F. DES ACTEURS « ÉPARPILLÉS FAÇON PUZZLE », AU NIVEAU CENTRAL COMME AU NIVEAU LOCAL

On s'est parfois demandé si l'Europe avait un numéro de téléphone : la commission d'enquête se demande désormais si la lutte contre le narcotrafic en a un et s'il lui est possible de parler d'une même voix et d'agir d'un même mouvement, ce qui est aujourd'hui loin d'être le cas. L'Ofast, créé en 2019 dans le cadre du premier « plan stups » pour donner un chef de file à la lutte antidrogue, ne dispose toujours pas des moyens requis pour assumer ce rôle.

La commission d'enquête a d'abord recueilli, sur le terrain, de nombreux exemples de problèmes de coordination, d'ignorance réciproque, de chevauchements de compétences, voire de rivalités entre services - problèmes anciens, mais auxquels l'urgence de la situation donne un relief particulier. Elle a également relevé un manque d'association des partenaires pourtant essentiels sur le terrain que sont les élus locaux, à commencer par les maires et les polices municipales, et les bailleurs sociaux, à la fois victimes et témoins du petit trafic.

Mais c'est surtout le rôle de l'Ofast qui a retenu l'attention des commissaires, avec des problèmes majeurs de positionnement vis-à-vis des autres acteurs de la lutte contre le narcotrafic. En cause, la coordination entre les antennes locales de l'Ofast, mais aussi l'organisation interne de l'Office et la très forte autonomie de certains de ses partenaires, comme la DNRED.

L'éparpillement se manifeste aussi dans le champ du renseignement : ce constat a de quoi préoccuper dans un contexte où de nombreux intervenants, à commencer par des membres éminents du Gouvernement, estiment nécessaire de traiter le narcotrafic de la même manière qu'est traité le terrorisme. En effet, le rôle du renseignement dans la lutte contre le narcotrafic est aujourd'hui particulièrement flou avec, du côté du renseignement administratif, une DGSI aux abonnés absents et des services de renseignement du premier cercle paradoxalement concentrés à Bercy, comme avec, du côté des services d'enquête, l'émergence du concept de « renseignement criminel », notion dénuée de doctrine claire et qui compte autant de définitions que de locuteurs. La France n'a pas encore décidé du rôle qu'elle veut confier, sur le narcotrafic, à ses services de renseignement, alors même que leur vocation naturelle est de lutter contre les menaces aux intérêts fondamentaux de la nation : cette incertitude nuit à l'efficacité collective et constitue une grave faille.

Cette discordance généralisée, qui ne rend pas justice à l'investissement remarquable des effectifs engagés sur le terrain, pourrait étonner ; mais elle n'est que le reflet de la politique du Gouvernement, otage d'une vision d'ensemble désarticulée. C'est ce dont témoigne le projet de « plan stups » rénové, dont le rapporteur a obtenu la communication après de longues semaines de tractations. Présenté comme un document « finalisé » à la fin de l'année 2023 et appelé à prendre la suite du premier plan de 2019 qui arrivait à échéance en 2023, ce plan n'a toujours pas, à l'heure où ces lignes sont écrites, été publié. Ce retard est, en lui-même, un facteur de lourdes interrogations ; son contenu ne l'est pas moins.

Le projet de plan est, en effet, à la fois :

· désincarné, aucun acteur ne se voyant assigner un rôle clair, au point que l'on peut se demander si les termes imprécis qui sont employés n'ont pas été choisis pour éviter de trancher ;

· famélique, les mesures elles-mêmes étant libellées avec un grand laconisme et bâties sur un modèle invariable : « cette politique est insuffisante et nous ne dirons pas pourquoi ; il faut donc la renforcer et nous ne dirons pas comment » ;

· en recul par rapport au « plan stups » de 2019, avec des objectifs moins ambitieux que ceux qui étaient fixés par le passé.

Miroir d'une politique publique sans stratégie d'ensemble, le plan présenté n'est pas à la hauteur des enjeux.

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