N° 637

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 mai 2024

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1)
sur le
Fonds national de l'emploi - Formation (FNE-Formation),

Par M. Emmanuel CAPUS et Mme Ghislaine SENÉE,

Sénateur et Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.

L'ESSENTIEL

Le FNE-Formation est un dispositif ancien en faveur de la formation professionnelle des salariés. Créé en 1963, il était resté un dispositif marginal jusqu'à la crise sanitaire de 2020, à compter de laquelle il a permis le financement de plus de 1,5 million d'actions de formation. M. Emmanuel Capus, rapporteur spécial, et Mme Ghislaine Senée, rapporteure spéciale, des crédits de la mission « Travail et emploi », ont présenté à la commission des finances le 29 mai 2024 les conclusions de leur travail de contrôle sur ce dispositif aux « contours nébuleux »1(*).

I. LES MÉTAMORPHOSES DU FNE-FORMATION ENTRE 2020 ET 2023

A. À LA FAVEUR DES CRISES, L'ESSOR D'UN DISPOSITIF « AUX CONTOURS NÉBULEUX »

Le FNE-Formation est un instrument à la main du ministre chargé de l'emploi et de son administration, la délégation à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP). Avant 2020, le dispositif FNE-Formation constituait un instrument relativement marginal finançant des formations pour les entreprises en proie à des mutations économiques et technologiques. Sa dernière métamorphose a eu lieu à l'occasion de la crise sanitaire de 2020. D'abord utilisé pour préserver les compétences des salariés placés en activité partielle pendant les confinements, le FNE-Formation a continué d'être mobilisé pendant la crise, tout en étant progressivement réorienté, dans le cadre du plan de relance en 2021-2022 et du plan de réduction des tensions de recrutement en 2022.

Crédits ouverts et nombre d'actions de formation financées
au titre du FNE-Formation

(en nombre d'actions, et millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les données fournies par la DGEFP

B. UN DISPOSITIF TRANSFIGURÉ EN QUELQUES ANNÉES

En avril 2020 le FNE-Formation connaît sa première évolution pour atténuer les effets de la crise économique. Il a ainsi été recentré sur les entreprises dont les salariés étaient en activité partielle indépendamment de leur taille, avant d'être élargi à celles dont les salariés étaient placés en activité partielle de longue durée. En 2021, le dispositif a été modifié pour être accessible également aux entreprises en difficulté dès le mois de janvier, puis par les entreprises en mutation ou en reprise d'activité.

En conséquence, le nombre d'actions de formation financées par le FNE-formation a connu une multiplication par 51,4 entre 2019 et 2020. Cette augmentation est liée à la très forte hausse des crédits dédiés au FNE Formation sur cette période, multipliés par 65 en trois ans, entre 2019 et 2022.

Initialement, la gestion du FNE-Formation était dévolue aux services déconcentrés de l'État, avant d'être progressivement déléguée, par un système de conventionnement permis depuis avril 2020 aux opérateurs de compétences (Opco). Ceux-ci sont des structures paritaires agréées par l'État pour soutenir les entreprises dans le domaine de la gestion des compétences et de la formation. À ce jour, les Opco, au nombre de 11, sont répartis par branche professionnelle.

Le FNE-Formation, en tant qu'aide d'État, est encadré par le régime général d'exemption par catégorie (RGEC) au niveau européen. Lors de la survenue de la crise sanitaire, la Commission européenne a autorisé la création d'un régime d'encadrement temporaire des aides européennes ; plus avantageux, permettant la prise en charge à 100 % des frais de formation. Depuis le 1er juillet 2022, le RGEC est à nouveau seul applicable, les taux de cofinancement maximaux étant désormais de 70 %, 60 % et 50 %, décroissants selon la taille de l'entreprise.

Ces taux s'appliquent à une assiette de coûts éligibles également déterminée dans les limites du RGEC, pouvant inclure les frais de personnel des formateurs, les coûts de fonctionnement des formateurs, les coûts des services de conseil et les coûts de personnel des participants.

C. DEPUIS 2023 : UNE MUE À ACHEVER

Au titre de l'année 2023, le dispositif a été réorienté vers le financement de formations visant à accompagner les entreprises face aux grandes « transitions » : la transition écologique, la transition alimentaire et agricole, la transition numérique, ainsi que les formations liées à l'organisation des grands événements sportifs internationaux. Cette réorientation inscrit le FNE-Formation dans une logique politique de croissance durable.

Répartition des actions de formation réalisées en 2023 par « transition »

Source : commission des finances du Sénat d'après la DGEFP

II. UNE GESTION ET UNE EFFICIENCE SATISFAISANTES, MAIS QUI PEUVENT ENCORE ÊTRE AMÉLIORÉES

A. UNE EXÉCUTION BUDGÉTAIRE SOUMISE AUX ALÉAS DE LA GESTION INTERMÉDIÉE DU DISPOSITIF

L'exécution du FNE-Formation présente d'importantes sous-consommations durant chaque exercice, en raison de l'intermédiation de sa gestion, déléguée aux Opco.

Évolution des crédits conventionnés, engagés et réalisés
au titre du FNE-Formation

(en millions d'euros et en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par la DGEFP

En effet, les Opco ne perçoivent de l'État les crédits liés au FNE-Formation qu'à compter de la signature de la convention : ils bénéficient alors d'une avance de 50 %. Or les conventions avec l'État sont souvent signées tardivement, ce qui peut causer des ruptures de prise en charge et conduit à fragiliser les projets de formation des entreprises.

Par exemple, les conventions 2023 ont été signées en août, ce qui n'a pas permis aux salariés d'être formés en temps utile pour la Coupe du Monde de Rugby, qui débutait en septembre.

B. UNE ATTEINTE INÉGALE DES PUBLICS VISÉS

L'étude des publics bénéficiaires du FNE-Formation révèlent des inégalités d'accès au dispositif.

D'abord, la part des actions de formation financées au bénéfice d'entreprises de moins de 250 salariés a diminué entre 2020 et 2023, passant de 62,2 % à 57,5 %. En revanche, la proportion des actions financées au bénéfice d'entreprises de plus de 250 salariés a augmenté, de 37,8 % en 2020 à 42,6 % en 2023. De même, s'agissant des secteurs d'activité, si l'industrie est la première bénéficiaire du FNE-Formation, elle tend également à être plus touchée par la réduction des crédits alloués au dispositif.

S'agissant des salariés bénéficiaires, on constate une surreprésentation des catégories les plus qualifiées, au détriment des travailleurs les moins qualifiés : les « ingénieurs - cadres » représentent 36,3 % des bénéficiaires, alors que la proportion d'ouvriers non qualifiés est en baisse, de 11,1 % en 2021 à 4,1 % en 2023.

La part des femmes bénéficiant d'une formation financée par le FNE-Formation diminue elle aussi : elles représentaient 44 % des stagiaires en 2020 mais seulement 34,2 % en 2023. Enfin, la majorité des bénéficiaires a entre 25 et 49 ans (environ 70 %). On peut toutefois se féliciter qu'en cohérence avec les priorités définies depuis 2023, le taux de participants aux formations âgés de plus de 50 ans a augmenté, de 18 % à 24,8 % entre 2020 et 2023.

Les ouvriers non qualifiés représentent

Seul

Jusqu'à

 
 
 

des bénéficiaires

des formations bénéficient à des femmes

des bénéficiaires a plus de 50 ans

C. UN DISPOSITIF DONT LES MÉTAMORPHOSES ONT ACCRU L'EFFICIENCE

L'efficience du FNE-Formation n'était pas avérée, il y a encore quelques années. Ainsi, la Cour des comptes relevait, dans un rapport publié en 2023, la « portée limitée du FNE-Formation » durant la crise sanitaire, et notait que les incitations à la formation étaient « plus opportunistes que susceptibles de conjurer les effets de la crise ».

Il convient de nuancer cette affirmation, compte tenu de la difficulté de démontrer qu'un tel effet d'aubaine a bien été suscité, au travers par exemple d'un désengagement des entreprises. Alors que le suivi du FNE-Formation dans les documents budgétaires apparaît très élémentaire, une analyse du « coût unitaire » du FNE-Formation, c'est-à-dire du coût par action de formation financée, suggère une efficience croissante du dispositif.

Évolution du nombre d'actions de formations (gauche) et du nombre d'heures
de formation (droite), ainsi que de leurs coûts unitaires

(en unités et en euros par unité)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par la DGEFP

Si les dépenses de FNE-Formation par action de formation connaissent une progression entre 2020 et les années 2021-2022, principalement imputable à l'allongement des formations ; le coût d'une heure de formation est quant à lui à la baisse, passant de 37 euros l'heure en 2020 à 25,5 euros en 2023. Le FNE-Formation apparaît plus efficient que d'autres dispositifs comparables : le coût unitaire du Compte personnel de formation (CPF) lui est une fois et demi supérieur ; quant à celui du dispositif Transitions collectives, dit « Transco », il représente au moins 32 fois celui du FNE-Formation.

Coût par action - FNE

Coût par action - CPF

Coût par action - « Transco »

 
 
 

III. LE RETOUR BRUTAL DE LA CONTRAINTE BUDGÉTAIRE NE DOIT PAS EMPÊCHER LE FNE-FORMATION D'ACHEVER SA MUE

À la suite du décret du 21 février 2024, qui a annulé 1,1 milliard d'euros sur la mission « Travail et emploi », la DGEFP a indiqué que les crédits qui serait alloués aux différents Opco au titre du FNE-Formation s'établiraient à 96 millions d'euros en AE, soit une diminution de 63 % par rapport aux montants conventionnés en 2023.

Impact du décret du 21 février 2024 sur le niveau des crédits alloués
au FNE-Formation

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données fournies par la DGEFP

Les rapporteurs spéciaux prennent acte de cette importante diminution de l'enveloppe dédiée au FNE-Formation mais relèvent qu'elle aura pour conséquence le retour brutal d'une forte contrainte budgétaire pour les Opco et pour les entreprises qui souhaitent porter un projet de formation. Les rapporteurs spéciaux s'étonnent d'ailleurs que cette baisse concerne un dispositif relativement efficient et unique dans le soutien qu'il apporte aux entreprises employant entre 50 et 250 salariés.

A. STABILISER LE FINANCEMENT ET LE FONCTIONNEMENT DU FNE-FORMATION

Pour les rapporteurs spéciaux, il convient d'abord de stabiliser le financement et le fonctionnement du FNE-Formation afin de limiter les effets de « stop and go » unanimement considérés comme préjudiciables au déploiement du dispositif. Ils proposent, au vu des économies déjà réalisées en 2024, a minima de maintenir les crédits dédiés au FNE-Formation à leur niveau résultant de la reprogrammation consécutive à la prise du décret du 21 février 2024, et considèrent que le FNE-Formation ne constitue pas un gisement d'économies pour l'avenir.

Les rapporteurs spéciaux proposent également qu'il soit procédé à une budgétisation au moins biannuelle du FNE-Formation et à un conventionnement d'égale durée avec les Opco, pour améliorer la visibilité sur les montants et les orientations du dispositif.

B. VARIER LES SOURCES DE (CO-)FINANCEMENT

Les rapporteurs spéciaux recommandent, à ce titre, de mobiliser davantage, pour les branches qui le peuvent, les fonds conventionnels en complément des crédits du FNE-Formation. En effet, si le FNE-Formation ne peut être complété par d'autres financements publics, il existe des possibilités de cofinancement sur fonds privés, via les contributions conventionnelles, décidées par les branches professionnelles. Les rapporteurs spéciaux, conscients qu'un tel effort serait fraîchement accueilli dans certaines branches, invitent néanmoins les branches qui le peuvent à mobiliser davantage ces financements.

Les rapporteurs spéciaux recommandent également d'orienter les entreprises de moins de 50 salariés en priorité vers des sources de financement alternatives qui leur sont spécifiquement dédiées, comme le plan de développement des compétences.

C. CIBLER LES PUBLICS ET LES FORMATIONS PRIORITAIRES

Enfin, les rapporteurs spéciaux proposent de procéder à un ciblage précis des fonds engagés au titre du FNE-Formation en faveur des actions de formation qui répondent le mieux à ses objectifs.

Une réponse envisagée, et parfois déjà pratiquée par les Opco pour faire face à la baisse des crédits, consiste à réduire l'assiette des coûts éligibles à la prise en charge par le FNE-Formation afin de financer en priorité les coûts directement liés à la formation (à l'exclusion des coûts annexes) ou de mettre en place des mécanismes de plafonnement des niveaux de prise en charge.

Enfin, les Opco disposent de la faculté de moduler les taux de prise en charge des formations en fonction des priorités identifiées. Ainsi, l'Opco du secteur agricole, OCAPIAT, a indiqué avoir introduit une modulation de l'ordre de 5 % à 10 % du taux de cofinancement public selon que les formations sont - ou non - destinées à des publics séniors. Une telle modulation du taux de prise en charge permet à la fois de s'adapter à la raréfaction des financements publics et de piloter le dispositif dans un sens plus favorable à l'atteinte de ses objectifs.


* 1 Le Monde, «  Le FNE-Formation, une aide aux contours nébuleux pour les entreprises fragiles », 7 janvier 2022, modifié le 1er avril 2022.

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