénergies et de l'hydrogène est nul. Ainsi que l'a précisé devant la commission d'enquête Patrick Pouyanné, P-DG du groupe, « dès 2015, lorsque je suis devenu PDG, nous sommes sortis du secteur du charbon : je ne pouvais financer ce secteur alors que je voulais promouvoir le gaz à la place. » Du côté des ventes mondiales, elles se sont élevées à 20,8 PJ/j en 2023, dont 47 % de gaz, 43 % pour le pétrole, 8 % pour l'électricité et 2 % pour les autres énergies renouvelables245(*).
Source : TotalEnergies
Les hydrocarbures non conventionnels ont représenté 9,7 % de la production du groupe et moins de 5 % de son chiffre d'affaires en 2023. Le groupe ne produit plus de pétrole issu des sables bitumineux, depuis une cession d'actifs du Canada, en 2023. Il est également sorti des projets de développement d'huiles extra-lourdes du Venezuela, en 2021.
Pour la France, la production d'énergie finale a atteint 3,13 PJ/j, dont 90,4 % de produits raffinés, 7,3 % d'électricité issue de centrale à gaz à cycle combiné, 1 % d'électricité renouvelable et 1,3 % de bioénergies. Du côté des ventes, elles se sont élevées à 5,7 PJ/j, dont 50 % de produits pétroliers, 34 % de gaz, 13 % d'électricité et 3 % de bioénergie.
Source : TotalEnergies
Sur le plan des investissements nets, ils ont atteint 16,83 Mds$ en 2023, dont 5,68 Mds$ pour le pétrole, 5,28 Mds$ pour le gaz et 5,87 Mds$ pour les énergies bas-carbone. Depuis 2017, ces investissements sont en baisse de 3,7 % pour le pétrole, et en hausse de 5,6 % pour le gaz et de 738,6 % pour les énergies bas-carbone.
Ces énergies bas-carbone regroupent : s'agissant du volet Integrated Power, les activités de génération, de stockage, de négoce d'électricité et de distribution B2B ou B2C de gaz-électricité ; s'agissant du volet molécules bas-carbone, les biocarburants, le biogaz, le recyclage du plastique, les biopolymères, les carburants synthétiques, l'hydrogène, ainsi que les investissements dans la réduction de l'empreinte carbone du groupe.
Source : TotalEnergies
La commission d'enquête relève que la nomenclature ainsi proposée ne permet pas toujours de bien distinguer les énergies renouvelables des énergies bas-carbone.
2. Les soutiens publics et para-publics nationaux ou européens
Tout comme ses concurrents éligibles, le groupe TotalEnergies perçoit des soutiens, publics ou para-publics, à l'échelon national comme européen.
Dans sa réponse écrite à la commission d'enquête, le groupe a précisé les modèles de financement et, le cas échéant, les interventions publiques.
D'une part, s'agissant des projets de production d'hydrocarbures conduits aux échelons national et mondial, le groupe a précisé : « Le financement de TotalEnergies et de ses filiales est effectué grâce aux flux de trésorerie générés par nos activités, et par des émissions obligataires ou des emprunts bancaires Les financements destinés à des projets spécifiques sont levés par les entités portant ces projets. Il s'agit le plus souvent d'entités juridiques de droit étranger détenues conjointement par TotalEnergies et ses partenaires et sur lesquelles la Compagnie n'exerce pas de contrôle. Les projets de production de pétrole sont financés sur fonds propres tandis que les projets d'infrastructures, de GNL ou de renouvelables, mêlent en règle générale financements propres et externes. »
D'autre part, concernant la production d'électricité et de gaz conduits à l'échelle nationale, le groupe a indiqué avoir bénéficié, au titre de la branche Gas Renewables & Power :
- de soutien pour les tarifs d'achat ;
- de soutien pour les compléments de rémunération ;
- de primes de capacité pour la centrale à gaz à cycle combiné de Landivisiau ;
- de soutien à l'injection de biométhane et aux dispositifs sociaux via les charges de service public de l'énergie, en excluant les chèques énergie et les boucliers tarifaires ;
- de subventions ou avances pour 8 projets de méthanisation et les projets de batteries de Saft ;
- de montants au titre du dispositif de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh), ainsi que des mécanismes de capacité d'effacement et de production.
Le groupe a aussi indiqué avoir perçu, pour la branche Raffinage - Chimie, des subventions pour le projet de décarbonation de la plateforme de Sobegi, pour celui de la plateforme de Normandie, pour le projet de recyclage de plastique de Synova et pour le projet sur l'aéronautique de Hutchinson via le Conseil de recherche aéronautique civile (Corac).
Enfin, s'agissant du financement de la recherche et du développement (R&D) à l'échelle du groupe, et hors les projets précités de Saft et Hutchinshon, TotalEnergies a reconnu avoir bénéficié de subventions pour 11 projets. Il a aussi indiqué avoir bénéficié d'un montant annuel de crédit d'impôt recherche (CIR) entre 55 et 85 M€.
3. Les obligations légales applicables aux secteurs de l'énergie et des mines
Le groupe TotalEnergies a précisé se conformer au cadre légal en vigueur en matière de production et de commercialisation d'énergie.
Dans sa réponse écrite à la commission d'enquête, il a ainsi indiqué : « TotalEnergies respecte les lois et règlements nationaux et européens qui lui sont applicables ».
S'agissant de la production et de l'extraction minières, depuis l'entrée vigueur de la loi « Facturation hydraulique », en 2011, « le permis de recherches d'hydrocarbures “ de Montélimar ”, attribué par arrêté du 1er mars 2011 aux sociétés Total Gas Shale Europe et Total Exploration et Production France, a été abrogé à la suite de l'entrée en vigueur de la loi Jacob. ». De plus, depuis l'entrée en vigueur de la loi « Hydrocarbures », en 2017, « les activités d'exploration et de production d'hydrocarbures menées en France par Total ont connu leur terme le 14 octobre 2013 avec l'arrêt de la production et de l'exploitation du gaz extrait dans le cadre des concessions de Lacq. » S'agissant de la Guyane, « le permis de recherches d'hydrocarbures « Guyane Maritime » avait été prolongé par arrêté ministériel du 14 septembre 2017, avant l'intervention de la loi Hulot. Par la suite, un puits d'exploration, foré de manière conventionnelle sans recours à la technologie de la fracturation hydraulique, s'est soldé par un échec en février 2019. Le permis de recherches a expiré en juin 2019. Total E&P Guyane Française a été relevée de la police des mines par Donner Acte reçu le 16 juin 2020. » Le groupe a précisé ne pas être concerné par le règlement n° 2017/821 de 2017 sur le devoir de diligence à l'égard de la chaîne d'approvisionnement des importateurs d'étain, de tantale, de tungstène, de minerais ou d'or provenant de zones de conflit ou à haut risque, car « aucune société contrôlée par TotalEnergies n'est importatrice de ces minerais ou métaux dans l'Union ».
Concernant l'information financière et extra-financière, le groupe a affirmé que, conformément à la loi « Devoir de vigilance », de 2017, « la société TotalEnergies SE établit et met en oeuvre de manière effective un plan de vigilance, qui est rendu public et inclus dans son rapport de gestion, de même que le compte rendu de la mise en oeuvre effective de ce plan ». Il a indiqué disposer d'un bilan carbone, institué par la loi « Grenelle II », de 2010 : « Conformément aux articles L. 229-25, et R. 229-46 et suivants du Code de l'environnement, TotalEnergies établit et publie tous les quatre ans un bilan des émissions de gaz à effet de serre (BEGES) ». Il a précisé répondre aux informations requises par le plan de transition, introduit par la loi « Énergie-Climat » de 2019, dans sa déclaration de performance extra-financière : « Conformément à l'article L. 229-25 du Code de l'environnement, TotalEnergies SE est dispensée de l'élaboration du plan de transition prévu par ce même article, dans la mesure où la déclaration de performance extra-financière, qu'elle établit conformément à l'article L.225-102-1 du code de commerce, comporte les informations requises dans ce plan de transition ». Enfin, il a ajouté que cette déclaration de performance extra-financière comporte les informations requises par le règlement n° 2020/852 de 2019 sur la taxonomie : « TotalEnergies SE publie depuis l'exercice 2021, au sein de sa déclaration de performance extrafinancière, les informations requises par le règlement (UE) n° 2020/852 « Taxonomie », à savoir le chiffre d'affaires, les dépenses d'investissement (CapEx) et d'exploitation (OpEx) portant sur ses activités éligibles, et sur ses activités alignées avec les critères de durabilité établis par la Commission européenne. »
Pour ce qui est des pratiques commerciales trompeuses en matière d'environnement, réprimées à l'article L. 121-2 du code de la consommation, tel que modifié par la loi « Climat et résilience », de 2021, le groupe a indiqué que « TotalEnergies respecte les lois relatives à la communication sur les produits énergétiques » ; s'agissant de l'infraction d'écocide, créée à l'article L. 231-3 du code de l'environnement, par la loi « Climat et résilience » de 2021, le groupe a ajouté qu'« à notre connaissance, TotalEnergies et ses filiales ne font pas l'objet de poursuites sur le fondement de l'infraction d'“écocide” ».
4. Les contrôles du ministère chargé de l'économie et de la Commission de régulation de l'énergie (CRE)
Plusieurs acteurs publics interrogés par la commission d'enquête ont précisé contrôler l'activité de production et de commercialisation d'énergie du groupe TotalEnergies.
D'une part, Bruno Le Maire, ministre de l'économie, a rappelé que l'État garantit le respect de l'ordre public économique et financier par les différents énergéticiens, dont le groupe TotalEnergies.
Le ministre a indiqué que cette entreprise est assujettie à l'impôt en France conformément au principe de l'établissement stable : « Pour ce qui concerne les impôts de TotalEnergies, je rappelle que les entreprises sont imposées sur leur lieu de production. Le principe clé de la fiscalité internationale est celui de l'établissement stable. [...] Pour le reste, le montant de l'impôt que paie exactement TotalEnergies pour sa production en France est soumis au secret fiscal. »
Le ministre a rappelé que cette entreprise est soumise notamment aux dispositifs des bilans carbone, certificats d'économies d'énergie et quotas d'émission de CO2 : « Le troisième objectif de notre politique économique est l'encadrement de l'activité des entreprises polluantes. Je suis évidemment garant du respect des obligations en la matière. TotalEnergies est soumis à la réglementation nationale du bilan des émissions de gaz à effet de serre (Beges), qui l'oblige à publier, tous les quatre ans, son bilan d'émission. TotalEnergies est aussi soumis à la mise en oeuvre de la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive, la fameuse directive CSRD, qui a été largement portée par la France et qui va l'obliger à présenter un bilan d'émissions de gaz à effet de serre (GES) et des cibles de décarbonation sur l'ensemble de ses activités au niveau mondial, contrairement au Beges, qui, lui, s'applique au niveau national. Enfin, ces dispositifs seront complétés par la directive sur le devoir de vigilance, qui a valeur juridique et va obliger TotalEnergies à mettre en oeuvre son plan de transition climatique avec une obligation de moyens très concrets. Par ailleurs, TotalEnergies est soumis, comme d'autres, aux dispositifs de certificats d'économies d'énergie ou de quotas carbone. »
Le ministre de l'économie a précisé que cette entreprise a répondu à sa demande de plafonnement des prix de l'essence et du diesel, dans le contexte de la récente flambée des prix des énergies : « TotalEnergies nous a aussi permis de lutter contre l'inflation, après le déclenchement de la crise ukrainienne, qui a entraîné une flambée des prix des énergies. À ma demande, l'entreprise a accepté la mise en place d'un plafonnement à 1,99 euro du prix de l'essence et du diesel dès le début de l'année 2023. À ma demande, de nouveau, TotalEnergies a reconduit ce dispositif pour l'ensemble de l'année 2024. Je rappelle qu'aucune autre grande compagnie pétrolière au monde n'a pris ce genre de décision. »
Dans sa contribution écrite transmise à la commission d'enquête, le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui ne contrôle plus le groupe TotalEnergies depuis début 2022, a précisé ne pas avoir rencontré de difficulté particulière avec lui par le passé : « « Le ministère [...] n'est plus compétent en matière de contrôle des activités du groupe TotalEnergies dans les domaines de l'électricité, du gaz ou du pétrole depuis le 16 mai 2022. En ce qui concerne la période antérieure au 16 mai 2022, il n'a pas été noté de difficulté particulière pour l'application des dispositions législatives et réglementaires relatives au gaz naturel. On peut souligner que la reconversion de la raffinerie traditionnelle de La Mède en bioraffinerie a fait l'objet de polémique dû à l'approvisionnement en matières premières initialement prévu par TotalEnergies, composé notamment d'huiles de palme. Depuis, TotalEnergies a annoncé que le site n'utilise plus d'huile de palme à compter de 2023. »
D'autre part, Emmanuelle Wargon, présidente de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), a précisé que la CRE veille au respect du bon fonctionnement des marchés de gros et de détail d'électricité et de gaz par les différents énergéticiens, dont le groupe TotalEnergies.
La présidente de la CRE a indiqué que cette entreprise respecte ses obligations en tant que fournisseur d'électricité et de gaz : « pour notre part, nous n'avons pas de difficulté particulière avec TotalEnergies en tant que fournisseur. Nous exerçons notre rôle de surveillance sur tous les fournisseurs. Vous parlez d'oligopole : il reste tout de même d'autres fournisseurs qu'EDF, Engie et TotalEnergies. Ainsi, 10 % du marché sont couverts par d'autres fournisseurs, plus petits. Quoi qu'il en soit, nous n'avons pas constaté de problème de comportement de TotalEnergies envers ses clients, ni pendant la crise ni en dehors, qu'il s'agisse du gaz ou de l'électricité. En matière tarifaire, TotalEnergies a essentiellement développé deux types d'offres : d'une part, des offres fondées sur les tarifs réglementés et assorties d'une décote de 5 % ou de 10 % selon les moments ; d'autre part, des offres à prix fixe. Durant la période de crise, aucun fournisseur n'a été capable de maintenir des offres à prix fixe : ces dernières ont disparu chez TotalEnergies comme chez tous ses concurrents. Elles sont en train de réapparaître aujourd'hui. Je le répète, les offres de TotalEnergies sont clairement positionnées par rapport aux TRVE ou aux prix de référence du gaz, avec une décote ou à des prix fixes qui sont eux-mêmes un peu inférieurs. »
Dans sa réponse écrite transmise à la commission d'enquête, la présidente de la CRE a réitéré le fait que « la CRE n'a pas constaté de difficultés particulières s'agissant des activités de TotalEnergies dans les domaines des marchés de l'électricité et du gaz. » Elle a précisé que, sur le marché de détail, « l'entreprise a répondu présente pour appliquer rapidement et efficacement les mécanismes exceptionnels de protection des consommateurs en 2022 et 2023 ». Elle a ajouté que, sur le marché de gros, « TotalEnergies a été sanctionné par le Comité de Règlement des Différends et Sanctions de la CRE le 27 juillet 2023 à une amende de 80 000 euros à cause de retards de publication d'informations au titre du règlement européen REMIT. »246(*)
La présidente de la CRE a ajouté, lors de son audition, que cette entreprise participe régulièrement aux appels d'offres à destination des énergies renouvelables, notamment solaire et éolienne (terrestre ou en mer) : « L'entreprise fait partie des acteurs qui se présentent aux appels d'offres, qui sont régis de façon précise par le droit. L'identité de l'entreprise est assez neutre pour nous. Nous étudions les projets, les prix et le reste des cahiers des charges [...] TotalEnergies fait partie des entreprises qui soumissionnent régulièrement, avec des projets éoliens terrestres et solaires. De même, TotalEnergies a soumissionné dans un certain nombre d'appels d'offres d'éolien offshore. »
Dans sa réponse écrite transmise à la commission d'enquête, la présidente CRE a précisé : d'une part, « TotalEnergies dispose d'environ 4 % du parc d'énergies renouvelables électricité en France hors hydraulique » mais « il est difficile d'estimer le montant de soutien à cette entreprise car cela diffère selon les tarifs des arrêtés, la taille des installations et le niveau de prix des différents appels d'offres » ; d'autre part, « TotalEnergies détient 5 % des capacités » en biométhane mais « il est très difficile de connaître le montant exact de soutien à cette entreprise car il diffère selon les évolutions des tarifs et selon les installations. »
Enfin, la présidente de la CRE a précisé, lors de son audition, que le régime exempté, plutôt que régulé, du terminal méthanier du Havre présente pour avantage de ne représenter aucun coût public : « La CRE n'a pas du tout participé à la décision en opportunité quant à l'accueil de ce terminal. En revanche, elle a participé aux décisions quant au régime économique applicable à ce dernier. Deux régimes étaient envisageables : un régime régulé et un régime exempté. Dans le premier cas, la CRE fixe les tarifs d'utilisation et assure un revenu garanti à l'opérateur. Ce régime s'applique aux terminaux de Fos-Cavaou et de Saint-Nazaire. Dans le second cas, l'opérateur assumant seul le risque, il fixe librement ses tarifs. Le projet ne fait l'objet d'aucune intervention publique et d'aucun financement mutualisé. Ce régime s'applique au terminal de Dunkerque et a été demandé par TotalEnergies. Notre analyse de marché nous a conduits à penser que les conditions de marché permettaient de créer ce régime d'exemption. Selon ce régime, le fonctionnement de ce terminal ne coûte rien aux Français, ni aux consommateurs, ni aux contribuables. Il a certes fallu faire des travaux sur les réseaux de gaz, qui ont coûté 33 millions d'euros à GRTgaz, mais TotalEnergies paye une redevance de 8 millions d'euros par an, soit 40 millions d'euros en cinq ans, donc plus que la totalité des travaux nécessaires pour accueillir ce terminal dans de bonnes conditions, dont le raccordement au réseau et la remontée du gaz. Je répète qu'il n'y a aucun argent public mobilisé, ni directement, ni indirectement. Cependant, nous avons validé les règles de commercialisation. TotalEnergies bénéficie de 50 % de la capacité pour ses propres contrats et met aux enchères le reste dans des conditions ayant fait l'objet de délibérations pour veiller à leur équité et à leur transparence, tous les acteurs de marché devant pouvoir en bénéficier. »
5. Les investissements de TotalEnergies en faveur de la transition énergétique
Le groupe TotalEnergies a affirmé investir et souhaiter investir dans les énergies bas-carbone, dont celles renouvelables, en France et dans le monde.
À l'occasion de son audition devant la commission d'enquête, Patrick Pouyanné, P-DG du groupe, a évalué à environ 5 Mds€ pour l'électricité et 1 Md€ pour les molécules bas-carbone les investissements annuels de son groupe dans le monde : « Au lieu d'investir comme jadis 18 milliards d'euros par an dans les hydrocarbures, nous investissons 12 milliards d'euros dans le pétrole et le gaz, environ 5 milliards d'euros dans l'électricité et 1 milliard d'euros dans des molécules bas-carbone, comme les carburants aériens durables, et dans le biogaz. Voilà l'équation qui se présente à nous. »
De plus, il a estimé à environ 2 Mds€ les investissements de son groupe en France pour 2023, dont 60 % pour la transition énergétique : « En 2023, nous avons investi 2 milliards d'euros en France, dont 60 % pour la transition énergétique. Avec 400 millions d'euros, nous étions le plus gros investisseur dans les énergies renouvelables. Nous investissons aussi 300 millions d'euros dans les carburants aériens durables, avec la construction d'une nouvelle bioraffinerie, et nous investissons plus de 100 millions d'euros pour construire des bornes de recharge. Nous avons 20 000 bornes, dont 1 300 bornes de recharge très rapides. Nous investissons aussi dans le biogaz et d'autres technologies. Même si je n'investirai pas dans le nucléaire, offrir un contrat de long terme peut contribuer à financer la production de nucléaire pour la nation. »
Interrogé à son tour par la commission d'enquête, Jean-Claude Mallet, directeur des affaires publiques du groupe, a confirmé le souhait du groupe de « dépenser 5 milliards d'euros par an pour les énergies décarbonées. »
Les acteurs publics auditionnés par la commission d'enquête ont rappelé que le groupe TotalEnergies constitue le premier investisseur dans les énergies renouvelables et les recharges ultrarapides en France.
Tout d'abord, Bruno Le Maire, ministre de l'économie, a rappelé l'implantation du groupe TotalEnergies en France, où se situent 21 % des 220 Mds€ de son chiffre d'affaires et 35 % de ses 100 000 salariés. L'activité industrielle représente, pour le raffinage, 5 000 emplois dans les usines de Donges, Gonfreville-l'Orcher et Feyzin, pour la distribution, 3 400 stations-service, pour l'électricité thermique, 6 centrales à gaz et pour les énergies renouvelables, 634 sites de production.
Le ministre a présenté cette entreprise comme un atout pour garantir notre sécurité d'approvisionnement en hydrocarbures : « Le fait d'avoir TotalEnergies en France reste un atout économique majeur pour notre pays, pour une raison simple : nous aurons encore besoin des hydrocarbures pendant des années. On peut tourner les choses dans tous les sens, vouloir accélérer, ce qui est mon cas, la décarbonation de notre économie, [...] l'électrification du parc automobile français [...]. Il n'en demeure par mois que 97 % du parc automobile français est thermique et qu'il ne va pas se renouveler du jour au lendemain, qu'il demandera des hydrocarbures et que nous avons tout intérêt à avoir une entreprise nationale qui nous permette de garantir notre indépendance. L'intérêt est d'abord la sécurisation de notre approvisionnement. »
De son côté, Christophe Béchu, ministre de l'écologie, a indiqué, devant la commission d'enquête : « La question est de savoir si nous devons explorer et chercher de nouveaux gisements alors qu'il existe un consensus pour dire que les gisements existants suffisent à répondre à la demande et que les nouvelles explorations conduiront à une surproduction d'énergies fossiles. La recherche de ces nouveaux gisements vise à rendre ces énergies fossiles plus compétitives, donc potentiellement à accroître la dépendance même à ces énergies. »
De plus, Bruno Le Maire, ministre de l'économie, a pris l'exemple du rôle joué par cette entreprise en matière de sécurité d'approvisionnement dans la crise énergétique ayant résulté de l'invasion de l'Ukraine par la Russie : « Nous en avons eu une illustration avec l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Depuis le début du conflit, nous nous sommes mobilisés pour diversifier et sécuriser notre approvisionnement en carburant et en gaz. Je constate que TotalEnergies a répondu présent en installant un terminal d'importation flottant de gaz naturel liquéfié (GNL) au Havre, précieux pour reconstituer nos stocks et garantir qu'il n'y ait pas de rupture d'approvisionnement de gaz durant la période hivernale. Ce terminal a été mis en service fin 2023. Il est un pilier de sécurité essentiel, dont les capacités supplémentaires seront utiles s'il y a, demain, des pics importants de consommation. Il permet d'anticiper toute difficulté sur l'approvisionnement en gaz. Je rappelle également que TotalEnergies a trouvé des modes d'approvisionnements alternatifs en diesel au moment où les tensions sur la disponibilité étaient fortes. Si nous n'avions pas ce groupe, nous serions dans les mains des grandes majors anglo-saxonnes pour l'approvisionnement en diesel des automobilistes et consommateurs français. Je préfère l'indépendance à la dépendance. »
Enfin, le ministre a rappelé que le groupe est impliqué dans le développement des énergies renouvelables et des recharges électriques : « Je rappelle que TotalEnergies investit massivement dans les énergies renouvelables (EnR) : c'est le premier investisseur de France en la matière [...] L'entreprise investit également pour transformer son modèle vers l'électrification et les biocarburants et vient de dépasser, en 2023, les 1 000 bornes de recharge haute puissance installées dans les stations-service. C'est aujourd'hui le premier acteur de la recharge ultrarapide sur autoroute et sur voie rapide. En 2023 toujours, l'entreprise a investi près de 5 milliards d'euros dans les énergies bas-carbone, s'est engagée à réduire de moitié les émissions de CO2 de ses sites de raffinage et de pétrochimie à l'horizon 2030 et a accepté de transformer ses raffineries de La Mède et Grandpuits vers la production de biocarburants, tout en électrifiant et en améliorant l'efficacité énergétique de ces installations. »
Dans le même esprit, le ministre de l'écologie, Christophe Béchu, a précisé : « TotalEnergies reste le premier investisseur en France dans les énergies renouvelables. C'est le premier acteur des bornes de recharge ultra-rapides. »
Dans sa contribution écrite transmise à la commission d'enquête, le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires a souligné l'implication du groupe TotalEnergies dans le contexte de la décarbonation du secteur des transports : « La France est particulièrement impliquée dans la décarbonation du secteur des transports, à laquelle contribue les producteurs d'hydrocarbures, et est encore aujourd'hui pionnière en matière de décarbonation du secteur aérien avec l'intégration du secteur dans le champ de la taxe incitative depuis le 1er janvier 2022, en avance de phase par rapport aux autres États membres. En plus de la distribution de carburants renouvelables, TotalEnergies est également impliqué dans la transition du secteur du raffinage, avec notamment la transformation de la raffinerie de La Mède en bioraffinerie entre 2016 et 2020, et la reconversion de la raffinerie de Grandpuits en cours et devant s'achever à la fin de l'année 2024. TotalEnergies a également transformé ses raffineries traditionnelles pour co-produire des biocarburants à Donges et Gonfreville. TotalEnergies est par ailleurs le seul acteur du raffinage à avoir lancé un appel à projets de grande ampleur pour initier la production d'hydrogène décarboné permettant de décarboner les raffineries déjà existantes et le secteur des transports. Enfin TotalEnergies est un acteur important du déploiement d'infrastructures de recharge pour véhicules électriques sur le territoire. »
Enfin, les acteurs industriels du secteur du transport auditionnés par la commission d'enquête ont affirmé que le groupe TotalEnergies répond, comme d'autres énergéticiens, à leurs besoins en biocarburants ou en e-carburants.
Il en va ainsi du P-DG de CMA-CGM, Roldophe Saadé : « En ce qui concerne TotalEnergies et Engie, je pense qu'ils sont en effet engagés pour trouver des solutions. La difficulté principale que nous rencontrons dans notre secteur, c'est que le carburant vert coûte cher. Il faut donc réfléchir aux moyens de trouver le carburant à la fois le plus vert possible et le moins coûteux possible. Au bout du compte, nous ne pouvons pas assumer seuls le coût de ces énergies vertes. Il doit être partagé avec nos clients. À cet égard, l'engagement de TotalEnergies, d'Engie voire d'autres grands groupes internationaux est réel. »
C'est également le cas du DG d'Airbus, Guillaume Faury : « Ce n'est pas à moi de juger de l'action de TotalEnergies ni du prix des SAF. Si je comprends bien, une enquête sénatoriale a précisément pour objet de juger si TotalEnergies fait le job . En ce qui concerne Airbus, la réponse est oui, puisque nous avons trouvé un accord avec eux : TotalEnergies sera notre partenaire et nous fournira plus de 50 % des SAF dont nous avons besoin en Europe dans les années qui viennent. Vous avez vu que nous étions un utilisateur de SAF très important en proportion des objectifs du secteur. Je comprends que l'objectif de TotalEnergies, sur lequel ses responsables ont communiqué publiquement, est d'atteindre une production de 1,5 million de tonnes de SAF en 2030, ce qui représentera une proportion de l'utilisation des SAF beaucoup plus importante que la part qu'occupe aujourd'hui TotalEnergies dans l'utilisation des kérosènes. TotalEnergies produit aujourd'hui environ 2 % du kérosène mondial. Avec 1,5 million de tonnes de SAF en 2030 - les investissements sont lancés -, le groupe produira entre 5 % et 10 % des SAF, ce qui est significativement supérieur à 2 %. »
6. Une entreprise « moins pire » que les autres ?
Plusieurs personnalités scientifiques ou économiques ont été interrogées par la commission d'enquête sur l'évaluation qu'ils attribueraient au groupe TotalEnergies pour savoir si son comportement est meilleur ou plus mauvais que celui de ses concurrents s'agissant de la décarbonation.
Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et ancienne présidente du Groupement d'experts international d'évolution du climat (Giec) a évoqué une note à la moyenne : « Les activités de l'ensemble des entreprises de ce secteur sont incohérentes avec les trajectoires fixées par l'accord de Paris. Je précise que je me réfère aux publications académiques qui comparent les différents acteurs sur la base des trajectoires des rapports du Giec. Dans ce cadre, la note donnée à TotalEnergies était de l'ordre de dix sur vingt. »
De son côté, le docteur Philippe Copinschi a indiqué que les compagnies pétrogazières européennes sont plus soucieuses de l'environnement que celles américaines : « Il y a des domaines dans lesquels TotalEnergies est probablement un bon élève, d'autres moins. Les acteurs européens sont globalement plus soucieux des questions environnementales que les acteurs américains. Au sein des acteurs européens, TotalEnergies se comporte plutôt mieux qu'Eni, est comparable à Shell et à BP et est un peu moins bien qu'Equinor, mais tout cela s'équivaut à peu près ; surtout, une compagnie peut être meilleure sur certains aspects et moins bonne sur d'autres, car les régimes politiques évoluent. »
Cela rejoint les propos tenus par le professeur Patrick Geoffron qui a rappelé que les compagnies pétrogazières européennes sont un peu plus volontaristes en matière climatique que celles américaines : « En ce qui concerne les engagements climatiques et leur mise en oeuvre, y compris à court terme, les entreprises pétrogazières européennes sont dans le wagon de tête d'un tortillard - je pense que c'est la bonne manière de présenter les choses. Lorsqu'on discute avec des entreprises américaines de ces questions, on se rend compte qu'il n'y a aucune forme d'engagement et que des actions juridiques sont même intentées à l'encontre d'investisseurs qui essaieraient de leur tordre le bras. Bien entendu, les grands pays producteurs, qui sont assis sur des ressources extrêmement importantes, ne manifestent pas le même volontarisme timide observable chez les entreprises européennes. Il me semble important de garder cette hiérarchie à l'esprit. »
De son côté, le professeur Jean-Marc Jancovici a évoqué une notation au-dessus de la moyenne : « Sur la question de savoir si TotalEnergies fait mieux ou moins bien que ses concurrents, Carbone4Finance dispose d'une méthode qui compare les entités d'un même secteur. [...] Tous les secteurs ne sont pas équivalents évidemment sur le sujet climatique. Il y a des secteurs dans lesquels on ne peut évidemment pas avoir de très bonnes notes. Le secteur pétrolier en fait partie. Mais on peut avoir une note moyenne, une mauvaise ou une très mauvaise note. TotalEnergies fait partie des acteurs qui sont plutôt du côté de la moyenne ; ils sont plutôt mieux notés que les autres. Globalement, le reste des autres acteurs de la planète sont plutôt pires. Ça ne veut pas dire que TotalEnergies soit un saint, ni un diable ; ce n'est pas comme ça qu'on juge. Ça veut juste dire que lorsqu'on fait un classement relatif avec des critères qu'on essaie d'objectiver, selon la méthode de Carbone4Finance, on constate que ce ne sont pas les pires. »
Quant à Sylvain Waserman, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), il a mentionné des notes en-dessous de la moyenne : « Quelle est la trajectoire de décarbonation de TotalEnergies ? Nous n'avons pas, formellement, émis un avis sur le sujet, qui serait issu de notre expertise interne, mais nous recueillons des éléments d'évaluation sur le groupe qui sont portés à notre connaissance. Nos ingénieurs ont construit une méthodologie, l'Assessing Carbon Transition (ACT) afin d'évaluer les trajectoires de décarbonation des entreprises et nous avons confié à notre partenaire World Benching Alliance (WBA) le soin d'utiliser cet outil pour classer les cent premières entreprises pétrolières et gazières dans le monde. Ces données sont d'ailleurs publiques. Nous disposons également des données fournies par le Forum pour l'investissement responsable (FIR) sur les exercices « Say on climate » des entreprises, c'est-à-dire l'information qu'elles transmettent à leurs administrateurs sur leur trajectoire de décarbonation. Ces deux sources ont noté les trajectoires de décarbonation des cent premières entreprises pétrolières et gazières dans le monde : TotalEnergies a obtenu la note de 7,6/20 par WBA et 7/20 par le FIR - la note est faible, mais cela classe l'entreprise en troisième et en septième position sur les cent premières mondiales dans chacun des deux classements. Il n'y a pas de surprise, les trajectoires de décarbonation des entreprises du secteur ne sont pas à la hauteur, car, à l'instar de TotalEnergies, elles sont dans une logique de poursuite de la vente de carburant, ce qui structure leur Scope 3. »
7. L'enjeu des « bombes carbone » et de la responsabilité dans ce cadre de TotalEnergies
La plateforme CarbonBombs.org a identifié des « bombes carbone », c'est-à-dire des projets pétroliers ou gaziers très émissifs, et imputé la responsabilité de certaines d'entre elles au groupe TotalEnergies.
La plateforme, dont la commission d'enquête a entendu deux co-fondatrices247(*), recense ainsi les 425 projets d'extraction d'énergies fossiles susceptibles d'émettre plus d'une gigatonne d'équivalent dioxyde de carbone (un GtCO2eq) sur l'ensemble de leur cycle de vie.
Seuls sont recensés les projets en exploitation ou dont la décision finale d'investissement a été prise. Selon Lou Welgryn, analyste au sein de Carbon4Finance et coprésidente de l'association Data For Good, et Oriane Wegner, co-fondatrice du collectif Éclaircies, entendues par la commission d'enquête, 40 % des bombes carbone recensées, soit 169 projets, n'avaient pas encore vu le jour en 2020 et au moins 20 nouveaux projets ont démarré depuis. Selon elles, l'addition des émissions potentielles de tous ces projets de bombes carbone - existants et à venir - excéderait le budget carbone nécessaire pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C d'ici 2100 par un facteur de 2 à 3.
La notion de « bombe carbone »
Cette notion provient des travaux de recherche menés en 2022 par Kjell Kühne de l'ONG Leave It In The Ground et ses coauteurs248(*), cartographiant les 425 plus grands projets d'extraction fossile dans le monde dont la combustion potentielle de chacun pourrait générer plus d'un milliard de tonnes de CO2 (1 Gt de CO2).
Les associations Eclaircies et Data For Good ont ensuite croisé les données de cette étude avec celles du Global Energy Monitor, qui établit le lien entre les projets et les entreprises exploitantes, et avec celle du consortium d'ONG Banking on Climate Chaos, qui associe ces entreprises aux banques finançant leurs activités.
L'articulation de ces trois sources a permis à ces associations de créer la plateforme « carbonbombs.org » qui cartographie les 425 « bombes carbone » dans le monde, les montants d'émissions de gaz à effet de serre associés, les entreprises impliquées ainsi que leurs financeurs.
Lors de leur audition devant la commission d'enquête et dans leur contribution écrite transmise en complément, Oriane Wegner et Lou Welgryn ont imputé 23 « bombes carbone » au groupe TotalEnergies.
Lou Welgryn s'est exprimée en ces termes devant les sénateurs : « TotalEnergies figure dans notre base de données relative aux bombes carbone, impliqué dans vingt-trois projets représentant un potentiel d'émissions combiné de 60 gigatonnes de dioxyde de carbone (CO2). Je précise que nous avons adopté une méthodologie visant à la vulgarisation plutôt qu'une comptabilité carbone stricte d'autant que, dès lors qu'une entreprise est impliquée dans un projet, elle lui permet d'exister ; nous avons donc choisi d'attribuer à chaque entreprise la totalité des émissions potentielles des projets auxquels celle-ci participe. »
Elle a ajouté lors de cette même audition : « Les divers projets de bombes carbone impliquant TotalEnergies suscitent des interrogations quant à la position du groupe à l'égard de la transition énergétique mondiale et de sa propre stratégie de décarbonation. Pour nous, cet enjeu est cristallisé dans son slogan : « Une compagnie Net Zéro en 2050, ensemble avec la société ». Il est permis de s'interroger sur la valeur de la stratégie de décarbonation de l'entreprise, sur son reporting et ses objectifs ainsi que sur la trajectoire choisie au regard de ces allégations de « net zéro ». Par ailleurs, que signifie réellement “ ensemble avec la société ” ? Comment cette affirmation se traduira-t-elle concrètement dans la société de demain, à la fois en termes d'offre et de demande énergétique ? »
Selon le site de cette plateforme249(*), consulté le 18 mai 2024, le chiffrage actuel est de 17 « bombes carbone », représentant 43,6 gigatonnes de dioxyde de carbone (GtCO2).
TotalEnergies y est identifiée parmi les entreprises responsables de « bombes carbone », aux côtés d'autres entreprises pétrogazières telles que China Energy Investment Corp Ltd (41 bombes carbone), Saudi Arabian Oil Company (18 bombes carbone), et Exxon Mobil Corp (16 bombes carbone).
La particularité méthodologique de la plateforme carbonbombs est d'associer à chaque entreprise impliquée dans une « bombe carbone » la totalité des émissions de GES potentielles du projet.
Le choix, assumé, de ne pas procéder à une allocation des émissions en fonction de la part détenue par chaque entreprise dans un projet est justifié de la manière suivante par les co-fondatrices : « Cette approche méthodologique tient d'une part à l'absence de transparence de certaines entreprises sur la part des réserves qu'elles détiennent dans un gisement, mais se justifie également par le fait que l'implication d'une entreprise dans un projet, même si celle-ci est très minoritaire, permet la mise en exploitation du champ total. Ainsi, il existe des modes de participation à un projet d'extraction dont l'importance n'est pas strictement reflétée par la part des réserves que détient l'entreprise, alors qu'elle est déterminante dans la mise en production du projet (ex. apport d'expertise technique, d'infrastructure, de relations, etc.) »250(*).
Ainsi, selon cette méthodologie, les 23 bombes carbone dans lesquelles TotalEnergies serait impliqué représentent un potentiel d'émissions combiné de 60 gigatonnes de dioxyde de carbone (60 GtCO2).
Trois exemples de bombes carbone susceptibles d'impliquer TotalEnergies
- Le projet d'extraction de gaz de schiste « Vaca Muerta Shale » en Argentine, dont le potentiel d'émission de GES est estimé à plus de 5 GtCO2. Les entreprises impliquées sont nombreuses, selon la plateforme carbonbombs : Capex SA, Chevron Corp, Exxon Mobil Corp, Geopark Ltd, Medanito SA, Pampa Energia SA, Pan American Energy Group SL, Petroleos Sudamericanos SA, Petroquimica Comodoro Rivadavia SA, Pluspetrol SA, President Petroleum SA, Shell PLC, Tecpetrol SA, TotalEnergies SE, Vista Oil & Gas Argentina SAU, Wintershall Dea GmbH, YPF SA.
- Le projet « Mozambique LNG » au Mozambique, suspendu pour cas de force majeure en 2021 en raison d'une attaque terroriste.
- Le projet « North Field », au Qatar, un site de production de gaz naturel liquéfié (GNL) dont le potentiel d'émission de GES est estimé à plus de 11 GtCO2. TotalEnergies est impliqué dans North Field East à hauteur d'environ 6,25 % et dans North Field South à hauteur d'environ 9,3 %. Les entreprises QatarEnergy et Shell PLC sont également impliquées dans le projet.
Lors de son audition devant la commission d'enquête, Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et ancienne présidente du Giec a indiqué qu'il est plutôt difficile d'identifier les entreprises pétrogazières responsables des projets : « Le site carbonbombs.org fait état de dix-sept projets dans lesquels le groupe TotalEnergies a investi, impliquant une production correspondante de 43 milliards de tonnes de CO2. Pour autant, il est assez difficile d'attribuer des émissions pour chaque projet à une seule compagnie. »
Quant à Patrick Pouyanné251(*), P-DG du groupe TotalEnergies, il a soulevé deux difficultés.
D'une part, il a indiqué qu'en « corrigeant les erreurs factuelles », les émissions associées à la présence de TotalEnergies dans les bombes carbone sont estimées à 7,5 milliards de tonnes équivalent CO2 (7,5 GtCO2). Cette estimation a été produite sur la base de l'implication réelle de TotalEnergies dans chaque projet, en proportion de sa participation en capital aux différents projets : « Comment croire qu'une entreprise qui a une part de marché de 1,5 % dans le pétrole représenterait à elle toute seule 25 % des projets pétroliers mondiaux ? Ce rapport est totalement faux, et vous pourrez lire notre réponse. Il nous attribue 100 % des champs alors que nous n'en avons que 15 % et il nous attribue même des champs qui ne sont pas à nous, des fantômes ! Simplement en corrigeant les erreurs factuelles, les 67 milliards de tonnes de CO2 redescendent à 7,5 milliards, même si cela reste beaucoup. »
D'autre part, il a estimé que : « Le scope 3 correspond aux émissions de tout un chacun, quand on consomme de l'énergie en utilisant notre voiture ou en prenant l'avion. Cette énergie peut être vendue par TotalEnergies, mais c'est le client qui décide de la consommer. Sans client, pas de scope 3. [...] TotalEnergies ne fabrique ni voitures, ni avions, ni bateaux. Or le scope 3, pour nous, est essentiellement le calcul de la consommation du pétrole que nous vendons à nos clients qui, eux, consomment. Je ne dis pas que nous n'y participons pas, mais le scope 3 de TotalEnergies n'est pas qu'à moi : sur un avion, le scope 3 que l'on m'attribue lorsque je vends un litre de kérosène sera aussi le scope 3 d'Airbus, de Snecma et en partie le scope 3 d'Aéroports de Paris (ADP). Tout le monde compte le scope 3. Vous voulez attribuer à TotalEnergies, considérée comme la source de tous les maux, le scope 3 de tout le monde ! Je ne peux pas l'accepter. Surtout, je ne peux pas m'engager à le baisser comme cela, en valeur absolue. Si Airbus décide que demain tous ses avions vont utiliser 100 % de biocarburants, il m'aidera à faire baisser mon scope 3. Pour l'instant, il ne porte ce ratio qu'à 50 %. »
* 245 Cela correspond à 9,0 PJ/J pour les produits pétroliers, 9,7 PJ/J pour le gaz, 1,7 PJ/J pour l'électricité et 0,4 PJ/J pour les nouvelles molécules, selon le groupe TotalEnergies.
* 246 La CRE a ajouté : « Ces retards étaient dus à des erreurs individuelles non intentionnelles. L'entreprise a pris les mesures nécessaires depuis. »
* 247 Audition du 8 février 2024.
* 248 « Carbon Bombs » - Mapping key fossil fuel projects, Kjell Kühne, Nils Bartsch, Ryan Driskell Tate, Julia Higson and André Habet, Energy policy, 2022 vol. 166, issue C.
* 249 Les données sont issues de la plateforme CarbonBombs.com et consultables ici.
* 250 Réponse au questionnaire écrit de la commission d'enquête.
* 251 Audition du 29 avril 2024.