D. LES ÉVOLUTIONS DE LA PROPULSION

Turboréacteur double flux et turbopropulseur

Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il faut entre autres augmenter l'efficacité des moteurs, afin de consommer moins de carburant pour générer la même poussée en vol.

Le rendement thermopropulsif ou global mesure la performance des moteurs. Il est le produit de deux termes, le rendement thermique et le rendement propulsif :

· le rendement thermique désigne le rapport entre l'énergie cinétique fournie au gaz traversant le moteur et l'énergie produite par la combustion du carburant. Pour le maximiser, il faut que la combustion du carburant transfère le plus d'énergie possible au gaz ;

· le rendement propulsif désigne le rapport entre le travail mécanique de la force propulsive (la poussée) et l'énergie cinétique apportée au gaz traversant le moteur. Pour générer une poussée, le fluide doit être accéléré à une vitesse supérieure à celle du vol.

Pour améliorer l'efficacité des moteurs, on peut agir sur les rendements thermique et propulsif, le but étant de maximiser les deux pour atteindre le meilleur rendement thermopropulsif.

1. L'augmentation du rendement thermique

L'augmentation du rendement thermique repose sur l'amélioration de l'efficacité du cycle thermodynamique. Celle-ci peut venir des modifications apportées aux composants de la turbo-machine (compresseur, chambre de combustion et turbine) et à la conception technique générale de la chambre de combustion, ainsi que de l'augmentation de la température en sortie de chambre de combustion.

Cependant, l'augmentation de température est limitée par les composants de la turbine en sortie de chambre de combustion. En effet, les matériaux utilisés pour les aubes de la turbine, en alliages de titane, ont une température de fusion inférieure aux températures en sortie de chambre de combustion (1500-1800°C), ce qui oblige à prélever de l'air « froid » du compresseur afin de refroidir les premiers étages de la turbine, au détriment des performances du cycle thermodynamique.

Afin de lever cet obstacle, de nouveaux matériaux, en particulier des composites à matrice céramique (CMC) légers et capables de résister aux températures élevées en sortie de chambre de combustion, sont étudiés depuis plus d'une dizaine d'années, notamment par l'ONERA. Safran s'y intéresse également depuis les années 1970, à l'origine pour les missiles et les fusées. Il développe à l'heure actuelle l'expertise des CMC pour les turbines de moteurs aéronautiques au sein de sa filiale Safran Ceramics, basée au Haillan, en Gironde. Les CMC sont encore peu utilisés, à l'exception d'une pièce dans le moteur Leap. Safran espère parvenir à les intégrer dans une nouvelle génération de moteurs dans les prochaines années. Ils seront aussi utilisés dans le moteur RISE dont le développement devrait aboutir vers 2035.

2. L'amélioration du rendement propulsif

L'amélioration du rendement propulsif est principalement obtenue par l'augmentation du taux de dilution57(*), qui diminue l'écart entre la vitesse d'éjection des gaz et la vitesse de l'avion. Ainsi, une plus grande part de l'énergie cinétique des gaz éjectés est convertie en force propulsive.

Comparaison des rendements de différentes configurations de moteurs à gaz

Source : Rolls-Royce 199258(*)

Le taux de dilution peut être augmenté principalement de deux façons : en augmentant le débit massique autour de la turbine, ce qui peut être réalisé en accroissant la taille de la soufflante, ou en diminuant le débit massique à travers la turbine, ce qui peut être obtenu en rétrécissant le diamètre de celle-ci. L'application simultanée de ces deux approches permet de maximiser le taux de dilution.

Depuis les années 1970, l'efficacité des turboréacteurs a beaucoup progressé, tout d'abord grâce à l'amélioration de l'efficacité du cycle thermodynamique, ensuite grâce à une continuelle augmentation du taux de dilution. Les turboréacteurs à faible taux de dilution (jusqu'à 2:1) des années 1970 ont laissé la place aux turboréacteurs à taux de dilution médian (jusqu'à 4:1) dans les années 1980, puis aux turboréacteurs à haut taux de dilution (jusqu'à 8:1) à la fin des années 1990. Dans les années 2010, les turboréacteurs à très haut taux de dilution (jusqu'à 12:1) ont significativement amélioré l'efficacité propulsive des avions59(*).

C'est d'ailleurs un taux de dilution très élevé qui permet aux moteurs turbopropulseurs d'être plus efficaces que les turboréacteurs, car la soufflante carénée, dans les seconds, est remplacée dans les premiers par une hélice, non carénée. Une solution envisagée pour les court-courriers consisterait à remplacer les turboréacteurs par des turbopropulseurs. Les turbopropulseurs consomment moins de carburant que les turboréacteurs mais leur vitesse optimale est plus basse. L'augmentation du temps de trajet reste cependant négligeable pour les courtes distances. Cette modification pourrait induire une baisse des émissions de l'ordre de 40 à 45 %60(*).

Pour l'avionneur ATR, les avions régionaux à turbopropulseurs n'entrent pas en concurrence avec les lignes de trains à grande vitesse qui desservent des liaisons à fort trafic, mais ne sont pas rentables avec le trafic réduit des routes desservies par ces avions.

Lignes grande vitesse (en rouge) et routes de turbopropulseurs (en vert) en Europe

Source : ATR

Sur les moyen- et long-courriers, les soufflantes des moteurs de dernière génération (LEAP et Trent) mesurent environ deux mètres de diamètre, pour un taux de dilution de l'ordre de 10:1. Augmenter encore significativement la taille de la soufflante pose des problèmes de poids, puisque le carénage entourant la soufflante doit être élargi. Cet accroissement poserait aussi des problèmes de place, puisque les moteurs les plus récents touchent presque le sol. De plus, à vitesse de rotation identique, les extrémités de pales plus longues ont une vitesse linéaire plus élevée61(*), ce qui facilite l'atteinte du régime supersonique, avec une détérioration des performances aérodynamiques.

Deux voies sont à l'étude pour augmenter le taux de dilution au-delà du facteur 10:1 : les moteurs à très haut taux de dilution et les moteurs Open Fan.

Les moteurs à très haut taux de dilution, ou UHBPR (Ultra High Bypass Ratio), visent un taux de dilution dépassant 15:1, permettant une réduction de consommation allant jusqu'à 10 %62(*). Pour augmenter significativement le taux de dilution, la technologie utilisée est la turbosoufflante à engrenages. Dans une turbosoufflante à engrenages, une boîte de transmission de puissance entre la soufflante et l'arbre basse pression permet à ce dernier de tourner à des vitesses angulaires supérieures, améliorant l'efficacité générale et réduisant également le poids de l'ensemble.

Le moteur PW1000G de Pratt & Whitney, commercialisé depuis 2008, utilise une turbosoufflante à engrenages de technologie GTF (Geared Turbofan), ce qui lui permet d'atteindre un taux de dilution de 12,5:1, mais il nécessite une maintenance fréquente du mécanisme réducteur. Rolls-Royce devrait commencer la phase de test de l'Ultrafan, doté d'une boîte de transmission puissante (PGB ou Power Gearbox), utilisant des matériaux composites et un système de combustion avancé à faibles émissions63(*). Ce moteur aurait également un taux de dilution de 12:1 à 13:1, qui devrait conduire à une réduction de 10 % de la consommation de carburant par rapport aux dernières générations de moteurs Rolls-Royce équipant l'Airbus A350 ou le Boeing B787.

Selon une étude récente64(*), la technologie de turbosoufflante à engrenages permettrait de réduire la consommation de carburant jusqu'à 14 % par rapport à une turbosoufflante classique.

Il faut noter que l'accroissement du diamètre du système propulsif pourrait obliger à modifier l'emplacement des moteurs, par exemple en les renvoyant à l'arrière du fuselage. Les projets Carnot E2IM (étude de concepts innovants d'intégration motrice) et NOVA de l'ONERA, lancés en 2014, étudient, principalement sous l'angle de l'aérodynamique, les nouvelles possibilités d'intégration de réacteurs à grand taux de dilution65(*).

3. La technologie Open Fan

Pour accroître encore le taux de dilution, au-delà des limites de ces réacteurs UHBPR, il est envisagé de supprimer totalement le carénage aérodynamique qui entoure la soufflante. Cette conception de moteur, connue sous les noms « Open Fan » ou « Open Rotor » permet d'augmenter encore la taille des aubes, éléments de la soufflante en forme de cuillère ou de pale sur lesquels le fluide agit pour générer la propulsion, sans élargir démesurément les nacelles, qui sont les structures supportant le moteur.

Les premières études sur le sujet ont été réalisées dans les années 1980, en raison de la flambée des cours du pétrole. Le moteur GE36 « propfan » développé par General Electric Aircraft Engines, en partenariat avec la SNECMA et la NASA, doté d'une soufflante sans carénage, a été dévoilé en 1986. Malgré des performances satisfaisantes, il n'a jamais été commercialisé, à la fois en raison de la baisse du prix du pétrole et d'un niveau sonore élevé.

GE36 « propfan »

Copyright : By Duch - Own work, CC BY-SA 4.0

En 2017, Safran lance le démonstrateur CROR (Counter-Rotating Open Rotor). Pour pallier la limitation en vitesse de la soufflante liée au diamètre, il comporte deux hélices contrarotatives permettant de générer la même poussée à vitesse de rotation réduite. Les tests du moteur ont montré une réduction de consommation et d'émissions de CO2 supérieure à 10 %, ainsi que des performances sonores similaires aux moteurs actuels les plus silencieux. Ce test a permis de développer des briques technologiques clés, comme le contrôle de puissance ou l'intégration de la boîte de vitesse, réutilisées par la suite.

C'est en 2021 que naît le programme de recherche RISE (Revolutionary Innovation for Sustainable Engines) de CFM (co-entreprise fondée par Safran et General Electric Aircraft Engines), destiné au développement, à l'horizon 2035, du successeur du moteur LEAP de dernière génération. Le programme RISE vise des taux de dilution de l'ordre de 25:1 à 30:1 avec une taille de moteur atteignant deux fois celle du LEAP, soit quatre mètres de diamètre. Les vitesses attendues sont similaires à celles des avions monocouloirs traditionnels, soit Mach 0,8, avec des gains en consommation de carburant de l'ordre de 20 % et une réduction similaire des émissions de CO266(*).

Safran a recours à des aubes plus larges pour la soufflante, avec une aérodynamique et des performances acoustiques améliorées. La fabrication additive est utilisée pour les aubes en fibre de carbone, permettant un meilleur rendement propulsif. Parallèlement, CFM concentre ses efforts sur une plus grande compacité des éléments du moteur, notamment le système basse pression et la chambre de combustion. La boîte de vitesses verra aussi des améliorations et l'efficacité thermique sera renforcée grâce à l'utilisation de matériaux plus résistants à la chaleur et plus légers, tels que des alliages métalliques et des composites à matrice céramique. Enfin, le moteur sera à la fois compatible avec une incorporation à 100 % de carburants d'aviation durables et avec l'hydrogène.

Les problématiques de bruit, d'entretien des surfaces, et surtout les évolutions de l'architecture d'aéronef découlant du diamètre du moteur seront les principaux axes d'étude de l'Open Fan. Des tests en banc d'essai dans la soufflerie de Modane sont attendus vers 2024-2025 et Safran oeuvre pour obtenir la certification de ce moteur auprès de l'EASA et de la FAA. Dans le cadre du projet OFELIA (Open Fan for Environmental Low Impact of Aviation), mené sous l'égide de l'Union européenne, une démonstration au sol et en vol aura lieu vers 2025 sur un Airbus A380 équipé d'un seul de ces moteurs.

À l'occasion de la visite de l'usine de turboréacteurs de Pratt & Whitney située dans le Connecticut, les rapporteurs ont constaté que l'entreprise se focalise sur la montée en cadence de la production des réacteurs, pour répondre à la forte demande actuelle. En parallèle, elle prévoit de rendre ses réacteurs compatibles avec une intégration à 100 % des carburants d'aviation durables et développe également des motorisations hybrides. Mais des innovations de rupture, telles que l'Open Fan, sont considérées comme risquées, d'autant que l'acquis de l'entreprise dans ce domaine (Pratt & Whitney a développé en collaboration avec Allison son propre moteur Open Fan dans les années 1980) lui permettrait probablement de rattraper son retard, le cas échéant.


* 57 Le taux de dilution est le rapport entre le flux secondaire (qui ne passe pas par le compresseur) et le flux primaire.

* 58 Prof. Z. S. Spakovszky, Unified : Thermodynamics and Propulsion, Massachusetts Institute of Technology

* 59 Barbosa, F., Ultra High Bypass Ratio Engine Technology Review - The Efficiency Frontier for the TurbofanPropulsion, SAE Technical Paper 2021-36-0032, 2022.

* 60 « Pouvoir voler en 2050 », The Shift Project et Supaero Decarbo.

* 61 Plus on s'éloigne du centre de rotation, plus la vitesse linéaire augmente.

* 62 Référentiel Supaéro

* 63 Rolls-Royce announces successful run of UltraFan technology demonstrator to maximum power, Rolls-Royce, 13 novembre 2023.

* 64 D. Gieseckeet Al., Evaluation of ultra-high bypass ratio engines for an over-wing aircraft configuration, GPPS, octobre 2018

* 65 Rapport annuel 2014, ONERA, mars 2015

* 66 CFM RISE PROGRAM Revolutionary Innovation for Sustainable Engines, CFM, 2021.

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