E. UNE ORGANISATION ET UN DROIT INADAPTÉS À LA RÉALITÉ D'UN BLANCHIMENT ENDÉMIQUE

S'il est bien un constat qui fait l'unanimité, c'est que la lutte contre les flux financiers issus du trafic de stupéfiants et la confiscation des avoirs criminels constituent le nerf de la guerre contre le narcotrafic. Pourtant, en dépit de cet objectif partagé et maintes fois réitéré, les moyens juridiques et humains ne sont pas à la hauteur d'un blanchiment endémique.

Non seulement le volet financier du narcotrafic n'est pas encore suffisamment pris en compte (ce qu'explique, au moins pour partie, la sédimentation des entités en charge du sujet : on en dénombre une quinzaine, qui constituent un véritable dédale para-administratif), mais surtout les saisies et confiscations demeurent trop faibles pour atteindre vraiment les acteurs du narcotrafic.

La commission d'enquête avait pour objectif de cartographier les flux financiers issus du trafic, et notamment les flux d'argent liquide (qui occupent la première place parmi les avoirs criminels saisis en lien avec le trafic de stupéfiants en 20227(*)). Elle s'est toutefois heurtée à un principe de réalité : aujourd'hui, personne ne sait ce qu'il advient de ces flux, dont la trace est rapidement perdue par les services d'enquête.

Des schémas d'opérations « écrans » sont bien identifiés (utilisation de sociétés locales et du travail dissimulé, mise à disposition de prête-noms, envoi des fonds à l'étranger ou encore détention de cryptoactifs), sans qu'il soit possible à ce jour de les entraver. Cette situation s'explique notamment par un constat : identifier et saisir les avoirs criminels reste une véritable course d'obstacles du fait à la fois de la complexité et de l'opacité des formules utilisées par les trafiquants, là encore très créatifs, et de l'insuffisance des outils juridiques et techniques mis à la disposition des services d'enquête. Il en résulte une décorrélation entre le chiffre d'affaires du narcotrafic et les confiscations : alors que le trafic représente chaque année 3,5 milliards d'euros, en fourchette basse, et qu'il constitue le marché criminel le plus important en valeur dans notre pays, les saisies qui en découlent ne représentent que 14 % du total des saisies opérées par la police et la gendarmerie en 2023, soit à peine 117 millions d'euros.

Cette décorrélation n'est pas acceptable et soulève un problème politique majeur : alors que se pose la question du financement des moyens humains et techniques supplémentaires réclamés par la commission d'enquête pour mettre enfin l'État en capacité de lutter à armes égales contre les trafiquants, le Gouvernement se prive, faute d'efforts pour identifier les avoirs criminels, d'une manne qui pourrait s'élever a minima à plusieurs centaines de millions d'euros supplémentaires.


* 7 Source du graphique : commission d'enquête, d'après les données établies par la plateforme d'identification des avoirs criminels (Piac) et publiées par l'Office anti-stupéfiants dans l'état de la menace en 2023.

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