N° 588

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Rapport remis à M. le Président du Sénat le 7 mai 2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 7 mai 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission d'enquête (1) sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier,

Président
M. Jérôme DURAIN,

Rapporteur
M. Étienne BLANC,

Sénateurs

Tome I - Rapport

(1) Cette commission est composée de : M. Jérôme Durain, président ; M. Étienne Blanc, rapporteur ; Mme Valérie Boyer, MM. Stéphane Le Rudulier, Olivier Cadic, Franck Menonville, Mmes Marie-Arlette Carlotti, Marie-Laure Phinera-Horth, M. Ian Brossat, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; MM. Michel Bonnus, Laurent Burgoa, Mmes Marie-Carole Ciuntu, Catherine Conconne, Karine Daniel, MM. Franck Dhersin, Khalifé Khalifé, Thierry Meignen, Pascal Martin, Didier Rambaud, Francis Szpiner.

L'ESSENTIEL - UN NÉCESSAIRE SURSAUT : SORTIR DU PIÈGE DU NARCOTRAFIC

I. LA FRANCE SUBMERGÉE PAR LE NARCOTRAFIC

Submersion : c'est l'image qui s'impose pour décrire le phénomène auquel la France est confrontée, tant les routes par lesquelles la drogue est acheminée dans notre pays sont nombreuses, tant les moyens par lesquels elle est introduite sont variés, tant les façons de la distribuer et de la vendre sont multiples. Avec l'explosion simultanée de l'offre et de la demande, plus aucun territoire, plus aucune catégorie sociale ne sont épargnés - et les outre-mer, victimes de leur situation géographique, sont particulièrement pénalisés. Le trafic s'infiltre partout, avec pour corollaire une violence exacerbée ; dans le même temps, il mute sous l'effet d'une ubérisation qui témoigne de l'extrême rationalité économique des trafiquants.

A. L'ÉTAT DU NARCOTRAFIC DANS LE MONDE : DES ROUTES, DES PRODUITS, DES PRATIQUES QUI ÉVOLUENT CONSTAMMENT

Jamais la drogue n'a été autant produite dans le monde, jamais elle n'a été autant distribuée. De profondes mutations sont intervenues depuis une trentaine d'années : toutes vont dans le sens d'une sophistication toujours croissante des procédés, que ce soit pour produire, transporter et distribuer la drogue, ou pour blanchir le produit du trafic.

1. L'émergence de produits nouveaux et la banalisation des drogues dures

Le cannabis reste de loin la drogue la plus répandue dans le monde : 219 millions de personnes, soit 4,3 % de la population adulte mondiale, en ont consommé en 2021, contre 192 millions en 2018. C'est davantage que toutes les autres drogues réunies. Or la dangerosité du cannabis, sous forme d'herbe comme de résine, augmente régulièrement avec le taux de THC : celui de la résine a doublé depuis 2012, du fait d'une hybridation de variétés de chanvre opérée par les trafiquants.

L'héroïne est, par comparaison, en relative stagnation, mais elle continue à faire des ravages sanitaires considérables ; parallèlement, on assiste à la montée en puissance d'un danger peut-être plus grand encore, celui des opioïdes de synthèse dont les effets sont similaires. Le plus connu d'entre eux, le fentanyl, d'une létalité bien supérieure à l'héroïne, a provoqué une véritable épidémie de santé publique aux États-Unis, avec plus de 80 000 morts en 2023. Si l'Europe semble épargnée pour le moment, des saisies montrent que cette drogue tueuse commence à arriver sur son sol par les ports de la façade nord.

Mais le phénomène le plus marquant des dix dernières années est bien, au niveau mondial, l'explosion du trafic de cocaïne. Le constat de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) est sans appel : « le monde connaît actuellement une augmentation massive et prolongée de l'offre et de la demande de cocaïne »1(*). Depuis 2015, les saisies mondiales sont en augmentation constante. La cocaïne est partout, tirée par une demande qui grimpe en flèche dans toutes les classes sociales, mais aussi par une production qui explose. Les saisies de plusieurs tonnes se banalisent.

Enfin, les drogues de synthèse apparaissent comme un « nouvel eldorado » pour les trafiquants : elles sont beaucoup plus faciles à produire discrètement puisqu'elles ne nécessitent pas de surfaces de culture. À côté des produits plus anciens comme les amphétamines ou la MDMA/ecstasy, les enquêteurs mettent régulièrement au jour de nouveaux produits dont le nom peut changer au gré des habillages marketing : PTC (pour « pète ton crâne »), cocaïne rose, ice (nom de la méthamphétamine en Polynésie française), etc. Au total, pas moins de 897 de ces nouvelles drogues de synthèse ont été répertoriées au niveau européen. Car l'Europe, notamment l'Europe de l'Est mais aussi les Pays-Bas et la Belgique, est désormais un lieu de production où sont implantés des dizaines de laboratoires clandestins : le danger est à nos portes.

2. Des routes du trafic qui changent constamment

Sans cesse plus nombreux, les produits stupéfiants sont acheminés par une infinie variété de routes, au gré de l'action répressive des États et des réponses trouvées par les trafiquants. Ces routes se reconfigurent constamment, au gré de la réponse pénale dans certains États ou, au contraire, des opportunités qui s'ouvrent dans certaines zones - l'Afrique de l'Ouest, zone « rebond » du trafic transatlantique de cocaïne, mais aussi, de manière particulièrement préoccupante, nos outre-mer (Antilles, Guyane), victimes du report du trafic partant du Suriname. En résumé, dès qu'une voie se ferme, une autre s'ouvre : comme un flot qui monte inexorablement, le trafic semble toujours trouver un moyen de s'infiltrer.

3. Les produits circulent, les trafiquants aussi

Le trafic d'aujourd'hui est fait de connexions horizontales autant que d'affiliations verticales. Groupes albanais et nigérians au Brésil, cartels sudaméricains qui commencent à s'implanter en France, voire véritables « ONU du crime » dans la ville espagnole de Marbella où se côtoient des groupes criminels de tous les continents : les trafiquants s'internationalisent, au mépris d'une réponse pénale qui reste souvent confinée au niveau national.

En effet, les trafiquants voyagent pour régler leurs affaires, pour trouver de nouvelles opportunités, mais aussi pour échapper à la justice de leur pays - et à leurs concurrents : c'est le phénomène particulièrement préoccupant des pays « refuges », au premier rang desquels figure l'émirat de Dubaï. Mais il existe d'autres refuges, en particulier le Maghreb, base arrière de très nombreux trafiquants de cannabis du « haut du spectre ». Cette situation, à tous égards, n'est pas acceptable.

4. Le narcotrafiquant : un opérateur économique agile, inventif et impitoyable

La mobilité devenue extrême des plus grands trafiquants est le reflet d'une mentalité en profonde évolution : ceux-ci sont, plus encore qu'avant, des opérateurs économiques qui raisonnent en termes de business et adoptent tous les procédés du capitalisme (division du travail, sous-traitance, délocalisations, etc.) - à cette différence près que leurs deux principaux moyens d'action sont la corruption et la violence, parfois extrême. Alors que les procédés utilisés par les cartels sudaméricains et mexicains étaient jusqu'ici inconnus en Europe, l'exemple de la « Mocro Maffia », ce groupe néerlando-marocain responsable de l'assassinat d'un célèbre journaliste néerlandais et d'un avocat, montre que ces organisations, même en Europe, n'hésitent plus à défier l'État.

Les narcotrafiquants se caractérisent également par une inventivité et une agilité peu communes, une capacité à s'adapter à la répression, à diversifier leurs modes d'action. Ils peuvent d'autant mieux le faire que la rentabilité colossale du trafic leur permet d'assumer des pertes importantes. En somme, ce sont des ultracapitalistes délivrés de la contrainte réglementaire.

5. Un blanchiment tentaculaire : cash, hawala et réseaux de la mafia chinoise

L'infinie variété des méthodes utilisées n'est nulle part aussi apparente que dans le blanchiment des revenus du narcotrafic. La commission d'enquête s'est trouvée en présence d'un vaste éventail de procédés parmi lesquels on distingue :

· une réutilisation directe des fonds criminels, sans même passer par l'étape « blanchiment », avec la réinjection immédiate des espèces (contre commission et avec une décote) dans des secteurs où se pratique le travail dissimulé ;

· un blanchiment dit de proximité dans des commerces locaux (onglerie, kebab, coiffeur...), souvent au nom d'un proche ;

· une forme traditionnelle de transfert de fonds appelée hawala, qui permet d'éviter le circuit bancaire, et qui peut atteindre un haut degré de complexité ;

· un blanchiment financier internationalisé, utilisant tous les procédés classiques de la fraude, appuyé sur des intermédiaires peu scrupuleux basés dans des paradis fiscaux.

Ces procédés, dont la liste n'est pas exhaustive, facilitent l'extraction très rapide des liquidités issues du narcotrafic, souvent à l'étranger, où elles deviennent très difficilement traçables. Dans ce domaine comme dans d'autres, les trafiquants savent se rendre insaisissables : ce sont ainsi des centaines de millions d'euros - 3,5 milliards d'euros au minimum, a déclaré le ministre de l'économie et des finances lors de son audition du 26 mars 2024 - qui sont générés chaque année par le narcotrafic et échappent aux autorités.

La commission d'enquête a toutefois constaté que l'existence d'un lien sur le sol européen entre narcotrafic et terrorisme (lien allégué par deux membres du Gouvernement au cours de leur audition, avec l'idée que le premier finançait le second), n'était pas documentée. Elle s'étonne de cette imprécision sur un sujet pourtant tout aussi majeur que sensible.

B. LA FRANCE DANS LE PIÈGE DU NARCOTRAFIC

L'extension du trafic de stupéfiants ne résulte pas de la seule action de mafias étrangères ; elle est aujourd'hui le fait de groupes français structurés et dangereux qui agissent sans aucune limite financière, territoriale ou dans l'exercice de la violence.

1. Un phénomène qui touche désormais l'intégralité du territoire national

C'est un des enseignements majeurs de la commission d'enquête : le narcotrafic a gagné les villes moyennes - voire petites - et les zones rurales. Certains territoires se trouvent, dans le même temps, submergés par une arrivée récente et massive de cocaïne, en particulier le port du Havre et les outre-mer (Guyane et Antilles).

Les points de deal classiques ont vu naître, au cours des dernières années, des centres d'appels permettant la livraison des stupéfiants au domicile des clients, qu'ils soient urbains ou ruraux. Si la campagne connaissait bien la tournée du livreur de lait ou de pain, elle connaît aujourd'hui la tournée du dealer.

L'intensification du trafic dans les zones rurales et les villes moyennes s'accompagne d'une flambée de violence particulièrement spectaculaire et inquiétante faisant parfois vivre aux citoyens de véritables scènes de guerre.

La commission s'alarme également de l'émergence, encore embryonnaire mais non moins inquiétante, de la corruption des agents publics et privés. La situation est encore loin du phénomène corruptif observé dans certains pays d'Europe ou d'Amérique du Sud ; pour autant, il est certain que les organisations criminelles usent de la corruption. Le phénomène corruptif est actuellement sous-estimé, mais les acteurs de terrain entendus par la commission ont tous tiré la sonnette d'alarme sur ce risque existentiel dont l'actualité se fait régulièrement l'écho.

2. Des outre-mer particulièrement exposés

La position stratégique des outre-mer français, proches de l'Amérique latine, en fait des zones de « rebond », utilisées par les trafiquants comme autant de portes vers l'Europe. Les territoires ultramarins français (Antilles et Guyane notamment) sont ainsi des lieux stratégiques de transit, de négoce et de stockage pour le cannabis et la cocaïne.

Leur espace maritime permet de transporter de grandes quantités de cocaïne à bord de conteneurs ou de bateaux de plaisance vers l'Europe. Le vecteur aérien est également utilisé pour le transport de cocaïne vers la France, essentiellement par l'intermédiaire de passeurs également appelés les « mules ».

Le narcotrafic en outre-mer a des conséquences désastreuses sur la vie des habitants et sur le niveau global de sécurité dans ces territoires. Les trafiquants de drogue exploitent la misère d'une partie de la population de ces territoires, en particulier les « mules ». La présence des narcotrafiquants sur ces territoires implique également une délinquance connexe marquée par une violence exacerbée et des trafics d'armes.

3. L'ubérisation du trafic

Les stratégies d'action des narcotrafiquants s'adaptent à la réponse pénale. Tous les interlocuteurs de la commission d'enquête se sont accordés sur un point majeur : l'action des réseaux évolue à grande vitesse pour tenir compte de celle des services répressifs - police, gendarmerie et magistrats - et cette adaptation prend des visages sans cesse renouvelés (recours à des mineurs ou à des personnes en situation irrégulière pour vendre les stupéfiants, limitation de la quantité de stupéfiants et d'argent liquide sur les points de deal pour rendre plus complexe la démonstration de l'ampleur du trafic, etc.).

L'ubérisation du trafic de stupéfiants est également synonyme de concurrence accrue et parfois de baisse des prix (phénomène qui peut se retrouver dans certains territoires saturés par les trafics de stupéfiants : la ville de Marseille ou le département de la Seine-Saint-Denis, notamment). Les trafiquants ont donc recours à des méthodes de vente particulièrement agressives pour garder ou gagner des parts de marché.

L'ubérisation du narcotrafic rejaillit sur les relations entre trafiquants, marquées par des alliances criminelles soudaines, ponctuelles et opportunistes dans le but de maximiser les profits ou de rentabiliser les « investissements ». Il s'illustre, de même, par l'émergence d'un taylorisme à l'échelle nationale et internationale, avec une spécialisation des tâches et la mise en place d'un marché parallèle de l'emploi : les trafiquants ont recours à des transporteurs internationaux, ils recrutent des vendeurs et guetteurs (via les réseaux sociaux) venus de la France entière et ils embauchent des équipes de tueurs, françaises (parfois très jeunes) ou étrangères, pour leurs règlements de compte.

4. La flambée des violences liées au trafic de drogue : « narchomicides », règlements de comptes et « jambisation »

La commission d'enquête a constaté, tout au long de ses travaux, que la violence des réseaux de narcotrafic était sans limite, sans conscience et sans échappatoire pour ceux qui en sont la cible.

La cheffe de l'Ofast, Stéphanie Cherbonnier, estime que « le niveau très élevé de la menace a trait à l'augmentation très significative, en France, des violences criminelles liées au trafic de stupéfiants, sous l'effet des rivalités de territoires et de la concurrence entre organisations criminelles »2(*) ; l'Office central de lutte contre la criminalité organisée (OCLCO) estime, de manière convergente, « qu'entre 80 à 90 % du nombre total des règlements de comptes, des meurtres et des tentatives de meurtre entre délinquants s'expliquent par des différends liés au trafic de stupéfiants »3(*). L'intensité de la violence utilisée par les narcotrafiquants s'illustre également, la commission l'a découvert lors des auditions et déplacements, par le recours au procédé dit de la « jambisation »4(*).

La violence débridée utilisée par les narcotrafiquants ne touche plus seulement les chefs de ces réseaux criminels. Elle vise aussi les délinquants de moyenne envergure, ceux qui sont accusés de « gêner » l'activité criminelle ou ceux qui dénoncent les méfaits des trafiquants, mais aussi des « petites mains ».

Cette violence extrême, qui prend souvent place dans l'espace public, rejaillit nécessairement sur les populations locales qui connaissent une vie quotidienne insoutenable débouchant parfois sur l'assassinat de victimes collatérales. Les scènes de guerre vécues par certains habitants contribuent à ce qu'il est possible d'appeler un « narcoterrorisme » car elles installent un climat de peur et d'insécurité constant pour l'ensemble des habitants, mais aussi des personnes amenées à intervenir pour des raisons professionnelles dans ces quartiers. C'est dans cette ambiance d'ultraviolence que les narcotrafiquants arrivent à prendre le pouvoir dans certains immeubles, quartiers ou territoires.

5. Des narcotrafiquants spécialisés, de plus en plus jeunes et pour qui la prison fait partie des « risques du métier »

À l'instar des autres réseaux criminels, les trafiquants de stupéfiants utilisent aussi très largement les mineurs pour la conduite de leurs activités. Ces derniers sont de plus en plus jeunes et nombreux sur les points de deal, en particulier des mineurs non accompagnés ou les mineurs français originaires d'autres territoires. La présence de jeunes adultes en situation irrégulière, vulnérables, est également un phénomène émergent et préoccupant.

La commission exprime une vive inquiétude face à un autre constat : l'incarcération des trafiquants de stupéfiants ne suffit plus, pour certains d'entre eux, à mettre un terme à leur activité délinquante. Le passage en prison est devenu un « risque du métier » intégré mais temporaire qui ne nuira que très peu à leur carrière criminelle. Certains condamnés continuent à gérer leurs trafics de stupéfiants depuis leur cellule ou, pire encore, commanditent des violences ou des assassinats à l'égard de leurs rivaux ou d'autres « ennemis ».

II. LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC DÉSARMÉE : VIDER L'OCÉAN À LA PETITE CUILLÈRE

Face à la marée montante du narcotrafic, les forces répressives - police, justice, douanes - ne sont pas suffisamment outillées. Malgré une mobilisation sans faille et de tous les instants, que la commission d'enquête a pu constater au cours de ses auditions comme de ses déplacements, des failles béantes persistent dans le dispositif répressif ; elles sont autant d'opportunités pour des narcotrafiquants qui savent en tirer le meilleur profit.

A. UNE COOPÉRATION INTERNATIONALE DÉFAILLANTE

Face à des trafiquants qui mettent en oeuvre, à leur échelle, une coopération internationale parfois très efficace, les États ont, une fois encore, un temps de retard. Il existe des instances efficaces de partage du renseignement, comme le MAOC-N5(*), qui permettent d'importantes saisies en mer ; mais il subsiste également des « trous noirs », des États non coopératifs que le droit international ne permet pas de contraindre.

La France dispose pourtant d'un réseau très efficace de magistrats de liaison, d'attachés douaniers et d'attachés de sécurité intérieure chargés de faire vivre la coopération judiciaire, douanière et policière : mais, malgré d'indéniables réussites, notamment en Colombie, des blocages persistent avec des interlocuteurs, comme le Maroc et surtout Dubaï, dont la volonté de coopération contre le trafic de drogue est à tout le moins limitée.

La coopération est mieux engagée au niveau européen, où s'est imposée la volonté de lutter contre un ennemi commun. Elle se manifeste dans l'architecture institutionnelle, avec Europol et Eurojust, deux outils efficaces de coopération policière et judiciaire : ces deux institutions ont été à la manoeuvre dans les succès EncroChat et SkyECC, où des systèmes cryptés de communication utilisés par des milliers de trafiquants ont pu être infiltrés.

Mais la coopération reste limitée par les différences de cadre juridique entre États. Le cadre législatif, au niveau européen, reste pour le moment assez contraignant, notamment sur le chapitre de l'accès aux données de connexion - un arrêt de la CJUE ayant sévèrement restreint cet accès, pourtant crucial dans les enquêtes sur le narcotrafic. Quant au paquet e-evidence, qui facilitera l'accès à la preuve électronique sur le territoire européen, il entrera en vigueur en 2026 : de quoi laisser le temps aux criminels de s'adapter... Le même constat vaut pour un ensemble de mesures très attendues, comme le règlement Prüm II, sur l'échange de données policières entre États, la proposition de directive sur le recouvrement et la confiscation d'avoirs, ou encore le train de mesures législatives sur la lutte contre le blanchiment. La temporalité des trafiquants n'est pas celle de l'Union européenne : le risque est bien de conserver au moins un train de retard sur ces derniers.

B. DES TERRITOIRES D'OUTRE-MER ABANDONNÉS PAR L'ÉTAT

Alors que les alertes sur la situation sécuritaire des territoires ultramarins, et en particulier de la Guyane et des Antilles, se sont multipliées ces dernières années, le plan national de lutte contre le phénomène des « mules » en provenance de Guyane est très loin d'avoir produit les effets escomptés.

1. Des services sous-dotés

L'augmentation des effectifs des services d'enquête, des douanes et des magistrats en poste dans les territoires ultramarins est loin d'être suffisante pour faire face à l'intensification du trafic de stupéfiants et de la violence qui en découle. Le sous-dimensionnement des moyens humains au regard de l'ampleur du narcotrafic ne permet ni d'exploiter l'ensemble des renseignements disponibles, ni d'absorber la charge d'investigation induite, ni a fortiori de lutter contre la délinquance économique et financière liée au trafic de stupéfiants.

Les moyens techniques sont notoirement insuffisants, tant pour l'enquête que pour la surveillance. À titre d'illustration, l'aéroport Félix Éboué (Guyane) n'a été que récemment doté d'équipements qui sont pourtant des outils de base du contrôle (scanner à rayons X pour les bagages et scanners à ondes millimétriques pour déceler les drogues transportées sous les vêtements), alors même qu'il était - et reste - un point majeur de départ des stupéfiants vers l'Europe. Les aéroports antillais ne disposent toujours pas de tels équipements, ce qui ne manque pas d'inquiéter dans la mesure où les trafiquants recherchent continuellement de nouveaux points d'entrée plus poreux pour exporter leurs produits.

2. Des mesures parcellaires

Ce n'est que le 27 mars 2019 que le Gouvernement a mis en place un plan national de lutte contre le phénomène des « mules », ces convoyeurs qui acceptent de transporter de la cocaïne dans leurs bagages, à corps ou in corpore, contre une rémunération pouvant aller jusqu'à 3 000 euros : jusqu'à la moitié des passagers d'un vol en provenance de la Guyane ou des Antilles peuvent être des passeurs. Un volet de ce plan concernait la simplification des procédures de traitement des passeurs, rendue inévitable par l'embolie des services répressifs et du tribunal judiciaire de Cayenne.

Des contrôles à 100 %, pourtant recommandés par le Sénat dès 20206(*), n'ont été mis en place qu'en 2022, vingt ans après les Pays-Bas pour les vols en provenance du Suriname. Or, c'est en grande partie la stratégie néerlandaise qui a conduit à un report du trafic de cocaïne vers et depuis la Guyane, une situation sur laquelle l'État a trop longtemps fermé les yeux. Ce retard est d'autant plus coupable que les résultats des contrôles « à 100 % » sont impressionnants : entre leur mise en place et le 31 janvier 2024, ils ont permis la saisie d'une tonne de cocaïne transportée par 680 « mules ».

3. Des résultats décevants, en dépit de l'implication des services

Si la mise en place des procédures simplifiées pour le traitement des « mules » est supposée avoir réduit la pression sur les services répressifs, la saturation des forces de sécurité intérieure et de la douane est devenue une réalité tout aussi quotidienne que préoccupante en Guyane, dans les Antilles et à Paris. Il est à craindre que la priorité donnée à la lutte contre l'embolisation des services via des réponses pénales rapides ne se fasse au détriment de procédures certes plus longues, mais aussi plus à même d'avoir un effet curatif à long terme, par le démantèlement des filières.

Au final, si la stratégie mise en place en Guyane a indéniablement eu des effets positifs, elle est davantage tournée vers la protection de l'Hexagone que vers celle des territoires ultramarins, justifiant le sentiment d'abandon des habitants, des élus et de la chaîne pénale. Elle a aussi immédiatement conduit à la mise en place de deux grandes stratégies de contournement : le report vers la voie maritime et le report vers les Antilles.

C. DES SERVICES RÉPRESSIFS MOBILISÉS ET PLEINEMENT INVESTIS DANS LEUR MISSION, MAIS NÉGLIGÉS ET SOUS-DOTÉS

La commission d'enquête a été frappée par la grande implication des personnels mobilisés au quotidien par la lutte contre le narcotrafic. La commission d'enquête trouve d'autant plus admirable l'engagement des forces de sécurité intérieure et des magistrats qu'un gouffre les sépare des narcotrafiquants, assis sur une manne financière de plusieurs milliards d'euros.

1. Des services d'enquête démunis

L'augmentation des effectifs dans les forces de sécurité intérieure n'est pas en adéquation avec le niveau du narcotrafic, un fléau désormais présent dans l'ensemble des territoires, y compris les plus ruraux d'entre eux.

Alors que les trafiquants sont de plus en plus ingénieux et tirent pleinement profit des nouvelles technologies et des réseaux cryptés, les services d'enquête accusent un retard technologique. Il y a sur ce point un décalage significatif et inquiétant entre le discours du ministère de l'intérieur, qui estime qu'il n'y a pas de problème « capacitaire » dans le déploiement des techniques spéciales d'enquête (géolocalisation, interception des communications), et la réalité du terrain décrite par les services. Non seulement les matériels sophistiqués (IMSI-catchers, key-loggers...) manquent, mais surtout l'informatique ne permet même pas une exploitation sereine des écoutes téléphoniques par les services d'enquête. Plus structurellement, l'absence de réponse au déficit d'attractivité de la filière investigation ne peut que susciter les plus grandes inquiétudes pour l'avenir de la lutte contre le narcotrafic, d'autant que la réforme de la police judiciaire pourrait aggraver la désaffection des enquêteurs.

À ces failles matérielles, s'ajoutent des failles juridiques. Une grande partie des femmes et des hommes engagés au quotidien sur le terrain dans la lutte contre le narcotrafic s'inquiète davantage de sa sécurité juridique que de son intégrité physique. La gestion des sources - le renseignement humain demeurant la clé de voûte des investigations -, le recours aux collaborateurs de justice (les « repentis ») ainsi que les enquêtes sous pseudonyme et les infiltrations font partie des sources d'insécurité et/ou d'entrave pour l'action des policiers et des gendarmes, qui craignent légitimement d'être accusés de provocation à l'infraction.

Ce contexte explique que la commission d'enquête ait rencontré sur le terrain des policiers et des gendarmes qui avouent se limiter au bas - ou, au mieux, au milieu - du spectre, faute de moyens juridiques et humains leur permettant de toucher les têtes de réseau, et qui admettent être saturés par le traitement des « petites mains » interpellées dans le cadre des opérations de voie publique type « place nette » : une telle situation ne saurait être admise.

Ces difficultés vont au-delà de la police et de la gendarmerie. Administration de la frontière et de la marchandise, la douane se situe en première ligne pour intervenir sur deux caractéristiques du narcotrafic : sa matérialité, les marchandises illicites, et sa territorialité, le franchissement de frontières et l'exploitation de la porosité des plateformes logistiques. Pourtant, les effectifs demeurent insuffisants dans les ports et dans les aéroports, en particulier dans les ports dits « secondaires », ainsi qu'au sein de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). La charge de la DNRED est d'autant plus forte que d'autres services du premier cercle du renseignement se sont désinvestis de la lutte contre le narcotrafic.

2. Une autorité judiciaire débordée malgré des renforts par à-coups

Les magistrats sont unanimes quant à la faiblesse des moyens matériels et humains qui leur sont accordés, y compris dans les juridictions spécialisées dans la lutte contre la criminalité organisée. La pénurie ne concerne pas seulement les magistrats, mais aussi les greffiers et les assistants spécialisés. Les renforts sont obsolètes quasiment dès le moment de leur annonce. Qu'on en juge : si les effectifs du tribunal judiciaire de Marseille ont bien été augmentés, parallèlement, le nombre de dossiers en stock liés à la criminalité organisée a augmenté de 21 % entre 2022 et 2023, avec une augmentation de 91 % pour les seuls règlements de comptes. Cette situation conduit à des situations peu admissibles, comme à Valence où, faute d'effectifs suffisants et de temps d'audience disponible aux assises, des violences assimilables à des actes de barbarie sont traitées en comparution immédiate.

3. Les opérations « place nette » : de la poudre aux yeux ?

Si les opérations « place nette », « XXL » ou non, sont apparues récemment dans le vocabulaire gouvernemental, puis médiatique et public, elles ne sont pas une nouveauté. Elles constituent en effet la plus récente déclinaison d'une stratégie annoncée dès le « plan stups » de 2019, appliquée depuis 2020-2021 et qui avait auparavant pris la forme des opérations « Tempête » ou le visage du « pilonnage » des points de deal. Le bilan de ces opérations appelle plusieurs questions : sont-elles un outil d'ordre public ou, comme le soutient le Gouvernement, la pierre angulaire de la lutte contre le narcotrafic ? Permettent-elles vraiment de démanteler les réseaux ou sont-elles limitées à l'appréhension des « petites mains » du trafic ?

473 opérations « place nette » ont été menées entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024. Les résultats sont pour le moins limités : les saisies de drogues autres que le cannabis sont très faibles - moins de 40 kilogrammes pour la cocaïne -, à peine quelques millions d'euros saisis, pour plus de 50 000 gendarmes et policiers mobilisés. Si on se limite aux seules opérations dites « XXL », les résultats ne sont pas meilleurs, avec à peine de 18 kilogrammes de cocaïne saisis.

Les résultats judiciaires apparaissent également décevants : sur la période précitée, 728 personnes ont été déférées, ce qui est particulièrement faible pour des opérations qui - par nature - visent soit des « cibles judiciaires » pré-identifiées, soit des cas de flagrance. Faut-il s'en étonner dans un contexte où les parquets ne sont pas associés à la décision de lancer une opération « place nette », qui revient exclusivement au préfet ?

Les travaux de la commission d'enquête montrent, aussi et surtout, que les opérations « place nette » sont moins efficaces que les opérations de « pilonnage » qui, en 2023, avaient permis de saisir plus de 425 kilogrammes de cocaïne, 1 268 armes et 13,7 millions d'euros d'avoirs criminels.

Par ailleurs, aucune réponse n'a été apportée à la commission d'enquête sur la proportion de points de deal démantelés qui se traduisent par un report vers d'autres formes de trafic, plus difficiles encore à détecter et qui restent aujourd'hui « sous les radars » : commandes par messageries cryptées, livraisons postales, « Uber shit » et « Uber coke », etc. Des questions, non moins importantes, demeurent aussi sur l'articulation entre les opérations « place nette » et les enquêtes judiciaires et patrimoniales, seules à même de véritablement permettre de remonter une filière et de faire durablement tomber des réseaux.

D. DES RÈGLES DE DROIT QUI LAISSENT OUVERTES DES FAILLES DONT PROFITENT LES NARCOTRAFIQUANTS

Les travaux de la commission d'enquête ont permis de repérer des failles juridiques qui sont autant de fragilités facilitatrices pour les narcotrafiquants.

1. Une procédure pénale trop favorable aux trafiquants ?

La plupart de ces failles concernent la procédure pénale. Elles portent sur :

· l'exposition des méthodes d'intervention des services répressifs les plus sensibles aux trafiquants, grâce à une utilisation dévoyée du principe du contradictoire. Lorsqu'elles deviennent suffisamment connues des délinquants, à l'instar des écoutes téléphoniques, ces techniques sont contournées par différents procédés ;

· le périmètre incomplet des règles dérogatoires applicables aux infractions de la criminalité organisée, qui ne peuvent pas être utilisées pour certaines infractions qui y sont pourtant connexes, à l'instar des infractions applicables à des règlements de compte (violences graves en réunion ou avec arme, etc.) ou de la corruption liée au narcotrafic ;

· le caractère inabouti de la spécialisation et de la professionnalisation de la chaîne pénale en matière de criminalité organisée, situation problématique compte tenu de la très grande complexité de ces affaires et des risques élevés de pressions qui peuvent s'exercer sur les jurés populaires ;

· l'utilisation dolosive de certaines règles du code de procédure pénale, c'est-à-dire l'emploi de stratagèmes par une minorité d'avocats de la défense qui suscitent délibérément des irrégularités de procédure via le recours à divers procédés déloyaux.

2. La poursuite du narcotrafic en prison

Notre système d'incarcération ne prévoit pas, en tant que tel, un traitement spécifique pour les narcotrafiquants de haut vol afin de les empêcher de continuer à gérer leur trafic en prison ; ils profitent aujourd'hui de la présence massive de téléphones portables en prison et des imperfections des dispositifs de « brouillage ».

Sur ce sujet, la commission d'enquête déplore l'insuffisance des informations qui lui ont été transmises, laissant sans réponse plusieurs questions : arrive-t-il que l'administration pénitentiaire tolère la présence de téléphones portables pour ménager ses relations avec les riverains, pour pouvoir écouter les conversations de détenus restés en lien avec leurs complices, voire pour « acheter la paix civile » ? Comment expliquer que le brouillage ne paraisse pas complètement opérationnel dans des établissements pourtant équipés de matériels fixes ? Il est urgent que la lumière soit faite sur ces sujets et que l'incarcération redevienne capable de mettre les narcotrafiquants hors d'état de nuire.

3. Une corruption difficile à détecter comme à réprimer

La commission d'enquête estime que l'un des phénomènes les plus préoccupants qu'il lui ait été donné de constater au cours de ses travaux est la montée en puissance de la corruption, véritable venin dont le Gouvernement ne semble pas avoir encore pris la mesure : cette évolution - face à laquelle certains préfèrent fermer les yeux - est à la fois sous-estimée, le décompte des faits de corruption étant incomplet, et mal documentée, le risque corruptif n'étant pas encore pris en compte par les administrations dites « généralistes », pourtant largement exposées. En dépit d'une prise de conscience récente des services répressifs (police, gendarmerie et douanes), la France a accumulé un préoccupant retard dans la prise en charge du risque de compromission de ses agents publics et privés, laissant le champ encore trop libre aux trafiquants et à leurs affidés.

E. UNE ORGANISATION ET UN DROIT INADAPTÉS À LA RÉALITÉ D'UN BLANCHIMENT ENDÉMIQUE

S'il est bien un constat qui fait l'unanimité, c'est que la lutte contre les flux financiers issus du trafic de stupéfiants et la confiscation des avoirs criminels constituent le nerf de la guerre contre le narcotrafic. Pourtant, en dépit de cet objectif partagé et maintes fois réitéré, les moyens juridiques et humains ne sont pas à la hauteur d'un blanchiment endémique.

Non seulement le volet financier du narcotrafic n'est pas encore suffisamment pris en compte (ce qu'explique, au moins pour partie, la sédimentation des entités en charge du sujet : on en dénombre une quinzaine, qui constituent un véritable dédale para-administratif), mais surtout les saisies et confiscations demeurent trop faibles pour atteindre vraiment les acteurs du narcotrafic.

La commission d'enquête avait pour objectif de cartographier les flux financiers issus du trafic, et notamment les flux d'argent liquide (qui occupent la première place parmi les avoirs criminels saisis en lien avec le trafic de stupéfiants en 20227(*)). Elle s'est toutefois heurtée à un principe de réalité : aujourd'hui, personne ne sait ce qu'il advient de ces flux, dont la trace est rapidement perdue par les services d'enquête.

Des schémas d'opérations « écrans » sont bien identifiés (utilisation de sociétés locales et du travail dissimulé, mise à disposition de prête-noms, envoi des fonds à l'étranger ou encore détention de cryptoactifs), sans qu'il soit possible à ce jour de les entraver. Cette situation s'explique notamment par un constat : identifier et saisir les avoirs criminels reste une véritable course d'obstacles du fait à la fois de la complexité et de l'opacité des formules utilisées par les trafiquants, là encore très créatifs, et de l'insuffisance des outils juridiques et techniques mis à la disposition des services d'enquête. Il en résulte une décorrélation entre le chiffre d'affaires du narcotrafic et les confiscations : alors que le trafic représente chaque année 3,5 milliards d'euros, en fourchette basse, et qu'il constitue le marché criminel le plus important en valeur dans notre pays, les saisies qui en découlent ne représentent que 14 % du total des saisies opérées par la police et la gendarmerie en 2023, soit à peine 117 millions d'euros.

Cette décorrélation n'est pas acceptable et soulève un problème politique majeur : alors que se pose la question du financement des moyens humains et techniques supplémentaires réclamés par la commission d'enquête pour mettre enfin l'État en capacité de lutter à armes égales contre les trafiquants, le Gouvernement se prive, faute d'efforts pour identifier les avoirs criminels, d'une manne qui pourrait s'élever a minima à plusieurs centaines de millions d'euros supplémentaires.

F. DES ACTEURS « ÉPARPILLÉS FAÇON PUZZLE », AU NIVEAU CENTRAL COMME AU NIVEAU LOCAL

On s'est parfois demandé si l'Europe avait un numéro de téléphone : la commission d'enquête se demande désormais si la lutte contre le narcotrafic en a un et s'il lui est possible de parler d'une même voix et d'agir d'un même mouvement, ce qui est aujourd'hui loin d'être le cas. L'Ofast, créé en 2019 dans le cadre du premier « plan stups » pour donner un chef de file à la lutte antidrogue, ne dispose toujours pas des moyens requis pour assumer ce rôle.

La commission d'enquête a d'abord recueilli, sur le terrain, de nombreux exemples de problèmes de coordination, d'ignorance réciproque, de chevauchements de compétences, voire de rivalités entre services - problèmes anciens, mais auxquels l'urgence de la situation donne un relief particulier. Elle a également relevé un manque d'association des partenaires pourtant essentiels sur le terrain que sont les élus locaux, à commencer par les maires et les polices municipales, et les bailleurs sociaux, à la fois victimes et témoins du petit trafic.

Mais c'est surtout le rôle de l'Ofast qui a retenu l'attention des commissaires, avec des problèmes majeurs de positionnement vis-à-vis des autres acteurs de la lutte contre le narcotrafic. En cause, la coordination entre les antennes locales de l'Ofast, mais aussi l'organisation interne de l'Office et la très forte autonomie de certains de ses partenaires, comme la DNRED.

L'éparpillement se manifeste aussi dans le champ du renseignement : ce constat a de quoi préoccuper dans un contexte où de nombreux intervenants, à commencer par des membres éminents du Gouvernement, estiment nécessaire de traiter le narcotrafic de la même manière qu'est traité le terrorisme. En effet, le rôle du renseignement dans la lutte contre le narcotrafic est aujourd'hui particulièrement flou avec, du côté du renseignement administratif, une DGSI aux abonnés absents et des services de renseignement du premier cercle paradoxalement concentrés à Bercy, comme avec, du côté des services d'enquête, l'émergence du concept de « renseignement criminel », notion dénuée de doctrine claire et qui compte autant de définitions que de locuteurs. La France n'a pas encore décidé du rôle qu'elle veut confier, sur le narcotrafic, à ses services de renseignement, alors même que leur vocation naturelle est de lutter contre les menaces aux intérêts fondamentaux de la nation : cette incertitude nuit à l'efficacité collective et constitue une grave faille.

Cette discordance généralisée, qui ne rend pas justice à l'investissement remarquable des effectifs engagés sur le terrain, pourrait étonner ; mais elle n'est que le reflet de la politique du Gouvernement, otage d'une vision d'ensemble désarticulée. C'est ce dont témoigne le projet de « plan stups » rénové, dont le rapporteur a obtenu la communication après de longues semaines de tractations. Présenté comme un document « finalisé » à la fin de l'année 2023 et appelé à prendre la suite du premier plan de 2019 qui arrivait à échéance en 2023, ce plan n'a toujours pas, à l'heure où ces lignes sont écrites, été publié. Ce retard est, en lui-même, un facteur de lourdes interrogations ; son contenu ne l'est pas moins.

Le projet de plan est, en effet, à la fois :

· désincarné, aucun acteur ne se voyant assigner un rôle clair, au point que l'on peut se demander si les termes imprécis qui sont employés n'ont pas été choisis pour éviter de trancher ;

· famélique, les mesures elles-mêmes étant libellées avec un grand laconisme et bâties sur un modèle invariable : « cette politique est insuffisante et nous ne dirons pas pourquoi ; il faut donc la renforcer et nous ne dirons pas comment » ;

· en recul par rapport au « plan stups » de 2019, avec des objectifs moins ambitieux que ceux qui étaient fixés par le passé.

Miroir d'une politique publique sans stratégie d'ensemble, le plan présenté n'est pas à la hauteur des enjeux.

III. POUR UNE RÉPONSE À LA HAUTEUR DE LA MENACE 

Les solutions proposées par la commission d'enquête pour permettre à la France de sortir du piège du narcotrafic forment un tout cohérent qui doit permettre de mettre la riposte au niveau et de donner aux services répressifs la capacité de frapper le trafic au coeur. Elles répondent à trois priorités majeures :

· donner un rôle clair à chaque acteur et doter les « chefs de file » de l'autorité requise pour exercer pleinement leurs missions. Tel sera le rôle de l'Office anti-stupéfiants rénové, véritable « DEA à la française » qui sera placée en surplomb des services qu'elle coordonne, et du futur parquet national antistupéfiants (Pnast) ;

· mettre la procédure pénale à la hauteur des enjeux, sans renoncer au nécessaire équilibre entre sécurité et liberté, entre judiciaire et renseignement, entre prise en compte des besoins opérationnels des acteurs de l'enquête et respect des grands principes de notre droit pénal, les renforts en effectifs réclamés par la commission d'enquête pouvant aisément être financés grâce aux mesures qu'elle propose pour mieux identifier - et donc mieux confisquer, au bénéfice du budget de l'État - les avoirs criminels ;

· lutter de manière résolue contre toutes les formes de corruption grâce auxquelles le trafic abîme et déstabilise les institutions des pays qu'il cible pour mieux s'en emparer.

A. ASSUMER UNE POSITION FORTE DANS LES CONCERTATIONS EUROPÉENNES ET DANS LA COOPÉRATION INTERNATIONALE

Les narcotrafiquants se jouent des frontières. La France, forte de son réseau diplomatique, doit mobiliser à plein ses atouts pour porter le combat sur l'arène internationale.

Il est notamment urgent d'agir de manière résolue auprès de l'émirat de Dubaï, désigné par un très grand nombre de policiers et de magistrats comme un havre pour les narcotrafiquants du haut du spectre. La commission estime que cette impunité peut être combattue grâce, notamment, à la mise en place à titre expérimental d'un magistrat de liaison européen à Dubaï - comme, à terme, dans d'autres pays « refuges ». Il est tout aussi urgent de renforcer la coopération entre la France et les pays producteurs de cocaïne en Amérique du Sud et d'agir à l'échelle européenne auprès de la Chine pour obtenir sa collaboration en matière de lutte contre le blanchiment.

Une autre piste à explorer est celle de l'extension du modèle du MAOC-N, véritable « success story » en matière de partage du renseignement dans la lutte contre le narcotrafic en haute mer ; parallèlement, il convient de lever les entraves qui pèsent sur l'action de la Marine nationale en donnant à la France une compétence universelle en matière de trafic de stupéfiants qui facilitera son intervention en haute mer.

La lutte se mène également sur la scène européenne où les choses vont bien trop lentement. Aussi indispensable soit-elle, on ne saurait attendre l'adoption des trains de mesures sur la confiscation des avoirs ou sur la lutte contre le blanchiment pour avancer dans la coopération européenne. Cette coopération est particulièrement indispensable en matière d'intelligence artificielle et de traitement en masse de données : la commission d'enquête estime nécessaire que le niveau européen soit privilégié pour le développement des outils dans ces domaines en faisant émerger des champions européens pour mieux lutter, notamment, contre le phénomène « Uber shit » et contre le blanchiment.

B. SE DONNER LES MOYENS DE LA SÉCURITÉ DANS LES OUTRE-MER

Outre l'échelle internationale, la lutte contre le narcotrafic passe par des mesures adaptées dans tous les territoires de la République. Proches des États producteurs, convoités par les trafiquants pour leur place stratégique sur la route vers l'Europe, les outre-mer sont en première ligne face à la menace et ont besoin d'un soutien que le Gouvernement n'a pas su leur apporter.

Si elle continue à prioriser la lutte contre l'entrée des stupéfiants en Europe, la doctrine d'intervention de l'État est vouée à l'échec. La commission d'enquête défend une stratégie du bouclier qui doit se traduire aussi et surtout par le repoussement des flux et des réseaux qui tentent de se servir des collectivités d'outre-mer comme de lieux de stockage et de transit.

Les contrôles à 100 % doivent être pérennisés en Guyane et étendus en Martinique et en Guadeloupe, de façon à empêcher tout report des narcotrafiquants. Cette nouvelle approche offensive suppose également de développer les contrôles à l'intérieur même des territoires ultramarins (contrôles routiers, notamment) au profit de la sécurité locale et d'accélérer le déploiement des moyens techniques qui, promis de longue date, se font toujours attendre (scanners mobiles, renouvellement du parc aéromaritime, scanners de bagages...).

La politique de lutte contre les « mules » doit, elle aussi, être rénovée pour éviter toute surenchère, avec la mise en place - de manière palliative et provisoire - de nouvelles mesures administratives et avec la création d'une nouvelle peine complémentaire d'interdiction de vol. En parallèle, les aéroports ultramarins (dont les importantes failles en matière de sûreté-sécurité offrent aux organisations criminelles des facilités qu'elles n'osaient même pas espérer) doivent être sécurisés.

C. SÉCURISER LES INFRASTRUCTURES PORTUAIRES

Le vecteur maritime constitue la principale voie d'entrée de la cocaïne en Europe. Entre 800 et 1 000 tonnes de cocaïne transitent chaque année vers le Vieux Continent. Il s'agit d'un véritable « tsunami blanc », qui exerce une très forte pression sur les infrastructures portuaires et sur les acteurs privés comme publics.

Il importe ainsi de mieux suivre les flux maritimes et portuaires pour mieux les contrôler, en particulier en mettant en place une « liste noire » des compagnies maritimes qui servent de façades à des organisations criminelles et en contrôlant l'intégralité des conteneurs identifiés comme « à risque » (étant rappelé que seuls 2 % à 10 % d'entre eux sont contrôlés aujourd'hui...), de garantir la robustesse des infrastructures, y compris sur le plan « cyber », d'harmoniser par le haut le niveau des contrôles douaniers en Europe et de prendre en compte les risques qui pèsent sur les ports secondaires, nouvelles cibles des narcotrafiquants.

D. REMETTRE À NIVEAU LES MOYENS D'ACTION DES SERVICES RÉPRESSIFS

La commission d'enquête propose de faire de l'Ofast le vrai chef de file de la lutte contre le narcotrafic - ce qu'il n'est qu'en titre jusqu'à présent - et de le repenser comme une « DEA à la française ». Cela doit passer par un changement de son positionnement institutionnel : simple office rattaché à la direction générale de la police nationale, l'Ofast peut difficilement jouer son rôle de coordination de l'action des services répressifs. Un double rattachement aux ministères de l'intérieur et de l'économie et des finances sera de nature à faciliter le dialogue avec les organismes relevant de ce dernier ministère, à commencer par les douanes. Une telle mesure doit s'accompagner d'un recentrage de l'Office sur son coeur de métier, à savoir la poursuite des trafiquants du « haut du spectre », d'un renforcement de ses moyens (avec notamment la création d'une direction technique autonome) et de la mise en oeuvre d'un pouvoir d'évocation sur les enquêtes les plus complexes.

Parallèlement, la lutte contre le narcotrafic restera aveugle sans une véritable association des acteurs locaux que sont les maires et les bailleurs sociaux, dont le rôle de vigies doit être mieux mis en valeur. Les maires, notamment, ont besoin d'être sécurisés dans ce rôle, et dotés de véritables moyens d'action contre le narcotrafic au niveau local.

Il convient enfin de développer le recours aux techniques innovantes. Interrogés sur ce dont ils avaient le plus besoin pour significativement accroître l'efficacité de la lutte contre le narcotrafic, les services d'enquête et les magistrats ont unanimement cité, parmi leurs priorités, l'impératif de disposer de capacités techniques et cyber suffisantes pour accéder aux réseaux cryptés. Les dossiers EncroChat et Sky ECC le démontrent : casser une messagerie cryptée, c'est augmenter la probabilité de remonter toute une filière, de démanteler un réseau et d'aboutir à de nombreuses condamnations et saisies.

Alors que les narcotrafiquants ne cessent d'investir pour développer et acquérir des outils technologiques de pointe, les forces de l'ordre doivent être en mesure d'entraver l'utilisation de ces moyens de communication.

Pour les services d'enquête, le recours à l'intelligence artificielle a pour principal avantage de permettre de traiter rapidement un immense volume de données - volume que des services d'enquête sous-dotés et surchargés de dossiers ne seraient jamais en mesure d'appréhender à eux seuls. Elle peut concourir à comprendre des réseaux, à éclairer l'environnement des mis en cause, à recueillir des éléments de preuve et donc, in fine, à progresser dans les enquêtes. La commission d'enquête considère que l'usage de l'intelligence artificielle (IA) doit être développé et devenir un appui pour les services, sans céder à la tentation d'un usage généralisé qui ne serait pas sans soulever de difficultés au regard de la protection des données personnelles et du droit au respect de la vie privée. Il est essentiel que les services disposent au plus vite d'une analyse des potentialités permises par le cadre juridique actuel (qui n'a pas été épuisé par les pratiques existantes) pour expérimenter leurs outils.

E. REDONNER SA JUSTE PLACE AU RENSEIGNEMENT

Dans la lutte contre le narcotrafic, la France se situe désormais à un point de bascule : Dans ce contexte, le renseignement doit retrouver sa juste place et le narcotrafic être traité pour ce qu'il est vraiment, une menace pour les intérêts fondamentaux de la nation. Ce constat soulève une interrogation quant à l'articulation entre le renseignement et le judiciaire ; la commission d'enquête s'est attachée à défendre une distinction nette entre les deux.

1. Reconnaître et sanctuariser le rôle du renseignement administratif

La commission d'enquête s'est longuement interrogée sur le fait qu'en l'absence d'une pleine implication de la DGSI dans la lutte contre le narcotrafic, cette mission était prioritairement assurée par deux services du premier cercle relevant non pas du ministère de l'intérieur mais de celui de l'économie et des finances, à savoir la DNRED et Tracfin. Elle n'a pas obtenu de réponse claire sur cet état de fait, alors même qu'il soulève des interrogations substantielles.

Sans préconiser un big-bang de l'organisation actuelle, qui risquerait de conduire à reprendre des années de retard en matière de lutte contre le narcotrafic, la commission d'enquête estime que la coordination doit être davantage structurée. En parallèle, la DGSI doit être pleinement remobilisée : il est plus que surprenant que de nombreux services d'enquête aient indiqué n'avoir eu aucun contact avec cette direction s'agissant de la lutte contre le narcotrafic.

En matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, la finalité du renseignement doit être la judiciarisation pour parvenir à démanteler les réseaux et à mettre hors d'état de nuire les trafiquants. Cela implique que les services du renseignement se mettent véritablement au service des services d'enquête et des magistrats, afin de prévenir toute difficulté lors de la judiciarisation du dossier. À l'inverse, les dossiers judiciaires regorgent de détails non exploités très précieux pour le renseignement, qui doivent être remontés aux services. Dans la lutte contre le narcotrafic en effet, aucune information ne doit être perdue.

2. Crédibiliser le « renseignement criminel »

Le renseignement criminel correspond à toute information issue d'une source ouverte ou fermée, relative à une activité délictuelle ou criminelle et qui peut donner lieu à une exploitation, afin de lutter contre un ou plusieurs groupes criminels organisés.

Deux axes de réforme concernent ce renseignement criminel : le premier porte sur la création d'un grand fichier dédié à la criminalité organisée (réclamée par la police, la gendarmerie et l'Ofast) et dont la description est de nature à brouiller la frontière si essentielle entre le renseignement et le judiciaire. La remise en cause de cette frontière est assumée par les porteurs de ce projet : le modèle cité est celui du terrorisme, c'est-à-dire d'un fichier de souveraineté auquel n'ont accès que les services de renseignement du premier cercle.

La commission d'enquête fait preuve de la plus grande prudence face à un tel fichier, qui ne saurait être légitime que s'il est suffisamment encadré, soumis à une autorité de supervision suffisamment puissante et adossé à un partage des rôles clairement garanti. Il est frappant - et préoccupant - que ni la police nationale, ni la gendarmerie nationale, ni l'Ofast n'aient été capables de s'interroger sur le futur contrôle du fichier ou de préciser la nature des traitements envisagés.

Le second axe de réforme concerne les 104 cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross) qui ont pour mission de recueillir, d'analyser, d'enrichir et de favoriser le partage des renseignements opérationnels ainsi que de cartographier les réseaux de narcotrafiquants. Elles ont permis d'obtenir des résultats notables : en 2023, ce sont 1 265 personnes écrouées, 290 réseaux mis en cause, 721 kilogrammes de cocaïne saisis, 16 tonnes de cannabis, 604 armes et quasiment dix millions d'euros d'avoirs.

Pour poursuivre leur montée en puissance, les Cross doivent être véritablement fonctionnelles sur l'ensemble du territoire et disposer de personnels suffisamment formés pour en assurer l'animation et favoriser l'exploitation des renseignements. Elles doivent également s'intégrer dans un dispositif plus vaste, dont le but doit être d'obtenir la condamnation pénale effective des trafiquants : c'est dans cette perspective que la commission d'enquête propose que les parquets soient intégrés aux Cross afin d'enrichir les enquêtes en cours comme de préparer au mieux la judiciarisation des dossiers.

F. ADAPTER LE DROIT PÉNAL ET LA PROCÉDURE PÉNALE AUX RÉALITÉS DU NARCOTRAFIC

La commission d'enquête l'a affirmé : il est plus que temps que la réalité de la menace liée au narcotrafic soit prise en compte et que les moyens de la lutte soient portés au niveau supérieur.

Ce constat vaut, plus encore que dans d'autres matières, dans le domaine de procédure pénale : il faut aujourd'hui donner aux officiers de police judiciaire et aux magistrats les moyens juridiques d'agir contre le trafic, en priorisant le « haut du spectre ».

1. Créer un parquet national antistupéfiants

Sur les modèles pertinents et réussis du parquet national financier (PNF) et du parquet national anti-terrorisme (Pnat), la commission d'enquête estime indispensable la création d'un parquet national antistupéfiants (Pnast), équivalent judiciaire de l'Ofast rénové qui en serait le bras armé.

Le Pnast, acteur national et centralisateur, aurait pour compétence la lutte contre le narcotrafic du « haut du spectre » ; il disposerait d'un monopole sur la gestion des « repentis » et des futurs informateurs « civils » dont la commission d'enquête propose la création et répondrait à deux impératifs majeurs : d'une part, celui de la spécialisation qui, seule, peut permettre de tenir compte des particularités des réseaux de narcotrafic de massifier le recours aux techniques spéciales d'enquête et d'aller plus loin dans la mise au jour de circuits de blanchiment qui échappent aujourd'hui à la répression faute de pouvoir être identifiés ; d'autre part, celui de l'incarnation, ce nouveau parquet permettant l'émergence d'une figure unique, clairement identifiée et qui sera l'interlocuteur de référence au sein de la sphère judiciaire comme auprès des services répressifs dans leur ensemble.

2. Durcir la procédure pénale pour mettre les narcotrafiquants hors d'état de nuire

La création de nouveaux outils de procédure pénale est un axe-clé des travaux de la commission d'enquête. Elle recommande :

· d'étendre l'infraction d'association de malfaiteurs, sur le modèle de la loi antimafia italienne, et de créer un crime d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un des crimes relevant de l'article 706-73 du code de procédure pénale ;

· de créer un dossier confidentiel, dit « coffre », permettant de préserver du contradictoire certaines techniques spéciales d'enquête ;

· de mieux encadrer le régime des nullités de procédure ;

· de spécialiser l'ensemble de la chaîne pénale pour couvrir non seulement des faits nouveaux (règlements de comptes liés au narcotrafic, notamment), mais aussi des domaines supplémentaires, comme l'application des peines ;

· d'adapter les modalités de détention des narcotrafiquants ce qui suppose, d'une part, d'assurer l'interdiction effective des téléphones portables via un brouillage généralisé de tels appareils et, d'autre part, de durcir le régime de la détention provisoire.

3. Mieux protéger le recours aux informateurs et étendre le statut des « repentis »

La commission d'enquête est convaincue que le législateur doit se saisir du sujet des informateurs sans fausse pudeur en encadrant la possibilité donnée aux policiers et gendarmes de s'appuyer sur des sources, tout en reconnaissant avec franchise qu'un bon informateur n'est pas celui qui est innocent de toute infraction. La commission est également favorable à ce qu'un informateur puisse devenir un infiltré « civil », ce qui implique qu'il bénéficie d'une complète immunité pénale sous réserve de respecter des conditions strictes qu'il incombera au futur Pnast de fixer.

S'agissant de l'infiltration policière, la commission d'enquête souhaite un assouplissement (ou a minima une clarification) de la notion d'« incitation à la commission d'une infraction » qui, aujourd'hui imprécise et insécurisante, dissuade les services répressifs de recourir à l'infiltration - qui est pourtant un outil puissant de démantèlement des réseaux.

La commission d'enquête appelle également à une refonte globale du dispositif des repentis afin de libéraliser largement son usage pour l'ensemble des infractions en lien avec le narcotrafic, y compris les crimes de sang, et de garantir aux personnes concernées une réduction ou une exemption de peine dès l'entrée dans un programme de protection.

4. Mineurs et « petites mains » : trouver la réponse adaptée

Face à la gravité des faits de narcotrafic commis par les mineurs, la commission d'enquête propose la mise en place d'un régime pénal spécifique pour ces derniers, similaire à celui envisagé par le Sénat dans le cadre de la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste déposée en décembre 2023 par le président de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet8(*), ce qui permettra en particulier une réponse plus ferme dès la première infraction.

Cette répression renforcée ne doit pas conduire à négliger l'aspect éducatif. La commission plaide ainsi pour une prise en charge renforcée de ces mineurs par les services éducatifs agissant conjointement (protection judiciaire de la jeunesse et aide sociale à l'enfance). En outre, elle souhaite tirer pleinement profit de l'infraction pénale de provocation d'un mineur au trafic de stupéfiants afin de mieux sanctionner les narcotrafiquants qui exploitent les « jobbeurs » et les « charbonneurs » : elle propose notamment que toute « offre d'emploi » liée au trafic et publiée sur un réseau social accessible aux mineurs soit considérée comme une telle provocation, et donc passible de sept ans de prison.

Les trois principales recommandations de la commission d'enquête pour mettre la procédure pénale au niveau de la menace que représente le narcotrafic :

· créer un parquet national anti-stupéfiants (Pnast), acteur spécialisé qui sera la référence sur le narcotrafic pour la sphère judiciaire et aura un monopole sur la gestion des « repentis » et des infiltrés « civils » ;

· faciliter les infiltrations policières et le traitement des sources, et créer une infiltration « civile » par des informateurs devenus infiltrés ;

· durcir la procédure pénale, avec notamment la création d'un dossier « coffre » pour les techniques spéciales d'enquête les plus sensibles.

G. ENDIGUER LE POUVOIR CONTAMINANT DU NARCOTRAFIC : LUTTER CONTRE LA CORRUPTION

Compte tenu du risque particulièrement élevé de corruption des agents publics, la commission d'enquête estime que les inspections générales et des services des administrations concernées doivent rapidement mettre en place un véritable plan anti-corruption cohérent après avoir évalué et cartographié le risque corruptif qui les concerne. Il importe également que les faits de corruption, même de « basse intensité », soient clairement identifiés comme tels, permettant de prendre la mesure quantitative et qualitative d'un phénomène qui reste encore largement sous-estimé.

Ce travail doit s'accompagner de mesures exigeantes visant à mieux lutter contre toute forme de compromission, avec :

· une modification de l'organisation du travail visant à rendre matériellement impossible la corruption des agents publics (travail en binôme, turn-over régulier, postes de travail tournants...) ;

· une meilleure détection des usages anormaux des fichiers de police : les administrations concernées (police, gendarmerie, etc.) doivent pouvoir se doter des outils techniques leur permettant d'identifier les usages problématiques des fichiers mis à disposition de leurs agents et prisés par les narcotrafiquants ;

· le renforcement des dispositifs de signalement interne comme de la protection des lanceurs d'alerte ;

· un recours renforcé aux enquêtes administratives concernant les agents publics, qui doivent devenir systématiques et régulières selon la sensibilité des fonctions exercées, avec en complément des enquêtes patrimoniales périodiques pour les agents particulièrement exposés au risque corruptif en lien avec la criminalité organisée. Quant aux agents privés, compte tenu de la forte exposition au risque corruptif de nombreux acteurs privés « périphériques » (logisticiens, transporteurs, personnels portuaires et aéroportuaires, prestataires dans les prisons, etc.), ils doivent eux aussi être intégrés au dispositif de lutte contre la corruption, via une cartographie des risques et des criblages administratifs.

Les deux principales recommandations de la commission d'enquête pour faire face à la corruption, risque existentiel pour les institutions et les services publics :

· mettre en place une organisation du travail rendant matériellement impossible la corruption des agents publics ;

· lutter, avec des moyens techniques adaptés, contre l'usage illicite des fichiers de police.

H. LUTTER DE MANIÈRE IMPLACABLE CONTRE TOUS LES BLANCHIMENTS

Les recommandations de la commission d'enquête poursuivent un objectif clair : mettre en place un système dans lequel il sera impossible de gagner de l'argent en participant à un trafic de stupéfiants. À ce titre, il est impératif d'identifier l'écosystème des argentiers (sarrafs, brokers, collecteurs...) et des logisticiens qui apportent un concours indispensable au trafic et qui font le lien entre le bas et le haut du spectre : la mise en cause pénale de tous les « soutiens » du narcotrafic, quel que soit leur rôle, doit être une priorité.

Le juge antimafia Giovanni Falcone rappelait, à raison, qu'« Il faut suivre l'argent pour comprendre le système » : pour comprendre la façon dont les réseaux fonctionnent et s'organisent, le renseignement doit pleinement jouer son rôle et la place de Tracfin être confortée, avec notamment une saisine systématique du service pour les dossiers du haut du spectre et l'élargissement du périmètre des déclarants pour intégrer des secteurs prisés des trafiquants (location de véhicules de luxe, par exemple).

Il convient aussi d'intégrer les enjeux financiers aux investigations judiciaires en systématisant les enquêtes patrimoniales et en créant une procédure complémentaire d'enquête administrative ou judiciaire post-sentencielle sur le patrimoine des personnes condamnées pour trafics de stupéfiants et de leurs proches.

Il faut, de la même manière, casser les liens troubles entre l'économie légale et le trafic.

Le blanchiment « territorial », par l'intermédiaire de commerces et de sociétés locales, est un mécanisme très utilisé par les narcotrafiquants. Détecter les entreprises qui participent à ces transactions et qui servent de blanchisseuses est donc essentiel. Cependant, la détection seule ne suffit pas : certains commerces notoirement connus pour blanchir les produits du trafic demeurent ouverts, au vu et au su de tous. La commission d'enquête propose donc qu'il soit possible d'autoriser la fermeture administrative des commerces de façade sur arrêté préfectoral, y compris sur proposition des maires.

La commission d'enquête défend également une approche globale, afin de perturber le plus possible le quotidien des narcotrafiquants. S'attaquer aux avoirs d'un trafiquant, c'est enquêter sur son environnement patrimonial, saisir puis éventuellement confisquer des biens, mais aussi impliquer l'administration fiscale et les organismes de sécurité sociale. En termes de coordination, le modèle du Colbac-S marseillais mériterait d'être dupliqué. Il pourrait permettre de « pilonner » les dossiers identifiés comme prioritaires pour remonter les filières et assécher la manne financière des narcotrafiquants et de leurs organisations.

Il faut, aussi et surtout, frapper les trafiquants au portefeuille. La commission d'enquête défend trois réformes pour déceler, traquer, puis saisir et confisquée la richesse inexpliquée :

· l'instauration d'une procédure d'injonction pour richesse inexpliquée en cas de décorrélation entre les revenus perçus par un individu et son train de vie, permettant à une administration de demander une ordonnance judiciaire afin que la personne justifie de la façon dont elle a acquis ses biens et ses avoirs ;

· l'exploitation plus poussée de la non-justification de ressources, une qualification pénale trop peu utilisée, alors qu'elle permet de viser l'entourage du narcotrafiquant ;

· un recours plus fréquent à la présomption de blanchiment, qui peut constituer un outil puissant dans la lutte contre le narcotrafic, à condition qu'il soit pleinement utilisé.

La commission d'enquête propose également d'accroître encore les saisies et donc potentiellement les confiscations par une série de mesures visant, en particulier, à mieux identifier les bénéficiaires effectifs, à mieux prendre en compte les cryptoactifs ou encore à faciliter la saisie des fonds de commerce.

S'agissant de la procédure de gel administratif et de saisie conservatoire des narcotrafiquants, annoncée à grand renfort de communication par un Gouvernement en recherche de solutions « miracles » contre le narcotrafic, la commission ne peut que manifester un certain scepticisme. Les informations dont elle dispose entretiennent de lourdes craintes sur l'opérationnalité du dispositif et sur sa conformité à la Constitution. Elle privilégie par conséquent une procédure de gel judiciaire ad hoc : la gravité de la menace ne saurait dispenser le législateur de respecter le rôle de l'autorité judiciaire, ni l'autoriser à multiplier les outils par effet d'annonce, en oubliant que la complexité de notre droit constitue déjà une faille dans laquelle les délinquants ne cessent de s'engouffrer.

Les deux principales recommandations de la commission d'enquête pour lutter de manière implacable contre tous les blanchiments :

· systématiser les enquêtes patrimoniales et les enquêtes post-sentencielles, appuyées sur une approche globale du volet financier du narcotrafic impliquant à la fois les services d'enquête, les magistrats et l'administration fiscale ;

· instaurer une procédure d'injonction pour richesse inexpliquée ainsi qu'une procédure de gel judiciaire et de saisie conservatoire des biens des narcotrafiquants.

I. GAGNER LA BATAILLE CULTURELLE : L'ENJEU DE LA PRÉVENTION

Un paradoxe criant est apparu aux yeux de la commission d'enquête au cours de ses travaux : l'État fait beaucoup moins d'efforts de prévention contre la consommation de drogues que contre le tabac ou l'alcool. Une telle inertie est incompréhensible.

Il faut donc lancer une campagne massive de communication, ciblée sur certains publics : les jeunes, mais aussi certains métiers pénibles où la consommation de drogue, pour « tenir le coup », est en augmentation préoccupante, et enfin les milieux festifs. Les motivations et les formes de la consommation étant très différentes pour ces publics, il est essentiel d'adapter le discours aux publics visés et d'éviter l'écueil de la moralisation. Une telle campagne doit, pour être efficace, être relayée par un véritable plan de lutte contre la consommation, sur le modèle du plan « tabac ».

Un effort similaire doit être engagé du côté de l'offre, pour empêcher l'entrée des plus jeunes dans le trafic. La commission d'enquête a pris connaissance, au cours de ses travaux, d'initiatives admirables menées et en milieu scolaire, en particulier à Marseille, pour contrer le modèle pervers présenté par les trafiquants - un pseudo-modèle de réussite sociale fondée sur une extrême violence et une exploitation sans merci des plus faibles. Il convient de les systématiser dans les quartiers touchés par le narcotrafic, avec des moyens en conséquence.

INTRODUCTION

« Vous l'avez compris, j'appelle [...] de mes voeux une politique de rupture. [...] nous allons engager la guerre aux trafiquants. Police et gendarmerie sont maintenant dotées de structures particulièrement efficaces dans la lutte contre l'économie souterraine. [...] Je souhaite développer le renseignement sur le grand banditisme, sur les trafiquants de drogue et l'infiltration. Ce qui fonctionne avec le terrorisme doit être utilisé avec les mafias. »

Cette déclaration n'est pas issue des auditions menées par la commission d'enquête du Sénat sur l'état du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier : elle a été prononcée, il y a plus de vingt ans, par Nicolas Sarkozy - alors ministre de l'intérieur - devant une autre commission d'enquête de la Haute Assemblée, lancée en 2002 et dont les conclusions avaient été publiées en 2003 sous le titre Drogue : l'autre cancer9(*).

Une telle affirmation aurait pourtant pu être formulée au cours des six mois pendant lesquels la présente commission d'enquête a mené ses travaux, tant son actualité est troublante et tant elle fait écho à des faits particulièrement contemporains. À l'heure où le trafic de drogues a fait 418 victimes (y compris collatérales) par règlements de comptes, dont 85 morts, pour la seule année 2023, en hausse de près de 40 % par rapport à 2022, où le montant du « marché » des stupéfiants en France est estimé entre 3 et 6 milliards d'euros et fait selon certaines estimations vivre 200 000 personnes, à l'heure enfin où le ministre de l'intérieur et des outre-mer Gérald Darmanin décrit la lutte contre le narcotrafic comme « la mère de toutes les batailles »10(*), il est frappant de constater que les déclarations publiques ont si peu évolué en deux décennies.

La stabilité de la parole des responsables politiques ne doit pas tromper : depuis le début des années 2000, le narcotrafic a connu des évolutions substantielles. La cocaïne s'est démocratisée, voire banalisée, et les saisies ont été multipliées par cinq en dix ans, témoignant d'une croissance quasi exponentielle du trafic ; le commerce de cannabis n'a pas faibli, et se maintient, lui aussi, à des niveaux préoccupants ; des drogues de synthèse nouvelles apparaissent et sont produites directement sur le sol européen ; plusieurs milliers de points de deal sont recensés sur notre territoire et, dans certaines zones, les forces de sécurité intérieure ne peuvent plus accéder à des territoires contrôlés par les dealers.

C'est pour prendre la mesure de la situation et pour chercher des voies innovantes de lutte contre le trafic de stupéfiants dans notre pays que le Sénat a, à la demande du groupe Les Républicains, créé le 8 novembre 2024 une commission d'enquête sur le narcotrafic. Celle-ci aura duré six mois, au cours desquels elle aura organisé sept déplacements (en Seine-Saint-Denis en décembre 2023, au Havre en janvier 2024, à Verdun et Commercy début février, en Bourgogne et à Lyon fin février, à Marseille les 7 et 8 mars, à Anvers le 20 mars et à Valence le 28), une visite dans les locaux de l'Office anti-stupéfiants (Ofast) en janvier 2024, ainsi que 73 auditions lui ayant permis d'entendre 175 personnes de tous horizons, qu'il s'agisse d'élus locaux, de chercheurs, de membres d'associations, d'intellectuels et, surtout, de « praticiens » du sujet en police judiciaire, au sein des douanes ou en juridiction.

Une réflexion au long cours paraissait, en effet, indispensable dans un contexte où le narcotrafic reste paradoxalement « l'un des thèmes les plus ignorés dans le débat public international », comme le rappelait le journaliste Roberto Saviano en ouverture de son audition en février 202411(*). Même si le phénomène est évoqué - parfois jusqu'à saturation - dans les médias en réaction aux opérations ciblées menées par les forces de sécurité intérieure ou aux drames humains qui surviennent un peu partout sur notre territoire et qui sont trop fréquemment traités sous l'angle du fait divers, même s'il fait l'objet de déclarations fracassantes qui peinent à se traduire en actes, le narcotrafic ne fait que rarement l'objet d'analyses d'ensemble ou de mises en perspective permettant de dégager un diagnostic, une stratégie et des solutions.

L'absence d'une telle démarche a de quoi préoccuper tant la situation de notre pays est grave et tant le narcotrafic représente, pour toutes les démocraties, une menace existentielle.

Si le constat de l'existence de trafics sur notre territoire n'est pas nouveau, le diagnostic établi par la commission d'enquête montre que des seuils déterminants ont été franchis. Frontalière de pays dont les observateurs se demandent s'ils constituent des « narco-États », terme autrefois réservé à certains pays d'Amérique du Sud et d'Orient gangrenés par la production de stupéfiants sur leur sol, la France est en effet frappée de plein fouet par le narcotrafic et se trouve aujourd'hui au bord d'un abîme dans lequel d'autres pays ont déjà sombré. Le trafic touche désormais l'intégralité du pays et la violence endémique qu'il charrie fait partout des victimes. L'attention médiatique s'est largement focalisée sur Marseille au cours de l'année 2023 ; cette vigilance était nécessaire au vu du lourd tribut payé par la cité phocéenne à la barbarie des trafiquants. Mais le phénomène ne se cantonne ni à Marseille, ni à la « colline du crack » du nord de Paris, ni même aux grandes métropoles. Il touche désormais les villes moyennes, voire petites, et les campagnes, comme en témoignent les règlements de comptes meurtriers qui ont eu lieu au cours de l'année écoulée à Nîmes, à Valence ou à Dijon ; il met à mal la sécurité quotidienne et le tissu social en Guyane et aux Antilles ; il concerne également des drogues de plus en plus variées, de plus en plus nocives - et de plus en plus rentables pour ceux qui en font commerce. Tous les produits, y compris les plus « durs », sont dorénavant disponibles tout le temps et partout, non seulement parce que des dealers en quête de nouveaux marchés ont fait des zones rurales leur nouvel eldorado, mais surtout parce que des modes alternatifs d'achat (commande par internet, livraison par « chauffeur » ou par voie postale...) ont pris une ampleur inédite.

Dans le même temps, les réseaux se sont internationalisés sous l'effet de technologies qui permettent aux trafiquants de donner des ordres et d'animer des réseaux depuis des pays « refuges » et de pratiquer, à leur manière, une sorte de télétravail.

Phénomène mondial, le narcotrafic a ainsi, comme la commission d'enquête a pu le constater, des conséquences très locales.

Ces évolutions se sont faites au détriment des États qui se trouvent pris en tenaille entre deux échelles : celle d'une mondialisation extrême, devenue l'ADN d'un narcotrafic qui se joue des frontières, et celle d'une dissémination massive au niveau local.

Le deuxième élément d'une vision d'ensemble est la stratégie, dont la vocation est de répondre aux failles mises en lumière par le diagnostic qui vient d'être tracé.

En la matière, la commission d'enquête s'est trouvée face à un paradoxe. D'une part, les effectifs engagés sur le terrain, quel que soit leur corps de rattachement (police nationale, gendarmerie nationale, douanes, magistrats, personnels pénitentiaires, administration fiscale, armées, services de renseignement, protection judiciaire de la jeunesse, mais aussi polices municipales, bailleurs sociaux, opérateurs privés...), l'ont impressionnée par leur engagement, leur persévérance, leur motivation intacte malgré les difficultés et leur haut niveau de compétences. La commission salue, de même, la mobilisation sans faille des élus locaux - et notamment des maires qui, en première ligne face aux trafics, font preuve d'une créativité remarquable pour faire face au manque de moyens dédiés, aux effets tragiques du narcotrafic sur les populations et, parfois, au désengagement de l'État.

Toutefois, et d'autre part, ces efforts ne suffisent pas à rendre efficace la politique de lutte contre le trafic de stupéfiants. Faute d'une parole suffisamment forte au niveau international, faute de moyens humains et techniques pour les services de police judiciaire, les douanes et les juridictions, faute d'une architecture lisible et adaptée, la répression semble condamnée à avoir un temps de retard sur les trafiquants et se trouve structurellement dépassée. La question se pose du but poursuivi par les pouvoirs publics : faut-il prendre les trafics « par le bas », comme le Gouvernement semble vouloir le faire, ou devons-nous nous donner les moyens de toucher toute la chaîne du narcotrafic, y compris les criminels du « haut du spectre » qui jouissent d'une choquante impunité dans des pays « refuges » ? L'ambition unique de la lutte contre les trafics doit-elle être de rendre une forme de normalité à celles et ceux qui habitent dans des quartiers gangrenés par le deal, ou devons-nous avoir pour objectif de démanteler effectivement les réseaux en mettant en cause les logisticiens et les argentiers sans lesquels le trafic ne peut pas prospérer ? Alors que les institutions font l'objet de menaces directes et crédibles de la part des réseaux de narcotrafic en Belgique et aux Pays-Bas, la France doit-elle continuer de traiter ce phénomène comme une forme de délinquance organisée comme une autre ou, au contraire, changer de logiciel et considérer que le narcotrafic porte en son sein le risque d'une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ?

Aux yeux de la commission d'enquête, la réponse est claire : notre pays est à un point de bascule. La réponse d'ordre public que constituent les opérations « place nette », qui elles-mêmes sont une déclinaison de la stratégie de « harcèlement » des points de deal pratiquée depuis la fin 2020, est nécessaire mais non suffisante ; elle n'a de sens que si elle est adossée à des investigations approfondies, donc souvent longues, visant à identifier les donneurs d'ordre et les facilitateurs puis à faire en sorte qu'ils subissent la lourde peine qu'ils méritent, ainsi qu'à retracer les flux financiers pour venir « taper au portefeuille » des trafiquants uniquement motivés par l'argent et prêts, pour des gains faciles et rapides, à commettre les pires barbaries.

C'est dans cette optique que la commission propose - et c'est le troisième élément de sa réflexion - des solutions pour lutter contre le narcotrafic ; celles-ci forment un tout cohérent qui doit permettre de mettre la riposte au niveau et de donner aux services répressifs la capacité de frapper le trafic au coeur.

Ces solutions répondent à trois priorités majeures :

· premièrement, donner un rôle clair à chaque acteur et doter les « chefs de file » de l'autorité requise pour exercer pleinement leurs missions. Tel sera le rôle de l'Office anti-stupéfiants rénové, véritable « DEA à la française » qui sera placée en surplomb des services qu'elle coordonne, et du futur parquet national antistupéfiants (Pnast) dont la commission d'enquête propose la création ;

· deuxièmement, mettre la procédure pénale à la hauteur des enjeux, sans renoncer au nécessaire équilibre entre sécurité et liberté, entre judiciaire et renseignement, entre prise en compte des besoins opérationnels des acteurs de l'enquête et respect des grands principes de notre droit pénal. Alors que les officiers de police judiciaire et les magistrats sont en situation de grande faiblesse face à des trafiquants dotés de moyens financiers illimités et d'outils techniques qui échappent à tout contrôle, la commission est convaincue qu'il convient de renforcer substantiellement les moyens matériels et humains des services d'enquête et des juridictions. Elle plaide également pour le développement de leviers nouveaux (comme le « dossier-coffre » dont elle recommande la mise en place) et pour la dynamisation des pratiques existantes, notamment en systématisant les enquêtes patrimoniales et en cartographiant enfin - pour mieux les confisquer - les flux financiers issus du trafic, en allant beaucoup plus loin dans le recours aux « repentis » et en créant la possibilité d'une infiltration « civile » ;

· troisièmement, lutter de manière résolue contre toutes les formes de corruption grâce auxquelles le trafic attaque, abîme et déstabilise les institutions des pays qu'il cible pour mieux, ensuite, s'en emparer. L'une des principales révélations de ce rapport est, en effet, le niveau très élevé du risque corruptif, encore largement sous-estimé à tous les niveaux de l'État. Or non seulement la corruption est déjà une réalité, comme en témoignent des méthodes et des tarifs bien établis, mais surtout elle tend à se banaliser, comme en témoigne l'utilisation de l'expression (trompeuse) de « corruption de basse intensité ». Or la corruption est une force insidieuse, qui use autant de promesses que de menaces : les trafiquants savent, quand l'argent ne suffit pas, exercer une impitoyable violence pour faire céder ceux qui voulaient rester intègres. La France ne doit pas attendre de voir ses ministres menacés - comme le fut le ministre de la justice belge, placé sous protection renforcée pour faire face au risque d'un enlèvement - ou ses juges contraints de dissimuler leur identité et leur visage - comme ce fut le cas aux Pays-Bas lors du procès de certains membres de la tristement célèbre Mocro Maffia - pour mettre en place un plan radical de lutte contre la corruption.

Comme on l'aura compris, la commission d'enquête n'a pas intégré à ses travaux la question de la dépénalisation ou de la légalisation du cannabis, sujet sur lequel les débats sont pourtant riches quelques semaines seulement après la décision prise par l'Allemagne d'emprunter la voie de la légalisation. Ce choix a été fait par la commission dès le début de ses travaux considérant, tout d'abord, que le champ sanitaire et social était exclu du périmètre de ses réflexions, exclusivement consacrées au trafic (ce qui constitue déjà un thème vaste) et non aux drogues en général et, ensuite, que ni les précédents étrangers, ni les études scientifiques n'attestaient d'un lien entre le niveau du trafic et le statut légal du cannabis12(*). Si ce sujet a été évoqué au cours des auditions ou des déplacements de la commission d'enquête, cela n'a ainsi été qu'à titre incident et pour évoquer les conséquences de la légalisation ou de la dépénalisation sur la santé des consommateurs, sur leurs modes d'approvisionnement et sur la fiabilité de la composition des produits consommés ; en revanche, aucun argument probant sur l'affaiblissement des trafics ou leur aggravation n'a été avancé.

C'est pourquoi la commission d'enquête a pris le parti d'exclure ce thème de ses travaux - ce qui ne constitue une marque ni de désintérêt, ni d'absence d'opinion individuelle de ses membres sur ce sujet essentiel.

Bien loin des polémiques, des phrases « choc » et des effets d'annonce qui ont émaillé le débat public depuis plusieurs mois, la commission d'enquête a mené ses travaux dans un climat de grande écoute et de large consensus ; elle a tâché d'être pragmatique tout autant qu'ambitieuse, constructive en même temps qu'exigeante. De ce travail pluraliste, émerge une conclusion : la situation est grave et appelle un sursaut immédiat.

Le rapporteur gage que ce message sera entendu à tous les niveaux de l'État et que les pouvoirs publics sauront travailler ensemble, sur la base des recommandations qui figurent dans le présent rapport, pour éloigner la menace que le narcotrafic fait peser sur notre pays.

LES TROIS PRINCIPALES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

1) Faire preuve de lucidité sur la nature du narcotrafic et le traiter pour ce qu'il est : une menace pour les intérêts fondamentaux de la nation

· Donner sa juste place au renseignement dans la lutte contre le narcotrafic

· Mettre les moyens au niveau de la menace avec un véritable plan d'urgence pour les services d'enquête et les juridictions

· Se donner les moyens de la sécurité dans les outre-mer, aujourd'hui sacrifiés, et dans les infrastructures portuaires et aéroportuaires

· Endiguer la corruption liée au narcotrafic, notamment la corruption dite - à tort - de « basse intensité », en caractérisant les atteintes à la probité et en créant les conditions de l'incorruptibilité dans la sphère publique comme dans la sphère privée

2) Frapper le « haut du spectre » et ne pas limiter la lutte à des opérations d'ordre public de type « place nette »

· Mettre la procédure pénale à la hauteur des enjeux en créant un dossier « coffre » et en facilitant le recours aux techniques spéciales d'enquête

· Faciliter le recours aux « repentis », sécuriser le traitement des sources par les services d'enquête et créer une nouvelle infiltration « civile »

· Lutter de manière implacable contre tous les blanchiments

· Taper les trafiquants au portefeuille en systématisant les enquêtes patrimoniales, en instaurant un gel judiciaire de leurs avoirs et en créant une confiscation sans condamnation pénale

3) Structurer enfin l'action des services en charge de la lutte contre le narcotrafic

· Faire de l'Office antistupéfiants une véritable « DEA à la française » en lui donnant une pleine autorité sur les services de terrain chargés de la lutte contre le narcotrafic (police, gendarmerie et douane)

· Créer un parquet national antistupéfiants pour spécialiser et incarner la lutte contre le narcotrafic dans la sphère judiciaire

· Se doter d'une véritable stratégie nationale en revoyant à la hausse les ambitions du « plan stups » rénové

PREMIÈRE PARTIE - LA FRANCE SUBMERGÉE PAR LE NARCOTRAFIC

L'appréciation de l'état du narcotrafic pose, par nature, des difficultés de méthode. En effet, toute activité criminelle étant par nature clandestine, il convient de débuter par un caveat : nous n'avons qu'une image limitée du sujet, issue d'une part des saisies de produits et des arrestations - qui constituent le reflet, partiel et imparfait, de la quantité de stupéfiants produits puis acheminés pour être offerts aux consommateurs - et, d'autre part, des chiffres relatifs à la consommation - qui représentent, pour leur part, une forme de demande. Car si la drogue, comme d'autres produits légaux ou illégaux, se trafique, elle répond dans cet exercice à la loi du marché : le narcotrafic est, à l'instar des flux économiques classiques, dicté par la rencontre entre une offre et une demande.

Il convient donc de se défier de ce que la chercheuse Clotilde Champeyrache appelle « l'illusion de savoir13(*) », c'est-à-dire la tendance à croire que le phénomène se résume à ce que nous en connaissons. C'est ce qu'a tenté de faire la commission d'enquête en dressant le constat de l'état du narcotrafic en France et dans le monde, qui s'avère bien éloigné de l'image que l'on peut en avoir.

I. L'ÉTAT DU NARCOTRAFIC DANS LE MONDE : DES ROUTES, DES PRODUITS, DES PRATIQUES QUI ÉVOLUENT CONSTAMMENT

Il est aisément constatable que le narcotrafic est un phénomène mondial. Avec des produits de base cultivés, récoltés et transformés sur d'autres continents - principalement en Amérique du Sud et en Afrique du Nord -, les stupéfiants répondent à des routes qui sillonnent le globe en empruntant, bien souvent, les mêmes voies que les produits légaux dont ils profitent du transport pour parvenir jusqu'à leur lieu de destination. Comme le rappelait Alain Bauer, le narcotrafic se joue des frontières depuis ses origines, et cette caractéristique a conduit à la création de « la première coalition internationale de l'histoire du monde, organisée entre des pays qui ne s'étaient jamais fait que la guerre, [avec] pour objectif d'imposer la fin de la prohibition du trafic et de la consommation des stupéfiants à l'Empire du Milieu, au bénéfice de l'ensemble des puissances coalisées : États-Unis, Japon, France, Grande-Bretagne et Allemagne, entre autres »14(*).

Cette mondialité ne s'est qu'accentuée avec l'industrialisation du trafic dans les années 1970, l'activité transatlantique de la French connection en étant l'une des incarnations les plus connues.

Il est certes impossible de faire la part, dans cette hausse tendancielle, de l'augmentation du trafic et de la mobilisation plus forte des forces de sécurité. Mais de manière générale, les saisies ne représentent probablement qu'une faible part du trafic ; le principal indice - en l'absence, pour des raisons évidentes, de données consolidées - en est le fait que les saisies ne font pratiquement plus varier le prix du produit15(*), alors qu'auparavant toute saisie importante avait pour effet de renchérir le prix du produit sur le marché - signe que l'offre avait été significativement réduite.

Aux yeux des acteurs de terrain, à commencer par les forces de l'ordre, cette évolution traduit une disponibilité considérable du produit. Ce constat est corroboré par l'état de la menace 2023 établi par l'Office antistupéfiants (Ofast), qui fait état d'une hausse marquée de la production mondiale.

Une production mondiale toujours élevée

« En Amérique latine, en Afghanistan et au Maroc, les actions répressives ou les annonces gouvernementales visant à éradiquer les cultures illicites et la fabrication de drogues n'ont pas fait baisser le niveau élevé de production observé depuis plusieurs années.

« En Amérique du Sud où se concentre la production mondiale de cocaïne, 2 304 tonnes ont été produites en 2021 (+ 16,25 % par rapport à 2020). Entre 2020 et 2021, les surfaces de culture de coca ont augmenté dans les trois principaux pays producteurs : + 43 % en Colombie, + 23 % au Pérou et + 4 % en Bolivie. En Colombie, l'augmentation s'est poursuivie en 2022 (+ 13 %). Dans le pays, malgré le changement de stratégie annoncé par le gouvernement depuis août 202216(*)

, la destruction des cultures est toujours au coeur de la politique de lutte contre le trafic de cocaïne. Toutefois, l

'éradication forcée ne pourrait désormais viser que les cultures industrielles et non celles des petits cultivateurs [...].

« L'inflexion significative et pérenne de la courbe des superficies cultivées outre-Atlantique est d'autant plus incertaine qu'une extension des cultures de coca est aujourd'hui observée au-delà des zones andines traditionnelles, notamment au Venezuela, au Mexique et en Amérique centrale dans les pays du Triangle Nord (Honduras, Guatemala, Salvador). Actuellement trop modeste pour avoir une influence sur le trafic international, notamment vers l'Europe, cette culture à l'extérieur des frontières colombiennes, péruviennes et boliviennes progresse et témoigne d'une évolution inquiétante du paysage criminel latino-américain. Modèle économique agricole attractif pour les populations paysannes les plus précaires et extrêmement lucrative pour les organisations criminelles, l'économie illicite liée à la cocaïne en Amérique latine irrigue tout le continent. Près des cultures de coca, les unités de production se multiplient. Ailleurs, en parallèle du développement des trafics régionaux de produits intermédiaires (pâte de coca et cocaïne base), l'installation de laboratoires de transformation se répand. La menace sous-jacente est une surproduction susceptible d'amplifier les trafics vers l'Europe. [...]

« En Afghanistan, pays figurant au premier rang de la production mondiale de pavot (utilisé pour fabriquer l'opium, la morphine et l'héroïne), et producteur majeur de résine de cannabis, une période d'incertitude s'est ouverte en 2021 sur les perspectives des activités criminelles liées aux stupéfiants. En effet, après avoir communiqué, dès son arrivée au pouvoir, son intention de mettre fin aux trafics dans le pays, le régime taliban a officialisé l'interdiction de la culture et du commerce des drogues en avril 2022. À ce jour, malgré cette interdiction, l'intensité des trafics sur le territoire n'est pas affectée et plusieurs indicateurs témoignent d'une production de drogues toujours élevée. Dans ce pays d'origine de 85 % des opiacés consommés dans le monde en 2020, un record a été observé en 2021 en matière d'opium.

« En 2022, alors que la production de cette drogue a sensiblement diminué, la surface de culture du pavot à opium a augmenté significativement. Concernant la fabrication de méthamphétamine, qui a explosé sur le territoire à partir de 2019, le nombre de laboratoires clandestins aurait continué à augmenter après août 2021, et les stocks locaux de cette drogue de synthèse n'auraient pas diminué. [...]

« Au Maroc, la culture de variétés hybrides à haut rendement et le recours à des techniques modernes de production permettent de produire massivement la résine nourrissant les trafics de stupéfiants en Europe. Illégale mais tolérée par les autorités, cette production, plaçant le pays au premier rang mondial, pourrait cependant être déstabilisée à la suite de la légalisation du cannabis thérapeutique en août 2021. Véritable révolution visant à “reconvertir les cultures illicites destructrices de l'environnement en activités légales durables et génératrices de valeur et d'emploi”, la nouvelle législation est empreinte de nombreuses incertitudes quant à ses conséquences réelles sur la production de résine marocaine. Si les mesures d'encadrement prévues par la loi sont progressivement mises en place, l'effectivité de la reconversion des cultures illicites est à surveiller. Ancrée dans l'histoire et la tradition de la région du Rif, la culture illégale de cannabis représente une part essentielle de son activité économique, et constitue ainsi une solution aux difficultés rencontrées par la population locale marginalisée économiquement. »

Source : extraits du rapport « État de la menace liée aux trafics de stupéfiants 2023 », Ofast

A. L'ÉMERGENCE DE PRODUITS NOUVEAUX ET LA BANALISATION DES DROGUES DURES

S'il reste dominé par le cannabis et la cocaïne, le « marché » des stupéfiants s'est caractérisé par un double mouvement : la banalisation des drogues dites « dures », et notamment l'explosion de la cocaïne qui a déferlé sur l'Europe après avoir frappé les États-Unis ; et l'apparition de nouveaux produits, les drogues de synthèse, qui peuvent virtuellement être produites partout dans le monde.

1. Le cannabis en tête des drogues trafiquées

Le cannabis est le produit qui fait l'objet des trafics les plus intenses : elle est la première drogue produite, trafiquée et consommée au monde. Selon l'ONUDC17(*), environ 219 millions de personnes, soit 4,3 % de la population adulte mondiale, ont consommé du cannabis en 2021, contre 192 millions en 2018 - 3,9 % de la population, soit davantage que toutes les autres drogues réunies.

Il est vendu sous deux formes principales18(*) : la résine (ou haschich) préparée en pâte plus ou moins dure, et les feuilles séchées. La première est principalement importée du Maroc, premier producteur mondial (l'état de la menace 2023 de l'Ofast, déjà cité, rappelle à cet égard que « la culture de variétés hybrides à haut rendement et le recours à des techniques modernes de production permettent [au Maroc] de produire massivement la résine nourrissant les trafics de stupéfiants en Europe. [...] Ancrée dans l'histoire et la tradition de la région du Rif, la culture illégale de cannabis représente une part essentielle de son activité économique, et constitue ainsi une solution aux difficultés rencontrées par la population locale marginalisée économiquement ») ; la seconde se trouve partout dans le monde, en particulier dans les pays où un contrôle plus faible des autorités permet la mise en culture de vastes surfaces19(*). Au niveau européen, la production est dominée par l'Espagne, les Pays-Bas, la Belgique et l'Italie, l'Ofast relevant dans une note confidentielle de 2022 que plus de 2,3 millions de pieds de cannabis ont été saisis en Espagne en 2021, loin devant les autres pays cités (pour lesquels les saisies sont malgré tout comprises entre 550 000 et 400 000 pieds).

Le khat : un trafic silencieux

Le khat est un arbuste dont les feuilles produisent des effets psychostimulants, cultivé dans la Corne de l'Afrique et le Sud-ouest de la péninsule arabique (Yémen), où sa consommation est traditionnelle. Légal dans les pays de cette région, le khat est classé comme stupéfiant dans les pays européens (à l'exception du Royaume-Uni). Cela génère donc un trafic très important, généralement par voie postale (colis) et aérienne, à destination des diasporas est-africaines principalement : 19 tonnes ont été saisies en France en 2021. La France est également un pays rebond vers d'autres destinations.

Ce trafic, majoritairement pris en charge par des membres des communautés est-africaines, génère très peu de troubles à l'ordre public : il passe « sous les radars » des forces de l'ordre, malgré des saisies qui dépassent régulièrement les saisies de cocaïne. Cette situation pourrait changer avec l'arrivée dans la filière, depuis 2018, de groupes criminels israéliens qui importent le khat en Israël, où sa consommation est légale, puis le font convoyer par des « mules » par voie aérienne jusqu'en Europe.

Produit peu connu, le khat met toutefois en évidence deux problématiques majeures de la lutte contre les stupéfiants :

· l'arbitrage entre santé publique et tranquillité publique : quel angle privilégier dans la lutte contre le trafic ?

· la question, qui se pose aujourd'hui pour le cannabis, des produits légaux dans certains pays et illégaux dans d'autres, ce qui offre des opportunités de trafic 20(*).

On constate en parallèle une augmentation constante du taux de THC21(*) dans le cannabis depuis 2012 : de 15,9 % à 30 % pour la résine, de 11 à 14 % pour l'herbe. C'est notamment le résultat de l'introduction de variétés hybrides au Maroc au début des années 200022(*), si bien que la toxicité des produits trafiqués aujourd'hui n'a plus rien de commun avec celle du cannabis qui circulait il y a quelques décennies.

2. Cocaïne : l'explosion

Un constat s'impose, unanime chez les acteurs de la lutte contre le trafic : une véritable explosion de la production, du commerce et de la consommation de cocaïne, faisant évoquer par certains un « tsunami blanc ».

La cocaïne est un stimulant produit à partir de la feuille du cocaïer, un alcaloïde poussant en Amérique du Sud. Sa fabrication se déroule en trois phases :

· l'extraction de la pâte de coca de la feuille (250 kg de feuilles de coca sont nécessaires pour obtenir 1 kg de pâte) ;

· la transformation de la pâte de coca en cocaïne base par l'adjonction de produits et précurseurs chimiques : acide, éther, acétone, permanganate de potassium, etc. ;

· la conversion de la cocaïne base en chlorhydrate de cocaïne (phase de cristallisation, qui permet d'obtenir 1 kg de cocaïne pour 2 kg de pâte base) : c'est la poudre blanche que, par abus de langage, on appelle généralement cocaïne.

Sa consommation entraîne un sentiment d'euphorie, une sensation de puissance intellectuelle et physique, engendrant une indifférence à la fatigue. Ces effets positifs sont suivis d'une phase de « descente », marquée par des symptômes de type dépressif, une anxiété et une irritabilité.

Source : DACG Focus (mai 2022), document rédigé par la Direction des affaires criminelles et des grâces.

L'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) constate ainsi dans son Rapport mondial sur les drogues 2023 que « le monde connaît actuellement une augmentation massive et prolongée de l'offre et de la demande de cocaïne »23(*), avec une production atteignant 2 300 tonnes après sept années d'augmentation consécutive, et une prévalence de la consommation dans la population mondiale passée de 0,32 % en 2004 à 0,42 % en 2021.

Du côté de la demande, ce phénomène s'explique notamment par un élargissement du public de consommateurs : très associée aux milieux artistiques dans les années 1970, la cocaïne est ensuite devenue, dans les années 1980 et 1990, la drogue des traders, celle de la performance et de la confiance en soi. Désormais, elle s'est « démocratisée », selon le mot du directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux24(*) : elle peut être consommée dans toutes les classes sociales et plus uniquement dans un but récréatif.

L'OFDT relève ainsi dans une étude publiée en mars 202325(*) que « l'expérimentation de cocaïne touche désormais des personnes travaillant dans tous les secteurs professionnels. Contrairement aux années 2000, plus aucun secteur d'activité ne se distingue par une proportion significativement inférieure à la moyenne ». L'OFDT relève également une prévalence préoccupante de sa consommation dans certaines professions, comme les marins-pêcheurs. Autrement dit, on consomme aussi, désormais, pour « tenir le coup » dans les métiers se caractérisant par une forte pénibilité ou des horaires très contraints.

Cette évolution a été rendue possible par des baisses de prix marquées, qui ont rendu le produit plus accessible. Le marché américain a d'abord été inondé par la cocaïne colombienne, grâce à l'esprit d'entreprise des cartels mexicains qui, dans les années 1980, ont mis en place puis développé des routes nord-sud, par les airs d'abord puis par la voie terrestre. Cette situation a conduit, à terme, à une « saturation »26(*) du marché en Amérique du Nord : face à la baisse du prix sur ce marché (jusqu'à 25 000 euros le kilo), les trafiquants se sont tournés vers l'Europe pour trouver de nouveaux débouchés, avec une population aux revenus comparativement élevés. Le prix de gros s'y établirait à 37 000 euros le kilo27(*), ce qui rentabilise largement l'exportation transatlantique. Un rapport récemment rendu public par Europol soulignait à ce titre que non seulement les stupéfiants sont le premier « marché » criminel actif dans l'Union européenne, mais surtout que la cocaïne y tient une part prépondérante : sur 295 groupes criminels particulièrement menaçants et impliqués dans le trafic de drogues, 113 se consacrent à la cocaïne - auxquels on peut ajouter 111 groupes « multiproduits » qui vendent, entre autres, de la « blanche » - contre « seulement » 44 pour le cannabis et 9 pour les drogues de synthèse28(*).

Puisque dans le même temps la production de cocaïne dans les trois principaux pays producteurs - la Colombie, le Pérou et la Bolivie - ne cessait de croître, tous les éléments étaient en place pour une explosion du trafic. Une situation que l'ONUDC résume ainsi : « L'évolution des acteurs, des itinéraires et des modalités a permis à l'offre de se réajuster à la demande, et de prendre un tournant notable vers 2015, après des baisses entre 2006 et 2014 »29(*).

Le crack : un dérivé de la cocaïne moins cher et plus dangereux

L'accessibilité accrue de la cocaïne s'est doublée de la fabrication d'une version à moindre coût et beaucoup plus dangereuse qui, apparue en Jamaïque dans les années 1980, s'est ensuite diffusée aux États-Unis puis en Europe : le crack, produit du mélange chauffé de chlorhydrate de cocaïne (c'est-à-dire la cocaïne en poudre) avec un produit basique comme le bicarbonate ou l'ammoniac. Ce traitement donne de petits cailloux qui sont à nouveau chauffés pour une consommation par inhalation. Le crack est beaucoup moins pur que la cocaïne, à cause des mélanges effectués pour augmenter le volume des cailloux, ce qui explique son prix moins élevé. Mais ses effets sont redoutables : il provoque une addiction immédiate et, par conséquent, une dégringolade très rapide du consommateur.

Les usagers ayant tendance à rester près des zones de vente, des regroupements permanents se sont formés dans certaines zones urbaines, à commencer par Paris avec la tristement célèbre « colline du crack », près de la porte de la Chapelle ; mais on observe également des concentrations dans le quartier Saint-Paul à Bordeaux ou dans certaines villes moyennes comme Mâcon, Orléans ou Compiègne.

Source : Info Stups n° 5, août 2022, document produit par l'Ofast et transmis à la commission d'enquête.

Le trafic est en réalité un sous-produit du trafic de cocaïne, puisque le crack en est un dérivé ; en France, les « cuisiniers » qui fabriquent le crack sont principalement fournis par les mules en provenance de Guyane. Son impact est en augmentation même s'il reste limité, puisque l'OFDT estime que le nombre de consommateurs est passé de 12 800 à 42 800 entre 2010 et 201930(*). Mais son impact est à la fois très localisé et très visible dans les poches de misère urbaine.

Alors que l'Europe et l'Amérique du Nord restent les marchés privilégiés pour la cocaïne, les régions où l'on trouve une classe moyenne émergente - Afrique, Asie du Sud-Est, péninsule arabique - sont pour leur part frappées par une très forte augmentation de la consommation, qui laisse augurer de beaux lendemains pour le commerce de la cocaïne.

3. Une héroïne en perte de vitesse

Comme la cocaïne, l'héroïne a longtemps eu une image très marquée et délimitée à certains secteurs : les milieux artistiques et les marges de la société. Elle a ainsi connu une forme d'âge d'or au cours des années 1970, à la faveur d'un intérêt occidental pour l'Asie du Sud-Est et du Sud (principalement l'Afghanistan) qui étaient aussi les principales zones de culture du pavot dans le monde, et de la mise en place d'une filière d'importation par des voyous corso-marseillais, la fameuse French Connection.

L'héroïne est un opiacé31(*) produit à partir de la morphine, elle-même sécrétée par une plante, le pavot, que l'on cultive principalement en Afghanistan (80 % de la production mondiale environ), en Asie du Sud-Est (Birmanie surtout) mais également au Mexique ou en Colombie. Ses effets sont très différents de ceux de la cocaïne : elle entraîne, selon la description de l'ONUDC, « une euphorie soudaine et intense accompagnée d'une sensation de chaleur et de détente. Elle peut, en outre, rendre indifférent à la souffrance psychique ou physique, à la douleur ou à l'angoisse ». Très vite apparaissent des symptômes physiques et psychiques d'addiction qui, conjugués au risque d'overdose, en font encore aujourd'hui l'une des drogues dont l'impact est le plus fort sur la santé publique.

Cependant, les ravages sanitaires de cette drogue, ainsi que l'épidémie du Sida dont l'un des vecteurs était le partage des seringues, ont fortement réduit la popularité de l'héroïne - et donc la demande - à partir des années 1980. De plus, des politiques volontaristes de santé publique et de réduction des risques appuyées sur les substituts comme la méthadone ou le Subutex ont permis, notamment en France, une réduction considérable du nombre de morts par overdose et probablement contribué à mieux faire comprendre les dangers du produit.

Les saisies d'héroïne en Europe se caractérisent par une forte irrégularité depuis 201132(*). Le rapport 2023 de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) suggère également une stagnation de la demande d'héroïne et d'opioïdes ces dernières années, avec environ un million de consommateurs en Europe. Il convient cependant de nuancer tout constat fondé sur les saisies : contrairement à la cocaïne, le trafic de l'héroïne se fait généralement par petites quantités. Il s'agit d'un trafic de proximité ou « fourmi » qui rend plus difficile l'évaluation des quantités en circulation, et qui explique les fortes variations géographiques dans la consommation de ce produit.

L'héroïne et les opioïdes de manière générale restent la première cause de décès par overdose en Europe et dans le monde, ainsi que la première cause d'entrée en structure de traitement des addictions liées aux drogues. On constate également, comme pour le cannabis, une pureté de produit de plus en plus élevée qui le rend plus dangereux, sans pour autant que son prix n'augmente.

4. Les drogues de synthèse, nouvel eldorado du trafic ?

Contrairement aux drogues fabriquées à partir de substances naturelles, comme le cannabis, la cocaïne et l'héroïne, les drogues de synthèse présentent une infinie variété. Elles se caractérisent par une relative facilité de production : il est possible de les fabriquer sans équipement industriel important ni compétences poussées en chimie. L'Europe est désormais la première zone de production de certaines « familles » de drogues de synthèse et se trouve, en cette matière, exportatrice de produits stupéfiants.

On peut d'abord identifier des produits synthétiques déjà anciens, dont l'usage est bien ancré dans la population, comme la MDMA (appelée ecstasy quand elle se présente sous la forme de pilules) ou les amphétamines. Selon le baromètre Santé 2017 de Santé Publique France, 5 % des 18-64 ans avaient déjà expérimenté la MDMA/ecstasy. Les saisies de comprimés d'ecstasy ont plus que doublé entre 2010 et 2021, alors que le prix courant du comprimé est resté de 10 euros entre 2015 et 2021.

Concernant les amphétamines, l'ONUDC rapporte une augmentation constante de leur consommation au niveau mondial entre 2011 et 2021, avec des saisies record de stimulants de type amphétamine (STA) en 2021. Le marché est dominé au niveau mondial par la méthamphétamine, ou « meth », très présente sur le continent américain mais encore peu répandue en Europe de l'Ouest.

Enfin, les nouveaux produits de synthèse (NPS) sont « un éventail très hétérogène de substances qui imitent les effets de différents produits illicites (ecstasy, amphétamines, cocaïne, cannabis, etc.). Leurs structures moléculaires s'en rapprochent, sans être tout à fait identiques. Cette spécificité leur permet, au moins à court terme, de contourner la législation sur les stupéfiants »33(*). On compte dans cette catégorie les cannabinoïdes, les cathinones - dont les effets sont similaires à ceux du khat (voir encadré ci-dessus) et les opioïdes, notamment.

La cocaïne rose : un produit marketing

La « cocaïne rose » est une substance aux effets euphorisants et désinhibants consommée dans un cadre festif, qui connaît un grand succès depuis les années 201034(*). Elle ne contient en réalité pas de cocaïne et sa couleur est due à l'adjonction d'un colorant destiné à rendre le produit plus attractif ; le nom de « cocaïne rose » serait même dû à l'expression malencontreuse d'un policier lors d'une saisie... Chère, la substance est associée au luxe et à la fête.

La composition réelle du produit est en réalité très variable. À l'origine synthétisée en Colombie à partir d'une substance appelée 2-CB (d'où le nom de tucibi en espagnol), il semble qu'elle n'en contienne plus que très rarement, mais que l'on y trouve en majorité de la kétamine et du MDMA, à des dosages variables. Apprécié sur le continent américain, le produit a pénétré en Europe via l'Espagne. Un laboratoire (où travaillait un chimiste colombien) a été démantelé dans ce pays ; en France, un réseau proposant notamment ce produit sur SnapChat et Telegram a été démantelé dans le Vaucluse.

Ainsi l'identité de ce produit inclassable ne repose pas sur sa composition ni même sur ses effets, mais uniquement sur un branding des trafiquants.

Au cours des déplacements de la commission d'enquête, des inquiétudes ont été exprimées (notamment dans des villes moyennes comme Verdun ou Le Creusot) sur cette montée en puissance des drogues de synthèse, parmi lesquelles une drogue particulièrement populaire appelée « PTC » (acronyme de « pète ton crâne » et autre nom du « Buddha blue »). Ce produit appartient à la famille, malheureusement florissante, des cannabidoïdes de synthèse. À l'inverse d'autres substances déjà évoquées, ceux-ci sont majoritairement produits en Chine.

Des produits stupéfiants détectés en France sous différentes formes et appellations commerciales

Les cannabinoïdes synthétiques sont traditionnellement commercialisés sous la forme de matière végétale sèche à fumer, contenue dans des sachets au conditionnement attrayant. II peut s'agir de mélanges de plantes diverses, parfois d'herbe de cannabis ou de cannabidiol (CBD), auxquels un cannabinoïde synthétique a été ajouté (par mélange ou pulvérisation). D'autres formes sont également observées (spray, poudre, buvard, pâte imitant la résine de cannabis, encens, etc.). Par ailleurs, depuis quelques années, les cannabinoïdes synthétiques sont présents dans les liquides pour cigarette électronique.

Les appellations commerciales sont multiples. Parmi elles, figurent les noms de « Spice », « K2 », « Black Mamba » pour l'herbe modifiée et le produit à pulvériser, ou encore « Buddha blue » (également appelé « pète ton crâne » ou « PTC ») désignant souvent un liquide à vapoter.

Les cannabinoïdes de synthèse sont majoritairement fabriqués en Chine. Peu onéreux, ils sont principalement vendus sur internet, en vente libre sur des sites étrangers, et sur le Darknet, avec une livraison à domicile par envoi postal. Toutefois, des points de revente de rue et dans les espaces festifs sont également observés.

Des produits potentiellement très dangereux consommés par les jeunes

Les cannabinoïdes synthétiques constituent des substances puissantes, certains présentant l'équivalent d'une concentration en THC de 95 %. Même à de très faibles doses, leur consommation peut être particulièrement toxique, et les effets secondaires se révéler bien plus délétères que ceux du cannabis naturel. Les complications sont psychiatriques (anxiété, hallucinations, etc.) ou somatiques (paralysie, tachycardie, détresse respiratoire, perte de connaissance, etc.). Le risque de surdose est également élevé.

En France, où la consommation est limitée, leur diffusion est néanmoins observée, notamment auprès des jeunes (étudiants, lycéens, etc.). Parmi les usagers intoxiqués recensés, la part des mineurs est très importante (47 % en 2018, 64 % en 2019).

La menace que représentent les « cannabis de synthèse » est d'autant plus forte que les usagers ignorent souvent la nature exacte des produits achetés et consommés. Ceux-ci peuvent contenir des doses très variables de cannabinoïdes, être contaminés ou mélangés à d'autres substances à l'insu de l'acheteur. II est impossible de différencier à l'oeil nu l'herbe contenant des cannabinoïdes synthétiques de l'herbe pure. De plus, l'étiquetage d'un liquide à vapoter peut omettre de mentionner la présence des molécules interdites dans le contenu.

Source : Ofast, « Les cannabidoïdes de synthèse en France », mars 2022

La prolifération de ces substances - 897 sont dénombrées en Europe, 35 ont été répertoriées en France pour la seule année 2021 - permet également à ceux qui les commercialisent d'avoir un temps d'avance sur la législation. En effet, a expliqué le ministre de l'intérieur à la commission d'enquête, « il y a des drogues que nous ne connaissons pas, qui n'ont pas été qualifiées comme telles, soit parce que nos laboratoires ne les découvrent que trop tard, soit parce que les précurseurs chimiques utilisés ne sont pas interdits. Il peut y avoir des drogues mortelles sur lesquelles on se fait beaucoup d'argent, mais que l'on ne peut interdire a priori, parce que nous n'en connaissons pas les substances »35(*).

Le trafic de ces drogues de synthèse est donc en très forte expansion, et présente deux caractéristiques notables :

· il repose en grande partie sur les livraisons et le « darknet » - ainsi de Hydra Market, une place de marché russe démantelée en avril 2022 ;

· comme on l'a évoqué, l'Europe est une région de production importante, avec de nombreux laboratoires implantés en République tchèque, en Pologne, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Bulgarie (voir ci-dessous la carte des implantations des laboratoires) ; elle en est également un exportateur.

Source : Observatoire européen des drogues et des toxicomanies

Ce constat a été corroboré par le ministre de l'intérieur et des outre-mer lors de son audition par la commission d'enquête : « En France, nous n'avons pas, à ma connaissance, découvert de laboratoires comparables à ceux qui existent au Mexique ou dans certains pays d'Asie, mais il y en a beaucoup en Europe, notamment dans les pays qui ont fait le choix de la légalisation, comme la Belgique ou les Pays-Bas. Neuf pays concentrent 215 laboratoires trouvés par Europol, Interpol ou par nos polices »36(*).

Cette position de l'Europe comme continent producteur et exportateur ne laisse pas d'alerter : selon le ministre de l'économie et des finances, « les Pays-Bas sont en train de devenir pour la production de drogues de synthèse l'équivalent de la Colombie pour la production de cocaïne. [...] Si les mesures nécessaires ne sont pas prises, nous risquons de voir apparaître de nouveaux Medellín au coeur du continent européen »37(*).

Ce bref tableau est étayé par le diagnostic porté par la Fédération Addiction38(*) en réponse aux questions de la commission d'enquête : « augmentation de l'accessibilité et de la diversité des produits avec l'arrivée des produits de synthèse, augmentation et diversification des usagers et des milieux de consommateurs, intensification des pratiques d'usage, polyconsommations, banalisation de certaines consommations (cannabis, ecstasy, cocaïne) ». Tandis que les drogues « traditionnelles » se sont banalisées, des drogues nouvelles et dangereuses apparaissent.

Cette situation pourrait d'ailleurs s'aggraver dans un avenir proche : face aux doutes sur la disponibilité de l'héroïne (voir supra), l'un des scénarios à craindre serait que les consommateurs se tournent vers les opioïdes de synthèse, comme le fentanyl, avec des effets potentiellement délétères sur la santé mondiale : l'OFDT pointe ainsi une augmentation des saisies d'opioïdes pharmaceutiques depuis 2021. Pour plusieurs observateurs comme Bertrand Monnet39(*) ou le général Lecouffe, directeur exécutif adjoint Opérations d'Europol, et selon un rapport de synthèse de l'OFDT40(*), le fentanyl n'a pas « pris » en Europe ou en France, même s'il a pu être testé sur ce marché par les cartels mexicains. Cependant, de manière beaucoup moins détectable, le fentanyl et ses dérivés sont également mélangés par les trafiquants, à l'insu du client, à d'autres drogues comme l'héroïne et la cocaïne, une pratique extrêmement dangereuse qui conduit à des overdoses mortelles41(*).

Fentanyl : l'opioïde tueur

Le fentanyl est à l'origine un médicament aux très puissants effets antalgiques (il serait cent fois plus puissant que la morphine et cinquante fois plus que l'héroïne) utilisé dans le traitement des maladies chroniques lourdes. C'est une substance à la dangerosité sans équivalent : une dose de 2 milligrammes peut suffire à provoquer la mort par dépression respiratoire.

La consommation du fentanyl a véritablement décollé lorsque les autorités américaines ont décidé d'encadrer plus sévèrement la prescription d'opioïdes tels que la méthadone. Beaucoup de patients ayant développé une addiction aux opioïdes se sont alors tournés vers le fentanyl et ses dérivés, produits de manière illégale notamment par les cartels mexicains42(*). Les États-Unis font ainsi face à une crise de santé publique majeure, avec plus de 80 000 décès liés aux opioïdes en 202143(*).

La crise de santé publique en cours aux États-Unis est fortement liée aux défaillances du système de santé américain ; néanmoins, les craintes d'une arrivée sur le territoire français et européen persistent.

Les informations recueillies par le président et le rapporteur sur ce sujet lors de leur déplacement à Anvers sont extrêmement préoccupantes, car elles laissent à penser que le répit accordé à l'Europe est de courte durée : des quantités importantes de fentanyl auraient été détectées au Royaume-Uni et, depuis peu, sur le continent.

B. DES ROUTES DU TRAFIC QUI CHANGENT CONSTAMMENT

Air, terre, mer : toutes les voies sont exploitées pour le convoyage des drogues, jusqu'aux procédés les plus incongrus (trafiquants embarqués dans des conteneurs, semi-submersibles capables de traverser l'Atlantique...). Ce constat témoigne de l'extrême adaptabilité des trafiquants, explorée plus avant dans la section suivante : ils sont en mesure, lorsqu'une route est bloquée par l'action des forces de sécurité, de trouver avec une grande rapidité d'autres routes pour poursuivre le trafic. Les documents obtenus par la commission d'enquête attestent même des efforts fournis par les trafiquants pour contourner les restrictions de circulation mises en place pendant la crise sanitaire de 2020, recourant à la sous-traitance et à des voies d'accès routier secondaire pour éviter les contrôles qui visaient, en Europe, à assurer le respect de la consigne, appliquée par de nombreux pays, de confinement et d'interdiction (ou de limitation) des déplacements44(*).

Bref, pour les trafiquants, la situation est simple : chaque porte qui se ferme trouve pour contrepartie une fenêtre qui s'ouvre - par négligence des États ou, s'il le faut, par la force.

1. Tours et détours de la cocaïne

Les chiffres communiqués à la commission d'enquête lors de son déplacement au port d'Anvers-Bruges le démontrent : la « blanche » est mobile et son pays de provenance lorsqu'elle arrive en Europe n'est que rarement son pays de production.

C'est ainsi que, parmi les saisies de cocaïne faites en 2023 la police fédérale belge à Anvers, 48 % proviennent de l'Équateur (dont il convient de rappeler que, bien que niché entre les deux principaux producteurs que sont la Colombie et le Pérou, il n'est pas lui-même un grand producteur de coca mais abrite, du fait des défaillances des institutions, des groupes criminels sud-américains et albanais), 18 % du Sierra Leone (ce chiffre étant notamment lié à une seule saisie d'importance, qui elle-même témoigne probablement de plusieurs acheminements de moindre importance préalablement tentés, et réussis, pour « tester » l'attitude des douanes belges face aux cargaisons en provenance du pays), 6 % du Brésil, 4 % de la Colombie, et 3 % de la République dominicaine, le reste des États d'origine identifiés ayant des « scores » compris entre 1 % et 2 %.

Ces chiffres montrent que les trafiquants n'expédient pas directement les stupéfiants depuis leurs pays de production, mais qu'ils les envoient vers des États perçus comme faillis ou complaisants pour qu'ils soient, depuis ces plateformes, exportés vers les zones de consommation.

Les trafiquants continuent d'exploiter toutes les voies possibles pour faire passer les frontières à la cocaïne, qui est l'un des produits les plus rentables du « secteur ». Ils disposent pour ce faire de moyens « assez conséquents : sous-marins de poche (Pacifique, Caraïbes), petits avions (du Pérou vers la Bolivie) et même avions moyens courriers »45(*) et font preuve d'une remarquable adaptabilité dans la gestion des routes, contournant les mesures d'entrave que la coopération internationale ou certaines autorités nationales tentent de mettre en oeuvre pour faire obstacle à l'arrivée de la cocaïne sur leur territoire : ainsi, « la coopération entre les États latino-américains et les États-Unis, ainsi que les moyens conséquents mis en place par ces derniers, a rendu plus difficile le transport de la drogue par les voies terrestres traditionnelles (Colombie, Amérique centrale, Mexique). Même si le Mexique reste l'interface principale pour la cocaïne à destination des États-Unis, les flux passent de plus en plus au sud du continent »46(*). Certains États, dotés de frontières poreuses et étendues, pauvres et donc dépourvus de moyens pour en assurer la surveillance, sont prisés des narcotrafiquants qui profitent, par ailleurs, de chaque crise politique interne pour trouver une voie de passage - ils tirent en particulier profit des difficultés récurrentes en Haïti et au Venezuela, et de la déstabilisation des institutions qu'elles impliquent, pour faciliter l'acheminement de la drogue vers ses zones de vente.

Les chercheurs Nacer Lalam et David Weinberger47(*) constataient, dès 2012, qu'environ 20 % de la cocaïne était acheminée vers les États-Unis par la voie aérienne légère ; ils rappelaient que ce phénomène, loin d'être récent, s'était développé dès les années 1970 avec « la mise en place d'un véritable pont aérien entre les pays producteurs et consommateurs ». Faisant face à un durcissement des contrôles sur les espaces aériens des pays andins en 1995, les trafiquants se sont tournés vers les voies maritimes mais ont su regagner les airs dès le tournant des années 2000, en réaction au développement de l'action antidrogue en mer, pour se déporter vers un espace aérien vénézuélien moins régulé, où peuvent aisément voler des « avionnettes ». Cette voie n'a été que redynamisée par la construction du « mur 2 » entre les États-Unis et le Mexique, avec le recours aux ultralégers, aux petits avions de tourisme et même aux ULM et aux drones : « le U.S. Customs Border Protection (CBP) déclarait avoir détecté 223 ultralégers en 2011, soit deux fois plus qu'en 2009 »48(*), témoignant de l'extrême souplesse des trafiquants dans le choix des routes perçues comme les plus favorables - et donc comme les plus rentables.

Ainsi les cartographies du trafic mondial doivent-elles être régulièrement mises à jour pour tenir compte de ces mutations incessantes, soulignant le caractère véritablement tentaculaire du trafic.

La meilleure illustration de ce constat est la route transatlantique de la cocaïne, l'une des plus importantes au monde. Elle a pris une ampleur particulière lorsque les producteurs sud-américains, face à la saturation du marché américain, se sont tournés vers l'Europe (voir plus haut). En réalité, il n'existe pas une route unique mais une multiplicité de chemins qui se reconfigurent en permanence, illustrant l'extrême souplesse des trafiquants et leur capacité d'anticipation : trois exemples permettent de l'illustrer concrètement.

La carte ci-dessous, qui figure dans une fiche de synthèse rédigée par le Centre opérationnel de la fonction garde-côtes et a été établie sur la base de données recueillies par l'ONUDC, met en évidence les principales routes de la cocaïne, sur la base des saisies réalisées entre 2015 et 2019.

Principaux flux de cocaïne identifiés entre 2015 et 2019

Source : ONUDC/COFGC

a) Un reroutage massif : la voie africaine

L'image ci-après, réalisée à partir de données publiées en 2021, met particulièrement en évidence l'émergence du continent africain comme zone de transit par les trois voies : les airs (via l'Afrique du Sud), la mer (avec le transbordement sur des bateaux « filles » dans le golfe de Guinée), et la terre, en remontant à travers le Sahel jusqu'au Maroc et en Libye.

Source : Europol, Serious and organized crime threat assessment (2021)

Cette importance de l'Afrique est confirmée par les données les plus récentes publiées par l'ONUDC sur son site, sur la base des saisies déclarées par les États membres :

Source : ONUDC

La montée en puissance de la route africaine est également attestée par de nombreux observateurs et par les données du Centre opérationnel d'analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants (MAOC-N), qui montrent que le nombre de navires naviguant dans la zone et considérés comme transportant de la drogue (qui ne font pas nécessairement l'objet d'une visite) a très fortement augmenté depuis 201949(*).

Ces données sont enfin confirmées par les saisies à terre : deux saisies de 4 et 5 tonnes à Montevideo (Uruguay) dans des bateaux en partance pour Lomé (Togo) et Cotonou (Bénin) en 2019, et deux saisies de 10 et 7 tonnes à Anvers en provenance de Freetown (Sierra Leone), tout récemment50(*). Dans les ports du Bénin et de Côte-d'Ivoire, les saisies sont régulières.

Les trafiquants ont plusieurs manières de procéder : soit par transbordement au large des côtes dans des bateaux « filles », parfois dans des pirogues de pêche non immatriculées qui ensuite remontent jusqu'aux Canaries par cabotage, soit par débarquement du conteneur dans un port africain, où il est ensuite repris par un bateau à destination de l'Europe. Enfin, une route terrestre, mal connue, remonte vers l'Afrique du Nord en passant par le Sahel, région traversée par de nombreux trafics.

La route africaine a émergé après 2005, date à laquelle les saisies de cocaïne ont véritablement augmenté. D'abord surtout aérien51(*), ce trafic emprunte désormais majoritairement les voies maritimes (porte-conteneurs). D'après une note de 2016 transmise par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et s'appuyant sur le Rapport sur les drogues de 2015, « entre un quart et deux tiers de la cocaïne d'Amérique du Sud transite vers l'Europe via l'Ouest africain et certains des États côtiers corrompus »52(*).

Pourquoi cette nouvelle route africaine, qui implique des coûts beaucoup plus élevés liés au transbordement, au temps de transport, à la corruption, etc. ? Cette route reste moins surveillée que la route transatlantique directe, et les bateaux en provenance des ports africains sont moins ciblés que ceux qui viennent d'Amérique du Sud53(*). Surtout, les États africains du Golfe de Guinée, notamment la Guinée-Bissau et la Guinée-Conakry54(*), auraient assuré une protection directe aux bateaux arrivant chargés de cocaïne depuis le Brésil55(*), ce qui permettait de sécuriser les envois vers l'Europe. Enfin, la capacité portuaire de cette région a fortement augmenté depuis les années 2000, résultat de son intégration croissante dans l'économie mondiale.

L'émergence de la route de l'Afrique de l'Ouest illustre ainsi la très forte adaptabilité des trafiquants, capables de saisir au plus vite les opportunités présentées par les évolutions du commerce mondial et la situation politique dans une aire géographique donnée.

b) L'émergence d'une voie de rebond turque

Autre exemple de réorientation rapide : l'émergence, toujours constatée sur la base des saisies, d'une « route » turque de la cocaïne.

La Turquie est traditionnellement une voie de passage du trafic d'héroïne et de méthamphétamine depuis l'Afghanistan ou l'Asie du Sud-Est vers l'Europe. Mais l'on constate depuis plusieurs années une augmentation régulière des saisies de cocaïne, à la fois au départ, avec la saisine de 2,3 tonnes par les autorités péruviennes dans un bateau en partance pour la Turquie, et à l'arrivée, principalement dans les ports d'Izmir (mer Égée) et de Mersin (Méditerranée)56(*). La route turque est manifestement une réaction au resserrement des contrôles dans les ports d'Europe du Nord : ainsi, alors que les saisies sont toujours au plus haut sur cette façade, les trafiquants explorent déjà des routes alternatives.

Pour ce faire, les organisations criminelles ont également exploité les routes préexistantes du trafic d'héroïne et de méthamphétamine vers l'Europe de l'Ouest : « l'existence de réseaux logistiques maîtrisés par les organisations criminelles turques et balkaniques, et déjà utilisés pour le trafic d'héroïne, facilite sa réexpédition vers l'Europe, via la route des Balkans ou les liaisons maritimes avec d'autres ports méditerranéens »57(*).

c) Le vecteur aérien : comment un assèchement au Suriname produit une inondation en Guyane

L'une des voies privilégiées pour le trafic aérien du continent américain vers l'Europe était le Suriname, ancienne colonie néerlandaise, grâce aux liaisons aériennes fréquentes avec les Pays-Bas. Mais tout a changé lorsque les contrôles ont été renforcés à l'aéroport d'Amsterdam : « On a assisté à un report du trafic du Suriname à la Guyane à la suite de la mise en place, notamment à l'aéroport d'Amsterdam Schiphol, d'un nouveau dispositif très puissant de contrôle par scanner des passagers et des biens »58(*).

En effet, la frontière entre le Suriname, débouché naturel de la drogue produite en Colombie, et la Guyane, matérialisée par le fleuve Maroni, est particulièrement poreuse, une seule vedette de police patrouillant sur le fleuve59(*). Le trafic qui empruntait la route Paramaribo-Schiphol s'est donc déporté vers la route Cayenne-Orly, l'aéroport d'Orly ne bénéficiant pas - pour le moment - des mêmes équipements. La conséquence a été une véritable saturation de l'aéroport de Cayenne par des « mules » transportant la drogue dans leurs bagages, voire in corpore.

Face au renforcement de la réponse douanière à Cayenne60(*), les trafiquants ont immédiatement recherché une voie de contournement par les Antilles : « au lieu de prendre le vol direct Cayenne-Paris Orly, ils passent par la Guadeloupe ou la Martinique, en espérant attirer moins l'attention et contourner le bouclier mis en place. Les avions à destination des Antilles sont en effet contrôlés d'une manière moins systématique », a expliqué le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, à la commission61(*). Yves Le Clair, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Cayenne, confirme : « Nous avons effectué deux essais de “contrôle 100 %” sur deux vols “Fort-de-France”. Sur 150 passagers, nous avons identifié 10 mules, à chaque fois. Il existe donc bien des filières qui essaient de procéder à un contournement »62(*).

2. Le cannabis : le périple du « kif »

Le cannabis (dont la variété traditionnelle, aujourd'hui supplantée par des variétés hybrides, est appelée le « kif ») est, comparé à la cocaïne, un marché de la proximité. Le produit est acheminé au plus près de sa zone de production (ainsi, hors de l'Europe, la résine libanaise s'écoute principalement vers le Proche et le Moyen-Orient), comme en atteste le schéma ci-après issu d'une note de 2018 transmise au rapporteur par la direction générale de la police nationale.

La même note relevait que, par exception, « le produit peut de façon marginale être transporté en dehors de sa région de production, sur de longues distances, avant d'atteindre le ou les pays de consommation. Le marché de la résine libanaise n'est ainsi pas uniquement limité aux pays du Proche et Moyen-Orient, comme l'illustre la saisie le 31 mai 2017, par le service des douanes du port de Beyrouth de 487 kg de haschich d'abord destinés à la Tanzanie (Afrique de l'Est), l'expéditeur avait ensuite modifié sa destination vers le Canada ». Une partie des résines afghane et marocaine est de même destinée au marché de l'Amérique du Nord, et notamment au marché canadien.

Source : Direction générale de la police nationale (DGPN)

Pour l'Europe, l'approvisionnement continue de provenir à titre principal du Maroc, toutes les voies de passage existantes étant exploitées. Sans que cette liste soit exhaustive, la note précitée de 2018 fait état de multiples modes de transport :

· par porte-conteneurs, avec notamment une liaison entre Tanger d'une part et Rotterdam et Anvers de l'autre, mais aussi avec le « Morocco express » qui permet de rallier Marseille ;

· par ferries (transport de véhicules particuliers, d'ensembles routiers, de bus réguliers et cars de touristes), l'Espagne ne se trouvant qu'à une heure du nord du Maroc ;

· par embarcations semi-rigides (aussi appelées « gommes ») : chaque embarcation, dotée d'un puissant moteur, peut mener un véritable « go fast maritime », jour comme de nuit, avec une capacité estimée à 2 à 3 tonnes de résine par voyage ;

· par bateaux de pêches et de plaisance, notamment par le biais de doubles fonds ;

· par aéronefs légers (autogires et hélicoptères) ou narcovuelos selon la terminologie espagnole.

3. Les autres produits : des stupéfiants no border

Le constat d'extrême adaptabilité, développé ci-avant pour la cocaïne et le cannabis, vaut aussi pour les autres produits. À titre d'illustration, on en citera deux : l'héroïne et les drogues de synthèse.

L'héroïne circule depuis deux zones : le « croissant d'or », principale zone de production (Afghanistan, Iran, Pakistan) et le « triangle d'or », lui aussi dynamique (Birmanie, Thaïlande, Laos, Vietnam), son point d'arrivée restant le même - à savoir les grands ports européens comme Anvers, Rotterdam ou Le Havre, des ports de plaisance ou des zones côtières sans infrastructures. Selon les éléments recueillis par la commission d'enquête, les stupéfiants empruntent :

· pour le Croissant d'or, une route méridionale via la côte de Makran (Iran, Pakistan) à destination des côtes de la péninsule arabique et de l'Afrique de l'Est ; la drogue est ensuite acheminée par le nord (canal de Suez, Égypte) ou par le sud (Afrique australe). La Turquie constitue une zone de transit en pleine expansion ; les saisies d'héroïne y augmentent rapidement, suggérant que le pays n'est plus seulement une zone de rebond. Une route dite « des Balkans » s'est également développée depuis l'Afghanistan avec un « couloir » passant par la Bulgarie, la Serbie et la Bosnie-Herzégovine. Des routes alternatives existent via le Caucase du Sud où les saisies, là encore, se multiplient ;

· depuis le Triangle d'or, une route africaine (Mozambique) avant une traversée de la Méditerranée. Cette route, qui constitue un itinéraire bis relativement ancien, tend à se diversifier et à toucher de nouveaux pays, vraisemblablement à la faveur d'une consommation locale en croissance continue et des liens entre certains groupes criminels d'Afrique de l'Est et le Pakistan.

S'agissant des drogues de synthèse, la situation est plus complexe encore : produits chimiques sans extraction de principes actifs de plantes, ces drogues peuvent en théorie être produites partout sur le globe. Reposant sur une grande variété de précurseurs chimiques que se procurent les criminels en contournant les réglementations nationales et internationales, la production à grande échelle suppose de disposer de laboratoires sophistiqués qui semblent, en Europe, être aux mains de petits groupes peu nombreux et interconnectés.

Ceux-ci s'appuient, pour des productions hors de leurs bases belge et néerlandaise, sur des trafiquants des pays d'accueil (c'est par exemple le cas en Pologne). S'ils font partie des leaders incontestables du marché des amphétamines63(*), les trafiquants européens ne sont pour autant pas en monopole : l'Asie du Sud-Est, l'Afrique de l'Ouest, l'Iran et même l'Afghanistan64(*) constituent les zones de production de méthamphétamine, et la Chine - qui, jusqu'à présent, n'avait que peu d'impact sur le continent européen - s'affirme de plus en plus comme un producteur majeur avec une appétence particulière, et déjà évoquée supra, pour des cannabidoïdes de synthèse en plein essor.

Comme le résume une note de la DGPN dont la commission d'enquête a eu connaissance, et comme l'illustre le schéma ci-dessous issu du même document, « les flux mondiaux se sont élargis à toutes les sous-régions qui constituaient autrefois des marchés indépendants »65(*).

Source : Direction générale de la police nationale (DGPN), 2018

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On pourrait multiplier les exemples de reconfiguration des routes de la drogue, que ce soit pour le cannabis, la cocaïne, l'héroïne ou les produits de synthèse. Elles mettent en évidence plusieurs réalités inquiétantes pour les forces de sécurité et nos sociétés dans leur ensemble :

· les organisations criminelles sont en mesure, dans un contexte international, d'identifier rapidement le « ventre mou », le point faible d'une architecture de sécurité (l'Afrique de l'Ouest, la Guyane de manière temporaire) pour y faire prospérer leur trafic ;

· elles ont pleinement profité des possibilités offertes par la mondialisation des échanges, en particulier par la multiplication des lignes aériennes et maritimes et l'équipement des ports ;

· les mesures prises dans un pays (le renforcement des contrôles à l'aéroport de Schiphol) ne bloquent pas le trafic mais le reportent sur une autre zone, ce qui rend indispensables la coordination et la coopération internationales ;

· les saisies - qui, comme l'a indiqué un policier à la commission au cours d'un déplacement, « sont inscrites en pertes et profits dans [le] business plan [des trafiquants] » - sont moins un coup d'arrêt porté au trafic qu'un indicateur des routes qu'il emprunte ; en d'autres termes, les forces de l'ordre, dont la commission a pu constater l'implication sans faille, ont bien souvent un temps de retard sur les trafiquants.

C. LES PRODUITS CIRCULENT, LES TRAFIQUANTS AUSSI

Comme les produits dont ils font commerce, les trafiquants du « haut du spectre » se jouent des frontières : les groupes criminels sont en effet beaucoup plus mobiles qu'avant, formant des alliances mouvantes, des connexions temporaires, qui nécessitent une circulation intense. Mais certains pays servent aussi de refuge aux trafiquants ; refuge contre les autorités de leur pays d'origine, mais aussi refuge contre les trafiquants rivaux.

1. Les connexions horizontales des groupes transnationaux

Les groupes criminels assument de plus en plus un caractère transnational. Ils peuvent se constituer sur la base d'affinités nationales (groupes albanais, nigérians, italiens...) qui impliquent une circulation entre le pays d'origine et le pays d'installation. Ainsi les magistrats rencontrés par la commission au tribunal judiciaire de Lyon ont-ils décrit le va-et-vient des ressortissants albanais employés comme « mules » par les réseaux pour importer la cocaïne et l'héroïne venues des Balkans.

Les réseaux sud-américains ont, eux aussi, de fortes capacités de pénétration de pays tiers, en Afrique mais aussi en Europe : en effet, « les trafiquants brésiliens, en particulier le PCC [Primeiro Comando da Capital], voient croître leur influence à l'international à travers une stratégie d'expansion aux pays lusophones (Angola, Guinée-Bissau...) » ; de même, « les Colombiens ont formé des alliances durables avec des réseaux criminels basés en Europe. Ils gèrent la supervision de la réception, du stockage et de la distribution en gros de la cocaïne. Dans ce contexte, leur présence est détectée dans plusieurs pays, en particulier en Espagne et en Belgique »66(*).

Les groupes nigérians ont, pour leur part, développé un réseau international dédié au transport en offrant les services de leurs compatriotes résidant au Brésil pour acheminer de la cocaïne de ce pays vers l'Afrique. Le recrutement de ces « mules » est également géré par un réseau criminel nigérian implanté au Brésil, le Neo Black Movement (NBM)67(*).

Comme l'a résumé le ministre de l'intérieur lors de son audition par la commission d'enquête68(*), « le lumpenprolétariat du trafic de drogue est désormais très mobile, comme peut l'être le capital humain dans un capitalisme effréné ».

La mobilité des « mules » est bien sûr une mobilité sinon forcée, du moins non spontanée. Tel n'est pas le cas des trafiquants du « haut du spectre », susceptibles de venir prendre en charge l'achat de la drogue sur place et son convoyage. Une note de l'Ofast69(*) décrit ainsi l'implantation tentaculaire de groupes albanais installés en Amérique du Sud, opérant en totale autonomie pour assurer l'acheminement de la cocaïne vers les ports brésiliens et son exportation en Europe. Un groupe de ce type a été démantelé en septembre 2020 par Interpol. « Le chef albanais [d'un groupe criminel], note l'Ofast, coordonnait toute l'activité de l'organisation depuis sa cellule de prison en Équateur. Le cartel communiquait par messageries cryptées et disposait d'un réseau d'agents corrompus dans les ports maritimes d'Amérique du Sud. S'agissant du blanchiment des bénéfices des trafics, le recours au système bancaire occulte Fei Chien, implanté en Asie du Sud-Est, a été mis au jour ».

Organisations criminelles et mobilité

La propension des trafiquants de drogue à la mobilité n'est pas en soi un fait nouveau. Alors que la mafia est une organisation hiérarchisée, verticale, dont le pouvoir repose sur le contrôle d'un territoire, le trafic de drogue est une activité par nature horizontale, fondée sur la coopération entre plusieurs métiers (producteur, importateur, distributeur), qui suppose des connexions internationales.

L'articulation de ces deux dimensions a été décrite par l'historien Salvatore Lupo70(*). Ainsi, explique Lupo, le célèbre repenti de Cosa Nostra Tommaso Buscetta était à la fois un soldat de rang moyen de l'organisation mafieuse et un trafiquant de drogue international, bien plus riche que ses supérieurs. Installé au Brésil, c'est là qu'il a été arrêté en 1983.

Mais la mondialisation et surtout les nouvelles technologies ont accéléré ce nomadisme en permettant la gestion à distance des réseaux.

La mobilité internationale des trafiquants trouve sa manifestation la plus frappante dans la ville andalouse de Marbella, au croisement des routes du cannabis marocain, de la cocaïne américaine et à proximité du paradis fiscal de Gibraltar, qu'un article publié dans le journal El País71(*) puis le Guardian, a décrite comme « l'ONU du crime » : tous les grands groupes criminels internationaux y sont représentés et y font affaire. Des équipes de Marseillais viennent notamment y « faire la saison » dans l'une ou l'autre des activités liées au trafic - tout cela sous les yeux de la police, qui n'a pas les moyens de faire face.

2. Les pays refuge : des espaces de télétravail à l'échelle du monde

Puisque gérer le trafic à distance est devenu possible, les trafiquants les plus puissants ont pris l'habitude de s'installer dans des pays peu coopératifs pour échapper aux attentions de la justice de leur pays.

Là encore, la pratique n'est pas forcément nouvelle : les criminels d'autrefois avaient aussi pour pratique de se « mettre au vert » dans un pays aux autorités compréhensives.

Cependant, le développement des moyens de communication a fondamentalement changé la donne : on peut désormais gérer ses affaires à distance, et pas seulement se faire oublier. Les trafiquants français, notamment, en profitent à plein. C'est ce que soulignent les interlocuteurs auditionnés par la commission d'enquête : les trafiquants agissent désormais en chefs d'entreprise, à la tête d'organisations solides et résilientes qu'ils peuvent diriger en étant hors du territoire national, sans que leur domiciliation influe sur la gestion de leurs affaires et sans que la distance mette à mal le contrôle qu'ils exercent sur un territoire.

Le pays refuge est choisi à la fois sur la base des affinités, notamment culturelles ou familiales, du trafiquant et du caractère limité de la coopération judiciaire et policière avec l'État d'origine. C'est ainsi que les autorités françaises éprouvent les pires difficultés à obtenir l'extradition des malfaiteurs réfugiés au Maghreb et surtout à Dubaï72(*), qui devient la destination privilégiée des narcotrafiquants internationaux : ils y trouvent, pour reprendre l'expression utilisée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer Gérald Darmanin lors de son audition par la commission d'enquête, une véritable « vie rêvée »73(*).

Comment investir, travailler et se reposer à Dubaï quand on est un narcotrafiquant

L'émirat de Dubaï est l'une des sept entités de la fédération des Émirats arabes unis. Dépourvu, au contraire de ses voisins, de richesses pétrolières ou gazières en propre, il a poursuivi une voie de développement originale : un hub aérien (l'aéroport est l'un des plus grands du monde, à mi-chemin entre l'Europe et l'Asie du Sud-Est), maritime (Dubaï est devenue un très important port de transbordement) mais aussi commercial et financier, avec la plus grande place boursière du Moyen-Orient.

L'émirat a donc, par vocation, cherché à attirer toutes sortes de capitaux - c'est du reste une place importante de contournement des sanctions pour les investisseurs iraniens. Il propose ainsi aux investisseurs potentiels des taux d'imposition pratiquement nuls, ainsi qu'un secret bancaire absolu et une curiosité limitée pour l'origine des fonds placés dans l'émirat. Le chercheur Bertrand Monnet, qui a suivi pour Le Monde un membre d'un cartel mexicain, a ainsi enregistré une réunion du cartel avec une société fiduciaire installée à Dubaï : celle-ci détaille au client prospect les facilités d'investissement dans l'émirat (immobilier, cryptomonnaies, etc.), sans rien ignorer du caractère criminel de ses activités74(*).

Voilà déjà des raisons suffisantes pour intéresser toutes sortes de criminels désireux de blanchir leurs revenus mal acquis ; mais Dubaï présente bien d'autres avantages.

D'abord, le marché immobilier est particulièrement attractif, parce qu'il permet de blanchir de l'argent très discrètement, les noms des propriétaires de biens de ce type n'étant pas inclus dans la coopération judiciaire internationale. L'émirat a déjà été pointé du doigt en mai 2022 à la suite de l'enquête collaborative « Dubai uncovered » reposant sur une fuite massive de données cadastrales, qui révélait que de nombreux criminels internationaux et responsables russes sous sanctions détenaient des biens dans l'émirat.

Parmi ces criminels, les narcotrafiquants français figurent en bonne place : le service de sécurité intérieure (SSI) de l'ambassade de France aux Émirats arabes unis75(*) a ainsi estimé les investissements immobiliers français relevant du blanchiment à plus d'un demi-milliard d'euros, pointant en particulier l'activité de certaines entreprises gérées par des Français et uniquement en lien avec leurs compatriotes. Signe de l'attractivité de l'endroit, le SSI a constaté une descente en gamme des investissements : les trafiquants de moyen niveau commencent à y acquérir des biens de valeur moindre.

Mais Dubaï n'est pas seulement une place financière et commerciale. Il semble également être devenu un nexus du crime organisé où se tiennent des réunions entre trafiquants de haut vol : le SSI a ainsi repéré une nébuleuse criminelle en train de s'organiser pour piloter le trafic à toutes les étapes, avec des rencontres entre bandits parisiens, marseillais, antillais.

On peut donc travailler à Dubaï, d'autant que l'émirat a entrepris de se « vendre » à l'international comme un lieu de villégiature luxueux, sûr - pas ou peu de vols - et toujours ensoleillé. Cette politique s'est affirmée lors de l'épisode covid, où l'émirat a lancé une campagne autour de l'accueil de ressortissants étrangers en télétravail, à des conditions facilitées. L'offensive de relations publiques de l'émirat est relayée par des influenceurs faisant l'éloge de la douceur de vivre dubaïote. Comme l'a souligné Guillaume Valette-Valla, « le choix des trafiquants en faveur de l'émirat de Dubaï, plutôt que d'autres pays de la péninsule arabique, est fait à dessein. Seul l'argent, le gagner illicitement et en profiter, motive les trafiquants de drogue. Ils iront donc dans des endroits qui leur sont agréables »76(*).

Enfin, et c'est son principal atout aux yeux des trafiquants, l'émirat n'est pas enclin à répondre aux demandes d'extradition portant sur les criminels réfugiés sur son territoire, comme l'atteste la libération récente de deux trafiquants du haut du spectre, arrêtés par les autorités émiriennes puis relâché après quarante jours77(*).

Tout cela fait de Dubaï un véritable paradis pour l'argent mal acquis, un lieu où les trafiquants peuvent placer cet argent et le faire fructifier, travailler dans d'excellentes conditions et enfin jouir paisiblement des fruits de leur labeur.

D. LE NARCOTRAFIQUANT : UN OPÉRATEUR ÉCONOMIQUE AGILE, INVENTIF ET IMPITOYABLE

Tous les observateurs et acteurs de la lutte contre le narcotrafic s'accordent désormais pour décrire le trafic de drogue comme un business à part entière, avec le vocabulaire qui s'y rattache, à telle enseigne que les narcotrafiquants apparaissent désormais non comme des criminels s'adonnant à une activité économique mais bien comme des entrepreneurs qui se trouvent évoluer dans la sphère criminelle.

1. Un capitalisme débridé et sans merci

Pour reprendre le terme utilisé par Bertrand Monnet lors de son audition, les trafiquants de drogue sont des « extrémistes économiques » : des opérateurs dont le but quasi exclusif est de gagner de l'argent, mais en employant des moyens illégaux, dont la violence et la corruption. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, décrit ainsi leur mentalité78(*) : « Les trafiquants agissent selon une logique économique capitaliste et ultralibérale, avec toujours la volonté de conquérir des marchés et de les développer ». Ainsi la décision des cartels colombiens de réorienter l'exportation de la cocaïne des États-Unis vers l'Europe est celle qu'aurait prise un chef d'entreprise de l'économie légale au moment d'identifier des opportunités de marché à l'international : un business no brainer (une décision d'affaires qui s'impose d'elle-même), selon le think tank Insight Crime79(*).De même pour celle des cartels mexicains de se mettre à produire du fentanyl, plus facile à fabriquer que la cocaïne et destiné au tout proche marché américain.

Ces acteurs rationnels - du moins en ce qui concerne les trafiquants du haut du spectre - sont en quelque sorte les enfants de la mondialisation et de l'explosion des échanges internationaux qui ont ouvert de nouvelles routes pour le trafic ; ils identifient les vulnérabilités sécuritaires et institutionnelles de certains États.

Ce capitalisme débridé va de pair avec un usage de la violence qui ne connaît aucune limite, comme l'a révélé l'exploitation des messages envoyés par le biais d'EncroChat ou de Sky ECC : pour reprendre les mots employés par Christophe Perruaux, directeur du service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF) du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, l'infiltration de ces messageries par les enquêteurs a « révolutionné »80(*) la vision que la police et la justice pouvaient avoir du narcotrafic en révélant la parfaite froideur des trafiquants et leur capacité à exercer les formes les plus cruelles de barbarie pour faire prospérer leur business.

La messagerie EncroChat

Entreprise de communications chiffrées (ou cryptées) néerlandaise, EncroChat est, avec Sky ECC, la plus connue des messageries du crime. Avant son infiltration par la gendarmerie française en 2020 et le lancement d'investigations nationales de grande ampleur (voir infra), ce système reposant sur des appareils dédiés, les EncroPhones, présentait les particularités de :

· rendre inopérantes les fonctionnalités des appareils prisées des enquêteurs (GPS, USB, webcam et micro des téléphones) pour éviter tout « pistage » ;

· répondre à un système d'authentification par mot de passe de quinze caractères (donc virtuellement « incraquable ») ;

· simuler le comportement d'un appareil classique pour davantage de discrétion ;

· comporter une fonction wipe out permettant de supprimer à distance les messages EncroChat via un code dédié pour « blanchir » le téléphone en urgence ;

· surtout, faire transiter les communications non plus par le réseau téléphonique classique, mais par des serveurs dédiés (qui, en l'espèce, étaient hébergés à Roubaix).

La formule a rapidement atteint une forme de viralité, notamment parce que le chiffrement n'était possible qu'entre deux appareils opérés par EncroChat, en dépit de prix élevés : chaque appareil était vendu environ 1 000 euros et l'abonnement mensuel présentait un coût - inhabituel - compris entre 300 et 800 euros par mois.

Le système, que l'entreprise prétendait avoir conçu pour des personnalités sensibles (journalistes, notamment) était largement utilisé par des organisations criminelles dont les membres, se croyant protégés de toute « fuite », s'exprimaient avec la plus grande des libertés, allant jusqu'à évoquer clairement des transactions liées au trafic de stupéfiants ou à envoyer des photographies de tortures liées à des règlements de comptes pour prouver l'exécution par des hommes de main d'un « contrat » visant un membre du réseau vu comme déloyal ou un concurrent. EncroChat a, entre autres, été utilisé par la Mocro Maffia (sa présence est détectée au cours de perquisitions aux Pays-Bas dès 2017) et aurait, selon certains journalistes, équipé les membres du redoutable cartel mexicain du Sinaloa.

Au moment de sa fermeture en urgence en juin 2020, suite à l'infiltration effectuée par la gendarmerie, EncroChat comptait 60 000 clients.

Loin d'être réservée à l'Amérique du Sud, comme en témoigne l'actualité récente et dramatique de l'Équateur, cette violence touche désormais l'Europe, comme le rappelle une note confidentielle de la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) qui pointe la capacité de déstabilisation acquise par les narcotrafiquants jusque dans les pays voisins de la France : « [...] l'exemple des récents événements s'étant déroulés aux Pays-Bas démontre la réalité de la menace grandissante que représente le grand banditisme.

« Ainsi, avec le procès de Ridouan Taghi, l'un des principaux importateurs de cocaïne en Europe, les Pays-Bas ont déploré :

« - L'assassinat du frère d'un repenti, qui n'était pas impliqué dans les faits, à Amsterdam ;

« - L'assassinat de l'avocat de ce repenti, en pleine rue, le 18 septembre 2019 devant son domicile ;

« - L'assassinat le 6 juillet 2021 du célèbre journaliste néerlandais Peter R. de Vries, cible de tirs en pleine rue à Amsterdam ;

« - Ou encore la nécessité de mettre sous protection rapprochée après des menaces, jugées crédibles, l'ancien chef du gouvernement.

« En septembre 2022 en Belgique, Vincent Van Quickenborne, vice-premier ministre et ministre de la justice et de la mer du Nord, était la cible d'une tentative d'enlèvement. Le parquet fédéral belge annonçait ainsi le 24 septembre 2022 le placement du ministre sous sécurité renforcée. Quatre individus étaient interpellés aux Pays-Bas et incarcérés dans l'attente de leur remise aux autorités belges. Le ministre indiquait par voie de presse que ces faits étaient à mettre en lien avec la lutte menée contre la criminalité organisée et le narcotrafic. »

Ces menaces sont le fait de la puissante Mocro Maffia, devenue un acteur incontournable du trafic international. Déjà présente dans le sud de la France selon Roberto Saviano81(*), elle est, selon les informations recueillies par la commission d'enquête au cours de ses déplacements, également susceptible d'avoir des ramifications à l'est de notre pays.

La Mocro Maffia

Désignant l'alliance de groupes criminels composés de ressortissants belges ou, principalement, néerlandais d'origine marocaine, la Mocro Maffia est l'incarnation d'un trafic de très haut niveau au coeur de l'Europe. Après son émergence dans les années 1980 dans le trafic de cannabis, elle s'est reconvertie au début des années 2000 dans la cocaïne, marché plus lucratif et auquel elle a pu accéder sous l'effet - notamment - d'accès facilités aux infrastructures portuaires belges et néerlandaises dont elle disposait du fait de son implantation territoriale.

Particulièrement présente aux Pays-Bas et en Belgique, mais également capable de projeter ses membres en Amérique du Sud au plus près de la production, la Mocro Maffia est composée de plusieurs structures unies par leurs attaches culturelles, linguistiques et familiales avec le Maroc ; régie par une organisation horizontale, elle est constituée d'un ensemble de cellules coopérant ou rivalisant selon les circonstances. Sa surface financière, désormais considérable, lui permet non seulement de gérer plus efficacement le trafic mais aussi de placer certains de ses membres en qualité de brokers chargés de mettre en relation d'autres trafiquants internationaux ; elle s'est ainsi affirmée comme un partenaire financier incontournable pour nombre d'organisations criminelles tierces.

Issus de gangs de rue, les membres de la Mocro Maffia sont devenus de puissants trafiquants : présents à Dubaï, où ils côtoient les représentants des plus grandes organisations criminelles mondiales, ils entretiennent des liens avérés avec des trafiquants français dont ils sont généralement les fournisseurs mais dont certains sont devenus des associés ponctuels - la Mocro Maffia a d'ailleurs la faculté d'employer des équipes locales pour projeter leur violence dans l'Hexagone afin de recouvrer une dette, de régler un litige ou d'intimider un groupe concurrent.

Outre sa puissance, la Mocro Maffia se distingue par l'usage d'un haut degré de violence, se caractérisant notamment par des meurtres et des menaces envers les représentants des institutions (voir supra) et par la pratique d'une complète loi du silence : ce choix, qui contraste avec l'attitude traditionnelle des mafias qui préfèrent généralement rester discrètes pour favoriser une pénétration de l'économie légale, est particulièrement étonnant et révèle un rapport au pouvoir qui passe essentiellement, voire exclusivement, par la violence et l'intimidation.

La figure la plus connue de la Mocro Maffia est aujourd'hui Ridouan Taghi, dont le clan s'est imposé depuis le milieu des années 2010. En fuite à Dubaï et y vivant sous une fausse identité, il a été extradé vers les Pays-Bas en 2019 pour y être jugé pour plusieurs règlements de comptes et assassinats ; son procès, qui a débuté en mars 2021 (et au cours duquel trois proches du témoin « clé » ont été assassinés) et qui s'est tenu dans des conditions exceptionnelles de sécurité, s'est achevé en février 2024 par la condamnation de Taghi à la prison à perpétuité.

2. Spécialisation croissante et taylorisation du crime

On a assisté, au cours des dernières décennies, à une forme de spécialisation du crime lié au narcotrafic ; le constat est formulé ainsi par le général Lecouffe, directeur exécutif adjoint Opérations d'Europol : « C'est ce que l'on appelle le crime as a service ; c'est une sorte de service criminel qui est proposé à ces organisations, avec une forme de division du travail. Certaines organisations criminelles maîtrisent le flux logistique, d'autres les points d'entrée ou de sortie, d'autres la production, d'autres la distribution et d'autres le blanchiment et les flux financiers »82(*).

La notion de « crime as a service » ou « crime en tant que service » est développée dans le rapport récemment publié par Europol sur les réseaux criminels83(*) : « Quand ils ont besoin d'expertise technique ou d'exécutants de rang secondaire, ils délèguent une partie du process criminel à des prestataires de services externes. [...] Le “crime en tant que service” repose souvent sur une activité de niche réclamant une certaine spécialisation technique, ou une activité de niveau inférieur qui est externalisée. Quelques réseaux criminels ont pour principale activité de commettre des crimes à titre de prestation pour le compte d'autres réseaux - en particulier du blanchiment d'argent ou des violences, y compris des menaces de mort ».

Cette division du travail a, comme le taylorisme dans l'industrie, pour but principal d'accroître la rentabilité du trafic ; elle vise tout autant à rendre plus complexe l'action des forces de l'ordre. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, constatait ainsi, lors de sa seconde audition par la commission d'enquête, que : « Les meilleurs trafiquants de produits stupéfiants sont ceux qui n'en voient ni n'en touchent jamais un gramme. [...] Il existe des producteurs, des logisticiens, des distributeurs, des organisateurs, des blanchisseurs. Plusieurs équipes de trafiquants différentes s'associent parfois pour chacune de ces activités. Un logisticien propose ainsi à plusieurs équipes différentes d'assurer le transport de la marchandise entre l'Amérique du Sud et l'Europe ou entre le Maroc et la France. Cela rend effectivement les choses très difficiles »84(*).

Cette division des tâches est manifeste au niveau international, avec les organisations brésiliennes comme le Primeiro Comando da Capital (PCC) qui se sont spécialisées dans le transport de la drogue produite en Colombie, en Équateur ou au Pérou jusqu'aux ports brésiliens.

À un niveau inférieur, le nexus de Marbella met en évidence des coopérations ponctuelles également fondées sur une division des tâches : comme le dit un procureur espagnol85(*), « quiconque croit que les organisations criminelles sont comme avant, pyramidales et couvrant tous les aspects de l'activité, se trompe. [...] Tout le monde doit former des alliances et chacun se charge de quelque chose. Ce ne sont pas des cartels mais des groupes de prestation de services : nous sommes arrivés à l'ubérisation du crime organisé ». Il existe ainsi des groupes qui supervisent le transport de la résine du Maroc jusqu'en Espagne, et d'autres groupes qui assurent la sécurité de ce transport - contre la police mais aussi et surtout contre d'autres criminels. À un niveau encore inférieur, des sous-traitants se chargent de fournir des voitures, ou un conducteur, ou encore de la main-d'oeuvre pour un tabassage - selon le modèle décrit par Europol.

Plus largement, les éléments recueillis par la commission d'enquête montrent que le trafic repose sur une logistique complexe impliquant divers groupes de criminels. Les groupes les plus puissants ont une maîtrise de la chaîne d'acheminement grâce à leur mainmise sur le processus d'expédition des cargaisons illicites (via notamment des alliances avec les groupes producteurs au Maghreb ou en Amérique du Sud, où elles sont capables de projeter certains de leurs membres, y compris de manière pérenne) et de récupération de celles-ci à l'arrivée. Cette situation leur permet, au départ, de centraliser les quantités produites et de mutualiser le transport, parfois sous l'égide de groupes tiers. Elle permet également de rassembler la cargaison sous l'autorité de groupes spécialisés, cette fois, dans la réception et le stockage, puis d'effectuer un dispatch (parfois eux-mêmes effectués par des logisticiens recrutés à cet effet). Le dernier segment du transport est, le plus souvent, confié à des groupes locaux qui disposent d'une meilleure connaissance du terrain (et en particulier des itinéraires permettant d'éviter les contrôles routiers).

On observe par ailleurs une tendance à la mutualisation des moyens logistiques ou financiers ainsi que des compétences. Les alliances sont, en cette matière, opportunistes et ponctuelles. Dans son « État de la menace 2023 », l'Ofast relate ainsi que, « En novembre 2022, une opération de police coordonnée à l'échelle internationale a révélé la mise en commun de moyens, propres à des entités indépendantes, dans le but de mener à bien un projet d'envergure. Au sein de cette alliance opportuniste, étaient associés des membres les plus influents des principales organisations criminelles internationales, chacune mettant une compétence au profit des autres (capacité de se positionner en tant que broker, fourniture d'un contact ou d'une complicité dans une emprise portuaire, partage d'une route maîtrisée, etc.). Cette alliance, née à Dubaï, s'est avérée être à l'origine de l'importation de plusieurs tonnes de cocaïne vers l'Europe ».

Cette coopération se traduit aussi par le recours au « groupage », c'est-à-dire à la mutualisation de containers pour acheminer des stupéfiants appartenant à plusieurs organisations.

La division des tâches s'inscrit dans un effort plus global de rationalisation du trafic, une forme de « toyotisme » où les stocks sont réduits (pour entraver la réponse pénale) et où les opérateurs n'ont pas de vision globale du système (pour entraver l'enquête). Ainsi l'argent liquide est immédiatement déplacé hors du point de deal dès que l'on atteint une certaine somme, et le produit et l'argent sont toujours séparés, ce qui n'était pas le cas auparavant86(*).

3. Une agilité rendue possible par la rentabilité

Au vu de leur capacité de projection internationale, « la comparaison avec une multinationale légale est malheureusement très juste. Ces organisations sont agiles. Apple aujourd'hui n'est pas le Apple d'il y a dix ans et, malheureusement, les individus qui produisent les drogues ont exactement la même agilité », souligne Bertrand Monnet87(*).

Le rapport d'Europol sur les principaux réseaux criminels européens88(*) porte un regard particulièrement éclairant sur cette notion d'agilité, la définissant comme l'un des quatre traits marquants89(*) de ces réseaux : « Les réseaux criminels les plus menaçants font preuve d'une agilité remarquable. Ils savent faire un usage inventif des opportunités existant dans le monde légal, par exemple en utilisant ou en créant des entités légales pour faciliter ou dissimuler leur activité criminelle et pour blanchir leur argent. Ils savent tirer bénéfice des défis qui se présentent, comme on l'a vu lors des crises géopolitiques récentes, où les business criminels ont continué comme en temps ordinaire. Ils mêlent cette flexibilité dans leurs opérations à un degré élevé de résilience face aux perturbations provoquées par les forces de l'ordre, ayant recours à des contre-mesures où à des pratiques corruptives pour obtenir des informations sur les enquêtes ou pour peser sur les procédures judiciaires ». Agilité et résilience, à tous les niveaux du trafic, permettent aux réseaux criminels de muter sans cesse et ainsi de toujours conserver un temps d'avance sur les forces de l'ordre, pour la simple raison qu'ils n'opèrent pas dans l'environnement réglementaire, institutionnel, social contraint qui est celui des entreprises légales : la path dependency (dépendance au sentier), cet ensemble de manières de faire habituelles qui entravent l'innovation dans les entreprises, n'existe pas au sein d'une organisation criminelle.

Mais cette agilité ne serait pas possible à un tel niveau sans la rentabilité extraordinaire du trafic, sans commune mesure avec celle qu'offrirait une activité légale. Ainsi, selon Bertrand Monnet, « la rentabilité du trafic de coke varie entre 4 000 et 6 000 % »90(*) de la production à la vente au détail ; selon Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Ofast, pour les grossistes « 1 kilogramme de cocaïne s'achète entre 28 000 euros et 30 000 euros, avant d'être revendu au gramme entre 65 euros et 70 euros »91(*). Pour le ministre de l'économie et des finances, c'est tout simplement « l'un des commerces les plus rentables de la planète »92(*).

Ces marges énormes ont une conséquence majeure : elles permettent aux narcotrafiquants d'opérer sans craindre les pertes, qui sont parfois considérables. Comme l'a souligné Florian Colas, alors à la tête de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED)93(*), « tant que l'on n'atteint pas un niveau de saisie entre 70 % et 90 % de la production, on ne “mord” pas sur le modèle économique. Le taux de marge sur les 10 % restants est tel qu'il est suffisant pour couvrir les pertes ».

4. Expérimenter sans crainte des pertes, pour garder une longueur d'avance sur les services répressifs

Les conditions économiques très favorables - marges énormes, absence de contraintes légales... - permettent aux trafiquants d'expérimenter et d'innover sans cesse. Cette propension à l'expérimentation est particulièrement frappante dans le cas des vecteurs utilisés pour le transport de la drogue.

Les moyens de transport, illustration de l'inventivité et surtout de la liberté d'action des narcotrafiquants

Plusieurs découvertes incongrues ont émaillé l'histoire de la lutte antidrogue :

· un Boeing 727 trouvé abandonné au Mali, ayant servi à transporter plusieurs tonnes de drogues depuis le Venezuela94(*) ;

· deux semi-submersibles95(*) au large de la Galice en 2019 et 2023, le premier intercepté avec plusieurs tonnes de cocaïne à son bord96(*), le second retrouvé abandonné97(*) ; l'utilisation des semi-submersibles et submersibles pour transporter la drogue est très documentée en Amérique du Sud, au point que le Parlement colombien a voté en 2009 une loi punissant spécifiquement la construction de ces engins98(*) ;

· un ULM accidenté en Seine-Maritime99(*), probablement utilisé pour récupérer de la drogue livrée sur les côtes (drop-off).

Les risques énormes liés à l'utilisation de ces moyens de transport illustrent la liberté d'action des narcotrafiquants : ils peuvent se permettre de perdre des véhicules, du produit et même des hommes sans avoir à rendre des comptes.

a) Le « drop-off » et autres techniques de livraison

L'appétence pour l'expérimentation des trafiquants se matérialise en premier lieu dans l'évolution constante des méthodes de livraison des drogues. En février-mars 2023, plus de 2 tonnes de ballots remplis de cocaïne ont ainsi fait leur apparition sur les plages normandes100(*). En novembre, 700 kilos étaient repêchés en pleine mer101(*). Ces arrivages sont l'illustration de la technique du « drop-off », qui consiste à jeter les ballots de cocaïne à la mer qu'un bateau « fille » viendra récupérer grâce à une balise. Cette méthode a été décrite par les douaniers et policiers rencontrés par la commission au Havre comme de plus en plus utilisée par les trafiquants, en raison du resserrement des contrôles sur le port même. Le Centre d'analyse de la situation de surface, un service des douanes, a désigné ce procédé comme la « méthode du moment ».

« Si vous me permettez cette mauvaise comparaison, ce sera toujours une course entre les gendarmes et les voleurs. Chaque fois que nous rehausserons nos dispositifs, les trafiquants trouveront d'autres moyens. J'évoquais tout à l'heure l'imagination sans limite des trafiquants, entre les personnes placées dans des containers et les caissons contenant la drogue soudés sous les caisses. La cocaïne a cette particularité d'être facilement camouflable dans des liquides ou des pâtes ; on en trouve parfois dans l'armature même des navires, ce qui oblige à les démonter pour la trouver. Si nous parvenons à rehausser le dispositif de contrôle dans les containers, où se trouvent les plus importants tonnages de drogue, nous serons ensuite confrontés à d'autres problèmes. On a déjà trouvé des semi-submersibles. Les trafiquants ont beaucoup d'argent et de moyens à leur disposition, et ils vont se servir des évolutions technologiques. »

Didier Lallement, secrétaire général de la mer, 11 décembre 2023

Autre méthode décrite par les douaniers : l'installation d'hommes à l'intérieur même des conteneurs pendant le transport, afin de faciliter la récupération une fois arrivés sur le port. Trois personnes ont ainsi été débusquées par les douanes lorsque le conteneur a été scanné.

La première méthode se caractérise par un niveau de pertes très élevé, et la seconde par des risques extrêmes pour les personnes ainsi embarquées : toutes deux illustrent la capacité d'expérimentation des trafiquants sans les contraintes de coût - financier et humain - qui vont avec. Les pertes sont pleinement intégrées à l'activité économique. La seconde méthode évoquée ci-dessus semble d'ailleurs, d'après les douaniers, avoir été abandonnée.

Des méthodes originales de dissimulation des produits stupéfiants, qui sont autant de nouvelles preuves de la créativité des trafiquants, sont également recensées par les interlocuteurs de la commission d'enquête :

· dissimulation dans les navires eux-mêmes (cuves à carburant, cages aménagées, utilisations des accessoires du bateau - batterie, bouteilles de plongée...), voire stupéfiants moulés dans la structure ;

· paquets aimantés pour adhérer aux coques ;

· dissimulation sous les coques, sous la ligne de flottaison et au contact de la mer ;

· dissimulation dans la structure des containers ;

· dissimulation dans la cargaison, qu'il s'agisse de nourriture (c'est le cas le plus fréquent, notamment par les denrées en provenance d'Amérique du Sud : ananas, bananes, café, sucre...) ou d'autres marchandises comme le bois et le charbon. Les produits stupéfiants peuvent aussi être mixés avec une marchandise légale, voire être traités chimiquement pour changer leur apparence : des exemples signalés à la commission d'enquête concernent des stupéfiants ayant subi un traitement leur donnant l'apparence du charbon de bois, permettant aussi d'éliminer l'odeur distinctive du produit.

b) Chimie : une dangereuse montée en compétence

Le trafic des drogues a toujours nécessité les compétences de chimistes, l'exemple le plus célèbre étant la French connection, avec ses chimistes installés dans le sud de la France qui transformaient en héroïne la morphine-base.

Cependant, on assiste depuis quelques années à une véritable industrialisation des processus. Deux exemples témoignent d'une évolution particulièrement préoccupante signalée par l'Ofast dans l'État de la menace liée au trafic de stupéfiants 2023 :

· l'incorporation - déjà évoquée - de la cocaïne à d'autres produits comme le sucre102(*), le charbon ou le ciment, qui la rend indétectable au scanner ; elle est ensuite récupérée par traitement chimique par les trafiquants ;

· l'utilisation du précurseur appelé BMK pour la synthèse de la méthamphétamine, qui permet un recyclage partiel du produit utilisé, et ainsi une augmentation de la rentabilité.

« Depuis 2019, souligne l'Ofast, les opérations de démantèlement de laboratoires clandestins mettent en lumière la professionnalisation des unités de traitement de la cocaïne ou de production de drogues de synthèse installées sur le sol européen. [...] Les organisations criminelles européennes et latino-américaines mettent en place des structures capables de produire à grande échelle. »103(*)

E. UN BLANCHIMENT TENTACULAIRE : CASH, HAWALA ET RÉSEAUX DE LA MAFIA CHINOISE

Le blanchiment consiste, dans la définition donnée par Interpol, à « dissimuler l'origine de fonds obtenus illégalement afin qu'ils paraissent être issus de sources légitimes »104(*). Il existe une très grande variété de méthodes de blanchiment, où là encore se révèle l'ingéniosité des trafiquants. Grâce à des systèmes de « troc », ceux-ci peuvent même éviter complètement le recours au système monétaire, comme le relevait Christophe Straudo, inspecteur général, chef de l'inspection générale de la justice, lors de son audition : il expliquait avoir assisté en outre-mer, dans de précédentes fonctions, « à la naissance de trafics réciproques. On se rendait compte que le prix du gramme de cocaïne était l'équivalent du prix de la résine de cannabis [...]. C'était du troc : cocaïne contre résine de cannabis »105(*).

Lorsqu'il existe, le blanchiment ne peut toutefois pas se dérouler n'importe où ni n'importe comment, notamment lorsque les sommes concernées sont importantes et que leur détenteur a la volonté de les réinjecter, à plus ou moins long terme, dans l'économie légale. Comme l'a souligné Guillaume Valette-Valla, alors directeur de Tracfin, lors de son audition par la commission106(*), « blanchir de l'argent suppose une “industrie” financière et juridique d'avocats, de comptables, de commissaires aux comptes, de cabinets de consultants, ainsi qu'un marché de l'immobilier suffisamment liquide. [...] Cela suppose une place de marché d'une surface, d'une profondeur et d'une industrie qui puisse le recueillir ».

1. Des formes très diverses de blanchiment, de la plus simple à la plus complexe

Comme le rappelle Clotilde Champeyrache dans sa réponse écrite au questionnaire du rapporteur, « le blanchiment se prête [...] à beaucoup de fantasmes. Si l'attention se concentre sur les schémas sophistiqués de blanchiment international, il ne faut pas oublier qu'une part importante - qu'il faudrait réussir à estimer - d'argent sale circule directement dans l'économie légale sans être blanchi : cela concerne notamment les salaires de la main-d'oeuvre criminelle et les pots-de-vin versés. Ce décalage entre revenus légaux distribués et revenus réellement dépensés dans l'économie légale transparaît (même s'il n'est pas l'explication exclusive) dans le décalage observé par les instituts de statistiques nationaux entre somme des emplois et somme des ressources en fin d'exercice ».

La forme la plus simple de blanchiment consiste à acheter des biens de consommation avec l'argent liquide issu du trafic ; dans ce cas, il ne s'agit pas d'une démarche volontaire de dissimulation de l'origine des fonds, mais d'un acte de consommation, notamment des petites mains du trafic.

Les espèces peuvent également être tout simplement transportées dans un pays étranger (souvent le pays d'origine du trafiquant) où elles seront plus aisément recyclées du fait d'une réglementation moins stricte ; on rappellera à cet égard que, à date, plusieurs États européens (Autriche, Chypre, Estonie, Finlande, Allemagne, Hongrie...), dont certains sont frontaliers de la France, ne prévoient aucun plafond aux paiements en liquide, ce qui constitue indéniablement un facteur facilitant pour le blanchiment.

Dans une forme légèrement plus sophistiquée, l'argent liquide est utilisé pour l'achat de biens tels que des véhicules ou des montres de luxe, ensuite revendus dans le pays d'origine.

La commission a par ailleurs appris que des groupes criminels se spécialisaient dans le blanchiment, et notamment certaines mafias asiatiques. Comme le soulignait le ministre de la justice Éric Dupond-Moretti lors de son audition le 9 avril 2024, « pour blanchir les fonds provenant des trafics de stupéfiants, les narcotrafiquants français n'hésitent [...] pas à s'allier avec des groupes implantés en Asie ». Plus largement, un nombre important de personnes entendues par la commission ont mis en avant le rôle-clé de certains réseaux criminels chinois dans l'industrialisation du blanchiment des revenus criminels, quelle qu'en soit l'origine - y compris, donc, au profit des narcotrafiquants.

Le Cifa d'Aubervilliers : une énorme machine à traiter du cash

« La communauté criminelle chinoise - mais elle n'est pas la seule - a acquis une véritable compétence en matière de blanchiment, a indiqué Christophe Perruaux, directeur du SEJF, à la commission d'enquête107(*). Elle la met à disposition de ceux qui veulent en user, et ce dans bien d'autres domaines que le textile, son commerce d'origine : elle la propose ainsi aux acteurs de la fraude fiscale, du travail illégal et du trafic de stupéfiants, qui connaissent parfaitement la qualité de ses prestations. »

Selon Christophe Perruaux, mais aussi d'autres observateurs du phénomène, le Centre international de commerce de gros France-Asie (Cifa) d'Aubervilliers apparaît comme l'un des principaux centres dédiés à cette activité en raison des très importantes quantités d'argent liquide qu'il traite.

Mais l'une des formes les plus courantes de blanchiment reste l'investissement « de proximité » dans un commerce local : principalement des kebabs, « barbershops », ongleries, bars à chicha108(*). Ces commerces produisent ensuite de fausses factures permettant de justifier ces fonds. Une fois les fonds recyclés, le commerce est souvent mis en liquidation. Le processus peut être opacifié en mettant le commerce au nom d'un proche. Il s'agit là d'un « blanchiment dit de basse intensité (via des investissements criminels dans des structures de type restaurants, bars, boîtes de nuit, petits commerces) » qui « [offre] aux criminels une façade légale, un statut social tout en leur permettant un enracinement territorial (recrutements fictifs de personnel, points d'observation dans des rues / quartiers, possibilité de placer des marchandises illégales / d'en stocker) »109(*).

L'investissement immobilier est également une forme de blanchiment très appréciée dans les pays peu regardants sur l'origine des fonds achetés : Dubaï, avec son très important marché immobilier, arrive en tête des destinations (voir l'encadré consacré à Dubaï ci-avant). Dans ce cas, les montages peuvent être très sophistiqués et passer par des sociétés-écrans pour limiter le risque que le bien possédé ne soit « tracé » vers son propriétaire réel, donc repéré et in fine confisqué.

Les formes de blanchiment les plus sophistiquées mettent donc en contact les réseaux criminels avec l'économie légale, ce qui pose la question de la pénétration de nos économies par le crime. Selon un rapport publié par Europol110(*), « 86% des réseaux criminels les plus menaçants111(*) utilisent des structures légales » (Legal business structures, ou LBS), à la fois comme « un facilitateur pour commettre leurs crimes, une façade pour les dissimuler, et un véhicule de blanchiment des profits ». Europol identifie les secteurs de la construction, de l'hôtellerie et de la logistique les plus vulnérables. Cette imbrication étroite est illustrée dans l'étude de cas présentée en encadré, qui met aussi en évidence la très forte internationalisation des réseaux.

La pénétration de l'économie légale par les réseaux criminels : un cas d'espèce

« Le chef d'un réseau criminel, un homme d'affaires italien d'origine argentine résidant à Marbella, utilise ses entreprises pour dissimuler ses activités à la fois dans le trafic de drogue et le blanchiment d'argent. Il gère plusieurs entreprises, dont l'une importe des bananes en Union européenne depuis l'Équateur. Il possède également des centres sportifs à Marbella, des centres commerciaux à Marbella et de nombreux bars et restaurants. Un complice albanais, résidant en Équateur, se charge de l'importation de la cocaïne de Colombie en Équateur, puis de la distribution dans l'Union européenne. Les entreprises équatoriennes de négoce de fruits sont utilisées comme façades pour ce type d'activités criminelles. »112(*)

2. La hawala : un système de transfert de fonds très ancien mis au service du narcotrafic

La hawala est un moyen simple mais très efficace de transfert immédiat de fonds d'un pays à un autre, utilisé depuis des siècles, notamment par les commerçants dans les pays musulmans, pour éviter l'opération risquée du transport de fonds.

Elle consiste, pour un individu (le sarraf) situé dans un pays A, à remettre une somme d'argent à un commerçant (le hawaladar). Celui-ci lui remet un code, et envoie un ordre de virement à son correspondant, le hawaladar du pays B. Le destinataire des fonds, dans le pays B, se présente au hawaladar avec le code en question, transmis par le premier individu, et l'argent lui est transféré.

Source : direction des affaires criminelles et des grâces

Ce processus crée une dette du hawaladar du pays A envers son correspondant du pays B, correspondant à la somme transférée. Elle sera compensée ultérieurement, soit par une opération inverse, soit par des importations de matériels, de fournitures ou de véhicules, par exemple.

Ce système informel, car échappant aux circuits bancaires, est très utilisé par les travailleurs immigrés pour transférer des fonds à leur famille. Mais il présente également des avantages certains pour les criminels : absence de formalités, anonymat, rapidité, disponibilité (commerces aux horaires d'ouverture étendus), coût moins élevé que les commissions des changeurs, confiance dans les membres du réseau (souvent communautaire).

À la tête du système se trouve un donneur d'ordre, le sarraf, qui organise notamment la compensation. Les affaires Kouri en 2016, Byblos ou encore Virus en 2018 (voir encadré ci-après) ont mis en évidence des réseaux tentaculaires, impliquant des circuits complexes de biens et d'argent pour des sommes atteignant les centaines de millions de dollars, et utilisés pour le blanchiment de toutes sortes d'activités criminelles.

Une brève description de l'affaire « Virus »

L'hypothèse était celle de fournisseurs au Maroc qui, pour pouvoir récupérer les bénéfices générés en France par le trafic de cannabis, sollicitaient les services d'un intermédiaire marocain, le sarraf, faisant office de banquier, de superviseur ou encore de courtier, à l'instar des « brokers » connus et existants aux États-Unis et en Colombie depuis des dizaines d'années.

Ce dernier se chargeait alors d'activer un ou plusieurs réseaux de collecteurs, localisé(s) sur le territoire français ou à l'étranger, ayant pour tâche, dans un fonctionnement pyramidal, de collecter l'argent issu des ventes auprès des trafiquants locaux. Chaque collecteur, habituel ou occasionnel, recevait ainsi pour mission de se rendre au contact d'un trafiquant qui ne lui était pas nécessairement présenté comme tel et avec lequel il n'avait aucune relation antérieure, et de récupérer une somme d'argent remise de la main à la main et parfois transportée sans aucune précaution particulière autre que la simple protection offerte par un sac.

Ces sommes, comptées et recomptées, étaient ensuite remises à l'échelon supérieur obéissant ainsi à une forme de centralisation des capitaux à disposition du chef du réseau de collecteurs les tenant lui-même à disposition du sarraf. Afin de cerner au mieux les enjeux en présence, il convient de préciser que les sommes collectées ont pu dépasser plusieurs centaines de millions d'euros au cours de plusieurs années et ceci, pour les seuls réseaux considérés au cours des investigations.

Les connexions du sarraf avec les responsables d'une société suisse complice permettaient dans le même temps de répondre aux besoins de fraudeurs fiscaux, titulaires de comptes bancaires non déclarés et désireux de disposer d'espèces sur le sol national. L'argent des stupéfiants était ainsi, selon un mouvement contraire, redistribué et remis physiquement à ces fraudeurs fiscaux qui, concomitamment, procédaient depuis leurs comptes bancaires dissimulés à l'étranger, parfois via la constitution de trusts, à des virements vers des sociétés contrôlées, faisant également office de sociétés écrans et devant profiter in fine aux trafiquants de stupéfiants initiaux, notamment ceux établis au Maroc.

Source : Mémento sur la criminalité organisée de la DACG

Facteur supplémentaire d'opacité, la hawala fait parfois l'objet d'une mutualisation de la part de réseaux spécialisés qui viennent collecter, puis blanchir des fonds quelle que soit l'infraction criminelle qui a permis de les récolter, en passant outre les frontières des États pour renforcer leurs capacités de dissimulation. Ainsi, « les collecteurs ramassent parfois l'argent pour plusieurs équipes différentes et s'occupent aussi de créer des compensations avec d'autres organisations criminelles intéressées par l'idée de disposer d'espèces en France et de faire des transferts à l'étranger sur des comptes bancaires. Cela se fait selon des systèmes de transaction un peu compliqués impliquant, par exemple, d'acheter de l'or en Inde, d'alimenter des comptes au Pakistan, en Chine ou à Dubaï, ou encore d'acheter des propriétés dans certains pays d'Afrique du Nord. Des communautés étrangères présentes sur notre territoire récupèrent ces sommes d'argent ou les font transiter par des pays voisins comme la Suisse, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni »113(*).

Même à un niveau local, les sommes en jeu sont considérables. Marc Perrot, directeur territorial de la police judiciaire de Nantes, indique ainsi : « dans un seul dossier traité en 2023, nous avons constaté qu'en six à huit mois, plusieurs millions d'euros avaient été envoyés aux sarrafs »114(*).

3. La montée en puissance des cryptomonnaies

« Nous découvrons des cryptomonnaies lors de la quasi-totalité de nos perquisitions », a déclaré Christophe Perruaux, directeur du service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF), à la commission d'enquête115(*). Dématérialisée, la cryptomonnaie est échangée et conservée dans un wallet, c'est-à-dire un portefeuille virtuel. Le wallet n'est pas accessible aux enquêteurs sans le code détenu par le propriétaire, ce qui permet d'échapper aux saisies.

Les actifs numériques : virtualité, décentralisation et anonymat

L'Autorité des marchés financiers (AMF) définit les cryptoactifs116(*) comme des actifs numériques virtuels qui reposent sur la technologie de la chaîne de blocs (blockchain) à travers un registre décentralisé et un protocole informatique crypté. Il ressort de cette définition que :

· les actifs numériques sont créés par une communauté virtuelle, à partir d'un algorithme qui génère des « jetons » qui sont ensuite alloués à chaque personne qui participe au fonctionnement de ce système. Cette activité est communément désignée sous le terme de « minage », les personnes participant à l'émission des actifs numériques étant, elles, qualifiées de miners. Les actifs numériques sont ensuite utilisés comme moyen d'échanges, voire de paiement dans les rares cas où ils sont acceptés. Ils servent également de support d'investissement, par nature plus volatil et plus risqué ;

· les actifs numériques ne sont soumis à aucune supervision en tant que telle, puisque leur gestion est décentralisée - au contraire par exemple des monnaies traditionnelles (fiat), avec les banques centrales. Sont cependant soumis à la supervision de l'AMF les prestataires de services sur actifs numériques (Psan). L'absence de centralisation signifie également que ces actifs n'ont pas d'adossement économique ou financier, ils tirent leur valeur de leur propre existence et de leurs potentialités (par exemple, un transfert d'argent) - ce qui est de nature à alimenter la spéculation. Le bitcoin par exemple, le plus connu des actifs numériques, a vu son cours passer de 15 000 euros à quasiment 57 000 euros entre les mois de janvier et novembre 2021, avant de redescendre brutalement à 30 000 euros au mois de janvier 2022 puis 15 000 euros de nouveau au mois de janvier 2023 ;

· les actifs numériques se déploient de manière virtuelle. Ils sont stockés dans des portefeuilles électroniques et leur valeur se matérialise soit à l'achat d'un bien ou d'un service (certains acteurs économiques les acceptent en paiement), soit au moment de leur transformation en monnaies fiat (euro, dollar). Ce caractère virtuel conduit également à un anonymat des utilisateurs. L'article 1649 bis C du code général des impôts impose toutefois aux personnes physiques de déclarer, en même temps que leur déclaration de revenus, les références des comptes d'actifs numériques ouverts, détenus, utilisés ou clos auprès d'organismes établis à l'étranger ;

· les actifs numériques reposent en grande majorité, mais pas exclusivement, sur la technologie de la blockchain, une technologie de validation des transactions, juridiquement qualifiée de « dispositif d'enregistrement électronique partagé ». Schématiquement, la blockchain correspond à une chaîne de livres de compte virtuels retraçant l'ensemble des transactions effectuées. Sa principale caractéristique réside dans la validation décentralisée des transactions, qui ne fait intervenir aucun tiers de confiance pour valider les opérations. Elle est donc réputée plus fiable : un lien cryptographique est établi entre chaque bloc et il est rétrospectivement impossible de modifier un bloc de la chaîne sans que tous les suivants ne le soient également de manière visible. Il convient de noter que l'usage de la blockchain ne se résume pas aux actifs numériques : cette technologie est de plus en plus utilisée pour sécuriser des transactions ou des transferts, dans d'autres domaines (par exemple : marchés financiers, transferts d'argent).

Les actifs numériques : une définition construite dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme

Selon CoinMarketCap, acteur de référence du marché des actifs numériques, il existait, au 26 avril 2023, plus de 23 600 cryptoactifs, pour une valorisation totale d'environ 1 080 milliards d'euros. Ces chiffres sont à comparer à ceux de 2021, où le nombre de cryptoactifs en circulation avait été évalué à 5 000, pour une valorisation de 2 031 milliards d'euros.

La loi « Pacte »117(*) a précisé la définition des actifs. Aux termes de l'article L. 54-10-1 du code monétaire et financier, est un actif numérique « toute représentation numérique d'une valeur qui n'est pas émise ou garantie par une banque centrale ou par une autorité publique, qui n'est pas nécessairement attachée à une monnaie ayant cours légal et qui ne possède pas le statut juridique d'une monnaie, mais qui est acceptée par des personnes physiques ou morales comme un moyen d'échange et qui peut être transférée, stockée ou échangée électroniquement ».

La première définition des actifs numériques est apparue avec les impératifs de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT). La cinquième directive européenne anti-blanchiment a en effet fait entrer dans le champ des assujettis à la LBC-FT les prestataires de services d'échange entre monnaies virtuelles et monnaies légales ainsi que les prestataires de services de portefeuilles de conservation. Ces obligations ont ensuite été étendues aux services d'échange d'actifs numériques contre d'autres actifs numériques, au transfert de ces actifs et à la fourniture de services relatifs à une émission d'actifs numériques ou à une vente d'actifs numériques.

Les cryptomonnaies sont utilisées pour tous les paiements sur le darknet, notamment pour les commandes de drogues à domicile. Elles commencent également à émerger sur les points de deal, même si le système de la collecte reste dominant118(*).

De multiples alertes ont été émises sur les risques liés aux actifs numériques : dans son rapport annuel 2022119(*), Tracfin (service de renseignement financier) a de nouveau pointé le recours croissant aux cryptoactifs, lesquels sont utilisés aussi bien pour le blanchiment de fonds issus d'activités criminelles que dans des circuits de fraude fiscale ou de financement du terrorisme. Le service a également émis une alerte considérant que le recours aux cryptoactifs constituait un nouveau vecteur de financement du terrorisme, dans la mesure où il sert d'alternative au démantèlement de réseaux traditionnels et aux mesures de conformité mises en place par les professions financières. Parmi les signaux d'alerte que doivent repérer les Psan figurent l'envoi de fonds vers des pays vulnérables en matière de LBC-FT ou encore le fractionnement des sommes pour achat de cryptoactifs.

Concernant plus spécifiquement le trafic de stupéfiants, il fait partie, avec les fraudes aux finances publiques et les escroqueries, des trois menaces criminelles majeures auxquelles la France est exposée s'agissant du blanchiment de capitaux. En parallèle, les Psan relèvent dans l'analyse nationale des risques 2023 de la catégorie des « menaces très élevées ». Les cryptoactifs constituent un moyen prisé de procéder à des transactions illégales puisqu'il s'agit d'un moyen de paiement anonyme, sans intermédiaire et difficilement traçable.

4. Narcotrafic et terrorisme : un lien allégué au plus haut niveau du Gouvernement, mais étonnamment non documenté

Les réseaux terroristes et ceux des trafiquants de drogue ont-ils partie liée ? La plupart des observateurs entendus par la commission d'enquête n'ont pas établi de lien régulier entre ces deux activités criminelles. Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin, a ainsi déclaré à la commission, lors de son audition à huis clos : « pour l'heure, [...] nous n'identifions pas de lien évident entre les réseaux de trafic de stupéfiants et les réseaux de financeurs d'actions terroristes »120(*). La directrice générale de la sécurité intérieure (DGSI), Céline Berthon121(*), est parvenue à la même conclusion : « nous ne constatons pas de porosité entre le terrorisme et le narcotrafic, et plus généralement la criminalité organisée ».

Selon le chercheur David Weinberger, il y a « des points de jonction entre les deux phénomènes, avec de[s] structures et de[s] personnes qui mettent en contact l'économie aussi bien illégale que légale avec des groupes terroristes ». Mais « ces liens se révèlent complexes, volatils et, en définitive, difficiles à établir selon des lignes directrices claires »122(*).

Il semble donc que les liens entre terrorisme et narcotrafic restent ponctuels et ténus - et, surtout, involontaires pour les deux parties, du moins en Europe123(*).

Les groupes terroristes semblent en effet avoir une vision essentiellement opportuniste du narcotrafic, considéré comme source de revenus, mais sans véritable convergence d'objectifs ou de moyens entre narcotrafiquants et terroristes ; ce phénomène ne s'observe, par ailleurs, qu'à l'étranger et même hors du continent européen, et il est acquis qu'il n'a pas été documenté en France.

Ce constat général, qui paraissait fermement établi par les travaux de la commission d'enquête, a pourtant été remis en cause par le ministre de l'économie et des finances, selon qui « les phénomènes du narcotrafic et du terrorisme, comparables de par leur intensité et de par la menace qu'ils font peser sur la France, sont liés ». Le ministre a ajouté : « nous disposons d'éléments attestant l'existence de liens financiers entre le terrorisme et le narcotrafic : un phénomène d'hybridation des menaces est à l'oeuvre, rendant plus malaisée leur détection comme la mise en place d'une réponse appropriée »124(*).

Invité par le rapporteur à produire des documents à l'appui de cette information, le cabinet de Bruno Le Maire a répondu le 4 avril 2024 que « les productions des administrations, notamment de la DNRED, sont classifiées et ne peuvent en conséquence être transmises ». Il s'est ainsi borné à produire, à l'appui du propos tenu sous serment par le ministre, des « extraits de littérature scientifique sur le sujet de l'hybridation de ces deux mondes ». 

Le rapporteur constate que ces « extraits », loin d'être convaincants, posent des difficultés de fond et de méthode :

· premièrement, ils consistent en des recensions - faites par la DNRED elle-même, donc par un service de Bercy - de deux ouvrages, Théorie des hybrides de Jean-François Gayraud, paru en 2017, et Les territoires conquis de l'islamisme, dirigé par Bernard Rougier et publié en 2020. Sur la forme, il est surprenant que ces deux livres, qui ont été rédigés il y a plusieurs années, soient mis en avant pour illustrer l'existence d'un phénomène prétendument nouveau ;

· deuxièmement, et sur le fond, les deux ouvrages précités ne semblent pas démontrer l'existence de liens entre terrorisme et narcotrafic en France, ni même en Europe. Le premier de ces ouvrages cite abondamment des exemples étrangers particulièrement divers (notamment le Hezbollah libanais, le Shebab somalien ou les Forces armées révolutionnaires de Colombie - FARC) et ne donne qu'une seule illustration d'un attentat sur le sol européen ayant impliqué un groupe terroriste dont l'un des membres était par ailleurs un narcotrafiquant ; ce précédent est au demeurant ancien et notoire, puisqu'il s'agit de l'attentat de Madrid du 11 mars 2004. Le second de ces ouvrages n'évoque tout simplement pas le sujet de manière directe ; il se borne à rappeler que certains djihadistes ont un passé de délinquants de plus ou moins grande envergure dans le narcotrafic et que certaines chaînes logistiques (fourniture d'armes, de faux papiers, de véhicules...) peuvent être communes au terrorisme islamiste et à la grande criminalité. Or ce constat (lui aussi connu de longue date) n'atteste ni d'un lien ni d'une « hybridation » entre le trafic de stupéfiants et le terrorisme : en effet, et comme on l'a relevé ci-avant, les liens observés en Europe entre ces deux sphères sont ponctuels, fortuits, généralement involontaires de part et d'autre et ne relèvent en aucun cas d'un financement du terrorisme par les revenus du narcotrafic.

Le ministre de l'intérieur et des outre-mer s'est montré tout aussi affirmatif que son collègue du Gouvernement en audition, mais surtout tout aussi évasif au moment de fournir des éléments à l'appui de ses dires. « Je maintiens, a-t-il dit, les propos que j'ai tenus sur le terrorisme. Le lien entre drogue et terrorisme est avéré. Désormais, les organisations terroristes ou dites “révolutionnaires” [...] se financent notamment par la surproduction de drogue, comme, par exemple, en Afghanistan »125(*).

Le cabinet de Gérald Darmanin a, comme le cabinet de Bruno Le Maire, été sollicité par écrit par le rapporteur en mars 2024 afin de permettre à la commission d'enquête d'obtenir des éléments circonstanciés sur l'existence d'un lien entre terrorisme et narcotrafic. Sur le fond, la réponse écrite de la place Beauvau n'est pas plus étayée que celle du ministère de l'économie et des finances : elle se contente effet de renvoyer aux « [observations des] organisations internationales, [du] monde universitaire et [de] la presse » et à celles « [de] la diplomatie et [des] services de renseignement compétents », sans autre précision, et de rappeler qu'il existe des liens entre groupes terroristes et trafic de drogue en Colombie, au Sahel et en Afghanistan126(*). Là encore, aucun lien entre ces deux phénomènes n'est démontré en Europe, ni a fortiori en France : cette situation pose question dans la mesure où les déclarations orales de Gérald Darmanin et, plus encore, celles de Bruno Le Maire suggéraient pour l'auditoire que l'hybridation du trafic de stupéfiants et du terrorisme était d'ores et déjà à l'oeuvre sur notre territoire ; or, rien ne démontre que ce soit le cas, donnant à la commission d'enquête le sentiment que les membres du Gouvernement ont - à tout le moins - commis une forme de généralisation malvenue, voire dolosive. Eux-mêmes n'ignoraient vraisemblablement pas qu'ils s'étaient laissés emporter, comme en témoigne le recul de Bruno Le Maire lors de l'audition précitée : relancé par les membres de la commission d'enquête quant à la portée de ses déclarations, le ministre a ainsi évoqué un « risque d'hybridation, qui pourrait concerner [...] les filières d'approvisionnement en armes » (ce qui est bien en deçà de l'hybridation évoquée, quelques minutes auparavant, comme une réalité tangible et documentée) et à préciser en incise, dans une formule révélatrice : « j'emploie le conditionnel tout en maintenant le propos »127(*).

Par ailleurs, et de manière étonnante, la réponse écrite du cabinet du ministre de l'intérieur et des outre-mer n'oppose pas le secret de la défense nationale à la commission d'enquête et ne fait pas état de l'existence d'informations classifiées sur ce sujet. Cette situation ne peut que générer une certaine perplexité quant à la réponse apportée par Bercy : quel peut être le statut des documents détenus par la DNRED auxquels le cabinet de Bruno Le Maire faisait allusion dans sa réponse écrite pour qu'ils ne soient pas connus par le ministère de l'intérieur, et notamment pour qu'ils n'aient pas été portés à la connaissance de la DGSI - comme en témoigne la réponse de sa directrice - ni même communiqués à Tracfin, service pourtant lui aussi rattaché au ministère de l'économie et des finances ? Faut-il en déduire que ces documents n'ont pas été partagés avec les autres services de renseignement du premier cercle, ce qui serait a minima inhabituel, ou y a-t-il d'autres explications à cette divergence ?

Il n'appartient pas à la commission d'enquête de mettre en doute les propos d'un membre du Gouvernement s'ils sont étayés par des informations confidentielles, l'ordonnance organique du 17 novembre 1958 ne lui donnant pas compétence pour connaître des informations couvertes par le secret de la défense nationale. À supposer que ce soit le cas, on relèvera cependant qu'aucun des services interrogés par la commission n'a corroboré les propos tenus par Bruno Le Maire et par Gérald Darmanin : à ce stade, il est ainsi impossible d'attester de liens autres que ponctuels et opportunistes entre les réseaux de narcotrafic et les réseaux terroristes dans notre pays.

II. L'INQUIÉTANTE MONTÉE DU NARCOTRAFIC EN FRANCE

Le narcotrafic n'épargne pas, bien au contraire, la France. Les travaux de la commission d'enquête ont permis de démontrer que tout le territoire était désormais touché - et c'est là un enseignement majeur : loin de l'image d'Épinal qui voudrait résumer le narcotrafic aux métropoles et à leurs banlieues, aux jeunes et aux marginaux, à un monde souterrain qui n'a pas d'impact sur la vie des « honnêtes gens », le constat est celui d'une véritable submersion du pays. À rebours d'un cliché qui voudrait faire du trafic l'apanage de « no-go zones » allant des quartiers nord de Marseille à la colline du crack à Paris, en passant peut-être par quelques festivals, le narcotrafic a gagné les villes moyennes - voire petites - et les zones rurales.

Certes, des groupes criminels étrangers sont implantés sur notre territoire. « De nombreuses organisations issues des grandes mafias étrangères ou de groupes criminels ethniques se développent sur le territoire français, comme les réseaux criminels tchétchènes, albanais, serbes, italiens ou plus encore nigérians, marqués par leurs interconnexions. [...] S'appuyant sur une communauté installée en région Rhône-Alpes et sur la zone frontalière avec la Belgique, l'Allemagne et la Suisse, les réseaux mafieux albanais alimentent le trafic d'héroïne sur le territoire français, acheminée depuis la Turquie par la route des Balkans ou par voie maritime vers les Pays-Bas. [...] Parallèlement, les cartels sud-américains et leurs intermédiaires (mafias italiennes, groupes criminels albanais, etc.), en quête d'une ouverture pour les afflux massifs de cocaïne sur les ports français, recherchent la compromission des dockers, les narcotrafiquants n'hésitant pas à leur proposer de fortes sommes d'argent (entre 20 000 et 100 000 euros selon le service rendu), ce qui attire les jeunes professionnels. »128(*) Mais le trafic ne se résume pas - tant s'en faut - à ces mafias étrangères ; il est aujourd'hui le fait de groupes français structurés et dangereux qui utilisent tous les moyens à leur disposition pour assouvir leur soif d'argent prétendument facile et qui, lorsqu'ils ne trouvent pas de débouchés dans leurs villes d'origine saturées par les groupes rivaux, vont chercher dans d'autres zones un marché plus calme et plus prometteur.

Bernard Petit, chef de l'OCRTIS, affirmait en 2003 que « les groupes qui réussissent dans [le] trafic [de stupéfiants] sont des groupes émergents, de nouveaux malfaiteurs, violents, actifs et très organisés, qui gagnent beaucoup d'argent et qui sont certainement le noyau dur de la criminalité de demain »129(*). Cette prédiction s'est malheureusement révélée exacte : violents, hyperadaptables, puissants financièrement, les groupes de narcotrafic sont désormais au coeur de la délinquance française et en constituent l'une de ses facettes les plus redoutables et les plus dévastatrices.

A. UN PHÉNOMÈNE QUI TOUCHE DÉSORMAIS L'INTÉGRALITÉ DU TERRITOIRE NATIONAL

1. Des territoires et des infrastructures particulièrement exposés

Les trafics de stupéfiants sont depuis longtemps implantés dans certaines parties du territoire national mais ils ont connu d'importantes évolutions au cours des dernières décennies.

La ville de Marseille est historiquement au coeur du narcotrafic. Depuis la première partie du XXe siècle, jusqu'aux années 1970, Marseille a été une plaque tournante du trafic international d'héroïne et de morphine provenant de pays d'Orient et d'Asie à destination des États-Unis. Cette filière, couramment appelée la French Connection, finira par être neutralisée par les autorités franco-américaines. Lors de son audition par la commission d'enquête, l'économiste Nacer Lalam relève à cet égard : « Richard Nixon a alors fait la guerre à la drogue, en pointant notamment la responsabilité de la France »130(*).

La fin du XXe siècle et le début du XXIe siècle ont vu se déployer et s'installer durablement, au sein des quartiers défavorisés de Marseille, le trafic de stupéfiants orienté principalement autour du cannabis, principalement à destination des consommateurs locaux.

Dès 2001, l'observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), dans le cadre du dispositif Trend (tendances récentes et nouvelles drogues)131(*), constate qu'à Marseille « le cannabis est un produit très disponible tant dans l'espace urbain que festif, il est pratiquement autant consommé que l'alcool ou le tabac. Les observations effectuées dans l'espace festif corroborent celles de l'espace urbain [...]. En 2001, le cannabis serait encore plus disponible qu'en 2000, il y en a partout. [...] Le trafic de cannabis deviendrait de plus en plus dispersé. Les réseaux importants qui regroupaient plusieurs quartiers de vendeurs de cannabis auraient laissé la place à des réseaux de taille plus restreinte éphémères rapidement remplacés par d'autres. [...] Dans le centre-ville, le deal et la consommation visibles de cannabis ne semblent pas poser de problèmes aux riverains. En revanche, dans les quartiers, les rassemblements de jeunes liés au trafic de cannabis créeraient des tensions »132(*).

Le déplacement effectué par la commission à Marseille et les auditions des autorités judiciaires et administratives ont rappelé la prégnance des trafics de stupéfiants au sein de ce la cité phocéenne. À titre d'exemple, et pour illustrer la prégnance du trafic de stupéfiants, lors de son audition par la commission, Frédérique Camilleri, ancienne préfète de police des Bouches-du-Rhône, évoquait la suppression de 74 points de deal dans la ville, soit une baisse de 46 % en trois ans du nombre de points recensés133(*).

Le département de la Seine-Saint-Denis connaît, à l'instar de Marseille, une exposition extrêmement élevée aux trafics de stupéfiants. Comptant 276 des 3 952 points de deal (également appelés des « fours ») recensés par le ministère de l'intérieur en décembre 2020, ce territoire est, de loin, le plus touché par cette délinquance134(*).

Néanmoins, les « fours » ne représentent, aujourd'hui, que la partie émergée des trafics de stupéfiants dans le département, comme cela a été rappelé aux membres de la commission lors de leur déplacement à Saint-Ouen, Bobigny et Saint-Denis le 21 décembre 2023. En effet, les points de deal ne sont plus, et ce depuis plusieurs années, les seules modalités de mise en relation des trafiquants avec les consommateurs de drogues. Les centres d'appels, les livraisons à domicile, « des plans par téléphone » sont des modalités du trafic de stupéfiants de plus en plus répandues depuis la fin des années 2010. L'OFDT notait justement dès 2018 que, « que ce soient des prises de rendez-vous (en rue, bars...) ou livraisons a` domicile, on note ce mode d'accès aux produits dans de plus en plus de communes de Seine-Saint-Denis »135(*).

Enfin, le port du Havre est également confronté de manière très aiguë aux trafics de stupéfiants du fait de son positionnement sur la route internationale de la cocaïne. Premier port français, celui du Havre voit passer annuellement près de 7 000 navires transportant un peu plus de trois millions de conteneurs par an (contre 14 millions par le port de Rotterdam en comparaison). Il s'agit de « la plateforme portuaire la plus vulnérable du fait de la forte croissance de l'activité logistique et économique, avec 39 lignes maritimes régulières, dont plusieurs en provenance d'Amérique latine »136(*). La douane constate que « c'est le porte-conteneurs qui est le principal mode de transport des cargaisons de cocaïne qui arrivent en Europe »137(*).

Lors de son audition par la commission, le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, indiquait qu'« en 2022, 75,4 % des saisies de cocaïne concernaient la voie maritime, et le port du Havre, à lui seul, totalisait 78 % des quantités saisies dans les ports français »138(*). S'agissant de la quantité, la douane indique que « plus de 7,1 tonnes de cocaïne ont été saisies dans le port du Havre en 2022 (contre 2,6 tonnes saisies en 2018) »139(*).

Le regard de la Jirs de Lille sur la place du port du Havre dans le trafic international de stupéfiants

Devant la commission140(*), Virginie Girard, procureure de la République adjointe en charge de la division financière et de la criminalité organisée près le tribunal judiciaire de Lille a apporté un éclairage très précis sur les attraits du port du Havre pour les organisations criminelles en matière de trafic de stupéfiants : « J'en viens aux trafics portuaires car, comme cela a été indiqué, le port du Havre est la porte d'entrée principale des produits stupéfiants en France et cela concerne notre ressort au plus haut point. 60 % du contentieux de la Jirs est alimenté par les dossiers de trafic de stupéfiants et, parmi ces dossiers, environ 80 % émanent du port ainsi que du parquet du Havre. Le principal phénomène qui affecte l'interrégion lilloise est celui des importations de cocaïne qui sévissent sur la zone portuaire havraise, avec désormais un second point de préoccupation qui est le port de Dunkerque. La place occupée par le port du Havre s'explique par sa localisation privilégiée. Il faut ici rappeler le parcours contre-intuitif des navires qui, venant d'Amérique du Sud, font d'abord escale à Hambourg, Rotterdam et Anvers avant de rallier les ports français. De fait, les trafiquants peuvent utiliser le port du Havre de façon alternative aux grands ports qui viennent d'être mentionnés, dans lesquels la pression des services de sécurité et des autres organisations criminelles concurrentes ou parasites - qui s'approprient parfois des cargaisons - peut conjoncturellement s'avérer dissuasive. Pour les narcotrafiquants, le port du Havre présente ainsi un double intérêt : il permet de s'émanciper de la présence d'autres organisations et de maximiser les rémunérations en faisant moins jouer la concurrence. »

2. L'intensification du trafic dans les zones rurales et les villes moyennes jusqu'à présent épargnées par la violence

La consommation de stupéfiants n'est pas l'apanage des habitants des grandes agglomérations. Jérôme Bourrier, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bayonne, note que « la consommation de drogues est démocratiquement répartie sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones rurales »141(*).

En outre, la présence des trafics de drogues n'est pas nouvelle dans les communes rurales ou les villes moyennes. Concernant cette implantation ancienne du trafic dans les campagnes, lors de son audition par la commission, le juriste Yann Bisiou indiquait justement que « si l'on fait une recherche historique, aussi bien les articles de presse que la jurisprudence le montrent : dès les années 1960, il existe un trafic en zone rurale. Qu'est-ce qui a changé ? À l'époque, la zone rurale est utilisée comme lieu de production : on y trouve des laboratoires clandestins et des cultures clandestines. Aujourd'hui, elle est devenue un marché. La distribution au détail s'est développée dans les campagnes, où l'on trouve 800 000 ou 900 000 consommateurs quotidiens de cannabis, un nombre suffisant pour intéresser les trafiquants. La question des drogues dans les villes moyennes et dans les campagnes a toujours existé - au moins, je le redis, depuis les années 1960. Néanmoins, la nature des pratiques de trafic est nouvelle sur ces territoires »142(*).

Sur ce dernier point, Frédéric Ploquin, auteur d'un documentaire diffusé par France Télévisions en 2023 et intitulé La Drogue est dans le pré, met notamment en lumière « un déplacement du marché des stupéfiants vers les petites villes et les zones rurales »143(*).

Cette analyse est confirmée par la gendarmerie nationale lors de son audition par la commission, au cours d'une table ronde consacrée aux zones rurales : « Nous constatons que le sujet de la consommation et des trafics de stupéfiants est aussi très prégnant dans les zones périurbaines et rurales »144(*).

Ismaël Baa, commandant de la compagnie de gendarmerie départementale d'Alençon-Argentan, se fait lui aussi l'écho de ce constat lorsqu'il indique à la commission que « le département de l'Orne, pourtant rural et éloigné des grandes villes, n'est donc pas exempt du trafic de stupéfiants. L'an passé, nous avons saisi 4 kg d'héroïne et 20 kg de cannabis, le double de l'année précédente »145(*).

Cette observation est partagée par de multiples acteurs, y compris hors du milieu judiciaire, à l'instar d'Auguste Charrier, président de la fédération Entraid'Addict : celui-ci note que, « dans la ruralité la plus reculée, les produits toxiques sont désormais là. Ils ont envahi tout le territoire. C'est indéniable »146(*).

En outre, concernant les produits présents dans les territoires ruraux ou les villes moyennes, la cocaïne et le crack sont de plus en plus fréquents. Frédéric Sanchez, chef d'escadron et commandant de la compagnie de gendarmerie départementale de Saint-Quentin, relève qu'« on trouve certes du cannabis, mais nos enquêtes et nos contrôles sur la voie publique montrent que la cocaïne prend le pas sur les autres produits »147(*).

Lors de son déplacement à Verdun et Commercy, la commission a pu directement mesurer, notamment auprès des acteurs judiciaires et des forces de l'ordre, le poids considérable du trafic d'héroïne dans ce territoire. En effet, depuis la fin des années 2010, des points de deal se sont installés en plein coeur du centre-ville de Verdun, au sein d'appartements (appelés « bendos ») dans lesquels l'acheteur de drogue peut également consommer sur place dans une pièce dédiée. Des files d'attente étaient également constatées devant les immeubles où étaient installés les « bendos ». L'action répressive menée localement a alors permis de réduire la présence de ces trafics de stupéfiants sans toutefois les éradiquer. En effet, il a été indiqué à la commission que les trafiquants interpellés sont régulièrement remplacés par d'autres équipes, généralement venues de Metz ou de Nancy : l'effet de saturation du trafic dans certains territoires pousse ainsi des groupes criminels à cibler des zones moins peuplées où ils espèrent à la fois bénéficier d'une moindre couverture par la police ou la gendarmerie et d'un nouveau marché à conquérir - étant rappelé que, en matière de stupéfiants, l'offre tend à créer sa propre demande.

Le commandant Ismaël Baa indiquait également lors de son audition qu'en prenant son poste dans un département rural comme l'Orne, il ne s'imaginait pas être confronté à une délinquance liée aux stupéfiants d'une telle ampleur (étant rappelé qu'Alençon, chef-lieu du département, dispose depuis janvier 2023 d'un plan de lutte contre le crack).

Présent partout sur le territoire, le narcotrafic y apporte aussi sa violence débridée. Pour reprendre les mots de l'Ofast, « les violences s'étendent désormais aux villes de taille moyenne. Une multiplication de faits y est observée dans le cadre d'un narco-banditisme de cité pour la préservation d'un monopole, mettant ainsi en exergue un marché dynamique et concurrentiel. Des équipes plus modestes opérant depuis des villes implantées dans des départements ruraux peuvent animer des filières d'envergure, comme à Niort ou Brive-la-Gaillarde. Sur l'ensemble du territoire national, plusieurs quartiers sensibles de villes moyennes, sont le théâtre d'affrontements avec usage des armes. C'est le cas notamment de Belfort, Montbéliard, Verdun, Troyes, Valence, Cavaillon, Le Creusot. De la même manière, des faits d'enlèvements et de séquestration ou de tentatives d'homicides sont constatés à Angoulême ou Poitiers »148(*).

En effet, les infractions connexes au narcotrafic, notamment les atteintes graves aux personnes, connaissent également un nouvel essor dans les campagnes et les villes moyennes : on observe que « la pratique des règlements de compte ou des “narchomicides” était autrefois l'apanage des grandes agglomérations ; cette contre-culture s'est peu à peu diffusée dans des agglomérations de moindre importance, par le biais des enlèvements, des violences, voire des homicides. Tout cela a essaimé : en zone rurale, on recense désormais des tirs d'arme à feu ou des intimidations »149(*).

Les règlements de compte sont désormais présents partout sur le territoire : les magistrats rencontrés à Verdun rappelaient ainsi que la ville avait été en 2023 le théâtre d'enlèvements en pleine journée s'étant soldés par des séquestrations violentes et de « rafalages » à l'arme lourde de certains immeubles hébergeant des points de deal. Le constat était le même à Valence avec des périodes particulièrement meurtrières en 2023 et en 2024.

Valence, vitrine des villes moyennes150(*) victimes d'un narcotrafic débridé ?

Lors d'un déplacement à Valence, les autorités judiciaires ont indiqué à la commission d'enquête que l'intensité du narcotrafic était surprenante, depuis les deux dernières années, et ce d'autant plus qu'elle s'accompagne d'un pic de violence. En 2023, Valence a connu cinq règlements de comptes sur fond de trafic de stupéfiants. Le 26 mars 2024, deux jours avant la venue des membres de la commission d'enquête, une fusillade a eu lieu à l'arrière d'un établissement scolaire dans le quartier du « Plan » et un homme âgé de 20 ans était blessé, probablement dans le cadre d'un règlement de comptes entre narcotrafiquants qui opposait des dealers locaux avec des dealers extérieurs au département151(*).

En 2023, les forces de l'ordre ont saisi 20 kilogrammes d'héroïne, soit trois fois plus qu'en 2022. Pourtant, la présence des trafics de stupéfiants, et d'héroïne en particulier, est ancienne dans le département de la Drôme, la qualité de cette drogue étant une spécificité locale : elle est réputée pour être la plus pure de la région et attire donc de nombreux acheteurs.

Le ressort du tribunal judiciaire de Valence est également marqué par un narcotrafic de passage donnant lieu à des interceptions régulières avec des quantités importantes de stupéfiants sur les axes routiers (compte tenu du passage de 80 000 véhicules par jour hors pics saisonniers) se trouvant au carrefour de grandes villes environnantes (Marseille, Grenoble, Lyon). Les acteurs judiciaires constatent aussi que Valence est devenue « un lieu de délestage » des points deals saturés d'autres grandes villes.

Les services préfectoraux soulignent l'importance d'agir rapidement dans la lutte contre le narcotrafic à Valence avec un risque d'effet cliquet si des mesures efficaces ne sont pas mises en oeuvre. Les familles de narcotrafiquants sont déjà bien implantées et identifiées, des phénomènes de communautarisme se développent et certains quartiers se dégradent. L'usage des armes à feu crée un effet de terreur sur la population, à l'instar de la fusillade survenue le 26 mars 2024 à proximité d'une école. L'État a donc décidé de faire intervenir dans trois quartiers de Valence le récent dispositif gouvernemental interministériel intitulé « force d'action républicaine (FAR) » permettant le déploiement de moyens supplémentaires de l'État dans différents domaines (éducation, sécurité, social, etc.) pour répondre aux difficultés importantes rencontrées par certains territoires152(*).

Ce propos est en parfaite cohérence avec celui du commandant Ismaël Baa qui indique, de manière nuancée, concernant son ressort : « Il y a quelques mois, par exemple, deux individus venus réclamer une dette auprès d'un consommateur ont pénétré chez lui, l'ont aspergé de liquide inflammable et l'ont menacé de le brûler ; [...] c'est un exemple de la violence du narcotrafic que l'on retrouve en zone rurale. Si la ruralité n'est pas épargnée par ce type de faits, ils restent bien moins nombreux qu'en ville : dans ma circonscription, un seul événement de ce registre s'est produit dans les six derniers mois, ce n'est pas mon quotidien »153(*).

3. L'émergence, encore embryonnaire mais non moins inquiétante, de la corruption des agents publics et privés

La corruption des agents de la sphère publique et de la sphère privée par les organisations criminelles en France ne connaît pas la même ampleur que dans certains pays gangrenés par les narcotrafiquants (dans certains pays d'Europe ou d'Amérique du Sud, notamment). Il est possible de se demander si, en France, le phénomène corruptif est objectivement très marginal ou bien s'il n'est pas suffisamment recherché ou identifié par les employeurs (publics ou privés) d'une part, et par les acteurs répressifs d'autre part.

En effet, les chiffres manquent pour qualifier le phénomène. Interrogé en novembre 2023 par la commission sur le nombre de cas de corruption d'agents publics traités par Tracfin, son directeur de l'époque, Guillaume Valette-Valla, répondait qu'il s'agissait de « quelques unités, tout au plus, pour l'instant, moins de cinq. Outre le cas d'un surveillant pénitentiaire, nous traitons celui d'une zone aéroportuaire dans l'est de la France »154(*). Côté police nationale, la cheffe de l'inspection générale de la police nationale évoquait dans la presse le 19 janvier 2024 les chiffres suivants : 56 saisines de son service pour des faits d'atteinte à la probité en 2022 (sans précisions sur leur lien éventuel avec le narcotrafic), contre 30 en 2021, pour environ 100 000 fonctionnaires de police nationale. Elle analysait la situation en estimant qu'il s'agissait d'« une augmentation objective des faits »155(*).

Ces quelques exemples récents et ces maigres chiffres ne semblent pas en adéquation avec la réalité de la corruption générée par le narcotrafic dans la mesure où la compromission d'agents privés ou publics apparaît nécessaire à la bonne marche des organisations criminelles.

Devant la commission, Émile Diaz, ancien membre de la « French Connection » le formulait en ces termes : « Je vous le dis tout net : sans la corruption, il n'y a pas de trafic. Le trafic est basé sur la corruption. Celle-ci est naturelle »156(*).

Le chef de l'inspection générale de la gendarmerie nationale et ancien juge d'instruction, Jean-Michel Gentil, abondait également en ce sens lors de son audition : « La corruption est un instrument indispensable pour les trafiquants »157(*). La cheffe de l'Ofast, Stéphanie Cherbonnier, faisait le même constat en considérant la corruption comme un « véritable outil de la criminalité organisée et des trafiquants de stupéfiants en particulier. Qu'elle soit publique ou privée, la corruption permet aux trafics de prospérer »158(*).

Ainsi, les médias français se font relativement régulièrement l'écho d'affaires judiciaires mettant en cause des fonctionnaires ou des salariés du secteur privé impliqués dans des affaires de trafic de stupéfiants comme acteurs corrompus. Depuis le début des travaux de la commission à la fin du mois novembre 2023, plusieurs faits de corruption en lien avec le narcotrafic ont été révélés par la presse :

· en décembre 2023, deux agents de l'établissement pénitentiaire de Meaux-Chauconin, dont une greffière, ont été mis en examen et incarcérés pour avoir commis des faits de corruption ayant permis de libérer des détenus impliqués dans un trafic de drogue159(*) ;

· en janvier 2024, neuf personnes, dont un fonctionnaire de la police aux frontières à l'aéroport d'Orly, ont été mises en examen dans le cadre du démantèlement d'un trafic de cocaïne et de cannabis dans les Hauts-de-Seine160(*) ;

· en mars 2024, six surveillants du centre pénitentiaire de Réau ont été mis en examen pour trafic de stupéfiants commis au sein de leur établissement pénitentiaire d'exercice161(*) ;

· en avril 2024, un ou plusieurs enquêteurs de l'antenne marseillaise de l'Ofast font l'objet d'une enquête, depuis janvier 2024, de l'inspection générale de la police nationale pour des faits de corruption qui auraient été signalés par leur hiérarchie162(*).

Ces quelques exemples récents concernent des agents publics, mais la corruption touche également les acteurs privés. Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Ofast, indique très justement que la corruption « peut toucher des personnels des ports et des aéroports qui vont faciliter le passage ou la sortie de la marchandise, mais aussi des agents publics tels que les policiers, les gendarmes, les douaniers et les greffiers. Aucune profession n'est épargnée : dès lors que les trafiquants offrent des sommes extrêmement élevées, certains personnels peuvent céder, à un moment donné, à l'appel de ces sirènes criminelles. [...] La corruption peut prendre des formes variées : elle peut être subie, avec des menaces envers un agent public, notamment si des membres de sa famille ont été identifiés par l'organisation criminelle, avec les réseaux sociaux. Elle peut également reposer sur la promesse d'un gain. Les organisations criminelles ont de nombreux leviers »163(*).

Concrètement, la corruption peut se matérialiser de différentes manières selon les capacités d'action de la personne corrompue par les narcotrafiquants. L'économiste Clotilde Champeyrache citait l'exemple suivant : « Au port du Havre, une secrétaire avait perçu 10 000 euros pour insérer une clé USB dans son ordinateur, ce qui avait conduit à pirater un système informatique et permis aux malfaiteurs de contrôler l'arrivée des conteneurs »164(*).

Virginie Girard, procureure de la République adjointe, en charge de la division financière et de la criminalité organisée près le tribunal judiciaire de Lille, évoque « les phénomènes de compromission dans le milieu professionnel des agents portuaires, avec des rémunérations particulièrement élevées pour la commission d'acte illicite : 20 000 euros pour un chauffeur, 50 000 euros pour un opérateur de cavalier qui va déplacer un conteneur pour faciliter une sortie, jusqu'à 100 000 euros dans certains dossiers. Des agents privés comme des dirigeants d'entreprises de transport peuvent également être approchés pour faciliter la récupération des stupéfiants loin des zones portuaires »165(*).

Selon les chiffres communiqués à la commission d'enquête par l'Ofast166(*), les revenus tirés d'un pacte de corruption sont élevés : jusqu'à 60 000 euros pour un docker pour un placement « adéquat » de conteneur ou une « perte » de badge d'accès au port, 40 000 euros pour un douanier fermant les yeux au passage d'une valise contenant des stupéfiants et environ 150 000 euros pour un logisticien qui communique les codes d'accès au logiciel de gestion des flux portuaires.

À ces quelques exemples s'ajoutent ceux présentés par Laure Beccuau, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Paris lors de son audition : « [La corruption] est un danger majeur de la grande criminalité organisée. On le voit dans les affaires, cela concerne les dockers, les policiers, les agents des douanes, les greffiers et les agents pénitentiaires. Menace et corruption sont les deux faces de la grande criminalité organisée. Lorsque j'étais procureure à Créteil, j'ai pu constater que les capacités de corruption existaient même dans des petites villes. J'ai eu le cas d'un agent municipal qui avait été corrompu pour laisser les locaux municipaux à disposition des trafiquants afin qu'ils y entreposent leurs produits, pensant qu'on n'irait jamais chercher là. Tous les secteurs sont concernés, la magistrature aussi.

« La situation économique fragilise les entreprises. Des entreprises de transport peuvent être rachetées pour masquer des trafics.

« Les professions assermentées sont aussi concernées : les notaires, pour qu'ils ne fassent pas de déclarations de soupçon à Tracfin ; et les avocats, qui peuvent faire fi de leur secret professionnel et révéler ce qu'il y a au dossier. On peut également penser aux banquiers. Les exemples sont très nombreux »167(*).

« On connaît l'alternative posée par les “narcos” en Europe du Nord ; c'est une balle dans la tête ou une enveloppe de billets. Notre pays, pour l'instant, est préservé, mais la corruption pourrait entrer par ce biais. »168(*)

Didier Lallement, secrétaire général de la mer

En bref, les chiffres déjà cités procèdent clairement d'une sous-estimation du phénomène, comme le soulignait déjà pour les Jirs le rapport confidentiel du groupe de travail sur la criminalité organisée dirigé par François Molins, alors procureur général près la Cour de cassation, en 2019 : « Force est de constater le faible nombre de dossiers de corruption traités par les Jirs alors que des organisations criminelles bénéficient souvent de renseignements leur permettant de faire échec aux enquêtes »169(*).

Outre ce sentiment partagé d'une hausse tendancielle, il semble que la corruption s'étende à de nouveaux secteurs. Après avoir ciblé depuis plusieurs décennies la sphère privée dans les plateformes de transport (ports et aéroports) puis gagné les fonctionnaires du secteur régalien, elle tend à s'étendre aux élus, poussant la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) à considérer, dans une note remise à la commission et apparemment rédigée fin 2023, que « la corruption des élus par le milieu de la criminalité organisée doit constituer un sujet majeur de préoccupation ». La DACG souligne ainsi que des responsables politiques ou collaborateurs d'élus de certaines collectivités d'outre-mer ont été mis en cause en lien avec le phénomène des « mules », citant notamment l'exemple d'un maire interpellé à l'aéroport d'Orly en possession de 2,5 kilogrammes de cocaïne, d'un collaborateur mis en examen pour trafic de cocaïne ou encore d'un élu local interpellé en raison de soupçons quant à sa participation à un réseau de transport de cocaïne in corpore.

De manière plus préoccupante encore, si cela est possible, la note indique que le risque se généralise et qu'il touche aujourd'hui l'Hexagone, avec des cas d'administrations locales où les narcotrafiquants ou leurs hommes de main avaient réussi à se « placer ».

« L'Ofast signale également qu'il a été détecté en métropole que des personnes mises en cause pour infractions à la législation sur les stupéfiants avaient été recrutées dans des échelons assez importants des administrations municipales, parfois même à des emplois fictifs. Certaines fratries sont ainsi identifiées et recrutées puis installées dans des équipes municipales afin qu'elles apportent l'influence qu'elles peuvent avoir dans les quartiers de la commune, tout en continuant à s'adonner au trafic de stupéfiants et en bénéficiant de leur nouveau statut. »

Note de 2023 de la Direction des affaires criminelles et des grâces, « Trafic de stupéfiants : état des lieux et évolutions »

On ne peut ainsi qu'adhérer à l'angoissant constat dressé par Didier Lallement, secrétaire général de la mer, lors de son audition par la commission d'enquête le 11 décembre 2023 : « L'hypothèse que les narcotrafiquants arrivent, par [le] biais [de la corruption], à ébranler nos fondements républicains me paraît sérieuse ».

La menace d'une déstabilisation de la France par des groupes de narcotrafiquants intervenant dans la sphère institutionnelle et politique n'est d'ailleurs plus considérée comme relevant de la science-fiction : le ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, affirmait ainsi lui-même au cours de son audition170(*) que l'« on peut très bien penser, comme le montre l'histoire de l'Amérique du Sud, que demain des organisations criminelles puissent acheter des partis, présenter et financer des candidats ».

B. DES OUTRE-MER PARTICULIÈREMENT EXPOSÉS

1. La Guyane et les Antilles, zones de « rebond » pour l'acheminement de la drogue en France et en Europe

Les outre-mer français sont des points névralgiques du trafic de stupéfiants, comme on l'a déjà évoqué ci-avant. Leur position stratégique en fait des zones de « rebond », utilisées par les trafiquants comme autant de portes vers l'Europe. À proximité immédiate des zones de production, elles sont une proie de choix pour les narcodélinquants qui espèrent profiter d'un accès à la France - puis, outre le marché domestique de notre pays, aux autres pays européens - plus facile depuis les outre-mer que depuis l'étranger, comme en témoigne la carte ci-après issue du rapport mondial sur les drogues de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) pour 2023171(*).

Ce sujet, qui n'est malheureusement pas nouveau, est bien connu des pouvoirs publics et avait conduit le Sénat, dès 2020, à constituer une mission d'information sur le phénomène des « mules » en Guyane172(*).

Lors de son audition par la commission, le sociologue David Weinberger a dressé un constat alarmant de la situation des outre-mer en lien avec le narcotrafic : « On remarque que le marché de la cocaïne double tous les cinq à sept ans depuis quinze ans, avec des régions extrêmement exposées, comme la Guyane et les Antilles. [...] La situation en Guyane a énormément changé en quinze ans. La région vit en tension avec le trafic de cocaïne en raison de sa position géographique, située à 1 800 kilomètres des zones de production »173(*).

Les territoires ultramarins français (Antilles-Guyane notamment) sont ainsi des lieux stratégiques de transit, de négoce et de stockage pour les produits comme le cannabis et la cocaïne. Leur espace maritime permet de transporter de grandes quantités de cette drogue à bord de conteneurs ou de bateaux de plaisance vers l'Europe.

Le vecteur aérien est également utilisé pour le transport de cocaïne vers la France, essentiellement par l'intermédiaire de passeurs également appelés les « mules »174(*).

En Guadeloupe et en Martinique, les saisies de cocaïne se situent à des niveaux très élevés en 2021 avec des quantités saisies largement supérieures à celles observées depuis 2017. Pour l'année 2021, la hausse est significative : 1 041 kg de cocaïne saisis en Guadeloupe entre janvier et novembre 2021 contre 72 kg en 2020, et 2 109 kg en Martinique contre 1 000 kg en 2020, auxquels s'ajoute 1,4 tonne de cocaïne saisie en décembre 2021 dans le cadre du démantèlement d'un trafic de stupéfiants en Martinique.

Les Antilles et la Guyane sont également touchées par un trafic de cannabis inter-îles : en Guadeloupe, les saisies de cannabis augmentent considérablement en 2021, avec 724 kg de cannabis saisis contre 443 kg en 2020.

La Guyane est fortement exposée à l'afflux de cocaïne produite par les pays andins qui concentrent actuellement 98 % de la cocaïne produite dans le monde, et où les surfaces cultivées ont triplé durant les cinq dernières années.

Selon les documents transmis à la commission par la direction générale des outre-mer, sur les 27,7 tonnes de cocaïne saisies en 2022, en hausse de 5 % par rapport à l'année précédente, 55 % des quantités saisies (14 tonnes) sont en provenance de la zone géographique Antilles-Guyane (saisies de la police nationale et de la gendarmerie nationale d'initiative ou à la suite d'une remise douanière), qui est une zone de rebond et de stockage de la cocaïne produite en Amérique du Sud.

2. Des conséquences désastreuses sur la vie des habitants et sur le niveau global de sécurité dans les territoires concernés

Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Cayenne, Yves Le Clair, décrivait son ressort de la manière suivante : « La Guyane est tout simplement une porte ouverte vers l'Amérique du Sud, sur ses maux, ses nombreux maux. Outre le narcotrafic qui nous intéresse aujourd'hui, la Guyane connaît un niveau de criminalité, de violence et d'usage des armes, qui est totalement inconnu en Europe. C'est dans cet environnement que s'inscrit le trafic de stupéfiants parmi toutes ces problématiques auxquelles nous sommes confrontés au quotidien »175(*).

En effet, le narcotrafic vient s'ajouter aux difficultés multiples auxquelles sont confrontés les territoires ultramarins. Les trafiquants de drogue exploitent la misère d'une partie de la population de ces territoires176(*), en particulier les « mules ».

Concernant les liens entre la criminalité et la situation économique en Guadeloupe, Jocelyn Sapotille, maire de Lamentin et président de l'association des maires de Guadeloupe, relève que, eu égard au taux de chômage élevé, une économie parallèle a toujours existé. Illégale, cette économie se cantonnait jusqu'alors à « des secteurs que l'on peut qualifier de légaux » mais depuis quelques années elle se développe dans « le secteur criminel » puisque « le recrutement des jeunes y est devenu quasiment automatique, comme cela se fait à Marseille ou dans d'autres grandes villes de France où le crime est organisé. Nos jeunes sont recrutés, non plus à partir du lycée, mais dès le collège. Certains collégiens sont déjà des vendeurs d'armes et circulent armés »177(*).

La présence des narcotrafiquants sur ces territoires implique également une délinquance connexe marquée par la violence ou les trafics d'arme. Justin Pamphile, maire de Lamentin et président de l'association des maires de Guadeloupe, expliquait à la commission qu'« au narcotrafic vient s'ajouter le trafic des armes, qui, malheureusement, inonde lui aussi nos territoires. Comme à Marseille ou ailleurs, on assiste à des fusillades, à des exécutions, quasiment tous les week-ends »178(*).

La violence atteint désormais des niveaux inédits, comme en témoigne la note confidentielle de la direction des affaires criminelles et des grâces - déjà citée - datée de 2023 et qui fait état de phénomènes particulièrement préoccupants, en lien direct avec l'expansion de la criminalité organisée :

« Par son ancrage dans cette aire géographique étendue et internationale, le ressort des Antilles-Guyane est exposé aux menaces transverses de haute intensité avec le corollaire des règlements de compte par arme à feu.

« Les réseaux criminels sud-américains, très mobiles, s'implantent sur la zone en employant les méthodes violentes propres à la criminalité organisée sud-américaine. Ainsi, les trois départements de la Guadeloupe, Martinique et Guyane connaissent des chiffres d'homicides volontaires par arme à feu supérieurs à l'Hexagone179(*), avec un recours de plus en plus marqué aux armes de guerre, importées du Venezuela.

« Cette évolution se double de la survenance de mouvements insurrectionnels ponctuels qui fait craindre une implantation durable d'un système mafieux sur les Antilles. En effet, la Jirs de Fort-de-France s'est saisie d'une affaire impliquant un fonctionnaire de police dans les émeutes survenues en Guadeloupe aux mois de novembre et décembre 2021, sur dessaisissement par ordonnance du 18 février 2022 du juge d'instruction de Pointe-à-Pitre. Les investigations menées dans le cadre de cette enquête permettaient de révéler le double objectif de ces émeutes, ayant présidé à la saisine de la Jirs :

« • “Faire plier l'État”, installer le chaos, avec la complicité d'un fonctionnaire de police donnant des renseignements sur les cibles et sur les mouvements des forces de l'ordre ;

« • Utiliser les connexions avec des élus locaux pour tenter d'extorquer des sommes tant aux entreprises locales qu'aux collectivités territoriales, sous couvert de versements de sommes à des associations de “grands frères”, en échange d'un arrêt des émeutes.

« À cet égard, le procureur de Pointe-à-Pitre indiquait que les violences étaient “planifiées et organisées”, dépeignant un système s'approchant du système mafieux.

« La Jirs de Fort-de-France dénombre à tout le moins six dossiers de règlements de comptes commis sur fond de trafics de stupéfiants. »

C. L'UBÉRISATION DU TRAFIC

L'ubérisation du trafic déjà constatée à l'échelle mondiale se retrouve également en France, y compris dans les zones rurales et les villes moyennes. Elle prend la forme d'une extrême adaptabilité, d'un recours systématique à des pratiques marketing inspirées du secteur privé et d'alliances entre groupes criminels dictées par la quête du profit maximal.

1. Une stratégie qui s'adapte à la réponse pénale

Tous les interlocuteurs de la commission d'enquête se sont accordés sur un point majeur : l'action des réseaux évolue à grande vitesse pour tenir compte de celle des services répressifs - police, gendarmerie et magistrats. En témoignent, par exemple, le recours aux messageries cryptées inaccessibles aux officiers de police judiciaire (voir supra), la préférence étant donnée aux plateformes non coopératives comme la messagerie Telegram, voire à des outils dédiés aux criminels comme EncroChat et Sky ECC, ou encore l'utilisation de mineurs par opportunisme pénal (voir infra).

Au-delà de ces phénomènes, de multiples exemples ont été cités, en audition comme au cours des déplacements, sur l'adaptation permanente des méthodes des trafiquants en réaction aux critères de la détection et de la répression du trafic.

L'illustration la plus frappante en a été donnée à Verdun, où la commission d'enquête s'est rendue le 1er février 2024. Policiers et magistrats décrivaient ainsi une situation où, face à l'expansion des points de deal (qui généraient des files d'attente en pleine rue), une politique de harcèlement a été lancée ; or les trafiquants s'y sont immédiatement adaptés en organisant l'impunité des tenanciers des « bendos ». Ils ont, pour ce faire, utilisé plusieurs méthodes :

· classiquement, le recours à des mineurs (cette évolution étant également due à un manque de lieutenants expérimentés sur place), souvent extérieurs à la ville et parfois venus de Paris ou de Marseille, qui ont remplacé les délinquants chevronnés ;

· le ravitaillement régulier (au moins quotidien) des points de deal pour éviter la constitution de stocks de stupéfiants qui révélerait l'ampleur du trafic et alourdirait la sanction pénale prononcée ;

· la collecte régulière de l'argent liquide, pour les mêmes motifs mais aussi pour limiter le risque du « carottage », d'autant plus fort en l'absence d'armes ;

· enfin, et comme on vient de l'évoquer, la disparition progressive des armes qui équipaient auparavant les dealers (et qui, elles aussi, sont la marque d'un professionnalisme qui n'est guère apprécié par les juges).

Le constat était le même à Lyon : les trafiquants ont d'abord fait appel, là encore par opportunisme, à des mineurs venus de la région parisienne en 2023 (leur origine extérieure au département compliquant la tâche de la justice, puisque le parquet compétent pour les mineurs est celui de leur lieu de domiciliation...) ; dès le printemps, ils faisaient appel à des mineurs non accompagnés pour rendre encore plus difficile leur prise en charge, en évitant dans le même temps de confier à ces jeunes trop de produits stupéfiants pour écarter encore davantage le risque de la répression pénale.

2. Le recours à des pratiques marketing agressives

L'ubérisation du trafic de stupéfiants est également synonyme de concurrence accrue et parfois de baisse des prix des marchandises ou services concernés (phénomène qui peut se retrouver dans certains territoires saturés par les trafics de stupéfiants : la ville de Marseille, le département de la Seine-Saint-Denis notamment).

Les trafiquants ont donc recours à des méthodes de vente particulièrement agressives pour garder ou gagner des parts de marché. Guillaume Airagnes, directeur de l'OFDT, souligne justement que « les enquêtes qualitatives révèlent une généralisation des offres du type soldes, prix bradés, campagnes de publicité axées sur les jeunes consommateurs, etc. Les distributeurs ont recours aux stratégies habituellement observées dans les domaines du marketing et de la publicité »180(*).

Au cours des dernières années, les médias ont de même pu se faire l'écho de recours à des cartes de fidélité, ou encore à des offres promotionnelles placardées en bas des tours d'immeuble abritant des points de deal, ou encore à des logos parodiant des marques connues181(*).

Le recours à des pratiques marketing agressives se retrouve également dans le cadre des trafics de stupéfiants opérés sur le modèle de la livraison. En effet, Marc Perrot, directeur territorial de la police judiciaire de Nantes, constate « l'augmentation de la vente de stupéfiants par les messageries cryptées, qui sont devenues de véritables vitrines numériques du trafic de stupéfiants. Au même titre que sur les points de deal, les vendeurs ont recours à des méthodes marketing traditionnelles pour doper les ventes : publicité, remise, promotion »182(*).

3. Des alliances opportunistes entre trafiquants

L'ubérisation du narcotrafic rejaillit également sur les relations entre trafiquants. Le juriste Yann Bisiou a ainsi expliqué à la commission : « Le narcotrafic est touché par la digitalisation à la fois au niveau logistique et au niveau du blanchiment d'argent. La vente au détail se passe désormais sur Twitter, par le biais de comptes éphémères renvoyant vers des messageries Telegram. Cette nouvelle forme de trafic n'est plus basée sur l'appartenance géographique ou familiale - quasi tribale -, mais repose sur des alliances soudaines de compétences pour gagner de l'argent »183(*).

La substitute du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Nîmes, Estelle Meyer, a relevé dans le cadre des dossiers qu'elle traite l'existence d'un fort opportunisme concernant les alliances entre narcotrafiquants : « Des alliances se forment entre certains quartiers qui s'associent pour combattre le même ennemi ; on observe également des alliances inattendues qui divergent ou évoluent par rapport aux associations déjà connues entre tel et tel quartier. Il y a donc des phénomènes que l'on essaye de comprendre et qui ne sont pas toujours aussi clairs qu'on pourrait le penser »184(*). Le chef de l'Office central de lutte contre la criminalité organisée, Yann Sourisseau, indiquait de même au rapporteur avoir constaté une circulation entre la petite et moyenne délinquance, d'une part, et le haut du spectre, de l'autre, le « bas » mettant à la disposition de ses associés sa connaissance des quartiers, des points de revente, tandis que le haut apporte de la protection, fournit le produit, règle les litiges. Il décrivait ainsi un monde mouvant, loin de l'image de groupes structurés, hiérarchisés et organisés : selon lui, si cette représentation pouvait être fondée à l'étranger, elle l'était moins en France où prévalaient des associations ponctuelles185(*).

Le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, précise que ces alliances s'organisent également entre narcotrafiquants (français et étrangers) du haut du spectre : « Dans ce paysage criminel, nous avons aussi ceux que l'on appelle des cibles de haute priorité, à savoir les organisateurs de ces grands trafics qui, le plus souvent, ne sont pas implantés sur notre territoire et opèrent depuis l'étranger - notamment Dubaï et certains pays d'Afrique du Nord -, dans le cadre d'alliances opportunistes avec d'autres réseaux étrangers très actifs, le plus tristement connu en Europe étant celui de la Mocro Maffia qui agit aux Pays-Bas et en Belgique »186(*).

Les services de police ont par exemple constaté des alliances entre des narcotrafiquants français et certains individus originaires des pays de l'Est qui offrent des services pour effectuer des opérations ponctuelles d'intimidation, d'enlèvement et extorsion, voire d'homicide. À plusieurs reprises, a ainsi été évoquée auprès de la commission d'enquête l'implication, dans des fusillades sur la voie publique, d'individus de nationalité kosovare ou bulgare, recrutés comme « hommes de main » par ces groupes criminels.

Quelques exemples, cités dans la presse, viennent illustrer cette analyse :

· le 29 août 2014 à Saint-Étienne, une fusillade perpétrée sur la voie publique conduisait à l'interpellation de quatre Kosovars porteurs de fusils d'assaut et de revolvers, recrutés par une bande d'un quartier sensible pour régler une guerre de territoire sur fond de trafic de stupéfiants ;

· le 9 février 2015, une fusillade entre bandes rivales au sein du quartier de la Castellane à Marseille, et une tentative d'homicide sur les premiers policiers intervenants, faisait apparaître la présence de jeunes Kosovars recrutés comme hommes de main par les trafiquants de stupéfiants locaux ;

· le 18 janvier 2020, après avoir fait usage d'armes à feu sur la voie publique dans le quartier Saint-Jacques de Perpignan, plusieurs individus encagoulés et armés pénétraient dans un débit de boissons où ils menaçaient les différents clients, frappant l'un d'eux qui avait refusé de se coucher au sol. Ces faits apparaissaient comme la conséquence de la perte de plusieurs points de deal au profit d'une équipe locale adverse soutenue par des Marseillais. Les investigations permettaient d'identifier huit Bulgares en qualité de mis en cause.

D. LA FLAMBÉE DES VIOLENCES LIÉES AU TRAFIC DE DROGUE : « NARCHOMICIDES », RÈGLEMENTS DE COMPTES ET « JAMBISATION »

La commission d'enquête a constaté, tout au long de ses travaux, que la violence des réseaux de narcotrafic était sans limite, sans conscience et sans échappatoire pour ceux qui en sont la cible. Les 49 règlements de comptes survenus en 2023 dans la seule ville de Marseille en sont le témoignage le plus visible et le plus choquant, mais les grandes villes ne sont pas les seules à être touchées : à l'inverse, la violence fait partie intégrante du business model des narcotrafiquants, la nouveauté étant que ce constat, auparavant réservé à la grande criminalité, vaut aussi pour les groupes de « milieu de gamme ».

Lors de son audition devant la commission d'enquête le 9 avril 2024, le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, a présenté la flambée de violences en ces termes : « Si ces constats ne sont pas nouveaux, le phénomène s'amplifie, les organisations criminelles ayant désormais recours à une violence totalement débridée : les trafiquants tuent leurs rivaux, assassinent les membres de leur propre réseau et exécutent les “petites mains” des trafics, alors que les habitants vivent dans la terreur des balles perdues ».

Au traditionnel cri des guetteurs aux abords des points de deal, ce « arah » qui ne retentit que trop souvent dans certains quartiers, s'est ainsi ajouté le bruit des armes - parfois automatiques - dans certaines villes de France.

1. Une violence qui augmente en intensité...

La procureure près le tribunal judiciaire de Paris, Laure Beccuau, également à la tête du parquet de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) dresse un constat inquiétant lors de son audition par la commission : « Le recours à la violence est sans limites : nous constatons une sévère aggravation des guerres claniques et des règlements de compte sur tout le territoire »187(*).

La cheffe de l'Ofast, Stéphanie Cherbonnier, abonde en ce sens en estimant que « le niveau très élevé de la menace a trait à l'augmentation très significative, en France, des violences criminelles liées au trafic de stupéfiants, sous l'effet des rivalités de territoires et de la concurrence entre organisations criminelles. Inhérentes aux trafics, ces violences criminelles recouvrent les règlements de comptes, les homicides volontaires et les tentatives d'homicide, mais aussi les enlèvements et séquestrations »188(*).

Règlements de compte, homicides et tentatives d'homicide au niveau national

Source : Ofast189(*)

L'Office central de lutte contre la criminalité organisée (OCLCO) « estime qu'entre 80 à 90 % du nombre total des règlements de comptes, des meurtres et des tentatives de meurtre entre délinquants s'expliquent par des différends liés au trafic de stupéfiants »190(*).

L'OCLCO retient quatre critères cumulatifs pour identifier un règlement de compte :

· la victime, ou l'auteur, ou le commanditaire, doit être reconnue comme un malfaiteur d'envergure ;

· les faits doivent révéler un objectif avéré d'élimination physique ;

· le mobile doit être lié à un contentieux au sein de la criminalité organisée, ou à une volonté d'extension de pouvoir ou de territoire, d'affaiblissement d'un groupe criminel adverse, ou bien enfin s'inscrire dans un contexte de représailles ;

· le mode opératoire doit être caractéristique de celui habituellement utilisé par la criminalité organisée.

 

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

01/01/2023 au 31/10/2023

Règlements191(*) de compte

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77

63

77

72

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L'analyse des chiffres nationaux amène l'OCLCO à considérer qu'une « augmentation sensible des règlements de compte est attendue pour 2023 (+ 36 % entre les 10 premiers mois de 2022 et la même période en 2023) ». Des chiffres, rendus publics par la presse en mars 2024, confirment cette prévision : les règlements de compte auraient augmenté de 38 %, 85 morts en 2023 contre 67 en 2022 ; on dénombrerait plus largement 418 victimes tout compris en 2023 contre 303 en 2022192(*).

Les territoires les plus impactés par les trafics de stupéfiants sont également ceux touchés par le recours accru à cette violence extrême. Le procureur de la République de Marseille constate que la ville détient « un triste record, le nombre de narchomicides de la juridiction étant supérieur à celui de toutes les autres juridictions réunies »193(*).

Règlements de compte, homicides et tentatives d'homicides à Marseille

Source : Ofast194(*)

Loin de se résumer à Marseille, cette hyperviolence touche d'autres départements comme l'a indiqué le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, lors de son audition devant la commission d'enquête : « le phénomène des règlements de comptes, qui concernait principalement Marseille, Grenoble, Nantes et la région parisienne, touche désormais des villes moyennes traditionnellement épargnées telles qu'Amiens, Valence, Besançon, Saint-Nazaire, Metz, Cherbourg ou encore Belfort ». La commission d'enquête a pu mesurer toute l'ampleur de ce constat lors de son déplacement à Valence à la fin du mois de mars 2024, ses interlocuteurs ayant décrit un phénomène de « terrorisation » du territoire dans son ensemble, les habitants (y compris ceux qui n'ont aucun lien avec le narcotrafic ou avec une quelconque forme de délinquance) étant progressivement gagnés par la peur d'une balle perdue.

C'est également ce qu'illustre le propos de Marc Perrot, directeur territorial de la police judiciaire de Nantes : « Depuis une dizaine d'années, Nantes a été marquée par des homicides et des tentatives d'homicides par armes à feu. On constate une augmentation des règlements de comptes, ce qui s'explique en partie par une désinhibition de l'usage des armes. Des délinquants, qui ne sont pas pour autant ancrés dans de la délinquance lourde, n'hésitent pas à recourir aux armes à feu, voire aux armes de guerre, pour régler leurs conflits, défendre, conquérir ou reprendre un point de deal »195(*).

L'intensité de la violence utilisée par les narcotrafiquants s'illustre également, la commission l'a découvert lors des auditions196(*) et déplacements, par le recours au procédé dit de la « jambisation ». Cette technique, apparue il y a quelques années, consiste à faire usage d'une arme en tirant dans les jambes de la victime, généralement sur le genou ou légèrement en dessous. Ce procédé plus discret, moins médiatisé et en apparence moins grave aux yeux des auteurs, permet de sanctionner de manière visible un opposant ou un trafiquant déloyal, étant précisé que la « jambisation » entraîne bien souvent des séquelles, la victime boitant pour le restant de ces jours. Virginie Girard a qualifié, lors de son audition, cette pratique comme étant « des avertissements délivrés sous forme non létale »197(*).

La violence s'étend au-delà des réseaux de trafic pour toucher ceux qui sont accusés de « gêner » l'activité criminelle ou de dénoncer les méfaits des trafiquants, comme le souligne la note déjà citée de la direction des affaires criminelles et des grâces, qui met en lumière l'exposition de certaines populations à la corruption mais aussi aux formes les plus graves de violence, toutes deux étant les faces complémentaires d'une même médaille. S'agissant plus particulièrement des dockers198(*) :

« Fin 2019, la Jirs de Lille dénombrait [...] “une vingtaine de mises en examen de dockers” [pour des faits de corruption]. Inversement, dans certains cas, les dockers sont également victimes des agissements violents des réseaux ; le procureur du Havre dénombrait plus d'une vingtaine d'enlèvements et séquestrations violents en 2021, avec des balises retrouvées régulièrement sur les véhicules des dockers. Le meurtre d'un docker le 12 juin 2020, commis après la dénonciation par la victime à la PJ [police judiciaire] du Havre des pressions subies pour le contraindre à prendre part aux sorties de cocaïne, marquait le secteur très fortement.

« Le paroxysme était atteint avec les dossiers “Trudy” et “Trudy 2” portant respectivement sur la saisie de 1 127 kilogrammes de cocaïne bord du cargo “Trudy” le 1er octobre 2021, et l'assaut d'un commando armé en quête du reliquat de cocaïne soupçonné d'être resté à bord du cargo, alors amarré au port de Dunkerque et placé sous scellés199(*). Ces faits, générateurs d'une forte répercussion en termes de sécurité portuaire, constituent une première sur le territoire national. »

2. ... et qui touche qui touche désormais des délinquants de moyenne envergure

La violence débridée utilisée par les narcotrafiquants ne vise plus seulement les chefs des réseaux criminels ou leurs lieutenants. En effet, Marc Perrot, directeur de la police judiciaire de Nantes constate : « On a également des opérations de rétention violente contre les petites mains du trafic, dès lors qu'il y a des soupçons - avérés ou non - de détournement de produits. Cela prend la forme d'enlèvements-séquestration ou de l'usage de la torture. En 2023, des trafiquants de stupéfiants ont investi un appartement, séquestré les locataires, violé deux d'entre elles et torturé les autres pour récupérer une dette de 8 000 euros. On a passé un cap dans les mesures de rétorsion et l'utilisation d'une violence débridée »200(*).

Le constat est identique pour Marseille, puisque la vice-présidente exerçant les fonctions de juge d'instruction, Isabelle Couderc, relève que « le réseau est aussi particulièrement intransigeant et sans pitié face aux défaillances : régulièrement, nous sommes sidérés, nous, juges d'instruction, en découvrant des vidéos d'une violence extrême où de très jeunes gens sont frappés, humiliés, torturés dans des caves, et parfois exécutés »201(*).

On peut citer ici l'exemple d'un adolescent de 16 ans placé en foyer à Chartres et arrivé à Marseille pour vendre de la drogue sur un point deal en août 2019. Lors de son interpellation le premier jour, il réussissait à cacher la matière stupéfiante (15 grammes de cocaïne et 10 barrettes de résine de cannabis) puis venait la récupérer à sa sortie de garde à vue pour la revendre, sur le point de deal, sans autorisation du responsable dudit point. Il se faisait rapidement dénoncer par un guetteur, était ensuite roué de coups en bas de l'immeuble puis emmené dans un local désaffecté où il était dénudé, attaché à une chaise avec du câble électrique, frappé, brûlé à quarante reprises avec une cigarette puis avec un chalumeau202(*).

Le procureur de la République du tribunal de Marseille complète les propos de sa collègue du service de l'instruction : « Une autre différence par rapport aux règlements de comptes du milieu traditionnel réside dans le déploiement d'une stratégie d'intimidation et de terreur [...] nous pourrions même parler de narcoterrorisme, tant les victimes sont dépersonnalisées. Celles-ci se répartissent en plusieurs catégories, à commencer par les personnes ancrées dans la criminalité, mais qui ne représentent plus la majorité des victimes. Particulièrement jeunes, les petites mains du trafic - ravitailleurs, “charbonneurs” et “chouffeurs” - sont les premières à faire les frais d'une logique de terreur qui les expose à une rafale de kalachnikov dès lors qu'il est question de prendre en main un point de deal »203(*).

Un magistrat rencontré au cours d'un déplacement évoquait, de même, le fantasme de jeunes persuadés de venir travailler sur un point de deal pour un salaire mirobolant, parfois annoncé à 9 000 euros par mois non imposables, cédant ainsi à un miroir aux alouettes : non seulement ils ne toucheront jamais de telles sommes, mais surtout ils s'exposent à une fin tragique - puisque, comme le résumait le magistrat concerné, il n'est pas rare que « cela finisse dans une cave ».

3. L'impact sur les populations locales : entre vie quotidienne insoutenable et assassinat de victimes collatérales

L'exemple de la ville de Marseille est le plus édifiant même si bien d'autres territoires, la Seine-Saint-Denis ou certains quartiers de villes grandes ou moyennes sont particulièrement impactés par les violences des narcotrafiquants.

Les bailleurs sociaux entendus par la commission relèvent effectivement que les espaces communs des immeubles de ces quartiers peuvent devenir, lorsqu'il y a du trafic de stupéfiants, des lieux d'affrontement avec les forces de l'ordre et aussi entre les trafiquants eux-mêmes. Les habitants de ces quartiers se retrouvent confrontés à une extrême violence dont ils deviennent, au mieux, des spectateurs terrorisés et, au pire, des victimes collatérales.

C'est exactement ce que décrit le président du tribunal judiciaire de Marseille, Olivier Leurent, lorsqu'il dresse le constat suivant :

« La ville de Marseille est incontestablement le territoire au sein duquel les conséquences du narcobanditisme se manifestent dans leur expression la plus violente, en provoquant d'importants troubles à l'ordre public, en blessant, voire en tuant, des victimes dites collatérales, et en altérant considérablement les conditions de vie des habitants des quartiers. En d'autres termes, le narcobanditisme agit à Marseille comme une sorte de gangrène qui abîme jour après jour le tissu social »204(*).

Concernant les victimes tuées ou blessées lors de règlements de compte entre narcotrafiquants, le procureur de la République du tribunal judiciaire de Marseille, Nicolas Bessone, relève que « [...] ce narcoterrorisme induit une multiplication des victimes collatérales n'ayant aucun rapport avec le trafic, que la mort du jeune Fayed205(*), âgé de 10 ans, à Nîmes, et de la jeune Socayna206(*), dans les quartiers sud-est de Marseille, a tragiquement illustrée »207(*).

Isabelle Courderc ajoute que les violences peuvent également être utilisées à l'égard de témoins : « Des trafiquants ont également enlevé, séquestré et violenté le gérant d'une pizzeria implantée à cinquante mètres d'un point de deal, parce qu'il avait soi-disant trop parlé ; ils ont ensuite multiplié les coups de pression pour qu'il cède son établissement à vil prix »208(*).

Enfin, ces scènes de violence, parfois extrêmes à l'instar des tirs d'arme de guerre décrits supra, créent un climat de peur et d'insécurité constant et intense pour l'ensemble des habitants mais aussi des personnes amenées à intervenir pour des raisons professionnelles (gardiens, agents de nettoyage, soignants, pompiers, livreurs, etc.) dans les quartiers gangrenés par le trafic de stupéfiants.

Les bailleurs sociaux ont justement indiqué à la commission que leur personnel pouvait craindre pour sa sécurité, se trouver exposé à des dangers inhabituels (comme le fait de découvrir des armes à feu) et qu'il était parfois difficile de pourvoir à certains postes compte tenu de la réputation de certains lieux.

Ce climat d'insécurité et de violence permet aux narcotrafiquants de prendre le pouvoir de certains immeubles, quartiers ou territoires, devenant en quelque sorte, selon les bailleurs sociaux, « des habitants au-dessus des autres, régulateurs de la vie en collectivité » imposant leurs règles aux habitants - dont celle du silence, qui s'applique à quiconque entendrait dénoncer aux forces de l'ordre les faits dont il est régulièrement témoin.

4. Le narcotrafic au carrefour d'autres trafics violents
a) Des trafics violents qui nourrissent le narcotrafic

À titre liminaire, il convient de rappeler que les travaux menés par la commission n'ont pas permis d'identifier de porosité particulière entre le narcotrafic et le terrorisme de manière générale (voir supra), que ce soit en France ou ailleurs en Europe.

En revanche, les narcotrafiquants sont de manière très claire alimentés par les trafics d'armes pour mener à bien leurs activités. Les armes à feu, dont des armes de guerre (cf. supra), sont utilisées par les trafiquants de drogue pour assurer leur sécurité de manière préventive d'une part, ou pour procéder à des règlements de compte, d'autre part.

Les narcotrafiquants utilisent également des véhicules de manière conséquente pour leurs propres déplacements, le déplacement de la marchandise, les livraisons chez les clients, etc. Or ces véhicules peuvent provenir de vols commis par des réseaux agissant en bande organisée et bien souvent avec violence.

Il existe aussi un opportunisme de malfaiteurs qui profitent de la rentabilité du trafic de stupéfiants sans que cela soit leur « coeur de métier ». En effet, certains acteurs de la criminalité organisée, hors narcotrafic, investissent d'importantes sommes dans le trafic de stupéfiants de manière épisodique ou unique, pour maximiser leurs profits en raison d'une proposition qui leur est faite à un moment précis sans qu'ils ne deviennent narcotrafiquant à temps plein. On peut prendre l'exemple d'un voleur en bande organisé de véhicules qui va investir 500 000 euros dans une livraison de cocaïne dont il entend retirer le maximum de bénéfices, sans toutefois se spécialiser dans ce domaine par la suite.

Ce constat n'est, au demeurant, pas nouveau. Il y a plus de vingt ans, Bernard Petit, chef de l'OCRTIS, relevait ainsi : « Nous avons, çà et là, des enquêtes qui démontrent très clairement que des gens qui appartiennent au grand banditisme et qui ont donc des activités traditionnelles dans le monde de la criminalité (proxénétisme, jeu clandestin, contrefaçon de documents, trafics de voitures, etc.) sont hautement intéressés par le trafic de cocaïne dans notre pays et investissent des sommes importantes pour importer de grands lots de cocaïne qu'ils revendent en France et dans les pays étrangers [...] on parle de centaines de kilos et même de tonnes, et non pas de petites importations de 400 ou 500 grammes aux aéroports. Nous en sommes à ce stade et nous avons en face de nous des organisations criminelles qui sont les nôtres : celles du banditisme français »209(*).

Le phénomène est désormais passé au « stade » supérieur, en particulier sous l'effet de la « démocratisation » de la cocaïne qui rend plus tentants encore ces « coups » ponctuels d'acteurs qui savent profiter de l'extrême rentabilité du trafic de stupéfiants sans en faire un fonds de commerce.

b) Le narcotrafic à l'origine d'autres trafics violents

Nourri par d'autres formes de criminalité, le narcotrafic vient en retour créer ou soutenir des trafics tiers. Ainsi, il alimente la traite des êtres humains. De plus en plus, la justice et les médias se font l'écho d'une « délinquance forcée »210(*) commis par les acteurs du trafic de stupéfiants. En effet, face à la pénurie de guetteurs, vendeurs et autres « petites mains » du trafic de stupéfiants dans certains territoires, les têtes de réseau ont de plus en plus recours à l'usage de menaces, de violences ou de torture à l'encontre de leurs dealers du quotidien, qui peuvent ensuite se trouver « prêtés » à d'autres réseaux pour suivre les pérégrinations des consommateurs pendant les périodes de vacances, de la montagne en hiver au bord de mer en été211(*).

Les violences peuvent survenir en amont d'une participation à un trafic de stupéfiants pour contraindre un individu, souvent mineur ou jeune adulte, à vendre de la drogue sur un point de deal. Le code pénal réprime ces faits notamment sous l'angle de la traite des êtres humains212(*) étant précisé que, lorsque la victime est mineure, l'infraction de traite des êtres humains est caractérisée même en l'absence de contrainte. Le code pénal réprime également la provocation d'un mineur à participer à un trafic de stupéfiants213(*).

Les violences utilisées pour contraindre une personne à participer à un trafic de stupéfiants peuvent aussi survenir après une interpellation, en raison d'une perte de la recette ou des produits stupéfiants ou d'une collaboration réelle ou supposée avec les forces de l'ordre lors d'une garde à vue.

Une main-d'oeuvre sous le joug des réseaux

« Les “petites mains” constituent une catégorie composée de nombreux mineurs qui représentent une ressource vulnérable, parfois soumise à la contrainte et victime de violences extrêmes. Le chantage à la dette, réelle ou fictive, est un mécanisme rodé pour contraindre à vendre sur un point de deal sans contrepartie financière. Il est également utilisé pour forcer ceux qui souhaitent partir à rester dans le trafic. Des sévices, accompagnés de simulacres d'exécution, sont parfois filmés et transmis aux contacts de la victime par les auteurs, participant d'une politique de terreur et d'intimidation. »

Source : Ofast214(*)

En second lieu, le narcotrafic attire la convoitise d'autres délinquants qui se spécialisent dans le braquage de trafiquants de stupéfiants. Ces faits sont peu ou pas connus des autorités, sauf lorsqu'ils sont rendus visibles en raison d'un trouble à l'ordre public, de blessures graves ou du décès d'une victime. Les services d'enquête constatent effectivement que certaines équipes se sont spécialisées dans le vol en bande organisée au préjudice de trafiquants ou de leurs financiers, avec des techniques qui se rapprochent de celles des forces de l'ordre : surveillance physique, balisage, repérages, etc. Ces vols peuvent s'accompagner de violences, plus ou moins graves, et d'enlèvement et séquestration, rarement dénoncés aux forces de l'ordre.

Enfin, ce phénomène n'est pas nouveau mais les forces de l'ordre et les acteurs judiciaires constatent un rajeunissement des tueurs à gages peu ancrés dans la délinquance et avec une très faible expérience dans le domaine du maniement des armes et du recours à ce type de violence mortelle. La jeunesse de ces individus, mis en cause au cours des derniers mois, surprend dans la mesure où aucun n'avait plus de 25 ans et plusieurs d'entre eux étaient encore mineurs lors de leur passage à l'acte. Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille note à cet égard que « les auteurs comme les victimes sont toujours plus jeunes, la majorité des auteurs étant âgés de 16 à 21 ans »215(*).

Le magazine L'Obs a également consacré un reportage à ces jeunes tueurs intitulé « Mineurs et tueurs à gages : enquête sur les nouvelles recrues du trafic de drogue »216(*). L'article revient sur le parcours de plusieurs très jeunes majeurs, peu connus de la justice, qui ont participé à un ou plusieurs assassinats au cours des mois précédents. Dans cet article, le commissaire Pascal Bonnet, chef de la brigade criminelle et de la brigade de répression du banditisme de Marseille explique « là où on avait auparavant des gens assez “qualifiés”, nous sommes aujourd'hui face à des “jobbeurs du crime” ». Il ajoute que ces jeunes « passent de délits assez mineurs aux homicides et, en moins de six mois, soit on les serre, soit ils sont morts. Ce ne sont pas des profils qui vont s'ancrer dans le narcobanditisme ». Ce témoignage est cohérent avec les propos tenus par un policier à Marseille, celui-ci expliquant que l'accalmie dont bénéficie la ville depuis quelques mois était due au fait que les principaux trafiquants avaient tous été tués dans des règlements de compte, et les équipes de tueurs rapidement appréhendées par la police en raison de leur grande inexpérience.

E. LA PRÉOCCUPANTE ÉVOLUTION DU PROFIL DES NARCOTRAFIQUANTS, DE PLUS EN PLUS JEUNES ET DE PLUS EN PLUS VIOLENTS

1. Les nouveaux visages du trafic de stupéfiants : « Uber shit », jobbeurs, charbonneurs

L'économie française a connu l'arrivée de la société de chauffeurs privés « Uber » et de son application pour téléphone au début des années 2010. Le modèle économique de cette entreprise américaine a connu de nombreuses ramifications au sein de la société de manière générale et dans le secteur légal mais aussi dans l'économie illégale.

En effet, le phénomène d'ubérisation217(*) peut s'appliquer aux trafics de stupéfiants dans la mesure où les modes traditionnels de mise en relation entre les trafiquants et les consommateurs de drogues ont changé, de même que les modalités de recrutement des participants au trafic de stupéfiants.

Ainsi, le classique point de deal situé au pied d'un immeuble a vu apparaître de manière complémentaire, ou concurrente, un dispositif de livraison de la matière stupéfiante directement au domicile des clients. À cet égard, l'OFDT relève, en 2019, qu'« en matière de vente au détail, le phénomène le plus innovant concerne la région parisienne, avec l'émergence depuis cinq ans des “cocaïne call centers”. Adaptation du trafic aux réticences de nombre d'usagers insérés à se rendre sur les lieux de trafic, dans un contexte où la présence policière, du fait de la menace terroriste s'est faite plus visible, ces centres d'appel, situés généralement dans les banlieues, organisent la livraison du produit à domicile, tout en relançant les clients via SMS »218(*).

En outre, la mise en relation entre responsables de point de deal et des guetteurs, vendeurs et autres intervenants dans le trafic de stupéfiants se fait également, de plus en plus, via les réseaux sociaux (Snapchat, Instagram, etc.) alors qu'auparavant les jeunes habitants à proximité du point de deal suffisaient à occuper les différentes fonctions nécessaires au bon fonctionnement du point. À cet égard, Isabelle Couderc, vice-présidente en charge de l'instruction près le tribunal judiciaire de Marseille, constate que « le développement des “Uber shit”, la livraison du client à domicile, est en partie lié à cette pénurie de main-d'oeuvre »219(*).

Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille, Nicolas Bessone complète ce constat en précisant que « le recrutement des petites mains du trafic se diversifie, leurs rangs étant désormais constitués en partie de “jobbeurs” venant de la France entière, ainsi que d'étrangers en situation irrégulière, mineurs comme majeurs »220(*).

La crise sanitaire liée au covid-19, les confinements et autres restrictions sur les déplacements et les contacts physiques qui en ont résulté n'ont fait qu'accélérer le processus d'ubérisation des trafics de drogue puisque la livraison à domicile a permis de contourner les interdictions mises en oeuvre pendant plusieurs mois.

Enfin, la livraison des produits stupéfiants s'est également déployée dans des zones rurales autrefois alimentées en drogues de manière plus limitée et artisanale, sur le modèle dit du « bouche-à-oreille ». Le commandant de gendarmerie Ismaël Baa décrit le phénomène actuel de livraison dans le département de l'Orne : « Nous constatons par ailleurs des changements du côté de la livraison, avec ce qu'on peut appeler des “Uber shit”, si vous me permettez l'expression : des fournisseurs venus des villes font de véritables tournées, en informant le matin leurs correspondants sur les produits disponibles et en prenant les commandes pour le jour même, et la livraison se fait en voiture avec un chauffeur et un vendeur, qui restent en mouvement constant. On est loin du point de deal fixe, même si le phénomène peut exister temporairement dans des pavillons ou en logement collectif »221(*).

Ainsi, si la campagne connaissait bien la tournée du livreur de lait ou de pain, elle connaît aujourd'hui la tournée du dealer.

2. Le rajeunissement du trafic : l'utilisation croissante de mineurs par opportunisme pénal

Les réseaux de délinquants, quel que soit leur domaine d'action, utilisent depuis longtemps les mineurs pour participer à la commission d'infractions compte tenu des règles pénales spécifiques qui s'appliquent à eux. En effet, les règles de procédure pénale sont différentes de celles applicables aux majeurs (par exemple, impossibilité de retenue judiciaire avant 10 ans222(*), pas de garde à vue possible avant 13 ans223(*)) et les peines encourues par les mineurs sont par principe diminuées de moitié224(*) ; de plus, les mesures et sanctions éducatives doivent être privilégiées par les juges des enfants avant tout prononcé d'une peine225(*).

L'économiste Clotilde Champeyrache, auditionnée par la commission, abonde en ce sens en estimant que « la place des jeunes dans les réseaux n'est pas nouvelle mais elle se renforce, à la fois parce que le risque pénal est moindre pour les mineurs et parce que les petits dealers, les choufs, ont une vision du crime très valorisée et valorisante. Ces enjeux culturels dans le crime sont souvent négligés au profit de la vision économique, alors qu'ils sont fondamentaux »226(*). La commission a effectivement pu vérifier ce constat au cours de ses différents déplacements auprès des acteurs judiciaires et des forces de l'ordre.

La procureure de la République près le tribunal judiciaire de Dunkerque, Charlotte Huet, partage cette analyse sur l'attrait des narcotrafiquants pour le recours à une main-d'oeuvre de dealers mineurs en raison de leur responsabilité pénale diminuée mais aussi car ils « sont plus disponibles en termes d'amplitude horaire ainsi que plus corvéables à merci : c'est une évolution symptomatique »227(*).

La pauvreté dans laquelle baignent certains quartiers ou certaines populations est aussi un terreau fertile pour les narcotrafiquants, qui font miroiter des rentrées d'argent rapides et faciles pour les mineurs et certaines familles. La procureure de la République près le tribunal judiciaire de Lille, Carole Étienne le formule ainsi : « Les trafiquants se posent souvent en alternatives économiques avantageuses pour les habitants - qui constituent une population assez vulnérable - mais aussi pour les mineurs, les jeunes majeurs et les toxicomanes que les trafiquants recrutent comme nourrice, guetteur, portier, distributeur de repas ou comme organisateur de file d'attente »228(*).

À ces populations vulnérables s'ajoute également celle des mineurs non accompagnés (MNA) ou jeunes majeurs en situation irrégulière. Ces derniers sont effectivement la cible récente des narcotrafiquants qui trouvent en eux des candidats idéaux pour travailler sur les points de deal. C'est ce que note le journaliste Philippe Pujol : « À Marseille, et probablement ailleurs, la population des mineurs non accompagnés n'est pas la plus aidée. Or c'est une population vulnérable, qui donne aux petits dealers une main-d'oeuvre idéale »229(*).

Les addictions qui touchent les mineurs non accompagnés sont aussi exploitées par les narcotrafiquants. Le directeur général de l'association Aurore, Florian Guyot, note à cet égard « l'existence de réseaux de domination, où l'addiction sert à exercer une emprise, principalement sur des jeunes. Je pense aux mineurs non accompagnés (MNA) enrôlés dans des réseaux de trafiquants, soit en devenant guetteurs ou revendeurs, soit en commettant des larcins pour le compte de dealers souvent après avoir été rendus dépendants à telle ou telle substance »230(*).

Enfin, les réseaux sociaux, dont sont notamment friands les mineurs et les jeunes adultes, jouent un rôle non négligeable dans l'enrôlement de ces derniers dans le trafic de stupéfiants. La procureure de la République de Lille, Carole Étienne a identifié ce mécanisme : « Dans une proportion croissante des lieux de trafic, les trafiquants ont recours à des mineurs ou des majeurs d'autres quartiers, d'autres villes ou même d'autres départements qui sont recrutés via les réseaux sociaux à la journée, à la semaine, voire au mois »231(*).

3. L'intégration du risque de l'incarcération et la continuation des trafics depuis la prison

La commission exprime une vive inquiétude face à un constat : l'incarcération des trafiquants de stupéfiants ne suffit plus, pour certains d'entre eux, à mettre un terme à leur activité délinquante.

La détention est appréhendée par nombre de narcotrafiquants comme un risque intégré mais temporaire qui ne nuira que très peu à leur carrière délinquante. La prison est, pour beaucoup, un « risque du métier », voire un « accident du travail » et l'incarcération a perdu son caractère dissuasif. Le directeur adjoint de l'administration pénitentiaire, Emmanuel Razous, le formule en ces termes : « Le risque de l'incarcération est largement intégré par les narcotrafiquants. Il est perçu comme une étape dans leur parcours de vie, ne les conduisant pas à abandonner la place qu'ils occupent dans leur organisation criminelle, au regard du caractère particulièrement lucratif de leurs activités »232(*).

« La détention ne met plus fin aux activités des têtes de réseau, qui, malgré un à dix mandats de dépôt criminel, continuent de commanditer des assassinats ou gèrent leurs points de deal comme si elles étaient à l'extérieur. La détention est prise comme un risque du métier. »233(*)

Isabelle Fort, procureure de la République adjointe près le tribunal judiciaire de Marseille en charge de la Jirs

La prison, en effet, ne rompt plus les liens avec l'extérieur et il est possible d'y être approvisionné - notamment en téléphones qui permettent de garder un lien avec le réseau. Ce phénomène s'articule parfois avec l'exploitation, déjà décrite, des mineurs : la procureure Karine Malara, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse, relève ainsi que sur son ressort, les mineurs ont une tâche très spécifique et « tournent en scooter autour du centre et arrivent à projeter des paquets au-dessus des murs d'enceinte. Cela nous interpelle, en raison de la fréquence de l'implication de mineurs qui encourent des peines souvent assez faibles et ne débouchant pas sur de la détention. Ces mineurs sont souvent utilisés pour effectuer ces livraisons »234(*). Le jet de colis en détention fait l'objet, dans certains ressorts, d'un défèrement systématique en comparution immédiate à l'issue de la garde à vue, avec un risque d'incarcération à la clef ; or, lorsque l'auteur du jet de colis est mineur, le recours à la procédure de comparution immédiate n'est pas possible.

La détention est par ailleurs l'occasion de tisser de nouveaux réseaux avec des trafiquants du même acabit ou pour approcher des futures « petites mains » ayant vocation à être libérés rapidement et à reprendre une activité pour le compte du délinquant qui les a recrutées en prison. La cheffe du service national du renseignement pénitentiaire, Camille Hennetier235(*), a ainsi indiqué à la commission : « Nous observons une grande porosité des gangs incarcérés ainsi que la reconstitution d'alliances mouvantes au sein des détentions, ce qui rend le phénomène extrêmement difficile à cartographier ». Elle insiste sur le fait que la mise en relation entre trafiquants constitue un risque à part entière pour la gestion de la détention par l'administration pénitentiaire : « Des profils du haut du spectre vont par exemple pouvoir, au gré de leurs incarcérations, recruter des petites mains ayant vocation à être libérés rapidement et à reprendre une activité pour leur compte, ou conclure des alliances avec d'autres profils du haut du spectre en vue de préparer leur propre sortie de détention ».

L'administration pénitentiaire relève également que des violences peuvent être commanditées depuis des établissements pénitentiaires, ce qui démontre l'existence d'un continuum des activités criminelles entre l'intérieur et l'extérieur. Cela est d'ailleurs rendu possible par la présence massive de téléphones portables en détention, déjà évoquée. L'administration pénitentiaire a indiqué à la commission avoir pleinement conscience de ce problème tout en notant qu'il était difficile de lutter contre celui-ci. Pour autant, il arrive que les numéros de portable utilisés depuis la détention soient identifiés et placés sur écoute dans le cadre d'une procédure judiciaire.

Enfin, l'administration pénitentiaire note avec inquiétude que la durée d'incarcération peut également être écourtée par le biais d'une évasion, ce risque ayant été expressément mis en avant par Camille Hennetier lors de son audition à huis clos. L'évasion, quelle que soit sa forme236(*), est rendue possible par la surface financière dont disposent les trafiquants du haut du spectre, qui peuvent mobiliser des moyens financiers et des complicités extérieures pour parvenir à s'évader. Si aucune évasion « physique » spectaculaire d'un membre d'un réseau de narcotrafic n'est à date à déplorer, l'affaire récente au centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin (mentionnée supra) a mis en lumière le phénomène des évasions judiciaires, par lequel les trafiquants mobilisent des moyens procéduraux. Extrêmement attentifs au suivi de leur dossier, ils vont, y compris à l'aide de complicités internes237(*), se servir de la complexité du code de procédure pénale pour obtenir la fin prématurée de leur détention.

4. La spécialisation des tâches au sein des réseaux

Comme évoqué ci-avant, le narcotrafic est alimenté et alimente d'autres trafics, donnant lieu à des alliances entre groupes criminels. Ces alliances se manifestent également dans le cadre de la sous-traitance ou la spécialisation des tâches au sein des réseaux de narcotrafiquants. Ce phénomène, qui existe à l'échelle internationale et a été à ce titre commenté en première partie, n'épargne pas la France qui subit, elle aussi, un taylorisme du crime - qui tend même à devenir un toyotisme, chaque intervenant ayant intérêt à faire la tâche la plus limitée possible pour limiter le risque pénal associé, rendre plus difficilement lisibles les liens entre les protagonistes et, ce faisant, protéger le réseau dans son intégralité.

Selon la police nationale, la première modalité de cette spécialisation vise le transport de marchandises. Les narcotrafiquants ont recours à des acteurs spécialisés dans le transport de marchandise. Les trafiquants de drogue achètent leur marchandise aux Pays-Bas par exemple puis ils se font livrer dans un lieu de leur choix, ce qui leur évite de revenir avec la marchandise et de passer les frontières. Ce nouveau procédé contribue à cloisonner le trafic en réduisant les connaissances des convoyeurs, ces derniers étant en charge d'acheminer la marchandise sans connaître l'identité des commanditaires. En outre, cette manière d'opérer permet aux trafiquants de se protéger davantage en cas d'interpellation du fait à la fois de la connaissance limitée que chaque intervenant peut avoir du fonctionnement d'ensemble du réseau et de l'apparente moindre gravité des infractions commises si elles sont prises isolément.

Le deuxième mécanisme de spécialisation des tâches utilisé par les narcotrafiquants consiste à recruter des vendeurs ou guetteurs extérieurs au territoire d'origine des narcotrafiquants où ils exploitent un ou plusieurs points de deal. Le recours à la sous-traitance pour la revente de stupéfiants permet de renforcer le maillage d'un territoire ou de pallier un manque de main-d'oeuvre locale. Nous renvoyons ici aux développements faits plus haut concernant les « jobbeurs » et autres petites mains du trafic.

Enfin, la spécialisation des tâches au sein des réseaux de narcotrafic se traduit également par un recours à des équipes spécialisées pour les règlements de comptes où à des tueurs agissant seuls, ou presque. Selon les services de police, la rémunération de ces actes varie de 1 000 euros à plusieurs centaines de milliers d'euros, mais la moyenne serait davantage autour de 15 000 à 20 000 euros. La particularité de ce phénomène tient également aux modalités de recrutement de ces tueurs qui se ferait, entre autres, par les réseaux sociaux.

DEUXIÈME PARTIE - LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC DÉSARMÉE : VIDER L'OCÉAN À LA PETITE CUILLÈRE

Le constat dressé en première partie est sans appel : non seulement l'empire de l'hydre du narcotrafic s'étend, mais la France elle-même se trouve à un point de bascule et le pouvoir des réseaux a atteint des proportions qui devraient mener chacun à éprouver inquiétude et consternation.

Or, loin d'être armée pour lutter contre ce fléau, la France apparaît singulièrement vulnérable et désarmée. Si la drogue est, comme l'affirmait puissamment le titre du rapport de la commission d'enquête constituée en 2003 par le Sénat, un « cancer », force est de constater que le pays a développé des métastases et que l'influence de la maladie menace de gagner les organes vitaux.

I. UNE COOPÉRATION INTERNATIONALE DÉFAILLANTE

La coopération internationale entre la France et les États tiers en matière de lutte contre le narcotrafic est, au vu du caractère fondamentalement international du phénomène, un enjeu décisif ; elle s'avère pourtant d'une efficacité variable, pour le plus grand bénéfice de trafiquants qui ont toujours su se jouer des frontières et de l'autorité publique.

Hors de l'Union européenne, cette coopération s'applique d'abord en mer, la problématique maritime étant un défi de taille pour la France dont les frontières occidentales constituent l'une des façades extérieures du continent. Cette coopération connaît toutefois des limites liées aux réalités matérielles et juridiques de l'espace maritime - la haute mer complexifiant l'engagement d'une réponse pénale, quelle que soit sa source étatique, à l'encontre des trafiquants -, limites que les États ont tenté de combler par des échanges de renseignements ; parallèlement, la coopération judiciaire et policière n'échappe ni aux « trous noirs » que constituent les États faillis, avec lesquels toute coopération est impossible, ni aux « trous gris » que sont les pays « refuges » où les trafiquants et leurs avoirs profitent d'une choquante impunité.

L'Union européenne affiche, pour sa part, une ambition forte, incarnée par plusieurs textes « phares » en cours d'adoption. Cette volonté politique commune ne suffit pas à surmonter les blocages créés à la fois par des exigences européennes qui viennent parfois limiter l'action des services d'enquête, et par le manque d'effectivité des initiatives lancées pour lutter contre la criminalité organisée.

A. LES « TROUS NOIRS » DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE

L'action de la France en matière de coopération internationale s'inscrit dans une stratégie dite du « bouclier », qui consiste à agir le plus en amont possible pour empêcher l'arrivée des stupéfiants sur le territoire français. Mais le bouclier est une arme défensive et cette stratégie, tout entière tournée vers la protection du territoire, ne permet pas toujours de faire face à la tactique agressive des trafiquants qui, parfois appuyés par des pays qui fonctionnent comme de véritables bases arrière, continuent à trouver des points de vulnérabilité.

1. La coopération internationale en mer : la Marine nationale, acteur décisif de la lutte contre le narcotrafic
a) Les conventions qui régissent l'action en haute mer contre le narcotrafic

La haute mer238(*) représente 64 % de la surface des océans. Dans cet espace immense, où l'ordre juridique est celui du pavillon du navire, la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupéfiants du 20 décembre 1988, dite Convention de Vienne, a précisé le cadre juridique de la lutte contre le narcotrafic.

Son article 17 « Trafic illicite par mer » fixe en effet les conditions auxquelles l'arraisonnement et la visite d'un navire sont possibles : il faut pour cela que l'État du pavillon confirme l'immatriculation du navire et donne son accord239(*).

L'accord de San José, exemple le plus abouti de coopération pénale en haute mer

Signé le 10 avril 2003 par la plupart des États riverains des Caraïbes, l'accord de San José permet notamment aux États parties d'intervenir sur les navires soupçonnés de trafic de stupéfiants à l'intérieur même des eaux territoriales des autres États Parties, voire de leurs eaux intérieures240(*). C'est un cadre adapté à l'environnement de la mer des Caraïbes, dont les États riverains sont nombreux et où les trafiquants pratiquaient les « sauts de juridiction » pour échapper aux forces de l'ordre.

En Europe, l'Espagne a été à l'initiative d'une tentative de mise en place d'un cadre permettant notamment « aux navires ou aux aéronefs appartenant à leurs autorités douanières respectives d'intervenir contre les navires d'un autre État membre, sans avoir à attendre son autorisation »241(*), mais un projet de convention adopté en 2004 par le Parlement européen n'a pas eu de suite.

C'est sur ces bases que s'est organisée, sur le plan opérationnel, la lutte contre le trafic de stupéfiants en haute mer. Cette lutte est assurée, en France, par la Marine nationale et par les douanes qui, aux termes de la loi du 15 juillet 1994 relative à l'exercice par l'État de ses pouvoirs de police en mer, disposent d'une compétence concurrente en matière de recherche et constatation d'infractions au trafic de stupéfiants.

b) La procédure d'intervention

La Marine nationale, lorsqu'elle approche un navire soupçonné de transporter une cargaison de stupéfiants, fait parvenir une demande à l'État du pavillon, afin de :

· confirmer l'immatriculation du navire et demander à l'arraisonner ;

· si des preuves de participation à un trafic illicite sont découvertes, prendre toutes les mesures appropriées à l'égard du navire, de la cargaison et des personnes qui se trouvent à bord242(*).

La demande à l'État du pavillon est transmise par voie diplomatique243(*). Celui-ci doit y répondre « sans retard », dans les termes de l'article 17.7 de la Convention de Vienne. Le formalisme du processus est très réduit, dans l'intérêt de la rapidité d'action : un courriel244(*) de l'État du pavillon à l'ambassadeur de France suffit à établir son accord à prendre les mesures appropriées.

Trois cas de figure se présentent alors :

· l'État du pavillon délivre l'autorisation d'arraisonner, de visiter et de dérouter et abandonne sa compétence juridictionnelle ;

· l'État du pavillon délivre l'autorisation d'arraisonner, de visiter et de dérouter mais refuse d'abandonner sa compétence juridictionnelle ;

· l'État du pavillon refuse d'accorder le droit d'arraisonner, de visiter et de dérouter, et l'opération prend fin.

Dans le premier cas, le navire et son équipage passent sous la compétence des autorités françaises. Il faut alors organiser la remise des personnes présentes à bord, ce qui peut s'avérer particulièrement lourd lorsque l'intervention se passe dans une zone éloignée des côtes françaises. C'est pourquoi à partir de 2016, la procédure dite « de dissociation » permise par la loi du 15 juillet 1994 a été mise en oeuvre, afin de libérer plus rapidement les bâtiments de la Marine nationale.

La dissociation, une solution pragmatique

Si la loi du 15 juillet 1994, modifiée par la loi du 29 avril 1996, a permis à la Marine nationale de contribuer à la lutte contre les stupéfiants, elle lui a aussi imposé un cadre particulièrement contraignant. En effet, en cas de découverte de drogue dans un navire, deux cas de figure se présentaient :

· en cas de suites judiciaires, le navire, sa cargaison et son équipage devaient nécessairement être conduits dans un port français pour être remis aux autorités compétentes ;

· en l'absence de poursuite, la drogue retrouvée sur le navire ne pouvait être ni saisie ni détruite.

Pour mettre fin à cette double contrainte, une ordonnance245(*) a été prise en 2015 pour permettre un traitement administratif de la matière stupéfiante : même en l'absence de poursuites judiciaires engagées contre les membres de l'équipage du navire - ce qui est souvent le cas lorsque ceux-ci ne sont ni des citoyens français, ni des parties prenantes du trafic - la drogue peut désormais être détruite, avec l'autorisation du procureur de la République. Le bâtiment de la Marine nationale est ainsi libéré plus rapidement, tout en satisfaisant à sa mission d'entrave du trafic de stupéfiants.

c) Les différents cadres d'intervention de la Marine nationale

Dans le cadre juridique ainsi fixé, les interventions de la Marine nationale contre le trafic de stupéfiants s'organisent différemment selon la zone concernée. Les Antilles sont une zone d'effort permanent, où les opérations « Narcops » sont la principale mission dévolue à la Marine, notamment dans le cadre de l'opération Carib Royal. La coordination internationale des opérations s'effectue dans le cadre de la Joint Interagency Task Force South (JIATF-S) dirigée par les États-Unis, qui réunit une vingtaine de pays de la zone.

En revanche, dans l'océan Atlantique, l'intervention des bâtiments de la Marine nationale dans la lutte contre le narcotrafic se fait davantage de manière ponctuelle et en opportunité. Le renseignement est coordonné dans le cadre du MAOC-N (en français, « Centre opérationnel d'analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants »), basé à Lisbonne, qui réunit six États de l'Union européenne et le Royaume-Uni (voir ci-après).

Dans l'océan Indien, le cadre est double : la Marine intervient dans le cadre de la Combined Task Force 150 basée à Bahreïn et sous commandement américain, initialement orientée contre les trafics alimentant le terrorisme, et dans celui de l'opération Atalante sous commandement français, à l'origine destinée à lutter contre la piraterie et le trafic d'armes mais parfois amenée à intervenir en opportunité en matière de narcotrafic.

Enfin, dans l'océan Pacifique, les interventions se font également en opportunité, avec des difficultés particulières liées à l'éloignement du territoire métropolitain : il est difficile d'amener dans une juridiction française une marchandise et des hommes pour les remettre à la justice, conduisant fréquemment à des contrôles sur les navires qui, lorsque des produits stupéfiants y sont découverts, débouchent sur la destruction desdits produits mais sur le maintien en liberté de l'équipage, qui est laissé libre de reprendre sa route à l'issue du contrôle. Des difficultés analogues existent dans l'Atlantique, puisque le procureur de la République compétent est celui de Brest246(*).

d) Le MAOC-N et ses limites : une « success story » contrariée

Créé en 2007, le MAOC-N répond à un besoin de coordination entre États dans les domaines du renseignement et de l'action policière opérationnelle en haute mer. Il regroupe des officiers de liaison des sept pays membres (France, Irlande, Italie, Espagne, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni) ; les États-Unis sont représentés en tant que membre observateur.

La compétence du MAOC-N s'étend aux vaisseaux, mais aussi aux aéronefs non commerciaux - il n'est donc pas compétent pour les porte-conteneurs.

Il s'agit d'une structure très légère ne comptant que 28 personnels permanents (officiers de liaison et analystes principalement) ; la France y est représentée par un officier de marine et, actuellement, un douanier. C'est la cheffe de l'Ofast, Stéphanie Cherbonnier, qui la représente au comité exécutif.

Le MAOC-N alimente notamment une liste des navires d'intérêt (« vessels of interest », VOI) contenant, à la fin 2023, environ 550 items et se divisant en deux catégories :

· 140 navires faisant l'objet d'une enquête judiciaire, d'une surveillance technique ou devant faire l'objet d'une interception ; les États membres s'engagent à ne pas intervenir sans accord préalable du ou des pays inscripteurs ;

· 410 navires faisant simplement l'objet d'investigations247(*).

Tous les acteurs interrogés par la commission d'enquête (secrétaire général de la mer, Marine nationale, officier de liaison au MAOC-N) s'accordent pour souligner l'efficacité de la coopération dans le cadre du MAOC, l'un d'entre eux le qualifiant même de « success story », « car nous avons réussi à partager ce qui se partage le plus difficilement : le renseignement national »248(*).

De fait, les quantités de cocaïne saisies grâce au partage de renseignements et à la coopération opérationnelle au sein du MAOC-N se chiffrent en dizaines de tonnes, 2023 étant une année record de ce point de vue avec près de 80 tonnes, soit presque le double de la précédente année record, 2021.

Saisies annuelles de cocaïne déclarées par le MAOC-N

Source : Statistiques opérationnelles MAOC-N, 2023, document transmis au rapporteur par l'état-major de la Marine nationale

Si le cadre juridique et opérationnel progressivement mis en place a permis de renforcer la coopération internationale en matière de lutte contre les stupéfiants en haute mer, celle-ci continue de se heurter à une double limite : le manque de coopération et le manque de capacités.

Le manque de coopération est le fait de certains pays qui ne s'insèrent pas dans le cadre international décrit supra.

Ainsi le Venezuela donne son accord à l'arraisonnement des navires battant son pavillon et soupçonnés de transporter des stupéfiants, mais refuse systématiquement d'abandonner sa compétence juridictionnelle249(*).

Le cas de la Pologne est plus complexe, car ce pays ne répond jamais aux demandes du droit d'arraisonner, de visiter et de dérouter les navires qui battent son pavillon. Selon Didier Lallement, secrétaire général de la mer, « nos amis polonais [...] immatriculent beaucoup de navires mais ne se sont pas dotés d'un dispositif pertinent et, dans bien des cas, ne répondent pas aux demandes de visite »250(*), obligeant à abandonner l'opération.

Le manque de capacités pose également problème. Selon la Marine nationale251(*), « faute de moyens maritimes disponibles pour mener des opérations, environ 70 % des navires inscrits au [MAOC-N] et considérés comme “chargés” [dans le golfe de Guinée] ne font pas l'objet d'interception ». Les saisies de cocaïne ayant atteint 30 tonnes en 2023 dans cette zone, cela représente potentiellement 90 tonnes de cocaïne non saisies malgré des renseignements qui auraient permis de le faire. Ce constat a été corroboré auprès du rapporteur par la DNRED252(*) : en matière de moyens, l'effort collectif est insuffisant alors que l'Afrique de l'Ouest est clairement identifiée, au niveau international, comme un point nodal du trafic de cocaïne.

Source : « Statistiques opérationnelles MAOC-N, 2023 », document transmis par l'état-major de la Marine nationale (EMMN)

Cela est dû au manque de capacités de certains États du MAOC-N : ainsi les marines espagnole, italienne et néerlandaise « disposent très régulièrement de moyens maritimes dans la zone mais [...] ne conduisent pas d'opération de lutte contre le narcotrafic »253(*). Concernant les marines espagnole et italienne, cette inaction est due au fait qu'elles n'ont pas de mandat pour exercer la police en mer. Même la Marine nationale française, qui exerce ce mandat avec une grande efficacité, est fortement sollicitée par ses missions premières (protection des approches maritimes du territoire, dissuasion, appui opérationnel, police des pêches, etc.).

La seconde raison réside dans les capacités limitées des marines des pays de la région, que le MAOC-N peut solliciter pour obtenir leur concours sur la base des informations partagées entre les membres. Comme l'a souligné la Marine Nationale dans sa réponse à un questionnaire écrit du rapporteur, « À ce jour, seul le Sénégal dispose d'une capacité autonome à agir loin des côtes dans la durée et à disposer des structures permettant de conduire une opération “complète” d'interception (prise en compte du renseignement initial, mise à disposition des moyens, conduite de l'interception, traitement du navire à quai et engagement de la procédure judiciaire). Certains pays de la zone (notamment le Cap-Vert) pourraient contribuer davantage à cet effort moyennant certains appuis ».

Enfin, il convient de noter que le MAOC-N a un équivalent en mer Méditerranée, le CeCLAD-M (Centre de coordination de la lutte anti-drogue en Méditerranée). Créé en décembre 2008 et adossé à l'OCRTIS (Office central pour la répression du trafic illicite de stupéfiants, soit l'ancêtre de l'Ofast - qui héberge toujours son centre opérationnel), celui-ci est chargé de la centralisation du renseignement sur le trafic illicite des stupéfiants par voie maritime et aérienne en Méditerranée en vue de la conduite d'opérations d'interception en mer ou à l'arrivée à quai. Le centre anime un réseau composé d'officiers de liaison français et étrangers (Espagne, Maroc et Sénégal), et dispose de correspondants dans des pays partenaires (Égypte, Grèce, Tunisie et Italie). Toutefois, selon la Marine nationale254(*), « le MAOC étant également compétent pour la Méditerranée, la dualité conduit aujourd'hui à une réflexion menée au niveau des administrations concernées », ce dont on peut aisément déduire qu'il existe des difficultés de coordination, voire des « frottements » entre ces deux entités concurrentes. Le CeCLAD semble ainsi moins actif et opérationnel, notamment du fait de ce « doublon » entre ce dernier et le MAOC, et l'on peut s'interroger sur l'intégration de ses locaux à l'Ofast (Nanterre), à grande distance du théâtre d'opérations.

2. La coopération judiciaire et policière avec les États extra-européens : « trous noirs » et États refuges

Outre l'action en mer, le second levier dont dispose la France pour contrecarrer l'internationalisme des narcotrafiquants est celui de la coopération judiciaire et policière. Mais, comme le résument avec sagesse les anglophones, il faut être deux pour danser le tango, et la France se heurte en la matière à l'inertie de certains États peu désireux, pour des raisons aussi diverses que le sont leurs relations avec Paris, de coopérer avec elle.

Le tableau de la coopération internationale contre le narcotrafic avec les États extra-européens est ainsi contrasté. Sophie Aleksic, coordinatrice du pôle criminalité organisée au tribunal judiciaire de Paris, soulignait à cet égard qu'« en dehors de l'Europe, cela dépend des pays et il est difficile d'avancer des généralités. Avec un même pays, la coopération peut très bien fonctionner sur un dossier et pas du tout sur un autre, sans que nous puissions l'analyser de façon rationnelle »255(*).

a) La coopération policière et judiciaire : un réseau indispensable à la prévention des trafics en amont

En matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, la coopération internationale est assurée par les 78 services de sécurité intérieure (SSI) en poste dans les ambassades et postes consulaires français, couvrant 161 pays, les 14 attachés douaniers (AD) à compétence soit nationale, soit régionale, et les 18 magistrats de liaison couvrant 48 pays - avant l'ouverture imminente d'un dix-neuvième poste aux Émirats arabes unis. Tous sont chargés d'assurer la coordination avec les États partenaires sur les plans sécuritaire, douanier et judiciaire.

Comme la Marine nationale, les réseaux des SSI et des AD s'inscrivent dans la stratégie dite du « bouclier ». Si leur domaine de compétences couvre l'ensemble des questions douanières et sécuritaires, leur action présente un volet important dédié à la lutte contre le narcotrafic dans les pays les plus sensibles.

Le président et le rapporteur ont entendu, les 23 et 24 janvier 2024, plusieurs services de sécurité intérieure et attachés douaniers de pays ou régions de départ ou de transit du trafic vers la France : Colombie, États-Unis, Afrique de l'Ouest, Albanie, Turquie, Émirats arabes unis. Ils ont pu constater l'implication et la compétence remarquables de ces agents dont l'action est aussi indispensable que peu connue de nos concitoyens, et qui coopèrent efficacement avec les magistrats de liaison, qui forment eux aussi un rouage essentiel pour l'efficacité de la coopération de la France avec des pays tiers.

(1) Le réseau des attachés douaniers

En matière de narcotrafic, les missions des attachés douaniers (AD), qui relèvent de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), consistent d'abord à détecter les trafics illicites : ils ont donc une importante activité de renseignement, en lien avec la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). Ils organisent également la coopération avec les services douaniers du pays hôte et assurent des actions de formation et de renforcement des capacités dans certaines zones, notamment en Afrique.

Leur zone de compétence est généralement régionale : ainsi l'attaché douanier à Miami est compétent pour les Caraïbes, tandis que celui de Dakar couvre 13 pays d'Afrique de l'Ouest, ce qui est cohérent avec la vocation transnationale des services douaniers.

Source : douane.gouv.fr

(1) (2) Le réseau des services de sécurité intérieure

Les services de sécurité intérieure (SSI) constituent un réseau animé par la Direction de la coopération internationale de sécurité (DCIS) du ministère de l'intérieur et des outre-mer, commun à la police et à la gendarmerie nationale. Ils s'attachent au démantèlement des organisations criminelles, en particulier lorsqu'elles ont un lien avec la France.

En matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, l'action de l'attaché de sécurité intérieure s'inscrit dans les axes suivants :

· apporter une compréhension fine du fonctionnement des réseaux criminels, notamment lorsqu'ils sont en lien avec des communautés originaires du pays en France, et de l'organisation sécuritaire du pays hôte : les attachés de sécurité intérieure entendus par le rapporteur ont ainsi fourni des éléments d'analyse particulièrement circonstanciés s'agissant non seulement de la situation locale de leur pays d'accueil, mais aussi de l'éventuelle implantation de délinquants ou de groupes criminels français ou européens sur leur sol, permettant par exemple de confirmer que les mafias du vieux continent envoient leurs représentants en Colombie, au plus près de la production de cocaïne, et de détailler les modes d'actions de celles-ci ;

· aider les services répressifs des pays partenaires, dans les zones les plus touchées par le trafic, à renforcer leurs capacités ;

· animer la coopération institutionnelle avec les partenaires de la France, notamment en organisant des séminaires dédiés au partage d'information.

Ils peuvent, comme leurs homologues des douanes, être compétents pour un pays ou pour une zone (celle du SSI de Bogotá couvre ainsi la Colombie, le Costa Rica, Panama et le Nicaragua). Les effectifs d'un SSI sont variables : ils peuvent aller d'une seule personne jusqu'à un effectif assez nourri. L'attaché de sécurité intérieure a parfois à ses côtés un officier de liaison spécialisé sur la criminalité organisée et la lutte contre le narcotrafic ; c'est, par exemple, le cas à Dubaï.

Source : Ambassade de France en Turquie

(1) (3) Le réseau des magistrats de liaison, rouage essentiel de la coopération judiciaire

En matière judiciaire, et en particulier dans le cadre des procédures engagées contre des narcotrafiquants, la coopération relève de l'entraide pénale, qui peut être régie ou non par des conventions bilatérales signées avec certains pays - une cinquantaine environ. Mais la réalité des relations judiciaires bilatérales est beaucoup plus complexe que la lettre des textes, justifiant que soient nommés, dans certains postes diplomatiques, des magistrats en mesure de faciliter la coopération.

L'existence des magistrats de liaison est relativement récente puisqu'elle remonte à 1993. Elle a partie liée avec le crime organisé, car c'est à l'origine une idée du juge antimafia Giovanni Falcone ; le premier magistrat de liaison a au demeurant été nommé en Italie quelques mois après l'assassinat du juge Falcone par la mafia sicilienne Cosa Nostra.

En matière de trafic de stupéfiants, le magistrat de liaison a notamment pour mission d'assurer la transmission des commissions rogatoires internationales adressées par les juges d'instruction, les demandes d'entraide émises par les procureurs, et les demandes d'extradition. Sa connaissance du système judiciaire du pays d'accueil et de ses acteurs est importante pour aider à la rédaction des demandes et en assurer le suivi256(*).

Les magistrats de liaison français à l'étranger et étrangers en France en 2023

17 magistrats de liaison français en exercice, couvrant 52 États :

· 8 magistrats de liaison en Europe : Allemagne, Belgique (et Luxembourg), Espagne, Italie (et Malte), Pays-Bas, Roumanie (et Moldavie et Bulgarie), Royaume-Uni (et Irlande), Serbie (et Albanie, Chypre, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Monténégro, Macédoine) ;

· 6 magistrats de liaison en Afrique et au Moyen-Orient : Turquie (et Irak), Algérie, Maroc, Tunisie, Sénégal (et Burkina Faso, Cap-Vert, Gambie, Guinée, Mali, Mauritanie), Côte-d'Ivoire (et Cameroun, Togo, Bénin, Ghana, Niger, Nigeria et Tchad) ;

· 2 magistrats de liaison en Amérique : États-Unis (et Canada), Brésil (et Guyana, Suriname) ;

· 1 magistrat de liaison en Asie, couvrant 8 États et basé en Thaïlande (Chine, Indonésie, Japon, Malaisie, Philippines, Singapour, Vietnam) ;

11 magistrats de liaison étrangers présents en France : Algérie, Allemagne, Canada, Espagne, États-Unis, Italie, Japon, Maroc, Pays-Bas, Royaume-Uni, Turquie.257(*)

b) Une coopération souvent tributaire de la situation politique intérieure des pays partenaires : les exemples de la Turquie et de la Colombie

Les SSI et attachés douaniers entendus par le rapporteur ont dressé un tableau contrasté de la coopération avec les pays concernés. Globalement, le travail en commun permet d'avancer sur la problématique du narcotrafic ; des avancées ont également été observées avec certains États, mais le constat général reste celui d'une inégalité fondamentale entre des trafiquants et des produits qui se meuvent librement, et des services répressifs qui peinent à coordonner leur action dans la continuité.

Ainsi, en Turquie, les autorités ont considérablement durci la répression contre les narcotrafiquants. Ce pays était autrefois désigné comme un véritable lieu de villégiature pour les trafiquants, qui pouvaient acquérir la nationalité turque (et ainsi se mettre à l'abri de l'extradition) à partir d'un certain niveau d'investissement immobilier. Mais l'élection présidentielle de juillet 2023 a marqué un tour de vis sécuritaire, avec un durcissement des conditions d'acquisition de la nationalité et la déchéance de celle-ci pour un trafiquant afin de permettre son extradition vers la France.

En Colombie, le nouveau président Gustavo Petro a imprimé un tournant majeur à la politique antidrogue de son pays en décidant de relâcher la pression sur les petits producteurs - ce qui a entraîné une forte hausse de la production. En conséquence, les forces de sécurité ont réorienté leur action vers le haut du spectre. Cet exemple, qu'on pourrait décliner dans d'autres pays, illustre l'importance d'une coopération au plus proche afin de comprendre les inflexions des politiques de sécurité de nos partenaires et d'adapter notre réponse. De fait, si la France subit nécessairement les conséquences de certaines politiques - en l'espèce une augmentation de la production, donc des flux vers notre pays -, il est essentiel de les prendre en compte le plus en amont possible.

L'équipe dédiée : un outil précieux, un modèle à reproduire ?

En 2013, les autorités françaises et colombiennes ont mis sur pied une équipe dotée d'un budget de 216 000 euros prélevé sur le Fonds de concours « Drogues » piloté par la Mildeca258(*). Celle-ci, armée par une vingtaine d'agents colombiens et dirigée par le SSI, est active sur tous les fronts de la lutte antidrogue : arrestations, saisies, traques de personnes recherchées par les polices françaises ou européennes, renseignement criminel, lutte contre le blanchiment. C'est un outil de coopération précieux et opérationnel, d'un coût très modeste rapporté à ses résultats : 18 tonnes saisies, 180 personnes interpellées depuis 2013, 15,5 millions d'euros confisqués en 2023.

c) Les Antilles : une coopération largement défaillante

La nécessité d'une coopération solide avec nos partenaires est un enjeu d'une particulière importance pour la France qui, outre son territoire hexagonal, voit ses collectivités ultramarines particulièrement exposées à des formes de criminalité ayant des liens avec les pays frontaliers.

À ce titre, les magistrats en poste aux Antilles259(*) ont fait part à la commission d'enquête des difficultés rencontrées dans la coopération judiciaire et policière avec les États voisins, notamment insulaires, d'où vient la drogue débarquée en Martinique.

Ainsi Clarisse Taron, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Fort-de-France, soulignait-elle que « Sainte-Lucie aura mis en oeuvre pour la première fois la convention d'extradition nous liant depuis plusieurs années et peine à exécuter les demandes d'entraide. Du côté de la Dominique, la situation est pire encore. Par ailleurs, il reste très compliqué d'obtenir de l'aide et des contributions aux enquêtes de la part des autres États des Caraïbes ».

Dominique Vinsonneau, première vice-présidente chargée de l'instruction au tribunal judiciaire de Fort-de-France, entendue lors de la même audition, abonde : « Dans environ deux dossiers d'instruction sur trois, des fournisseurs, des complices ou des coauteurs sont saint-luciens. [...] Des ressortissants saint-luciens sont liés de façon très étroite avec certains cartels d'Amérique du Sud. Ils s'échangent des points GPS, se retrouvent en mer et transvasent les chargements vénézuéliens sur des bateaux saint-luciens [...] avant de procéder à un deuxième transbordement dans les eaux proches de la Martinique ou de débarquer sur nos plages ou sur nos pontons le moment venu. »

C'est pourquoi les deux magistrates se félicitent de la création d'un poste de magistrat de liaison à Sainte-Lucie, confirmée par le garde des Sceaux lors de son audition par la commission d'enquête260(*). Comme pour le Venezuela (voir infra), l'enjeu est d'importance, les Antilles étant l'une des principales zones de trafic de cocaïne au monde avec des flux verticaux vers les États-Unis et horizontaux vers l'Europe.

d) Les cas de Dubaï et du Maroc, États refuges

Le constat dressé par Sophie Aleksic, première vice-présidente et coordinatrice du pôle criminalité organisée du tribunal de Paris, est particulièrement préoccupant : « Établis temporairement ou durablement aux Émirats arabes unis, dans des pays du Maghreb, en Espagne ou dans certains pays d'Amérique du Sud, [certains trafiquants] continuent à se déplacer en dépit de mandats d'arrêt internationaux ou européens. Comment cela est-il possible ? Deux réponses : ou bien ils utilisent de fausses identités, sachant qu'il y a tout un trafic de faux papiers qui est lié au trafic de stupéfiants ; ou bien ils utilisent leur véritable identité, et se pose alors la question du système de coopération, dont on peut dire qu'il est perfectible »261(*).

C'est ainsi qu'un travail policier et judiciaire de longue haleine mené en France peut être compromis par les vicissitudes d'une relation bilatérale ou par les arcanes d'un système juridique. Deux exemples en témoignent avec une acuité particulière : Dubaï et le Maroc.

(1) Dubaï, le pays d'où l'on ne revient pas

La France se heurte depuis plusieurs années à de très grandes difficultés dans la coopération judiciaire avec l'émirat de Dubaï, où se trouvent désormais de nombreux trafiquants français du « haut du spectre », attirés par les multiples avantages qu'offre l'Émirat (et qui ont été décrits en première partie).

La coopération policière a fait certains progrès récents, a souligné Jean-Noël Bonnieu, directeur d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, devant la commission d'enquête :

« En mars 2022, nous avons déployé aux Émirats un officier de liaison, spécifiquement placé à l'ambassade de France à Abou Dabi pour améliorer la coopération policière avec les autorités de police émiraties, ce qui a eu un effet en particulier dans la coopération des Émirats avec l'Ofast. Il y a eu alors des arrestations »262(*).

En matière financière, le ministre de l'économie et des finances a signalé une avancée récente à la commission d'enquête avec la signature « d'un accord de coopération avec les Émiratis pour identifier les avoirs criminels »263(*).

Mais la coopération judiciaire marque le pas, alors que 17 des 34 des procédures extraditionnelles en cours entre les deux pays ont trait à des personnes recherchées pour infraction à la législation contre les stupéfiants.

La France et les Émirats arabes unis sont pourtant liés par une convention bilatérale d'entraide judiciaire en matière pénale, et par une convention d'extradition toutes deux signées le 2 mai 2007, ainsi que par des conventions internationales dont la Convention de Vienne de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants.

Malgré ces accords, deux trafiquants français de haut vol condamnés en France, arrêtés en novembre 2023 par les autorités émiriennes, Abdel Karim Touil et Abdelkader Bouguettaia, ont été libérés à l'issue du délai de 40 jours prévu par la convention du 2 mai 2007 pour la présentation de la demande d'extradition par les autorités françaises264(*).

Les autorités émiriennes ont affirmé que la demande n'avait pas été présentée dans les formes et les délais nécessaires, mais selon l'analyse de la Direction des affaires criminelles et des grâces, sollicitée par la commission d'enquête, il s'agirait en réalité de divergences d'interprétation sur les dispositions de la convention relatives aux délais et aux formes de la demande.

Au-delà de l'analyse juridique, le service de sécurité intérieure de l'ambassade française a également pointé, devant le président et le rapporteur265(*), des difficultés de deux ordres :

· l'organisation institutionnelle de la Fédération des Émirats arabes unis, dont chacune des sept entités jouit d'une forte autonomie. Dubaï est, de plus, en forte concurrence avec la capitale Abou Dabi, ce qui nuit à la fluidité des échanges et à l'identification des interlocuteurs idoines ;

· pratiquement, le manque de ressources humaines pour traiter les très nombreuses demandes d'extradition ; le rejet des dossiers pour des motifs de forme peut ainsi être utilisé comme une forme de filtrage qui permet aux rares effectifs affectés à la coopération judiciaire de privilégier les dossiers les mieux ficelés, ou les plus simples, afin de pallier le manque de temps qu'ils ont à consacrer à leur mission.

La France n'est pas le seul pays à rencontrer des difficultés de ce type, puisque des narcotrafiquants de toutes nationalités se retrouvent à Dubaï pour y poursuivre leurs activités et blanchir les fruits qu'ils ont tirés du trafic. Cependant, les Émirats ne font pas montre d'une résistance systématique aux demandes qui leur sont adressées : l'Italie a ainsi obtenu l'arrestation d'un membre notoire de la `Ndrangheta, Raffaele Imperiale266(*), puis son extradition. De même que l'arrestation d'Abdel Karim Touil et Abdelkader Bouguettaia, ces mesures faisaient suite à des visites de haut niveau : le ministre de l'intérieur français s'est en effet rendu aux Émirats en octobre 2023 pour évoquer la coopération judiciaire.

Le cas de Dubaï est porteur de deux enseignements en matière de coopération internationale bilatérale contre le narcotrafic.

D'abord, les conventions d'entraide pénale et d'extradition ne suffisent pas à garantir la coopération judiciaire : il faut les faire vivre et maintenir un dialogue suivi pour éviter les divergences d'interprétation et identifier les bons interlocuteurs. La création d'un poste de magistrat de liaison aux Émirats arabes unis est, de ce point de vue, la réponse adéquate.

Ensuite, la coopération judiciaire doit être constamment appuyée au niveau diplomatique, mais aussi politique : ce sont vraisemblablement des rencontres de haut niveau qui ont débloqué, malheureusement de manière temporaire, les dossiers des deux trafiquants arrêtés en novembre 2023.

(2) Le Maroc : une coopération tributaire de l'état des relations bilatérales

Les pays du Maghreb ont été cités par de très nombreux interlocuteurs de la commission d'enquête comme des bases de repli pour certains trafiquants de haut niveau, en raison des difficultés inhérentes à la relation entre la France et ces pays. Les relations diplomatiques complexes entre la France et ces États ne sont guère propices à des échanges fluides, ce qui met à mal la coopération policière et judiciaire. Le cas du Maroc, pays producteur de cannabis et que sa proximité avec l'Espagne érige en « repli » pour des trafiquants du haut du spectre, est l'un des emblèmes de cette complexité : plusieurs personnes auditionnées par la commission d'enquête ont ainsi rappelé que ce pays était une zone d'investissements immobiliers pour certains narcotrafiquants. Plus largement, et comme le synthétisait pudiquement Amélie Delaroche, sous-directrice de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée au ministère de l'Europe et des affaires étrangères lors d'une audition plénière, « la coopération avec [le Maroc] reste prioritaire ; dans un contexte où les relations sont compliquées par bien d'autres facteurs, nous avons comme ambition de poursuivre le dialogue ». Alain Bauer constatait, de même, que « l'Algérie et le Maroc entretiennent des relations complexes avec la France, ce qui n'est pas le cas de Dubaï ou des Émirats arabes unis. Il est possible d'avoir une relation directe et opérationnelle avec ces derniers, qui tiennent de plus en plus à leur réputation. Dans les autres cas, la question relève du remords colonial et est très compliquée à traiter, même si ces pays ont mené des politiques répressives majeures par moments »267(*).

Dans ces conditions, le baromètre de la coopération judiciaire est étroitement corrélé à celui des relations politiques bilatérales. Il est ainsi difficile de ne pas faire de lien entre le tout récent réchauffement des relations franco-marocaines, matérialisé par le soutien du ministre de l'Europe et des affaires étrangères au « plan d'autonomie du Maroc pour le Sahara marocain »268(*), et l'arrestation de Félix Bingui269(*), chef du gang marseillais Yoda dont l'affrontement avec la bande rivale DZ Mafia a ensanglanté Marseille en 2023. En revanche, les relations restent très difficiles entre la France et l'Algérie - d'autant qu'elles varient en raison inverse de celles que nous entretenons avec le Maroc.

L'aspect éminemment politique de la relation bilatérale avec certains États, en particulier dans l'ancien empire colonial français, apparaît comme un facteur exogène, impondérable et difficilement maîtrisable de la coopération en matière de lutte contre le trafic.

e) Les narco-États, trous noirs de la coopération judiciaire et policière

Si la relation est complexe avec les États « refuges », elle a malgré tout le mérite d'exister, ce dont ne peut pas s'enorgueillir la coopération entre la France et des pays qui, n'ayant plus les moyens de lutter contre les réseaux de narcotrafic, en sont devenus les otages.

(1) Golfe de Guinée, Afrique de l'Ouest : la pénétration du narcotrafic au plus haut niveau

Plusieurs États apparaissent infiltrés au plus haut niveau par les intérêts des narcotrafiquants. C'est notamment le cas en Afrique de l'Ouest (voir première partie) : une note du Centre d'analyse et de prévision stratégique270(*) décrit comment, à partir des années 2000, les trafiquants latino-américains ont pris pied dans la région et rapidement tissé un réseau de complicités pour assurer le « rebond » de la cocaïne vers l'Europe. En Guinée-Conakry, ils avaient « pignon sur rue » sous la présidence de Lansana Conté (jusqu'en 2008), bénéficiant même de la protection de la garde présidentielle. La Guinée-Bissau était devenue un quasi-narco-État où le fils même du président a été impliqué dans un trafic de cocaïne271(*).

La corruption est remontée le long de la route terrestre de la drogue vers le nord : ainsi le fils de l'ancien président de Mauritanie, Sidi Mohamed Ould Haïdallah, a été impliqué dans un trafic de cocaïne en 2007272(*). Selon l'attaché douanier de Dakar273(*), tous les pays de la région sont désormais concernés par le transit de cocaïne.

Cette situation est aggravée par le récent repli stratégique de la France dans la région du Sahel, avec une succession de coups d'État au Mali, au Niger et au Burkina Faso qui ont porté au pouvoir des régimes militaires ouvertement hostiles et porté un coup sévère aux relations bilatérales. De plus, la fin de l'opération Barkhane, conduite par l'armée française contre les réseaux djihadistes opérant dans la région, a été actée le 9 novembre 2022 ; elle crée ainsi un vide sécuritaire dont profitent les réseaux du trafic de drogue, qui dans cette région ont une certaine porosité avec les réseaux terroristes.

(2) Le Venezuela : un État de transit pour la cocaïne, gangrené par les réseaux

Le Venezuela est historiquement, pour la cocaïne produite en Colombie, au Pérou et en Bolivie, un pays de transit vers les Antilles - c'est donc une voie d'arrivée de la drogue en territoire français ; mais il est également en train de devenir un pays de production.

L'infiltration par les narcotrafiquants des plus hauts niveaux de l'État est attestée par plusieurs rapports : l'un d'entre eux, du think tank Insight Crime, décrit comment le président Nicolás Maduro, au pouvoir depuis 2013, a assumé une position de « gardien du trafic de drogue dans le pays, contrôlant l'accès aux richesses de la cocaïne non seulement pour les trafiquants de drogue, mais aussi pour les politiciens corrompus et pour le réseau implanté dans l'armée connu sous le nom de “Cartel des soleils” »274(*). Les autorités judiciaires américaines ont officiellement accusé le président Maduro et plusieurs dirigeants, dont le vice-président Tareck El Aissami, d'implication dans le trafic de cocaïne à destination des États-Unis275(*).

La coopération sécuritaire et judiciaire est d'autant plus difficile avec le Venezuela que les relations bilatérales, sous la présidence de Hugo Chávez mais surtout de son successeur Nicolás Maduro, ont traversé une passe très difficile, la France, à la suite des États-Unis, ayant refusé de reconnaître la réélection jugée frauduleuse de Nicolás Maduro en 2018276(*).

Ce constat a été confirmé au cours des auditions de la commission d'enquête : selon Jean-Christophe Tallard-Fleury, sous-directeur d'Amérique du Sud du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, « avec le Venezuela, notre coopération est des plus limitées, [...] d'autant qu'il y a des factions armées dans l'affaire »277(*).

Ainsi, en cas de saisie de drogue par la Marine ou les douanes françaises sur des bateaux battant pavillon vénézuélien, le Venezuela ne renonce pas à sa compétence juridictionnelle. Cela nécessite l'organisation d'un rendez-vous en mer pour la remise du bateau, en haute mer ou à la limite des eaux territoriales vénézuéliennes, ce qui illustre la confiance limitée entre les deux parties. Cependant, le Venezuela accepte la destruction de la matière stupéfiante trouvée dans le navire en présence de l'attaché de sécurité intérieure français dans ce pays, signe qu'une coopération sécuritaire limitée est possible.

Toutefois, le problème de l'infiltration de l'État, en particulier de l'armée, par les cartels demeure entier, justifiant la qualification de « narco-État ». Dans le même temps, les négociations entamées par le pouvoir et l'opposition dans la perspective de l'élection présidentielle de juillet 2024, qui avaient abouti le 17 octobre 2023 aux accords de la Barbade278(*), ont été abruptement interrompues par le gouvernement vénézuélien en janvier 2024, la candidate de l'opposition, María Corina Machado, ayant notamment été déclarée inéligible279(*).

Au vu de l'importance prise par la voie de rebond africaine dans le trafic transatlantique, ainsi que du Venezuela dans le transit de la cocaïne vers les Antilles, ces « trous noirs » sont un facteur de vulnérabilité pour l'Europe et en particulier pour la France, ce qui met en relief l'importance cruciale de la coopération sécuritaire dans des pays où la coopération judiciaire est impossible car elle repose sur des institutions « contaminées » par le pouvoir corrupteur des trafiquants.

f) Hong Kong ne répond plus

Plusieurs auditions menées par la commission d'enquête ont mis en évidence le manque de coopération avec la Chine sur le sujet du blanchiment, et plus spécifiquement avec Hong Kong, l'une de ses principales places financières. Cela constitue une entrave particulièrement frustrante pour les enquêteurs et la justice, d'autant que le rôle des réseaux chinois dans le blanchiment est manifeste (voir supra). Le directeur du service d'enquêtes judiciaires des finances, Christophe Perruaux280(*), a ainsi souligné, en décrivant le processus de blanchiment d'argent au Cifa d'Aubervilliers : « Une fois bancarisé, le cash disparaît très vite vers des pays ou vers des territoires tels que Hong Kong, qui ne coopèrent pas avec nous ». En effet, poursuit Christophe Perruaux, « quand nous adressons aujourd'hui une demande d'entraide ou une commission rogatoire internationale à Hong Kong, nous n'obtenons pas de réponse, alors que nous en recevions encore récemment ».

Ce constat est corroboré en tous points par le chercheur Bertrand Monnet281(*) : « S'agissant de Hong Kong, au cours de l'entretien auquel j'ai assisté282(*), les ingénieurs en blanchiment d'argent qui conseillaient le narcotrafiquant ont immédiatement mentionné un passage par ce territoire. Depuis que l'État chinois y est très présent, Hong Kong ne coopère absolument plus ».

À ce stade, il semble qu'il y ait peu à attendre de la coopération, à tout le moins bilatérale, avec les autorités chinoises. Selon le général Lecouffe, directeur exécutif adjoint Opérations d'Europol283(*), « En ce qui concerne la Chine et Hong Kong, des actions sont entreprises au niveau européen. Je pense notamment à l'initiative sur le blanchiment d'argent et à la création imminente de l'autorité anti-blanchiment284(*). [...] C'est à travers de telles autorités et par la collaboration entre les secteurs que la surveillance de ces pays doit s'organiser. Pour ce qui est des réseaux de blanchiment chinois, nous sommes conscients de leur existence et nous essayons de collaborer avec d'autres pays sur ces questions. Cependant, nous n'avons pas d'informations particulières sur les flux financiers en provenance de Chine et de Hong Kong, sauf enquête spécifique ».

En d'autres termes, Hong Kong est devenu à proprement parler un « trou noir » : enquêteurs et services judiciaires français et européens sont pour le moment à peu près aveugles sur les flux liés au blanchiment des produits du narcotrafic285(*).

B. UNE COORDINATION EUROPÉENNE ENCORE LACUNAIRE

Alors que l'Europe dans son ensemble est menacée par le débordement du trafic de drogue, certaines avancées ont été enregistrées : « En vingt ans, souligne Sophie Aleksic, coordinatrice du pôle criminalité organisée au tribunal judiciaire de Paris286(*), l'évolution a été très importante. La décision d'enquête européenne, le mandat d'arrêt européen, le certificat de gel ont été des avancées majeures pour nos dossiers. Au sein de l'espace Schengen, le constat s'avère plutôt satisfaisant ».

Force est en effet de constater que l'Union européenne est le creuset de retentissantes réussites, comme les affaires EncroChat et Sky ECC déjà citées, et qu'elle a affiché l'ambition d'impulser une lutte coordonnée contre la criminalité organisée, et plus particulièrement contre le narcotrafic, ce dont la commission d'enquête ne peut que se réjouir. En témoigne notamment la « feuille de route de l'UE visant à amplifier la lutte contre le trafic de drogues et les réseaux criminels », présentée par la Commission européenne le 18 octobre 2023, qui s'articule autour de quatre objectifs : le renforcement de la résilience des plateformes logistiques ; le démantèlement des réseaux criminels à haut risque ; la prévention de la criminalité organisée ; la coopération internationale.

Néanmoins, si l'entraide judiciaire a fait des progrès, l'explosion du trafic appelle un « passage à l'échelle » de la réponse pénale, policière et normative au niveau européen. Or, en cette matière, la riposte coordonnée est lente à se mettre en marche.

1. Des outils européens nombreux et bien structurés

L'Union a su se doter d'outils à la fois nombreux et bien structurés, dont les principaux sont les agences Europol et Eurojust, ainsi que de réglementations ambitieuses qui devraient théoriquement la placer en pointe de la lutte contre le narcotrafic.

a) Europol et Eurojust : deux agences européennes pour donner corps à l'idée de coopération
(1) Europol : partager l'information

Europol (European Union Agency for Law Enforcement Cooperation) est une agence européenne qui « apporte son soutien aux enquêtes des forces de police, de gendarmerie et de douane des États membres à partir du moment où elles sont transfrontalières, c'est-à-dire où au moins deux États membres sont concernés »287(*), explique le général Jean-Philippe Lecouffe, directeur exécutif adjoint Opérations de l'agence288(*).

Europol offre notamment aux États membres une aide à l'analyse de données, un appui qui s'est révélé décisif dans les dossiers EncroChat et SkyECC, et un soutien financier aux investigations des États membres, dans le cadre de leurs enquêtes ou du dispositif Empact (plateforme pluridisciplinaire européenne contre les menaces criminelles).

L'agence passe également des accords de coopération portant sur l'échange d'informations avec les pays hors Union européenne : elle accueille ainsi 250 officiers de liaison issus des 52 pays, notamment d'Amérique du Sud, avec lesquels Europol a des accords pour des échanges de données stratégiques ou opérationnelles. « Europol, commente le général Lecouffe, apparaît à ces pays comme une manière de rejoindre le niveau européen pour une aide en termes de renseignements, d'analyse criminelle, mais aussi en termes de financement de certaines réunions »289(*).

À travers ses publications, notamment le Serious and Organised Crime Threat Assessment (SOCTA), Europol contribue enfin à nourrir les politiques européennes. Selon le général Lecouffe, l'Alliance des ports européens (voir infra) est ainsi issue d'une préconisation figurant dans un rapport de l'agence290(*).

(2) Eurojust : coordonner l'action judiciaire

Eurojust (agence de l'Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale), créée en 2002, est depuis 2019 une agence européenne de plein droit destinée à « faciliter la coopération pénale entre tous les États membres de l'Union européenne », indique Baudoin Thouvenot, membre national pour la France de l'agence291(*), précisant : « Nous faisons transiter les demandes d'entraide et les mandats d'arrêt européens, pour anticiper les difficultés et les différences de procédure et de droit entre pays européens ».

C'est donc, à l'image d'Europol pour la coopération policière, une instance de coordination destinée à faciliter les échanges entre autorités judiciaires, notamment dans le cadre des décisions d'enquête européenne (DEE).

Mais Eurojust assume également un rôle opérationnel à travers les centres de coordination, mis sur pied dans le cas de « la mise en oeuvre d'actions conjointes, telles que des arrestations ou des perquisitions simultanées dans tous les pays concernés, [qui] requiert une coordination minutieuse, en raison des différentes législations nationales relatives, par exemple, aux heures légales de perquisition », détaille Baudoin Thouvenot292(*). Plus de 150 actions coordonnées ont ainsi été menées, dont un grand nombre dans le cadre de SkyECC et d'EncroChat.

Ces opérations illustrent d'une certaine manière ce que pourrait être une action européenne véritablement coordonnée contre le narcotrafic, avec l'appui de deux instances de coordination qui ne se substituent pas aux services répressifs nationaux. Elles mettent également en lumière l'intérêt des coopérations ad hoc parties du terrain et nées d'une opportunité - en l'espèce celle d'infecter les serveurs d'un réseau de téléphonie cryptée criminel.

b) D'incontestables réussites au niveau opérationnel : SkyECC et EncroChat

Les dossiers EncroChat et SkyECC ont été un incontestable succès dans la coopération policière européenne.

(1) Deux affaires parties de France...

L'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) a constaté à partir de 2015 l'utilisation de solutions spécifiques de téléphonie cryptée par les trafiquants. Les recherches ont permis d'identifier la marque EncroChat, dont les services (effacement automatique de la messagerie ou du téléphone à distance, impossibilité de relier à une adresse IP, etc.) étaient spécifiquement orientés vers la criminalité organisée (voir supra).

Les serveurs utilisés par EncroChat étant situés à Roubaix, l'enquête a été ouverte par le parquet de la Jirs de Lille, puis confiée en décembre 2018 au Centre de lutte contre la criminalité numérique (C3N).

En mars 2020, la gendarmerie créait une cellule nationale d'enquête dédiée, appelée EMMA 95. Étant établi qu'EncroChat ne respectait pas le droit national, que des données de nature criminelle transitaient par ce biais et que les créateurs de la solution de téléphonie cryptée ne pouvaient l'ignorer, trois implants furent installés en avril 2020 sur les serveurs, afin d'infecter les terminaux EncroChat et d'avoir accès à l'ensemble des données échangées sur ce réseau. La captation dura 73 jours, jusqu'au 13 juin 2020, date à laquelle EncroChat découvrait que ses serveurs avaient été infectés293(*).

L'exploitation des données recueillies, qui concernaient quasi exclusivement des trafiquants du « haut du spectre » de nombreuses nationalités - seuls 500 des 60 000 téléphones interceptés « bornaient » sur le territoire français294(*) -, a nécessité le soutien d'Europol et d'Eurojust (voir ci-après). La Jirs de Lille a reçu plus de 800 demandes d'entraide.

Le dossier SkyECC a, quant à lui, présenté dès son lancement un caractère coopératif puisque les autorités françaises répondaient à une demande de leurs homologues belges et néerlandais : ceux-ci avaient découvert une autre messagerie utilisée par des délinquants, avec des serveurs se trouvant une nouvelle fois à Roubaix. Au vu de l'ampleur du dossier, la procédure a été confiée à la Junalco. Si la captation a été beaucoup plus courte qu'avec EncroChat, une plus grande quantité de données a pu être aspirée.

Au total, ces dossiers ont donné lieu à 7 099 interpellations et à la saisie de 271 immeubles. En juin 2023, EncroChat avait permis l'ouverture de 84 dossiers judiciaires pour la France seule.

Au-delà de leur impact judiciaire et sécuritaire, ces deux affaires ont permis de comprendre plus en profondeur le fonctionnement des réseaux criminels. Pour reprendre l'expression de Laure Beccuau, procureure de la République de Paris, « quand on pénètre ce réseau de téléphonie cryptée, on entre dans le salon des délinquants ; on les écoute et ils ne savent pas qu'ils sont écoutés ». L'analyse des données interceptées, qui pourrait prendre des années, a donc changé notre compréhension de la criminalité organisée, à tel point que selon le général Jean-Philippe Lecouffe, directeur exécutif adjoint Opérations d'Europol, « les principaux constats de ces dernières années sont basés sur les observations issues des grandes enquêtes concernant l'interception de messageries cryptées de communication »295(*).

Les affaires Anom et Exclu

Deux autres affaires de ce type ont donné lieu à un grand nombre d'arrestations et de procédures judiciaires : Exclu, avec pour chef de file les autorités néerlandaises, et Anom, centré sur l'Australie. Avec ce dernier dossier, les forces de l'ordre sont allées un pas plus loin : Anom, une application de messagerie et de voix sur IP chiffrée, a en effet été conçu par la police australienne avec l'appui, notamment, du FBI, et proposé aux criminels sur ce marché noir. Il s'agissait donc d'un piège extrêmement sophistiqué, rendu possible par la plus grande flexibilité des systèmes juridiques australien et américain autour de la notion de provocation à l'infraction296(*).

(2) ... et qui ont donné lieu à une intense coopération internationale

La nature transnationale de la criminalité organisée appelait une réponse coordonnée des États. L'enjeu principal, dans les affaires EncroChat et SkyECC, était l'exploitation de la masse considérable de données générées. C'est à ce niveau que sont intervenus Europol et Eurojust : Europol en finançant la création d'une Operational Task Force (OTF) forte d'une cinquantaine d'analystes venus de 17 pays différents, Eurojust en appuyant la mise sur pied d'une équipe commune d'enquête (ECE) associant les autorités judiciaires et policières des pays concernés297(*).

La mission de l'OTF était, entre autres, de nourrir un dispositif d'alerte sur les activités criminelles susceptibles de se tenir dans les pays concernés : les enquêteurs découvraient parfois en direct des projets de livraison de drogue, et même d'assassinats qui ont ainsi pu être empêchés par l'intervention des forces de l'ordre.

Au total, l'appui d'Europol et Eurojust était non seulement utile, mais indispensable au déroulement d'une enquête portant sur un réseau téléphonique qui par définition ignorait les frontières.

c) Des initiatives normatives et organisationnelles ambitieuses

Les États membres ont, par ailleurs, pris des initiatives multipartites tendant à coordonner l'action policière et judiciaire.

Ainsi, à l'initiative des Pays-Bas, un groupe de travail intérieur/justice sur le renforcement de la coopération en matière de criminalité organisée a été constitué. Formalisé par un accord politique le 9 décembre 2021, il réunit la France, les Pays-Bas, la Belgique et l'Espagne ; l'Allemagne et l'Italie l'ont rejoint en octobre 2022.

Le groupe, dit « quadripartite » même s'il compte désormais six membres, s'est doté d'un plan d'action pluriannuel 2022-2025 ciblant cinq objectifs :

· les besoins opérationnels pour prévenir et lutter contre le crime organisé ;

· la résilience des plateformes logistiques et la sécurité maritime ;

· le ciblage des flux financiers et des avoirs criminels ;

· le renforcement de la lutte contre la criminalité organisée grâce à la technologie et aux innovations ;

· le renforcement de la coopération internationale.

Concrètement, il s'agit d'une instance de coordination dotée de deux groupes de travail (politique et opérationnel), destinée au partage d'informations et d'analyses et à la définition de positions communes dans les enceintes multilatérales. Ainsi, elle comporte un réseau d'experts douaniers portuaires des six pays membres, avec l'objectif d'échanger des bonnes pratiques et de « faire notamment un retour d'expérience sur les équipements dont chacun dispose, afin d'investir dans du matériel approuvé », selon la description d'Isabelle Braun-Lemaire, alors directrice générale des douanes et des droits indirects298(*).

2. Toujours un temps de retard ?

L'organisation de la lutte contre la criminalité organisée ne pouvant se concevoir dans le seul cadre national, l'Union européenne s'est emparée du sujet de la criminalité, et plus particulièrement du trafic de stupéfiants. Pour autant, les progrès restent lents, en décalage avec l'accélération du trafic.

a) Des imperfections dans la coordination

Une première série de difficultés concerne la qualité de la coopération policière et judiciaire sur le plan opérationnel.

S'agissant tout d'abord d'Europol, son impact apparaît encore trop limité : le cadre qu'offre l'agence reste en effet contraignant et impose un effort de coordination que les systèmes juridiques divergents des États membres ne permettent pas toujours. En d'autres termes, Europol n'occupe que la place que les États lui donnent. Ainsi Florian Colas, alors directeur de la DNRED, estime-t-il que « la plateforme qu'[Europol] [offre], et qui a le mérite d'exister, est limitée par la rigidité des cadres juridiques à la fois entre pays et à l'intérieur de chaque pays pour partager renseignements et données »299(*). Au niveau opérationnel, Virginie Girard, procureure de la République adjointe, chargée de la division financière et de la criminalité organisée au tribunal judiciaire de Lille, estime de son côté que « les services enquêteurs n'ont pas tous encore acquis le réflexe de solliciter l'appui d'Europol »300(*).

De la même manière, la coopération permise par Eurojust est entravée par les différences de cadre procédural entre les États : lors de leur déplacement à Anvers, le président et le rapporteur ont ainsi constaté que les autorités belges déploraient l'absence, dans le droit français, d'un dispositif d'enquête post-sentencielle analogue à l'enquête d'exécution pénale locale, c'est-à-dire d'un dispositif permettant d'enquêter après le procès pénal pour obtenir l'identification et la confiscation des avoirs criminels.

La feuille de route de l'Union européenne déjà citée, qui devrait être un puissant outil de lutte contre le trafic et les réseaux, connaît, elle aussi, des limites : elle paraît en effet principalement constituée de reprises d'initiatives déjà lancées au niveau européen, comme les travaux d'Europol et Eurojust en vue d'un renforcement de la coopération policière et judiciaire avec l'Amérique du Sud (voir supra la partie consacrée à ces deux instances).

De même, l'Alliance des ports européens se fixe des objectifs ambitieux en matière de coordination douanière et de partenariat public-privé. La commissaire nationale aux drogues de la Belgique, Ine Van Wymersch, estime ainsi que « cette coopération, qui n'en est qu'à ses débuts, permettra d'échanger des informations entre secteurs public et privé, dans les limites du cadre légal, et d'instaurer une culture de sécurité partagée ; les ports européens pourront partager leurs modus operandi, les bonnes pratiques et leurs expériences »301(*). Mais les autorités portuaires ont aussi pris des initiatives à leur niveau, comme la constitution d'un réseau des ports du Nord pour rehausser les standards de sécurité, dont la coordination avec les initiatives européennes n'apparaît pas avec clarté : la question de l'articulation entre les niveaux décentralisé, national et européen reste entière, le réseau des ports du Nord n'ayant aucune envie - comme cela a été confirmé à Anvers au président et au rapporteur - de voir sa composition s'étendre à l'Europe du sud.

b) Des blocages juridiques qui subsistent

L'efficacité de la réponse de l'Union est, par ailleurs, affectée par une législation qui soit a pour effet (même si tel n'est pas son objet) d'entraver les capacités d'enquête, soit arrive à un rythme qui n'est pas celui des besoins opérationnels de la police judiciaire et des juridictions.

(1) Données de connexion : la France en décalage avec la CJUE

Présentes dans 85 % des enquêtes pénales, les données de connexion (ou métadonnées) sont les traces techniques laissées par un terminal (appareil portable, objet connecté, ordinateur...) sur un réseau lors de sa connexion à celui-ci. Elles sont de trois types : les données d'identification, les données de trafic (liste des contacts téléphoniques, des SMS et courriels reçus et envoyés), et les données de localisation.

On conçoit aisément l'importance de l'accès à ces données et de leur conservation dans le cadre des enquêtes. Or la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne en a sévèrement restreint les conditions d'accès et de conservation. Ainsi l'accès, hors menace grave envers la sécurité nationale, aux données de trafic et de localisation n'est possible que pour la « criminalité grave » et sous la forme d'un quick freeze (ou « injonction de conservation rapide ») ou d'une conservation ciblée, interdisant en théorie tout accès rétrospectif aux données de connexion dans le cadre d'une enquête pénale.

De plus, cet accès doit être contrôlé par une autorité indépendante, ce que le parquet français n'est pas aux yeux de la CJUE et, souligne Baudoin Thouvenot, membre national d'Eurojust pour la France, « un procureur français, n'étant pas un juge indépendant de l'enquête, ne peut requérir auprès d'un autre État des données de géolocalisation dans le cadre d'une décision d'enquête européenne »302(*).

Le droit français se trouvant en contradiction avec cette jurisprudence, plusieurs décisions ont depuis tendu à l'en rapprocher, notamment les arrêts du 12 juillet 2022 par lesquels la chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que le procureur de la République, qui dirige l'enquête, ne pouvait valablement contrôler l'accès aux données de connexion. Cet arrêt a été abondamment commenté par les personnes entendues par la commission d'enquête au cours de ses auditions et déplacements, tous n'ayant d'ailleurs pas conscience qu'il ne constituait que la stricte traduction d'une jurisprudence européenne à laquelle la France n'a d'autre choix que de se conformer, dans l'attente d'évolutions normatives voulues par certains États et fédérées dans une initiative appelée Going dark, dont les conclusions devraient être rendues dans le courant de l'année 2024.

(2) Le paquet e-evidence : l'obsolescence programmée ?

Composé d'un règlement et d'une directive, le paquet e-evidence (« preuve électronique ») est entré en vigueur le 18 août 2023 et sera applicable à compter du 18 août 2026. Il a été conçu comme une réponse aux difficultés rencontrées par les services d'enquête européens dans la coopération avec les plateformes numériques telles que Meta ou Google.

La réglementation e-evidence facilite, pour les autorités judiciaires nationales, l'accès aux preuves électroniques (données d'identification, données de trafic et données de contenu) et crée un cadre normalisé dans lequel ces données peuvent être demandées aux fournisseurs de services électroniques. Tout fournisseur qui propose des services dans l'Union y sera soumis, y compris ceux dont le siège se trouve hors du territoire de l'Union - Meta et SnapChat notamment.

Le règlement permettra notamment à une autorité judiciaire de demander des preuves électroniques à un fournisseur de services d'un autre État membre. Le fournisseur sera tenu de répondre dans un délai de dix jours, voire de huit heures en cas d'urgence (définie par le règlement comme une « menace imminente pour la vie, l'intégrité physique ou la sécurité d'une personne ou pour une infrastructure critique »). Toujours dans le cadre de l'urgence, les services d'enquête pourront émettre une injonction sans validation préalable par l'autorité judiciaire ; une régularisation devra intervenir dans un délai maximal de quarante-huit heures303(*).

La mise en oeuvre du paquet e-evidence en 2026 devrait faciliter considérablement les enquêtes présentant une dimension transnationale - c'est-à-dire la plupart des enquêtes en matière de narcotrafic. Il est néanmoins probable qu'à cette échéance, les moyens de communication utilisés par les narcotrafiquants auront déjà considérablement évolué : des craintes se sont d'ores et déjà élevées pour pointer l'inadaptation de cette réglementation face à l'essor prévisible des communications satellitaires, qui ne sont pas comprises dans son périmètre, et face au quasi-monopole (déjà commenté) d'un cryptage « de bout en bout » qui met théoriquement les plateformes elles-mêmes dans l'incapacité d'accéder au contenu des échanges.

c) De nombreux textes encore en attente pour coordonner l'action policière et les outils de lutte contre le blanchiment

L'Union européenne souffre, enfin, d'un processus décisionnel lourd - et donc lent - qui ne colle pas aux nécessités de la lutte contre le narcotrafic, comme en atteste l'exemple de deux réglementations qui, lancées en 2021, restent en attente alors même qu'elles pourraient constituer un soutien décisif pour les magistrats et les services d'enquête. Au vu du laps de temps qui s'est écoulé entre l'engagement des discussions et l'adoption des textes, le risque est ainsi de voir les narcotrafiquants anticiper la mise en oeuvre des normes nouvelles et trouver, avant même leur entrée en vigueur, des voies de contournement.

(1) Le règlement Prüm II : faciliter et élargir l'échange de données entre les polices des États membres

Adopté par le Conseil européen des 4 et 5 novembre 2004, le programme dit « de La Haye » a consacré le principe de disponibilité selon lequel « tout agent des services répressifs d'un État membre qui a besoin de certaines informations dans l'exercice de ses fonctions peut les obtenir d'un autre État membre, l'administration répressive de l'autre État membre qui détient ces informations les mettant à sa disposition ». En d'autres termes, dans le respect de certaines conditions, un État membre doit donner accès aux informations dont il dispose dans ses propres bases de données, susceptibles d'intéresser les forces de l'ordre d'un autre État membre.

Ce principe a été mis en oeuvre par les dispositions dites « Prüm »304(*) qui, depuis 2008, permettent notamment l'échange automatisé de données, d'empreintes digitales et de données d'immatriculation des véhicules. Cet échange est possible dans un cadre assez vaste, « aux fins de la prévention et de la détection des infractions pénales ainsi que des enquêtes en la matière ».

Confrontées à la montée en puissance de la criminalité organisée, les autorités européennes ont engagé une réflexion pour étendre le cadre du partage de données à d'autres domaines, afin de faciliter l'action des services répressifs.

La Commission européenne a donc formulé en décembre 2021 la proposition de règlement relatif à l'échange automatisé de données dans le cadre de la coopération policière, dit « Prüm II », qui tend à favoriser la transmission d'un plus grand nombre de données aux services compétents des États membres (ajout des images faciales des suspects et des criminels condamnés ainsi que des registres de police), à mettre en place un « routeur » central auquel les bases de données nationales pourraient se connecter, à imposer, à la suite d'une requête, un délai de principe de vingt-quatre heures pour le partage d'informations en cas de correspondance des données entre États, et à autoriser les échanges d'informations entre États membres et Europol305(*).

La mise en place d'un routeur répond notamment aux obstacles techniques rencontrés dans le partage des données entre les États membres : une seule connexion sera désormais nécessaire pour accéder aux bases de données des autres États membres. L'accès est indirect, selon le principe hit/no hit : en cas de concordance entre les données utilisées pour la consultation ou la comparaison et les données de la base nationale de l'État membre requis, l'État requérant doit formuler une demande complémentaire pour avoir accès à l'information.

Le 8 février 2024, le Parlement européen a adopté à une large majorité le projet de règlement « Prüm II » ; le texte entre maintenant dans la phase de « trilogue » entre le Parlement, la Commission et le Conseil européen. S'il est incontestablement porteur d'avancées en matière de coopération européenne contre le crime organisé et le narcotrafic, il conviendra d'en exposer clairement les enjeux sur des questions touchant aux libertés individuelles, notamment la reconnaissance faciale306(*). En tout état de cause, on peut là encore déplorer que le texte, qui marque pourtant un tournant pour la coopération européenne, soit encore en trilogue près de trois ans après sa conception.

(2) D'autres textes importants en cours de négociation

Plusieurs autres textes ont été élaborés dans ce même but de faciliter la coopération européenne dans la lutte contre le narcotrafic. Ils forment un tout cohérent qui, si ces textes sont adoptés, devrait contribuer à renforcer l'arsenal des forces répressives des pays européens contre le narcotrafic.

Ainsi la proposition de directive du 25 mai 2022 sur le recouvrement et la confiscation d'avoirs, qui vient remplacer une directive de 2014 ayant le même objet, prévoit notamment :

· l'imposition aux États membres d'une stratégie de recouvrement des avoirs et la création d'un bureau à cet effet (l'équivalent de l'Agrasc en France) ;

· la possibilité du gel des possessions d'un tiers, ainsi que celle de confisquer des biens dont la valeur correspond à celle des instruments et produits tirés d'une infraction pénale et ceux gelés dont la juridiction compétente est convaincue qu'ils proviennent d'activités criminelles ;

· la possibilité, dans certaines situations, du transfert ou de la vente de biens gelés avant une décision de confiscation307(*). Les enquêteurs devront simplement montrer au juge que la personne gravite dans un milieu criminel et que les biens dont elle dispose sont sans relation possible avec les revenus déclarés. La commission d'enquête a pu constater que cette mesure est particulièrement attendue des parquets français308(*).

Cette proposition de directive s'articule avec le train de mesures législatives sur la lutte contre le blanchiment qui a fait l'objet le 18 janvier 2024 d'un accord entre le Conseil européen et le Parlement, faisant suite aux propositions législatives présentées par la Commission le 20 juillet 2021.

Ces mesures comprennent notamment :

· l'extension de l'obligation de vigilance liée au cadre de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT) au secteur des cryptoactifs ;

· un plafond de 10 000 euros pour les paiements en espèces ;

· la fixation des responsabilités des cellules de renseignement financier (CRF)309(*) chargées de prévenir, de signaler et de combattre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme : l'accord donne notamment une base légale homogène au pouvoir donné à ces cellules de suspendre une transaction ou d'en refuser l'exécution en cas de soupçon sur sa régularité.

Pour mettre en oeuvre ce nouveau cadre, une autorité de lutte contre le blanchiment de capitaux verra le jour en 2025 - ce qui est bien tardif au vu de l'urgence de la situation.

Cet ensemble important de mesures a pour vocation de lever les obstacles techniques et réglementaires à la pleine coopération entre les services répressifs des États membres. Incontestablement, il représente une avancée dans la lutte contre le narcotrafic ; il pâtit toutefois d'une temporalité de la législation européenne qui n'est pas celle des narcotrafiquants, présentant le risque que les nouvelles normes, conçues plusieurs années avant leur mise en oeuvre effective, aient perdu toute pertinence avant même d'entrer en vigueur.

II. DES TERRITOIRES D'OUTRE-MER ABANDONNÉS PAR L'ÉTAT

Les alertes sur la situation sécuritaire des territoires ultramarins, et en particulier de la Guyane et des Antilles, se sont multipliées ces dernières années, sans pour autant que la réponse du Gouvernement ne soit à la hauteur des enjeux. Le plan de lutte contre le phénomène des « mules » en provenance de Guyane, par la suite intégré au plan national de lutte contre les stupéfiants, est loin d'avoir produit les effets escomptés, en dépit de la mobilisation des forces de sécurité intérieure, des douanes et des magistrats.

Une situation qui empire ?

« De fait, la criminalité guyanaise présente des spécificités au regard de l'activité des réseaux criminels implantés au Brésil et au Suriname, des difficultés engendrées par l'étendue de son territoire terrestre et maritime et la densité de la forêt guyanaise, ou des contentieux spécifiques tels que l'orpaillage illégal. Le spectre particulièrement large de la délinquance organisée (orpaillage illégal, trafics de stupéfiants locaux et internationaux, filières d'immigration clandestine, homicides, délinquance économique et financière...) ne cesse d'augmenter et de s'intensifier. Ces activités illégales sont elles-mêmes génératrices d'une délinquance induite (gangs, violences, armes, trafics en tous genres, économie parallèle, insécurité du quotidien). »

Source : Direction des affaires criminelles et des grâces, circulaire du 29 septembre 2022 relative à la politique pénale territoriale pour la Guyane

« La zone Antilles-Guyane enregistre également un taux d'homicide très élevé (7 pour 100 000 habitants contre 1,1 en métropole) qui s'explique en partie par l'existence de règlements de compte liés au trafic de stupéfiants. Des spécificités liées aux territoires sont observées telles que la grande disponibilité des armes dans les Caraïbes ou l'existence de gangs criminels, impliqués dans le trafic de cocaïne et longtemps dans des règlements de comptes meurtriers. En Polynésie-Française où les menaces et violences entre trafiquants restent sporadiques, deux règlements de comptes ont pourtant été dénombrés en 2022 faisant craindre une augmentation de la violence. »

Source : Office antistupéfiants, État de la menace liée aux trafics de stupéfiants 2023

A. DES MESURES PARCELLAIRES ET DES SERVICES SOUS-DOTÉS...

1. Une inadéquation totale entre les moyens déployés et les enjeux de la lutte contre le narcotrafic
a) Un manque criant de moyens humains et techniques, en particulier en Guyane et dans les Antilles
(1) Des renforts insuffisants
(a) Pour les services d'enquête

Si les services d'enquête situés dans les territoires ultramarins ont vu leurs effectifs être augmentés ces dernières années, ainsi que l'ont confirmé les personnes entendues en audition, l'octroi de quelques personnes supplémentaires au sein de la gendarmerie, de la police et de la douane n'est pas de nature à permettre à ces services de pouvoir traiter le narcotrafic dans toute son ampleur. L'étendue des territoires à couvrir, leur topologie peu propice à des interventions rapides ainsi que la diffusion de la violence en lien avec les trafics de toute nature ne font que renforcer ce constat.

Ainsi, en Guadeloupe, le service territorial de la police judiciaire estime qu'il faudrait a minima doubler les effectifs des unités de lutte contre les trafics de stupéfiants et l'économie souterraine (USES) et renforcer au minimum de 10 personnes l'antenne de l'Ofast, qui se compose aujourd'hui de 19 effectifs en Guadeloupe et de 8 à Saint-Martin310(*).

En Guyane, la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) a souligné à plusieurs reprises sa capacité judiciaire limitée « pour faire face au niveau de criminalité et de délinquance particulièrement violente constatée »311(*). Elle constatait, outre un nombre insuffisant d'enquêteurs disponibles pour lutter contre la criminalité organisée, la faiblesse des enquêtes en matière économique et financière et l'insuffisance des moyens techniques, notamment pour intercepter les communications téléphoniques312(*). Sur ce point, l'antenne de l'Ofast en Caraïbe a d'ailleurs appelé à renforcer les effectifs du détachement du service interministériel d'assistance technique (Siat) en Martinique.

La gendarmerie porte le même constat pour la Guyane que pour la Martinique, où le sous-dimensionnement des moyens humains au regard de l'ampleur des trafics ne permet ni d'exploiter l'ensemble des renseignements disponibles ni d'absorber la charge d'investigation induite313(*). La Martinique fait pourtant face à une criminalité organisée transnationale, l'île s'avérant être un territoire stratégique de transit, de commerce et de stockage, principalement de cocaïne, en raison de sa localisation géographique entre les zones de production sud-américaines et les régions de destination (Amérique du Nord et Europe). Les différends entre les délinquants locaux, d'une part, et ceux originaires des îles voisines anglophones de Sainte-Lucie et de La Dominique, d'autre part, se sont par ailleurs considérablement multipliés depuis la fin de la crise sanitaire.

Effet corollaire, la coordination a pu être négligée. Le parquet général de Cayenne avait regretté, en 2021314(*), l'absence de réunions régulières de la cellule de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross), et donc l'absence de coordination des acteurs impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. À cet égard, la direction générale des outre-mer regrettait que les Cross ultramarines ne soient pas suffisamment dotées en personnel pour être efficientes315(*).

(b) Pour l'autorité judiciaire

S'agissant de l'organisation judiciaire, et pour ce qui concerne les dossiers à forts enjeux, la répartition s'organise de la manière suivante316(*).

Les trafics par voie aérienne sont traités par les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) de Fort-de-France et de Bordeaux pour les plus complexes d'entre eux. Le parquet de Bordeaux dénombre ainsi trois dossiers d'homicides en lien avec des importations de cocaïne depuis la Guyane, tandis que la Jirs de Fort-de-France est saisie d'au moins six dossiers de règlements de comptes commis sur fond de trafic de stupéfiants317(*). Pour des raisons liées aux frais de justice occasionnés et à l'absence de plus-value de Paris, les dossiers de simple « transit », c'est-à-dire de passeurs, sont traduits localement, le plus fréquemment en comparution immédiate.

Les Jirs de Paris et de Fort-de-France se répartissent les autres dossiers de trafics de stupéfiants.

La Jirs de Paris dispose en effet d'une compétence ultramarine, l'amenant à traiter par exemple des dossiers de trafics internationaux de stupéfiants initiés sur le ressort de Papeete.

La Jirs de Fort-de-France couvre les ressorts des cours d'appel de Basse-Terre, Cayenne et Fort-de-France. Elle est principalement chargée de la lutte contre le trafic maritime international de stupéfiants et étroitement associée à l'action de l'État en mer dans la zone caraïbe. La délinquance économique et financière n'a longtemps occupé qu'une part limitée du contentieux faute de moyens suffisants, et alors même que la zone était particulièrement exposée à l'investissement de l'argent sale et que les manquements à la probité étaient nombreux.

Les renforts en moyens humains annoncés pour la Guyane dans la circulaire du 29 septembre 2022 relative à la politique pénale territoriale pour la Guyane n'ont pas été à la hauteur des enjeux sur place. La création de plusieurs postes avait en effet été annoncée au regard de « l'augmentation de l'activité pénale et particulièrement des dossiers liés à la grande criminalité, le nombre de dossiers ayant fait l'objet d'une ordonnance de renvoi en attente de jugement ainsi que les délais d'audiencement actuels de la juridiction »318(*).

Lors de leur audition, les magistrats du tribunal judiciaire de Cayenne ont confirmé que les moyens alloués étaient nettement insuffisants. Les quatre cabinets d'instruction du tribunal judiciaire de Cayenne traitent en moyenne 142 dossiers319(*), alors que le chiffre moyen permettant d'instruire correctement les dossiers et dans des délais raisonnables est évalué à 70 par l'Association française des magistrats instructeurs. Le tribunal judiciaire de Cayenne ne compte pas non plus de chambre pénale dédiée, faute de personnels disponibles, et la tenue « d'audiences spéciales », qui permettent de juger plusieurs dossiers ensemble, est peu fréquente en raison du manque de magistrats instructeurs et de greffiers. La juridiction se trouve en parallèle submergée par les contentieux liés à la lutte contre l'orpaillage illégal, une spécificité de la politique pénale guyanaise. La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) a rappelé au mois de juillet 2023 que le sous-dimensionnement structurel de la juridiction guyanaise avait atteint un « niveau alarmant » et que la chaîne pénale n'était pas « fiabilisée, faute de personnels de greffe en nombre suffisants »320(*).

Le constat est le même du côté du tribunal judiciaire de Martinique, pourtant siège d'une Jirs. La juridiction apparaît sous-dimensionnée, tant en nombre de magistrats instructeurs et en membres du ministère public qu'en nombre de greffiers et d'assistants spécialisés. Devant la commission d'enquête, Clarisse Taron, procureure de la République, expliquait que la situation des greffes restait singulièrement dégradée : « Il nous appartiendrait, à la présidente et à moi-même, d'affecter quelqu'un, mais, compte tenu de la situation catastrophique de l'exécution des peines, du greffe correctionnel, du bureau d'ordre ainsi que de certains cabinets d'instruction et d'application des peines, nous n'avons pas réussi à obtenir un poste de greffier, ni pour la permanence générale ni pour la Jirs »321(*).

Au cours des auditions menées par la commission d'enquête, le désarroi de la magistrature était palpable, et ce ne sont pas les « brigades » qui vont permettre d'y remédier. Ce dispositif expérimental, mis en place pour la Guyane et Mayotte, est un dispositif d'urgence par lequel plusieurs magistrats expérimentés sont affectés dans ces deux territoires ultramarins pour une durée de six mois, dans une logique de solidarité entre juridictions. Cayenne a ainsi disposé de quatre renforts sur la première brigade puis de trois renforts, pour une durée effective de travail plus proche des cinq mois que des six mois, en raison des congés notamment, sans pour autant que ces effectifs supplémentaires n'apportent un soulagement suffisant aux personnels de la juridiction322(*).

Les annonces d'un renfort des effectifs à hauteur de 34 personnes au tribunal de Cayenne - 15 magistrats, 12 greffiers et 7 attachés de justice - et de 20 personnes au tribunal de Fort-de-France - 8 magistrats, 6 greffiers et 6 attachés de justice323(*) - sont certes positives, mais elles ne seront pas finalisées avant 2027, un horizon extrêmement lointain pour des juridictions submergées.

(2) Des moyens techniques en nombre limité

Le manque de moyens humains est aggravé par un déficit de moyens techniques, en matière tant aéromaritime qu'aéroportuaire - ce qui constitue une lacune grave au vu de la géographie des collectivités concernées.

(a) En matière aéromaritime

Alors que la direction générale garde-côtes des douanes (DNGCD) est supposée réunir les principaux moyens d'intervention de la douane en matière maritime, le parc est vieillissant et le renouvellement des équipements ne devrait pas porter ses fruits avant 2025.

La direction nationale garde-côtes des douanes

Créée le 1er juillet 2019, la DNGCD est un service à compétence nationale qui regroupe, sous un commandement unifié, les différents services en charge du pilotage stratégique et opérationnel des moyens aéromaritimes de l'administration de la douane. Installé au Havre, l'état-major assure la gouvernance et la coordination des trois services garde-côtes installés à Nantes, à Marseille et à Fort-de-France. Environ 900 agents composent aujourd'hui la direction.

Sur les 382 contentieux réalisés par la DNGCD en 2023, 53 concernaient le trafic de stupéfiants. À titre d'illustration, les douaniers de la brigade garde-côtes de Lorient ont saisi plus de 180 kilogrammes de cocaïne dissimulés sous la coque d'un navire de commerce dans la nuit du 9 au 10 février 2023.

Source : direction générale des douanes et des droits indirects, « Contribution de la douane au dispositif interministériel de l'action de l'État en mer »

La douane disposait en 2023324(*) de :

· trois patrouilleurs garde-côtes et de 15 vedettes garde-côtes (VSG) ainsi que de 12 vedettes de surveillance rapprochée (VSR). Le potentiel d'heures en mer est de 1 980 heures pour les VSG et 780 heures pour les VSR dans les Antilles - ce potentiel étant plus élevé pour les vedettes intervenant en métropole ;

· sept avions beechcraft et de six hélicoptères, pour un potentiel estimé à 3 000 heures de vol pour les avions et de 660 à 1 900 heures de vol pour les hélicoptères, selon le modèle.

Dans les Antilles, la gendarmerie maritime ne dispose que d'un patrouilleur, localisé en Guadeloupe, et très peu utilisé en Martinique en raison de pannes récurrentes325(*).

En Guyane, la gendarmerie avait réclamé de nouveaux moyens maritimes, et notamment une embarcation rapide pour embarquer des équipes d'intervention, de jour comme de nuit, capables de se déployer sur la façade maritime guyanaise326(*). À ce jour, et après des années de demandes répétées, le Gouvernement a seulement annoncé l'installation de quatre nouvelles brigades en Guyane d'ici 2027, dont une brigade fluviale à compter du mois de mars 2024. Celle-ci est dotée de trois sous-officiers de gendarmerie et de quatre piroguiers et devrait à terme compter 10 personnes, ce qui est nettement insuffisant.

(b) Dans les aéroports

L'aéroport Félix Éboué (Cayenne) est doté d'un scanner à rayons X - pour les bagages - et, depuis le mois de juin 2020327(*), de deux scanners à ondes millimétriques - pour déceler les drogues transportées sous les vêtements. Le scanner à rayons X n'a été installé que récemment : longtemps, les douaniers n'ont pu s'appuyer que sur le travail des brigades cynophiles. Cette situation est particulièrement choquante dans un contexte où de tels scanners sont systématiquement présents dans les aéroports d'importance de l'Hexagone et constituent un instrument « de base » des contrôles, et où l'aéroport Félix Éboué était - et reste - un point notoire de départ des stupéfiants vers l'Europe.

Les scanners corporels, qui permettent de détecter les produits stupéfiants transportés par une personne sous ses vêtements, ont quant à eux connu deux longues interruptions, d'abord entre novembre 2020 et mars 2021, puis entre décembre 2021 et février 2022, en raison de difficultés juridiques liées à l'absence de base normative pour leur exploitation. Il est anormal que l'absence d'un arrêté ait pu conduire à suspendre aussi longtemps un outil qui a prouvé son utilité pour détecter les convoyeurs de stupéfiants : au premier semestre 2021, 16,5 % des passeurs interpellés l'ont été à la suite d'une détection au scanner328(*).

Il est intéressant de souligner que, en dépit de ces limitations, les deux scanners corporels constituent un axe essentiel du plan de lutte contre le phénomène des mules (cf. infra) et contribuent, d'après la DACG, à une hausse significative de l'activité du parquet de Cayenne329(*).

Pour compléter ce dispositif, la présence d'un échographe pour détecter la drogue ingérée et repérer les passeurs in corpore a longtemps été envisagée. Or, si un appareil a bien été acheté en 2017, il n'a jamais été utilisé. Parmi les raisons évoquées figurent l'absence de locaux adéquats, le manque de praticiens hospitaliers et le coût horaire de l'utilisation de cet appareil une fois prises en compte les prestations médicales associées330(*).

L'extension de la couverture vidéo de la plateforme aéroportuaire de Cayenne est également récente alors même que les images de vidéoprotection permettent, dans certains cas, de suivre les passeurs qui ont renoncé à embarquer et qui rejoignent ensuite le plus souvent leur logisticien, sur place ou à proximité de l'aéroport.

Si la situation de la Guyane est préoccupante, celle des Antilles n'est guère plus favorable. Les aéroports des Antilles ne disposent pas de l'ensemble des équipements installés à Cayenne, ce qui ne manque pas d'inquiéter dans la mesure où les trafiquants recherchent activement de nouveaux points d'entrée sur le territoire français. La préfecture de Saint-Martin, elle-même approchée par les autorités néerlandaises quant à la faiblesse des moyens aéromaritimes et de sécurité déployés par la France dans la zone, a ainsi récemment alerté le Gouvernement sur la porosité des aéroports de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, où l'État est largement absent, en l'absence de personnels de la gendarmerie des transports aériens et des douanes. Plus généralement, il est probable que la prévalence du trafic de stupéfiants dans ces deux îles soit largement sous-estimée, ce qui peut donner lieu à un certain sentiment d'impunité pour les criminels.

(c) Des moyens annoncés de longue date, sans concrétisation

Sans revenir sur le parc vieillissant des moyens aéromaritimes, dont le renouvellement doit s'échelonner sur plusieurs années et qui a déjà été évoqué ci-avant, la commission d'enquête relève que d'autres promesses d'équipements ne se sont toujours pas concrétisées ou connaissent d'importants retards, généralement du fait d'un manque d'anticipation. C'est le cas par exemple pour les équipements aéromaritimes de la douane ou de la gendarmerie, la question du traitement de leur obsolescence ayant pendant longtemps été mise de côté. La mutualisation des moyens aéromaritimes, évoquée depuis plusieurs années comme un « remède miracle » au vieillissement du parc des administrations impliquées dans l'action de l'État en mer, semble encore lointaine.

Les radars maritimes n'ont toujours pas été mis en place, même si la situation devrait être résolue courant 2024. Au final, cela ne fera « que » 13 ans que le projet a été lancé pour la première fois (2011), avec l'objectif de déployer une chaîne de radars pour couvrir le canal de Sainte-Lucie et détecter les embarcations qui s'approchent des côtes. S'il existe donc des solutions techniques pour protéger les territoires ultramarins et dissuader les organisations criminelles de débarquer sur leurs côtes, elles n'ont toujours pas été déployées.

Enfin, s'agissant des drones, qui pourraient permettre de surveiller de vastes étendues côtières et maritimes et d'intercepter les stupéfiants en transit, leur exploitation en outre-mer se heurte à des obstacles techniques. Douze équipements sont déployés dans la zone Guyane-Antilles mais il est, par exemple, plus difficile de procéder au décollage et à l'appontage depuis un navire que depuis la terre. Une expérimentation est en cours pour faciliter ces procédures depuis un bateau et donc depuis la mer car, faut-il le rappeler, la protection des territoires des Antilles est principalement un enjeu côtier.

b) Une faible prise en compte des flux vers la Polynésie française

À l'occasion de ses travaux, la commission d'enquête a découvert un phénomène peu abordé dans le débat public sur le narcotrafic, celui des flux de méthamphétamines (aussi appelée ice) vers la Polynésie française. Ainsi, alors que les drogues de synthèse touchent relativement peu la métropole en comparaison d'autres produits (cannabis, cocaïne, héroïne, etc.), elles frappent de manière disproportionnée le territoire polynésien.

Le trafic d'ice en Polynésie française

L'ice vendue en Polynésie française provient majoritairement de laboratoires clandestins situés au Mexique. Elle est importée depuis la côte ouest des États-Unis (liaison aérienne directe entre Los Angeles et Papeete) et revendue sur place autour de 2 500 euros le gramme, soit 50 à 60 fois plus cher qu'aux États-Unis.

Le trafic d'ice apparaît également de plus en plus structuré : les réseaux se sont professionnalisés et les têtes de réseaux prennent désormais en charge les conséquences financières de l'emprisonnement de leurs passeurs.

Source : direction générale de la police nationale, « Le phénomène de l'ice en Polynésie française », février 2022

Bien sûr, dans une logique de moyens contraints, il serait peu efficient de déployer les mêmes moyens - humains et techniques - partout, sans considération pour le volume des flux ou pour la criminalité induite. Pour autant, l'utilisation de la Polynésie comme plaque tournante pour le commerce de méthamphétamines et de cocaïne à usage local ou destination des marchés asiatique et australien ne doit pas être ignorée.

Au regard du développement rapide et mortifère des drogues de synthèse aux États-Unis et de la croissance du trafic en Polynésie française, il s'agit d'un enjeu majeur de sécurité pour la collectivité ultramarine. Il était donc plus que temps qu'une antenne de l'Ofast soit ouverte en Polynésie française en 2022, et notamment pour seconder la gendarmerie, seul service de l'État présent sur l'ensemble des archipels. L'attaché de sécurité intérieure français aux États-Unis a confirmé que des demandes lui étaient désormais plus fréquemment adressées par l'Ofast, qui s'inquiète de plus en plus de ce trafic.

Pour le tribunal judiciaire, cela représente chaque année une centaine de personnes jugées pour trafic d'ice et 30 % de la population pénale des deux établissements pénitentiaires de l'archipel, une proportion significative dans un territoire où la surpopulation carcérale atteint des niveaux record. La commission d'enquête rappelle ainsi que 24 kilogrammes d'ice ont été saisis en 2023, ce qui représente un volume considérable pour une population de 280 000 habitants et pour un produit qui se vend par dose de 0,02 à 0,03 gramme.

2. Le plan de lutte contre le phénomène des « mules » en provenance de Guyane de 2019 : un réveil tardif
a) Un plan interministériel intégré dans le plan national de lutte contre les stupéfiants

Ainsi que cela a été rappelé, le vecteur aérien constitue l'une des principales voies d'acheminement des produits stupéfiants sur le territoire français et métropolitain. La Guyane est en particulier frappée par le phénomène des convoyeurs ou des « mules », ces passeurs qui acceptent de transporter de la cocaïne dans leurs bagages, à corps ou in corpore pour une rémunération allant jusqu'à 3 000 euros, un montant très élevé lorsqu'il est rapporté au contexte socio-économique guyanais.

Face à ce phénomène, qui n'est pas nouveau, le Gouvernement s'est réveillé tardivement en présentant, le 27 mars 2019, un plan interministériel de lutte contre le phénomène des « mules » en provenance de Guyane. Ce plan a ensuite été intégré au plan interministériel de lutte contre les stupéfiants (mesure n° 20), présenté quelques mois plus tard, le 17 septembre 2019. La mesure n° 20 s'articule autour de trois volets : les moyens, la procédure et le ciblage des flux retours.

De nouveaux moyens devaient tout d'abord être octroyés à la Guyane, par exemple les deux scanners corporels à ondes millimétriques installés à l'aéroport Félix Éboué. Il est toutefois difficile de savoir si ces renforts correspondaient véritablement à de nouveaux moyens ou s'il ne s'agissait que de la re-labellisation de moyens déjà prévus pour la Guyane. Il en va de même pour les neuf places supplémentaires en chambres carcérales médicales.

Un deuxième volet était consacré à la simplification des procédures de traitement des passeurs, d'abord sous la forme d'une expérimentation, ainsi qu'à la mise en place de mesures administratives.

Procédures de traitement des « mules »

Les procédures simplifiées sont réservées aux personnes trouvées en présence d'une quantité de produit stupéfiant inférieure ou égale à quatre kilogrammes :

· pour les services répressifs, la procédure simplifiée consiste à saisir le produit et à entendre la personne en audition libre. À l'issue de l'audition, une convocation en justice à une date ultérieure lui est délivrée. Une expérimentation a également été menée à l'été 2022 : lorsque la quantité saisie était inférieure à 1,5 kilogramme, l'officier de police judiciaire pouvait notifier au mis en cause un classement avec interdiction de se présenter à l'aéroport de Cayenne pendant six mois. La mesure était inscrite au fichier des personnes recherchées (FPR). Cette partie de l'expérimentation a pris fin en septembre 2022.

· pour les douanes, la procédure aménagée s'applique : si la drogue n'a pas été transportée in corpore et qu'il n'y a pas de possibilité de développement judiciaire, la douane traite l'affaire sans remise à un service de police. Le produit stupéfiant est saisi et la personne peut être placée en retenue douanière et auditionnée. À l'issue de son audition, une convocation en justice lui est délivrée par un agent des douanes. La transaction douanière est désormais possible pour les saisies inférieures à 300 grammes de cocaïne, contre 5 grammes auparavant.

Source : documents transmis au rapporteur par l'Office anti-stupéfiants et par la direction des affaires criminelles et des grâces

Dans le traitement des convoyeurs, les enquêteurs de l'Ofast devaient traiter les procédures concernant les « mules » in corpore.

Parmi les autres mesures administratives, la principale concernait l'interdiction d'embarquement par arrêté préfectoral :

· les mineurs doivent se présenter avec l'un de leurs parents à l'enregistrement, puis auprès du service territorial de la police aux frontières (STPAF) ;

· le STPAF peut refuser l'embarquement d'une personne majeure en cas de doute sur la finalité réelle de son voyage en métropole. Sur la base d'indices concordants - finalité du trajet, destination finale, contenu et type de bagages, modalités d'achat du billet -, un arrêté préfectoral peut interdire de vol une personne pour une durée de trois jours.

Ces mesures, ainsi que le renforcement des moyens et la mise en place de « contrôles à 100 % » à partir du mois de novembre 2022 se sont traduits par une augmentation des no-shows, c'est-à-dire des voyages réservés non effectués.

Le plan de lutte contre les « mules » intégrait enfin la mise en place d'opérations de contrôle de l'argent liquide au retour d'Europe, avec des individus ciblés en coordination avec les douaniers et les policiers en poste dans les aéroports parisiens, par l'intermédiaire de la Cross aéroportuaire. Les constatations sont réalisées par la douane soit au départ d'Orly ou de Roissy, soit à l'arrivée à Cayenne. En l'absence de justification quant à la provenance des fonds en numéraire, ceux-ci sont saisis. À Cayenne, la douane a également déployé une unité cynophile spécialisée dans la recherche d'argent. De fait, cette organisation place le contrôle des flux retours des « mules » sous le seul angle d'une approche douanière, sans considération de la méthode utilisée pour transporter la drogue sur le trajet initial.

b) Le 100 % contrôle, 20 ans après les Pays-Bas

En 2020, la mission d'information du Sénat relative à la lutte contre le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane avait recommandé la réalisation ponctuelle de contrôles approfondis dits « à 100 % » à l'arrivée des vols en provenance de Guyane. Elle s'inspirait ainsi des Pays-Bas, qui avaient déployé une stratégie similaire pour les vols à l'arrivée à Amsterdam et en provenance des îles caribéenne néerlandaises (Curaçao, Aruba) et, surtout, du Suriname.

C'est en grande partie la stratégie néerlandaise qui a conduit à un report du trafic de cocaïne vers la Guyane, une situation sur laquelle l'État a trop longtemps fermé les yeux. La commission d'enquête ne peut que déplorer un tel déni : alors que la lutte contre le narcotrafic suppose de s'adapter au tempo des organisations criminelles, chaque petit décalage peut mettre des années à être comblé. Pourtant, la situation est connue de longue date : les contrôles « à 100 % » ont été mis en place par les douanes néerlandaises en 2003, à la demande du ministère de la justice et de la sécurité331(*). Le déploiement de ces contrôles s'est accompagné du renforcement des moyens techniques à disposition des douanes locales, à l'instar d'un scanner corporel (body-scan), et d'une adaptation des procédures judiciaires.

Cet écart de près de 20 ans entre les Pays-Bas et la France apparaît d'autant plus comme une source d'interrogations que, d'après des documents obtenus par la commission d'enquête, l'organisation d'opérations de contrôle à 100 % avait été approuvée dès le mois de juillet 2018, à l'issue des travaux d'un groupe de travail332(*) consacré au phénomène des « mules »333(*). On ne peut que s'étonner - et s'inquiéter - de l'inertie dont le Gouvernement a fait montre sur ce sujet, puisqu'il a attendu plus de quatre ans avant de passer des intentions aux actes.

Trois contrôles dits « à 100 % » ont eu lieu aux mois de décembre 2020, mai 2022 et juin 2022, avec le strict objectif de mesurer de manière un peu plus objective l'ampleur du phénomène des « mules ». Ils ont permis de montrer que jusqu'à une cinquantaine de passagers d'un même vol, donc environ un tiers voire la moitié des personnes à bord, pouvaient être des passeurs. À raison de deux vols par jour et d'une moyenne d'un kilogramme transporté par personne, 100 kilogrammes de cocaïne traverseraient ainsi quotidiennement l'Atlantique pour rejoindre l'Hexagone.

Ce n'est qu'au mois de novembre 2022 que les contrôles à 100 % ont été systématisés, près de 20 ans après les Pays-Bas pour les vols en provenance du Suriname, et selon une logique inverse de contrôle au départ, et non à l'arrivée. Ces contrôles mobilisent désormais en moyenne 30 policiers, 15 gendarmes mobiles et 5 douaniers334(*) par jour.

Les contrôles à 100 %

Concrètement, les contrôles à 100 % au départ des vols de Cayenne se traduisent par un contrôle approfondi de l'ensemble des passagers d'un même vol : interrogation des passagers (motif du voyage, modalités d'arrivée sur place), passage systématique des bagages en soute et à main au scanner, scanner à ondes millimétriques pour les passagers et palpation des passagers.

Au 31 janvier 2024, les contrôles à 100 % auraient permis d'interpeller plus de 680 « mules », de saisir près d'une tonne de cocaïne et de notifier près de 11 000 arrêtés d'interdiction d'embarquer335(*). Parmi les passeurs interpellés, environ 20 % à 25 % transportaient de la drogue in corpore. Les données détaillées obtenues par le rapporteur336(*), sur une période plus courte allant du mois de novembre 2022 au début du mois d'octobre 2023, témoignent d'une relative stabilité sur les trois indicateurs précités.

Évolution mensuelle des résultats des contrôles à 100 % entre le 1er novembre 2022 et le 30 septembre 2023

Source : commission d'enquête, d'après les données transmises au rapporteur

Cette stabilité pose l'éternelle question en matière de lutte contre le narcotrafic : tend-elle à accréditer l'efficacité des méthodes déployées par l'État pour détecter les passeurs ou ne reflète-t-elle que l'adaptation des narcotrafiquants, qui ont désormais pleinement déployé leurs stratégies de contournement ?

B. ... QUI NE PEUVENT CONDUIRE QU'À DES RÉSULTATS DÉCEVANTS, EN DÉPIT DE L'IMPLICATION DES SERVICES

1. Le succès mitigé des mesures mises en place pour lutter contre le trafic en provenance de Guyane
a) Des mesures administratives et de simplification efficaces, mais une réponse judiciaire limitée

La mise en oeuvre des procédures simplifiées (cf. supra), dont le champ a été étendu aux saisies de cocaïne inférieures à quatre kilogrammes (contre deux kilogrammes avant le mois de juillet 2022), a permis de réduire la pression sur les services répressifs et notamment sur l'Ofast.

Au premier semestre 2022, la simplification des procédures se serait en effet traduite par une diminution de 25 % du nombre de dossiers traités par l'antenne de l'Ofast en Guyane337(*), ce qui aurait permis aux enquêteurs de davantage se focaliser sur les réseaux criminels. La mission d'information du Sénat sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane avait d'ailleurs recommandé, dès 2020, de recentrer l'action de l'Ofast sur le traitement des commanditaires et sur le démantèlement des réseaux. Pour autant, les éléments obtenus en audition tendent à nuancer ce constat, la saturation des services d'enquête étant devenue une réalité tout aussi quotidienne que préoccupante pour les forces de sécurité intérieure positionnées en Guyane.

Les résultats apparaissent bien plus contrastés pour la douane, en dépit de la simplification de la procédure, avec la possibilité de dresser un procès-verbal de saisie jusqu'à quatre kilogrammes. La procédure aménagée s'est tout d'abord traduite par un alourdissement de la charge de travail des douaniers, dont les effectifs sont moins nombreux que ceux des forces de sécurité intérieure - le temps de traitement d'une même personne s'étant paradoxalement allongé. Toutefois, pour ce qui concerne les remises douanières à un service de police judiciaire, la situation se serait améliorée avec l'accroissement des effectifs de l'antenne de l'Ofast à Orly et une prise en charge accrue par le service départemental de police judiciaire du Val-de-Marne. Ce point est positif : pendant longtemps, l'Ofast, en dépit de la compétence qui lui avait été attribuée pour la prise en charge des mules in corpore, refusait de traiter les arrivées à Orly après 18 heures338(*).

Si les services soutiennent que certaines des constatations ont donné lieu à des enquêtes approfondies de l'Ofast pour remonter les filières, il est à craindre que la priorité donnée à la lutte contre l'embolisation ne se fasse au détriment de procédures certes plus longues, mais aussi plus à même d'avoir un effet curatif à long terme. La commission d'enquête ne dispose par ailleurs d'aucune information concernant le taux de recouvrement des transactions douanières, proposées dans le cadre de la procédure aménagée. Ces transactions, qui ont pour effet d'éteindre l'action douanière en contrepartie du paiement d'une somme financière, sont en effet adressées à des populations généralement vulnérables, ce qui pose la question de l'effectivité des sanctions appliquées aux « mules » dans le cadre de la procédure aménagée.

Il ne s'agit ainsi que de mesures palliatives, qui répondent davantage à l'urgence de la situation qu'à un objectif de long terme de démantèlement des filières et de dissuasion des passeurs. Comme l'ont expliqué plusieurs personnes entendues en audition, le trafic en Guyane repose à la fois sur des organisations très structurées et puissantes financièrement, mais aussi sur des petits réseaux plus artisanaux, le faible prix de la cocaïne dans la région permettant à un petit groupe d'individus de se lancer dans le trafic à moindre coût, mais avec une perspective de forte rentabilité.

Ainsi, le groupe de travail sur les mules, qui a rendu ses conclusions au mois de juillet 2018339(*), avait bien recommandé de renforcer les investigations sur les filières et de ne plus systématiser le recours aux comparutions immédiates, qui ne permettent pas d'obtenir du renseignement suffisant. C'est pourtant le choix qui a été fait dans le cadre du plan national de lutte contre les stupéfiants, à rebours de l'objectif de démantèlement des réseaux et d'assainissement de la situation sécuritaire dans le territoire.

b) Une stratégie de « bouclier », mais au profit de qui ?

Les contrôles à 100 % ont indéniablement eu des effets positifs : ils ont envoyé un signal clair quant à la mobilisation de l'ensemble des services de l'État pour lutter contre les organisations qui recourent à des passeurs et ils ont eu un effet dissuasif. L'envoi d'un SMS en amont aux passagers, pour leur demander d'arriver plus tôt pour pouvoir passer les contrôles, conduit à un nombre plus élevé de no-shows.

Pour autant, cette logique du « bouclier » semble davantage tournée vers la protection de la métropole que vers celle des territoires ultramarins, justifiant le sentiment d'abandon des habitants, des élus et des services répressifs.

(1) Des résultats appréciés à l'aune des arrivées de cocaïne sur le territoire métropolitain

Les données transmises par la direction territoriale de la police nationale de Guyane340(*) indiquent que les saisies de cocaïne dans les aéroports d'Orly et de Roissy ont diminué de 58 % entre 2022 et 2023, passant de 526 kilogrammes à 221 kilogrammes, et que le nombre d'interpellations a chuté de 56 % sur la même période, passant de 311 à 138. De même, les services d'enquête soulignent la diminution du nombre de « mules » en partance pour les aéroports parisiens - ou même son « effondrement », pour reprendre le terme employé par Yves Le Clair, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Cayenne341(*).

La commission d'enquête en tire la conclusion que le succès des contrôles à 100 % et des mesures déployées dans le cadre du plan de lutte contre le phénomène des « mules » est apprécié à l'aune de ce qui arrive sur le territoire métropolitain - ou plutôt du ralentissement de ces flux - sans se soucier des effets de report sur la Guyane et les Antilles. Que deviennent ces passeurs ? Comment sont-ils pris en charge ? Dans combien de temps vont-ils recommencer ? Voilà autant de questions auxquelles les indicateurs d'efficacité retenus par le Gouvernement n'apportent aucune réponse, alors même qu'elles ont un impact lourd sur la vie locale.

Cette négligence est d'autant plus inacceptable que la présence du trafic en outre-mer, qu'il parvienne ou non à gagner l'Hexagone, a des conséquences dramatiques sur la sécurité des habitants. En Martinique, on a « régulièrement l'écho de l'existence de hitmen, de tueurs notamment d'origine saint-lucienne qui peuvent être recrutés afin d'exécuter des contrats » et les violences sont « facilitées par l'importante circulation des armes à feu : ces dernières peuvent être destinées à protéger le trafic de stupéfiants ou constituer en elles-mêmes une cargaison à part entière qui sera acheminée en Guadeloupe ou en Martinique, notamment à partir de Sainte-Lucie, qui les reçoit principalement des États-Unis ». Comme en métropole, « le risque de finir sa vie de manière prématurée lors d'un épisode de confrontation violente lié aux trafics de toute nature est totalement intégré par les trafiquants de la zone »342(*). De la même manière, en Guadeloupe, la commissaire Camille Blanc-Tichy, cheffe du service territorial de la police judiciaire, rapportait avoir constaté une très forte augmentation de la circulation des armes à feu (40 armes y ont été saisies en lien avec le narcotrafic en 2023) et rappelait que le taux d'homicide du territoire est sept fois supérieur à la moyenne nationale343(*).

(2) Un déport sur le vecteur maritime et sur les Antilles

Par ailleurs, les mesures mises en place autour de la plateforme aéroportuaire de Cayenne ont immédiatement mené à la mise en place de deux grandes stratégies de contournement par les narcotrafiquants : le report vers le vecteur maritime, notamment depuis le port de Dégrad des Cannes (Guyane), et le passage par les aéroports et les ports des Antilles.

Ainsi, sur les neuf premiers mois de l'année 2022, la gendarmerie nationale a interpellé 48 passeurs à l'aéroport de Pointe-à-Pitre, contre 33 en 2021 (+ 45 %), et saisi 148 kilogrammes de cocaïne, contre 64 en 2021 (+ 131 %)344(*). La direction territoriale de la police nationale de Guadeloupe a confirmé cette évolution en 2023 : alors qu'elle avait interpellé 35 passeurs en 2022, 48 l'ont été en 2023 (+ 38 %)345(*), la majorité ayant ingéré la cocaïne. Ces personnes viennent tant de Guyane que de filières locales d'approvisionnement346(*), très certainement installées en Guadeloupe pour contourner les contrôles mis en place à Cayenne. Deux « mules » in corpore sont décédées par overdose en 2023.

En audition, la direction interrégionale des douanes Antilles-Guyane a confirmé avoir constaté la même évolution, à laquelle s'ajoute l'arrivée de mules depuis la métropole et la structuration de nouveaux réseaux, nigérians notamment : lors de son audition, Alexandre Huguet, chef de l'antenne de l'Ofast Caraïbes, soulignait ainsi que « les réseaux nigérians envoient de plus en plus directement des ressortissants nigérians en possession de passeports espagnols, italiens ou allemands de Paris vers la Guadeloupe ou la Martinique »347(*). Deux contrôles à 100 % ont été expérimentés au départ de Fort-de-France : résultat, environ une dizaine de passeurs ont été interpellés, sur un total de 150 passagers348(*).

Par ailleurs, faute de disposer des moyens nécessaires, il est à craindre que les services d'enquête et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) ne puissent pleinement se montrer proactifs quant à l'identification des voies de contournement empruntées par les organisations criminelles. La mise en place de deux Cross nationales thématiques dédiées au portuaire et à l'aéroportuaire ne peut suffire à pallier l'absence de moyens dédiés au plus près du terrain.

2. Une implication sans faille des services, mais des moyens techniques qui tardent à être mis en oeuvre

Face à tant de contraintes, l'implication des forces de sécurité intérieure, des douaniers et de l'autorité judiciaire dans les territoires d'outre-mer ne peut être que soulignée et saluée par la commission d'enquête.

Dans l'affrontement asymétrique qui oppose les services régaliens aux narcotrafiquants, ces derniers ont parfaitement su tirer profit de la capacité d'action limitée des forces de sécurité intérieure, des douanes et de l'autorité judiciaire, qui manquent tant de renforts humains que de moyens techniques. En enregistrant plusieurs dizaines de convoyeurs par vol, ils s'engagent dans une stratégie de saturation des services, embolisés après la prise en charge de quelques personnes seulement.

Comme l'expliquait Camille Blanc-Tichy, cheffe du service territorial de la police judiciaire de Guadeloupe : « C'est également chronophage pour les services de la voie publique de la police nationale. En effet, il faut garder ces mules, qui doivent garder les personnes concernées à l'hôpital parfois six à dix jours en attendant l'expulsion des boulettes de cocaïne, limitant la présence de la police sur la voie publique puisque les effectifs sont à l'hôpital pour assurer la garde des mules. Deux overdoses de mules sont survenues cette année en Guadeloupe ; il n'y en avait pas eu en 2022. Cette situation oblige les services publics à se réunir autour de cette problématique, non seulement avec le tribunal judiciaire et les douanes, mais également avec l'hôpital, pour qui il s'agit d'une problématique nouvelle à gérer »349(*).

Sans aucune préoccupation pour ces passeurs, rangés dans la catégorie des « pertes acceptables », les organisations criminelles savent que pour une personne arrêtée, plusieurs vont pouvoir passer.

Les interdictions de vol, les procédures simplifiées et les contrôles à 100 % visent bien à diminuer ce taux de saturation, mais certainement pas à le faire revenir à la normale. Le ministère de la justice semblait partager ce constat : dans une circulaire du 29 septembre 2022, la DACG reconnaissait que « l'effort de judiciarisation de ces situations [impliquait] un nécessaire renforcement des moyens techniques et capacitaires de l'ensemble des échelons de la chaîne de traitement, de la détection à l'application d'un régime de contrainte le temps des investigations »350(*). Un nouveau - énième - groupe de travail devait être dédié à cette question au second semestre 2022. Il n'a formellement été lancé que le 7 décembre de cette même année, et ses résultats restent inconnus à ce jour.

Quelques mois plus tard, dans une note spécialement dédiée au traitement judiciaire de la problématique des « mules » et datée du 23 juillet 2023, la DACG soulignait que « les structures créées au sein de l'Ofast (antennes de Roissy, Orly et Cayenne) sont submergées par le traitement des procédures des passeurs et n'ont pas le temps de se consacrer au démantèlement des réseaux »351(*). Le Sénat avait alerté sur ce point dès 2020, dans le cadre de la mission d'information précitée relative au trafic de stupéfiants en provenance de Guyane. Rien n'a donc changé en quatre ans, en dépit du lancement du plan national de lutte contre les stupéfiants.

?

Au final, la commission d'enquête ne peut que s'interroger sur la stratégie déployée par l'État dans les territoires d'outre-mer, et en particulier en Guyane et dans les Antilles. Inefficace, elle apparaît également contestable dans son éthique et dans ce qui constitue la base de son déploiement : doit-on accepter que la priorité du Gouvernement soit d'éviter que les stupéfiants sortent des outre-mer pour gagner l'Europe, sans aucune considération pour les enjeux soulevés par l'entrée de ces produits dans les territoires ultramarins ? Peut-on accepter d'exposer ainsi nos concitoyens ultramarins ? La commission d'enquête le refuse et proposera en ce sens plusieurs évolutions pour, qu'enfin, la problématique du narcotrafic dans les territoires ultramarins soit traitée à son juste niveau.

III. DES SERVICES RÉPRESSIFS MOBILISÉS ET PLEINEMENT INVESTIS DANS LEUR MISSION, MAIS NÉGLIGÉS ET SOUS-DOTÉS

Au cours de leurs travaux, les membres de la commission d'enquête ont été frappés par la solidarité « de terrain » qui s'est nouée entre les services d'enquête et les magistrats. Chacun a tenu à saluer la grande implication des personnels mobilisés au quotidien par la lutte contre le narcotrafic, en dépit de moyens insuffisants pour répondre au « tsunami blanc » qui s'abat sur la France. Au-delà du manque de moyens criant dans les outre-mer, précédemment évoqué, les travaux menés par la commission d'enquête laissent deviner des services significativement sous-dotés, à un moment pourtant charnière de la lutte contre le narcotrafic.

A. DES SERVICES D'ENQUÊTE DÉMUNIS

Comme l'ont souligné les représentants de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), « la nécessité d'augmenter les moyens personnels, techniques et procéduraux ne concerne [...] pas seulement les autorités judiciaires », elle concerne également les services d'enquête352(*).

1. Des moyens humains et techniques qui font défaut pour mener des enquêtes complexes
a) Police et gendarmerie, un manque de moyens qui obère les capacités d'enquête
(1) Des effectifs encore sous-dimensionnés

Tout en saluant l'augmentation des effectifs constatée depuis plusieurs années dans les forces de sécurité intérieure, les policiers et les gendarmes entendus par la commission d'enquête ont souligné que ces renforts humains n'étaient pas en adéquation avec le niveau du narcotrafic, un fléau désormais présent dans l'ensemble des territoires, y compris les plus ruraux d'entre eux. Les villes qui ne sont pas des « capitales régionales » apparaissent particulièrement sous-dotées pour répondre à la menace353(*). En plus d'un déficit d'effectifs « en volume », elles souffrent d'une répartition inégalitaire des compétences sur le territoire, avec parfois seulement une dizaine d'enquêteurs spécialisés dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, sur des centaines de policiers.

Autre exemple, au niveau des compagnies de gendarmerie départementale, dont les missions sont généralistes, le nombre de militaires est insuffisant pour les affecter en nombre suffisant à un champ infractionnel spécifique. Certaines unités ont ainsi fait le choix, comme à Saint-Quentin, de créer des groupes spécialisés, mais sous le plafond des effectifs existants et au détriment des effectifs affectés aux autres missions354(*).

Enfin, de nombreux magistrats entendus par la commission d'enquête ont regretté que les services enquêteurs ne soient pas suffisamment dotés pour mener de front démantèlement des filières de trafic de stupéfiants et démantèlement des circuits de blanchiment. Au-delà d'un problème d'organisation, sur lequel le rapporteur reviendra ci-après, cette situation pose la question des moyens disponibles et de la formation des effectifs.

(2) L'impératif de maintenir des services « à l'état de l'art »

Face à des trafiquants de plus en plus ingénieux et qui ont parfaitement su se saisir de toutes les opportunités offertes par les nouvelles technologies, il est impératif que les services d'enquête soient constamment en mesure de s'adapter et de combler leur retard technologique. Or, la commission d'enquête a pu constater que ce n'était pas le cas, les services ne disposant pas des moyens nécessaires, que ces moyens soient humains ou techniques. Plus agiles, ingénieux et tirant pleinement profit de réseaux cryptés initialement développés pour protéger la vie privée de leurs utilisateurs, les trafiquants se jouent des investigations, même si quelques belles réussites doivent être notées.

Une illustration : l'affaire « uber coke » du parquet de Bayonne

« Une enquête menée par l'antenne de l'Ofast de Bayonne a permis d'identifier deux individus envoyés dans le Pays basque par un réseau criminel pour y revendre de la cocaïne, avec des prises de commande sur des réseaux cryptés. Ils avaient développé une véritable stratégie commerciale, avec des promotions, des prix dégressifs et des cartes de fidélité. La commande sur réseau crypté suscitait de surcroît un certain sentiment d'impunité parmi les clients.

« Établir la réalité du trafic a nécessité d'importants moyens d'enquête : surveillance physique, exploitation des données téléphoniques (géolocalisation, écoute) et auditions de nombreux usagers. La phase d'enquête a duré 16 mois.

« En dépit de ce succès, les parties prenantes n'ont pas manqué de souligner que la réponse apportée à ce nouveau vecteur d'écoulement des produits stupéfiants était insatisfaisante, les services d'enquête n'étant pas en capacité d'infiltrer directement les réseaux cryptés. La raison tenait moins au cadre juridique, l'enquête sous pseudonyme et les ``coups d'achat'' étant autorisés, qu'à des obstacles techniques et à un déficit de compétences informatiques. »

Source : réponse du parquet de Bayonne au questionnaire du rapporteur

Outre l'absence d'outils pour accéder aux réseaux cryptés, sont également cités les obstacles que représentent le manque de moyens d'observation - par exemple des véhicules de surveillance discrète - ou encore la limitation matérielle du déploiement des techniques spéciales d'enquête en matière de lutte contre la criminalité organisée, sous la direction du parquet ou d'un juge d'instruction355(*).

Plus généralement, s'agissant des moyens d'investigation plus poussés, la commission d'enquête a constaté un décalage significatif entre le discours du ministère de l'intérieur - qui affirme qu'il n'y a pas de problème « capacitaire » pour la mise à disposition de balises, d'IMSI catcher356(*) ou encore de key-loggers357(*) - et la réalité du terrain décrite par les services, en particulier au sein de la police nationale dont les effectifs ne peuvent pas recourir autant qu'ils le souhaiteraient à ces techniques spéciales d'enquête, pourtant cruciales pour les dossiers les plus complexes.

Les capacités de « piégeage » par key-logger sont mises en oeuvre par le service technique national de captation judiciaire (SNTCJ) de la DGSI, et les autres techniques (sonorisation et captation vidéo, IMSI catcher) par le service interministériel d'assistance technique (Siat) de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) du ministère de l'intérieur, sur un modèle qui est donc celui de la centralisation des moyens. Sans remettre en cause cette centralisation, qui peut se justifier pour des raisons techniques ainsi que par la nécessaire confidentialité attachée à l'usage de ces technologies, on ne peut que regretter que certains services estiment ne pas y avoir suffisamment accès.

Le constat du manque de moyens est particulièrement frappant pour les IMSI catcher, dispositif clé pour intercepter les communications téléphoniques. La commission d'enquête a été très étonnée d'apprendre que l'antenne de l'Ofast à Lyon ne disposait pas d'IMSI catcher, et que seules la police judiciaire de Paris et celle de Marseille en avaient à disposition à proximité358(*). Si un appareil devrait être livré d'ici la fin de l'année, cela implique dans l'attente que les services fassent venir le matériel depuis Paris, suscitant d'importantes contraintes logistiques.

De même, les forces de l'ordre, police et gendarmerie confondues, ne disposent d'aucun IMSI catcher dans la zone Antilles-Guyane.

Enfin, la majorité des représentants de services de gendarmerie et de police entendus par la commission d'enquête a souligné la nécessité de poursuivre la formation des personnels, en particulier aux techniques spéciales d'enquête, à la direction d'enquêtes complexes et au volet financier et patrimonial des investigations. La formation constitue également un gage de sécurité juridique, en particulier dans le maniement de certaines procédures telles que le recours aux informateurs.

b) L'absence de réponse au déficit d'attractivité de la filière investigation, une inquiétude pour l'avenir
(1) Un manque d'appétence pour faire du judiciaire

Les services de gendarmerie et de la police nationale ont dans leur grande majorité fait état d'une évolution inquiétante dans leurs rangs : celle de la désaffection croissante pour les filières « investigation », pourtant capitales pour démanteler les réseaux de trafic de stupéfiants. Cette désaffectation se traduit par un engorgement des procédures, qui en retour soulève des difficultés opérationnelles. En effet, comme le relevaient Nadine Bellurot et Jérôme Durain dans leur récent rapport sur la réforme de la police nationale, l'engorgement des procédures se traduit par « un nombre de dossiers par enquêteur [...] totalement déraisonnable pour permettre une conduite sereine des enquêtes »359(*).

Les magistrats entendus par la commission d'enquête s'inquiètent eux aussi, pour citer les termes de l'un d'entre eux360(*), du manque d'appétence des policiers pour faire du judiciaire, face à des avocats qui se saisissent de toutes les opportunités pour attaquer la procédure.

Le constat est donc celui de la désaffectation de la filière investigation, avec pour principales raisons avancées la complexité croissante de la procédure pénale et l'insécurité juridique qui en résulte. La commission d'enquête ne peut que regretter de devoir réitérer un état de fait connu depuis plusieurs années361(*), mais que le Gouvernement n'a pas su ou n'a pas voulu prendre en compte.

(2) Un déficit d'attractivité que la réforme de la police judiciaire pourrait aggraver

La réforme de la police judiciaire ne semble pas avoir permis d'apporter une première réponse à ce déficit d'attractivité.

D'abord, parce qu'elle laisse l'impression de prioriser le maintien de l'ordre et la lutte contre la délinquance du quotidien aux investigations de plus long terme, qui immobilisent nécessairement un nombre conséquent d'enquêteurs. Sur le terrain, plusieurs magistrats ont ainsi l'impression que, au quotidien, la mutualisation des services a provoqué une diminution des effectifs spécialisés les plus aptes à traiter des enquêtes de criminalité organisée.

Ensuite, parce que la mutualisation a pu donner l'impression à certains enquêteurs spécialisés de voir leurs compétences très spécifiques être « diluées » dans la réforme, au détriment des dossiers les plus complexes, qui supposent de disposer d'enquêteurs spécialisés.

Enfin, parce que le choix du département comme échelle de cette mutualisation a pu paraître surprenant et mal adapté à la lutte contre la criminalité organisée, face à des organisations qui disposent d'un ancrage national voire international.

Pour autant, et ainsi que l'avait rappelé la commission des lois du Sénat362(*), cette réforme, bien que très mal menée par le ministère de l'intérieur, aurait pu se révéler source de gains potentiels, tels qu'une meilleure compréhension de la délinquance locale, un décloisonnement des services (judiciaires et voie publique) et une meilleure circulation du renseignement, un aspect essentiel dans la lutte contre le narcotrafic. En l'état, il n'est pas sûr que cet objectif puisse être atteint, faute de respect des conditions de réussite qui avaient été posées par le Sénat comme par les inspections363(*). Subsistent en effet des inquiétudes sur la lutte contre la criminalité organisée, en l'absence de garanties données sur les moyens qui y seront dédiés (effectifs, techniques spéciales d'enquête, révision de la doctrine).

Les remontées de terrain dont dispose la commission d'enquête indiquent, de surcroît, que le Gouvernement n'a toujours pas su répondre aux inquiétudes des enquêteurs et des magistrats, et qu'il semble avoir une nouvelle fois oublié que réformer sans concerter et sans tenir compte des besoins du terrain n'est jamais gage d'une bonne politique publique.

2. Un cadre juridique source d'insécurité juridique et d'entrave pour les services d'enquête

Le courage des membres des forces de sécurité intérieure, en première ligne contre le trafic de stupéfiants, ne peut qu'être salué par les membres de la commission d'enquête. Pour autant, ces derniers ont été frappés de constater, lors des auditions comme des déplacements, qu'outre leur intégrité physique, une grande partie de ces hommes et femmes engagés quotidiennement sur le terrain s'inquiétaient de leur sécurité juridique. La direction de la sécurité publique de Marseille a résumé cette problématique en faisant état de leur difficulté majeure de laisser agir des personnels très engagés tout en les appelant à se ménager pour ne pas qu'ils se mettent en danger physiquement, mais aussi administrativement et judiciairement.

Trois éléments sont cités comme constituant des sources d'insécurité juridique ou d'entrave à l'action des policiers et des gendarmes : le recours aux sources, le statut des repentis et les enquêtes sous pseudonyme, en parallèle des « coups d'achat ».

a) La gestion des sources

Le renseignement humain demeure la clé de voûte des investigations menées en matière de trafics de stupéfiants et, plus généralement, de criminalité organisée. Les moyens sophistiqués dont disposent les têtes de réseaux pour se protéger tout comme la division des tâches entre organisations criminelles rendent indispensables l'obtention d'informations par le biais de sources internes, pour arriver à remonter les réseaux et à les connecter entre eux.

Le traitement de ces renseignements a donc fait l'objet d'un encadrement progressif en quête d'un équilibre entre, d'une part, l'objectif de recherche, de constatation et de poursuite des infractions pénales et, d'autre part, le droit à une procédure pénale équitable qui préserve l'égalité des armes entre les parties.

Le régime juridique des informateurs

Les informateurs bénéficient de la protection de leur anonymat. Ils ne peuvent disposer d'aucune exonération de responsabilité pénale à l'occasion de leur activité de renseignement et ne peuvent donc pas se rendre complices de l'infraction qu'ils dénoncent. Toutefois, aux termes de l'article 721-3 du code de procédure pénale, « une réduction de peine exceptionnelle, dont le quantum peut aller jusqu'au tiers de la peine prononcée, peut être accordée aux condamnés dont les déclarations faites à l'autorité administrative ou judiciaire antérieurement ou postérieurement à leur condamnation ont permis de faire cesser ou d'éviter la commission d'une infraction aux articles 706-73, 706-73-1 et 706-74. » Cet article apparaît toutefois encore très peu utilisé par les magistrats, au détriment de la faculté à recruter de nouvelles sources.

La rémunération des informateurs est prévue à l'article 15-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité. Il dispose que « les services de police et de gendarmerie ainsi que les agents des douanes habilités à effectuer des enquêtes judiciaires en application de l'article 28-1 du code de procédure pénale peuvent rétribuer toute personne étrangère aux administrations publiques qui leur a fourni des renseignements ayant amené directement soit la découverte de crimes ou de délits, soit l'identification des auteurs de crimes ou de délits. »

Source : réponses du service interministériel d'assistance technique au questionnaire du rapporteur

La gestion des sources s'est, tout d'abord, nettement professionnalisée ces dernières années. Cette évolution ne peut être que positive, notamment pour éviter de fragiliser la procédure pénale et donc le traitement judiciaire du dossier.

Les dispositions législatives (cf. supra, encadré) ont été accompagnées par l'élaboration d'une charte du traitement des informateurs en 2012, qui comporte des instructions plus précises et qui a été mise à jour en 2019. Elle doit permettre de prévenir certaines difficultés ou comportements litigieux qui ont pu être observés par le passé, à défaut d'un encadrement suffisant en droit.

La charte des informateurs

Les informateurs doivent être immatriculés dans le fichier central de traitement des sources (FCTS), dont l'architecture garantit que l'identité de l'informateur est seulement accessible au traitant, au contrôleur et au superviseur. Préalablement à son enregistrement, un informateur doit avoir fait l'objet d'une évaluation collégiale, qui prend en compte son potentiel mais aussi les risques qui peuvent venir de la collaboration.

La gestion d'une source implique en effet cinq profils :

· l'autorité hiérarchique, responsable de l'effectivité de la mise en oeuvre des prescriptions de la charte et du contrôle de leur respect ;

· le superviseur, qui exerce un commandement opérationnel. Il supervise et s'assure du contrôle de l'activité des traitants dans la gestion des sources. Il est également le garant de leur formation ;

· la personne ressource, qui assiste administrativement le superviseur. Elle dispose d'un droit de consultation des comptes des traitants ainsi que des fiches informateurs et des rémunérations de son département ;

· le contrôleur, désigné par l'autorité hiérarchique. Il exerce un commandement direct sur les traitants et suit au quotidien l'activité de gestion des sources. Il donne un avis pour tout enregistrement du traitant, toute immatriculation d'une source et toute proposition de rémunération de l'informateur ;

· le traitant, qui désigne le personnel actif qui entretient, dans le cadre de ses missions, des relations avec l'informateur aux fins de recueillir du renseignement à finalité judiciaire. Chaque informateur est obligatoirement géré par deux co-traitants et les rendez-vous avec l'informateur sont assurés en présence d'un autre personnel de police, sauf dérogation octroyée par le contrôleur, la personne ressource ou le superviseur. Le traitant doit établir une note d'information pour tout renseignement opérationnel recueilli auprès de l'informateur ainsi que pour toute proposition émanant de l'informateur.

Lorsqu'il est mis fin à une relation entre une source et son traitant, la radiation doit être enregistrée dans le FCTS. La radiation est obligatoire mais non définitive, la source pouvant être réactivée. Sont ainsi distinguées les radiations « simples », qui correspondent à des mises en sommeil de la source, et les demandes d'inscription sur « liste noire », pour des individus dont le comportement peut porter gravement atteinte au service et/ou à la sécurité du traitant.

Source : direction centrale de la sécurité publique, « Note du directeur ayant pour objet la révision de la charge du traitement des informateurs en matière de police judiciaire », 21 décembre 2019

Le bureau central des sources du service interministériel d'assistance technique (Siat) est chargé du contrôle interne de la police nationale dans le domaine des informateurs judiciaires. Il procède à leur immatriculation, instruit les demandes de rémunération et assure la coordination avec la gendarmerie nationale et les douanes.

Surtout, et une fois encore, la formation est essentielle. À Marseille, l'accent a été mis sur la démocratisation de la formation à la gestion des sources, au-delà des filières investigation. Les effectifs des brigades anticriminalité (BAC) peuvent ainsi s'y inscrire, ce qui contribue à les sécuriser. En conséquence, de plus en plus de sources sont enregistrées dans le fichier dédié, y compris sur des affaires de plus petite ampleur.

Pour autant, ce cadre n'est pas exempt de critiques. Plusieurs personnes entendues par la commission d'enquête, dont le chef du Siat, ont insisté sur le fait qu'en l'absence d'un cadre juridique plus rigoureux, par exemple la définition d'un statut des traitants dans le code de procédure pénale, la gestion des sources humaines par les services d'investigation demeurait une activité comportant des risques de fragilité juridique pour les enquêtes et pour les traitants. Ces derniers craignent en particulier la provocation à l'infraction et leur mise en cause pour complicité de trafic de stupéfiants par exemple. Ainsi que le résume la préfecture de police de Paris : « beaucoup de policiers considèrent donc que le recrutement d'un informateur signe le début des ennuis »364(*). Dans les faits, cette situation se traduit par une diminution du nombre de traitants.

Les écueils de la gestion des sources et les risques juridiques encourus par les enquêteurs

Si les traitants laissent trop de marge de manoeuvre à leur informateur, ils encourent le risque que soit mise en cause non seulement la responsabilité pénale de leur source, mais aussi la leur, en tant que complices ou commanditaires.

Les traitants doivent donc veiller à ce que leur source ne s'engage pas de manière active dans le trafic qu'elle est censée éclairer, et ce pour éviter deux écueils :

1° la provocation à l'infraction, en laissant par exemple l'informateur acheter du produit à des trafiquants présumés ;

2° la complicité active de l'informateur, par exemple dans le transport des stupéfiants, la mise à disposition de moyens de transport ou de stockage ou encore la circulation de l'argent.

Source : réponse de la direction générale de la police nationale au questionnaire du rapporteur

b) Les enquêtes sous pseudonyme et les « coups d'achat »

Les enquêtes sous pseudonyme sont prévues aux articles 706-32 du code de procédure pénale et 67 bis-1 du code des douanes. Autorisée par le procureur de la République, cette technique permet aux officiers de police judiciaire et aux agents des douanes, spécialement habilités à cet effet, d'acquérir des marchandises prohibées (ce qu'on appelle des « coups d'achat ») ou de fournir des moyens juridiques, financiers ou logistiques à des personnes en vue de cette acquisition.

De telles enquêtes se heurtent, elles aussi, à des limites inhérentes à leur cadre juridique, notamment dans le cadre de la lutte contre le phénomène « Uber shit » ou « Uber coke ». Si un enquêteur, dûment habilité à cet effet, peut se faire passer pour un acheteur et acquérir un produit illicite sur un réseau social quand un autre utilisateur le propose, il ne peut ensuite que procéder à la transaction à laquelle a mené cet échange (donc à un achat ponctuel) et arrêter le vendeur et/ou le livreur sur place, au moment de la livraison. En d'autres termes, il ne peut pas décider de surseoir à cette arrestation pour s'engager dans une enquête de plus grande ampleur lui permettant d'identifier non plus seulement le livreur ou le vendeur, mais les lieux de stockage, les modes opératoires du réseau, etc., et in fine les donneurs d'ordre ou les logisticiens.

La cheffe de l'antenne de l'Ofast à Marseille, Olivia Glajzer, a ainsi souligné l'impossibilité pour les enquêteurs de tenter de remonter un peu plus haut dans la filière en procédant à plusieurs transactions. D'autres pays se montrent en effet plus souples sur ce point et c'est également possible, en France, dans le cadre des livraisons surveillées.

Les livraisons surveillées

En matière judiciaire, la livraison surveillée est prévue par l'article 706-80-1 du code de procédure pénale. Elle correspond à la possibilité pour un officier de police judiciaire, sur autorisation de l'autorité judiciaire, de solliciter, dans le cadre d'une surveillance, de tout fonctionnaire ou agent public de ne pas procéder au contrôle et à l'interpellation d'individus ciblés par une enquête en matière de criminalité organisée, et notamment de trafic de stupéfiants. Cette demande peut aussi être formulée auprès d'une autorité étrangère dans le cadre des livraisons surveillées internationales, qui requièrent une demande d'entraide pénale internationale.

La livraison surveillée peut être complétée par une opération de substitution de la marchandise, réalisée dans un port ou dans un aéroport par exemple.

Source : réponse de l'Office antistupéfiants au questionnaire du rapporteur

Par ailleurs, la question de la provocation, facteur d'insécurité pour les enquêteurs dans la gestion de leurs sources, se pose également pour les enquêtes sous pseudonyme. Les enquêteurs ont en effet l'interdiction stricte d'inciter à la commission d'infraction, sans que le code de procédure pénale ne définisse ce que recouvre précisément une telle « incitation », laissant les enquêteurs dans un flou artistique qui n'engage pas à l'action.

De manière connexe, la plupart des services d'enquêtes sollicités par la commission d'enquête ont de fait regretté l'impossibilité, en droit français, de procéder à des infiltrations « civiles », c'est-à-dire à des infiltrations d'informateurs. Ce point distingue la France de nombreux pays partenaires.

Le cadre juridique et opérationnel des infiltrations

Aux termes des articles 706-81 du code de procédure pénale et 67 bis du code des douanes, une infiltration consiste, pour un agent infiltré, à se faire passer auprès des personnes visées par une enquête judiciaire ou douanière comme un de leurs coauteurs, complices ou receleurs. Les agents infiltrés et les personnes requises dans le cadre de l'infiltration bénéficient d'une exonération de responsabilité pénale encadrée par les articles 706-82 du code de procédure pénale et 67 bis du code des douanes.

Le bureau de techniques d'enquête du Siat dispose du monopole de la formation des agents infiltrés et de la mise en oeuvre des opérations d'infiltrations judiciaires et douanières. Il est saisi par l'autorité judiciaire pour procéder à l'infiltration. Entre 2019 et 2023, neuf opérations d'infiltration ont été conduites dans le cadre d'enquêtes sur des trafics de stupéfiants, pour quatre ayant produit un résultat et 15 interpellations. À ces opérations s'ajoutent celles conduites en matière de blanchiment, six opérations sur la même période, dont trois ayant produit des résultats et 20 interpellations.

Source : réponses écrites du service interministériel d'assistance technique au questionnaire du rapporteur

Le cadre juridique régissant les infiltrations fait l'objet de deux critiques, en plus de celle relative à l'impossibilité de procéder à des infiltrations « civiles ». D'une part, il existe un vide juridique quant au traitement des sources humaines dans le cadre d'une opération d'infiltration : la loi est muette sur la manière dont un infiltré peut interagir avec ceux qui le croient leur complice, leur client ou leur associé. Au regard de la sensibilité des enjeux, ce vide n'est pas facteur de souplesse mais source d'insécurité juridique, et limite de fait les actions entreprises par les services d'enquête. D'autre part, le caractère trop strict de la prohibition de toute provocation à l'infraction dans le cadre des opérations d'infiltration est également souligné par les services d'enquête et par une partie des magistrats, qui pointent l'impossibilité pour les infiltrés de se contenter d'assister passivement à la préparation d'une infraction tout en conservant leur crédibilité auprès des membres du réseau qu'ils doivent mettre au jour.

c) Le statut des collaborateurs de justice, les « repentis »

L'apport des collaborateurs de justice aux enquêtes menées en matière de criminalité organisée a été démontré en Italie et aux États-Unis dès les années 1970, dans le cadre des opérations de lutte contre les mafias et les groupes criminels. En France, il a fallu atteindre la loi du 9 mars 2004 dite « Perben II »365(*) pour qu'un régime soit expressément prévu à destination des collaborateurs de justice, plus communément désignés sous le terme de « repentis ». Il a fallu attendre dix ans supplémentaires pour que le décret d'application366(*) soit enfin publié et que le dispositif de protection et de réinsertion entre réellement en vigueur, au mois de mars 2014.

La prise en charge des collaborateurs de justice

Commission administrative présidée par un magistrat, la commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR) décide des mesures de protection et de réinsertion octroyées aux collaborateurs de justice et à leur proche. Elle se compose d'un magistrat exerçant ou ayant exercé au sein d'une juridiction interrégionale spécialisée (Jirs), d'un magistrat représentant la direction des affaires criminelles et des grâces, d'un représentant de la direction générale de la police nationale, d'un représentant de la direction de la gendarmerie nationale et d'un représentant du ministre chargé des douanes. Le Siat, chargé du secrétariat permanent de la commission et de la mise en oeuvre des mesures, y dispose d'un représentant, mais avec une voix consultative seulement.

Toutes les juridictions ont la faculté de saisir la CNPR mais, au regard des infractions visées et de la complexité des affaires, les Jirs apparaissent comme les premières « utilisatrices ». La mise en oeuvre du dispositif de protection et de réinsertion des collaborateurs de justice est limitée aux cas 1° où le témoignage du repenti revêt une importance particulière pour la manifestation de la vérité ; 2° où la réalité de la menace à l'encontre de la personne qui demande à bénéficier du programme est avérée ; 3° aux individus évalués aptes à supporter le programme et le changement de vie qu'il induit, pour eux et pour leurs proches. Ces conditions sont cumulatives.

L'instruction du dossier est opérée par le Siat, qui expose les faits devant la CNPR et formule un avis sur l'utilité et la faisabilité des mesures de protection et de réinsertion envisageables (identité d'emprunt, relocalisation du repenti et de ses proches, protection physique en milieu carcéral, mise en place d'un suivi psychologique, scolarisation des enfants, formation professionnelle, etc.), accompagné d'une évaluation du coût et de la durée de mise en oeuvre. La CNPR prend la décision de mettre en oeuvre le programme de réinsertion et de protection et en définit ensuite le contenu et fixe les obligations que doivent respecter les personnes concernées. Il revient ensuite au bureau de protection et de réinsertion du Siat de mettre en oeuvre les programmes.

La CNPR peut à tout moment modifier, suspendre ou mettre fin aux mesures de protection et de réinsertion accordées (évolution des risques pesant sur le bénéficiaire et ses proches, violation des conditions et modalités de mise en oeuvre du programme).

À noter, le dispositif a été élargi aux victimes de la traite des êtres humains en 2015 et aux témoins menacés en 2016.

Source : direction des affaires criminelles et des grâces, dépêche du 24 octobre 2014 relative à la mise en oeuvre du dispositif de protection et de réinsertion des collaborateurs de justice ; réponses écrites du service interministériel d'assistance technique au questionnaire du rapporteur

Dix ans après la mise en oeuvre effective du dispositif de protection et de réinsertion, la commission d'enquête a considéré qu'il était temps d'en tirer un premier bilan, qui démontre tout l'intérêt du dispositif mais aussi toutes les marges d'amélioration qui subsistent.

La commission relève tout d'abord que le retard pris dans l'application du dispositif s'est avéré dommageable pour la lutte contre la criminalité organisée en général, et contre le trafic de stupéfiants en particulier, alors que le dispositif des « repentis » est absolument primordial pour parvenir à obtenir des informations sur ces réseaux et à les enrayer. Bruno Sturlese, président de la CNPR de 2017 à 2023, souligne ainsi que les collaborateurs de justice sont l'arme par excellence pour s'attaquer aux filières du narcotrafic et que le narcotrafic est le spectre naturel et privilégié pour l'intervention du collaborateur de justice367(*). Plus de trois quarts des programmes validés par la CNPR procèdent ainsi d'enquêtes ayant visé des groupes criminels impliqués dans le trafic de stupéfiants.

Deux affaires jugées en 2023 ont témoigné de l'importance des collaborateurs de justice : l'une, jugée à Lille, a conduit au prononcé d'une peine de neuf ans de détention à l'encontre du principal organisateur d'une opération d'importation de cocaïne ; l'autre, à Lyon, a conduit à des peines de 18 ans à 25 ans de réclusion criminelle à l'encontre du commanditaire et des auteurs d'un homicide commis à l'arme de guerre sur fond de rivalités entre trafiquants locaux.

Le retard de mise en place et les règles complexes de fonctionnement de la CNPR ont par ailleurs pu conduire certains magistrats à se montrer réticents à recourir à ce dispositif, qui a pourtant fait ses preuves. Ces blocages sont toutefois en train d'être levés. En audition, le président de la CNPR368(*) a confirmé que les missions d'évaluation confiées au Siat étaient en hausse, tout comme le nombre de programmes validés et le nombre de personnes impliquées dans le dispositif.

Si l'accélération est très nette depuis deux ans, il n'en demeure pas moins que l'utilisation du dispositif est encore inférieure aux projections, et inférieure au recours qui peut en être fait à l'étranger. De même, l'extension aux témoins menacés n'a pas conduit à une hausse significative du recours au dispositif, ce qui est particulièrement problématique dans un contexte où de plus en plus de personnes ont peur de témoigner contre les narcotrafiquants.

La réponse n'est pas à rechercher du côté des moyens budgétaires : le financement apporté par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) est supérieur à la consommation effective des crédits369(*).

Les limites tiennent plutôt au champ infractionnel - qui exclut notamment les « crimes de sang » et l'association de malfaiteurs - aux différences « culturelles » entre les approches judiciaire et administrative, à la relative opacité quant au fonctionnement du Siat et de la CNPR ainsi qu'enfin, pour les candidats, au manque d'« attractivité pénale ». Si les « repentis » cherchent à se protéger physiquement, ils peuvent aussi vouloir bénéficier d'une certaine indulgence pénale. Sans aller jusqu'à l'exemption systématique de peine, le fait que plusieurs collaborateurs de justice aient été condamnés à des peines identiques voire plus lourdes que celles prononcées contre les têtes de réseaux n'est pas sans susciter un certain étonnement.

3. La douane, des effectifs limités sur les missions de contrôle et des équipements techniques toujours en attente

Administration de la frontière et de la marchandise, les douanes se situent en première ligne pour intervenir sur deux caractéristiques du narcotrafic370(*) : sa matérialité, les marchandises illicites, et sa territorialité, le franchissement de frontières et l'exploitation de la porosité des plateformes logistiques. La douane intervient aujourd'hui, en partenariat avec les forces de sécurité intérieure, sur l'ensemble des vecteurs d'entrée des stupéfiants sur le territoire : maritime, aérien, terrestre, postal et numérique371(*).

Les moyens juridiques des douanes devraient, selon les annonces du ministre de l'intérieur et des outre-mer au cours de son audition du 10 avril 2024372(*), être prochainement consolidés grâce à un contrôle plus efficace des précurseurs chimiques pouvant être utilisés pour la production de drogues de synthèse, en inversant la logique actuelle (selon laquelle tout produit qui n'est pas interdit est licite) pour garantir la saisie de tous les produits qui ne sont pas expressément autorisés : la commission d'enquête s'en félicite et souhaite que cette évolution, indispensable, intervienne dès que possible.

Pour autant, elle constate que, à l'inverse des moyens juridiques, les moyens humains et techniques des douanes ne sont pas au niveau de la menace.

a) Des moyens humains à consolider

Les effectifs de la douane sont classés selon deux branches : la branche « surveillance » (SU) et la branche « opérations commerciales et administration générale » (AG/CO). Les agents de ces deux branches sont amenés à intervenir dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, qui mobilise l'ensemble des services de la surveillance - brigades de contrôle par exemple - ainsi que les agents des bureaux en charge du fret express et postal pour ce qui relève des services des opérations commerciales. À ces effectifs s'ajoutent ceux des directions spécialisées, notamment ceux de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED).

Sans revenir sur la spécificité des territoires ultramarins, avec des services de l'État tous sous-dimensionnés pour faire face au trafic de stupéfiants, les travaux menés par la commission d'enquête ont également souligné l'insuffisance des effectifs douaniers sur le territoire, et notamment dans les aéroports et dans les ports.

Lors de leur déplacement au Havre, les membres de la commission d'enquête n'ont pu masquer leur étonnement en apprenant que la brigade de surveillance extérieure des navires (BSEN), chargée du contrôle des navires et des conteneurs, ne se composait que d'une vingtaine de personnes, un effectif qui a diminué depuis 2017. La disponibilité d'un scanner fixe et le ciblage des conteneurs ne peuvent à eux seuls combler l'écart entre le nombre de douaniers effectivement disponibles pour procéder aux contrôles et les millions de conteneurs qui arrivent chaque année au Havre. Il suffit d'une opération de grande envergure pour saturer les services douaniers présents. Surtout, alors que les narcotrafiquants se reportent de plus en plus vers les ports secondaires, comme celui de Dunkerque, la douane n'y dispose pas de ce type de brigades (voir infra).

S'agissant du renseignement, la DNRED a été progressivement renforcée et s'appuie aujourd'hui sur plus de 750 personnes. Toutefois, ces moyens ne sont pas suffisants face à l'ampleur des missions à accomplir - notamment dans un contexte, sur lequel on reviendra, dans lequel d'autres services du premier cercle se sont désinvestis de la lutte contre le narcotrafic, augmentant d'autant la charge de travail de la DNRED dans ce domaine. À ce titre, la commission d'enquête ne peut que rappeler la recommandation émise par la délégation parlementaire au renseignement (DPR) en 2022, à savoir « augmenter les moyens humains de la DNRED en matière de lutte contre les stupéfiants dans les ports »373(*). La recommandation n'avait pas été suivie d'effet, sans qu'aucun élément ne paraisse avoir été apporté à la DPR pour justifier cet arbitrage374(*).

Plus généralement, au-delà de la question portuaire, la place centrale occupée par la DNRED dans la lutte contre le trafic de stupéfiants implique qu'elle dispose de moyens humains et matériels adéquats, d'autant que le Gouvernement a récemment acté une extension de ses missions à la lutte contre la fraude fiscale grave et complexe et son blanchiment, pour le compte de la direction générale des finances publiques375(*) (voir infra), sans précision sur les moyens alloués à l'exercice de cette nouvelle mission.

La même question se pose pour le service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF), devenu le 1er mai 2024 « l'Office national anti-fraude », un service à compétence nationale rattaché conjointement au directeur général des douanes et des droits indirects et au directeur général des finances publiques376(*).

Le service d'enquêtes judiciaires des finances

Créé le 1er juillet 2019, le service d'enquêtes judiciaires des finances, issu de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, résulte de la transformation du service national de douane judiciaire (SNDJ). Dirigé par un magistrat de l'ordre judiciaire, il se compose d'environ 320 agents, dont environ 240 officiers de douane judiciaire (ODJ) et une quarantaine d'officiers fiscaux judiciaires (OFJ).

Le SEJF n'intervient que sur saisine des magistrats, qui le saisissent au titre d'une enquête de flagrance, d'une enquête préliminaire ou sur commission rogatoire. Les ODJ et les OFJ ne disposent que des compétences d'attribution que la loi leur confère (articles 28-1 et 28-2 du code de procédure pénale) : infractions douanières, escroqueries à la TVA, blanchiment des principales infractions pour les ODJ ; présomption de fraude fiscale complexe, blanchiment de ces présomptions et escroqueries à la TVA pour les OFJ.

Source : audition de Christophe Perruaux, directeur du service d'enquêtes judiciaires des finances, 11 décembre 2023

Loin d'être cosmétique, la transformation du SEJF en Onaf s'accompagne de l'octroi d'un chef de filat dans la lutte contre la fraude aux finances publiques qui supposera nécessairement, pour être efficace, des moyens supplémentaires. Or, dans sa forme actuelle, le SEJF commence d'ores et déjà à s'approcher de la saturation, avec un nombre de dossiers par ODJ et par OFJ en constante augmentation.

Au 30 novembre 2023, le SEJF était saisi de 982 affaires en cours, dont 844 confiées aux ODJ, 123 aux OFJ et 15 conjointement aux ODJ et aux OFJ. Depuis 2019, 42 co-saisines ont été enregistrées en matière de blanchiment lié au trafic de stupéfiants : dans 36 cas le SEJF est co-saisi de la seule infraction de blanchiment de trafic de stupéfiants, dans les six autres, il est co-saisi avec l'Ofast des chefs de trafic de stupéfiants et de blanchiment de trafic de stupéfiants377(*).

b) La livraison des moyens techniques, un temps long qui s'oppose à la temporalité des narcotrafiquants

Comme le soulignait la commission des finances du Sénat en 2022378(*), les douanes devraient bénéficier d'ici 2025 d'une augmentation des moyens techniques mis à leur disposition.

Le contrat d'objectifs et de moyens (COM) de la douane pour la période 2022-2025 prévoit en effet une stabilité du budget global de la douane mais une augmentation de l'enveloppe dédiée aux équipements, à hauteur de 97 millions d'euros, sans compter les financements européens obtenus pour l'acquisition de scanners (15 millions d'euros).

Acquisition par la douane de nouveaux moyens d'équipement sur la période 2022-2025

(en millions d'euros et en pourcentages)

Source : rapport d'information n° 45 (2022-2023), Donner à la Douane les moyens d'accomplir sa mission dans la lutte contre le trafic de stupéfiants fait par Albéric de Montgolfier et Claude Nougein au nom de la commission des finances, déposé le 12 octobre 2022

La commission d'enquête ne peut que s'interroger sur les choix opérés par le Gouvernement pour la douane. Pour quelles raisons a-t-il attendu si longtemps avant de rehausser les moyens techniques alloués aux services douaniers ? Cette question est d'autant plus saillante que, entre l'octroi des crédits et la livraison des équipements, le délai se compte en années et que les étapes sont nombreuses de la passation des marchés publics à leur pleine exploitation, en passant par l'aménagement des locaux.

L'absence de scanners dans les ports principaux et secondaires et dans les aéroports, la vétusté des moyens aéromaritimes et l'obsolescence de certains outils numériques n'ont pu qu'accentuer la porosité des plateformes logistiques au narcotrafic et faciliter l'arrivée des stupéfiants sur le territoire national. Ce ne sont plus quelques digues qui vont freiner le tsunami auquel la France est désormais confrontée.

B. UNE AUTORITÉ JUDICIAIRE DÉBORDÉE

1. Une volonté de lutter contre le narcotrafic contrariée par un manque de moyens criant

L'ensemble des magistrats entendus par la commission d'enquête ont déploré la faiblesse des moyens matériels et humains qui leur sont accordés, en particulier pour traiter des contentieux liés à la criminalité organisée. La charge de travail est excessive et le temps consacré à chaque affaire est insuffisant, alors même que les dossiers sont lourds, complexes et très contestés. Élément notable et inquiétant, la pénurie frappe également les juridictions spécialisées (Jirs et Junalco).

Ce constat n'est malheureusement pas nouveau mais se trouve désormais singulièrement aggravé, faute d'une réaction suffisante de la part du Gouvernement. Ainsi, dès 2019, le groupe de travail sur le traitement de la criminalité organisée et financière présidé par François Molins (dont le rapport a été communiqué à la commission d'enquête) alertait la ministre de la justice sur « l'engorgement au niveau des juridictions d'instruction et de jugement [qui] traduit un phénomène de saturation très problématique et impacte la politique de saisine au niveau des parquets. » Il ajoutait que « la capacité de jugement de certaines Jirs, identifiées à l'heure actuelle comme étant insuffisante et gravement déficitaire dans certaines juridictions, constitue l'une des problématiques majeures tant en première instance qu'au niveau des cours d'appel »379(*). Le groupe de travail regrettait que les outils permettant d'évaluer l'activité ne soient pas adaptés aux spécificités du travail des magistrats spécialisés et ne puissent donc pas conduire à mesurer objectivement les effectifs nécessaires dans ces juridictions.

Tous les magistrats ont également plaidé pour que soient renforcés les effectifs de greffiers et d'assistants spécialisés. Ces derniers pourraient par exemple seconder les magistrats dans leurs investigations patrimoniales, axe clé de la lutte contre le narcotrafic.

De fait, l'audiencement des dossiers d'instruction liés à la grande criminalité organisée est embolisé. À Paris, la juridiction se trouvait au mois de février 2024 incapable d'audiencer avant le mois de novembre 2024 des dossiers, pourtant prioritaires, comportant des personnes mises en examen et placées en détention provisoire380(*).

S'agissant des audiences devant la cour d'assises, si les dispositions relatives à la détention provisoire sont moins strictes, certains dossiers clôturés et comportant des personnes placées en détention provisoire ne pourront pas être jugés avant l'automne 2025. Au sein de la Jirs de Paris, une course contre le temps s'est engagée : le nombre d'affaires terminées a augmenté de 50 % entre 2021 et 2022 mais, dans le même temps, le nombre de saisines et le nombre de dossiers en stock ne cessent, eux aussi, de s'accroître381(*).

Les juridictions qui ont bénéficié de renforts, comme celle de Marseille, ont vite été rattrapées par la réalité du trafic et de sa violence : elles se retrouvent d'ores et déjà avec des schémas d'emplois obsolètes. En 2023, ce sont 69 procédures pour homicide volontaire en bande organisée ou tentative d'homicide volontaire en bande organisée qui ont été ouvertes à Marseille, soit plus d'un dossier de règlement de comptes par semaine, et 91 % de plus qu'en 2022. Le nombre de dossiers en stock et liés à la criminalité organisée a quant à lui augmenté de 21 %, passant de 419 à la fin de l'année 2022 à 519 à la fin de l'année 2023.

Le tribunal judiciaire de Grenoble a décidé d'opter pour un « contournement organisationnel » au manque de moyens et au manque de suivi des dossiers liés au narcotrafic qui peut en découler. Un juriste assistant est chargé de suivre la mise en oeuvre du plan national de lutte contre les stupéfiants. Il veille notamment à la bonne circulation des informations ainsi qu'à l'actualisation des dossiers concernant les trafiquants ainsi ciblés382(*).

Le constat du manque de moyens est partagé sur l'ensemble du territoire, métropolitain comme ultramarin, urbain comme rural. Comme le soulignaient les gendarmes de la compagnie de Saint-Quentin : les moyens humains de notre parquet sont notoirement insuffisants pour lutter de manière exhaustive contre le narcotrafic383(*). À Valence, le président du tribunal judiciaire a souligné que, faute d'effectifs suffisants, des violences assimilables à des actes de barbarie sont traitées en comparution immédiate, et que des dossiers qui auraient dû aller aux assises n'y vont plus. L'évolution des moyens ne suit plus celle de la violence, le pourcentage d'affaires criminelles traitées par les trois cabinets d'instruction est passé de 50 % en 2021 à 75 % en 2023, sans renfort384(*).

Sans effort supplémentaire à destination des juridictions sous-dimensionnées pour répondre au déferlement des dossiers de criminalité organisée, aucune mesure visant à accroître la lutte contre le narcotrafic ne sera efficace, sauf pour emboliser encore davantage nos tribunaux. La logique de renforts « par à-coups », sans rénovation de la politique de gestion des ressources humaines, ne fonctionne plus, et ce depuis longtemps.

2. L'obsolescence des moyens informatiques, le « marronnier » de l'institution judiciaire

Les déboires que connaît le ministère de la justice avec ses outils informatiques ont été abondamment commentés et déplorés, tant par des rapports parlementaires que par la Cour des comptes385(*). Sans surprise, ces difficultés participent elles aussi à entraver l'action des juridictions dans la lutte contre la criminalité organisée.

Les tribunaux judiciaires réclament des moyens informatiques adaptés au contentieux de la criminalité organisée et au traitement de ces procédures complexes, s'agissant par exemple du suivi des saisies et de la gestion des scellés. Les Jirs ne disposent même pas d'un outil leur permettant de produire des statistiques sur leurs dossiers, obligeant par exemple à un recomptage manuel dans le cadre des dialogues de gestion386(*).

L'applicatif Sirocco (Système informatisé de recoupement, d'orientation et de coordination des procédures en matière de criminalité organisée), qui doit permettre aux Jirs d'assurer un suivi et un pilotage de leurs activités au quotidien et de faciliter le recoupement entre des procédures présentant des liens de connexité a, certes, été déployé en 2023... mais a obligé les personnels concernés à reprendre à la main les données préexistantes pour les implémenter387(*). Un vacataire a été recruté dans chaque Jirs pour une durée de six mois à la seule fin de s'acquitter de cette mission, tout aussi chronophage que rébarbative.

Le tableau dressé par la Junalco de Paris devant la commission d'enquête témoigne plus généralement du retard accumulé par le ministère de la justice dans son plan de transformation numérique : le logiciel Cassiopée (Chaîne applicative supportant le système d'information opérationnel pour le pénal et les enfants), applicatif métier, est lent, manque de fluidité et ne permet pas de disposer de statistiques exactes sur les dossiers traités ; le logiciel NPP (Numérisation des procédures pénales) connaît constamment des difficultés ; les capacités de stockage sont sous-dimensionnées et le serveur de Paris est rempli à 99 % ; les ordinateurs ne sont pas assez puissants pour permettre l'ouverture des pièces jointes les plus volumineuses, sauf à attendre deux jours388(*).

S'ils n'étaient pas réels et ne constituaient pas un véritable handicap au travail des magistrats, la commission d'enquête aurait presque pu rire de ces exemples, tant ils semblent caricaturaux. Ils constituent pourtant une entrave de plus dans la lutte contre les narcotrafiquants, qui disposent eux de technologies de pointe. Le combat à armes égales attendra.

C. UNE MOBILISATION EXEMPLAIRE QUI PERMET, MALGRÉ TOUT, DE RÉELS SUCCÈS

1. Un engagement sans faille

La commission d'enquête a constaté, tout au long de ses travaux, le haut niveau d'engagement et de professionnalisme des services impliqués dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, en dépit de leur manque visible de moyens, qui entrave leur action au quotidien. Si elles peuvent parfois avoir l'impression de « vider la mer à la petite cuillère », au regard notamment du gouffre qui sépare leurs capacités de celles des narcotrafiquants, appuyés sur une manne financière de plusieurs milliards de dollars, les personnes rencontrées par la commission d'enquête refusent de céder au découragement, alors que la France s'approche d'un point de bascule.

Un exemple : la Jirs de Bordeaux

La Jirs de Bordeaux a clos au mois de juin 2023 le premier dossier de son ressort lié au décryptage de Sky ECC. Onze personnes ont été condamnées, dont les deux auteurs principaux à 11 ans de détention, et 800 kilogrammes de résine de cannabis ont été saisis. En novembre 2023, un dossier a abouti à des condamnations de 6 à 12 ans pour les membres d'une équipe qui avait tenté de récupérer 730 kilogrammes de cocaïne en provenance du Brésil, via Anvers.

Source : contribution de la juridiction interrégionale spécialisée de Bordeauxaux travaux de la commission d'enquête

2. Des succès qui reposent sur la mobilisation de l'ensemble des acteurs publics et privés concernés

De nombreuses affaires témoignent de l'engagement de l'ensemble des services publics dans la lutte contre le narcotrafic et mériteraient d'être décrites par la commission d'enquête. Par souci de concision, le rapporteur a retenu un exemple emblématique, celui du démantèlement du point de deal du 8-Mai-1945 à Saint-Ouen (achevé en avril-juin 2023). Cette opération, qui a fait forte impression, a été décrite aux membres de la commission lors de leur déplacement en Seine-Saint-Denis.

Le succès de cette opération repose sur la coordination de la police nationale, du parquet, du service territorial et de la préfecture mais aussi sur l'implication de l'ensemble des acteurs publics et privés affectés par ce point de deal. En parallèle de l'enquête, la ville a engagé une réappropriation de l'espace public, qui s'est notamment traduite par la réfection des trottoirs, la végétalisation du point de deal, l'installation de commerces au rez-de-chaussée des immeubles et la facilitation de la circulation. Tout au long de ces opérations, les parties prenantes se sont attachées à conduire un travail de pédagogie auprès de la population, notamment pour justifier de la durée des travaux.

Une fois le point de deal démantelé, un dispositif spécifique a été mis en place pour gérer « l'après » : installation de caméras de vidéoprotection, recueil et transmission immédiate des signalements de la population (voitures suspectes, tentatives de revenir dans les bâtiments). Ce sont 2 300 effectifs qui ont été déployés en renfort pendant trois mois environ, avec l'objectif de conduire une politique de « tolérance zéro », en lien étroit avec le parquet du tribunal judiciaire de Bobigny. Les patrouilles pédestres ont augmenté d'environ 10 % et la sous-direction des réseaux parisiens de transport a renforcé sa présence dans les stations de métro de la ligne 13.

La commission d'enquête ne peut que saluer cette stratégie globale, qui a porté ses fruits avec une stabilisation du secteur. Néanmoins, elle illustre aussi l'ampleur des moyens qu'il convient de déployer pour n'éradiquer ne serait-ce qu'un point de deal, alors que la France en compte des milliers. Les effectifs mobilisés sur ces opérations ne peuvent par définition pas l'être sur d'autres missions, qui peuvent être tout aussi prioritaires. Cette question d'allocation des moyens et de son efficience est d'ailleurs celle soulevée par les opérations « place nette ».

D. LES OPÉRATIONS « PLACE NETTE » : OUTIL EFFICACE OU POUDRE AUX YEUX ?

Alors que les services se retrouvent déjà à devoir arbitrer entre les multiples priorités de sécurité publique qui leur sont assignées - lutte contre les violences intrafamiliales, lutte contre les violences sexuelles et sexistes, sécurité du quotidien - l'annonce des opérations « place nette » au mois de septembre 2023 par le président de la République s'est nécessairement traduite par de nouveaux choix, et donc par des renoncements. Or, de tels renoncements ne sont acceptables que si les opérations érigées en priorité sont efficaces.

La question, cornélienne, qui se pose aux forces de sécurité a été très explicitement soulevée à de nombreuses reprises par les effectifs de terrain que la commission d'enquête a rencontrés au cours de ses déplacements : faut-il privilégier un temps d'intervention court pour des résultats immédiats et visibles ou des enquêtes plus longues, aux résultats potentiellement plus dommageables pour les réseaux mais également plus incertains ?

Si les opérations « place nette » sont apparues récemment dans le vocabulaire gouvernemental, puis médiatique et public, elles ne sont pas une nouveauté. Elles constituent en effet la plus récente déclinaison d'une stratégie appliquée depuis 2020-2021 et qui avait auparavant pris la forme des opérations « Tempête » ou le visage du « pilonnage » des points de deal. Qu'elles soient « XXL » ou non, elles s'inscrivent dans la droite ligne du premier « plan stups » de 2019, dont la mesure n° 16 appelait au démantèlement du « deal de rue » et la n° 22 au « réinvestissement des quartiers concernés par le trafic de drogue après les opérations de démantèlement pour prévenir la réappropriation de l'espace public par les réseaux », ce qui constitue l'ADN des actuelles opérations « places nettes » comme des initiatives analogues qui les ont précédées.

Après plus de trois ans de pratique, la commission d'enquête estime que le temps est venu de dresser le bilan de cette stratégie pour répondre aux questions suivantes : les opérations « place nette » sont-elles un outil d'ordre public ou, comme le soutient le Gouvernement, la pierre angulaire de la lutte contre le narcotrafic ? Permettent-elles vraiment de démanteler des réseaux, ou sont-elles limitées à l'appréhension des petites mains du trafic ? Sont-elles pensées en coordination avec les enquêtes pénales, ou en réaction à une dégradation de la situation sécuritaire dans certains quartiers ? En bref, sont-elles un levier efficace ou un instrument de communication ?

1. Le « pilonnage » ou les opérations « place nette » ?

Ces derniers mois, le Gouvernement a semblé tâtonner pour trouver la bonne réponse à apporter en réponse à l'ancrage des points de deal sur le territoire national. À Marseille, la préfète de police Frédérique Camilleri avait soutenu depuis sa nomination fin 2020 le « pilonnage » des points de deal, une stratégie saluée par l'ensemble des acteurs locaux. Le harcèlement des points de deal permet notamment de maintenir la pression sur les trafiquants et de limiter leur emprise sur certains quartiers. Pour autant, ces points sont rarement démantelés : les réseaux s'installent ailleurs, « découpent » leurs lieux de vente ou se regroupent avec un autre point de deal. Ils peuvent aussi se reporter sur la vente en ligne. À Marseille, 74 points de deal auraient néanmoins été totalement supprimés et 24 autres dans le département des Bouches-du-Rhône389(*).

Les opérations « place nette », annoncées par le président de la République et par le ministre de l'intérieur au mois de septembre 2023, relèvent d'une approche analogue. Comme l'a rappelé en audition Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, ces opérations ont pour objectif que « les uns et les autres puissent voir un avant et un après »390(*). Elles s'inscrivent dans une logique de tranquillité publique.

En quoi consistent les opérations « places nettes » ?

La direction générale de la police nationale définit les opérations « place nette » comme des actions visibles et régulières menées dans les territoires difficiles et ayant pour principal objectif d'intensifier la lutte contre toutes les formes de délinquance, au premier rang desquelles le trafic de stupéfiants.

Les opérations « place nette » se composent de deux phases :

1° le déclenchement de l'opération, par une phase d'interpellation dans le cadre d'une procédure judiciaire ;

2° la poursuite de l'action, par une occupation massive du terrain les jours suivants (contrôles d'identité et fouilles de véhicules sur réquisition du procureur de la République, contrôles routiers avec dépistages stupéfiants, visites de parties communes, opérations d'enlèvements de véhicules, sécurisation des lieux d'accès aux transports en commun, contrôles des professions réglementées et des établissements commerciaux).

Les différents acteurs mobilisés sont d'abord les services de la police nationale (services judiciaires, sécurité publique, compagnies républicaines de sécurité), mais aussi la direction nationale de la police aux frontières, les organismes de contrôle (douanes, direction départementale des finances publiques, direction départementale de la protection des populations, Urssaf), la police municipale, les bailleurs sociaux et les transporteurs.

Source : direction générale de la police nationale, Fiche technique - Les opérations place nette, mise à jour du 30 janvier 2024

Ces opérations ont été saluées par les services de police et de gendarmerie rencontrés par la commission d'enquête : elles redonnent du sens à l'action des forces de sécurité intérieure, elles ont des effets visibles immédiatement sur le terrain et soutiennent le moral des policiers comme des populations voisines des points de deal.

« Immédiatement » est important ici. Les effets sur la tranquillité publique à long terme apparaissent plus mitigés, du fait de la réinstallation des points de deal ou de leur rétablissement dans un autre endroit. Ainsi que le soulignait le collectif Tonkin Pai(x)sible, multiplier les saisies et les arrestations ne permet ni de faire baisser la consommation, ni de fermer des points de deal sur le long terme391(*). À Verdun, la direction départementale de la police nationale notait que le démantèlement de 26 points de deal n'avait pas eu d'effet dissuasif sur l'installation de nouveaux points de vente, la ville restant attractive pour les trafiquants. Le constat est partagé à Lyon, à Marseille mais aussi à Valence.

2. Des résultats en termes de judiciarisation et de démantèlement des filières qui interrogent sur la portée des opérations « place nette »

On a dénombré 473 opérations « place nette » menées entre le 25 septembre 2023 et le 12 avril 2024 par la police nationale, par la gendarmerie nationale et par la préfecture de police de Paris, dont 24 en outre-mer392(*). Plus de six mois après leur lancement, les résultats de ces opérations apparaissent pour le moins mitigés quant à leurs effets concrets pour entraver les organisations criminelles.

Saisies de produits stupéfiants effectués dans le cadre des opérations « place nette »

(en pourcentages et en kilogrammes)

Source : commission d'enquête, d'après les données communiquées lors du Conseil des ministres du 17 avril 2024

Les saisies de produits stupéfiants montrent, d'une part, que les quantités récupérées sont faibles et, d'autre part, que les opérations visent quasi exclusivement des points de vente du cannabis. Elles ne permettent donc pas de lutter contre le « tsunami blanc » que constituent désormais les arrivées de cocaïne sur le territoire métropolitain, ce produit étant également le plus rentable pour les trafiquants. Le constat est le même pour les opérations « place nette » dites « XXL », lancées le 18 mars 2024 : 735 kilogrammes de cannabis saisis mais à peine 18 kilogrammes de cocaïne.

Les résultats sont également décevants sur le traitement judiciaire : pour des opérations réalisées en flagrance sur des points de deal, la proportion de personnes interpellées effectivement déférées est faible. Elle n'était que d'un peu plus de 23 % sur la période allant du 25 septembre 2023 au 4 février 2024, seule période pour laquelle la commission d'enquête dispose de données harmonisées393(*) : 341 personnes ont été déférées pour 1 443 interpellées, et des milliers d'effectifs mobilisés.

Interpellations effectuées dans le cadre des opérations « place nette »

Source : commission d'enquête, d'après les données transmises par le ministère de l'intérieur et des outre-mer pour la période allant du 25 septembre 2023 au 4 février 2024

Le rapporteur de la commission d'enquête regrette d'ailleurs que le ministère de la justice n'ait pas répondu à sa sollicitation quant aux suites judiciaires données aux opérations « place nette ». De premières informations indiquent qu'à peine une centaine de personnes auraient été incarcérées. Par ailleurs, dans le cadre de la communication sur le bilan des opérations « place nette » effectuée lors du Conseil des ministres du 17 avril 2024, le Gouvernement s'est bien gardé de communiquer sur le nombre de personnes interpellées. À peine sait-on que, du 25 septembre 2023 au 12 avril 2024, pour des opérations en flagrance, 728 personnes ont été déférées, dont 204 en mandats de dépôt. Là encore, les chiffres ne sont pas meilleurs pour les opérations « place nette XXL » : près de 62 000 effectifs des forces de l'ordre mobilisés pour environ 3 200 personnes en garde à vue, mais seulement 451 personnes déférées, dont 128 avec un mandat de dépôt.

Fait inquiétant, et qui peut expliquer ces faibles résultats, la commission d'enquête a découvert au cours de ses travaux que l'autorité judiciaire n'était pas nécessairement informée en amont des opérations « Place nette ». Il y a sur ce point une dissonance troublante : le ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, a affirmé en audition que ces opérations ont été l'occasion, pour certains magistrats du siège, de coopérer pour la première fois avec la police nationale394(*). De son côté, le garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, a confirmé qu'à Marseille, le procureur de la République était bien informé de l'opération et que, plus largement, l'opération engagée à La Castellane s'était faite « en concertation totale avec la justice »395(*).

Pourtant, dans une dépêche du 12 mars 2024396(*), le garde des Sceaux invite les procureurs de la République à se rapprocher de l'autorité préfectorale, de la police nationale ou de la gendarmerie nationale afin d'échanger sur les objectifs poursuivis par ces opérations et les moyens mis en oeuvre pour y parvenir ; l'existence même de cette dépêche tend à indiquer que les échanges préalables ne sont pas aussi fluides qu'on ne serait en droit de l'escompter. Surtout, il est également indiqué qu'il revient aux procureurs de s'assurer que les opérations envisagées sont compatibles avec les stratégies judiciaires développées dans le cadre des procédures judiciaires en cours - ce qui implique, implicitement mais nécessairement, que l'autorité judiciaire n'est pas associée à la décision d'engager une opération « place nette ». Au surplus, le fait que cette vérification se fasse après la décision de lancer de telles opérations ne peut que conduire à des difficultés sur le terrain.

La même dépêche attire l'attention sur l'impératif d'associer l'autorité judiciaire suffisamment en amont du déploiement envisagé du dispositif « place nette », signe, là encore, que cet objectif est loin d'être toujours atteint sur le terrain.

Enfin, la commission d'enquête ne peut que s'étonner de l'absence de consigne invitant les parquets à requérir l'application de sanctions sévères : la seule directive donnée en matière de politique pénale est, en effet, celle de l'éloignement des mis en cause ou des condamnés via l'utilisation des peines complémentaires ou des mesures de contrôle judiciaire idoines, ce qui est opportun mais de toute évidence insuffisant.

La commission d'enquête s'inquiète encore davantage d'avoir appris, à la même occasion397(*), que l'Ofast avait été le dernier à découvrir le lancement de l'opération « place nette XXL » à Marseille...

Les opérations « place nette » comme les opérations de « pilonnage » peuvent certes permettre d'obtenir du renseignement, particulièrement utile pour nourrir les enquêtes judiciaires. Toutefois, pour reprendre la métaphore employée par les effectifs de la direction départementale de la sécurité publique de Marseille au cours du déplacement de la commission d'enquête, « les branches ne connaissent jamais “le tronc” dont elles sont issues ».

Enfin, le montant des saisies effectuées dans le cadre des opérations « place nette » apparaît lui aussi limité, en particulier pour ce qui concerne les avoirs criminels. Cela montre aussi toute la difficulté qu'ont les services d'enquête à pouvoir capter les flux d'argent liquide issus du trafic de drogue, même dans le cadre d'opérations en flagrance.

Saisies d'avoirs effectuées dans le cadre des opérations « place nette »

Source : commission d'enquête, d'après les données transmises par le ministère de l'intérieur et des outre-mer pour la période allant du 25 septembre 2023 au 4 février 2024398(*)

Ainsi, l'apport des opérations « place nette » laisse sceptiques les membres de la commission d'enquête, d'autant qu'elles sont extrêmement consommatrices en ressources humaines. Ces opérations ont en effet mobilisé près de 51 000 gendarmes et policiers entre les mois de septembre 2023 et d'avril 2024. Le ratio gain (saisies, interpellations...) / coût peut donc sembler faible.

Pire encore : alors que ces deux types d'opérations procèdent de la même logique, le ratio des opérations « place nette » apparaît moins favorable que celui des opérations de « pilonnage »

En effet, en 2023, les opérations conduites sur les points de deal par la police nationale, par la gendarmerie nationale et par la préfecture de police de Paris ont permis de saisir plus de 12,4 tonnes de cannabis, 425 kilogrammes de cocaïne, 208 kilogrammes d'héroïne, 1 268 armes, 242 véhicules et 13,7 millions d'euros d'avoirs criminels399(*). Même en tenant compte des écarts calendaires, ces chiffres sont bien supérieurs à ceux obtenus sur les opérations « place nette » et montrent que la stratégie de démantèlement d'un point de vente peut porter un plus grand coup aux trafiquants qu'une opération ponctuelle de « déblayage ». Cette comparaison donne le sentiment soit que les opérations « place nette » constituent une forme d'intervention moins adaptée à la réalité des trafics, soit que les narcotrafiquants se sont progressivement adaptés à cette nouvelle modalité de répression.

La commission d'enquête a pleinement conscience de l'apport des opérations « place nette » pour soutenir les populations locales, leur offrir un cadre de vie plus paisible et « récupérer » l'espace public. Elle réfute toutefois catégoriquement la communication abusive du Gouvernement, qui cherche à gonfler son bilan désastreux dans la lutte contre le narcotrafic en surmédiatisant ces opérations et en les présentant comme l'outil le plus efficace pour lutter contre les trafiquants.

L'exemple de l'« opération place nette XXL » lancée le 18 mars 2024 à Marseille au sein de la cité de La Castellane, et abondement relayée par le Gouvernement, le montre : à peine quelques heures après son lancement, les trafiquants avaient averti leurs clients et proposaient des commandes en ligne avec livraison. En trois jours, 900 policiers, gendarmes et douaniers ont été mobilisés, pour seulement 23,4 kilogrammes de cannabis saisis et 944 grammes de cocaïne. De plus, comme l'a lui-même admis le ministre de l'intérieur et des outre-mer Gérald Darmanin, si le nombre de points de deal a diminué, ces derniers ne disparaissent pas mais « se transforment : rendez-vous fixés via Telegram, WhatsApp ou Snapchat, livraisons par drone, par scooter... »400(*).

Ainsi, si la commission d'enquête ne peut qu'apporter son soutien au renforcement de la présence des forces de sécurité intérieure sur le territoire, elle rappelle que ce renforcement n'est efficace qu'à la condition de ne pas négliger les enquêtes judiciaires et patrimoniales, les seules à même de véritablement permettre de remonter une filière et de faire tomber un réseau. Comme l'a souligné François Molins en audition, l'efficacité de la lutte contre le narcotrafic résultera de la « complémentarité entre des investigations de premier niveau et des investigations de fond »401(*). Les chefs des réseaux marseillais n'ont pas été arrêtés lors d'opérations « place nette »... L'arrestation de treize membres d'un commando du groupe criminel « DZ Mafia » est intervenue après 14 mois d'enquête, tout comme celle du chef présumé du groupe rival « Yoda » a découlé d'une enquête longue et d'une coopération internationale elle aussi consommatrice de temps.

IV. DES RÈGLES DE DROIT QUI LAISSENT OUVERTES DES FAILLES DONT PROFITENT LES NARCOTRAFIQUANTS

Le narcotrafic est réprimé par de multiples infractions pénales, regroupées dans une section spécifique du code pénal (articles 222-34 et suivants) et qui vont de la direction ou l'organisation d'un groupement ayant pour objet le trafic de stupéfiants (article 222-34), puni de réclusion criminelle à perpétuité, à la cession ou à l'offre illicite de stupéfiants à une personne en vue de sa consommation personnelle (article 222-39), en passant par la production et la fabrication de stupéfiants (article 222-35), leur importation ou leur exportation illicites (article 222-36), leur transport, leur détention, leur offre, leur acquisition ou leur emploi illicite (article 222-37) et par le blanchiment du produit du trafic, qui fait l'objet d'une infraction autonome du blanchiment de droit commun (article 222-38). Le code sanctionne également les personnes qui, entretenant des relations habituelles avec des trafiquants, ne peuvent justifier de leurs ressources (articles 321-6 et 321-6-1).

Le narcotrafic recoupe par ailleurs la notion de « bande organisée », définie par l'article 132-71 du code pénal comme « tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou plusieurs infractions ». La bande organisée est ainsi un ensemble constitué de plusieurs personnes (au moins trois, selon la Convention de Palerme - Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée du 15 novembre 2000), réunies dans une structure - ce qui implique une forme de préméditation, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel402(*), et de hiérarchie interne403(*), ce qui la distingue d'une simple commission d'infraction « en réunion » - avec pour objectif de préparer ou de commettre certaines infractions. La bande organisée constitue ainsi une circonstance aggravante à la commission de certains crimes ou délits qui justifie un alourdissement de la peine encourue.

Le narcotrafic relève, en procédure, des dispositions prévues par les articles 706-73 et suivants du code de procédure pénale (3° de l'article 706-73 précité) qui, d'une part, permettent le recours à des instruments de procédure spécifiques et, d'autre part, ouvrent la voie à la compétence des Jirs et de la Junalco (voir infra) et imposent en matière criminelle le recours à une cour d'assises spécialement composée, uniquement constituée par des magistrats professionnels afin de faire face tant à la complexité des débats qu'au risque de pressions sur des jurés populaires.

C'est l'efficacité de ces procédures et de cette organisation que la commission d'enquête a voulu évaluer.

L'arsenal procédural spécifique de la délinquance et de la criminalité organisées

Le code de procédure pénale autorise, en matière de délinquance et de criminalité organisées et sur autorisation d'un magistrat (le parquet dans certaines hypothèses et un magistrat du siège - le plus souvent, le juge d'instruction et le juge des libertés et de la détention - pour les mesures les plus attentatoires à la vie privée), le recours à un arsenal de techniques d'enquête dont le champ s'est progressivement élargi sous l'effet des lois successives, et en particulier les lois n° 2004-204 (dite « Perben II » du 9 mars 2004), n° 2011-267 d'orientation et de performance pour la sécurité intérieure du 14 mars 2011 et n° 2016-731 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale du 3 juin 2016.

Il s'agit :

· d'investigations humaines particulières : surveillance facilitée et possible sur l'ensemble du territoire national ; infiltration ; enquête sous pseudonyme ; recours aux « repentis » ; garde à vue de 96 heures maximum ; perquisitions possibles, dans certains cas (flagrance ou risque d'atteinte à la vie ou à l'intégrité physique), sans limite horaire... ;

· de mesures conservatoires, notamment en matière de saisies ;

· d'outils techniques spécifiques ;

· d'interception des correspondances non seulement émises par voie électronique, mais aussi stockées (courriels passés accessibles depuis une messagerie électronique, par exemple) ;

· de recueil des données de connexion par le biais d'un IMSI catcher (l'acronyme IMSI signifiant International Mobile Subscriber Identity), c'est-à-dire d'un équipement souvent comparé à une « toile d'araignée » téléphonique car, simulant le comportement d'une antenne-relais, il permet dans une zone donnée (donc de manière non ciblée sur une personne) d'intercepter le trafic de téléphonie mobile ;

· de sonorisation et fixation d'images de certains lieux - y compris privés - ou véhicules (ou « balisage », dans l'appellation vernaculaire), ces dispositifs étant évidemment mis en place à l'insu ou sans le consentement des intéressés ;

· de captation de données informatiques : en pratique, sont captées les données telles qu'elles s'affichent au même moment pour l'utilisateur sur son écran par le biais d'un dispositif appelé key-logger, qui constitue une forme de « cheval de Troie » ou malware informatique.

Outre ces considérations juridiques, les développements qui vont suivre n'auraient guère de sens s'ils n'étaient précédés d'un (long mais nécessaire) rappel sur la nature des acteurs chargés, en France, de lutter contre le narcotrafic.

Cette lutte est assurée par de multiples acteurs intervenant dans un cadre judiciaire ou administratif.

Les forces de l'ordre (services de la police nationale et de la gendarmerie) interviennent, principalement, dans un cadre judiciaire. Les enquêtes judiciaires simples portant sur des trafics de stupéfiants locaux sont gérées par les enquêteurs des commissariats404(*), les brigades de gendarmerie ou les communautés de brigade. Les affaires relevant d'une complexité modérée sont confiées aux sûretés urbaines ou départementales (en zone police) ou aux brigades de recherche ou de brigades départementales de renseignement et d'investigation judiciaire (en zone gendarmerie)405(*). Les affaires complexes sont confiées à des services spécialisés que sont les services de police judiciaire (en zone police)406(*) et les sections de recherche et les sections d'appui judiciaire (en zone gendarmerie)407(*).

Localement, les services d'enquête précités peuvent être assistés, dans le cadre d'une co-saisine, des groupes interministériels de recherche (GIR) en charge du volet patrimonial des enquêtes de trafic de stupéfiants ou d'enquêtes sur des infractions de blanchiment ou de non-justification de ressources408(*).

L'exception francilienne : les services de la préfecture de police de Paris

Paris dispose [...] d'un statut spécifique en matière d'organisation des forces de police. La loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) concernant la division du territoire français et l'administration a mis en place une préfecture de police à Paris. Dans cette ville qui n'aura pas de maire jusqu'en 1975, la préfecture de police est dirigée par un préfet et est chargée de la police criminelle de droit commun, de la police administrative et de la police de renseignement.

La préfecture de police est compétente à Paris et dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, ainsi que sur les emprises des aérodromes de Paris-Charles-de-Gaulle, du Bourget et de Paris-Orly.

Au sein de la préfecture de police de Paris, la police judiciaire est essentiellement exercée par deux directions :

· la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ), chargée de la lutte contre la grande délinquance et les organisations criminelles. La DRPJ comprend trois services départementaux de la police judiciaire à Bobigny, Créteil et Nanterre, trois districts de police judiciaire à Paris, et quatre groupes interministériels de recherche (un par département). Elle comprend également 14 brigades centrales spécialisées intervenant sur l'ensemble du ressort de la préfecture de police ;

· la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), chargée des affaires de petite et moyenne délinquance. Elle comprend 79 circonscriptions de sécurité de proximité (CSP) réparties au sein de quatre directions territoriales de sécurité de proximité implantées dans chacun des départements. Chaque CSP dispose d'un service de l'accueil et de l'investigation de proximité (deux services pour la CSP de Bobigny). À l'échelon départemental, les directions territoriales de sécurité de proximité disposent d'une sûreté territoriale (ST) venant en appui des services de l'accueil et de l'investigation de proximité.

Source : commission des lois du Sénat409(*)

Les affaires de trafic de stupéfiants d'une très grande complexité, impliquant notamment une dimension internationale d'envergure410(*), peuvent nécessiter l'intervention de l'office anti-stupéfiants (Ofast) seul ou dans le cadre d'une co-saisine avec un autre service d'enquête.

L'Ofast, rattaché à la direction générale de la police nationale, a été créé par le décret n° 2019-1457 du 26 décembre 2019 portant création du service à compétence nationale dénommé Office antistupéfiants en remplacement de l'Office central de répression du trafic illicite de stupéfiants (OCRTIS) créé par le décret n° 53-726 du 3 mars 1953. L'OCRTIS a connu plusieurs scandales concernant les livraisons surveillées de stupéfiants et la gestion des informateurs. Le chef de l'OCRTIS entre 2010 et 2016, François Thierry, est renvoyé, depuis 2022, devant la cour d'assises des Bouches du Rhône pour les faits de faux en écriture publique par une personne dépositaire de l'autorité publique (procès-verbaux fictifs d'une garde à vue en 2012 d'un informateur extrait de détention pour assurer le suivi, depuis un hôtel, d'une livraison surveillée de six tonnes de cannabis) et destruction de preuves (deux téléphones et des procès-verbaux de garde à vue).

Stéphane Lapeyre, ancien numéro trois de l'OCRTIS, a été condamné à trois ans d'emprisonnement avec sursis par le tribunal correctionnel de Paris pour des faits de complicité de trafic de stupéfiants commis en 2013.

Outre l'Ofast411(*), des offices centraux de la police nationale sont amenés à intervenir dans des affaires complexes connexes au narcotrafic à l'instar de l'Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO) pour règlements de compte notamment, l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) et l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) en matière de blanchiment.

Par ailleurs, le ministère de l'intérieur a très récemment créé, en septembre 2023, une unité d'investigation nationale (UIN) qui a pour vocation d'assister, de manière temporaire et ciblée, les services territoriaux de la police nationale pour « mener des actions judiciaires rapides et d'envergure dans les quartiers touchés par une délinquance durable et installée »412(*).

Les services de la douane sont également particulièrement actifs en matière de lutte contre le narcotrafic : « la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) est un acteur majeur de la lutte contre le trafic de stupéfiants, à l'origine de 60 % à 80 % des saisies de produits stupéfiants sur le territoire national »413(*). Dans le cadre du contrôle des flux de marchandises entrant et sortant du territoire (frontières aérienne, maritime, terrestre), les services territoriaux de la douane interviennent quotidiennement sur des trafics de stupéfiants. La douane dispose également d'un service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF)414(*), à compétence nationale, spécialisé dans la répression de la délinquance douanière, financière et fiscale mais ce service ne traite que de certaines infractions limitativement énumérées415(*).

L'autorité judiciaire assure la direction, le contrôle et la surveillance de la police judiciaire. Les différents services d'enquête précités rendent donc compte aux magistrats (procureurs et juges d'instructions) des 164 tribunaux judiciaires compétents pour connaître des trafics de stupéfiants et des infractions connexes (règlements de compte, blanchiment, corruption). Néanmoins, lorsque ces affaires relèvent de la grande criminalité organisée et d'une « grande complexité » (à l'instar du trafic de stupéfiants à dimension régionale, nationale ou internationale), elles peuvent être confiées à l'une des huit416(*) juridictions interrégionales spécialisées (Jirs)417(*) ou bien, si les infractions relèvent d'une « très grande complexité », à la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco)418(*).

En outre, plusieurs instances judiciaires de coordination en matière portuaire ont vu le jour pour répondre aux forts enjeux posés par le narcotrafic maritime. Depuis 2016, celle du Havre est organisée sous l'autorité des procureurs généraux de Paris, Douai, Rouen et Fort de France, depuis 2022, celle de l'arc méditerranéen rassemble les parquets généraux de Paris, Montpellier et Aix-en-Provence et depuis 2023 celle de l'arc Atlantique regroupant les parquets généraux de Bordeaux, Rennes, Pau et Poitiers et des parquets disposant d'un ressort sur la façade Atlantique et des parquets Jirs de Bordeaux et Rennes. Ces instances connaissent une déclinaison opérationnelle via leur bureau de liaison impliquant les parquets locaux et ceux des Jirs (cf. annexes419(*)).

En parallèle des acteurs judiciaires précités, plusieurs services de renseignement jouent un rôle central dans la lutte contre le narcotrafic. Parmi les services dits du « premier cercle » : la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et Tracfin (en matière de blanchiment spécifiquement) ont un rôle essentiel - la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) ayant, en pratique, délaissé la lutte contre le trafic de stupéfiants420(*). Parmi les acteurs dits du « second cercle » du renseignement, on peut notamment citer la police nationale (par exemple : sa direction nationale du renseignement territorial ou le pôle renseignement de l'Ofast), la gendarmerie nationale, la préfecture de police de Paris et le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) qui s'intéressent aux agissements des narcotrafiquants dans un cadre purement administratif.

Enfin, instauré en 2015 à Marseille et aujourd'hui placé sous l'égide de l'Ofast, le dispositif des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross) a depuis été généralisé à l'ensemble du territoire. Il vise à centraliser, enrichir, partager et diffuser le renseignement relatif aux trafics de stupéfiants. 104 Cross sont déployées, avec le département comme base de référence, étant précisée qu'il existe des Cross thématiques portant sur les activités portuaires et aéroportuaires et postales421(*).

Ainsi, alors que notre droit comporte déjà de nombreuses mesures spécifiques visant à faciliter la conduite des investigations et la répression en matière de narcotrafic, la question se pose de la pertinence de cet arsenal qui, en dépit de son apparente robustesse, a régulièrement été décrit au cours des auditions de la commission d'enquête comme trop favorable aux trafiquants : ceux-ci semblent en effet se jouer de ses failles, de ses insuffisances et - surtout - de sa complexité.

A. UNE PROCÉDURE PÉNALE TROP FAVORABLE AUX TRAFIQUANTS ?

1. Un principe du contradictoire qui expose les méthodes d'investigation les plus sensibles aux trafiquants

Le principe du contradictoire, prévu à l'article préliminaire du code de procédure pénale422(*), est un principe cardinal de toute procédure judiciaire, et de la procédure pénale en particulier. C'est un principe général du droit incarné par le droit à un procès équitable, lui-même garanti par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ce principe assure à une personne qu'elle ne sera pas jugée sans avoir été entendue et qu'elle aura eu la possibilité de prendre connaissance des arguments de fait, de droit et de preuve à partir desquels elle sera jugée.

Concrètement, dans le cadre des enquêtes pénales, l'ensemble des éléments de preuve recueillis par les enquêteurs doivent ainsi être matérialisés par les procès-verbaux de la procédure et rendus accessibles à la personne mise en cause et son avocat afin de lui permettre d'organiser sa défense.

En matière de criminalité organisée et de narcotrafic plus précisément, des techniques spéciales d'enquête complexes423(*) (voir supra) sont nécessaires pour matérialiser les comportements illicites des trafiquants très aguerris. Actuellement, les procès-verbaux d'une procédure retracent dans le détail les méthodes utilisées par les services de police ou de gendarmerie lors de l'emploi de tels procédés, les exposant donc à la connaissance des personnes mises en cause qui pourront ensuite les déjouer à l'avenir.

À titre d'exemple, le recours au placement sur écoute des lignes téléphoniques est aujourd'hui bien connu des délinquants chevronnés. Ces derniers ont donc pris pour habitude, de changer régulièrement de numéro et de téléphone, de ne pas parler de leurs activités criminelles de manière transparente dans le cadre de leurs échanges téléphoniques ou plus récemment, d'utiliser des applications de communications cryptées (WhatsApp, Telegram, etc.).

Poussant cette logique du contournement jusqu'au bout, les réseaux criminels du haut du spectre en sont venus à utiliser des applications téléphoniques de communication privées et jouissant d'un niveau d'anonymat, de sécurité et de confidentialité particulièrement élevé jusqu'à leur neutralisation par la gendarmerie nationale et les polices belges et néerlandaises, comme en témoignent les affaires EncroChat424(*) et Sky ECC425(*) qui ont été évoquées ci-avant.

Les interceptions téléphoniques sont légalement426(*) utilisées depuis plus de trente ans par les services d'enquête et l'autorité judiciaire, ce qui peut expliquer que les réseaux criminels de narcotrafiquants soient habitués à contourner ce procédé dans le cadre leurs activités.

C'est le constat que dresse Sophie Aleksic, juge d'instruction à la tête de la Jirs de Paris : « le trafic de stupéfiants s'est complexifié et mondialisé à l'image de ce qui se passe dans notre société. Ces structures sont très organisées. Elles apprennent, elles savent s'adapter pour déjouer les méthodes d'enquête classiques et pour échapper aux forces de l'ordre, ce qui rend beaucoup plus complexes les dossiers à traiter. Nos dossiers judiciaires sont régis par le principe du contradictoire et décrivent en détail toutes nos méthodes, permettant ainsi aux trafiquants de comprendre leurs points de fragilité, de savoir comment ils ont été interpellés et de s'adapter »427(*).

Néanmoins, d'autres techniques spéciales d'enquête, dont certaines sont plus récentes et innovantes, connaissent encore une relative efficacité qui semble toutefois menacée en raison du principe du contradictoire. En d'autres termes, il apparaît au terme des travaux de la commission d'enquête que le recours à ces techniques est entravé par la crainte - fondée - des policiers de voir leurs méthodes d'enquête exposées aux personnes mises en cause et, partant, potentiellement communiquées à des tiers délinquants, mettant en péril les tactiques mises en oeuvre dans plusieurs investigations en cours ou à venir : ils préfèrent donc, face à ce risque, renoncer à utiliser certaines techniques spéciales d'enquête pourtant autorisées par le législateur.

Dès sa première audition, la cheffe de l'Ofast, Stéphanie Cherbonnier, a notamment indiqué à la commission d'enquête qu'il lui « [...] semble nécessaire de protéger du contradictoire l'utilisation de certaines techniques spéciales d'enquête. Le faible recours à l'infiltration en matière de trafics de stupéfiants s'explique avant tout par le fait que la retranscription en procédure de toutes les actions mises en oeuvre - ensuite versée au contradictoire - donne des clés aux organisations criminelles, qui non seulement rechercheront des vices de procédure, mais comprendront aussi les méthodes utilisées. Outre l'exigence d'adaptation permanente qui en résulte, ce mode de fonctionnement fait surtout peser le risque, majeur, de la mise en danger de la vie de la personne infiltrée »428(*).

Enfin, devant la commission d'enquête, le directeur du service d'enquêtes judiciaires des finances, Marc Perrot, a résumé la problématique posée par le respect du principe du contradictoire et le recours aux techniques spéciales d'enquête de la manière suivante : « Dès lors que nous sollicitons, comme le veut la loi - et il n'est pas question de faire autrement -, des autorisations pour l'installation d'une technique d'enquête, nous indiquons au voyou, au moment où il a connaissance de la procédure, où nous avons pu accéder à la faille. Cela revient à nous dévoiler, sur la technique elle-même ou sur la manière dont nous l'avons installée. Nous donnons des billes à l'adversaire »429(*).

2. L'impossibilité d'utiliser les procédures spécifiques à la criminalité organisée pour certaines infractions pourtant connexes

Alors que le narcotrafic a connu différentes évolutions au cours des dernières années (comme le décrit la première partie du rapport), la commission a constaté l'existence de limites liées au périmètre du régime procédural de la criminalité organisée430(*) : celui-ci n'est en effet pas applicable à certaines infractions pourtant connexes aux trafics de stupéfiants. Ces limites sont regrettables en ce qu'elles ne permettent pas d'utiliser, pour ces infractions connexes, les techniques spéciales d'enquête propres à la criminalité organisée ni les règles spécifiques de procédures (règles relatives à la garde à vue, par exemple).

En effet, et premièrement, plusieurs infractions (pouvant principalement se manifester par des actes de tortures, des enlèvements et séquestrations, des meurtres ou des assassinats) matérialisant des règlements de comptes431(*) entre narcotrafiquants sont soumises au régime procédural de l'article 706-73 du code de procédure pénale. Néanmoins, tel n'est pas le cas si les infractions précitées ne sont pas commises en bande organisée, mais uniquement en réunion.

Or, la bande organisée répond à une définition juridique précise432(*) et certains règlements de compte peuvent ne pas être commis en bande organisée stricto sensu mais plutôt en réunion. Dès lors, le régime procédural spécifique à la criminalité organisée ne pourra pas être appliqué.

En outre, d'autres infractions, à l'instar des violences avec arme433(*) ou des violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente434(*) ou une incapacité de travail importante435(*), très fréquentes en matière de règlements de compte, ne sont pas couvertes par le régime de la criminalité organisée.

Pourtant, ces faits surviennent du seul fait de l'existence de trafics de stupéfiants et comme nous l'avons vu dans la première partie du rapport, ils s'intègrent dans un continuum criminel, ces violences étant utilisées par les narcotrafiquants pour installer leur activité, régler des différends ou défendre leurs points de deal. Dès lors, ces infractions relèvent bel et bien de la criminalité organisée.

Deuxièmement, et de la même manière, les faits de corruption436(*) par les narcotrafiquants d'agents du secteur public ou du secteur privé, s'inscrivent également dans un continuum des trafics de stupéfiants. Comme évoqué en première partie du rapport, la corruption est nécessaire à l'activité des organisations criminelles. Or en l'état actuel du droit, les enquêtes pour corruption en lien avec un trafic de stupéfiants ne permettent pas, non plus, d'appliquer le régime procédural de la criminalité organisée. Cette difficulté mène à ce que les faits de corruption soient, de plus en plus souvent, traités comme une complicité au trafic de stupéfiants, permettant le recours à la procédure ad hoc mais empêchant un comptage statistique fiable et conduisant de toute évidence à une sous-évaluation du phénomène - on y reviendra.

3. Une spécialisation lacunaire de la chaîne pénale

La spécialisation de la chaîne pénale est un processus consistant à affecter des magistrats, du siège ou du parquet, ainsi que des services d'enquête à un seul contentieux.

Justifiée tant par la gravité que par la complexité de la matière ainsi dévolue, la spécialisation se retrouve par exemple dans le domaine de l'antiterrorisme à tous les stades de la chaîne pénale437(*). Afin de valoriser les moyens, les compétences et le fonctionnement en réseau, ont ainsi été créés, outre les services d'enquête spécialisés, un parquet national antiterroriste et des juges d'instruction antiterroristes. Par ailleurs, au stade du jugement, des cours d'assises spécialement composées bénéficiant d'un régime dérogatoire du droit commun ont été instituées. Enfin, la phase post-sentencielle a elle aussi vu l'apparition d'un juge de l'application des peines dédié et spécialement formé à gérer la détention des profils terroristes et radicalisés.

La lutte contre le trafic de stupéfiants a été renforcée depuis la création des juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) en 2004 et de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) en 2019. Le bilan est positif dans la phase d'instruction : en effet, ces avancées ont permis, comme le rappelait lors de son audition Sophie Aleksic, première vice-présidente, coordinatrice du pôle « criminalité organisée » de la Junalco, d'améliorer la mise en oeuvre des techniques spéciales d'enquête et de développer le fonctionnement en réseau ainsi que la coopération internationale438(*).

Pour autant, la spécialisation de la chaîne pénale reste lacunaire au stade du jugement et de l'application des peines.

La première de ces lacunes tient, comme pour les techniques spéciales d'enquête, au périmètre de compétences de la cour d'assises spécialement composée compétente en matière de trafic de stupéfiants439(*), compétence qui trouve ses limites dans l'absence de prise en compte des infractions connexes.

À ce titre, Laure Beccuau a relevé que la cour d'assises spéciale « existe déjà en matière de stupéfiants - il n'y a que des magistrats professionnels -, mais pas en matière de règlement de comptes. Or, sans cour d'assises spécialement composée, les jurés sont très exposés aux menaces visant à influencer le délibéré, comme cela s'est produit récemment à Bobigny »440(*).

Les comités d'accueil et de soutien lors des audiences correctionnelles des trafiquants de drogue : une pression exercée sur les magistrats ?

Lors des déplacements et auditions menées par la commission d'enquête, il a été signalé à plusieurs reprises des cas de présence de nombreux individus venant apporter leur soutien à un proche jugé pour des faits de trafic de stupéfiants ou des infractions connexes. Ces groupes sont parfois composés de nombreux individus et peuvent nécessiter une présence renforcée des forces de l'ordre pour assurer la sérénité des débats de la juridiction et la sécurité du personnel judiciaire.

Les personnes présentes ont aussi, parfois, pour mission de s'assurer de la loyauté et du silence du membre de leur organisation criminelle qui est jugé, au risque pour celui-ci de s'exposer à des représailles ou d'y exposer des membres de son entourage.

Ces comités de soutien peuvent également s'apparenter à des « comités d'accueil » pour les membres du tribunal dans la mesure où il pourrait s'agir d'une forme de pression indirecte. Le rapporteur a par exemple été informé d'une audience jugeant les membres d'une organisation criminelle, à la fin de laquelle un individu dans le public avait apporté un bouquet de fleurs et une boîte de chocolats à destination du magistrat qui présidait l'audience. Le ministère public présent à cette audience avait alors demandé aux policiers présents d'interpeller cet individu pour les faits d'outrage à magistrat. Ce type de faits inquiètent en ce qu'ils illustrent à la fois une forme d'intimidation et de mépris à l'égard de l'autorité judiciaire.

Laure Beccuau a, de même, résumé les enjeux de la phase post-sentencielle en expliquant que « gérer une personnalité de la grande criminalité organisée est tout à fait différent de gérer un délinquant de droit commun », ce qui pose problème dans un contexte où les narcotrafiquants sont aujourd'hui pris en charge par des juges de l'application des peines généralistes et où ils peuvent bénéficier des réductions de peines prévues par le droit commun.

4. L'épée de Damoclès des nullités de procédure et autres irrégularités procédurales

Dans l'attente de la fin des travaux de réécriture à droit constant du code de procédure pénale par la Chancellerie, autorisée par le Parlement dans le cadre d'une d'ordonnance441(*), la commission s'inquiète de certains dévoiements des règles du code de procédure pénale qui remettent en cause l'efficacité de la lutte contre le narcotrafic.

En effet, si dans l'appréhension des nullités prévues par le code de procédure pénale442(*), la jurisprudence de la Cour de cassation cherche à trouver un équilibre entre, d'une part, le respect des droits de la personne (notamment, le droit à un procès équitable et le droit au respect de la vie privée) et, d'autre part, l'obligation pour les États d'assurer le droit à la sécurité des citoyens par la prévention des infractions et la recherche de leurs auteurs, force est de constater que dans les affaires de criminalité organisée, les nullités de procédure permettent à des auteurs d'infractions particulièrement graves d'échapper en partie à leur responsabilité pénale malgré la matérialité avérée des faits reprochés.

Les affaires mettant en cause des narcotrafiquants, habituellement menées par des enquêteurs et des magistrats spécialisés, sont généralement bien étayées sur le plan probatoire, la culpabilité des mis en cause n'étant pas l'enjeu dans ces procédures. Les avocats de la défense se concentrent donc sur les éventuelles faiblesses procédurales permettant d'obtenir l'annulation d'un acte de la procédure (et parfois son intégralité de manière subséquente) ainsi que la remise en liberté de leurs clients. Lors de son audition par la commission, Philippe-Henry Honegger, avocat pénaliste, a abondé en ce sens en admettant que « parfois la procédure est trop complexe ou difficile à suivre pour les services de police, et cela peut effectivement donner lieu à des erreurs dont profitent les avocats pour obtenir des nullités »443(*).

a) Des nullités de procédure qui entraînent l'annulation d'un acte ou de toute la procédure

Pour mémoire, la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation distingue les nullités d'ordre public et les nullités d'intérêt privé.

Les nullités d'ordre public sont celles « qui touchent à la bonne administration de la justice ». Les causes de nullité entrant dans cette catégorie résultent de la violation des règles relatives à la compétence des juridictions, à l'étendue de leur saisine ou à leur composition444(*). Certaines règles entourant les modalités de la saisine de la juridiction sont également regardées comme étant d'ordre public445(*). La Cour de cassation semble également regarder comme des règles d'ordre public celles, ou certaines de celles, encadrant l'exécution des mesures d'expertise446(*). En outre, les nullités d'ordre public peuvent être invoquées par un requérant, partie à la procédure ou tiers admis à y intervenir, qui a intérêt à agir. Enfin, lorsqu'une nullité est d'ordre public, tous les actes affectés par l'irrégularité qu'elle sanctionne doivent être annulés.

À l'instar des nullités d'ordre public, les nullités d'ordre privé peuvent être invoquées par un requérant qui a intérêt à agir mais il doit aussi avoir qualité pour agir447(*) et surtout, l'irrégularité invoquée doit lui avoir causé un grief, à l'inverse de la nullité d'ordre public. Autre différence avec les nullités d'ordre public, ne peuvent être annulés que les actes qui sont affectés par une irrégularité qui porte atteinte à un droit ou un intérêt propre au requérant.

En outre, le régime de certaines nullités d'intérêt privé se rapproche de celui des nullités d'ordre public, soit parce que l'intérêt protégé est partagé par l'ensemble des parties, soit parce que le prononcé de la nullité n'est pas subordonné à la démonstration d'un grief.

Ainsi, si les nullités d'ordre public s'apprécient de manière assez évidente, les nullités d'ordre privé posent davantage de difficultés aux acteurs de la procédure pénale que sont les enquêteurs, les magistrats et les avocats. En effet, la chambre criminelle de la Cour de cassation, en cherchant à assurer un équilibre fin entre sécurité de la procédure et la protection des droits, créée une insécurité pour ces mêmes acteurs, en particulier les enquêteurs et les magistrats qui ont notamment pour mission d'assurer la répression des infractions.

La désaffection des agents des forces de l'ordre pour l'activité judiciaire, observée depuis plusieurs années, est notamment liée à la très grande complexité de la procédure pénale et aux nullités qui peuvent sanctionner un acte essentiel du dossier ou, dans certains cas, son intégralité. Malgré les preuves amassées par les enquêteurs pendant de longues semaines ou de longs mois, leur travail, ainsi que celui des magistrats qui dirigent les investigations, est donc parfois réduit à néant - ce qui peut donner un sentiment de découragement renforcé par l'idée que le régime des nullités de procédure serait trop protecteur des narcotrafiquants.

Caroline Parizel, vice-procureure près le tribunal judiciaire de Bayonne, illustre justement le sentiment des enquêteurs par ce propos : « Sur le terrain, les enquêteurs sont de moins en moins motivés pour faire du judiciaire. Les règles sont de plus en plus complexes, et ils craignent les recours en nullité »448(*).

Deux exemples jurisprudentiels récents peuvent illustrer l'idée que le régime des nullités peut sembler trop favorable aux délinquants :

· la Cour de cassation a prononcé la nullité du procès-verbal relatif à l'exploitation du fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) par un agent de la police nationale qui n'était pas individuellement désigné et spécialement habilité à le faire et qui n'avait pas, à défaut, été autorisé à le faire par le procureur de la République449(*) ;

· sur la pose d'une balise d'un véhicule pour permettre sa géolocalisation en temps réel, la Cour de cassation exige que la décision écrite du magistrat compétent soit rendue avant la pose de la balise450(*), alors que le dernier alinéa de l'article 230-33 du code de procédure pénale451(*) ne précise pas à quel moment cette décision doit être formalisée et qu'en pratique, les balises sont souvent posées la nuit et la décision du magistrat rédigée quelques heures plus tard, pendant les heures ouvrées.

b) Des irrégularités procédurales qui donnent lieu à des remises en liberté inattendues

Lors des auditions et déplacements de la commission, les acteurs judiciaires ont alerté des difficultés rencontrées dans la gestion de la détention provisoire des personnes incarcérées pour des affaires de criminalité organisée, et en matière de trafic de stupéfiants plus particulièrement. Ils signalent qu'ils assistent au recours à des procédés déloyaux de la part des avocats de la défense pour obtenir la remise en liberté de leurs clients.

Plusieurs exemples de ces stratagèmes ont été présentés à la commission ; elle a choisi de ne pas les faire figurer dans le présent rapport afin de ne pas leur accorder une publicité malvenue et potentiellement fragilisante pour les juridictions. Elle se bornera ainsi à rappeler - puisque ce cas d'espèce a fait l'objet d'un arrêt récent de la chambre criminelle de la Cour de cassation452(*) - qu'il a pu arriver que des demandes de mise en liberté soient présentées de manière dolosive, en toute fin d'un document qui ne porte pas ce titre ou qui semble concerner un autre point du dossier : une telle pratique a été reconnue par la Cour comme une manoeuvre ne répondant pas aux exigences prévues à l'article 148-6 du code de procédure pénale et, par conséquent, jugée irrecevable.

5. Un allongement regrettable des délais de la procédure qui mettent fin à la détention provisoire

La commission a été alertée par les difficultés de certaines juridictions à traiter les recours en nullité de manière suffisamment rapide dans des affaires de criminalité organisée dans laquelle des personnes sont détenues provisoirement. La célérité de traitement de ces recours est un enjeu particulièrement fort puisque les délais de détention provisoires sont limités selon l'infraction reprochée aux mis en examen.

Le président du tribunal judiciaire de Marseille, Olivier Leurent, note à ce propos que « le temps de traitement des requêtes en nullité s'établit à environ un an, soit un délai totalement inadapté au regard de la nécessité d'apporter une réponse rapide en la matière ». Il ajoute que « le manque de moyens humains rejaillit sur la chambre de l'instruction d'Aix-en-Provence, avec une centaine de requêtes en nullité pendantes. En effet, si un juge d'instruction n'a pas convoqué une personne mise en examen et détenue dans les quatre mois suivant sa comparution devant lui - ce qui est impossible à cause de notre charge de travail -, celle-ci peut saisir la chambre de l'instruction directement d'une demande de mise en liberté »453(*).

Ainsi, les moyens humains contraints des juridictions amènent à un allongement du traitement des délais de procédure qui peuvent, par voie de conséquence, entraîner des remises en liberté.

L'avocat Philippe-Henry Honegger partage ce constat : « Ce manque de moyens conduit aux problèmes que j'ai évoqués, et plus encore : les temps de traitement des recours en nullité à la fois par la chambre de l'instruction et par la Cour de cassation sont tellement longs qu'ils peuvent conduire à des remises en liberté, mais est-ce à cause des avocats qui soulèvent légitimement des difficultés, ou est-ce à cause du manque de moyens qui fait qu'il faut six mois ou un an pour traiter un recours ? Il est évident que les procédures sont trop longues »454(*).

Enfin, la commission se demande si certains avocats n'ont pas comme stratégie de voir s'enliser les procédures d'instruction par la multiplication des recours en nullité afin d'obtenir la libération de leurs clients. Certains acteurs judiciaires de la criminalité organisée ont pu constater que, une fois obtenues, les libérations conduisent régulièrement à la fuite à l'étranger des personnes concernées et, ou alors, à la reprise par ces dernières de leurs activités criminelles. Dans certains services de l'instruction, il a également été constaté que, alors que le délai pour présenter une requête en nullité est de six mois après un interrogatoire455(*), certains avocats déposent leur requête le vingt-neuvième jour du cinquième mois, ce qui peut laisser penser à une forme de comportement dilatoire de la part des avocats.

B. LA POURSUITE DU NARCOTRAFIC EN PRISON

Tant Laure Beccuau que Nicolas Bessone ont pointé, lors de leurs auditions respectives, les limites d'un système d'incarcération qui ne prévoit pas, en tant que tel, un traitement spécifique pour les narcotrafiquants de haut vol afin de les empêcher de continuer à gérer leur trafic en prison.

Lors de ses auditions et déplacements, la commission a effectivement constaté que la détention n'était pas une entrave efficace pour neutraliser l'activité criminelle des narcotrafiquants (cf. première partie du rapport). Actuellement, les condamnés pour des faits de trafic de stupéfiants ne relèvent pas d'un régime de détention spécifique du seul fait de leur condamnation. Ils peuvent toutefois être soumis au régime des « détenus particulièrement signalés »456(*), communément appelés « DPS ».

Les détenus particulièrement signalés (DPS) : des modalités d'incarcération visant à prévenir d'une évasion ou de violences en détention

Les personnes détenues susceptibles d'être inscrites ou maintenues au répertoire des DPS sont celles dont au moins l'un des critères suivants est rempli :

1° appartenant à la criminalité organisée locale, régionale, nationale ou internationale ou aux mouvances terroristes, appartenance établie par la situation pénale, par un signalement des autorités judiciaires et administratives ou des forces de sécurité intérieure ;

2° signalées ou ayant été signalées pour une évasion réussie, tentée ou projetée depuis un établissement pénitentiaire ou à l'occasion d'une extraction, d'un transfert administratif ou d'une translation judiciaire ;

3° susceptibles de mobiliser par tout moyen, un soutien humain, logistique ou financier extérieur en vue de s'évader et/ou de causer un trouble grave au bon ordre de l'établissement ;

4° dont la soustraction à la justice, en raison de leurs personnalités et/ou des faits pour lesquels elles sont écrouées pourraient avoir un impact important sur l'ordre public ;

5° susceptibles d'actes de grandes violences, ou ayant commis des atteintes graves à la vie d'autrui, des viols, actes de torture et de barbarie ou prises d'otage en établissement pénitentiaire ;

6° signalées ou ayant été signalées pour avoir été à l'initiative d'un mouvement collectif, d'une mutinerie ou d'actes de dégradations de grande ampleur en établissement, ou d'avoir participé à plusieurs reprises à de tels incidents.

Les détenus particulièrement signalés font l'objet d'une attention particulière en détention (localisation de leur cellule, relations avec l'extérieur, déplacements au sein de l'établissement pénitentiaire, etc.), leurs déplacements à l'extérieur impliquent la présence d'effectif renforcé et leur changement de lieux de détention est susceptible d'être plus fréquent que pour d'autres détenus.

Source : ministère de la justice457(*)

Ce statut apparaît aujourd'hui insuffisant, notamment dans un contexte où la stratégie de « recrutement » déployée par les trafiquants du haut du spectre en détention, déjà évoquée, est une manipulation sourde qui ne génère pas de troubles à l'ordre public de l'établissement et ne « tombe » dans aucun des critères de classement comme DPS, et où la continuation du trafic en prison est rarement repérée par l'administration pénitentiaire, ne permettant pas l'application d'un régime de détention adapté. Dans leur réponse commune au questionnaire écrit du rapporteur, la direction de l'administration pénitentiaire (DAP) et le service national du renseignement pénitentiaire (SNRP) reconnaissaient ainsi que « les narco-trafiquants haut de spectre ont très bien intégré les règles de la détention et du parcours de peine et sont, à cet égard, très bien conseillés par d'autres détenus. Ils se montrent, pour la majorité, respectueux du cadre et ne posent pas de problèmes de discipline. Ils peuvent ainsi bénéficier rapidement de facilités de détention (classement au travail, régime de confiance, gestion portes ouvertes, notamment en MC [maison centrale] et QMC [quartier maison centrale]) et se posent parfois en modérateurs de la détention ». Ce constat a, au vu de la gravité de la menace que représente le narcotrafic, de quoi préoccuper.

Ce maintien du lien avec l'extérieur est aggravé par certaines règles de détention dont la commission d'enquête a peiné à comprendre le bien-fondé. Tel est notamment le cas du fonctionnement du pécule des détenus, qui permet d'alimenter leurs dépenses, qu'il s'agisse de la « cantine » (donc les dépenses courantes en détention) ou l'indemnisation des victimes, et qui peut être abondé par des virements extérieurs. Or, si de tels virements doivent être autorisés par le chef d'établissement, ils ne sont pas plafonnés. Cette situation pose deux problèmes :

· tout d'abord, elle laisse la possibilité au réseau de rétribuer l'un de ses membres en détention, notamment en utilisant des prête-noms en tant que responsables du virement pour éviter que l'origine des fonds ne puisse être repérée ;

· ensuite, l'argent laissé à la disposition de certains détenus du haut du spectre peut permettre, en particulier quand le solde accessible atteint des montants élevés, d'acheter des « arrangements » avec des codétenus qui peuvent devenir autant de « petites mains », en détention ou à l'extérieur.

Une autre difficulté est posée par les moyens dont dispose l'administration pénitentiaire pour lutter contre la présence des téléphones portables en prison, soit en empêchant le fonctionnement de ces appareils par un système de brouillage, soit en évitant leur entrée dans les établissements pénitentiaires (par projection, par drone ou encore par le biais des visiteurs extérieurs au parloir) - étant rappelé que, comme le présent rapport l'a souligné en première partie, les téléphones illicites sont le seul moyen pour un narcotrafiquant incarcéré de rester en contact avec ses complices restés libres et de continuer, par ce biais, d'animer un réseau ou de commanditer des violences.

Lors de son audition par la commission d'enquête en avril 2024, le garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti a indiqué, en réponse aux interrogations formulées par certains commissaires, que « le brouillage a commencé en 2017. Quelque 19 établissements sont équipés. Cela représente un budget de 15 millions d'euros par an. En 2024, 33 dispositifs supplémentaires ont été commandés. Quelque 45 sites sont dotés d'outils antidrones. Fin 2024, 60 sites seront équipés, pour un budget entre 3 et 4 millions d'euros »458(*).

Pour autant, les propos tenus par Emmanuel Razous, directeur adjoint de l'administration pénitentiaire, et par Camille Hennetier, cheffe du SNRP, lors de leur audition à huis clos le 30 janvier 2024, conduisent à nuancer cette affirmation optimiste. Emmanuel Razous déclarait ainsi que « le brouillage des communications n'est pas si simple à mettre en oeuvre : le brouillage d'un périmètre pénitentiaire a comme conséquence celui des communications à l'extérieur de la prison [...]. Nous faisons ainsi face à des plaintes de riverains, qui après s'être adressés à leurs opérateurs viennent chercher auprès des établissements pénitentiaires la cause des dysfonctionnements qu'ils subissent ».

S'agissant du risque que des téléphones entrent frauduleusement en détention, il ajoutait : « J'aimerais que nous puissions avoir assez de surveillants autour des cours de promenade ou des dispositifs de contrôle suffisamment élaborés, que ce soit sur un plan technique ou en ressources humaines, pour mener à bien cette lutte. Mais, je vous le rappelle, nous comptabilisons actuellement 76 000 détenus - un niveau jamais atteint hors temps de guerre - et il nous manque 2 500 surveillants pénitentiaires. Certes, nous disposons de techniques de brouillage de drones ou de portiques paramétriques, mais ce n'est pas suffisant pour empêcher tout passage ».

Camille Hennetier, cheffe du SNRP, abondait dans le même sens en mettant en avant la forte « ingéniosité » des détenus : « les matériels introduits peuvent être des téléphones de très petite taille, parfois passés in corpore, des montres connectées, des oreillettes, etc. [...] Enfin, trouver un téléphone n'est pas si simple : les appareils passent d'une cellule à l'autre au moyen du yoyo, avec un problème d'imputabilité au moment où on les retrouve, et les systèmes de cache dans les murs et dans les sols sont relativement ingénieux. Je ne prétends pas que la situation est satisfaisante, mais ce n'est pas si simple ».

Désireux d'aller plus loin sur cet enjeu crucial, le rapporteur a fait jouer son droit de communication auprès de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP). Il résulte des éléments qui lui ont été transmis en avril 2024 que :

· pour les brouilleurs de communications téléphoniques, dix-neuf établissements sont à ce jour équipés par des dispositifs fixes ; les autres disposent de dispositifs mobiles permettant a minima de couvrir les zones les plus sensibles sur le plan sécuritaire (quartier disciplinaire, isolement, etc.). Ce chiffre, qui corrobore les propos du ministre de la justice, doit toutefois être mis en regard avec le nombre d'établissements considérés comme « prioritaires » par la DAP, soit 33, comme avec les difficultés visiblement rencontrées pour tenir compte du passage à la 5G dite « stand alone » pour laquelle des expérimentations techniques restent en cours, alors même que le déploiement de cette technologie par les opérateurs est imminent (il est prévu au second semestre 2024). Le bilan est donc loin d'être aussi univoque que ce que suggérait la réponse du garde des sceaux au cours de son audition ;

· pour la lutte antidrone, et outre des progrès marquants dans la détection des survols (le nombre de drones repérés a été multiplié par dix entre 2022 et 2023), 41 sites sont aujourd'hui équipés d'un dispositif fonctionnel ; l'objectif de la DAP est de couvrir 60 établissements d'ici la fin de l'année 2024. En revanche, la politique d'usage de ces équipements pose question : les matériels antidrones ne sont, en effet, pas actifs en permanence et ne sont mis en service que lorsqu'un survol est constaté, sans que la commission d'enquête ait pu comprendre les justifications de cette doctrine, qui nuit à la lutte contre l'entrée d'objets illicites en détention.

Ces éléments conduisent à dresser un constat mitigé, mais ils n'épuisent pas le sujet. Plusieurs questions restent ainsi ouvertes : arrive-t-il que l'administration pénitentiaire tolère la présence de téléphones portables pour ménager ses relations avec les riverains (ce qui implique un brouillage partiel, et donc imparfait, des communications), ou encore pour pouvoir écouter les conversations de détenus restés en lien avec leurs complices, voire pour « acheter la paix civile » ? Comment expliquer que le brouillage ne paraisse pas complètement opérationnel dans des établissements pourtant éloignés des coeurs de ville, et même de toute habitation ?

Sur ces sujets, et en dépit de ses efforts, le rapporteur n'aura pas réussi à obtenir une réponse claire ; il ne peut que le déplorer au vu de l'importance d'une mise à l'écart effective des narcotrafiquants pendant leur détention.

C. UNE CORRUPTION DIFFICILE À DÉTECTER COMME À RÉPRIMER

Si les violences perpétrées en lien avec le narcotrafic depuis le début de l'année 2023 ont durablement - et légitimement - marqué l'opinion publique, elles ne constituent que la face immergée de l'iceberg. La commission d'enquête estime ainsi que l'un des phénomènes les plus préoccupants qu'il lui ait été donné de constater au cours de ses travaux est la montée en puissance de la corruption, véritable venin dont le Gouvernement ne semble pas avoir encore pris la mesure : sous-estimée, mal documentée, cette évolution se traduit aujourd'hui par un sentiment lancinant, mais partagé par tous les acteurs du terrain, qui assistent impuissants à une décomposition face à laquelle certains préfèrent fermer les yeux.

La commission ne s'y trompe pas : la corruption ne vient pas seulement par l'appât du gain. Elle résulte aussi de la peur de ce qui peut arriver, à soi ou à ses proches, si on dit non ; elle se nourrit de promesses autant que de menaces et de pressions, comme le résume l'adage bien connu en Amérique du Sud : plomo o plata, l'argent ou le plomb. Elle n'en demeure pas moins une réalité angoissante et, à ce jour, bien trop peu prise en charge.

1. Cachez cette corruption que je ne saurais nommer

Les faits de corruption ne sont pas systématiquement poursuivis sous cette qualification pénale. Isabelle Jégouzo, directrice de l'Agence française anticorruption (AFA) depuis août 2023, relève que les faits commis par les personnes corrompues par les narcotrafiquants « [...] ne sont pas toujours identifiés en tant que tels et ne font pas toujours l'objet de poursuites. Nous pensons néanmoins que la corruption est en réalité plus répandue qu'on ne le pense. En effet, dans une affaire de stupéfiants, la corruption qui peut exister à la source ne sera pas toujours caractérisée pénalement. Souvent, les faits seront appréhendés sous l'angle de la complicité de trafic de stupéfiants, tout simplement parce qu'elle est plus facile à caractériser et que les enquêteurs bénéficient, pour ces faits, de mécanismes d'enquête - durée de la garde à vue, recours à des techniques spécifiques - qui ne sont pas possibles en matière de corruption. Même si la corruption existe - et c'est souvent le cas -, elle n'apparaît pas dans les procédures, le phénomène étant plus difficile à mettre en évidence au cours de l'enquête. D'ailleurs, les enquêteurs spécialisés ne sont pas nécessairement les mêmes dans ces différents domaines »459(*).

Le trafic de stupéfiant de nature délictuelle (transport, détention, offre, cession ou acquisition) est effectivement réprimé de dix ans d'emprisonnement et 7 500 000 euros d'amende460(*) ; le trafic de stupéfiants de nature criminelle, qui correspond d'une part à la direction ou organisation d'un groupement de trafic de stupéfiants et d'autre part à la production, la fabrication, l'importation ou l'exportation illicites de stupéfiants en bande organisée, est puni (respectivement) de réclusion criminelle à perpétuité ou de trente ans de réclusion criminelle, la peine d'amende de 7 500 000 euros d'amende étant identique pour les deux crimes.

L'infraction de corruption et de trafic d'influence est punie de dix ans d'emprisonnement et un million d'euros d'amende. Or c'est la qualification pénale avec la peine encourue la plus haute que les juridictions doivent retenir lorsque deux infractions concurrentes peuvent s'appliquer à un même fait.

Corruption et trafic d'influence

Parmi les différentes atteintes à la probité réprimées par le code pénal, seules certaines sont susceptibles d'être applicables de manière directe aux agissements des narcotrafiquants.

Il y a en premier lieu la corruption461(*) au sens strict qui sanctionne soit :

· le comportement du corrompu, qui accepte ou sollicite un avantage quelconque pour accomplir ou s'abstenir d'accomplir un acte de sa fonction (corruption passive) ;

· le comportement du corrupteur qui offre ou cède aux sollicitations du corrompu afin d'obtenir de ce dernier l'accomplissement (ou le non-accomplissement) d'un acte de sa fonction (corruption active).

Le corrompu peut être un agent public français ou étranger (corruption publique), ou un acteur privé (corruption privée).

En second lieu, l'infraction de trafic d'influence462(*) sanctionne également deux comportements :

· celui par lequel l'auteur du trafic d'influence actif promet ou accepte de donner un avantage quelconque à un intermédiaire (personne publique ou privée) pour qu'il utilise son influence (réelle ou supposée) auprès d'une tierce personne (autorité ou administration publique), afin d'obtenir de cette dernière une décision ou un avis favorable pour la première personne ;

· et celui de l'intermédiaire qui sollicite ou accepte l'avantage quelconque afin d'utiliser son influence (réelle ou supposée) sur la tierce personne (trafic d'influence passif).

Outre cet enjeu de qualification juridique pouvant cacher la réalité quantitative du phénomène corruptif dans son, le chef de l'inspection de la gendarmerie nationale, Jean-Michel Gentil, souligne que la corruption est difficile à réprimer car elle est aussi difficile à détecter : « La difficulté est que la corruption est un délit occulte, c'est même le délit occulte par essence, et sa mise en évidence est souvent fortuite, elle se produit à l'occasion d'autres affaires, par exemple quand, à la faveur d'une écoute téléphonique, on a connaissance d'un phénomène de corruption »463(*).

Agnès Thibault-Lecuivre, cheffe de l'inspection générale de la police nationale, complète ce propos en précisant, s'agissant de l'utilisation abusive des fichiers de la police nationale, que son administration est face à une difficulté importante, à savoir une « [...] incapacité à détecter en amont les utilisations abusives et illicites de fichiers. En effet, quand nous en avons connaissance, c'est soit par l'intermédiaire de procédures incidentes, soit parce que l'on aura détecté une utilisation par hasard »464(*).

2. Un phénomène corruptif grandissant

Le phénomène corruptif prend de l'ampleur en France, comme en attestent les statistiques agrégées par l'Agence française anticorruption. Les atteintes à la probité étaient de 628 (dont 170 faits de corruption) en 2016 contre 801 (dont 248) en 2021, soit une augmentation de 46 % des seuls faits de corruption en cinq ans.

Évolution du nombre d'infractions d'atteinte à la probité entre 2016 et 2021

Source : Agence française anticorruption et Interstats465(*)

La corruption est de manière certaine une pratique au service des criminalités organisées. La commission partage donc pleinement les propos de Jérôme Bourrier, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bayonne, concernant les liens entre la corruption et les trafics de stupéfiants en ce qu'il résume avec justesse la problématique : « La corruption me semble une thématique centrale. C'est une arlésienne : tout le monde en parle, mais il y a peu de dossiers aboutissant à une condamnation. Cela tient à la difficulté de cette qualification, qui demande de démontrer un pacte de corruption, ce qui est complexe. La corruption en lien avec le trafic de stupéfiants est pourtant un point de vigilance majeur »466(*).

Pour autant, en l'état des études menées par l'agence française anticorruption, les liens entre les atteintes à la probité et le trafic de stupéfiants, et ses infractions connexes (règlements de compte, blanchiment, etc.), n'est pas évident à établir de manière claire et précise, comme le démontre le schéma ci-dessous :

Part des infractions connexes dans les procédures d'atteinte à la probité

Source : Agence française anticorruption et Interstats467(*)

Le risque d'une contagion des administrations par le narcotrafic est donc à la fois réel et identifié par les pouvoirs publics, sans que les plans d'action déployés (voir infra) n'apparaissent à la hauteur du danger existentiel que la corruption fait, d'où qu'elle vienne, peser sur les institutions.

3. L'intérêt marqué des narcotrafiquants pour les fichiers et autres informations détenus par les forces de l'ordre

Une pratique identifiée par les forces de l'ordre est celle de la consultation illicite des fichiers dont leurs agents disposent. La directrice de l'Agence française anticorruption, Isabelle Jégouzo, explique qu'il s'agit d'un « [...] phénomène extrêmement préoccupant et qui prend de l'ampleur est facilité par l'usage des réseaux sociaux. [...] Sur les réseaux sociaux, il est facile en effet de proposer un accès à ces fichiers de manière totalement anonyme, sans lien direct entre le pourvoyeur et le détenteur des informations, avec recours éventuel à des moyens de paiement électroniques qui, eux aussi, sont totalement anonymes. Tout cela n'est pas facile à tracer et les administrations en sont conscientes »468(*).

La procureure de la République adjointe au tribunal judiciaire de Lille, Virginie Girard, précise quels sont les fichiers accessibles aux forces de l'ordre et d'intérêt pour les narcotrafiquants : « le fichier SIV (système d'immatriculation des véhicules), le FOVeS (fichier des objets et des véhicules volés) ou la consultation du statut des mises en cause. Par exemple, dans l'un de nos dossiers, une personne qui n'appartenait pas à un service d'investigation a été approchée par des narcotrafiquants pour consulter le FPR (fichier des personnes recherchées) pour le compte de commanditaires désireux de savoir combien de mandats sont décernés contre eux, là aussi pour ensuite jouer des facilités procédurales »469(*).

La cheffe du service de l'inspection générale de la police nationale, Agnès Thibault-Lecuivre, note par ailleurs que les fichiers ne sont pas les seules informations recherchées par les narcotrafiquants : « [...] ces organisations criminelles sont également intéressées par les informations détenues par les services d'investigation : l'avancement d'une procédure, les programmations d'interpellation, de perquisition, avec des précisions sur les lieux, les jours et les heures ; tout cela suscite la convoitise des organisations criminelles »470(*). Cette convoitise n'est que renforcée par les progrès technologiques : le terminal « NEO » des policiers et gendarmes donne ainsi accès à des informations qui n'étaient auparavant pas consultables à distance - voire à des informations auxquelles les effectifs concernés n'avaient pas forcément accès par le passé471(*) -, augmentant les opportunités de corruption.

Les déplacements de la commission d'enquête lui ont, de même, permis de constater à quel point la gestion des badges d'accès aux zones portuaires sensibles était un enjeu majeur du risque corruptif, les narcotrafiquants recherchant des moyens de pénétrer aisément dans les ports pour envoyer ou récupérer la marchandise qu'ils ont dissimulée (voir infra pour de plus longs développements sur la sûreté portuaire). Elle a été frappée de constater que, dans tous les lieux visités, en France et à l'étranger, il était difficile de déterminer le nombre de badges en circulation, y compris pour les badges les plus sensibles donnant accès à des zones « clés », et que peu de dispositifs étaient mis en place pour vérifier que la personne détentrice du badge était bien son titulaire officiel.

Ces éléments, qui sont de nature à créer des doutes sur la robustesse des dispositifs de sécurité dans les ports, sont par ailleurs autant de failles dans lesquelles les narcotrafiquants peuvent aisément se glisser par la voie de la corruption.

4. Un phénomène sous-estimé : l'insuffisance des plans actuels de lutte contre la corruption

Les phénomènes corruptifs, en eux-mêmes inquiétants, semblent en outre mal appréhendés par les acteurs qui paraissent privilégier une réponse disciplinaire, parfois sans association ou même sans information des inspections compétentes (IGPN ou IGGN), et qui certes tentent pour certains de déployer des plans de lutte contre la corruption, mais sans donner le sentiment d'avoir pris la mesure de la gravité de la situation et des risques dont elle est porteuse.

Les travaux472(*) du Groupe d'États contre la corruption (Greco)473(*) du Conseil de l'Europe et les auditions menées par la commission permettent de penser que la corruption menée par les organisations criminelles est peu, voire n'est pas prise en compte sérieusement par les acteurs publics français.

À l'échelle nationale, Isabelle Jégouzo, directrice de l'Agence française anticorruption (AFA), a indiqué à la commission concernant la corruption en lien avec le narcotrafic : « Dès ma prise de fonction, à la fin du mois d'août [2023], j'ai identifié ce sujet comme une véritable priorité sur laquelle nous devions sans doute travailler davantage. Jusqu'à présent, en effet, l'AFA ne s'est pas montrée très active en la matière, aucun contrôle spécifique n'ayant été effectué ». Elle a complété son propos en soulignant que « Dans les administrations régaliennes, nous notons une véritable prise de conscience de ce sujet, qui, jusqu'ici, n'était pas toujours identifié. Pour certaines administrations en effet, la corruption pouvait exister à l'étranger, mais pas en France. Or nous sommes en train de découvrir avec inquiétude que la France est concernée et qu'il est nécessaire de s'armer pour se prémunir contre ces risques » 474(*).

Pour mémoire, l'AFA a été créée en 2016475(*) et alors qu'elle a, à l'échelle nationale, une mission de contrôle et de conseil auprès des entités publiques et privées pour qu'elles mettent en place des dispositifs de prévention et de détection de six infractions en matière de probité, il aura fallu attendre près de huit ans pour que le phénomène corruptif en lien avec la criminalité organisée soit enfin pris en compte par cette agence.

Cette prise de conscience récente et tardive se reflète également dans les constats de la directrice générale des douanes et des droits indirects, Isabelle Braun-Lemaire qui expliquait à la commission qu'« en ce qui concerne la corruption, j'ai l'intuition que nous avons sous-estimé le phénomène, dont il est difficile d'évaluer la profondeur. Il ne s'agit pas seulement de la douane »476(*). Sur le plan judiciaire, Sophie Aleksic, première vice-présidente en charge de l'instruction, coordinatrice du pôle criminalité organisée au tribunal judiciaire de Paris note également : « La question de la corruption est de plus en plus présente dans nos dossiers, et nous devons davantage en tenir compte ». L'ancien directeur de Tracfin, Guillaume Valette-Valla, abondait dans ce sens concernant les acteurs du renseignement : « les services de renseignement de l'Ofast, de la DNRED et Tracfin se sont assez récemment saisis du sujet de la compromission, depuis deux ou trois ans »477(*).

En particulier, s'agissant de la prise en compte par certaines inspections des faits de corruption « de basse intensité », les auditions menées par la commission d'enquête l'ont laissée dans un état de grande perplexité.

Lors d'une table ronde du 12 février 2024 au cours de laquelle étaient entendus Michel Rouzeau, chef du service de l'inspection générale de l'administration (inspection compétente pour tous les personnels du ministère de l'intérieur, hors policiers et gendarmes qui sont soumis à des inspections dédiées également sollicitées par la commission d'enquête), Julien Senèze, chef du pôle « audit » de l'inspection générale des finances et Christophe Straudo, chef de l'inspection générale de la justice, la commission d'enquête a en effet été frappée par le décalage entre le discours tenu par les intéressés et les faits révélés par des documents pourtant produits par les ministères auxquels ils sont rattachés - à l'instar de la note de la DACG et des constats de l'Ofast, déjà cités en matière de corruption.

En ce qui concerne l'inspection générale de la justice (IGJ), les propos recueillis durant l'audition ont permis de découvrir que l'inspection avait proposé pour 2024 une mission sur la déontologie au sein du ministère de la justice. Outre cette initiative dont les contours n'étaient pas précisés et qui restait à l'état de simple proposition, il semblait qu'aucune mesure particulière n'était prise pour lutter contre la corruption, à l'exception de « deux fiches dédiées à l'appropriation de la déontologie par les magistrats, les fonctionnaires et les contractuels employés par le ministère de la justice », d'une « présentation de trois heures devant des équipes de magistrats destinés à des fonctions de direction ou d'encadrement, en les mettant en situation dans des cas pratiques sur des questions de déontologie liées à des affaires anonymisées qu'a connues l'inspection générale de la justice » et d'une mission permanente d'audit interne qui « n'a pas travaillé spécifiquement sur la question de la corruption ». Plus encore, Christophe Straudo soulignait que son service n'était pas systématiquement associé aux suites données aux faits de corruption : « L'inspection générale de la justice n'est pas toujours saisie des affaires dont se fait l'écho la presse ».

Cette situation inquiète dans un contexte où le ministère de la justice, au bénéfice des moyens supplémentaires déployés dans le cadre de la récente loi d'orientation et de programmation 2023-2027, s'apprête à recruter 10 000 personnes et où de nombreuses voix s'élèvent, comme on l'a indiqué, pour mettre en lumière les « évasions judiciaires » et les risques que le narcotrafic fait peser sur les personnels de la justice.

S'agissant de l'inspection générale des finances, pourtant associée à l'élaboration du plan anticorruption des douanes - sur lequel on reviendra -, le constat est analogue. À la faveur d'une assimilation contestable entre le risque et sa survenance, Julien Senèze déclarait ainsi qu'« à l'issue [des] travaux [sur la prévention de la corruption au sein des douanes], nous avons considéré que le risque corruptif n'explosait pas et n'était pas extrêmement fort pour les douanes » ; or, si les faits de corruption restent marginaux, cela ne signifie pas pour autant que le risque soit négligeable, comme l'intéressé le reconnaissait lui-même : « en revanche, l'ensemble des acteurs s'accordent pour constater que la menace s'intensifie au nord de l'Europe. Les réponses des autorités locales peuvent en outre créer des risques de déport vers la France, et il est donc temps de se renforcer face à cette menace ». Pire encore, l'idée que le risque corruptif resterait limité est de toute évidence une contre-vérité : comme l'a révélé l'audit précité, dont la commission d'enquête a obtenu la copie, les douanes sont, en raison de leur positionnement au plus près des marchandises et des frontières, soumises à une « fragilité systémique » liée, notamment, à l'insuffisance des « barrières théoriques » mises en place pour lutter contre ce risque, à l'absence de particularisation du risque et à une chaîne hiérarchique qui « n'était peut-être pas suffisamment mobilisée sur le sujet »478(*).

Enfin, en ce qui concerne l'inspection générale de l'administration (en charge, notamment, des personnels préfectoraux, c'est-à-dire d'une population exposée au risque de corruption ou de pressions en raison, en particulier, de sa compétence en matière de délivrance de titres d'identité et de séjour), Michel Rouzeau admet que son service « est bien trop souvent [confronté], de manière plus fréquente depuis quelques années, à des affaires de corruption qui concernent la délivrance de titres de séjour, mais aussi de cartes d'identité ou de passeports. Récemment, dans des départements de l'Hexagone, notamment en Île-de-France, de telles affaires ont été mises à jour ; les enquêtes administratives et judiciaires ont alors lieu simultanément ». Pour autant, il reconnaît que, en matière de titres, « la simplification combat quelquefois la sécurité » et que « d'un côté, le risque corruptif peut être éloigné en raison de l'augmentation de la distance entre le demandeur et le service [par le biais des démarches en ligne, donc sans contact entre le premier et le second], mais de l'autre, des risques peuvent être créés » en matière de visas et de délivrance à distance des passeports français aux ressortissants étrangers. En dépit de cette assertion, aucune mesure n'a été mise en place.

Au surplus, et outre un renvoi général aux chartes de déontologie établies par divers services de l'État, il n'est fait mention au cours de l'audition d'aucun plan ou d'aucune mesure nouvelle mise en place pour faire face au risque de corruption qui concerne, tout autant que ceux des autres ministères, les personnels du ministère de l'intérieur : cette situation ne peut qu'être déplorée dans un contexte où la prévention de la corruption devrait, vu l'état de la menace créée par le narcotrafic, être déjà prise en charge par la mission d'audit interne de l'IGA.

Les inspections de police nationale, de la gendarmerie nationale et des douanes semblent davantage avoir pris la mesure du phénomène ainsi que des limites que trouvent les modalités actuelles de leur action. Agnès Thibault-Lecuivre, cheffe de l'inspection générale de la police nationale, a ainsi lucidement déclaré devant la commission d'enquête : « Je ne dis pas que les faits de corruption sont inexistants et je ne suis pas certaine que nous les voyions tous »479(*). Elle était rejointe par Jean-Michel Gentil, chef de l'inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) qui, ayant par ailleurs appelé à la vigilance en dépit du faible nombre de manquements constatés par l'IGGN, convenait de l'existence de « failles » et rappelait que « le phénomène de corruption existe probablement au sein de nos administrations. Toutefois, nous commençons seulement à avoir connaissance de faits avérés grâce à des détections incidentes. L'essentiel pour nous est de travailler sur la maîtrise du risque »480(*).

Fortes de ce constat, les inspections de la police nationale, de la gendarmerie nationale et des douanes tentent actuellement de rattraper leur retard et de mettre en place des mesures permettant de maîtriser, autant que possible, le risque corruptif. Parmi ces mesures, les principales concernent :

· la caractérisation du risque de corruption et de ses facteurs facilitants : cette réflexion semble partagée par tous les services précités, les douanes ayant été (comme on l'a évoqué) jusqu'à organiser un véritable audit de leurs services, en « centrale » comme sur le terrain - une démarche dont les autres administrations gagneraient sûrement à s'inspirer ;

· l'identification des effectifs les plus à risque : pour la police nationale, cette catégorie englobe « les jeunes agents, en particulier les policiers adjoints ; les agents fragilisés par une situation personnelle particulière - une séparation, un endettement, des difficultés à se loger, une précarité sociale ; les agents en situation d'isolement administratif dans de petites unités ou géographiquement isolés ; les agents affectés à des unités de police administrative avec un risque corruptif élevé ainsi que les agents affectés dans des services d'investigation en lien avec la criminalité organisée, en particulier les services antistupéfiants »481(*) avec, à titre complémentaire, des réflexions sur les durées de maintien dans des postes sensibles afin d'éviter que la longévité dans de telles affectations ne devienne un facteur de vulnérabilité des effectifs concernés ;

· enfin et surtout, l'encadrement des accès aux fichiers : des outils visant non plus seulement à détecter ex post, mais à prévenir ex ante les accès illicites, sont en cours de développement.

Pour autant, les mesures prises restent en dessous des enjeux. Elles semblent consister, pour l'ensemble des inspections en charge de superviser les services actifs de lutte contre le narcotrafic, en des dispositifs de « droit mou », pour la plupart lancés dans le cadre du plan national pluriannuel de lutte contre la corruption 2024-2027 (sensibilisations, formations, etc.). Seules les douanes paraissent tenir compte du risque corruptif dans les modalités d'exercice par les douaniers de leurs missions sur le terrain : sur le fondement des conclusions de l'audit déjà cité, l'administration des douanes compte en effet « [capitaliser] sur l'organisation du travail »482(*) (par exemple, en privilégiant le travail en binôme sur des postes particulièrement exposés, en divisant les tâches pour ne pas laisser un seul agent ou un seul service être en charge d'une fonction sensible au regard du risque de corruption, etc.), développer une forme de dissuasion en « [communiquant] sur les sanctions disciplinaires en cas de corruption » et travailler à l'amélioration de la détection et de la « gestion des suspicions »483(*), c'est-à-dire à la mise en place d'un système efficace d'alerte non seulement sur le plan interne, mais aussi en partenariat avec les autres opérateurs, publics ou privés, qui interviennent sur les grandes plateformes portuaires et aéroportuaires.

« Dès lors qu'il est prévu dans les procédures qu'un douanier n'intervient jamais seul, on met déjà à distance la possibilité d'un schéma de corruption. [...] On peut également organiser l'imprévisibilité des contrôles : les agents ne doivent pas savoir à quel moment ils seront à tel ou tel endroit. Grâce à la rotation des services, la hiérarchie peut organiser cette imprévisibilité, sans bouleverser, bien sûr, le fonctionnement de ces équipes. La rotation des agents a également été recommandée, de même que le contrôle de l'accès aux installations, surtout dans les grandes plateformes : il faut veiller à ce que les agents des douanes accèdent aux espaces qui leur sont juridiquement autorisés et seulement à ceux-ci. »

Christine Dubois, administratrice supérieure des douanes, adjointe à la cheffe de l'inspection des services à la direction générale des douanes et des droits indirects

V. UNE ORGANISATION ET UN DROIT INADAPTÉS À LA RÉALITÉ D'UN BLANCHIMENT ENDÉMIQUE

S'il est un constat qui fait l'unanimité, c'est bien que la lutte contre les flux financiers tirés du trafic de stupéfiants et la confiscation des avoirs criminels constituent le « nerf de la guerre » contre le narcotrafic. En dépit de cet objectif partagé, les moyens juridiques et humains ne sont pas à la hauteur d'un blanchiment devenu endémique.

A. L'INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE DU VOLET FINANCIER DU NARCOTRAFIC

En 2018, le ministère de la justice avait appelé à une mobilisation accrue du volet financier dans la lutte contre la criminalité organisée, en impliquant davantage les dispositifs existants (GIR, Codaf, etc.) mais aussi en sollicitant davantage Tracfin sur l'aspect patrimonial des enquêtes, à des fins de criblage, et en intensifiant la réponse pénale484(*).

Il importe désormais d'en mesurer les résultats.

1. Une sédimentation d'acteurs dont l'efficacité n'est pas manifeste

Au fur et à mesure que la commission d'enquête avançait dans ses travaux, elle découvrait de nouveaux acteurs impliqués dans la lutte contre le blanchiment et/ou dans l'identification des flux financiers et des avoirs liés au narcotrafic, sans pouvoir d'ailleurs bien mesurer le rôle de chacun et se repérer dans ce dédale para-administratif.

a) Des intervenants pléthoriques
(1) À chaque administration ses intervenants

Outre les services d'enquête ou les groupes d'enquêteurs spécialisés au sein de la police et de la gendarmerie, ainsi que le rôle particulier des douaniers pour les flux transfrontaliers, le paysage français en matière de lutte contre les flux illicites et d'identification et de saisie des avoirs apparaît particulièrement fragmenté.

Cette fragmentation a pu soulever des difficultés opérationnelles et de coordination, sans pour autant démontrer son efficacité pour accroître l'efficacité des investigations patrimoniales et financières. Comme le notaient Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann, « les différentes entités du ministère de l'intérieur [se sont] progressivement repliées sur leur “maison de rattachement” au détriment d'une action commune en matière d'identification des avoirs criminels »485(*).

De surcroît, et c'est un constat partagé dès lors qu'il s'agit de traiter de la coopération en matière de lutte contre le narcotrafic, la qualité de la coordination dépend concrètement encore beaucoup des relations interpersonnelles et des particularismes locaux.

Identification et saisie des avoirs criminels, lutte contre le blanchiment des capitaux : petit guide du paysage français

Au niveau central

Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) : créé en 1990, l'OCRGDF fut, avec Tracfin, l'un des premiers outils institutionnalisés de lutte contre le blanchiment des capitaux. L'office se compose de la plateforme d'identification des avoirs criminels ainsi que d'une section de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, d'une section escroquerie, d'une brigade de recherche et d'intervention spécialisée en matière financière et d'un groupe spécialisé sur les biens mal acquis. L'OCRGDF pilote la mesure n° 22 du Plan national de lutte contre les stupéfiants, « priver les trafiquants de leurs avoirs criminels ».

Plateforme d'identification des avoirs criminels (Piac) : la Piac fait partie de l'OCRGDF, elle peut enquêter en propre, saisie par les magistrats, ou en co-saisine dans des dossiers sensibles ou complexes. Avec l'Agrasc, la Piac forme le bureau de recouvrement des avoirs (coopération policière patrimoniale internationale).

Cellule nationale des avoirs criminels (CeNAC) : rattachée à la sous-direction de la police judiciaire de la direction générale de la gendarmerie nationale, elle a pour mission de systématiser l'approche patrimoniale des investigations judiciaires, de suivre les dossiers sensibles ou complexes et d'identifier les avoirs criminels, dans la perspective de leur saisie.

Office antistupéfiants (Ofast) : la cellule financière du pôle opérationnel de l'Ofast travaille en appui ou en co-saisine avec les groupes de la division judiciaire et des services partenaires (antennes et détachements de l'Ofast, sections de recherche, douanes, services territoriaux de police judiciaire). Elle intervient dans des dossiers complexes pour identifier le patrimoine des cibles visées, identifier leur environnement fiscal, détecter les flux financiers en lien avec le trafic de stupéfiants, détecter des circuits de blanchiment ou des revenus occultes ou encore rechercher le patrimoine à l'étranger.

Direction générale des douanes et des droits indirects : la douane traite notamment les infractions de blanchiment douanier, qui implique un franchissement de frontières. Toutefois, depuis la loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces, la douane peut aussi retenir temporairement l'argent liquide en circulation sur le territoire, lorsqu'il existe des indices que cet argent est lié à une activité criminelle. La direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), service de renseignement du premier cercle, est également chargée du suivi des flux financiers liés à des activités illicites (trafics) et, au 1er juillet 2024, de la fraude fiscale grave et complexe et de son blanchiment486(*).

Brigade nationale des enquêtes économiques (BNEE) : créée en 1948, la BNEE regroupe une cinquantaine d'agents de la direction générale des finances publiques mis à disposition du ministère de l'intérieur. Elle dispose d'antennes locales, les groupes régionaux des enquêtes économiques (Gree), localisés au sein de services de la police judiciaire. Deux de ses agents sont également positionnés auprès de l'Ofast et un auprès de la préfecture de police de Paris.

Tracfin : créée en 1990, Tracfin est la cellule de renseignement financier française, service du « premier cercle ». À noter que d'autres services de renseignement participent à la lutte contre le blanchiment, tels que les renseignements territoriaux ou la DNRED.

Service des enquêtes judiciaires des finances (SEJF) : il intervient sur saisine des magistrats, dans le cadre d'enquêtes relatives à des infractions douanières, des escroqueries à la TVA, de blanchiment, des présomptions de fraude fiscale complexe, des présomptions de blanchiment de fraude fiscale. Le SEJF dispose également d'antennes régionales.

Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) : créée en 2010, l'Agrasc est chargée de la gestion des biens saisis et de la mise en oeuvre de leur confiscation. Elle dispose également d'antennes au niveau local.

Au niveau local

Groupes interministériels de recherche (GIR) : au nombre de 41, les GIR sont chargés de lutter contre l'économie souterraine487(*) et la délinquance lucrative organisée. Les GIR interviennent sur des infractions pénales, fiscales et douanières générant un enrichissement de leurs auteurs (trafics de stupéfiants, de tabac, de contrefaçons), sur les fraudes aux finances publiques, en lien avec les comités opérationnels départementaux anti-fraude (Codaf), sur les procédures présentant un certain degré de gravité ou de complexité ainsi que dans le cadre de procédures judiciaires et administratives nécessitant la coordination ou l'apport de différents services de l'État et dans les procédures nécessitant de mener des investigations patrimoniales, mais sans se substituer aux services et unités saisis (identification des circuits et flux financiers, saisies spéciales, etc.). Les GIR doivent en effet être co-saisis par l'autorité judiciaire avec un service « porteur ».

Antennes de la Piac : elles sont pilotées par la Piac « centrale ».

Cellules régionales des avoirs criminels (CeRAC) : il s'agit des déclinaisons régionales de la CeNAC.

Enfin, sur un sujet connexe mais étroitement lié aux travaux de ces divers intervenants, il convient de citer les acteurs impliqués dans la lutte contre la fraude fiscale : direction générale des finances publiques (DGFiP), brigade nationale de répression de la délinquance financière (BNRDF), mission interministérielle de coordination anti-fraude (Micaf), comités opérationnels départementaux anti-fraude (Codaf). En particulier, les Codaf sont les structures référentes pour la lutte contre le recyclage de fonds illicites par les entreprises.

Source : documents transmis à la commission d'enquête par les administrations concernées

Les groupes interministériels de recherche (GIR) ont constitué une première tentative de mutualisation et de pilotage : à raison de deux à trois GIR par région et d'un GIR par département francilien et territoire ultramarin, ils sont dirigés soit par un commissaire de police ayant pour adjoint un officier subalterne de gendarmerie, soit par un officier supérieur de gendarmerie ayant pour adjoint un officier de police.

Outre des policiers et des gendarmes, les GIR associent des fonctionnaires d'autres administrations telles que la direction générale des finances publiques, la douane ou encore la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). En tant que de besoin, le GIR peut bénéficier d'un renforcement d'effectifs en provenance des organismes sociaux (France Travail, Urssaf, caisses primaires d'assurance-maladie, caisses d'allocations familiales) ou des directions régionales de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (Dreets). 50 % des 424 personnes composant les GIR proviennent actuellement de la police nationale, 31 % de la gendarmerie, 17 % du ministère chargé des comptes publics et 2 % d'autres administrations.

Dans le cadre de leur co-saisine aux côtés des services ou des unités d'investigation, les GIR sont supposés pouvoir identifier des flux financiers, détecter des typologies de blanchiment ou encore matérialiser certains éléments patrimoniaux. Or, pour des raisons qui tiennent tant aux effectifs disponibles qu'à l'organisation des GIR et au volume des dossiers, les GIR se contentent généralement de regarder le patrimoine des trafiquants de stupéfiants en surface, c'est-à-dire de repérer, en vue d'une saisie, ce qui est aisément identifiable. Les enquêteurs s'appuient en effet très largement sur une analyse synthétique du fonctionnement des comptes bancaires.

Si les dossiers traitant du « haut du spectre » du narcotrafic sont relativement préservés et généralement pris en charge par les offices centraux, le traitement des affaires de moyenne envergure apparaît quant à lui plus aléatoire, au gré des moyens dédiés, de la direction d'enquête et des coopérations locales.

(2) Un pilotage lacunaire

Bien qu'elle soulève quelques interrogations, la multiplicité des acteurs ne constitue pas nécessairement un obstacle en soi, à condition que la coordination soit fluide et le pilotage rigoureux. Or, les éléments dont dispose la commission d'enquête tendent plutôt à accréditer la thèse d'une gestion des acteurs au gré des circonstances locales.

(a) Pas de pilote dans le cockpit

Les GIR ont été créés avec le double objectif de répondre à la diversité des intervenants et de leurs rôles respectifs et de seconder des services d'enquête ne disposant souvent que d'une expertise limitée sur les sujets économiques et financiers, en pilotant l'ensemble des acteurs impliqués dans la lutte contre la délinquance lucrative organisée.

Au niveau local, le chef de la coordination nationale des GIR a admis que le « réflexe GIR » n'avait pas encore été adopté par tous les services et unités territoriaux de la police et de la gendarmerie nationale488(*). Sur les 117 millions d'euros d'avoirs saisis par la police et la gendarmerie en 2023 et raccrochés au trafic de stupéfiants, un tiers provient de l'action des GIR (38 millions d'euros).

Au niveau central, alors que les GIR se veulent être « les catalyseurs des forces interministérielles »489(*), la commission d'enquête a appris que le comité national interministériel stratégique ne s'était réuni qu'une seule fois, en 2011. Il lui revient pourtant de définir les grands axes stratégiques de suivi de l'action des GIR. Cette absence de pilotage se retrouve au niveau local, avec un nombre encore trop faible de comités de pilotage, qui permettent pourtant de réunir l'ensemble des administrations contribuant aux missions du GIR.

La transformation du SEJF en Onaf ne va pas non plus contribuer à simplifier le paysage des intervenants même si, en matière de blanchiment, l'office devrait être saisi des affaires les plus complexes et se focaliser sur le haut du spectre490(*).

La transformation du SEJF en Office national anti-fraude : vers la création d'une nouvelle couche sédimentaire ?

Approuvée par le Parlement dans le cadre de la loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces, la transformation du SEJF en Office national anti-fraude a été actée par un décret du 18 mars 2024. Au 1er mai 2024, l'Onaf, service à compétence national rattaché conjointement au directeur général des douanes et droits indirects et au directeur général des finances publiques, sera le chef de file de la lutte contre la fraude aux finances publiques. Entrent également dans son périmètre le démantèlement des structures de fraude, la lutte contre le blanchiment par l'identification des flux financiers illicites générés par ces fraudes et la saisie des avoirs criminels.

Dans ce cadre, l'Onaf devra : 1° procéder à des enquêtes judiciaires sur l'ensemble du territoire ; 2° animer et coordonner les recherches et les investigations de police judiciaire, sous la direction de l'autorité judiciaire dans la conduite des enquêtes ; 3° recueillir, centraliser et exploiter tout renseignement ou information entrant dans son domaine d'intervention et inciter à une meilleure circulation de l'information entre les administrations ; 4° étudier et participer à l'étude des moyens préventifs et répressifs à mettre en oeuvre dans son domaine d'intervention ; 5° effectuer ou poursuivre à l'étranger des recherches entrant dans son domaine d'intervention.

En réponse à une interrogation du rapporteur, le chef du SEJF a lui-même indiqué que la transformation du SEJF en Onaf, avec un nouveau chef de filat, supposait un développement de la capacité du service à synthétiser et à partager de l'information au bénéfice des autres administrations en charge de la lutte contre les fraudes aux finances publiques. En revanche, s'agissant du trafic de stupéfiants, il ne pourra toujours intervenir qu'en co-saisine. Pour mémoire, depuis 2019, le SEJF a été co-saisi de 36 dossiers relatifs au blanchiment de trafic de stupéfiants et de six dossiers en co-saisine avec l'Ofast pour des faits de trafic de stupéfiants et de blanchiment de trafic de stupéfiants.

Source : décret n° 2024-235 du 18 mars 2024 portant création d'un service à compétence nationale dénommé « Office national anti-fraude » ; réponse du service d'enquêtes judiciaires des finances au questionnaire du rapporteur

(b) Un modèle original : le Colbac-S à Marseille

Lancé le 3 juin 2022 sous l'impulsion de l'autorité judiciaire, le comité opérationnel de lutte contre le blanchiment et les avoirs criminels - stupéfiants (Colbac-S) est une instance opérationnelle qui réunit l'autorité judiciaire, la direction territoriale de la police judiciaire (sécurité publique, antenne de l'Ofast, Service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée [Sirasco], etc.), la gendarmerie nationale, les douanes (DNRED, SEJF), le GIR, la direction régionale des finances publiques et la direction spécialisée de contrôle fiscal.

Cette modalité originale de coopération vise à partager de l'information dans un but très directement opérationnel, à savoir identifier les filières qui organisent la sortie et le recyclage des fonds depuis les cités marseillaises et tracer les flux financiers réinjectés dans l'économie légale ou parallèle. Des dossiers prioritaires sont identifiés, initialement autour de deux priorités : le secteur du BTP et les flux d'argent liquide. Si le premier axe a rapidement été mis de côté faute de résultats probants, le deuxième a été pleinement investi par les administrations partenaires491(*). Celles-ci se heurtent toutefois à la pénurie d'enquêteurs disponibles au sein de la filière investigation, notamment une fois que les flux sortent de l'agglomération marseillaise et partent vers la région francilienne.

D'après les éléments transmis par l'Ofast492(*), les résultats obtenus sont satisfaisants, avec un développement des dossiers financiers et des sources humaines davantage sensibilisées à cette thématique. Le Colbac-S remplit sa mission : créer de nouvelles synergies et à dégager des axes de travail sur des dossiers bien identifiés qui feront l'objet d'un suivi spécifique et renforcé.

b) Focus : la direction générale des finances publiques, entre les enquêtes judiciaires et le contrôle fiscal

La direction générale des finances publiques occupe une place particulière dans la lutte contre le narcotrafic dans le sens où elle participe aux structures précitées d'enquêtes judiciaires en matière économique et financière mais qu'elle peut aussi, dans son action administrative, se retrouver à traiter de dossiers de trafiquants de stupéfiants ou d'entreprises ayant été utilisées pour blanchir les produits du trafic.

Premier domaine d'intervention, les enquêtes judiciaires493(*). Sans revenir en détail sur les structures auxquelles participent les agents de la DGFiP (cf. supra), il convient de souligner le rôle particulier des agents de la BNEE qui effectuent des travaux d'environnement financier et patrimonial, répondent aux réquisitions fichiers des enquêtes judiciaires et sont référents de la DGFiP auprès des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross)494(*). Les agents de la BNEE répondent ainsi aux sollicitations des Cross, d'environ 2 000 par an, notamment pour obtenir des informations détenues dans les applications de la DGFiP. À noter que les officiers de police judiciaire ont accès aux fichiers Ficoba (comptes bancaires et assimilés), Ficovie (contrats de capitalisation et d'assurance-vie), BNDP (données patrimoniales) et Patrim (estimation des biens immobiliers).

Deuxième domaine d'intervention, le contrôle fiscal. Les agents de la BNEE peuvent tout d'abord programmer en contrôle fiscal des personnes physiques impliquées dans le trafic de stupéfiants : trafiquants, convoyeurs, nourrices, complices et entourage familial. 23 propositions de contrôle ont ainsi été adressées aux directions de contrôle en 2022, au titre de la taxation des prises de stupéfiants - un chiffre qui apparaît encore trop faible au regard du nombre de dossiers dont est saisie la BNEE. Les propositions de contrôle peuvent également concerner les sociétés qui participent aux circuits frauduleux de blanchiment. Plus généralement, les agents en charge du contrôle fiscal sont amenés à prolonger en matière fiscale les enquêtes réalisées en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants, aux fins de « fiscaliser » les réseaux identifiés. À titre d'exemple, la brigade de soutien de quartier de Seine-Saint-Denis (BQS 93) a été informée de 1 002 affaires de stupéfiants depuis 2019 et 304 dossiers ont été fiscalisés.

Contrôle fiscal et narcotrafic : quels fondements ?

La présomption de revenus : la taxation des prises de stupéfiants

Aux termes de l'article 1649 quater-0 B bis du code général des impôts, les personnes qui ont eu la libre disposition de produits stupéfiants - le produit a été trouvé à leur domicile, dans leur véhicule ou entreposé dans un local auquel elles avaient accès495(*) - peuvent être taxées sur ces prises. Les services du contrôle fiscal retiennent alors la valeur vénale du produit. Procéder à cette taxation n'implique donc pas que le contribuable ait procédé à des opérations d'acquisition ou de vente de substances illicites.

L'évaluation forfaitaire : la taxation selon les éléments de train de vie

Aux termes de l'article 1649 quater-0 B ter du code général des impôts, lorsque l'administration fiscale est informée qu'un contribuable dispose de certains éléments de train de vie, elle peut, en cas de disproportion marquée entre son train de vie et ses revenus, porter la base d'imposition à l'impôt sur le revenu à une somme forfaitaire déterminée en appliquant à ce ou ces éléments de train de vie un barème forfaitaire. La somme forfaitaire déterminée en application du barème est majorée de 50 % lorsque le contribuable a disposé de plus de quatre éléments du train de vie496(*) figurant au barème.

Source : réponse du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques au questionnaire du rapporteur

Montants rappelés entre 2020 et 2023 au titre de la présomption de revenus et de la taxation forfaitaire

(en millions d'euros)

Source : commission d'enquête, à partir des données transmises par le service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques

Il convient de noter que la quasi-totalité des montants rappelés le sont sur la base de la présomption de revenus et non sur celle de la taxation des signes extérieurs de richesse (700 000 euros en 2022) ; les services préfèrent en effet recourir à « la taxation des prises », en raison de son assiette beaucoup plus large et du régime particulier de pénalités, de 80 %. Néanmoins, les données dont disposent le service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal ne permettent pas de déterminer la part de ces droits et pénalités liés au trafic de stupéfiants.

Enfin, troisième domaine d'intervention de la DGFiP, le recouvrement des amendes forfaitaires ou pénales, sujet capital en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants. La DGFiP entend développer les conventions locales de partenariat entre les parquets, les forces de l'ordre et les services déconcentrés de la DGFiP pour saisir les sommes en espèces en possession des personnes gardées à vue et les utiliser pour acquitter les amendes forfaitaires ou pénales dont ces personnes sont redevables.

La DGFiP intervient donc dans des domaines obéissant à des logiques différentes : la répression pénale, le contrôle administratif, le recouvrement budgétaire. Dans son rapport confidentiel consacré aux moyens de la DGFiP mis à disposition du ministère de l'intérieur497(*), l'inspection générale des finances relevait que ce positionnement particulier de la DGFiP avait pu susciter quelques tensions quant aux missions affectées aux près de 140 agents mis à disposition du ministère de l'intérieur. L'absence de cadre stratégique global et de pilotage était notamment soulignée, au détriment de la définition d'objectifs prioritaires et des résultats à viser dans le cadre de la lutte contre la délinquance économique et financière, tant du point de vue de l'enquête pénale que du contrôle fiscal.

La contribution des agents de la DGFiP à la lutte contre la délinquance économique et financière est indéniable : ils apportent leur expertise aux enquêtes patrimoniales et financières, dans un contexte de complexification croissante des schémas et des stratagèmes employés par les organisations criminelles. Ils viennent soutenir des enquêteurs généralement trop peu nombreux et pas suffisamment formés à ces matières.

Utiliser la fraude pour faire tomber le narcotrafic

« Suite à un signalement reçu dans le cadre du réseau de coopération européen Eurofisc, une société française de création très récente a été détectée, qui réalisait des acquisitions intracommunautaires de véhicules en omettant de déposer ses déclarations de TVA.

« Afin de démontrer la matérialité de la fraude, la brigade d'enquête a effectué 13 demandes d'assistance administrative à destination des États de localisation des fournisseurs de véhicules. Les réponses reçues ont permis de démontrer que la société française obtenait des quitus fiscaux pour permettre l'immatriculation des véhicules en France en utilisant de fausses factures faisant état de manière frauduleuse de l'application de la TVA sur la marge. En effet, les factures authentiques, obtenues auprès des fournisseurs européens, montraient que ce régime fiscal très favorable n'était en réalité pas applicable.

« Lors du lancement du contrôle fiscal, il est apparu que le dirigeant de la société faisait l'objet d'une enquête judiciaire pour trafic de stupéfiants ayant conduit à sa garde à vue. En l'état, il semble établi que les opérations de vente de véhicules de la société avaient pour objet le blanchiment de sommes obtenues dans le cadre de ce trafic de stupéfiants. »

Source : réponse du service de sécurité juridique et du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques au questionnaire du rapporteur

« Une société fictive avait détourné de l'argent public et obtenu le paiement de 200 000 euros de salaires. L'affaire a été dénoncée par une direction départementale des finances publiques et le parquet nous a saisis, avec peu d'espoir car tout le monde avait compris que la société dépendait d'un gérant fictif. Mais, en travaillant sur cette entreprise, en croisant ses numéros de compte, ses numéros de téléphone et ses adresses mail, nous avons identifié toute une structure de sociétés fictives.

« Des dizaines de sociétés étaient gérées par un individu franco-marocain basé à Dubaï, qui les mettait à disposition de toutes les organisations criminelles qui le souhaitaient. Nous avons compris que ces sociétés avaient notamment servi à importer 600 kilos de cocaïne saisis au départ d'un aéroport en Amérique du Sud, 10 tonnes de tabac saisies à Anvers et deux fois 200 kilos de méthamphétamine saisis en Allemagne. Nous avons travaillé avec l'Ofast car nous avions repéré que 22 tonnes de sucre devaient arriver grâce à ces sociétés ; le container était contaminé à la cocaïne. Grâce à ce travail commun, des individus d'un cartel colombien venus à Barcelone avec leur chimiste ont été arrêtés, ainsi que les personnes formant la logistique française. De plus, nous avons fait arrêter le commanditaire à Dubaï par les autorités émiraties.

« L'affaire ne s'est pas arrêtée là puisque nos collègues du service étaient à Bogotá il y a un mois. En collaboration avec la Drug Enforcement Administration (DEA), le reste du cartel a été interpellé par les Américains et est en voie d'extradition vers les États-Unis. Tout est parti d'une dénonciation pour escroquerie au chômage partiel par la direction départementale des finances publiques et par notre saisine. »

Source : audition de Christophe Perruaux, directeur du service d'enquêtes judiciaires des finances du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, 11 décembre 2023

2. Des effectifs en sous-nombre et insuffisamment formés

Pour les enquêteurs non spécialisés, il est très difficile d'effectuer à la fois une enquête sur le fond du dossier - pour établir les infractions - et d'effectuer en parallèle une enquête patrimoniale, qui nécessite de procéder à des réquisitions et d'ensuite proposer des saisies aux magistrats. L'Agrasc souligne que les magistrats sont soumis à la même contrainte temporelle : la fastidieuse formalisation des décisions de saisies ou de confiscations prend du temps, ressource rare pour les magistrats, qui privilégient la gestion des thématiques les plus urgentes en matière de trouble à l'ordre public498(*).

Par conséquent, les effectifs spécialisés manquent pour mettre à jour les mécanismes de blanchiment les plus complexes et parvenir à rattacher les avoirs criminels à la commission de l'infraction d'origine, un problème qui s'observe aussi bien dans les services d'enquête localisés dans les territoires que dans les offices centraux - qui ne sont pas davantage à l'abri de ce sous-nombre et de la désaffectation croissante pour la filière investigation. Longtemps, l'antenne de l'Ofast au Havre n'a disposé d'aucun moyen pour investiguer sur les volets relatifs au blanchiment, alors que le GIR était déjà, lui, surchargé499(*).

Par ailleurs, le déficit d'attractivité constaté par la commission d'enquête sur la filière investigation se retrouve amplifié en matière économique et financière, une branche qui ne permet pas de « faire carrière », ou alors moins vite que les autres. Les dossiers traités sont généralement moins visibles, moins médiatisées aussi. Ainsi que le soulignait François Molins, le trop faible nombre de dossiers portant sur le blanchiment ainsi que le fait que les investigations manquent d'une logique patrimoniale suffisamment poussée peuvent s'expliquer par diverses raisons, sans qu'il soit possible de ne pas « mettre cette insuffisance en parallèle avec la crise de la spécialisation en matière financière à l'oeuvre dans les services de police judiciaire »500(*).

Les inquiétudes précédemment relevées quant à l'impact de la réforme de la police judiciaire sur les investigations sont décuplées pour les enquêteurs de la filière financière, qui craignent un nouvel effet dépréciatif sur les carrières, avec le risque que cette filière perde encore en attractivité. Avec la mutualisation des effectifs, une partie d'entre eux s'inquiète également de difficultés encore plus fortes à prioriser les sujets de police judiciaire. Or, souvent, le financier est placé au tout dernier rang des priorités de sécurité publique.

Ce constat est partagé par les offices centraux et par un service du premier cercle comme Tracfin. En audition, son ancien directeur soulignait le déficit et la carence des moyens de l'État sur le suivi patrimonial des délinquants, y compris pour les plus petits d'entre eux501(*). Pour être efficaces, les investigations financières doivent pourtant concerner l'ensemble des trafiquants, du haut au bas du spectre.

La gendarmerie nationale n'est pas épargnée par cette perte sèche de compétences. Un rapport confidentiel inter-inspections de 2023502(*) sur l'évaluation du nombre de procédures en cours dans les unités de gendarmerie alerte sur l'impératif de reconstruire un dispositif robuste de lutte contre la délinquance économique et financière du milieu du spectre. Il souligne que la diminution de la capacité de traitement de ces procédures s'explique tant par l'absence de moyens humains que par l'absence de compétences nécessaires, créant de fait une situation insoutenable.

S'agissant de l'autorité judiciaire, il n'y a pas un représentant d'un tribunal judiciaire entendu par la commission d'enquête qui a manqué de souligner le désarroi des juridictions face aux dossiers économiques et financiers, entre manque de magistrats instructeurs, absence de section dédiée, embolie des chambres correctionnelles, postes vacants. Les magistrats référents pour les saisies et les confiscations ne bénéficient pas d'une décharge partielle sur le reste de leurs activités, les empêchant de fait de s'investir pleinement dans cette fonction. Point de salut du côté des applicatifs informatiques : le logiciel Cassiopée n'est pas adapté au suivi des saisies et des confiscations, obligeant de fait les parquets à tenir manuellement à jour les statistiques de leur ressort.

Non seulement de nouveaux postes de magistrats doivent être ouverts, mais également des postes de greffiers et d'assistants spécialisés. Ces derniers peuvent en effet permettre « d'accélérer » les investigations en matière fiscale, comptable ou douanière par exemple503(*).

Subsiste enfin, parmi les magistrats comme parmi les services d'enquête, un défaut de formation et de compétences en matière de lutte contre le blanchiment et de saisie des avoirs criminels, encore plus visible sur les nouveaux vecteurs tels que les cryptoactifs. Si ce constat est moins prévalent dans les juridictions spécialisées, il reste valable dans les juridictions plus petites ainsi qu'au sein des forces de sécurité intérieure.

Ainsi, en l'absence d'un renfort sur les volets patrimoniaux et financiers, dans les services d'enquête comme dans les juridictions, il est impossible, comme l'appelle pourtant de ses voeux le garde des sceaux, de faire de « la dimension patrimoniale des investigations et de la sanction [...] un fil rouge du traitement des procédures » en matière de délinquance économique et financière504(*).

3. Des enquêtes patrimoniales plus ponctuelles que systématiques

Le sujet des enquêtes patrimoniales a concentré l'écart entre l'idéal et le réel : le ministre de l'intérieur, le ministre de la justice et les directeurs généraux de la police nationale et de la gendarmerie nationale ont insisté ces dernières années sur la systématisation de l'approche patrimoniale dans leurs enquêtes judiciaires. À titre d'illustration, dès 2014, une note de la DGGN rappelait que « compte tenu de l'enjeu que représente la captation des avoirs criminels pour la gendarmerie nationale, le principe général qui s'impose à tous les enquêteurs et chefs opérationnels est celui de la systématisation de la démarche patrimoniale pour toutes les enquêtes judiciaires liées à la délinquance d'appropriation »505(*). L'actuel « plan stups » lancé en 2019 appelait de même, comme on l'a déjà évoqué, à ce que les enquêtes patrimoniales deviennent systématiques en matière de stupéfiants.

À rebours des discours affichés depuis de nombreuses années, un rapport confidentiel des trois inspections générales des finances, de l'administration et de la justice soulignait en 2020 que le ministère de l'intérieur ne considérait pas la délinquance économique et financière comme une priorité et qu'en dix ans, aucune circulaire interministérielle n'était venue définir des objectifs précis en la matière506(*).

Pourtant, suivre l'argent et non le produit permet parfois d'obtenir des résultats plus probants et plus douloureux pour les narcotrafiquants. Dans le dossier « Koury », la gendarmerie nationale a démantelé en 2016 une structure de gestion de l'argent généré par le trafic de stupéfiants, dont il a été estimé qu'elle avait fait transiter environ 75 millions d'euros en 17 mois entre la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Maroc507(*).

Les services présents sur le terrain entendus par la commission d'enquête souhaiteraient évidemment que davantage soit fait dans ce domaine et qu'ils disposent des moyens humains et techniques nécessaires pour concrétiser cette systématisation. Or, dans les faits, le principe de la « double enquête », avec des enquêteurs financiers spécialisés agissant de concert avec des enquêteurs « stupéfiants » est davantage ponctuel que systématique. Le décloisonnement des méthodes d'investigations apparaît réservé aux dossiers de blanchiment les plus complexes, où se mêlent l'ingénierie caractéristique de la délinquance économique et financière et les schémas de criminalité organisée. Pour les dossiers de moindre complexité, les parquets sont encouragés à recourir à des services non spécialisés508(*), qui disposent d'encore moins de capacités pour mener des enquêtes patrimoniales approfondies.

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Le dispositif de lutte contre le blanchiment des flux issus du trafic de stupéfiants présente ainsi plusieurs faiblesses : l'absence de co-saisine avec un service spécialisé en matière financière dans de nombreux dossiers, des investigations principalement axées sur une photographie des patrimoines et une mise à jour, partielle, des seuls mécanismes de blanchiment les plus simples.

Au-delà d'un manque de moyens humains et techniques, les services d'enquête et les magistrats se heurtent aux stratégies de contournement déployées par les trafiquants pour échapper à la saisie de leur chiffre d'affaires et de leurs avoirs.

B. DES SAISIES ET CONFISCATIONS TROP FAIBLES POUR ATTEINDRE LES ACTEURS DU NARCOTRAFIC

Saisies et confiscations : de quoi parle-t-on ?

Les procédures pénales de saisie et de confiscation traduisent deux pratiques distinctes.

La saisie est un acte judiciaire réalisé dans le cadre de procédures pénales permettant à l'autorité judiciaire d'appréhender matériellement ou juridiquement des biens, ce qui entraîne leur indisponibilité temporaire. La saisie peut être opérée à visée probatoire - préservation des éléments de preuve - ou confiscatoire - en vue de l'éventuel prononcé d'une peine de confiscation. La doctrine distingue par ailleurs classiquement les saisies probatoires, qui concernent les biens utiles à la manifestation de la vérité, des saisies dites « patrimoniales », qui portent sur les autres biens et poursuivent l'objectif de garantir à l'issue de la procédure soit la récupération du produit direct ou indirect de l'infraction, soit l'indemnisation des victimes.

Contrairement à la saisie pénale, qui intervient au cours de l'enquête ou de l'instruction, la confiscation constitue une peine prononcée à l'occasion d'une condamnation qui, lorsqu'elle devient définitive, entraîne la dépossession permanente d'un bien et son transfert au profit de l'État. Elle peut être prononcée à titre de peine alternative pour les délits ou les contraventions de la cinquième classe, ou à titre de peine complémentaire dans les cas prévus par la loi ou le règlement, et de plein droit pour les infractions punies d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à un an, à l'exception des délits de presse.

Source : rapport n° 445 (2023-2024) fait par Muriel Jourda au nom de la commission des lois sur la proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels, déposé le 20 mars 2024

Ainsi que l'a parfaitement exprimé un représentant de la direction départementale de sécurité publique de Marseille, les services ont compris que la prison n'était pas un frein à l'activité des narcotrafiquants. En revanche, si on leur prend leurs biens immobiliers, leurs biens de luxe, cela leur fait mal.

Les saisies et les confiscations permettent en effet d'intervenir sur l'ensemble de la chaîne du narcotrafic :

· en enrayant les moyens logistiques du trafic (véhicules, lieux de stockage) ;

· en récupérant les bénéfices issus du trafic (investissements mobiliers et immobiliers) ;

· en appréhendant l'entier patrimoine du trafiquant509(*).

Pour autant, sur ces trois volets patrimoniaux du trafic, les trafiquants font là aussi la démonstration de toute leur ingéniosité en diversifiant leurs circuits du blanchiment, du plus traditionnel - la compensation - au plus complexe - le recours à des « sociétés lessiveuses » ou aux cryptoactifs. Surtout, les réseaux de trafiquants de stupéfiants n'hésitent pas à recourir à des organisations criminelles spécialisées dans le blanchiment pour protéger les avoirs du « haut du spectre ». Se développe ainsi une certaine spécialisation des tâches criminelles, avec des chaînes de production désormais mondialisées, à l'image de l'économie légale.

1. L'argent liquide, si tangible mais si insaisissable

L'un des objectifs que s'étaient fixés les membres de la commission d'enquête à l'issue de leurs travaux était de pouvoir répondre aux deux questions suivantes : où partent les flux d'argent liquide générés par le trafic de stupéfiants et par les milliers de points de deal en France ? Comment des chiffres d'affaires quotidiens de plusieurs dizaines de milliers d'euros par points de vente peuvent-ils se volatiliser ? Il faut bien avoir en tête qu'il s'agit de sommes colossales ; jusqu'à 90 000 euros peuvent être « encaissés » chaque jour sur un point de deal. Ce sont donc des dizaines de kilogrammes510(*) de billets qui sont chaque jour collectés et blanchis. L'Insee estimait en 2014 que 240 000 personnes vivaient directement ou indirectement de l'argent généré par les stupéfiants.

Un principe de réalité s'est toutefois rapidement dressé devant la commission d'enquête : personne ne sait aujourd'hui dire ce qu'il advient de l'ensemble de ces flux, dont la trace est rapidement perdue par les services d'enquête.

L'argent liquide constitue en effet le support le plus ancien du blanchiment, mais aussi l'un de ses plus efficaces. L'argent peut être blanchi - par un investissement dans des commerces ou des avoirs, par des circuits de compensation, par une diversification des canaux utilisés pour une seule opération de blanchiment - mais il peut aussi être directement réinjecté dans l'économie locale, par de la consommation de biens et de services parfaitement légaux (« blanchiment de proximité »).

Ces « qualités » expliquent la préférence marquée des réseaux criminels pour ce support, et donc sa part prépondérante dans les avoirs criminels saisis en lien avec le trafic de stupéfiants.

Répartition des avoirs criminels saisis en lien avec le trafic de stupéfiants en 2022

* Autres : multimédia, électroménager, assurance vie, bateau, créance, produit de placement, or, oeuvre d'art, parts de société, etc.

Source : commission d'enquête, d'après les données publiées par l'Office antistupéfiants dans l'état de la menace en 2023 et recueillies par la plateforme d'identification des avoirs criminels (Piac)

Tracer les flux de consommation est impossible, repérer les circuits de compensation est très difficile. Les organisations criminelles peuvent en effet recourir à des réseaux de collecteurs bien organisés et disposant de circuits de blanchiment préétablis. Bien souvent, les collecteurs ne connaissent pas le nom de leurs clients et prêtent leur expertise à plusieurs organisations criminelles, impliquées dans divers fraudes et trafics. Un dossier obtenu dans le cadre du décryptage d'EncroChat a permis de confirmer l'existence de deux réseaux parallèles, l'un orienté sur les substances illicites, l'autre sur les flux financiers, avec le rôle pivot des collecteurs511(*).

Viser ces groupes peut néanmoins s'avérer stratégique pour accéder à des informations aussi déterminantes que les sommes en jeu ou les coordonnées et l'identité des points de contact entre les collecteurs et les commanditaires, qui sont souvent proches des têtes de réseaux.

Les collecteurs, groupe pivot du blanchiment de l'argent liquide

« Les dossiers que nous avons appelés Virus et Rétrovirus sont emblématiques dans la lutte contre le blanchiment de l'argent du trafic de drogue.

« Dans le dossier Virus, l'argent de la drogue était récolté par un sarraf qui avait des liens avec une banque d'affaires en Suisse. Des exilés fiscaux français, qui détenaient des comptes en Suisse, voulaient utiliser leur argent en France : on leur y remettait des espèces issues de la drogue et en contrepartie, ils réalisaient des virements internationaux depuis la Suisse sur des comptes à disposition des trafiquants de drogue.

« Dans le dossier Rétrovirus, un Indien récupérait l'argent - il s'agissait de dizaines ou de centaines de millions d'euros. Ses collecteurs allaient à Anvers, qui est une plaque tournante du commerce d'or, et échangeaient l'argent de la drogue contre de l'or, notamment des bijoux. Cet Indien envoyait ses petites mains en avion jusqu'à Dubaï, avec les bijoux. À Dubaï, il avait une complicité chez un fondeur, qui transformait l'or. Ensuite, l'or était exporté illégalement en Inde, qui est l'un des plus gros consommateurs d'or, et où celui-ci est le plus taxé. L'or non taxé s'y écoule très facilement. Le sarraf prenait une commission ridicule sur le blanchiment, car son intérêt était de disposer de grosses quantités d'argent liquide pour se livrer à son trafic d'or, en dégager un gros bénéfice, et réaliser des virements à destination des trafiquants de drogue.

« Un autre dossier concernait un sarraf du Centre international de commerce de gros France-Asie (Cifa) d'Aubervilliers, grossiste, qui achetait des vêtements avec l'argent de la drogue. Il les envoyait à Ceuta, donc sans contrôle, où selon un accord entre l'Espagne et le Maroc, la marchandise peut être sortie de l'enclave, dès lors que c'est à pied. Les vêtements arrivaient dans les entrepôts du sarraf au Maroc, où il les vendait, faisait son bénéfice et pouvait rendre l'argent collecté aux trafiquants.

« Ces sarraf étaient en lien avec un certain nombre de réseaux. En remontant l'argent, on a pu les identifier et les démanteler. »

Source : audition de Marc Sommerer, président de chambre près la cour d'appel de Paris, président de la Commission nationale de protection et de réinsertion des repentis, 12 février 2024

Dans l'état de la menace 2023, l'Ofast insiste ainsi sur la « problématique durable de volatilité des espèces », soulignant que « même si la collecte et le stockage s'effectuent près des lieux des trafics, le déplacement et la dispersion interviennent dans un délai bref ». C'est ce qu'ont confirmé les membres des forces de l'ordre rencontrés lors des déplacements : lors d'une intervention sur un point de deal, et contrairement à ce qu'on pourrait penser, il est très rare de tomber sur des liasses d'espèces. Au bout de quelques ventes à peine, l'argent est déjà parti chez des « nourrices », puis stocké dans divers endroits avant d'être transporté à travers le territoire, voire à l'international.

Le directeur du SEJF a confirmé en audition que les circuits de blanchiment de l'argent liquide utilisaient aussi abondamment les libéralités offertes dans certains pays d'Europe de l'Est, où les conditions de bancarisation des fonds sont moins exigeantes512(*). Ainsi, il arrive fréquemment que le SEJF soit saisi d'affaires parties de manquements aux obligations déclaratives - c'est-à-dire de franchissement d'une frontière européenne avec plus de 10 000 euros sans déclaration - avec des voitures contenant jusqu'à un million d'euros en espèces.

Dans d'autres cas encore, nul besoin de franchir les frontières : les fonds sont bancarisés en ayant recours à des « mules financières » et à la technique du « schtroumpfage », c'est-à-dire à de multiples dépôts en espèces, sous les seuils d'alerte des banques.

Les règles applicables en matière de dépôts d'espèces

Aucun plafond de dépôt n'est imposé par la réglementation. Toutefois, les banques adressent chaque mois à Tracfin toutes les opérations de dépôt ou de retrait d'espèces supérieures à 10 000 euros sur un mois calendaire et tout dépôt supérieur à 8 000 euros doit faire l'objet d'une justification de la part du déposant.

En deçà de ces seuils, les établissements bancaires définissent des procédures de contrôle des espèces, en fonction de leurs réseaux et de leurs outils, au terme d'une approche par les risques. Les banques peuvent ainsi imposer des plafonds mensuels sur le montant des dépôts autorisés pour les personnes physiques, des déclarations et/ou des justificatifs sur l'origine des fonds pour les dépôts au-delà d'un certain seuil, des déclarations et/ou des justificatifs sur la destination des fonds retirés au-delà de certains seuils.

Source : réponse de la Fédération bancaire française au questionnaire du rapporteur

2. Une ingéniosité pour entraver l'appréhension des flux financiers et la saisie des actifs

S'il est donc très difficile d'appréhender le circuit financier entre les espèces tirées de la vente au détail de produits stupéfiants et la constitution d'un patrimoine par les narcotrafiquants, des schémas d'opérations écrans sont toutefois bien identifiés : utilisation de sociétés locales et du travail dissimulé, mise à disposition de prête-noms, envoi des fonds à l'étranger ou encore détention de cryptoactifs. Les narcotrafiquants font preuve d'une grande ingéniosité pour protéger leurs avoirs.

a) Les entreprises éphémères, des « coquilles vides » trop peu contrôlées

Pour blanchir les fruits de leurs trafics et distordre le lien entre les fonds acquis illégalement et leur origine, les trafiquants s'appuient également sur des organisations criminelles dédiées au blanchiment, capables de leur fournir des outils de plus en plus complexes pour perdre la trace de l'argent, opacifier les transactions avant de pouvoir le réinjecter dans l'économie légale ou paralégale. La création de sociétés-écrans et de sociétés éphémères constitue le vecteur le plus usité.

Les entreprises éphémères

Les sociétés éphémères sont des « amplificateurs d'économie souterraine ». Créées par des gérants de complaisance, elles ont pour seul objet de faire circuler sur leurs comptes des fonds issus de multiples activités criminelles, avant d'être liquidées et radiées.

La coopération avec les greffiers des tribunaux de commerce est essentielle dans ce domaine, notamment au regard des contrôles qu'ils effectuent lors de la création des sociétés (cohérence des informations déclarées, localisation des sièges sociaux et authenticité des documents fournis).

Source : direction des affaires criminelles et des grâces, dépêche sur la politique pénale relative à la lutte contre le blanchiment de fonds, 11 décembre 2020

Les sociétés éphémères sont uniquement créées dans le but de permettre à leur créateur de disposer de comptes bancaires. Elles peuvent aussi être mises en relation avec des sociétés légales qui ont un fort besoin de liquidités, notamment pour payer des salariés non déclarés (travail dissimulé). Un autre schéma consiste à émettre des fausses factures, à utiliser l'argent du trafic pour s'acquitter de ces factures et donc à bancariser les fonds, sur les comptes appartenant à la société factice, avant de les utiliser pour acheter des biens de luxe. Ces biens sont ensuite revendus et le produit de ces ventes, désormais blanchi, est réemployable à souhait par les narcotrafiquants. Quant aux entreprises, elles disparaissent avant même d'avoir pu être contrôlées.

Pour certains trafiquants toutefois, derrière l'investissement dans des petits commerces locaux et le « blanchiment territorial »513(*), il y a également l'idée d'acquérir de l'honorabilité et d'obtenir des contrats de travail et des salaires pour la famille et l'entourage, ainsi que des aides publiques ou des crédits bancaires. Il s'agit le plus souvent d'ongleries, de pressings, de barber shops mais aussi d'entreprises du BTP ou de la restauration rapide. Pour reprendre un terme entendu en audition, une partie des narcotrafiquants se conçoivent comme des « pater familias »514(*) : s'ils se protègent en se réfugiant à l'étranger, ils investissent aussi une partie de leurs avoirs dans des entreprises ou des biens immobiliers situés sur le territoire national, avec l'objectif, à terme, de pouvoir les transmettre à leur famille et à leurs proches.

Ce constat a été confirmé par les représentants du Colbac-S de Marseille : les trafiquants souhaitant « changer de vie » créent leurs propres sociétés, pour se donner une vitrine légale. Or, le développement de plusieurs sociétés dans de multiples secteurs économiques rend encore plus difficile le traçage des fonds illicites et la remontée des fonds jusqu'à l'infraction d'origine.

Les commerces investis par les organisations criminelles créent par ailleurs une concurrence déloyale, au détriment des sociétés, commerçants et artisans qui respectent la loi et s'acquittent de l'ensemble de leurs charges fiscales et sociales. Pour les trafiquants, ils permettent de s'offrir une façade légale, un statut social dans le quartier et un enracinement territorial, qui peut également constituer un point d'observation ou un lieu de stockage de marchandises illicites515(*).

Il semble donc que la mesure n° 24 du plan national antistupéfiants 2019-2023, qui visait à accroître les contrôles des commerces susceptibles de participer au blanchiment sous l'égide des comités départementaux anti-fraude (Codaf), n'a pas pleinement produit ses effets et que d'autres mesures doivent être envisagées. Or, en plus de se heurter aux difficultés d'identification de ces circuits de blanchiment et de ces avoirs, les services d'enquête et les magistrats se trouvent aussi limités par l'impossibilité légale de saisir les fonds de commerce, ce qui entrave fortement leur action.

b) Les bénéficiaires effectifs et les prête-noms, des tiers insuffisamment recherchés et poursuivis

À l'instar des moyens employés par les organisations criminelles pour acheminer la cocaïne sur le territoire métropolitain depuis la Guyane et les Antilles, les trafiquants utilisent également des « mules bancaires » et des « mules immobilières » qui vont leur prêter leur identité pour se porter acquéreur d'un commerce ou d'un bien immobilier, en échange d'une commission par exemple. Il devient alors très difficile pour les services d'enquête de parvenir à identifier les avoirs des trafiquants, dont certains organisent en parallèle leur insolvabilité.

Par ailleurs, si le cadre juridique permet de saisir et de confisquer le patrimoine du narcotrafiquant même lorsque celui-ci l'a confié à un membre de sa famille ou à un proche516(*), encore faut-il parvenir à démontrer que le criminel en garde la libre disposition517(*) et que le tiers n'est pas de bonne foi et ignore qu'il est le détenteur de ce patrimoine518(*). C'est facile à démontrer quand un enfant de trois ans dispose de multiples produits financiers, c'est beaucoup plus difficile dans d'autres cas.

Se pose par exemple de plus en plus souvent la question des véhicules en leasing, une modalité de consommation qui permet de louer un véhicule pour une durée déterminée avant d'en devenir ou non le propriétaire. Or, dans ce cas, le véhicule ne peut pas être saisi, sauf à prouver la mauvaise foi du propriétaire, à savoir, le plus fréquemment, le concessionnaire automobile. S'agissant des voitures de luxe, elles sont le plus souvent louées par des sociétés de location de longue durée situées au Luxembourg, ce qui rend d'autant plus complexe d'identifier leurs bénéficiaires effectifs.

Par ailleurs, dans le cas de l'existence d'un tiers propriétaire, la loi oblige à ce que des recherches soient effectuées pour le retrouver et lui permettre de faire valoir ses droits sur les biens. Il s'agit toutefois d'une obligation de moyens et non de résultats, l'essentiel étant que le magistrat soit suffisamment éclairé au moment de prendre la décision de confiscation.

c) L'impossibilité de confisquer et de saisir des actifs détenus à l'étranger

Dans le domaine des saisies et confiscations, la coopération européenne s'avère plutôt efficace, en particulier depuis l'adoption en 2018 du règlement européen concernant la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et des décisions de confiscation519(*), applicable depuis le 19 décembre 2020. Trois dispositions du règlement facilitent la coopération européenne et l'effectivité du dispositif de saisie et de confiscation520(*) :

· la reconnaissance mutuelle des décisions de gel ;

· la transmission directe des décisions d'autorité à autorité ;

· la possibilité de saisir et de confisquer, en plus de l'instrument, du produit ou de la valeur du produit ou de l'instrument, l'entier patrimoine de la personne mise en cause, un élargissement particulièrement utile en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants.

En revanche, la coopération est beaucoup plus difficile avec des pays comme ceux du Maghreb, la Chine, le Panama ou les Émirats arabes unis : impossible de saisir et encore moins de confisquer les avoirs des narcotrafiquants lorsqu'ils ont trouvé refuge dans ces États. La même problématique s'observe au niveau fiscal : le patrimoine des narcotrafiquants, acquis par des revenus non déclarés ou occultes, est rarement localisé en France, et donc difficilement appréhendable par les services fiscaux.

Sur les 554 demandes d'entraide pénale internationale enregistrées entre 2020 et 2023, 54 concernaient des infractions à la législation sur les stupéfiants521(*). Le haut du spectre ne blanchit pas en France mais à l'étranger, ce qui rend les investigations encore plus complexes et les capacités d'entrave encore plus limitées.

d) Une prise en compte encore embryonnaire des cryptoactifs
(1) Un vecteur propice au blanchiment des avoirs criminels

Les caractéristiques des cryptoactifs en font des instruments très adaptés à la volonté des narcotrafiquants de dissimuler leurs revenus et de les transférer dans des pays aux réglementations plus « souples », rendant impossible leur saisie par les services d'enquête. De fait, l'ensemble des personnes interrogées par la commission d'enquête s'accordent à dire que si ce vecteur n'est pas le plus important en termes de volume d'avoirs criminels et de fonds blanchis, il est en croissance exponentielle depuis 2020 : l'Agrasc a comptabilisé 28 cryptoactifs saisis dans le cadre de dossiers de trafics de stupéfiants en 2022, contre 31 en 2021 et 1 en 2020522(*).

La plupart des cryptoactifs reposent sur la technologie de la blockchain (chaîne de blocs)523(*), un registre décentralisé des transactions qui préserve l'anonymat et qui s'appuie sur des techniques cryptographiques pour garantir la sécurité des transactions. De l'argent peut donc être envoyé à travers le monde rapidement et à moindres frais, sans intervention d'un intermédiaire financier et donc sans traçabilité.

Les cryptoactifs sont stockés sur des supports virtuels et permettent à leurs utilisateurs soit de réaliser des transactions sans avoir recours aux monnaies fiat, soit d'échanger leurs cryptoactifs contre d'autres cryptoactifs524(*), soit encore de les échanger contre de la monnaie fiat. Chacun de ces usages est propice à dissimuler l'origine des fonds, à les rendre intraçables et à les blanchir, d'autant plus lorsque plusieurs schémas sont employés (création d'une société éphémère pour disposer de comptes bancaires, dépôt d'argent liquide sur ces comptes, utilisation du compte pour acquérir des cryptoactifs).

La multitude et la complexité des schémas de transaction possibles et le recours à des techniques spécifiques pour préserver l'anonymat ont favorisé le développement de l'usage des cryptoactifs à des fins illégales ou de contournement des sanctions.

L'affaire Bitzalo : une néoentreprise de blanchiment

Au mois de janvier 2023, une cinquantaine d'enquêteurs du commandement de la gendarmerie dans le cyberespace ont participé au démantèlement de la plateforme Bitzalo, dans le cadre d'une opération internationale. Seize millions d'euros de cryptoactifs ont été saisis et six personnes interpellées.

Bitzlato, dont un hébergeur au moins se situait en France d'après le parquet de Paris, se targuait de ne réclamer à ses clients « ni selfie ni passeport », selon la justice américaine, et fonctionnait comme un véritable service en ligne de blanchiment de cryptoactifs : les criminels y injectaient le produit de leurs activités illicites, et la plate-forme se chargeait d'opacifier leur provenance, moyennant une commission de l'ordre de 5 %, avant de le réintroduire dans le circuit des cryptomonnaies pour un nouveau cycle de blanchiment, ou n'importe quel usage ultérieur. Elle proposait aussi de les convertir en roubles. Deux milliards d'euros ont été blanchis en 2018.

Source : Le Monde, « Cryptomonnaies : les cybergendarmes démantèlent une plate-forme de blanchiment », 19 janvier 2023

Il est par ailleurs désormais d'autant plus facile de disposer d'avoirs en cryptoactifs que, depuis la création du Bitcoin en 2008, tout un écosystème s'est développé pour proposer des services financiers « traditionnels » : portefeuilles électroniques, conservation des actifs, système de paiement, « bourse » de cryptoactifs, livrets d'épargne. La réglementation française s'est justement construite autour de ces prestataires de services sur actifs numériques (Psan), soumis à la supervision de l'Autorité des marchés financiers (AMF) et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), pour ce qui concerne le respect de leurs obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LBC/FT).

Le régime français de régulation des cryptoactifs

Mis en place dans le cadre de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (loi « Pacte »), le régime français d'encadrement des cryptoactifs a longtemps reposé sur l'enregistrement obligatoire des prestataires de services sur actifs numériques (Psan) et, pour ceux qui le souhaitent, sur leur agrément.

Le statut de Psan couvre les activités de conservation des actifs numériques, d'achat-vente contre une monnaie ayant un cours légal ou contre d'autres actifs numériques, l'exploitation d'une plateforme de négociation d'actifs numériques, etc. Parmi les obligations des Psan enregistrés figurent notamment des exigences au regard de leur dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

Depuis la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne (DDADUE), et à l'initiative du Sénat, un enregistrement renforcé est prévu à compter du 1er janvier 2024.

Désormais, pour être enregistré et pour proposer légalement ses activités en France, un Psan doit obéir à des exigences plus élevées en matière d'identification des actionnaires, de contrôle interne, de gestion des risques ou encore de sécurité informatique.

Source : code monétaire et financier, Autorité des marchés financiers

Dans l'analyse nationale des risques de blanchiment de capitaux pour 2023525(*), les Psan relèvent de la catégorie des « menaces très élevées ». Ainsi, si certains acteurs du secteur des cryptoactifs se montrent de plus en plus collaboratifs avec les services d'enquête - gage de respectabilité - beaucoup de plateformes doivent progresser sur la LBC/FT tandis que d'autres constituent encore des « boîtes noires » pour les enquêteurs.

Pour blanchir les produits de leurs activités illicites, les narcotrafiquants peuvent en effet les convertir par le biais de plateformes sur lesquelles les contrôles sont défaillants ou de plateformes qui ne sont pas soumises à des obligations de LBC/FT - c'est-à-dire des plateformes exerçant illégalement leurs activités en France ou situées à l'étranger. En effet, s'il est illégal pour un acteur non enregistré d'offrir ses services en France, il n'est pas illégal pour un client de solliciter, de sa propre initiative, la fourniture de services par un prestataire installé hors de France et non enregistré.

L'ACPR, chargée de contrôler les Psan au titre de leurs obligations LBC/FT, relève que les acteurs enregistrés manquent encore globalement de maturité, notamment sur la classification de leurs risques, sur la connaissance de leur clientèle et sur la surveillance de leurs opérations526(*). Des lettres de suite leur ont donc été adressées et deux Psan ont fait l'objet d'une radiation, les contrôles étant amenés à se poursuivre. Seuls une dizaine d'acteurs ont déjà été contrôlés, un chiffre qui devrait doubler d'ici la fin de l'année 2024.

(2) Un cadre juridique qui s'est adapté, mais une appréhension encore difficile

Dans ses observations définitives sur la régulation des cryptoactifs527(*), la Cour des comptes relève que deux principaux obstacles se dressent devant les enquêteurs pour lever l'anonymat de certains portefeuilles, tracer les transactions, incriminer les plateformes et effectuer des saisies :

· des obstacles techniques, avec la nécessité de développer des outils528(*) pour déchiffrer les chaînes de blocs, en complément ou en remplacement de ceux acquis à un prix élevé auprès de sociétés privées étrangères, dont la France dépend aujourd'hui ;

· des obstacles d'ordre humain, les compétences nécessaires étant pointues et recherchées.

Seule la Junalco dispose actuellement de deux assistants spécialisés et compétents pour la cybercriminalité, ce qui inclut les cryptoactifs. Un seul agent de la BNEE, affecté à la division économique et financière de la direction territoriale de la police judiciaire de Marseille, est plus spécialisé sur les cryptoactifs et répond à de nombreuses sollicitations pour tracer des fonds en cryptoactifs et permettre leur saisie.

Les adaptations des services d'enquête, des magistrats et de notre droit à cette nouvelle technologie sont donc encore limitées, et surtout récentes. Elles témoignent de la prise de conscience par le législateur des enjeux que représentent les cryptoactifs dans la lutte contre les organisations criminelles.

La procédure rapide de saisie prévue à l'article 706-154 du code de procédure pénale a été étendue au mois de janvier 2023529(*) aux actifs numériques : le procureur de la République ou le juge d'instruction peut autoriser l'officier de police judiciaire à procéder à cette saisie par tout moyen, à charge ensuite pour le juge des libertés et de la détention de se prononcer, dans un délai de dix jours, sur le maintien ou la mainlevée de la saisie530(*). Le recours à cette procédure, applicable aux cryptoactifs apparaissant comme l'instrument/le produit ou la valeur/l'équivalent du produit ou de l'instrument de l'infraction, vise à faire obstacle à la disparition de ces actifs, facilement transférables sur un autre support virtuel.

Saisies et confiscations des cryptoactifs : après la théorie, la pratique

L'accès au registre de la blockchain s'opère par le biais d'une clé privée correspondant à l'actif numérique. La clef privée s'apparente en quelque sorte à la clé du coffre-fort où se trouvent les cryptoactifs : dès lors, la détention de la clé présume de la propriété de l'actif numérique correspondant. De manière encore plus sophistiquée, les trafiquants du « haut du spectre » peuvent investir une partie de leurs produits dans l'achat de matériels informatiques suffisamment puissants pour acquérir des cryptoactifs par minage.

Les cryptoactifs peuvent également être détenus sur un portefeuille numérique, auprès d'un Psan. Ce dernier est obligé d'établir l'identité de la personne physique qui détient un portefeuille numérique.

L'Agrasc dispose du monopole de gestion des actifs numériques. Afin de sécuriser leur gestion, elle a conclu une convention avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC), qui met à disposition et conserve des adresses cryptographiques pour l'Agence et gère les transactions de sortie. Le stock de clés d'accès aux actifs numériques devrait ainsi être bientôt entièrement repris par la CDC.

Source : direction des affaires criminelles et des grâces, Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), Guide de saisie et de confiscation des actifs numériques, juin 2023 ; convention de prestation de services de conservation d'actifs numériques entre la Caisse des dépôts et l'Agrasc, 23 juin 2023

Ce n'est que depuis l'été 2023531(*) que les douaniers peuvent, dans le cadre de la poursuite du délit de blanchiment douanier, saisir les cryptoactifs qui ont permis de procéder à cette opération illicite. Cette saisie peut ensuite donner lieu à confiscation532(*).

3. Des difficultés de gestion des biens saisis ou confisqués

La gestion des biens saisis emporte avec elle des frais importants, pour l'Agrasc comme pour les juridictions. Trop de biens saisis sont conservés pendant trop longtemps, ce qui se traduit par des coûts de gestion élevés ou par une dépréciation de la valeur du bien.

De fait, cela a pu mener à des situations où, par exemple, la saisie de véhicules a été refusée par les magistrats pour des raisons liés au coût du gardiennage. La direction générale de la gendarmerie nationale a à cet égard souligné l'expérimentation menée par la cour d'appel de Douai, avec une centralisation dans un même endroit des pièces à conviction et des véhicules saisis, pour limiter les frais de gardiennage533(*).

D'autres instruments juridiques existent, tels que la vente avant jugement ou l'affectation des biens aux services d'enquête et aux juridictions, ce qui a pour effet de diminuer les durées d'immobilisation des biens, dont les frais de gestion. L'aliénation par anticipation a été prévue dès 2016534(*) pour les immeubles dont les frais de conservation auraient été disproportionnés par rapport à leur valeur en l'état, sur autorisation du juge des libertés et de la détention.

C. DES OUTILS JURIDIQUES PAS ENCORE AU NIVEAU OU SOUS-EXPLOITÉS

1. La présomption de blanchiment, un avantage tactique qui doit trouver toute sa place dans notre stratégie contre le narcotrafic

Schématiquement, le blanchiment se décline en trois phases techniques, qui constituent le « cycle de lavage » :

1° le placement, pour distendre le lien entre le détenteur et les fonds acquis illégalement ;

2° l'empilement ou la dissimulation, qui permet de distordre ce lien en recourant à diverses techniques et opérations, plus ou moins sophistiquées ;

3° la conversion ou l'intégration, qui permet de totalement dissoudre le lien entre le détenteur initial et les fonds acquis illégalement, tout en réintégrant ces derniers dans l'économie légale.

Ces trois phases se retrouvent dans la définition du blanchiment prévue à l'article 324-1 du code pénal, le blanchiment étant considéré comme « le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit ». Or, établir le lien entre les fonds illégalement acquis et l'infraction d'origine s'est très vite avéré laborieux. Si la Cour de cassation a consacré le caractère autonome du délit de blanchiment - l'infraction de blanchiment peut ainsi être caractérisée même en l'absence de poursuites et/ou de condamnation relative à l'infraction sous-jacente - il n'en demeure pas moins que le blanchiment nécessite que soient relevés précisément les éléments constitutifs d'un crime ou d'un délit ayant procuré à son auteur un profit direct ou indirect535(*).

Créée par la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude et la grande délinquance financière536(*), la présomption de blanchiment entendait répondre à cette difficulté majeure. Prévue à l'article 324-1-1 du code pénal, elle permet de s'attaquer aux circuits financiers inutilement complexes et dépourvus de rationalité économique et qui ne peuvent s'expliquer autrement que par la volonté de dissimuler l'origine illicite des biens. L'origine illicite des fonds est donc présumée des modalités d'une opération donnée, sans qu'il soit nécessaire de caractériser les éléments de l'infraction sous-jacente.

Tout l'intérêt de ce dispositif réside dans le fait qu'il autorise un renversement de la charge de la preuve : il revient à la personne mise en cause d'apporter les éléments permettant de démontrer l'origine des fonds ou des avoirs. De fait, la procédure est davantage mise en oeuvre que le délit de non-justification des ressources537(*), plus difficile à démontrer.

Cas d'usage de la présomption de blanchiment

« Le 6 mars 2019, la Cour de cassation a confirmé la décision d'une cour d'appel qui avait déclaré coupable de blanchiment au vu de l'article 324-1-1 du code pénal une personne interpellée lors d'un contrôle routier en possession d'une forte somme d'argent en espèces. Elle s'était fondée sur les incohérences des déclarations du prévenu, lequel n'expliquait ni les raisons de son voyage entre l'Allemagne et la France, ni l'importance de la somme transportée, ni le défaut de déclaration du transfert de fonds. Le mis en cause ne pouvant justifier de l'origine d'une somme importante détenue en numéraire, l'infraction a été caractérisée, et il a été condamné.

« Le 5 avril 2022, le tribunal correctionnel de Paris a condamné un prévenu du chef de blanchiment présumé pour avoir détenu une somme de quasiment 30 000 euros en numéraire, dissimulée dans un sac, lui-même placé dans une sacoche présente sur le siège passager de son véhicule. Pour le tribunal, un tel transport de fonds réalisé dans des conditions manifestement anormales et dont le montant excède très sensiblement les ressources légalement perçues par l'intéressé caractérise un acte de dissimulation. Le prévenu n'a pas justifié l'origine des fonds dissimulés dans son véhicule ni la distorsion entre les revenus déclarés et le montant des sommes retrouvées en sa possession. L'infraction est caractérisée. Il a été condamné sur la base du blanchiment présumé. »538(*)

La présomption de blanchiment peut dès lors s'appliquer à une grande variété de schémas et de vecteurs de blanchiment, dont l'utilisation des cryptoactifs, en particulier lorsqu'il y a eu recours à des stratagèmes d'opacification et notamment à des services de « mixage », qui consistent à mélanger des fonds de cryptoactifs potentiellement identifiables ou « contaminés » avec d'autres539(*). Ainsi que l'indique Transparency International : « le mécanisme de présomption vise l'essence même du blanchiment de capitaux en prenant les auteurs du blanchiment à leur propre jeu »540(*).

Pourtant, en dépit des perspectives offertes par cet outil juridique, qualifié de véritable « arme tactique » par plusieurs personnes entendues par la commission d'enquête, tous les magistrats ne se sont pas encore pleinement saisis de cet instrument, qui suscite quelques réticences. Il a donc d'abord été principalement utilisé dans des affaires de découverte d'argent liquide dissimulé dans des véhicules et commence tout juste à être étendu à des opérations plus sophistiquées. Ainsi que l'indiquait le directeur du SEJF lors de son audition, il peut parfois être difficile de déterminer le « point de bascule », le moment à partir duquel la dissimulation est en soi un élément de preuve, et pas seulement une réponse à une logique économique complexe d'optimisation fiscale par exemple541(*). La complexité de l'opération n'est en effet pas un critère expressément visé par le texte, qui porte sur l'absence de justification objective de l'opération, la complexité pouvant répondre à des objectifs économiques542(*).

Ce constat est partagé par le Gafi, qui a souligné dans son rapport d'évaluation mutuelle de la France l'utilisation insuffisante de la présomption de blanchiment : « le nombre de condamnations pour blanchiment autonome représente une part moins importante qu'attendu, au regard de la possibilité légale (c'est-à-dire la présomption de blanchiment) offerte aux autorités de poursuivre plus aisément le blanchiment autonome depuis 2013 avec le renversement du fardeau de la preuve »543(*).

Il convient enfin de noter qu'en 2016544(*), le législateur a répliqué au sein du code des douanes le dispositif de présomption de blanchiment. L'article 415-1 du code des douanes dispose en effet que les fonds ou actifs numériques sont « présumés être le produit direct ou indirect de l'une des infractions mentionnées à l'article 415 du présent code lorsque les conditions matérielles, juridiques ou financières de l'opération d'exportation, d'importation, de transfert, de compensation, de transport ou de collecte ne paraissent obéir à d'autre motif que de dissimuler que les fonds ou les actifs numériques [...] d'une telle origine ».

Alors que le trafic de stupéfiants fait partie, avec les fraudes aux finances publiques et les escroqueries, des trois menaces criminelles majeures auxquelles la France est exposée s'agissant du blanchiment des capitaux545(*), il est impératif que l'ensemble des outils soient pleinement mobilisés pour limiter les effets de cette menace.

2. L'absence de mesures d'urgence de gel des avoirs

La France ne dispose pas de mécanisme de gel d'urgence des avoirs des narcotrafiquants, que ce soit au niveau administratif ou au niveau pénal. Un tel dispositif trouverait notamment son utilité en cas de fuite des trafiquants, qui se réfugient le plus souvent dans des pays avec lesquels la coopération est limitée et dans lesquels ils peuvent pleinement profiter du fruit de leur activité criminelle.

3. Résultat : une décorrélation très nette entre le chiffre d'affaires du narcotrafic et les confiscations

En audition, Virginie Gentile, alors directrice par intérim de l'Agrasc, a indiqué : « en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, nous avons souvent à faire à des investissements tels que des biens immobiliers ou des assurances vie, mais nous gérons aussi des biens meubles corporels qui améliorent le quotidien : des consoles de jeux, des robots de cuisine, des vêtements de marque, des chaussures de luxe, etc. »546(*). Les avoirs des personnes impliquées dans le trafic de stupéfiants se caractérisent ainsi par leur diversité, qui tient aussi à la « place » de chacune dans le réseau.

a) Un décrochage entre saisies et confiscations

Selon l'Agrasc, 30 % des saisies seulement se traduisent par des confiscations. En dépit de la hausse des saisies effectuées par les services d'enquête, le taux de confiscation demeure faible.

Bien sûr, l'objectif n'est pas d'atteindre un taux de 100 %, qui serait irréaliste et non opérationnel : s'il arrive que les services d'enquête saisissent « trop », sur autorisation des magistrats, c'est aussi à titre conservatoire ou parce qu'il existe des suspicions encore non levées quant à l'origine et à l'usage des avoirs. Il y aura de fait toujours un écart incompressible entre les saisies et les confiscations.

Néanmoins, des efforts sont à mener pour améliorer le suivi et le stockage des scellés, intégrer la saisie dans les applicatifs informatiques et mieux former les magistrats aux enjeux des saisies et confiscations. Ces derniers doivent se saisir pleinement des textes, et notamment de l'article 131-21 du code pénal, relatif à la peine de confiscation, encourue de plein droit pour les crimes et les délits punis d'une peine d'emprisonnement d'une durée supérieure à un an.

Il s'agit en effet d'être bien plus offensif : en matière d'infractions à la législation sur les stupéfiants, « la confiscation porte également sur les biens meubles ou immeubles, quelle qu'en soit la nature, divis ou indivis, appartenant au condamné lorsque celui-ci, mis en mesure de s'expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée, n'a pu en justifier l'origine »547(*). Il y a donc la possibilité de confisquer même en l'absence de lien entre l'infraction commise et le patrimoine, tout en respectant toutefois, même sur ce fondement, le principe de proportionnalité, ainsi que l'a rappelé la Cour de cassation548(*).

b) Des résultats encore trop indolores pour les narcotrafiquants

Le chiffre d'affaires du trafic de stupéfiants en France est estimé de l'ordre de 3,5 milliards d'euros, et jusqu'à 6 milliards d'euros en fourchette haute. La décorrélation entre ces estimations et le montant des avoirs saisis, et encore plus des montants confisqués, ne peut que donner à voir l'ampleur du travail qu'il reste encore à mener pour véritablement « faire mal » aux narcotrafiquants et assécher leur puissance financière. À titre de comparaison, le budget alloué à la justice judiciaire pour la conduite de la politique pénale serait de 1,5 milliard d'euros en 2024549(*).

En 2023, le montant des avoirs saisis par la police et par la gendarmerie - toutes activités criminelles confondues - s'est élevé à 851 millions d'euros. Le montant des saisies rattachées à des infractions à la législation sur les stupéfiants, s'il est en hausse, reste stable en proportion de l'ensemble des saisies, autour de 15 %, soit 117 millions d'euros en 2023.

Saisie d'avoirs par les services de police et de gendarmerie depuis 2019

(en millions d'euros et en pourcentages)

Source : commission d'enquête, d'après les données transmises par la sous-direction de la lutte contre la criminalité financière de la direction nationale de la police judiciaire

Il convient toutefois de noter que les chiffres de saisies raccrochées au trafic de stupéfiants n'illustrent pas complètement les résultats de la lutte contre le blanchiment lié au narcotrafic. En effet, comme l'ont indiqué en audition Magali Caillat et Thierry Pezennec550(*), mais aussi les membres du Colbac-S de Marseille551(*), une grande partie des produits blanchis dans des entreprises locales se retrouvent employés pour financer le travail dissimulé. Plusieurs secteurs économiques - BTP, sécurité, hôtellerie-restauration, sociétés de location de véhicules - sont en recherche de liquidités pour alimenter le travail dissimulé. Le blanchiment des flux issus du trafic de stupéfiants prend alors la forme d'une rencontre entre un besoin d'acheter et un besoin de vendre des espèces, affectant de fait durablement l'économie légale. Or, si le blanchiment peut être difficile à étayer, en absence de possibilité de remonter à l'infraction d'origine, le travail dissimulé peut être bien plus aisé à prouver et la lutte contre cette forme de fraude sociale doit donc constituer une priorité.

Les données dont dispose l'Agrasc confirment le constat d'un potentiel encore sous-exploité552(*) : parmi les biens saisis du 1er janvier 2023 au 30 septembre 2023, 57,6 % l'avaient été dans le cadre de dossiers comprenant au moins une infraction à la législation sur les stupéfiants, mais pour 6 % seulement de la valeur totale des avoirs saisis. Le ratio est meilleur pour les confiscations : du 1er janvier au 30 septembre 2023, 67,7 % des avoirs confisqués proviennent de dossiers comprenant au moins une infraction à la législation sur les stupéfiants, pour 23,4 % de la valeur totale de ces avoirs, à savoir 53,5 millions d'euros. Le numéraire reste prépondérant dans ce total (85 %).

Saisies et confiscations gérées par l'Agrasc entre 2020 et 2023

(en millions d'euros et en pourcentages)

Saisies

Confiscations

* Les données portent sur la période allant du 1er janvier 2023 au 30 septembre 2023.

Source : commission d'enquête, d'après les données transmises par l'Agrasc

Les écarts de proportion entre les saisies et les confiscations s'expliquent certainement par la possibilité, dans le cas du trafic de stupéfiants, de pouvoir confisquer des éléments du patrimoine de la personne condamnée même lorsque ces éléments ne sont pas en lien direct avec l'infraction. De manière plus générale, l'augmentation des saisies et des confiscations à moyen terme tend également à accréditer l'efficacité des antennes régionales, qui permettent d'assurer un meilleur suivi des décisions de saisie et de confiscation et d'offrir un meilleur accompagnement aux services d'enquête et aux magistrats (assistance, formation).

Pour autant, les montants saisis comme les montants confisqués restent très largement en deçà du chiffre d'affaires estimé du narcotrafic en France.

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La conjugaison de plusieurs facteurs - organisation pléthorique, déficit d'effectifs formés, complexité des schémas de blanchiment, absence d'enquêtes patrimoniales systématiques - amoindrit la lutte contre les flux illicites tirés du trafic de stupéfiants et notre capacité à frapper les narcotrafiquants au portefeuille en confisquant leurs avoirs. Le décalage entre la priorité affichée par le Gouvernement et la réalité est apparu clairement aux yeux de la commission d'enquête : à trop croire en la performativité de ses discours, le Gouvernement se méprend sur les résultats qu'il obtient. Pour la commission d'enquête, l'objectif est clair : haut ou bas du spectre, plus personne ne doit pouvoir tirer profit du narcotrafic.

VI. DES ACTEURS « ÉPARPILLÉS FAÇON PUZZLE », AU NIVEAU CENTRAL COMME AU NIVEAU LOCAL

Il est parfaitement légitime et nécessaire qu'un grand nombre d'acteurs intervienne dans la lutte contre le narcotrafic : cette situation est justifiée tant par l'ampleur de la menace que par la technicité des domaines à maîtriser pour faire face aux stratégies des trafiquants.

Pour autant, après avoir fait un examen approfondi de la gestion de la menace, on est en droit de se demander si chaque protagoniste dispose d'un rôle suffisamment clair et, plus trivialement, s'il y a un pilote dans l'avion. On s'est parfois demandé si l'Europe avait un numéro de téléphone : la commission d'enquête se demande désormais si la lutte contre le narcotrafic en a un et s'il lui est possible de parler d'une même voix et d'agir d'un même mouvement, ce qui est aujourd'hui loin d'être le cas.

A. UNE STRUCTURE ÉCLATÉE, VOIRE ILLISIBLE

La lutte contre le trafic de stupéfiants est confiée, en France, à une très grande multiplicité d'acteurs relevant de différents services, de différentes directions, de différents offices, de différents ministères. C'est dû à la nature multiple du trafic, qui présente une dimension criminelle, mais aussi financière et sanitaire. Il est inévitable que des chevauchements ou des conflits de compétence apparaissent, et la création de l'Office antistupéfiants (Ofast) en 2019 avait vocation à les surmonter pour créer un véritable chef de file de la lutte contre le narcotrafic. Mais les auditions et les déplacements de la commission ont montré que tel n'était pas encore le cas : les forces de sécurité intérieure ne sont pas encore en ordre de bataille contre un phénomène qui arrive pourtant à un point de bascule.

Une très grande variété d'acteurs à faire travailler ensemble

Pour rappel, les services de l'État impliqués dans la lutte contre le service de stupéfiants, tels que listés dans la Doctrine nationale de la lutte contre les trafics de stupéfiants définie par l'Ofast553(*), sont, pour la police :

· la direction centrale de la sécurité publique (DCSP), avec les unités de voie publique et d'enquête et les directions départementales de sécurité publique (DDSP) ainsi que le service central du renseignement territorial ;

· la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), avec l'office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO), la division des relations internationales (DRI), le service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco) ou l'office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) appuyé par la plateforme d'identification des avoirs criminels (Piac) ;

· la préfecture de police ;

· la direction centrale de la police aux frontières (DCPAF) ;

· la direction de la coopération internationale de sécurité (DCIS) avec son réseau de services de sécurité intérieure (SSI) dans les postes diplomatiques ;

· la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).

Pour la gendarmerie :

· les unités territoriales ;

· les brigades de recherche ;

· les sections de recherche à l'échelon régional, appuyées par les sections d'appui judiciaire (SAJ), les groupes d'observation-surveillance (GOS), les dispositifs cyber, les cellules nationale et régionales des avoirs criminels (CeNAC et CeRAC) et les formations aériennes ;

· la sous-direction de la police judiciaire (SDPJ) au niveau national, et notamment le Centre de lutte contre les criminalités numériques554(*) (C3N), la cellule nationale des avoirs criminels (Cenac), et le service central de renseignement criminel (SCRC)555(*) ;

· les gendarmeries spécialisées (gendarmeries des transports aériens, des voies maritimes, des voies navigables) ;

· les offices centraux que sont l'Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI) et l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp).

Les groupes interministériels de recherches (GIR) constituent des unités d'appui aux enquêtes regroupant gendarmes, policiers et représentants de l'inspection des finances qui conduisent notamment des enquêtes patrimoniales.

Il faut ajouter, dans ce paysage, l'implication de la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI), notamment à travers :

· la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), service de renseignement du premier cercle ;

· le service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF) ;

· la direction nationale garde-côtes des douanes (DNGCD)556(*) ;

· la direction des relations internationales (DRI) qui pilote le réseau des attachés douaniers.

Toujours à Bercy, outre les douanes, le service Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) contribue également à la lutte contre le narcotrafic dans le domaine du renseignement financier.

L'observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) mène une mission très importante d'évaluation de la pénétration de la drogue dans notre société ; tandis que la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) coordonne et finance diverses politiques de lutte contre la drogue, y compris le narcotrafic.

Mais il faut ajouter à ces acteurs des comités et groupes locaux tels que les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross557(*)), les groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD), instances ad hoc associant, dans un quartier touché par le trafic, l'ensemble des parties prenantes, les comités opérationnels départementaux anti-fraude (Codaf), etc.

Enfin, la lutte contre le trafic de stupéfiants implique des acteurs administratifs comme la direction générale des finances publiques (DGFiP), mais aussi les bailleurs sociaux, et des acteurs privés comme les banques ou encore les professions assujetties aux obligations LCB-FT (lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme), les élus locaux, etc.

Ces acteurs forment une véritable nébuleuse dans laquelle il est parfois difficile de se retrouver - encore cette liste ne mentionne-t-elle pas les très nombreux services de police au niveau local dont les compétences peuvent se chevaucher.

1. Un paysage très morcelé, qui nuit à l'efficacité de l'action répressive
a) Les traditionnelles rivalités de services : le retour de la guerre des polices ?

Au niveau local, il est parfois de se retrouver dans les attributions des différents services, et l'on constate des rivalités et des refus de coopérer. Ces rivalités se retrouvent de différentes manières : refus de la part de services de police de travailler en co-saisine, préemption de certaines cibles, empiètement de domaines.

La sûreté départementale, la police judiciaire, la sécurité publique, la gendarmerie sont autant d'intervenants dont la collaboration n'est pas toujours harmonieuse sur un territoire donné - même au sein de chaque service, des rivalités peuvent exister entre voisins. La commission d'enquête a ainsi eu connaissance, lors d'un de ses déplacements, d'une enquête menée en matière de stupéfiants par un service départemental de police judiciaire sur le territoire d'un autre, à l'insu de ce dernier. Il arrive également qu'un service de police propose une co-saisine à un service voisin sur une affaire avant, devant le refus de celui-ci, qu'il aille solliciter un service de gendarmerie.

Il est par ailleurs d'usage pour chaque service de conserver ses informateurs ou « tontons » : la gestion d'un informateur étant une charge à plein temps, impliquant des appels en dehors des services, un « traitement » très lourd comportant une part d'accompagnement psychologique, les policiers traitants sont légitimement réticents à les partager avec d'autres services - ou même avec leurs collègues au sein d'un même service.

Ces réalités bien connues des magistrats imposent un certain doigté dans la saisine des services d'enquête ou la transmission d'un service à un autre. Il arrive également que des services de police, pour différentes raisons, refusent d'être saisis sur une affaire, ou que deux services s'arrangent entre eux sur les saisines, préemptant le choix du magistrat. D'où le propos d'un juge d'instruction rencontré par la commission d'enquête : « le choix du service d'enquête n'est pas toujours un choix ».

Cependant, le nombre d'acteurs de police, de gendarmerie, les différentes strates d'unités, auxquels s'ajoute l'action des douanes provoquent un émiettement des forces558(*) et des rivalités.

b) Des « collisions » parfois liées à une ignorance réciproque

Lorsqu'un criminel est suivi par deux services différents qui ne se coordonnent pas, des collisions peuvent survenir. Un commandant de police de Lyon559(*) indique ainsi qu'en deux mois, il a « rencontré » quatre fois les douaniers qui suivaient les mêmes véhicules.

Autre exemple, rapporté par Maewenn Hénaff, juge d'instruction au tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre : « Un service d'enquête fait de la surveillance d'arrivages de stupéfiants et d'armes depuis La Dominique. Il avertit les douanes de son opération de surveillance, afin d'éviter des contrôles trop stricts sur un bateau particulier. Mais un autre service des douanes arrête tout le monde et procède à une saisie »560(*).

L'un des moyens d'éviter ces collisions et une compétition qui rappellerait la « guerre des polices » a été de constituer le fichier antistupéfiants (Fast), déployé en janvier 2022 et qui a pris le relais du fichier national des objectifs stupéfiants (Fnos). Il a pour objectif de faciliter la coordination entre les services et d'éviter que plusieurs d'entre eux ne visent la même cible - Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Ofast, lui attribue ainsi un rôle de « déconfliction avec nos services partenaires, dont la douane et la gendarmerie »561(*) ; mais, dans les faits, il a aussi pour conséquence que certains services « préemptent » des cibles.

De plus, la coordination ne redescend pas toujours sur le terrain : les douanes et l'Ofast doivent inscrire les personnes qu'ils surveillent au Fast, et les véhicules au Foves (fichier des objets et des véhicules signalés), mais les brigades de surveillance intérieure (BSI) des douanes n'ont pas accès direct au Foves ce qui les a conduits, dans un incident relaté par un service de police rencontré au cours d'un déplacement, à compromettre sans le savoir la filature d'une voiture ouvreuse d'un go-fast.

Alertée sur ce risque, la DGDDI n'a pas apporté de réponse sur le point précis de l'accès de la BSI au Foves562(*).

c) La dimension interpersonnelle, un frein potentiel à l'action cohérente des pouvoirs publics contre le narcotrafic

Il est inévitable que la coopération entre les différents services de l'État connaisse des fluctuations à l'aune des relations entre ceux qui les représentent. Cependant, il peut être frustrant de constater que la continuité de politiques de lutte contre le narcotrafic est parfois tributaire de ces relations interpersonnelles. La commission d'enquête a ainsi entendu un maire rencontré lors de son déplacement en Bourgogne et à Lyon déclarer qu'il n'avait pas de contacts avec le procureur, faute d'entente entre les deux hommes... La commission a également eu connaissance d'un document rédigé par un préfet délégué signalant d'importants problèmes de fonctionnement au niveau d'une antenne Ofast, liés au manque d'expérience de l'agent qui en assurait le commandement563(*).

Au-delà de la dimension relationnelle, une politique innovante menée par un magistrat au niveau de son ressort nécessite l'implication de toutes les parties concernées, notamment les services de police. À titre d'illustration, le procureur de la République de Grenoble564(*) a fait élaborer par ses services un modèle de procès-verbal simplifié de constatation d'infraction permettant d'interpeller les guetteurs des points de deal, et surtout de saisir l'argent et la drogue trouvés sur eux. Ce mode d'action a été validé par le directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) de l'Isère, mais son successeur n'a pas souhaité poursuivre l'expérience, de crainte qu'elle ne conduise à des excès de verbalisations. Le nouveau DDSP, en revanche, se montre prêt à mettre en oeuvre le dispositif.

Cet exemple illustre le caractère très contre-productif de tels changements de doctrine : même si ces évolutions peuvent être inspirées par des motifs tout à fait légitimes, en matière de lutte contre les stupéfiants, on ne peut se satisfaire du stop and go et les disparités dans les lieux ou dans le temps sont autant de facteurs de réduction de l'efficacité collective.

d) Des découpages géographiques parfois problématiques

Le déplacement de la commission d'enquête dans la Meuse a mis en évidence des problèmes récurrents liés à la zone de compétence géographique des différents services. Ainsi en matière de trafics de stupéfiants, Verdun entretient des liens avec Metz en raison d'une saturation de l'offre dans cette dernière ville ; mais Verdun dépendant de la direction territoriale de la police judiciaire (DTPJ) de Nancy qui couvre quatre départements, il y avait peu de remontées d'information vers Metz.

Ce type de cloisonnement, que l'on retrouve partout sur notre territoire, est particulièrement dommageable face au narcotrafic, activité qui repose justement sur la mobilité.

Un autre problème récurrent réside dans le fait que beaucoup de dossiers nécessitent une sollicitation des services parisiens. C'est notamment le cas des réseaux de collecteurs d'argent, qui sont décorrélés des réseaux de trafic. Cela implique des co-saisines qui sont difficiles, car les services parisiens sont déjà submergés de demandes565(*).

Il arrive enfin que, dans certaines zones, les répartitions des compétences respectives des services soient mal connues : ainsi de la côte bretonne, où la gendarmerie, chargée de la surveillance du littoral, doit entrer en dialogue avec la gendarmerie maritime ou les douanes, dont elle ne connaît pas bien les attributions566(*).

2. Au niveau judiciaire : des critères de répartition pas toujours définis entre les tribunaux judiciaires et les Jirs

La commission d'enquête a également pu se rendre compte de certains problèmes dans l'articulation entre juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) et tribunaux judiciaires : elle a notamment été informée567(*) du refus d'une Jirs de reprendre plusieurs dossiers transmis par un tribunal judiciaire, notamment si ceux-ci avaient déjà fait l'objet d'investigations avancées.

Dans un autre ressort, le procureur de la République d'un tribunal judiciaire a observé que la Jirs ne « récupérait » que de manière ponctuelle des dossiers de règlements de compte, sans pouvoir construire de vision globale du phénomène.

Or la complexité d'un dossier, qui est l'un des critères de saisine des Jirs peut se révéler au cours de l'enquête (le cas cité dans l'exemple supra étant celui d'un « rafalage » qui a fait une victime collatérale) ; de plus, les tribunaux judiciaires n'ont bien souvent pas les moyens humains et matériels de prendre en charge des dossiers aussi lourds ; enfin, la Jirs détient parfois des informations sur les trafics d'ampleur régionale que n'ont pas les procureurs locaux.

Ce constat n'est pas nouveau puisqu'il figurait déjà dans le rapport du groupe de travail dirigé par François Molins, alors procureur général près la Cour de cassation, sur la criminalité organisée en 2019, et qui pointait déjà « les cas de dossiers conservés dans les juridictions de droit commun alors qu'ils auraient pu relever d'une juridiction spécialisée », étant souligné que de tels cas « proviennent majoritairement, soit d'un refus de celle-ci de se saisir, soit d'un défaut d'information en temps utile de la juridiction spécialisée ». Le principe de la double information du parquet local et du parquet Jirs (voir infra), pourtant posé dans de multiples circulaires, reste ainsi insuffisamment appliqué.

L'articulation entre les juridictions compétentes sur le narcotrafic :extraits du « rapport Molins » sur la criminalité organisée de 2019

« Depuis la mise en place des Jirs, le principe de la double information a été posé et rappelé dans les circulaires de politique pénale de la direction des affaires criminelles et des grâces pour permettre à chacun des parquets d'envisager de retenir sa compétence. La mise en oeuvre de la compétence concurrente des Jirs repose en effet sur la qualité de l'information et la célérité avec laquelle celle-ci est portée à la connaissance des différents interlocuteurs.

« Comme l'indique la circulaire du 2 septembre 2004, il convient de distinguer l'information opérationnelle qui doit permettre de mettre en alerte et éventuellement d'apprécier dans des délais réduits si l'enquête doit être poursuivie sous la direction du parquet local ou du parquet de la Jirs de celle qui, dans un second temps, enrichie par les premiers résultats de l'enquête et l'analyse des parquets, présidera à la décision de saisine. L'information de la Jirs doit être distinguée de sa saisine mais l'information est une phase indispensable à l'évaluation du dossier et donc à la saisine du parquet compétent.

« Cette double information repose à la fois sur les parquets et sur les services de police et de gendarmerie. Dans le but d'une réelle efficacité et d'une information transmise le plus en amont possible, dès qu'ils sont informés d'une infraction ou des agissements d'un groupe criminel susceptibles de s'inscrire dans un phénomène de criminalité organisée complexe, les services de police et les unités de gendarmerie doivent adresser une double information, d'une part, au parquet dont ils dépendent et, d'autre part, au parquet de la juridiction interrégionale spécialisée compétente.

« Cette double information aux deux parquets, directe et immédiate, n'emportant bien évidemment pas saisine de la juridiction spécialisée, est seule de nature à permettre aux deux parquets, dans un délai proche de la commission des faits, d'être informés et d'être ainsi en situation d'analyser le périmètre de l'affaire, sa complexité et son inscription dans un phénomène de criminalité organisée.

« Ainsi, pour toutes les procédures pouvant relever de la criminalité organisée, le parquet de la Jirs doit être destinataire d'une double information provenant du service de police judiciaire et du parquet local qui avise le parquet général. [...]

« Malgré les sept dépêches ou circulaires de la DACG en ayant affirmé puis rappelé le principe, cette double information reste parcellaire et aléatoire ainsi que l'ont démontré les auditions des chefs des services de police judiciaire et des magistrats spécialisés.

« Réticents à mettre en oeuvre ce principe de double information, les services de police et de gendarmerie font valoir qu'il les placerait, selon leurs propres termes, dans une situation de porte à faux vis à vis des juridictions locales et pourrait générer des conflits de loyauté à l'égard des magistrats locaux avec lesquels ils oeuvrent au quotidien. Certains magistrats entendus par le groupe de travail ont même évoqué des situations dans lesquelles certaines qualifications, notamment celle de corruption, seraient délibérément “oubliées” pour éviter d'avoir à informer le parquet Jirs et le parquet général et conserver ainsi le traitement des dossiers. »

Source : rapport (juillet 2019) du groupe de travail sur le traitement de la criminalité organisée et financière

Il convient de noter que la question de l'articulation des compétences entre les différents échelons, du tribunal judiciaire à la Junalco en passant par la Jirs, est indissociable de celle des moyens d'investigation mais aussi d'audiencement, déjà évoquée.

3. Le bilan mitigé des Cross
a) Un dispositif de partage du renseignement mais aussi de dialogue

Issue d'une initiative prise par les services de Marseille, la création des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants est l'objet de la mesure n° 1 du plan national de lutte contre les stupéfiants présenté le 17 septembre 2019 : « La mission de recueil et de centralisation du renseignement criminel, à des fins de partage entre les services, figurera comme premier objectif des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross) qui seront implantées sur l'ensemble du territoire et qui constitueront les relais locaux de l'Ofast ».

Concrètement, les Cross sont chargées de :

· centraliser et analyser l'information sur les trafics dans leur ressort ;

· transmettre le renseignement à l'antenne de l'Ofast compétente ;

· proposer aux instances de coordination de procéder aux « déconflictions nécessaires entre services et/ou unités le plus en amont possible de la saisine judiciaire »568(*) ;

· transmettre les informations consolidées au procureur de la République compétente ;

· proposer aux autorités locales (préfets et procureurs) une stratégie locale de lutte contre les trafics569(*).

Au nombre de 104, les Cross sont implantées dans chaque département, pilotées selon les cas par la police nationale (DDPN), la gendarmerie nationale ou la préfecture de police.

Elles ont, au vu de ce qui précède, pour fonction première de recueillir le renseignement opérationnel et de le faire remonter au pôle « renseignement » de l'Ofast pour centralisation et analyse, mais aussi à l'autorité judiciaire.

En 2022, 11 214 informations ont été reçues par les Cross, recueillies à 54 % par voie anonyme via la plateforme dédiée570(*) : 4 476 ont fait l'objet d'une note de renseignement571(*)572(*). Ce renseignement doit être capitalisé à la fois pour nourrir la connaissance des réseaux criminels, en particulier avec une cartographie des points de deal, et pour conduire à l'ouverture d'informations judiciaires : selon Annabelle Vandendriessche, cheffe du Sirasco573(*), l'un des rôles des Cross est de recueillir l'information « perdue », c'est-à-dire celle qui n'est pas utilisée dans une procédure judiciaire mais peut être très utile à l'action policière - comme le fait que, sur un point de deal, la paie intervient le 23 du mois.

Mais les Cross ont aussi un rôle de décloisonnement entre les services, voire de « déconfliction ». Ainsi que le souligne l'ancienne préfète de police des Bouches-du-Rhône, Frédérique Camilleri, « elles permettent de signaler explicitement et ouvertement ce sur quoi chaque service travaille, dans quelle cité, afin d'éviter que des actions de voie publique ne soient menées à des moments-clés de l'enquête »574(*).

Ce rôle de lien entre les services est corroboré par Marc Perrot, directeur territorial de la police judiciaire de Nantes : « La Cross permet d'entretenir des liens très approfondis avec les autres services chargés de la lutte contre les trafics de stupéfiants. Elle a également permis de cartographier les points de deal et d'avoir une vision un peu plus globale de la situation. Au travers de réunions quasi mensuelles, elle permet d'échanger avec tous les partenaires à la fois sur les phénomènes nouveaux relevés sur les ressorts des uns des autres ainsi que sur les affaires en cours, pour éviter les doublons. Surtout, la Cross permet de créer du lien entre nous et de découvrir les acteurs du trafic de stupéfiants. Cette communication est source d'une plus grande efficacité et d'une meilleure articulation entre la police, la gendarmerie et la douane »575(*).

b) Une animation très inégale

En 2022, après environ une année de fonctionnement de cellules à leur régime de croisière, un bilan réalisé par l'Ofast a conduit à une refonte globale, certaines Cross permanentes ayant été rendues non permanentes et vice-versa, et d'autres ayant vu leur périmètre évoluer576(*). Il était notamment constaté que certaines Cross non permanentes étaient inactives.

Plusieurs problèmes de coordination sur le terrain ont été relevés dans une note transmise à la commission d'enquête, comme le fait que dans un département, une Cross s'était vue interdire l'accès aux brigades locales de gendarmerie577(*).

La commission d'enquête a enfin pu se rendre compte par elle-même, lors de ses déplacements, de certains dysfonctionnements liés aux Cross, à commencer par un manque d'association des magistrats. C'est le cas dans la Meuse, où la Cross a été « remontée » au niveau interdépartemental, à Metz ; le procureur de la République n'y est pas associé, ce qui le prive de l'accès à des informations importantes comme la cartographie des points de deal. Procureure de la République du tribunal judiciaire de Lille, Carole Étienne a exprimé le même regret devant la commission : « Alors que les cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross) constituent des lieux d'échange d'informations privilégiés sur le narco-banditisme, les magistrats du parquet regrettent souvent de ne pas y être associés ; pourtant, les renseignements qui y sont diffusés ont vocation à être judiciarisés le plus intelligemment possible » 578(*).

Pour Annabelle Vandendriessche, il importe d'inculquer une culture du renseignement criminel au sein de la police judiciaire et des services répressifs en général, qui peuvent avoir l'impression que certaines informations recueillies n'ont pas d'utilité.

Ce constat est tout à fait reflété dans une note de la préfecture de police de Paris transmise à la commission d'enquête579(*). Celle-ci commence par noter la part de renseignements recueillis via la plateforme de signalement : 689 sur 728, soit près de 95 %, bien davantage que la moyenne nationale de 54 % en 2022 (voir supra). La préfecture de police en tire les conséquences : « il convient désormais d'aller plus loin en faisant remonter vers les Cross davantage d'informations brutes provenant des effectifs de terrain, très en amont de l'action judiciaire. Le but n'est pas seulement d'évoquer dans ces cellules les objectifs déjà judiciarisés ou sur le point de l'être, mais aussi de recouper des informations brutes qui prises isolément ne seraient pas exploitables mais qui une fois recoupées et enrichies permettent de débuter des investigations » : ce développement montre que la culture du renseignement n'a pas été pleinement intégrée par les services répressifs.

L'utilité fondamentale des Cross, qui est de professionnaliser le recueil du renseignement et de faire travailler ensemble les services - une fonction qui n'est peut-être pas moins importante que la première - n'est toutefois pas remise en cause par les acteurs rencontrés à divers titres par la commission, dont beaucoup se sont déclarés satisfaits du fonctionnement de leur Cross au niveau local.

4. Une association parfois insuffisante de certains partenaires

La lutte contre le narcotrafic n'implique pas seulement les forces de sécurité intérieure ; elle est aussi le fait d'acteurs directement touchés par le phénomène, en particulier au niveau local.

a) Élus locaux, police municipale : une association à parfaire

Les élus locaux entendus par la commission considèrent, dans leur ensemble, le partenariat avec les forces de l'ordre comme satisfaisant. Cette coopération se fait principalement dans le cadre des conseils locaux ou intercommunaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD et CILSPD). Ainsi, souligne Nathalie Appéré, maire de Rennes580(*), « nous avons des CLSPD qui se déclinent en de multiples lieux et instances de partenariat, y compris dans les quartiers, dans le cadre des groupes de partenariat opérationnels (GPO) et des cellules de veille. L'efficacité du partenariat local et l'envie de travailler ensemble sur ces questions sont quasi systématiquement saluées par nos collègues maires, ce qui n'empêche pas d'émettre certaines réserves, notamment sur les moyens que la police nationale consacre à ces questions ». Hervé Niel, adjoint au maire de Metz chargé de la sécurité, abonde : « Le rôle du conseil local et du conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD-CISPD) est primordial, puisque ces instances permettent la concertation des partenaires locaux, indépendamment des réunions régulières et classiques entre la police, la justice et les municipalités »581(*). Le rôle de vigie du maire peut être important en matière de trafic de stupéfiants, mais aussi de blanchiment, lorsque certains commerces restent vides ou changent de propriétaire très fréquemment.

Il faut également noter le rôle des groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD), formés au niveau du quartier, en particulier lorsqu'un point de deal apparaît, et qui associent aussi des élus.

En revanche, si la communication « montante » au niveau local fonctionne bien, la communication « descendante » semble moins fluide. Ainsi, Nathalie Appéré déplore « l'inexistence totale d'un lien particulier ou d'un lieu de travail commun qui permettrait aux maires de travailler directement avec le ministère de l'intérieur », ajoutant : « France urbaine n'a pas réussi à mettre en place un partenariat de travail satisfaisant avec ce ministère, alors qu'elle l'a fait avec de nombreux autres. Nous ne comptons plus les courriers et les propositions de travail restés sans réponse »582(*).

Denis Mottier, chargé de mission sécurité et prévention de la délinquance à l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF)583(*), souligne quant à lui qu'une fois entrés dans le domaine judiciaire, « la communication ne peut plus être réciproque : le gendarme dit “on s'en occupe”, mais il est tenu et l'on n'entre pas dans le détail ». Il pointe « différentes dispositions, par exemple celles du code de procédure pénale en matière de secret de l'enquête ou celles sur les données individuelles, notamment le suivi de cas individuels ». Du côté des forces de l'ordre, Marc Perrot, directeur territorial de la police judiciaire de Nantes, confirme point par point cette analyse : des liens, « par définition, la police judiciaire en a très peu avec les élus, nos dossiers étant couverts par le secret de l'instruction »584(*).

b) Police municipale - police nationale : une complémentarité à trouver

En matière de trafic de stupéfiants, la police municipale joue un rôle de proximité essentiel : au plus proche du terrain, elle est en mesure d'alerter de la constitution d'un point de deal par exemple.

En revanche, la police municipale ne saurait avoir de rôle direct dans la répression du trafic : « Dans le cadre de sa mission de tranquillité publique, celle-ci peut apporter son concours à la mise en oeuvre d'une réappropriation de l'espace public et elle peut intervenir, le cas échéant, dans la pénalisation des consommateurs, en fonction des doctrines locales », souligne Nathalie Appéré585(*).

Dès lors, l'enjeu principal des relations entre la police municipale et la police nationale dans la répression du trafic réside dans la complémentarité de leur action. Or cette complémentarité peut être mise à mal par une mauvaise information. Ainsi le maire de Lyon, Grégory Doucet, a révélé à la commission d'enquête que la police municipale n'était pas tenue informée des enquêtes et surveillances en cours. Dans ces conditions, toute intervention de la police municipale dans le quartier visé, qui débouche inévitablement sur la découverte de produits stupéfiants, est susceptible de perturber une « planque ». Symétriquement, la police municipale n'a pas été tenue informée d'une opération de grande ampleur sur un point de deal, où elle aurait pourtant pu assurer une sécurisation des rues adjacentes.

La police municipale peut assumer un rôle d'auxiliaire efficace de la police nationale dans son action antistupéfiants, mais elle doit pour cela être tenue informée par des canaux bien identifiés, structurés et régulièrement alimentés.

c) Les bailleurs sociaux, des contributeurs importants mais parfois négligés

Ce rapport a montré, dans sa première partie, à quel point les bailleurs sociaux étaient exposés au narcotrafic qui peut faire d'un immeuble, et d'un quartier entier, un véritable enfer. À ce titre, ils sont des partenaires naturels des forces de l'ordre. Tony Mouchet, adjoint au major général de la gendarmerie national, a ainsi expliqué à la commission d'enquête : « Avec les élus et les bailleurs sociaux, nous identifions et traitons les problèmes de deal dans les immeubles et cages d'escalier. Le cas échéant, nous évacuons des logements sociaux les personnes qui posent régulièrement problème »586(*).

Les bailleurs sociaux ont un rôle de « témoin », selon le mot du représentant d'un bailleur entendu à huis clos par la commission d'enquête587(*), et de « facilitateur » pour les forces de l'ordre, notamment en leur fournissant des éléments de contexte et en participant aux Cross et aux GLTD.

Au niveau national, une contractualisation des relations avec les forces de l'ordre est en cours, avec une convention de partenariat signée avec le ministère de l'intérieur et renouvelée en 2019, et des contrats locaux, signés à différentes échelles (commune, département, ressort du tribunal judiciaire). De même, un accord-cadre est en cours de discussion avec le ministère de la justice, qui prévoirait notamment une information des bailleurs par les parquets sur certains locataires impliqués dans des troubles.

Cependant, le caractère très inégal de l'animation de ces conventions a été porté à la connaissance de la commission d'enquête par l'Union sociale pour l'habitat588(*), qui fédère plusieurs organisations d'organismes HLM ; ces conventions ne vivent pas sans une personne spécialement désignée pour assurer l'interface, ce qui n'est pas toujours envisageable au vu des moyens humains dont disposent les protagonistes. L'USH a ainsi déploré de devoir prendre en charge le lien entre les acteurs locaux, alors que ce lien devrait justement se faire au niveau local.

5. Une coopération interministérielle défaillante

La tonalité de certaines déclarations du ministère de l'intérieur et des outre-mer à la commission d'enquête589(*) suggère que la coopération interministérielle reste à construire dans certains domaines : « le meilleur travail est parfois celui de la police fiscale, que nous avions mise en place à Bercy. Elle était très peu saisie par les magistrats. [...] Je voudrais tout de même rappeler que ce sont les magistrats qui ouvrent les enquêtes. Or il est rare qu'ils en ouvrent une pour blanchiment, parallèlement à une enquête pour trafic de stupéfiants. » Puis, à propos de l'Ofast : « L'Ofast est une belle invention interministérielle. Encore faut-il que chaque ministère y alloue des effectifs - et les meilleurs ». Le ministre fait ici référence à l'administration fiscale qui, suggère-t-il, n'est pas assez allante : « C'est à la DGFiP de réaliser des contrôles fiscaux d'opportunité » sur les personnes soupçonnées de narcotrafic.

Le garde des sceaux a lui-même reconnu, lors de son audition, le manque de coopération interministérielle : « Une réunion récente tenue place Beauvau a permis d'associer - pour la première fois, me semble-t-il - des procureurs généraux, des recteurs et des préfets. Nous avons intérêt à ne plus nager chacun dans son couloir mais, au contraire, à partager nos expériences ». Le constat, cinq ans après la mise en oeuvre du premier « plan stups », est tardif, et on peut légitimement s'étonner qu'il ait fallu attendre aussi longtemps pour mettre les acteurs concernés autour d'une même table.

B. L'OFAST : UN CHEF DE FILE DÉSARMÉ ?

Selon Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Ofast, le besoin de coordination des acteurs de la lutte contre le narcotrafic a inspiré « l'ambition, inscrite dans le plan national de lutte contre les stupéfiants du 17 septembre 2019, de mettre sur pied une structure centrale capable de porter cette politique publique »590(*).

Ainsi, poursuit Stéphanie Cherbonnier, « sur le modèle du chef de file en matière de lutte contre le terrorisme qu'est la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), l'Ofast est le chef de file de la lutte contre les trafics »591(*).

Institutionnellement, l'Ofast est un service à compétence nationale (SCN) rattaché à la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), elle-même relevant de la direction générale de la police nationale (DGPN). Au niveau central, l'Ofast emploie 220 personnes, issues de toutes les composantes de la lutte contre le narcotrafic : police, gendarmerie, douanes, renseignement pénitentiaire, DGFiP. Au niveau territorial, l'Ofast compte 24 implantations territoriales, dont 14 antennes et 10 détachements, mobilisant environ 550 personnels en métropole et dans les outre-mer. Enfin, l'Ofast anime les 104 Cross (voir supra) qui donnent corps à l'idée de décloisonnement des services.

Au niveau national, l'Ofast s'organise en trois pôles : stratégie, renseignement et opérationnel, correspondant au triptyque « comprendre, cibler et agir » :

· le pôle stratégie identifie la nature de la menace et élabore une stratégie de coopération internationale ;

· le pôle renseignement recueille notamment la remontée du renseignement opérée par les Cross, l'Ofast étant un service de renseignement du second cercle ;

· le pôle opérationnel conduit des enquêtes judiciaires sous l'autorité des magistrats des Jirs et surtout de la Junalco.

Au cours de ses auditions et surtout de ses déplacements, la commission d'enquête a pu constater la mobilisation de tous les instants des équipes de l'Ofast, à laquelle elle rend un hommage sincère. Mais elle a aussi observé que leur énergie et leur professionnalisme ne suffisaient pas toujours à éviter la survenue de certaines difficultés, au niveau local comme national, pas plus qu'elles ne suffisent à combler les angles morts du « chef de filat » confié à l'Office - statut qui semble parfois accueilli avec tiédeur par des partenaires eux-mêmes désireux de préserver leur autonomie et de se défaire des contraintes qu'impose toute coordination solide.

1. Au niveau local, une coordination qui peut laisser à désirer

Au cours de ses auditions des représentants des forces de l'ordre et des services judiciaires, la commission d'enquête a pris la mesure de l'importance du travail de l'Ofast au niveau local, que ce soit dans la coordination des services enquêteurs ou au niveau directement opérationnel. Toutefois, dans le cadre de ses déplacements, la commission a pu éprouver l'impression que les agents de l'Ofast se distinguaient finalement peu de leurs collègues de la police judiciaire, comme si l'Ofast était davantage un label qu'une fonction à part entière.

Plus préoccupant, des magistrats ont fait état de problèmes de coordination à la fois entre des antennes locales de l'Ofast et entre ces antennes et le siège. Clarisse Taron, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Fort-de-France, qui a fait part d'une certaine déception à la commission d'enquête : « En travaillant avec l'Office anti-stupéfiants (Ofast), nous nous attendions à un certain niveau et à une bonne coordination entre ses antennes de Guyane, de Martinique, de Guadeloupe et de Paris, mais il semble qu'il y ait eu quelques loupés dans ce domaine. Ainsi, nous rencontrons des problèmes de coordination entre les services d'enquête, avec l'Ofast, ainsi qu'entre les antennes de l'Ofast »592(*).

Sa collègue Maewenn Henaff, juge d'instruction au tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, corrobore pleinement ce constat593(*) : « au sein même de l'Office, alors que nous nous attendions à ce qu'il joue un rôle de coordination à l'échelle du territoire national dans son entier, nous sommes constamment obligés de jouer un rôle de coordination, aussi bien au niveau des opérations qu'en matière de partage et de recoupement des informations ». Un tel renversement des rôles est pour le moins préjudiciable à l'action policière et judiciaire dans cette zone clé de la lutte contre le narcotrafic.

Enfin, le ministre de l'intérieur et des outre-mer a, lors de son audition, livré une information pour le moins surprenante à la commission d'enquête. « J'ai lancé moi-même, a-t-il expliqué, l'opération “place nette XXL” à Marseille, qui représentait six mois de travail. J'ai rencontré le procureur de la République, les équipes à Marseille, la préfète de police des Bouches-du-Rhône. Mon cabinet était parfaitement au courant. Lors d'une réunion avec tout le monde que j'organisais très discrètement à Paris, l'Ofast a découvert qu'il y aurait cette opération à Marseille ! Ce n'est pas normal. Si je n'avais pas tenu cette réunion, nous aurions organisé une très grande opération antidrogue sans l'Ofast »594(*). Ce n'est pas normal, en effet ; c'est même proprement sidérant. Comment imaginer que le chef de file de la lutte antidrogue ne soit pas tenu au courant d'une opération de cette ampleur ?

2. Au niveau national, une organisation et un positionnement incertains

Le président et le rapporteur de la commission d'enquête se sont rendus dans les locaux de l'Ofast, le 23 janvier 2024, afin de rencontrer les équipes de l'Office et de se rendre compte de l'organisation de ses services.

Cette visite a apporté de nombreux enseignements, complétés par des échanges écrits avec l'Ofast. De manière générale, l'Ofast se voit confier plusieurs rôles assez différents qui peuvent sembler difficiles à concilier : centralisation du renseignement, animation de la « communauté » de l'antidrogue, définition et application d'une stratégie de lutte contre le narcotrafic et action opérationnelle directe.

a) Un pôle « stratégie » accaparé par des tâches qui ne sont pas dans son coeur de métier

Chargé d'identifier la menace et d'élaborer une stratégie de coopération internationale, ce pôle s'acquitte notamment de missions de coopération technique - 12 en 2022 - avec des États peu coopératifs, dont Dubaï et le Maroc. Ces missions sont importantes, peut-être d'autant plus que la coopération judiciaire est difficile avec les États concernés (voir supra).

En revanche, l'activité du pôle est apparue au président et au rapporteur très accaparée par la rédaction de notes pour des destinataires divers à l'intérieur et à l'extérieur du ministère - 300 en 2022 et en 2023, soit près d'une par jour. L'Ofast l'a reconnu dans sa réponse écrite à une question de la commission d'enquête en invitant les services demandeurs à faire preuve de modération dans leurs sollicitations. Il convient que le pôle consacre l'essentiel de son activité à l'analyse stratégique, et non à la réponse à des commandes qui, pour beaucoup d'entre elles, pourraient être satisfaites par d'autres services.

b) Un pôle opérationnel très sollicité par la lutte contre les « mules », au détriment du haut du spectre

« L'activité des enquêteurs de la brigade des plateformes aéroportuaires de l'Ofast est aujourd'hui totalement orientée vers le traitement des passeurs interpellés à Orly et Roissy au détriment de cet objectif de démantèlement des réseaux qui constitue pourtant son coeur de métier » : c'est le constat établi par l'Ofast lui-même en réponse à un questionnaire écrit de la commission d'enquête. Ce n'est pas de son fait, la même réponse indiquant que « l'Ofast demeure systématiquement saisi des dossiers impliquant des passeurs in corpore (1 ou 2 kg de cocaïne en général) et des passeurs transportant extra corpore des quantités supérieures à 5 kg de cocaïne ».

Dans le même temps, faute de capacités pour les traiter, les informations judiciaires consécutives à des renseignements relatifs à des importations massives de produits stupéfiants par le fret aérien, par exemple, lui échappent au profit de services moins armés pour ce niveau. Cette situation aberrante révèle un véritable dysfonctionnement d'ordre judiciaire plutôt que policier.

c) Un pôle « renseignement » entre le marteau et l'enclume

Le positionnement du pôle « renseignement » pose, lui aussi, des questions sérieuses. Celles-ci sont de trois ordres.

Premièrement, l'exercice concomitant de fonctions de renseignement et de fonctions judiciaires interroge dans un contexte où, comme l'a souligné la cheffe de l'Ofast à plusieurs reprises, ce cumul n'a de sens que si les fonctions sont « étanchéifiées » dans le but, notamment, de préserver la solidité des procédures pénales qui peuvent découler des actions faites par l'Office ou ses partenaires en renseignement. Dans ses réponses écrites à un questionnaire du rapporteur, qui méritent d'être extensivement citées, l'Office indique que :

« L'étanchéité entre les pôles repose sur les principes de spécialisation et de professionnalisation des missions. Le pôle opérationnel recrute des enquêteurs ayant une expérience judiciaire ayant vocation à traiter principalement des dossiers dans un cadre judiciaire et mettre en oeuvre les différentes techniques spéciales d'enquête prévues par la loi. Le pôle renseignement, quant à lui, recrute des agents pouvant avoir une expérience judiciaire mais également issus des domaines du renseignement ainsi que des analystes. Ces derniers sont soumis à une habilitation “secret”. Ils diligentent, quant à eux, des investigations ou des analyses dans un cadre administratif et mettent en oeuvre uniquement des techniques de renseignement prévues par la loi du 24 juillet 2015. Le pôle renseignement de l'Ofast n'est en charge d'aucun cadre judiciaire (enquêtes préliminaires), même s'il bénéficie de l'initiative des saisines.

« Les échanges d'information ou des productions entre les deux pôles sont soumis à la validation des chefs de pôle et répondent aux principes du besoin d'en connaître et à la règle du service tiers, comme les autres services de renseignement. [...] Par ailleurs, l'étanchéité est également renforcée par le contrôle des accès aux dossiers stockés sur le réseau informatique de l'Ofast. »

La réalité semble toutefois plus complexe que ce qui est décrit. La visite du président et du rapporteur dans les locaux de l'Ofast à Nanterre a ainsi montré que, au-delà même des questions de l'étanchéité des process, la séparation matérielle entre les locaux du pôle « renseignement » et ceux des autres pôles n'était pas assurée.

Deuxièmement, l'Ofast reste tributaire de services tiers pour la mise en oeuvre de « ses » techniques de renseignement. Certes, la mutualisation est largement pratiquée dans ce secteur et procède d'un besoin légitime d'économie et de spécialisation des services, indispensable dans des domaines d'une grande technicité. Pour autant, on peut s'étonner que :

· la pose concrète des dispositifs techniques de renseignement soit assurée par le service interministériel d'assistance technique (Siat), mettant de fait l'Office dans une position de dépendance technique et matérielle vis-à-vis des stocks de ce service ;

· plus encore, la faisabilité et la gestion des stocks virtuels soient placées sous l'égide du Siat, renforçant le sentiment que l'Ofast ne dispose pas de l'autonomie suffisante dans l'exercice de ses fonctions en renseignement595(*).

L'Office - comme au demeurant tous les services tiers - est également dépendant, pour la pose des key-loggers, des services de l'entité dédiée de la DGSI qui sont, comme le Siat pour ce qui le concerne, seuls responsables de la gestion des stocks et de l'évaluation de la faisabilité technique de la pose.

Au-delà de la question de l'entité en charge de mettre en oeuvre les techniques de renseignement, la question de la nature des techniques pouvant être mises en oeuvre par l'Ofast n'appelle pas des réponses plus rassurantes : l'Office n'a en effet pas la possibilité d'employer la captation de données informatiques à distance, l'article R. 853-2 du code de la sécurité intérieure ne l'ayant pas inclus dans la liste des services pouvant utiliser ce type de technique - au contraire, au sein de la DNPJ, et de l'office anti-cybercriminalité, y compris pour la finalité de lutte contre la criminalité organisée. « Cette limite est regrettable, déplore l'Ofast, car l'usage du numérique et les données informatiques constituent des renseignements fondamentaux dans la matérialisation du trafic ».

Troisièmement, l'Ofast doit, en tant que chef de file, interagir en matière de renseignement avec des services du premier cercle - et en particulier avec la DNRED et Tracfin. Or la différence de statut entre ces services et l'Office, qui dépend du second cercle du renseignement, ne va pas sans soulever des difficultés : si l'échange de renseignement du premier vers le second cercle est possible, il demeure « soumis à des règles plus contraignantes qu'entre les services du premier cercle »596(*).

3. Des angles morts qui empêchent l'exercice d'un vrai chef de filat

Insuffisamment armé juridiquement et techniquement, l'Ofast pâtit d'un périmètre d'action qui n'est pas exempt d'angles morts et qui ne lui permet pas d'affirmer sa prééminence - fût-ce seulement à des fins de coordination, mais cette mission essentielle n'implique-t-elle pas une forme d'autorité directe ? - sur les services concourants.

a) Une absence de pouvoir d'évocation

L'Ofast a, selon les données transmises au président et au rapporteur lors de leur visite, 80 enquêtes en portefeuille, confiées par les Jirs ou la Junalco. Il ne dispose pas de pouvoir d'évocation des enquêtes, mais il doit être informé de toute enquête menée par un service de police judiciaire lorsqu'elle relève d'une série de critères fixés en 2023 :

· implication d'une cible d'intérêt prioritaire ;

· compromission d'un agent public ou privé ;

· sortie portuaire ou aéroportuaire ;

· trafic international de stupéfiants ;

· affaire d'envergure dans laquelle l'appui du Siat est recherché pour la mise en oeuvre de techniques spéciales d'enquête complexes (infiltration, substitution, repenti...) ;

· toute affaire susceptible d'avoir un retentissement médiatique relayé au niveau national.

Un échange a lieu ensuite avec le premier service saisi, mais c'est le magistrat qui décide de l'opportunité d'une co-saisine.

Symétriquement, la Junalco demande à l'Ofast un « criblage » des dossiers d'une ampleur particulière qui lui sont remontés par les Jirs. Celles-ci ne saisissent pas systématiquement l'Ofast mais peuvent saisir le réseau des antennes et détachements de l'Office pour des dossiers de trafics de stupéfiants d'envergure.

Ce système permet à l'Ofast d'être saisi des affaires d'une ampleur particulière, mais il repose en partie sur la confiance que se font les différents acteurs, et notamment les services de police ou de douane. Comme pour les Jirs (voir supra), on peut craindre que certains des critères précités soient délibérément « oubliés » par les services pour éviter l'information - et donc potentiellement la saisine - de l'Ofast, et l'absence de pouvoir d'évocation de ce dernier fait que de tels « loupés » ne sont plus rattrapables dans la suite de l'enquête.

b) Des relations qui semblent distantes avec l'administration des douanes
(1) La forte autonomie de la DNRED

Comme indiqué supra, le fait que l'Ofast, service du second cercle, ait des relations avec des services du premier cercle dont la DNRED fragilise son rôle de chef de file. De plus, selon l'Ofast lui-même, « Au cours de l'année 2022, le pôle renseignement de l'Ofast a transmis à la DNRED 93 notes de renseignements opérationnels. [...] Sur la même période, l'Ofast n'a été rendu destinataire d'aucun renseignement émanant de la douane »597(*). Cela suggère, à tout le moins, une certaine autonomie de la DNRED.

À l'appui de ce constat, dans sa réponse à une question écrite du rapporteur sur la coordination des services en charge de la lutte, l'Ofast, abordant la coordination des services de renseignement, détaille ses échanges avec la DGSE, Tracfin, le service national de renseignement pénitentiaire (SNRP), la direction nationale du renseignement territorial (DNRT), mais, de manière révélatrice, ne fournit aucun élément sur sa coopération avec la DNRED.

Pour autant, la collaboration sur le terrain peut fonctionner de manière très satisfaisante, comme la commission a pu le constater lors, notamment, de son déplacement au Havre où la Cross portuaire est copilotée par l'Ofast et la DNRED, ou encore lors de son déplacement à Lyon, les membres de l'antenne locale de l'Ofast ayant vanté la qualité de la coopération avec leurs collègues des douanes en dépit de certains « croisements » involontaires et déjà évoqués ci-avant. Toutefois, le fait que les douanes disposent de leurs propres services de renseignement leur confère un contrôle de bout en bout de la chaîne opérationnelle, jusqu'au judiciaire, qui peut se traduire par une autonomie qui, elle-même, s'acclimate difficilement du rôle de chef de file confié à un acteur tiers.

Cette autonomie se traduit également par la conduite de livraisons surveillées (LS) dont l'Ofast n'est pas toujours informée : si, en théorie, toutes les livraisons, douanières et judiciaires, sont portées à la connaissance de l'Office, la mise en relation des statistiques transmises au rapporteur d'une part, par les douanes et, d'autre part, par l'Ofast, donne des résultats surprenants. Ainsi, entre 2021 et 2023, le « delta » entre le nombre de livraisons surveillées douanières évoquées par l'Ofast et le nombre des mêmes livraisons côté DNRED s'élève à plusieurs dizaines d'unités - ce qui n'est pas négligeable à l'échelle du réel.

En d'autres termes, l'Ofast n'est pas informée d'un nombre important d'opérations menées par la DNRED en matière de lutte contre les stupéfiants.

(2) Des différences de culture

Les problèmes de coopération, là où ils sont constatés, procèdent en partie d'une différence de logique : la douane est orientée vers les flux de marchandises, là où la police - ou la gendarmerie - s'intéresse d'abord aux personnes, et donc à celles et ceux qui organisent ces flux. Ainsi Clarisse Taron, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Fort-de-France, observe-t-elle, tout en se félicitant de la bonne coopération avec la DNRED, que celle-ci « reste un service qui a une culture du renseignement et qui manque de culture judiciaire, ce qui entraîne d'importantes erreurs sur le plan judiciaire »598(*). Ce « manque de culture judiciaire » se traduit notamment par une préférence pour les saisies, au détriment du démantèlement des trafics.

« À Fort-de-France, ajoute Clarisse Taron, nous avons obtenu du responsable local de la DNRED qu'il nous saisisse en cas de difficulté. Cependant, encore récemment, j'ai dû arbitrer et décider qui, de l'Ofast ou de la DNRED, devait prendre une affaire, sachant qu'ils n'arrivaient pas à se mettre d'accord et qu'ils ne s'étaient pas tout dit ».

La DGDDI, dans sa réponse au questionnaire du rapporteur en vue de l'audition du 25 mars 2024, a néanmoins annoncé un renforcement de la « culture de l'enquête », à travers le plan national de lutte contre les stupéfiants visant à « améliorer le chaînage entre les procédures douanières administratives et les procédures judiciaires ». Il s'agit cependant d'une annonce très générale, qui demande à se traduire dans les faits.

(3) Une vision minimale du chef de filat de l'Ofast

Interrogée par le rapporteur sur sa vision du chef de filat de l'Ofast599(*), Isabelle Braun-Lemaire, alors directrice générale des douanes et des droits indirects, a livré une réponse pour le moins réservée. Tout en assurant que cette vision est « positive », elle ajoute : « Il convient surtout de s'assurer que ce rôle de chef de filat s'accompagne de garanties dans la préservation de l'autonomie d'action des différentes administrations dont la complémentarité d'action doit être favorisée », avant de s'inquiéter que, l'Ofast étant identifié comme un service du ministère de l'intérieur, « le crédit des saisies, des démantèlements des organisations criminelles, du renseignement échangé en matière de stupéfiants soit porté au seul bénéfice de ce ministère et par voie de conséquence, des services de police et de gendarmerie ». Enfin, la directrice avertit : « La négation du rôle et des résultats de la douane, outre les effets induits sur la communication interne et le ressenti des douaniers, ne peut qu'aboutir à affaiblir sa capacité d'action au détriment de l'objectif recherché »600(*).

Cette réponse est celle d'une administration bien davantage désireuse de conserver son indépendance et sa liberté d'action que de s'intégrer dans une communauté de l'antidrogue animée par l'Ofast.

La volonté de « faire travailler ensemble » est globalement reconnue à l'Ofast par les acteurs de la lutte contre le narcotrafic ; en témoigne notamment l'action en commun dans les Cross. En revanche, la position institutionnelle de l'Office, simplement rattaché à la Direction nationale de la police judiciaire, et service de renseignement du second cercle, alors qu'il doit dialoguer avec des services d'autres ministères et des services de renseignement du premier cercle, le fragilise considérablement en tant que tête de file.

C. LE RÔLE FLOU DU RENSEIGNEMENT DANS LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC

Outre le rôle de l'Ofast en tant que service de renseignement du second cercle, les missions des acteurs du renseignement en matière de lutte contre le narcotrafic soulèvent de nombreuses questions qui, au terme des travaux de la commission d'enquête, n'ont pas toutes pu trouver de réponse. Ce flou et ces incertitudes ne peuvent qu'être déplorés dans un contexte de montée en puissance du péril : alors que le narcotrafic s'affirme comme une menace envers les intérêts fondamentaux de la Nation, et alors que de nombreux intervenants - jusqu'à des membres éminents du Gouvernement601(*) - estiment nécessaire de traiter le narcotrafic de la même manière qu'est traité le terrorisme, il devient urgent que la France décide du rôle qu'elle veut confier, sur ce sujet, à ses services de renseignement, dont la vocation naturelle est de lutter contre de telles menaces.

1. La DGSI aux abonnés absents

La DGSI fait partie des principaux services de renseignement en France ; elle est un incontournable de l'écosystème de la lutte contre les menaces de tous ordres. Aussi la surprise de la commission d'enquête a-t-elle été grande lorsque ses membres ont constaté que la DGSI n'était jamais spontanément citée comme un acteur de la lutte contre le narcotrafic par ses interlocuteurs, que ce soit au cours des auditions ou pendant ses déplacements.

Ce silence n'a pas manqué de plonger la commission dans une expectative inquiète.

L'audition de Céline Berthon qui s'est tenue à huis clos le 11 mars 2024 n'a pas permis de lever ces craintes ; elle a, au contraire, montré que la DGSI ne comptait pas la lutte contre le trafic de stupéfiants au nombre de ses priorités. Selon Céline Berthon, en effet, la DGSI « n'est pas au premier plan de la lutte contre le trafic de stupéfiants, en matière de production de renseignement et de capacité d'analyse »602(*). L'action occasionnelle de partage de renseignement s'exerce surtout au niveau local : « nous partageons des informations très localisées, lesquelles peuvent susciter une action judiciaire, nous informons l'officier de police judiciaire ou nous agissons auprès de l'autorité judiciaire au titre de l'article 40 du code de procédure pénale ».

Mais la principale intervention de la DGSI en matière de lutte contre le narcotrafic est, comme le souligne Céline Berthon elle-même, de nature technique603(*), via le service technique national de captation judiciaire (STNCJ) qui met en oeuvre pour les services de renseignement du second cercle et les services judiciaires l'implantation de piégeages (les key-loggers déjà cités) sur les téléphones mobiles, qui permettent ensuite d'accéder au contenu de ces téléphones. Or la mise en oeuvre de ces techniques est limitée pour des raisons tenant, notamment, à la difficulté de « craquer » certains modèles.

Le centre technique d'assistance (CTA) de la DGSI intervient de son côté sur les appareils récupérés par des services pour contourner les cryptages et les mécanismes d'authentification et, ce faisant, pénétrer leur système d'exploitation.

Messageries chiffrées et capacités de piégeage : le rôle central de la direction générale de la sécurité intérieure

Les messageries sont de deux ordres :

· les messageries sécurisées stockent le contenu des messages en clair. Le serveur central a accès au contenu. Pour y accéder, les services d'enquête accèdent au serveur, font une réquisition à l'opérateur ou regardent le contenu du téléphone, s'ils en disposent ;

· dans les messageries chiffrées de « bout en bout », le serveur central n'a pas accès à la clé de déchiffrement partagée par les utilisateurs A et B. Même en cas de réquisition par les pouvoirs publics, il ne peut pas transmettre le contenu des communications ni même, pour certaines messageries, l'identité des utilisateurs. La seule solution pour accéder au contenu est de prendre le contrôle du téléphone à distance, par le biais d'un piège.

Les capacités de piégeage sont mises en oeuvre par les services centralisés, avec l'appui du service technique national de captation judiciaire (STNCJ) de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Concentrer la mise à disposition de ces techniques aux mains d'un seul service relève d'un choix stratégique, justifié par plusieurs enjeux tels que le coût, la sensibilité et la vulnérabilité des moyens mis en oeuvre ou encore leur faisabilité opérationnelle. Le STNCJ coordonne les opérations d'installation de ces dispositifs techniques à la demande et sous le contrôle judiciaire.

Ainsi, la DGSI ne dispose pas de l'exclusivité de la mise en oeuvre des techniques de captation judiciaire : elle procède, pour l'ensemble des services judiciaires, aux techniques les plus complexes et les plus intrusives. Chaque demande fait l'objet d'une étude de faisabilité technique, ce qui peut conduire à écarter une intervention.

Positionnée comme un simple prestataire de services, la DGSI semble encore trouver ce rôle encombrant, poussant Céline Berthon à déclarer : « Sur le plan technique, au-delà des moyens dont nous sommes dépositaires en propre, je me suis penchée sur le soutien que nous apportons en matière de techniques de renseignement aux services du deuxième cercle et aux services judiciaires. Il me paraîtrait à ce titre pertinent d'élargir les capacités de l'Ofast à mettre en oeuvre des moyens auxquels elle n'a pas accès aujourd'hui [...]. L'enjeu est aujourd'hui de faire évoluer les dispositifs pour les adapter à la réalité de la menace »604(*).

L'enjeu semble également être de permettre à la DGSI, surchargée par la prévention du terrorisme, de se détacher pleinement de la lutte contre la criminalité et la délinquance organisées.

En tout état de cause, ce désengagement est difficilement compréhensible dans un contexte où la DGSI est le principal acteur en France du renseignement intérieur et que la lutte contre la criminalité et la délinquance organisées est clairement identifiée comme l'une des finalités possibles du renseignement par l'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure.

La Délégation parlementaire au renseignement a plusieurs fois réclamé, sans être entendue, que soient « renforc[és] les moyens de lutte cyber face au développement des nouveaux modes d'action de la criminalité organisée » : la mise en oeuvre de cette recommandation n'est visiblement pas à l'ordre du jour dans le premier cercle du renseignement du ministère de l'intérieur, ce que la commission d'enquête ne peut que déplorer.

2. De quoi le renseignement criminel est-il le nom ?

Lorsque l'on évoque le rôle du renseignement en matière de lutte contre le narcotrafic, une autre difficulté tient à la difficile définition du concept de « renseignement criminel », qui désigne la capacité des services d'enquête (pour ceux qui appartiennent au second cercle du renseignement) à utiliser des techniques de recueil du renseignement en marge ou en préparation de leurs enquêtes pénales (ce qui est, en soi, une forme de paradoxe, le renseignement intervenant dans un cadre préventif qui suppose - en théorie pure et parfaite, celle-ci étant régulièrement dépassée par les faits - qu'aucune infraction pénale n'ait encore été commise).

Cette mission est notamment exercée par deux entités déjà citées : le Sirasco pour la police nationale et le service central de renseignement criminel (SCRC) pour la gendarmerie.

Mis en avant par de nombreux acteurs comme une solution presque miraculeuse dans la lutte contre le narcotrafic, la notion de renseignement criminel, à la croisée du judiciaire et de l'administratif, apparaît toutefois mal définie : elle compte autant de définitions que de locuteurs.

Le concept découle, tout d'abord, des critiques liées au cloisonnement - décrit par certains comme excessif - entre le judiciaire et le renseignement.

Ainsi, nombre de magistrats entendus par la commission d'enquête déplorent la difficulté de judiciariser le renseignement, à l'instar de Caroline Calbo, procureure de la République au tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre : « en matière de renseignement administratif, l'information circule, notamment au travers de la cellule de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross). Néanmoins, cette circulation n'est pas très bonne en ce qui concerne la judiciarisation. Nous tentons de mieux coordonner les services afin de mieux exploiter les renseignements pour les enquêtes judiciaires, mais le processus reste laborieux »605(*).

Le constat porté par Jérôme Bourrier, procureur de la République au tribunal judiciaire de Bayonne606(*), est peu ou prou le même : « Sur le renseignement territorial, comme sur la sécurité intérieure, il n'y a pas de relation institutionnelle formalisée entre les procureurs de la République et les services de renseignement ». Par conséquent, « il m'est difficile de savoir ce que le renseignement territorial fait remonter aux services de police ou de gendarmerie concernant le trafic de drogue : je n'en ai pas une vision précise ». Karine Malara, procureure de la République au parquet de Bourg-en-Bresse, abonde dans le même sens : « Nous n'avons pas de contact direct et de retour sur la source, ni sur la manière dont l'information est remontée à l'intérieur des services de police. Les procureurs n'en sont pas destinataires, il n'y a pas de lien institutionnalisé avec les services de renseignement, et nous n'avons aucune visibilité »607(*).

Le cloisonnement entre renseignement administratif et renseignement judiciaire a néanmoins été atténué dans le cadre de la lutte contre le terrorisme : les groupes d'évaluation départementaux (GED) ont permis aux procureurs de recevoir des informations relevant du renseignement administratif. « Des barrières se sont rompues à l'occasion de la lutte contre la radicalisation », confirme Karine Malara.

Les magistrats expriment, en matière de trafic de stupéfiants, un véritable « besoin de renseignement ». Comme l'explique Sophie Aleksic, coordinatrice du pôle criminalité organisée du tribunal judiciaire de Paris, « le renseignement criminel prend une part de plus en plus importante. Les choses ont évolué ; à l'origine, cela n'entrait pas dans notre culture de magistrat, mais nous intégrons désormais le renseignement pour la grande criminalité organisée. [...] Le renseignement en matière criminelle va être, le plus souvent, un point de départ pour une enquête judiciaire »608(*).

De fait, l'accès des juridictions au renseignement est aujourd'hui incomplet et limité : comme le rappelait François Molins au cours de son audition609(*), « les renseignements devraient en effet circuler rapidement et être transmis à l'autorité judiciaire dès lors qu'ils sont vérifiés et qu'ils rendent crédible la commission d'une infraction pénale. Je ne suis pas persuadé que ce soit toujours le cas. [...] le magistrat ne prend connaissance du renseignement que le jour où le policier a décidé de venir lui en parler, afin de déterminer comment il pourrait être traité sur le plan judiciaire. Le magistrat est donc tributaire de la bonne volonté du service. Si j'en crois mon expérience, cette prise de connaissance du magistrat est sans doute trop tardive alors que la phase de renseignement ne devrait pas, en matière de trafic de stupéfiants, être très longue, puisque le renseignement dans ce domaine n'a a priori pas d'autre finalité que l'enquête judiciaire ».

Symétriquement, émerge la demande d'une « renseignarisation » du judiciaire, ce terme désignant la capacité pour les services de renseignement de passer outre le secret de l'instruction et d'avoir accès aux éléments contenus dans les dossiers d'enquête pénale. Comme le soulignait Florian Colas, alors directeur de la DNRED, « une grande partie de l'action de la lutte contre le narcotrafic se fait dans un cadre judiciaire, couvert par le secret de l'enquête, et donc très compliqué d'accès pour les services de renseignement. J'en veux pour exemple l'application de messagerie cryptée Sky ECC, sorte de WhatsApp ou de Telegram pour les narcotrafiquants, qui a fait l'objet d'une opération judiciaire, et dont les conversations criminelles “hackées” pendant plusieurs mois n'ont par conséquent pas pu être transmises aux services de renseignement »610(*).

Si la commission d'enquête comprend le fondement opérationnel de ces demandes, elle relève qu'elles interviennent dans un contexte où la frontière entre le judiciaire et le renseignement est d'ores et déjà floue en matière de lutte contre le narcotrafic. En témoignent les déclarations recueillies pendant le cycle final d'auditions de la commission, au cours duquel elle a réentendu les directions générales de la police et de la gendarmerie nationales ainsi que des douanes et la cheffe de l'Ofast.

Interrogés sur la limite entre les deux secteurs hermétiquement séparés que doivent être l'action pénale et le renseignement administratif, ceux-ci apportent les réponses suivantes :

· pour Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, cette limite est « une question d'appréciation. Lorsqu'il dispose d'un renseignement, communiqué par exemple par un informateur, l'officier de police judiciaire peut décider d'en faire un renseignement judiciaire et de le porter à la connaissance du procureur de la République, pour qu'une enquête soit engagée ou pour enrichir une enquête en cours »611(*), l'alternative - non citée mais logique - étant qu'il n'en fasse pas part au magistrat et qu'il la traite comme un élément de renseignement administratif appelé à nourrir les réflexions et analyses de certains services du ministère de l'intérieur. Bien qu'une « zone grise » existe, il est étonnant de voir le sujet renvoyé à une pure « appréciation » de l'officier de police judiciaire, sans qu'il paraisse possible - ou même envisagé - de fixer des critères objectifs et clairs de partage entre le pénal et l'administratif ;

· pour Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, ces deux missions peuvent visiblement être assurées sans conflit par le service central de renseignement criminel qui « joue à la fois un rôle d'appui aux enquêteurs et un rôle d'agrégateur des signaux faibles », tout en étant « mobilisé lorsque les interventions s'effectuent dans des zones difficiles, lorsque la concentration des efforts est nécessaire : tel a été le cas en Guyane dans des dossiers de criminalité organisée »612(*). Or, aux yeux de la commission d'enquête, cette superposition ne constitue pas un facteur de parfaite clarté et ne témoigne pas d'une réflexion approfondie quant à la limite entre la sphère pénale et celle du renseignement.

À l'inverse, l'Ofast a indéniablement développé une réflexion approfondie sur le départage entre pénal et renseignement et paraît pleinement conscient des enjeux que le sujet charrie. Il s'agit là d'un point essentiel : la mauvaise qualification d'une information, notamment si elle est traitée en renseignement et non transmise au magistrat compétent, fait peser des risques lourds sur la solidité de la procédure judiciaire qui pourrait ensuite être engagée. Stéphanie Cherbonnier souligne ainsi qu'« une activité judiciaire et une activité de renseignement ne sauraient être mélangées. Nos agents sont par conséquent tenus de connaître précisément dans quel cadre juridique ils sont appelés à intervenir ». Elle convient d'ailleurs que l'application de cette distinction est complexe, car « en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants et plus généralement de lutte contre la criminalité organisée, et à la différence de la lutte contre le terrorisme, la finalité du renseignement est systématiquement la judiciarisation. [...] la finalité reste bien la judiciarisation du renseignement, afin d'alimenter une enquête judiciaire sous l'autorité du parquet ou d'un juge d'instruction. C'est là tout l'enjeu d'une construction solide du renseignement, à partir d'une base légale parfaitement identifiée et d'une connaissance sans faille des domaines dans lesquels interviennent les enquêteurs »613(*).

En tout état de cause, la commission d'enquête constate que le Gouvernement n'a pas de doctrine claire sur le « renseignement criminel » et que cette notion est appliquée de manière très variable sur le terrain, créant des flottements susceptibles de devenir, dans certains cas, des facteurs de vulnérabilité pour la répression pénale. Les déclarations du ministre de l'intérieur et des outre-mer devant la commission d'enquête montrent que le chantier est devant nous : « Il faudrait une part de renseignement criminel bien plus importante. Que l'Ofast se transforme en organisme de renseignement criminel, comme la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) pour le terrorisme, me paraît une excellente chose. Mais cela signifie davantage d'effectifs pour l'Ofast »614(*). La commission ne peut que renchérir sur ce dernier point, tout en relevant qu'il ne résume pas le sujet : avant de faire de l'Ofast un organisme de renseignement criminel, encore faudrait-il doter ce concept d'une définition claire et s'assurer qu'il est maîtrisé par toutes les parties prenantes...

D. UNE VISION D'ENSEMBLE DÉSARTICULÉE : LES FAILLES DU « PLAN STUPS » RÉNOVÉ

Présenté au rapporteur comme un document « finalisé » à la fin de l'année 2023, le « plan stups » rénové appelé à prendre la suite du premier « plan stups » de 2019 n'a toujours pas, à l'heure où ces lignes sont écrites, été publié. Ce retard est, en lui-même, un facteur de lourdes interrogations.

Le contenu du futur plan, qui n'a pas encore été rendu public à l'heure où le présent rapport est adopté, le 7 mai 2024, ne l'est pas moins.

Après de longues tractations avec le ministère de l'intérieur, le document sollicité depuis décembre 2023, la commission d'enquête a réussi à obtenir une copie de ce document en février 2024, après plusieurs relances ; elle est annexée au présent rapport615(*).

Ce document provisoire devait, avec ses 29 mesures déclinées selon trois axes (« améliorer la connaissance des trafics, entraver la circulation des produits stupéfiants et démanteler les organisations criminelles de trafiquants de stupéfiants ») constituer une version stabilisée du document, restant seulement en attente d'une validation finale de Matignon - ce qui est légitime au vu du caractère interministériel du plan.

De toute évidence, le sujet n'était pas considéré comme prioritaire puisque, plusieurs mois plus tard, la validation attendue n'a pas été rendue.

Pire encore, depuis cette date, les annonces gouvernementales se sont multipliées, du gel administratif des avoirs des narcotrafiquants promis par le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique aux tests salivaires sur la voie publique proposés par le ministre de l'intérieur en passant par la réforme du statut des « repentis » évoquée par le garde des Sceaux, mais aucune ne figure dans le futur « plan stups » : dans ce contexte, la commission d'enquête ne peut s'empêcher de s'interroger sur la pertinence de ce document et sur sa possible obsolescence précoce - et malheureusement non programmée.

Au-delà de ces considérations méthodologiques, la structure et le contenu du « plan stups » rénové mérite d'être commentée en ce qu'elle témoigne, d'abord, d'un flou persistant quant au rôle des différents acteurs engagés dans la lutte contre le narcotrafic et, corrélativement, d'une vision d'ensemble désarticulée qui se traduit par une juxtaposition de mesures dont le lecteur - même aguerri - ne comprend vraiment ni en quoi elles consistent ni qui a vocation à les mettre en oeuvre.

La commission d'enquête en est convaincue : les hommes et femmes engagés chaque jour sur le terrain méritent mieux.

1. Un flou persistant sur le rôle de chaque acteur : un plan désincarné

Le futur plan apparaît tout d'abord particulièrement désincarné, comme si son ambition avait été d'éviter à tout prix de désigner le service responsable de la bonne mise en oeuvre de ses différentes mesures et les services concourants. Qu'on en juge à partir de ces quelques exemples :

· la première mesure, qui porte sur l'établissement d'un « état de la menace liée au narcotrafic » - et qui constitue donc la continuation d'une mesure existante depuis plusieurs années -, ne cite pas l'Ofast (pourtant rédacteur de cet « état » depuis ses origines) mais « les acteurs publics », sans autre précision ;

· la mesure relative au renseignement opérationnel ne fait pas une seule référence aux Cross, qui en sont pourtant les actrices centrales, voire exclusives dans la fédération des acteurs qu'elles opèrent ;

· l'entrave des cibles d'intérêt prioritaire est, une nouvelle fois, une mission dont la responsabilité n'est pas attribuée, le plan se bornant à en appeler à « l'action de l'ensemble des acteurs : services d'enquête, services de renseignement, partenaires étrangers dont l'action porte directement ou indirectement sur la lutte contre les trafics ». Non seulement on ferait difficilement plus large, quand bien même ce serait le but délibérément poursuivi, mais surtout ce flou ne se justifie pas au vu du nombre très limité de cibles d'intérêt prioritaire (quelques dizaines) : leur rareté ne permet pas d'imaginer que le doute existe quant à l'identité des services appelés à les localiser et à assurer leur traduction devant la justice ;

· la même imprécision règne sur la mesure consistant à « entraver l'utilisation des moyens technologiques par les trafiquants notamment en matière de communications » (sic) : s'il est bien rappelé que l'enjeu réside dans la capacité « à détecter, comprendre et infiltrer rapidement les nouveaux systèmes développés par les organisations criminelles », sa poursuite est confiée à des « services » qui ne sont pas nommés. L'immense technicité de l'exercice suggère pourtant qu'un faible nombre d'entités sont capables de remplir une telle mission.

Cette situation pose trois questions, auxquelles la commission d'enquête n'a pas réussi à répondre, y compris après avoir interrogé un grand nombre d'acteurs sur le fonctionnement du futur plan.

Tout d'abord, elle n'aide pas - c'est un euphémisme - à résoudre le flou persistant qui entoure le rôle et les attributions de chacun : s'il affiche l'ambition d'être « résolument interministériel », le « plan stups » rénové semble surtout résolument indéfini. On peut même se demander dans quelle mesure les termes imprécis qui sont employés n'ont pas justement été pensés pour ne pas faire de vagues : éviter de froisser le service que l'on ne cite pas, éviter de désigner un responsable - éviter, en un mot, de trancher.

Ensuite, elle ne permet même pas de tracer le périmètre du champ de bataille, puisqu'elle maintient un préoccupant silence sur la liste des acteurs qui seront appelés, sous une forme ou une autre, à contribuer au plan. Quid des acteurs privés, opérateurs des ports, réseaux sociaux, secteurs touchés par le blanchiment ? Quid des élus locaux, des polices municipales et des acteurs de la politique de la ville ? De tout cela, on ne saura rien. Le rapporteur rappelle que la nécessaire discrétion qui entoure ce type d'exercice n'est pas un prétexte suffisant : à titre d'exemple, la mesure n° 15 du précédent plan, rendu public en 2019, prévoyait explicitement l'« invitation des polices municipales, des bailleurs sociaux et des sociétés de transport urbain à participer au “pilotage renforcé” afin qu'ils apportent des renseignements sur les trafics ».

Enfin, une telle imprécision empêche de facto toute responsabilisation des services concernés et, a fortiori, la fixation d'objectifs clairs à atteindre avant l'expiration de la période couverte par le plan. Si personne n'est identifié comme étant en charge d'une mesure, personne n'est responsable de son succès ni, surtout, de son échec : voilà le dangereux axiome dans lequel le Gouvernement semble vouloir s'enfermer.

2. Une juxtaposition de mesures disparates et imprécises : un plan famélique

Pour ne rien arranger, les mesures elles-mêmes sont libellées avec une grande imprécision.

Là encore, et même si aucune des 29 mesures - à de rares exceptions près - n'échappe à une formulation laconique reposant visiblement sur l'économie de mots, on se permettra d'illustrer ce constat avec un échantillon d'exemples, choisis parmi les plus frappants.

Ayant relevé, pour ceux qui peut-être l'ignoreraient, que « l'action de l'État en mer est essentielle dans la lutte contre le trafic de stupéfiants » et ayant décrit ses modalités d'exercice en quelques lignes, le plan indique qu'il convient de « consolider l'action de l'État en mer dans la lutte contre le trafic de stupéfiants ». Aux yeux du Gouvernement, le terme « consolider » parle visiblement de lui-même et suffit à fonder une politique publique.

Au titre de l'entrave à la circulation des produits stupéfiants sur le territoire français, le futur plan ne sera guère plus disert. Tout au plus apprendra-t-on, si on en doutait, qu'il faut « renforcer les actions dans les ports maritimes » ainsi que « dans les aéroports, notamment (sic) en prenant en compte le phénomène des passeurs », « renforcer les contrôles sur le vecteur du fret postal et express », « lutter contre toutes les formes de cannabiculture », « lutter contre le trafic de crack » (au passage, le rapporteur constate que la cocaïne seule ne valait pas une mesure spécifique, ce qui interroge dans un contexte où le Gouvernement lui-même évoqué un « tsunami blanc »).

On ne saura ni comment ni dans quelle proportion ces renforcements et ces consolidations doivent être opérés, et on ne saura pas davantage les formes que sont supposées prendre ces multiples « luttes ».

L'indigence du plan atteint son paroxysme avec les questions pénales. Le rapporteur estime éclairant, sans même la commenter, de citer in extenso la mesure n° 28 et son texte d'accompagnement (qui tient en quatre lignes, tout compris, dans le document « source ») : « L'ingéniosité des trafiquants en termes de modes opératoires, d'outils utilisés, de techniques sollicitées pour parvenir à organiser le trafic de stupéfiants requiert une adaptation des outils législatifs. C'est, notamment, le défi posé par les évolutions technologiques, qui supposent de trouver un équilibre entre l'accès aux données, leur conservation et la préservation des droits.

« Mesure n° 28 : Conduire les évolutions législatives nécessaires pour améliorer la lutte contre le trafic de stupéfiants. »

Aucun mot n'a été retranché de cette citation.

De redondances en circularités (les mesures étant bâties sur un modèle invariable, fondé sur le système suivant : « cette politique est insuffisante et nous ne dirons pas pourquoi ; il faut donc la renforcer et nous ne dirons pas comment »), le futur plan apparaît extraordinairement indigent. Cela serait risible si cela n'était pas profondément inquiétant.

3. Un plan en recul par rapport à celui de 2019

Le dernier point de préoccupation, et non des moindres, est que le « plan stups » rénové s'inscrit en net recul par rapport à celui de 2019.

Ce recul peut d'abord s'observer en matière de lutte contre le blanchiment : la mesure n° 47 du plan actuel, « renforcement de la coopération avec les pays tiers en matière de blanchiment, notamment les pays du Maghreb et Dubaï » est ainsi reformulée dans le nouveau plan de la manière suivante : « développer la coopération internationale avec les pays servant de plateformes de blanchiment ou de sanctuaire pour les avoirs criminels » (mesure n° 23) : sauf à ce que les pays du Maghreb et Dubaï aient quitté cette catégorie, ce que la commission d'enquête n'a pas constaté, ce silence peut s'interpréter comme un renoncement.

On a déjà cité la mesure consistant à « entraver l'utilisation des moyens technologiques par les trafiquants notamment en matière de communications ». L'intention est louable, mais elle gagne à être comparée avec les mesures nos 51 et 52 du plan actuel et qui visaient à la « mise à disposition des services d'enquête de moyens d'interceptions des communications cryptées » et à l'« accroissement des moyens budgétaires nécessaires pour acquérir les outils de pointe dans le cadre des techniques spéciales d'enquête » : visiblement, ces objectifs ne sont plus d'actualité.

Dernière illustration - il y en a d'autres, mais que le présent rapport ne recensera pas pour ne pas désespérer le lecteur - de ce déclin : là où le plan de 2019 entendait systématiser les enquêtes patrimoniales (mesure n° 29, restée lettre morte), augmenter l'offre de formation en la matière (mesure n° 30) ou encore renforcer les réseaux spécialisés (mesure n° 31), le plan rénové prévoit de « priver les trafiquants de leurs avoirs criminels ». La volonté de réduire le nombre de mesures portées par le nouveau plan (elles passent en effet de 55 à 29) ne justifie peut-être pas que l'ambition de conduire enfin des enquêtes patrimoniales effectives et systématiques soit abandonnée.

Face à cette situation, la commission d'enquête a pu croire de bonne foi que le document qui lui avait été transmis avait été « caviardé » ; elle a eu le déplaisir de constater qu'il n'en était rien, la même version lui ayant finalement été transmise par plusieurs services différents. Sans stratégie d'ensemble, moins ambitieux et moins précis qu'il y a quatre ans, le plan présenté n'est pas à la hauteur des enjeux.

TROISIÈME PARTIE - POUR UNE RÉPONSE À LA HAUTEUR DE LA MENACE : LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE

À l'issue de ses travaux, la commission d'enquête défend la mise en place d'une nouvelle doctrine de lutte contre le narcotrafic qui ne prenne plus les trafics par le bas mais par le « haut du spectre », pour toucher enfin les têtes de réseau et les lieutenants d'une certaine importance.

La lutte contre le narcotrafic ne peut pas se résumer aux opérations « place nette », comme le fait le Gouvernement qui passe à côté des véritables sujets : l'action pénale qui, seule, peut permettre le démantèlement durable des réseaux et la mise hors d'état de nuire de tous les maillons de la chaîne, l'assèchement des capacités financières des réseaux et la mobilisation à sa juste place du renseignement.

Le démantèlement de ces réseaux est un enjeu existentiel pour notre pays et la dangerosité des narcotrafiquants ne doit pas être sous-estimée : ils ont la capacité, comme ils l'ont déjà fait chez certains de nos voisins, de faire vaciller nos institutions. Nous sommes désormais à un point de bascule et, si nous ne réagissons pas rapidement, nous allons nous retrouver au bord du gouffre. Il nous appartient de mettre notre riposte au niveau, comme nous l'avons fait pour le terrorisme après la vague d'attentats de 2015-2016 et de traiter le narcotrafic pour ce qu'il est : une menace pour les intérêts fondamentaux de la nation.

On a comparé, en début de deuxième partie, le narcotrafic à une hydre. Ce dragon mythologique à tête de serpent et doté de neuf têtes, dont la défaite constitue le deuxième des douze travaux d'Hercule, présente deux particularités.

D'une part, à chaque tête coupée, l'hydre de Lerne en fait repousser deux et seule la brûlure de la plaie avec un tison empêche cette renaissance immédiate : il faut, de la même manière, frapper le narcotrafic au coeur pour qu'il ne renaisse pas en ciblant ses chefs.

D'autre part, après avoir vaincu l'hydre, Hercule trempe ses flèches dans le sang de la bête pour les rendre mortelles : c'est dans cette logique que la commission d'enquête propose une action bien plus résolue sur les biens des narcotrafiquants, dont les avoirs criminels représentent une manne immense qui pourrait aisément financer les investissements qu'elle recommande. Investir aujourd'hui, c'est éviter que la France ne soit demain dans un état de dépassement plus inquiétant encore : c'est donc faire le choix de l'avenir et du sursaut.

I. ASSUMER UNE POSITION FORTE DANS LES CONCERTATIONS EUROPÉENNES ET DANS LA COOPÉRATION INTERNATIONALE

L'action internationale est un axe de progrès majeur face à un narcotrafic internationalisé par nature. La coopération avec les pays tiers et le renforcement de l'action de l'Union européenne doivent donc devenir deux des piliers de la stratégie de notre pays. Lors de son audition par la commission d'enquête le 9 avril 2024, Éric Dupond-Moretti, ministre de la justice, posait le sujet en ces termes : « Pensez-vous que nous avons la possibilité de demander aux Colombiens de ne plus produire de cocaïne, aux Marocains de ne plus produire de kif ? Les choses ont été dites. Pour autant, nous en sommes là aujourd'hui ».

Il est temps de rompre avec le défaitisme qui semble tenir lieu de stratégie au Gouvernement et d'assumer des positions fortes, à l'international comme auprès de nos partenaires européens.

A. FAIRE DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE UN PILIER DE LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC

La lutte contre la drogue est gravement compromise, au niveau international, par l'absence de coopération d'États qui se trouvent sur les routes principales du trafic, qui hébergent des trafiquants en toute connaissance de cause ou qui facilitent le blanchiment des produits du trafic - pour différentes raisons exposées dans la deuxième partie de ce rapport, qui tiennent aux relations politiques et à l'infiltration par le narcotrafic des institutions de certains États.

Ces lacunes de la coopération internationale rendent vains les efforts des États décidés à lutter - en amont parce que la drogue continuera d'arriver, en aval parce que les trafiquants du haut du spectre trouveront des refuges depuis lesquels poursuivre leur business.

Il est donc essentiel de faire levier auprès de certains de ces États pour obtenir une coopération plus active. C'est dans cet objectif que le présent rapport aborde le cas particulier de plusieurs pays ou zones dont la coopération, aujourd'hui défaillante, est pourtant indispensable à une lutte efficace contre le narcotrafic : il s'agit de Dubaï, du Venezuela, de la Colombie ainsi que de l'Afrique de l'Ouest, des États frontaliers du golfe de Guinée et de la Chine.

1. Dubaï : soulever le « risque réputationnel »
a) Dubaï comme place de blanchiment
(1) Liste grise du Gafi : un blanc-seing précipité et à motivations politiques

Les Émirats arabes unis ont été placés en mai 2022 par le Groupe d'action financière internationale (Gafi), un organisme interétatique dédié à la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, sur la liste dite « grise » des « Juridictions soumises à une surveillance renforcée », en raison de l'insuffisance de son cadre juridique et institutionnel de lutte contre le blanchiment. Depuis, les Émirats ont annoncé des mesures comme la création d'entités spécialisées contre le blanchiment616(*), ce qui leur a permis, dès le 24 février 2024, de sortir de cette liste617(*).

Or la presse s'est fait l'écho, au cours de l'année 2023, de pressions politiques de plusieurs États européens, dont l'Allemagne et l'Italie, en faveur de ce retrait, alors même que plusieurs experts du Gafi jugeaient la décision très précipitée618(*), mettant notamment en doute la fiabilité des données fournies par les EAU.

La Commission européenne a, pour sa part, immédiatement emboîté le pas au Gafi, en proposant le 14 mars 2024 dans un règlement délégué, le retrait du pays de la liste des « pays tiers à haut risque de blanchiment »619(*), sans justification autre que la décision du Gafi. Un groupe de sept parlementaires européens s'en est ému, demandant notamment à accéder aux informations ayant motivé cette décision620(*). Faute de vote contraire du Parlement européen, le règlement entrerait en vigueur le 14 avril 2024.

Au vu de l'implication avérée de nombreux opérateurs financiers de l'émirat de Dubaï dans le blanchiment d'argent à grande échelle, il est inacceptable qu'une décision d'une telle portée soit prise dans la précipitation. Par surcroît, cette décision semble avoir été motivée par des facteurs extérieurs au blanchiment d'argent. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les États du Golfe ont en effet été fortement sollicités, voire courtisés pour compenser la fin de l'approvisionnement en gaz de l'Union européenne par la Russie.

La situation est rendue encore plus complexe par le fait que la Russie a elle-même opéré un rapprochement avec ces États autrefois pleinement alignés sur les États-Unis. Les Émirats arabes unis (EAU) n'appliquant pas de sanctions contre la Russie, le pays, et particulièrement l'émirat de Dubaï, est susceptible de devenir la plaque tournante des activités commerciales de la Russie. De nombreux oligarques sanctionnés en Europe y ont ainsi acquis des biens immobiliers, comme l'a montré l'affaire Dubai Papers621(*).

(2) Quels leviers activer ? Risque réputationnel et risque sanitaire

Comme on l'a vu, les incitations pour les Émirats arabes unis à agir véritablement contre le blanchiment d'argent sont particulièrement faibles. Il convient donc de les renforcer en faisant levier sur le risque réputationnel, auquel la capitale des Émirats arabes unis, Abou Dabi, est plus sensible que Dubaï. Apparaître comme un paradis fiscal dédié au blanchiment n'est en effet pas dans l'intérêt d'un pays qui, sur la scène internationale, cherche à se positionner comme un acteur responsable et modéré - en témoigne notamment la normalisation des relations avec Israël dans les accords d'Abraham de septembre 2020. Il est également possible de faire jouer la rivalité traditionnelle qui oppose Abou Dabi, capitale de la fédération, et Dubaï, le premier étant aussi discret que le second est « bling-bling ».

Un second levier pourrait résider dans l'émergence du Golfe comme un marché de consommation de drogue, notamment les amphétamines et en particulier le captagon produit en Syrie et au Liban622(*). Les sociétés golfiques évoluant très rapidement, avec un mode de vie qui se rapproche de plus en plus de celui des pays développés, elles commencent elles aussi à en connaître les problèmes sociaux et sanitaires.

La sensibilisation, par la voie diplomatique et par le biais des organisations internationales dédiées à la lutte contre la drogue comme l'ONUDC, peut faire évoluer la position des EAU sur la question de la drogue qui, jusqu'à une date récente, était considérée comme un problème étranger.

b) Dubaï comme refuge des trafiquants

Après le renforcement du service de sécurité intérieure de l'ambassade de France aux Émirats, qui a conduit à plusieurs arrestations, la désignation d'un magistrat de liaison dont la prise de poste a eu lieu très récemment est un pas en avant important dans la coopération judiciaire, et notamment dans la compréhension des rouages internes de la fédération émiratie. Elle devrait produire des résultats positifs en matière d'extradition.

Pour peser davantage face aux autorités émiraties, estime Baudoin Thouvenot, membre national d'Eurojust pour la France, « il peut également être utile de mutualiser les ressources entre pays européens » car « beaucoup de pays ne peuvent pas envoyer de magistrats »623(*). La nomination de magistrats de liaison européens dans certains pays comme les Émirats arabes unis permettrait ainsi aux pays de l'Union européenne de peser davantage en faisant « remonter » des problématiques communes. La création d'un tel poste n'empêcherait pas le maintien des magistrats nationaux qui traiteraient des problématiques bilatérales.

Enfin, comme ce rapport l'a montré, la coopération judiciaire doit être soutenue par un appui diplomatique et politique ferme, sans craindre les prises de parole au niveau ministériel. Si la menace liée au trafic de drogue est désormais au niveau de la menace terroriste, comme l'a reconnu le ministre de l'économie et des finances devant la commission lors de son audition du 26 mars 2024, rien ne justifie que les pays laxistes vis-à-vis des trafiquants soient davantage épargnés que ceux qui tolèrent la présence de terroristes sur leur sol.

Recommandation n° 1 de la commission d'enquête : obtenir une meilleure coopération judiciaire de Dubaï

· Plaider pour un réexamen de la décision du Gafi de retirer les Émirats arabes unis de la « liste grise » des « juridictions soumises à une surveillance renforcée » ;

· Au niveau diplomatique, souligner auprès des autorités émiriennes le risque réputationnel que fait courir Dubaï à la fédération en apparaissant comme un « paradis du blanchiment » pour les trafiquants et divers criminels ;

· Au niveau politique, assumer des prises de parole fortes contre les États qui tolèrent les narcotrafiquants sur leur sol ;

· Au niveau judiciaire, mettre en place à titre expérimental un magistrat de liaison européen, mesure qui pourrait ensuite être élargie aux pays où le besoin s'en ferait sentir.

2. Venezuela : faire levier sur le besoin de respectabilité

Comme cela a été souligné dans la partie précédente, les relations entre la France et le Venezuela se sont fortement dégradées après l'élection présidentielle de 2018, entachée de fraudes. La France, avec les États-Unis et une cinquantaine de pays, a en conséquence refusé de reconnaître la réélection de Nicolas Maduro. Les États-Unis ont, en outre, appliqué un ensemble de sanctions, notamment sur les exportations de pétrole, qui pèsent lourdement sur l'économie vénézuélienne.

Si les relations franco-vénézuéliennes ont connu un relatif apaisement en août 2023 (voir supra), elles demeurent fragiles. Le Venezuela reste un pays isolé et en grave crise économique et sociale, qui a pour plus proches alliés, sur la scène internationale, l'Iran et la Russie624(*). Au niveau politique, les négociations entre le gouvernement et l'opposition ont été interrompues en janvier 2024, ce qui compromet la perspective d'une élection présidentielle libre en juillet 2024. Le 18 avril dernier, les États-Unis ont rétabli l'embargo sur les exportations de pétrole qui avait été partiellement levé après l'accord d'octobre 2023 entre le gouvernement et l'opposition.

Comme évoqué dans la deuxième partie, la France ne saurait se satisfaire de la coopération minimale, en matière policière et judiciaire, des autorités vénézuéliennes contre le trafic de drogue. Il convient de maintenir la pression sur le gouvernement de Nicolás Maduro et de faire levier sur le besoin des autorités vénézuéliennes de sortir de leur isolement pour obtenir un renforcement de cette coopération, en mettant clairement dans la balance un réel effort des autorités vénézuéliennes contre le trafic de drogue.

3. Colombie : renforcer une coopération sécuritaire et judiciaire qui fonctionne

La coopération sécuritaire avec la Colombie a donné des résultats notables avec des moyens limités, notamment grâce à la présence d'une équipe dédiée d'agents colombiens travaillant en étroite collaboration avec le service de sécurité intérieure de l'ambassade française625(*). Ce modèle pourrait être reproduit dans des pays avec lesquelles les relations politiques rendent une telle coopération envisageable.

De plus, les représentants du service de sécurité intérieure entendus par le rapporteur626(*) ont souligné le besoin de créer un poste de magistrat de liaison dans le pays, étant rappelé que les commissions rogatoires internationales émises par des juridictions spécialisées (Jirs, Junalco) ont un caractère très technique qui incite à un approfondissement de la coopération judiciaire entre la France et la Colombie.

Comme on aura l'occasion de le rappeler plus loin, la situation particulière des outre-mer doit également être mise au coeur de la stratégie internationale de la France, qui doit engager des partenariats avec les pays sensibles dont les frontières sont proches de celles de ses collectivités ultramarines en vue de mettre fin à l'abandon dont souffrent ces dernières. En particulier, la coopération non seulement avec les pays sud-américains déjà cités, mais aussi avec les îles des Caraïbes et les États-Unis doit devenir un axe majeur.

L'amélioration de la coopération judiciaire et policière, si elle doit s'effectuer en priorité avec la Colombie et le Venezuela, gagnerait par ailleurs à être envisagée avec les autres États qui, moins touchés par le narcotrafic ou moins engagés dans un dialogue avec la France, sont eux aussi porteurs d'enjeux sécuritaires - à l'instar du Pérou, de l'Équateur, de la Bolivie ou encore du Brésil -, avec des mesures adaptées à chaque pays et a minima un renforcement substantiel des moyens dédiés aux services de sécurité intérieure.

Recommandation n° 2 de la commission d'enquête : améliorer la coopération judiciaire et sécuritaire avec la Colombie et le Venezuela

· Subordonner les relations entre la France et le Venezuela à un engagement plus résolu de ce dernier contre le trafic de drogue, et en particulier l'exportation de cocaïne vers les Antilles ;

· Renforcer l'équipe dédiée pilotée par le service de sécurité intérieure en Colombie et faire essaimer ce dispositif qui fonctionne bien ;

· Créer un poste de magistrat de liaison en Colombie, avec une compétence s'étendant au Venezuela pour explorer les possibilités de coopération judiciaire avec ce pays ;

· Plus largement, développer la coopération avec les îles des Caraïbes et les États-Unis pour mieux protéger les collectivités d'outre-mer.

4. Afrique de l'Ouest et golfe de Guinée : mettre en place une stratégie coordonnée de lutte contre le trafic de cocaïne vers l'Europe

Le Golfe de Guinée est désormais l'un des principaux espaces du trafic de cocaïne mondial, avec une cocaïne exportée depuis les ports brésiliens, transbordée dans les ports du pourtour (Cotonou, Freetown et Abidjan, notamment) ou directement dans des « bateaux-filles » pour remonter vers l'Europe.

Les auditions menées par le rapporteur627(*) ont montré que la plupart des pays riverains du Golfe de Guinée, à l'exception du Sénégal, n'étaient pas équipés pour :

· intercepter les bateaux soupçonnés de transporter de la drogue ;

· surveiller les ports, en particulier Freetown (Sierra Leone)628(*) ;

· contrôler les flux dans les aéroports.

Il est donc indispensable de soutenir une montée en puissance du dispositif sécuritaire des pays concernés, par des financements massifs. La France est déjà impliquée dans ce projet à travers le programme de coopération douanière « Ailes africaines »629(*) financé par la Mildeca, mais celle-ci n'est pas dimensionnée pour une intervention à l'échelle de la région.

De plus, si le réseau des attachés de sécurité intérieure est dense dans la région, avec des ASI au Gabon, au Togo, au Bénin, en Côte d'Ivoire et en Guinée, l'effort de soutien aux forces de sécurité intérieures assumé par la direction de la coopération de sécurité et de défense reste très insuffisant : 326 000 euros pour toute l'Afrique subsaharienne, selon le document de politique transversale annexé au projet de loi de finances pour 2024 « Politique de lutte contre les drogues et les conduites addictives »630(*). Sans préjuger de la coopération bilatérale entre la France et les pays du golfe de Guinée, l'échelle pertinente semble donc être l'Europe.

Recommandation n° 3 de la commission d'enquête : renforcer les capacités de lutte des États d'Afrique de l'Ouest et du golfe de Guinée

· Porter, au niveau de l'Union européenne, un programme de renforcement des capacités en matière de surveillance maritime et portuaire au bénéfice des États du Golfe de Guinée ;

· Explorer les possibilités d'un nouveau « contrat de sécurité » avec les États d'Afrique de l'Ouest situés sur la route terrestre de la cocaïne (Mali, Niger, Burkina Faso).

5. Chine : engager le dialogue

Avec une puissance comme la Chine, il est quelque peu illusoire de faire levier, au niveau français ou même européen, sur le risque réputationnel. L'État chinois, particulièrement jaloux de sa souveraineté, est notoirement peu coopératif dans un très grand nombre de domaines. L'absence de bonne volonté des autorités chinoises, notamment en matière de blanchiment, est un problème connu depuis longtemps, et qui, avec une rivalité sino-américaine qui confine de plus en plus à l'hostilité, ne devrait pas s'arranger.

Interrogée sur la lutte contre les drogues de synthèse au niveau mondial, Amélie Delaroche, sous-directrice de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée, a ainsi déclaré à la commission : « Les drogues de synthèse et les précurseurs chimiques produits en Chine sont un sujet prioritaire, qui a compté dans le lancement par les États-Unis de la coalition internationale sur les drogues de synthèse631(*). Le but est d'exercer une pression sur la Chine, mais les résultats à ce jour sont très en deçà de ceux qu'espéraient les États-Unis et la Chine ne participe pas à cette coalition »632(*). Les États-Unis accusent en effet de longue date la Chine de ne pas agir contre l'exportation, depuis son sol, de précurseurs du fentanyl utilisés par les narcos mexicains qui inondent ensuite le marché américain633(*).

Un événement récent invite cependant à nuancer ce constat : l'annonce, qui fait suite à la rencontre, le 15 novembre 2023, entre Joe Biden et son homologue Xi Jinping, d'une reprise de la coopération bilatérale entre les deux pays en matière de lutte contre le fentanyl. Les deux dirigeants ont notamment annoncé « la création d'un groupe de travail visant à assurer une communication permanente et une coordination de leurs services répressifs sur les questions de lutte contre les stupéfiants »634(*). Si l'Europe est moins directement concernée par la question du fentanyl, dans le cadre de la reprise de la coopération, la Chine aurait également pris des engagements en matière de lutte contre le blanchiment, par l'intermédiaire de représentants des banques chinoises présents à la première réunion de ce groupe de travail, en janvier 2024635(*).

Cet exemple montre qu'en matière de coopération internationale, le fatalisme n'est pas de mise. Certes, la coopération sino-américaine dans le domaine est balbutiante et toujours soumise aux aléas de leur rivalité stratégique ; mais la politique de pression maximale menée par les États-Unis a porté ses fruits. La Chine est donc prête à bouger sur le sujet. Pour autant, l'Union européenne doit éviter que la lutte contre les drogues de synthèse et la lutte contre le blanchiment ne deviennent des enjeux bilatéraux sino-américains, au détriment des intérêts européens.

Sur ce dernier sujet, l'Union européenne ambitionne de se placer à la pointe avec le train de mesures contre le blanchiment en cours d'adoption (voir supra). Elle doit donc faire levier sur ces avancées pour promouvoir une action au niveau mondial, moyen indirect de faire pression sur la Chine.

Recommandation n° 4 de la commission d'enquête : obtenir la coopération de la Chine en matière de blanchiment du narcotrafic

· À l'exemple des États-Unis pour le fentanyl, faire de la lutte contre le blanchiment d'argent un sujet à part entière des discussions entre l'Union européenne et la Chine ;

· Porter une initiative européenne contre le blanchiment du trafic de drogue au niveau mondial, en misant sur l'effet d'entraînement du prochain train de mesures de l'Union européenne contre le blanchiment.

6. Renforcer encore les capacités du MAOC-N et explorer les possibilités d'une reproduction de ce modèle
a) Envisager une reproduction du MAOC-N sur d'autres théâtres d'opérations

Le MAOC-N636(*) a permis des saisies spectaculaires de drogue dans l'Atlantique, grâce à la fluidité du partage du renseignement entre les pays membres. Pour mettre la France en situation d'intervenir plus efficacement dans le Pacifique et l'océan Indien, il serait particulièrement utile d'explorer les possibilités d'une duplication de ce modèle avec des pays alliés tels que l'Inde et l'Australie dans l'océan Indien, ou l'Australie, les États-Unis et le Japon dans l'océan Pacifique.

b) Assouplir le cadre d'intervention en haute mer

Le rapporteur a appris, au cours de son audition637(*) de représentants de la Marine nationale, que la Pologne ne répondait pas aux demandes d'autorisation d'arraisonner les bateaux soupçonnés de transporter une cargaison de drogue (voir supra). Interrogée sur ce point par le rapporteur, la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) a confirmé que « le silence aux demandes fondées sur l'article 17 de la Convention de Vienne638(*) ne saurait valoir présomption d'abandon de compétence, l'abandon de compétence nécessitant un acte positif de l'État du pavillon »639(*).

Le rapporteur a également interrogé la DACG sur les raisons pour lesquelles, comme la commission l'a appris au cours de ses investigations, les autorités espagnoles passaient outre cette absence de réponse. Il apparaît que cette pratique est fondée sur la compétence universelle que l'État espagnol s'attribue en matière de trafic de stupéfiants, qui l'autorise ainsi à intervenir hors de ses eaux territoriales et pour des actes commis par des citoyens d'un autre État640(*). Il s'agit là d'une piste particulièrement intéressante qui, si elle était répliquée en France, lui permettrait d'agir sur des navires suspects même en l'absence de réponse de l'État du pavillon, améliorant d'autant les capacités d'intervention de la Marine nationale.

Recommandation n° 5 de la commission d'enquête : améliorer le partage du renseignement pour mieux lutter contre le narcotrafic en haute mer :

· Explorer, auprès des pays partenaires, la possibilité d'une structuration du partage de renseignement sur le trafic de drogue par voie maritime dans l'océan Indien et l'océan Pacifique, sur le modèle du MAOC-N, et mettre ainsi la France en situation d'intervenir sur l'ensemble des routes maritimes de la drogue ;

· Ajouter les infractions relevant du trafic de stupéfiants à la liste des infractions énumérées aux articles 689-2 et suivants du code de procédure pénale fondant la compétence universelle de la justice française.

B. PORTER DES POSITIONS FORTES À L'ÉCHELLE DE L'UNION EUROPÉENNE POUR RENFORCER LA COORDINATION ET HARMONISER LES RÈGLES JURIDIQUES STRATÉGIQUES

1. Utiliser pleinement les leviers offerts par le droit européen

Le Digital Services Act (DSA), en français « législation sur les services numériques », a pour objet de mettre en application le principe selon lequel ce qui est illégal hors ligne est illégal en ligne. Pour ce faire, il assigne un ensemble d'obligations aux pourvoyeurs de services numériques, en particulier les réseaux sociaux. Ces obligations incluent notamment :

· des mesures visant à lutter contre les contenus illicites en ligne, notamment des mécanismes permettant aux utilisateurs de signaler ces contenus, et aux plateformes de coopérer avec des « signaleurs de confiance » spécialisés en vue d'identifier et de supprimer les contenus illicites ;

· des mesures de transparence, en particulier sur les algorithmes utilisés pour recommander des contenus ou des produits aux utilisateurs ;

· de nouvelles obligations en matière de protection des mineurs ;

· des mesures spécifiques pour les très grandes plateformes en ligne et très grands moteurs de recherche (plus de 45 millions d'utilisateurs européens par mois), comme un audit indépendant des mesures de gestion des risques ou encore des mesures d'atténuation des risques pour les préjudices causés aux mineurs641(*).

Les enjeux liés à la lutte contre le trafic de stupéfiants en ligne sont de plusieurs ordres :

· protéger les mineurs contre la vente de drogue via les réseaux sociaux ;

· obtenir la fermeture rapide des comptes dédiés à cette vente : dans ce but, le DSA doit faciliter l'exécution des injonctions transfrontalières ;

· obtenir une réponse rapide aux réquisitions des autorités judiciaires, notamment sur les activités de type « Uber shit » et le recrutement en ligne des « petites mains » du trafic.

Le DSA est entré en vigueur le 17 février 2024. Les éléments de communication fournis par les représentants des réseaux sociaux, qui lors de leur audition à huis clos ont assuré la commission d'enquête de leur bonne coopération avec les services de police et l'autorité judiciaire642(*), sont apparus en décalage avec les témoignages des policiers de terrain comme avec les recherches effectuées en direct par le président et le rapporteur qui ont, en quelques minutes, trouvé sur chacune des plateformes représentées (Meta, Snapchat, TikTok et X) des pages ou des comptes permettant l'achat en ligne de stupéfiants.

Ainsi, le recrutement des « jobbeurs » sur les réseaux ne semble pas avoir été identifié par les plateformes comme un problème majeur ; elles ont indiqué n'avoir reçu qu'un nombre « anecdotique » de demandes en lien avec ce phénomène643(*), alors qu'un très grand nombre de membres des services de police rencontrés par la commission d'enquête lors de ses déplacements alertent sur le recrutement des « petites mains » sur les plateformes. Les réponses écrites apportées par la société TikTok au questionnaire du rapporteur, en particulier, témoignent d'une très faible appréhension par la plateforme de ses responsabilités vis-à-vis du narcotrafic.

Il conviendra donc de s'assurer que les outils fournis par le DSA sont pleinement utilisés par les autorités et que les obligations sont bien intégrées par les plateformes. De plus, le contrôle des « très grandes plateformes » étant assuré non au niveau national mais par la Commission européenne, il est indispensable de s'assurer de la cohérence de ce contrôle entre les deux niveaux.

Le Gouvernement doit également tourner ses efforts vers la résolution de l'épineux dossier de l'accès des services d'enquête aux données de connexion, abondamment évoqué par les gendarmes et les policiers au fil des déplacements de la commission d'enquête.

Comme le rappelait un récent rapport de la commission des lois sur le sujet, cette situation impose « une action déterminée de la France à l'échelle européenne afin d'obtenir une meilleure prise en compte des besoins opérationnels des services d'enquête - qui, eux-mêmes, sont les reflets des attentes des citoyens en matière de sécurité publique » et doit pousser le Gouvernement à « assumer une position forte dans les négociations européennes »644(*) pour obtenir l'assouplissement des règles applicables en la matière - ce point étant crucial dans une matière comme le narcotrafic, qui repose encore largement sur l'exploitation des données de téléphonie.

Le Gouvernement doit également oeuvrer pour l'aboutissement et la traduction rapide en droit national des textes en cours d'examen et cités en première partie, qui permettront entre autres de réelles avancées dans la lutte contre le blanchiment avec, notamment, l'arrivée prochaine dans notre arsenal législatif d'un mécanisme de confiscation sans condamnation de fortunes inexpliquées liées à la criminalité organisée, très attendue par les acteurs français.

Pourrait, en outre, être envisagé le renforcement de la clause dite « attrape-tout » ou « catch-all » qui permet une meilleure lutte contre les drogues de synthèse - puisque, à l'image de l'évolution annoncée par Gérald Darmanin sur les précurseurs chimiques (voir supra), cette clause permet de considérer tout produit non autorisé comme interdit et donc de procéder à sa saisie douanière. Déjà prévue par le droit européen645(*), la clause « catch-all » souffre en effet de deux faiblesses juridiques liées, d'une part, aux importantes marges d'appréciation laissées aux États et à l'exigence d'un faisceau d'indices quant à l'utilisation illicite des produits non classifiés (ce qui ne permet pas de systématiser la saisie de ces derniers) et, d'autre part, à ses conséquences sur les donneurs d'ordres, puisque celles-ci se limitent à une interception sans sanction. Ce cadre gagnerait à être approfondi et rendu plus rigoureux, à la fois pour étendre le périmètre du « catch-all » à tous les produits qui n'ont pas été autorisés et pour imposer aux États le prononcé de sanctions à l'encontre des entités qui tentent de faire entrer des précurseurs chimiques inconnus dans l'Union. À l'heure où, comme on l'a vu en première partie, le fentanyl commence à être détecté en Europe, une telle réforme serait tout sauf anecdotique et garantirait aux populations européennes une protection efficace contre les opioïdes, qui font d'ores et déjà plusieurs dizaines de milliers de morts chaque année aux États-Unis.

Recommandation n° 6 de la commission d'enquête : assurer la pleine mobilisation des leviers européens pour lutter contre les trafics

· S'assurer de la bonne information des services d'enquête sur les obligations des plateformes liées au DSA ;

· S'assurer de la cohérence du contrôle exercé par la Commission européenne sur les « très grandes plateformes » avec le contrôle exercé au niveau national sur les autres opérateurs ;

· Étendre la clause dite « catch-all » pour protéger les populations contre le risque d'une arrivée en Europe de nouvelles drogues de synthèse.

Il importe enfin que l'Union soit, comme cela a été évoqué plus haut s'agissant des magistrats de liaison, un levier de renforcement de la coopération judiciaire et policière : à ce titre, les initiatives menées par Eurojust à destination de pays tiers doivent être renforcées en ciblant les États les plus touchés par le narcotrafic - dont certains sont d'ores et déjà concernés puisque la plus récente liste validée par la Commission européenne inclut, comme le rappelait lors de son audition Baudoin Thouvenot, membre national pour la France d'Eurojust, la Colombie, le Maroc, la Tunisie, l'Algérie et le Liban, ce qui devrait aboutir à court terme à la conclusion avec ceux-ci d'un accord européen de coopération judiciaire.

2. Dynamiser le partage d'informations et la coopération au niveau des États membres

Plusieurs initiatives ont été prises par certains États membres les plus touchés par le narcotrafic afin de renforcer la coopération judiciaire et sécuritaire, dont le groupe quadripartite France/Pays-Bas/Belgique/Espagne en matière de sûreté portuaire, rejoint par l'Allemagne et l'Italie646(*), pour renforcer la coopération en matière de criminalité organisée, tandis que l'Alliance des ports européens présentée par la commissaire nationale aux drogues de la Belgique, Ine Van Wymersch647(*), a pour ambition de développer l'articulation public/privé.

Sur le plan judiciaire, il existe un réseau de magistrats, le réseau judiciaire européen en matière pénale (RJE), dont le but est d'identifier des « points de contact » spécialisés dans certains domaines, comme le trafic de stupéfiants, afin de faciliter l'entraide pénale. En parallèle de ce réseau, la présidence belge du conseil de l'Union européenne porte une initiative qui « permettrait aux magistrats d'échanger à niveau opérationnel sur les bonnes pratiques, leur connaissance des réseaux et les poursuites exercées au niveau national »648(*).

Ces initiatives s'inscrivent désormais dans la feuille de route de lutte contre la criminalité organisée et le trafic de drogue présentée par la Commission européenne le 18 octobre 2023.

Dans ce domaine, la commission d'enquête estime qu'un arbitrage est nécessaire entre la nécessaire coopération internationale et la lourdeur inhérente aux institutions communautaires : les initiatives inter-États membres peu formalisées mais dynamiques finissent trop souvent, en arrivant au niveau de l'Union européenne, par se dissoudre dans la comitologie propre à l'UE, dans un paysage complexe de structures et de comités.

Recommandation n° 7 de la commission d'enquête : renforcer la coopération opérationnelle au sein de l'Union européenne

· Privilégier les réseaux de coopération spécialisés ad hoc entre États, éventuellement soutenus par les structures légères telles qu'Eurojust et Europol.

La commission d'enquête estime par ailleurs nécessaire que le niveau européen soit privilégié pour le développement des outils techniques requis pour renforcer la lutte contre le narcotrafic et pour donner aux services d'enquête les moyens de jouer non pas à armes égales (ce qui est impossible au vu de la déloyauté qu'implique toute entreprise criminelle), mais à armes moins inégales avec les trafiquants. Tel est notamment le cas pour les outils qui seront exposés dans la suite du présent rapport, qu'ils concernent l'intelligence artificielle ou le traitement en masse de données.

En la matière, et pour éviter que la France - et les autres États membres - ne dépende d'outils étrangers qui peuvent faire peser sur le secteur régalien le risque d'ingérences, il est en effet vital que des « champions européens » puissent émerger et que les expertises soient mises en commun, au niveau tant du milieu universitaire que dans le secteur privé. Faute de débouchés commerciaux directs, le secteur du law enforcement reste en effet peu investi par la recherche, ce qui constitue un préjudice dommageable au « rattrapage » technologique que les services concernés par la lutte contre le narcotrafic doivent effectuer pour combler le vide numérique qui s'est créé entre eux et les trafiquants. La commission d'enquête rejoint ainsi les propos tenus par Isabelle Braun-Lemaire, alors directrice générale des douanes et des droits indirects, lors de son audition en novembre 2023 et estime qu'il convient de « [faire] le pari de la technologie, comme le font les trafiquants ». Ce pari est aujourd'hui une nécessité vitale face aux phénomènes commentés en première partie (recours aux messageries cryptées, adaptation des stratégies de trafic à la riposte judiciaire, recours aux plateformes en ligne, développement de nouveaux produits difficiles à détecter...) : les services répressifs ne doivent plus être en réaction face aux tactiques des narcotrafiquants, mais construire des outils puissants qui leur permettront d'anticiper le monde de demain.

Outre l'intelligence artificielle, plusieurs secteurs d'innovation doivent être investis : tel est notamment le cas des communications satellitaires, dont l'essor - prédit par certains, et qui sont de toute évidence un point d'inquiétude pour le ministre de l'intérieur et des outre-mer qui a expressément cité cette technologie au cours de son audition649(*) - peut rendre plus difficile encore l'accès des services répressifs aux échanges.

Lutte contre le narcotrafic et intelligence artificielle : quelles perspectives ?

Le rapporteur a reçu, au cours d'une audition non publique, Gaël Richard, co-directeur scientifique du centre interdisciplinaire Hi ! Paris rattaché à l'Institut polytechnique.

Les éléments recueillis à cette occasion laissent imaginer plusieurs pistes d'utilisation de l'intelligence artificielle en matière de lutte contre le narcotrafic :

· facilitation de l'exploitation des enregistrements issus des sonorisations ou des données issues des enquêtes ;

· lutte contre le phénomène « Uber shit » via la modélisation des livraisons suspectes ;

· lutte contre le blanchiment sur la base, là encore, d'une modélisation permettant la détection des flux suspects.

L'usage de cet outil peut générer - notamment en matière pénale - des biais identifiés lors de précédentes recherches académiques et qu'il conviendra de neutraliser afin d'éviter un phénomène de « faux positifs », voire la reproduction de biais socioculturels présents dans les données d'« apprentissage » du logiciel (il s'agit, en d'autres termes, d'éviter qu'un biais présent dans les informations sources soit considéré comme « valide » par l'outil et donc intégré à ses critères de choix et de décision) : ici réside peut-être le principal défi de l'application de l'intelligence artificielle à la lutte contre le narcotrafic.

Il est tout aussi crucial que l'effort d'innovation des services de renseignement soit soutenu : à cet égard, la commission d'enquête relève que la DNRED fait figure de précurseur en matière d'intelligence artificielle et qu'elle a su développer en « interne » des solutions qui ont ensuite suscité l'intérêt du secteur privé - elle s'est d'ailleurs récemment dotée d'un conseil scientifique pour créer un lien pérenne, et mutuellement profitable, avec le monde académique.

De telles initiatives ne peuvent qu'être encouragées et communiquées aux autres administrations afin qu'elles puissent, fortes de l'expérience acquise, s'en inspirer et les répliquer.

Recommandation n° 8 de la commission d'enquête : dynamiser la coopération inter-européenne

· OEuvrer pour le développement de solutions numériques européennes en matière d'intelligence artificielle et de traitement en masse de données ;

· Soutenir l'effort d'innovation des services de renseignement engagés dans la lutte contre le narcotrafic et encourager la constitution de ponts entre ces services et le milieu académique.

II. SE DONNER LES MOYENS DE LA SÉCURITÉ DANS LES OUTRE-MER

Outre l'échelle internationale, la lutte contre le narcotrafic passe par des mesures adaptées dans tous les territoires de la République. Proches des États producteurs, convoités par les trafiquants pour leur place stratégique sur la route vers l'Europe, les outre-mer sont en première ligne face à la menace ; rempart sacrifié sur l'autel de l'entrave à l'arrivée des produits stupéfiants sur le continent européen, ils ont besoin d'un soutien que le Gouvernement n'a pas su leur apporter.

La commission d'enquête considère que la doctrine d'intervention de l'État pour lutter contre le narcotrafic dans les territoires d'outre-mer est vouée à l'échec si elle continue à prioriser la non-pénétration des produits stupéfiants sur le territoire métropolitain. Les résidents ultramarins méritent mieux de la part du Gouvernement : la commission d'enquête estime que la stratégie mise en place doit reposer autant sur la lutte contre l'entrée des stupéfiants dans les territoires ultramarins que sur l'évitement de leur pénétration en Europe.

Une telle stratégie ne peut fonctionner qu'avec des moyens supplémentaires, destinés à entraver les stratégies de contournement déployées par les organisations criminelles.

A. RENVERSER LA PHILOSOPHIE DE LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC EN OUTRE-MER

En 2022, 55 % de la cocaïne saisie à l'entrée en métropole provenait de la Guyane et des Antilles650(*). Si la consommation tend à augmenter dans les territoires ultramarins, ceux-ci servent avant tout - comme on l'a vu en première partie - de zone de transit, de rebond et de stockage, avant le départ vers l'Europe.

Jusqu'ici, la stratégie du Gouvernement consiste à intervenir « en deuxième rideau », pour prévenir le départ des produits stupéfiants vers la métropole. Or, il serait sans doute plus efficace de mettre en place un véritable « premier rideau » pour entraver l'entrée même des stupéfiants dans les territoires ultramarins. Une telle approche suppose à la fois de lutter contre les stratégies de report des narcotrafiquants et d'accroître les contrôles dans les collectivités d'outre-mer.

1. Pérenniser et étendre les « contrôles à 100 % »

Le choix des Pays-Bas de mettre en place dès 2003 des « contrôles à 100 % » à l'arrivée des vols en provenance du Suriname a conduit à un déport des organisations criminelles vers la Guyane et, désormais, en réaction aux contrôles à 100 % menés sur les vols Cayenne-Paris, à une chute du nombre de convoyeurs au départ de Guyane et à un report vers les Antilles. De fait, les narcotrafiquants choisissent les territoires qui présentent les conditions les plus favorables pour exporter leurs produits et font de ces territoires des sites de stockage et de transit. Il faut donc parvenir à enrayer leurs chaînes logistiques.

La commission d'enquête estime que les contrôles à 100 % doivent être pérennisés, à condition qu'ils soient aussi étendus aux aéroports de Martinique et de Guadeloupe pour entraver les stratégies de contournement des trafiquants de stupéfiants. Cela impliquera en parallèle de renforcer les contrôles au niveau du fret maritime, toujours dans la logique d'anticiper et d'empêcher le report des organisations criminelles sur d'autres vecteurs de transport des produits stupéfiants (cf. infra).

La pérennisation des contrôles à 100 % en Guyane et leur extension aux Antilles supposent, en outre, la mobilisation de moyens adaptés à cette approche offensive : si le Gouvernement n'en prend pas conscience, cette politique est vouée à l'échec et continuera à donner lieu à des stratégies de contournement. La comparaison avec les Pays-Bas est frappante, et pas à l'avantage de la France :

· les Pays-Bas disposent de 85 enquêteurs à Schiphol, contre moins d'une cinquantaine de personnes pour les antennes de l'Ofast à Cayenne, à Orly et à Roissy - en tenant compte des renforts à venir ;

· 24 cellules de retenue sont prévues à Schiphol pour les mules in corpore, aucune dans l'enceinte des aéroports de Cayenne, d'Orly et de Roissy. Une seule chambre carcérale est disponible à l'hôpital de Cayenne, huit à l'Hôtel-Dieu à Paris, à partager avec l'ensemble des services d'enquête ;

· les bagages sont systématiquement scannés à Schiphol dans le cadre des contrôles à 100 %. Ce n'est pas le cas à l'arrivée à Orly et à Roissy651(*).

Il importe donc de mettre à niveau nos moyens, à la fois en augmentant le nombre de chambres carcérales et en mettant en oeuvre un contrôle systématique des bagages par scanner, sans quoi il est illusoire de penser que les contrôles à 100 % produiront les effets escomptés.

2. Accroître les contrôles à l'intérieur même des territoires ultramarins

Le renversement de philosophie appelé de ses voeux par la commission d'enquête implique de ne pas concentrer les moyens sur le seul aéroport Félix Éboué, mais de renforcer les contrôles routiers, sur les voies qui mènent à l'aéroport. Le point de contrôle routier d'Iracoubo, opéré par des gendarmes mobiles et des douaniers, a permis, en 2023, de contrôler 140 000 personnes, de constater environ 800 délits et de saisir près de 61 kilogrammes de cannabis et 36 kilogrammes de cocaïne652(*). La commission d'enquête partage à cet égard la proposition de la direction générale des outre-mer, qui avait proposé en 2022 d'aménager le poste de contrôle routier afin de pouvoir procéder à un contrôle des véhicules collectifs ainsi qu'à la prise en charge judiciaire des passeurs interpellés653(*).

La gendarmerie nationale doit également disposer des moyens nécessaires pour tenir d'autres points de contrôles routiers stratégiquement situés, par exemple dans la région du Maroni, à proximité du Suriname, voie d'entrée des stupéfiants en France. Comme l'expliquait en audition le général de brigade Jean-Christophe Sintine, commandant de la gendarmerie de Guyane, les personnes ciblées par la Cross sont transmises aux effectifs situés sur les points de contrôle, « ce qui permet d'exercer une vigilance particulière sur les véhicules qu'elles utilisent, dans l'objectif de trouver de la cocaïne dans leurs véhicules ou leurs bagages. Il y a donc un vrai travail en amont, qui est complété par des contrôles aléatoires un peu partout sur le territoire »654(*).

Au regard des spécificités géographiques des collectivités ultramarines, la commission d'enquête ne prétend pas que le déploiement de ces mesures suffira seul à freiner les flux de stupéfiants qui entrent dans ces territoires. La coopération internationale, en particulier avec les pays sud-américains, les îles des Caraïbes et les États-Unis, doit aussi prendre toute sa place.

Recommandation n° 9 de la commission d'enquête : mettre fin au sacrifice des outre-mer et lutter contre l'entrée de stupéfiants sur leur sol

· Pérenniser les contrôles à 100 % en Guyane, avec des moyens adaptés (nombre suffisant de chambres carcérales pour les « mules », contrôle systématique des bagages par scanner...) et les étendre aux Antilles ;

· Accroître les contrôles routiers et maritimes dans l'ensemble des territoires ultramarins.

B. DÉPLOYER DES MOYENS ADAPTÉS À L'ÉTAT DE LA MENACE

Le déploiement de moyens adéquats est la conséquence du renversement de philosophie défendue par la commission d'enquête pour les territoires ultramarins.

1. Doter les services répressifs d'outils techniques adaptés
a) Mettre en place un bouclier pour protéger les territoires ultramarins

Un bouclier a deux fonctions : il permet de protéger mais aussi de repousser. La stratégie du bouclier défendue par la commission d'enquête doit à la fois se traduire par une protection du territoire européen contre l'entrée de stupéfiants, mais aussi et surtout par le repoussement des flux qui tentent de se servir des collectivités d'outre-mer comme de lieux de stockage et de transit des stupéfiants.

Ce deuxième volet, négligé jusqu'ici, repose sur la mobilisation d'outils techniques adaptés. Si des annonces ont été faites par le Gouvernement dans ce domaine, leur déploiement effectif au cours de l'année 2024 est un impératif de premier ordre. En audition, le directeur général des douanes par intérim, Jean-François Dutheil, a en effet reconnu que « la baisse capacitaire a, objectivement, constitué un handicap aux Antilles »655(*).

(1) Scanners et sécurisation portuaire

Aux Antilles comme en Guyane, forces de sécurité intérieure et magistrats appellent de leurs voeux le déploiement des scanners dans les ports, où trop peu de conteneurs sont contrôlés.

La douane a obtenu un cofinancement européen de 15 millions d'euros656(*) pour doter les principaux ports français de nouveaux moyens de contrôle, des camionnettes scanners, qui permettent de scanner un conteneur en deux minutes. Deux seront déployés dans les ports de Fort-de-France et de Jarry (Guadeloupe). Un autre sera affecté au port de Dégrad des Cannes (Guyane), d'ici 2025 seulement.

Le déploiement de ces moyens de détection mobiles suppose la mise en place de zones dédiées aux contrôles au sein des terminaux, des zones clôturées, obturées et vidéosurveillées afin d'empêcher les soustractions et de « protéger » le contrôle douanier. Les manutentionnaires doivent être pleinement impliqués dans la mise en place de ces zones, quitte à ce que le Gouvernement s'invite autour de la table lorsque les négociations patinent - comme cela semble être le cas en Martinique. À défaut, c'est la lutte contre le narcotrafic qui en pâtit : plus les moyens de détection mettent du temps à être pleinement opérationnels, plus les trafiquants parviennent à écouler leurs marchandises illicites. Au regard de l'urgence de la situation, il est difficilement « entendable » que la mise en oeuvre des deux scanners dans les ports de Fort-de-France et de Jarry ait déjà connu un premier report d'un an, tout comme celui de Dégrad des Cannes657(*).

Enfin, et ce point sera abordé dans la partie dédiée, la sécurisation plus globale des infrastructures portuaires est un impondérable de la stratégie du bouclier contre le narcotrafic. Les importantes failles en matière de sûreté-sécurité des ports antillais et guyanais - gestion des accès, cybersécurité, périmétrie, vidéosurveillance - offrent des facilités aux organisations criminelles qu'elles n'espéraient pas. Dans les ports antillais, une méthode fréquemment utilisée est celle du switch off658(*) : la drogue est transférée d'un conteneur en statut « non-Union européenne » à un conteneur de statut « Union européenne » et donc déjà dédouané, ce qui limite la probabilité des contrôles659(*).

Les failles signalées par les services sont d'autant plus inquiétantes que des projets d'agrandissement sont en cours. Pour citer les propos de la procureure de la République près le tribunal judiciaire de Fort-de-France : « Nous sommes censés constituer un bouclier pour l'Hexagone et l'Europe, mais nous sommes une passoire. Le projet d'extension du port, qui deviendrait un hub pour toute l'Amérique du Sud, ne peut qu'inquiéter »660(*).

(2) Radars

Après avoir été annoncé depuis plus de dix ans, le déploiement de radars est attendu pour l'année 2024, bien qu'il soit probable que le dispositif reste incomplet à moyen terme. Ces radars doivent permettre de rehausser les moyens de détection à disposition des forces de sécurité intérieure pour constituer un rideau de surveillance et d'interception permanent autour de la Martinique et de la Guadeloupe. Les innombrables plages, propices au débarquement de marchandises illicites, en particulier la nuit, sont insuffisamment surveillées.

Le trafic inter-îles ainsi qu'en provenance des côtes sud-américaines est plus particulièrement visé par ce système de détection. En Martinique, la priorité est de couvrir le canal de Sainte-Lucie, à la fois pour dissuader et pour intercepter les embarcations suspectes661(*). Or, aujourd'hui, la capacité de détection s'arrête à environ 15 kilomètres des côtes martiniquaises et reste soumise aux aléas climatiques. La localisation de nuit et au large des zones côtières est également difficile faute de moyens techniques et matériels, avant même que ne se pose éventuellement la question de l'intervention des forces de sécurité pour les navires battant pavillon étranger.

Comme l'ont souligné les représentants de la Marine nationale lors de leur audition662(*), le déploiement de la chaîne de radars dans les Antilles doit permettre d'améliorer les conditions de surveillance du trafic inter-îles. Des travaux sont également en cours pour accroître la détection satellitaire, et nourrir ainsi le projet Anais (voir infra).

(3) Moyens aéromaritimes

Les services répressifs ne sauraient se satisfaire de moyens aéromaritimes vétustes et sous-dimensionnés par rapport à leur doctrine d'intervention et aux besoins spécifiques de la lutte contre le narcotrafic dans les archipels antillais ou polynésiens. Les avions de surveillance maritime sont par exemple plus efficaces que les bâtiments maritimes, puisqu'ils sont plus adaptés à l'agilité des trafiquants. Ils doivent dès lors constituer une priorité d'investissement.

Le parc opérationnel est par ailleurs vieillissant, en particulier dans les Antilles, et la modernisation prend du temps. À titre d'illustration, la douane a tout juste commencé à traiter la problématique des premières obsolescences affectant ses avions et a désormais fait le choix de louer des heures de vol en hélicoptère dans la zone. La commission des finances du Sénat avait par le passé regretté ce choix, qui limite l'exploitation opérationnelle de ces appareils qui, n'étant pas des aéronefs de l'État, sont soumis aux règles plus contraignantes de l'aviation civile663(*). Elle avait donc appelé à mutualiser les procédures d'achat pour les équipements aéronautiques. La location doit constituer une solution de « secours » ou d'appui opérationnel et non venir pallier l'absence d'anticipation des directions et du Gouvernement. En l'espèce, les hélicoptères de la douane ont plus de 30 ans et il est certain que leur renouvellement aurait pu être davantage anticipé.

Enfin, les brigades nautiques doivent être développées, que ce soit au sein de la gendarmerie, de la police ou des douanes. Elles interviennent notamment dans le cadre de l'action de l'État en mer, mais leurs moyens sont vétustes. En Martinique, le renouvellement des vedettes côtières de la gendarmerie se fait attendre, pour des raisons budgétaires. En Guadeloupe, la police nationale ne dispose d'aucune brigade nautique, sa création supposerait a minima de disposer de 20 effectifs supplémentaires et de trois bateaux semi-rigides664(*).

À court terme, pour pallier les aléas techniques et l'étirement du calendrier de renouvellement des équipements, la mutualisation semble devoir être privilégiée. Elle doit permettre à l'État de pouvoir se projeter dans l'ensemble des territoires ultramarins : en l'espèce, pour ne pas reproduire les errances passées et laisser de nouveaux territoires devenir des lieux de transit et stockage des stupéfiants, il importe que des moyens aéromaritimes puissent aussi être déployés à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy, dans le cadre également de la coopération avec les Pays-Bas dans la zone. La France doit demeurer un partenaire de confiance dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.

(4) Drones

La direction nationale garde-côtes des douanes (DNGCD) s'est dotée au mois de septembre 2023 d'un centre d'expertise Drone. Les drones doivent permettre de cibler les véhicules et les navires, de sécuriser les contrôles mais aussi de cribler les moyens logistiques665(*). Ils peuvent notamment permettre de disposer d'informations sur la signature thermique des conteneurs et des navires, sur des mouvements anormaux d'individus ou de marchandises ainsi que sur d'éventuels drop-off en amont de l'arrivée dans la zone portuaire.

Douze drones sont opérationnels dans les Antilles. Au regard de la zone à couvrir, c'est-à-dire à la fois les infrastructures sensibles (ports, aéroports) et les zones côtières, le parc apparaît encore sous-dimensionné par rapport aux besoins exprimés par les services sur place, notamment dans le cadre du déploiement de la stratégie de détection et d'interception des embarcations en provenance des îles voisines.

Une difficulté technique reste également à résoudre s'agissant de l'emploi des drones : les matériels dont dispose la DNGCD se prêtent peu à des décollages/appontages depuis les moyens maritimes, ce qui apparaît particulièrement pénalisant dans des archipels...

b) Remettre à niveau les équipements déployés dans les aéroports ultramarins
(1) L'échographe, l'arlésienne

S'agissant des équipements nécessaires dans les aéroports, la commission d'enquête s'est tout d'abord intéressée à une piste évoquée de longue date, celle de l'installation d'un échographe à l'aéroport Félix Éboué et, par extension, aux aéroports de Martinique et de Guadeloupe.

Les déboires de l'échographe

Les documents obtenus par la commission d'enquête montrent que l'opportunité d'installer un échographe dans l'enceinte de l'aéroport de Cayenne est étudiée depuis 2016, les avis et les recommandations ayant varié ces huit dernières années. L'option d'un scanner corporel, qui aurait permis de visualiser l'intérieur du corps et donc les boulettes éventuellement ingérées, a quant à elle était rapidement écartée, les scanners de sûreté dits ionisants étant interdits au niveau européen666(*).

En 2020, la mission d'information du Sénat sur le trafic de stupéfiants en provenance de Guyane rappelait qu'un échographe avait bien été acheté par l'État en 2017. Installé dans l'enceinte de l'aéroport Félix Éboué de Cayenne, il n'a toutefois jamais été utilisé, du fait de l'absence de locaux adéquats, du manque de praticiens hospitaliers pour l'actionner et du coût dissuasif des prestations médicales associées, de l'ordre de 500 euros par heure.

D'après les informations dont dispose la commission d'enquête, d'autres difficultés ont justifié la décision de ne pas recourir à l'échographe :

· des incertitudes sur son efficacité ;

· des incertitudes liées au consentement des passagers et à leur niveau d'exposition à la radioactivité. L'utilisation de ce scanner peut en effet s'apparenter à un acte médical intrusif, qui nécessite à la fois la présence d'un personnel médical et l'accord du passager contrôlé ;

· le risque d'un allongement considérable des délais de contrôle des passagers ;

· le faible nombre de chambres carcérales médicalisées dont dispose l'hôpital de Cayenne667(*).

La commission d'enquête entend l'absence de preuve formelle quant à l'efficacité d'un échographe aux départs des aéroports de Guyane et des Antilles. Elle s'étonne toutefois que l'appareil acquis en 2017 n'ait jamais été véritablement expérimenté : si tel avait été le cas, si le Gouvernement avait réagi un peu plus rapidement, nous aurions pu disposer d'un bilan objectif des avantages et des inconvénients de cette technologie.

La seule mise en place d'un échographe sans capacité supplémentaire de prise en charge des personnes ayant ingéré de la drogue serait par ailleurs vaine. Une telle installation suppose une augmentation en parallèle des places en chambre carcérale et/ou l'installation de telles chambres dans l'enceinte de l'aéroport. Pour reprendre l'exemple néerlandais, l'échographe a été installé dans l'enceinte de l'aéroport de Schiphol, qui dispose également d'un personnel et de chambres médicales dédiés. En France aujourd'hui, si une personne est interpellée dans un aéroport parisien et soupçonnée d'avoir ingéré de la drogue, elle doit être acheminée vers l'Hôtel-Dieu, en plein centre de Paris, ce qui se traduit par de longs temps de trajet et l'immobilisation de trois à quatre personnes sur une demi-journée, le plus souvent des douaniers.

Pour ne pas saturer les capacités médicales et pour en limiter le coût, le recours à l'échographe pourrait n'intervenir qu'en cas de suspicion de drogue ingérée. À Schiphol, si une personne est soupçonnée de transporter de la drogue in corpore, les services lui proposent de passer à l'échographe. Si elle refuse, elle peut être placée en retenue pour suspicion d'infraction à la législation antistupéfiants. La retenue ne s'achève alors qu'en cas de trois passages à la selle sans traces de substances illicites.

(2) Les scanners de bagages, une systématisation nécessaire

L'aéroport de Cayenne a enfin été doté, en 2022, d'un scanner à rayons X pour les bagages. Le calendrier laisse songeur : l'utilisation du vecteur aérien comme point de convoyage de la cocaïne vers l'Europe est connue de longue date et, faut-il le rappeler, le Gouvernement avait fait de la question de la lutte contre les « mules » en provenance de Guyane une « priorité » dès 2019, dans le cadre du plan interministériel lancé à cet effet.

Les aéroports parisiens doivent eux aussi être suffisamment dotés en moyens techniques. La commission d'enquête ne peut qu'une nouvelle fois s'étonner que l'aéroport d'Orly, qui dispose pourtant de liaisons quotidiennes avec la Guyane et les Antilles, ne bénéficie pas encore du même matériel de détection que Roissy. Aucun des deux aéroports ne pratique non plus le scan systématique des bagages à l'arrivée des vols.

C'est d'autant plus dommageable que le volume le plus important d'affaires ne concerne pas des individus transportant de la drogue in corpore mais à corps et dans leurs bagages668(*). Le déploiement de scanners pour les bagages, dans les aéroports guyanais, antillais mais aussi métropolitains, est donc nécessaire pour assurer une détection plus efficace des stupéfiants à l'embarquement comme au débarquement. À cet égard, les délais d'autorisation d'utilisation des scanners par les autorités de santé et de sûreté nucléaire doivent être raccourcis : il n'est pas normal que jusqu'à un an soit parfois nécessaire avant d'obtenir l'agrément669(*).

2. Rehausser les moyens humains et accroître l'attractivité des postes

La commission d'enquête ne peut qu'appeler le Gouvernement à augmenter significativement les effectifs de la police, de la gendarmerie, des douanes et de l'autorité judiciaire dans les territoires ultramarins frappés de plein fouet par le trafic de stupéfiants, et en particulier en Guyane et dans les Antilles. Le déploiement de nouveaux moyens techniques n'aura qu'une efficacité limitée si, dans le même temps, les moyens humains ne sont pas augmentés à due concurrence : il est nécessaire que les services d'enquête et l'autorité judiciaire soient en mesure de traiter des dossiers qui seraient mécaniquement amenés à s'accroître à court et moyen terme. Pour prendre un seul exemple, le déploiement effectif de la chaîne de radars n'aura aucun effet dissuasif si les services ne sont pas en mesure d'assurer une permanence en mer pour intercepter les personnes et les produits et qu'ensuite les juridictions ne peuvent pas traiter les dossiers.

Sur ce sujet, le ministère de l'intérieur et des outre-mer a indiqué au rapporteur que l'antenne de l'Ofast en Guyane serait renforcée de quatre officiers de police judiciaire à compter du mois de février 2024, ce qui apparaît à la fois tardif au regard de l'embolie des services répressifs constatée depuis la mise en oeuvre du plan de lutte contre le phénomène des mules et insuffisant au regard de l'activité criminelle sur place. Encore une fois, le Gouvernement semble privilégier le traitement des mules à l'aéroport, et pas le démantèlement des filières et la protection du territoire guyanais en lui-même. Dans le même temps, la direction territoriale de la police nationale de Guadeloupe estime les besoins, pour la seule antenne de l'Ofast Caraïbe, à 10 enquêteurs supplémentaires670(*), sans renfort à ce stade.

Par ailleurs, alors que la direction générale des outre-mer a souligné que la sous-dotation des Cross ultramarines nuisait à l'efficacité de ce dispositif, pourtant clé pour le partage de renseignements et l'échange d'informations entre tous les acteurs impliqués dans la lutte contre le narcotrafic671(*), aucune action spécifique n'a été menée en la matière.

Au-delà de la nécessité de disposer de moyens humains supplémentaires dans les outre-mer, les services d'enquête et les juridictions se heurtent également au manque d'attractivité des postes qui sont proposés et qui restent vacants. Rehausser le plafond des emplois n'aura donc aucun effet si une réflexion n'est pas engagée en parallèle sur l'attractivité.

L'illisibilité et l'inefficacité des dispositifs destinés à favoriser l'attractivité des emplois publics en outre-mer

Les compléments de rémunération accordés aux fonctionnaires servant en outre-mer ont été mis en place dans les années 1950 afin : 1° de compenser le différentiel de coût de la vie entre la métropole et les territoires ultramarins ; 2° de couvrir les frais liés à l'installation et prendre en compte les sujétions propres à la vie outre-mer (conditions de vie, éloignement, isolement) ; 3° de développer l'attractivité des emplois.

Le coût de ce dispositif est évalué à 1,5 milliard d'euros par an. Derrière ce coût élevé, se cache un dispositif en réalité complexe, générateur d'inégalités entre les agents et ne répondant qu'imparfaitement à ses objectifs initiaux.

Il apparaît donc nécessaire de faire évoluer le dispositif et de prendre en compte l'ensemble des facteurs d'attractivité (éloignement et isolement, sécurité, accès au logement, scolarisation des enfants, système de santé, valorisation du séjour outre-mer dans le parcours de carrière, etc.).

Source : Cour des comptes, Référé relatif aux compléments de rémunération des fonctionnaires outre-mer, 8 juin 2023

La direction générale des outre-mer avait travaillé sur une charte à destination de l'ensemble des ministères pour renforcer l'attractivité de leurs postes situés dans ces territoires. Aucune suite n'a été concrétisée, repoussant de fait encore un peu plus la problématique de l'attractivité des postes dans les collectivités ultramarines. Le contrat de mobilité développé par le ministère de la justice pourrait constituer une piste intéressante, avec la possibilité, pour le jeune diplômé affecté en premier poste en Guyane, de pouvoir émettre cinq voeux d'affectation à son retour en métropole672(*).

Enfin, la stratégie du bouclier défendue par la commission d'enquête et le renversement de la philosophie en faveur de la protection des territoires ultramarins contre l'entrée des stupéfiants impliquent de ne laisser aucun territoire abandonné. Les moyens doivent bien entendu être adaptés et différenciés selon l'état de la menace et du trafic, mais adaptation et différenciation, ce n'est pas abandon. La Polynésie française, qui fait face à la montée du trafic d'ice, et Saint-Martin et Saint-Barthélemy, où le trafic de cocaïne augmente, doivent disposer d'une présence suffisante des services de l'État sur leurs territoires.

Recommandation n° 10 de la commission d'enquête : déployer des moyens adaptés à l'état de la menace dans les outre-mer

· Accroître les moyens humains octroyés aux services d'enquête, aux douaniers et aux juridictions, en ciblant en priorité les Antilles et la Guyane et en incluant une révision des dispositifs destinés à accroître l'attractivité des postes ouverts dans les territoires ultramarins ;

· Déployer effectivement les moyens matériels promis (radars, scanners mobiles et bagages), accroître leur nombre (scanners, drones, radars) et remédier à l'obsolescence du parc aéromaritime des services répressifs ;

· Tester l'usage d'échographes dans les aéroports de Guyane et des Antilles ainsi que dans les aéroports parisiens, en construisant des chambres carcérales médicales au sein des enceintes aéroportuaires ;

· Procéder à une remise à niveau des infrastructures portuaires ultramarines en matière de sûreté-sécurité (badge, vidéoprotection, sécurisation des plateformes).

C. RÉNOVER LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LES « MULES » POUR ÉVITER L'EMBOLIE DU SYSTÈME RÉPRESSIF

La révision et l'adaptation de la politique menée contre les convoyeurs de produits stupéfiants sont la conséquence de deux phénomènes liés : la saturation des services répressifs et le sous-dimensionnement des moyens qui leur sont alloués. Pour traiter la saturation et prévenir l'embolie, il est nécessaire de s'appuyer sur d'autres outils que des renforts humains et techniques, qui pourront mettre du temps à se concrétiser.

1. Développer les outils administratifs, un traitement « d'urgence »

Les mesures administratives mises en place dans le cadre du plan interministériel de lutte contre le phénomène des « mules » en provenance de Guyane ont démontré leur efficacité pour limiter l'embolie des services : procédures simplifiées, transactions douanières, arrêtés préfectoraux de refus d'embarquement.

Aussi, consciente que le déploiement de moyens humains et techniques supplémentaires par le Gouvernement prendra du temps - bien que la situation ne cesse de se dégrader depuis plusieurs années et que le point de bascule approche -, la commission d'enquête soutient, à titre de palliatif, l'extension des mesures administratives et des procédures simplifiées pour traiter les passeurs, en Guyane comme aux Antilles. Sans ce principe de réalité, l'extension des contrôles à 100 % aux Antilles risque de se traduire par une embolie des forces de sécurité et des tribunaux judiciaires, comme cela a pu être le cas en Guyane, avec une saturation des services.

Le directeur général de la police nationale concède ainsi que si la nouvelle stratégie de contrôle peut être « pénible pour les forces de l'ordre », les mesures administratives ont néanmoins permis d'apporter une réponse efficace à la tactique de saturation employée par les organisations criminelles. L'approche différente développée par le préfet, les magistrats et les forces de sécurité intérieure a permis d'éviter d'entrer dans une surenchère perdue d'avance comme le relevait Yves Le Clair, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Cayenne673(*) :« Si j'affecte 50 policiers de plus à l'aéroport, ils vont mettre 50 mules de plus pour nous saturer. Leur stratégie est celle de la saturation. Ils vont attendre sur le parking la dernière minute pour essayer d'embarquer, de saturer les personnels qui sont à l'accueil et dans l'aéroport. C'est une surenchère, par définition, que nous perdrons puisqu'ils ont des moyens financiers et humains illimités par rapport aux nôtres. C'est pourquoi nous avons envisagé notre approche différemment car nous étions perdants par définition, dans cette surenchère. »

En audition, tous les services de sécurité présents dans le ressort de la Guyane et des Antilles - douanes, gendarmerie, police, antennes de l'Ofast - ont souligné que le contournement des contrôles à 100 % à Cayenne avait conduit à un engorgement des services dans les Antilles. Le risque d'embolie est élevé alors que, contrairement à la tendance observée en Guyane, une part encore très significative des convoyeurs transporte la cocaïne in corpore, ce qui exige une hospitalisation sous garde policière le temps de l'expulsion du produit. Les mules se mettent d'autant plus en danger que le temps d'ingestion de la drogue est plus long (vol Cayenne-Antilles puis Antilles-Paris).

Pour dégager du temps de prise en charge pour les personnes ayant ingéré de la drogue et pour éviter l'embolie, les mesures administratives mises en oeuvre en Guyane (voir supra) doivent être répliquées dans les Antilles. Le développement de telles mesures doit enfin et surtout permettre aux services d'enquête d'orienter leurs moyens vers l'exploitation du renseignement et le démantèlement des filières.

2. Envisager une adaptation du traitement judiciaire

Le maintien d'une proportion significative de personnes transportant la cocaïne in corpore induit une charge particulière pour les forces de sécurité intérieure, les douaniers et l'autorité judiciaire, puisque le traitement judiciaire de ces passeurs nécessite d'attendre l'expulsion de tous les ovules de cocaïne. Or, les dispositifs ne semblent pas parfaitement adaptés à cet état de fait : ainsi que l'ont expliqué les magistrats du tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre, la durée de garde à vue de 96 heures n'est pas toujours suffisante pour récupérer l'ensemble de la drogue ingérée. Actuellement, au-delà de cette durée maximale, il doit être procédé à un défèrement à l'hôpital, avec une procédure de comparution à délai différé, d'intervention du juge des libertés et de la détention à l'hôpital et d'engagement des poursuites - une procédure relativement lourde.

Des modalités d'aménagement et de prolongation médicale devraient pouvoir être envisagées pour ces personnes, pour leur propre sécurité. Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Cayenne a ainsi évoqué la piste d'une « hyper-prolongation médicale » pour les personnes qui n'ont pas fini d'expulser la drogue674(*).

Une réflexion sur une peine complémentaire d'interdiction de vol pourrait également être engagée. Elle s'inscrirait dans la logique poursuivie par le parquet de Créteil, à savoir « rendre inemployables les personnes condamnées »675(*). Pour ce faire, les magistrats du parquet ont été invités à requérir des interdictions de paraître à l'aéroport d'Orly pour les personnes résidant en France et des interdictions du territoire national pour les ressortissants étrangers.

3. Renforcer les contrôles au retour de l'Europe

Enfin, les contrôles doivent être renforcés sur les « flux retours », en visant notamment la détection et la saisie des espèces ou des avoirs suspects des individus qui ont convoyé des stupéfiants des territoires d'outre-mer vers la métropole. Cela suppose une stratégie coordonnée, à la fois dans les aéroports parisiens mais aussi à l'arrivée dans les territoires d'outre-mer.

À cet effet, les douaniers apparaissent en première ligne et doivent être mobilisés en ce sens. Les évolutions apportées à l'été 2023676(*) par le législateur aux dispositions relatives au blanchiment douanier et à la retenue temporaire d'argent liquide doivent désormais trouver leur traduction concrète sur le terrain et donner lieu à des saisies supplémentaires.

Les apports de la loi du 18 juillet 2023 pour lutter contre les flux financiers « retour »

Deux dispositifs ont été significativement modifiés par la loi du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces :

· d'une part, le délit de blanchiment douanier (article 415 du code des douanes). Le blanchiment douanier peut désormais être caractérisé même si les opérations de transport et de collecte de fonds portant sur le produit de l'infraction à l'origine du blanchiment sont réalisées uniquement sur le territoire national. Antérieurement à cette modification, le chef de blanchiment douanier supposait de démontrer qu'il y avait eu un franchissement de frontière, ce qui impliquait de pouvoir caractériser une opération avec l'étranger, et notamment une compensation, difficilement détectable sans enquête ;

· d'autre part, la retenue temporaire d'argent liquide (article 67 ter B à 67 ter D du code des douanes). Les douaniers peuvent désormais retenir de l'argent liquide qui circule à l'intérieur du territoire lorsqu'il existe des indices que cet argent est lié à l'une des activités criminelles suivantes : terrorisme, fabrication et trafic de stupéfiants, criminalité organisée, corruption, fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne et fraude fiscale grave. Ce nouveau dispositif se veut le pendant des dispositifs de retenue temporaire applicable aux flux d'argent liquide en provenance ou à destination de l'étranger, en cas de violation des obligations déclaratives ou en cas d'indices faisant état de lien avec l'une des activités criminelles précédemment énumérées.

Source : loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces

Jusqu'aux modifications législatives adoptées par le Parlement au mois de juillet 2023, les douaniers ne disposaient pas de la faculté de retenir les flux d'argent liquide au sein du territoire national, même lorsqu'il existait des indices d'un lien avec une activité criminelle grave comme le trafic de stupéfiants. En audition, le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Cayenne a estimé que les douaniers avaient bien investi ce champ677(*). Les premières informations communiquées au rapporteur font état de la retenue de plusieurs centaines de milliers euros, une somme qui n'est pas élevée en absolu, mais qui correspond à la rémunération de plusieurs centaines de convoyeurs.

Comme l'avait relevé la commission des finances du Sénat678(*), les deux modifications apportées - au blanchiment douanier comme à la retenue d'argent liquide - visaient très concrètement à permettre aux douaniers de pouvoir agir sur les flux « retour » des convoyeurs de stupéfiants, en retenant l'argent transporté par ces personnes en rémunération de leur passage. L'effet dissuasif est décuplé si, en plus du risque pénal et sanitaire, les personnes s'exposent à prendre ces risques « pour rien ».

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Enfin, au regard de la situation dans les territoires ultramarins, frappés par des taux de pauvreté et de chômage bien plus élevés que dans l'Hexagone, le rapporteur ne peut que rappeler l'importance de mener une politique publique adaptée aux spécificités de ces territoires. La prévention, en particulier auprès des jeunes et des populations les plus vulnérables, sera également primordiale pour endiguer le trafic et la mise en danger de sa propre vie que constitue le fait d'accepter de passer de la cocaïne. Il faut mettre fin au sentiment d'un abandon des territoires ultramarins par l'État.

Recommandation n° 11 de la commission d'enquête : rénover la politique de lutte contre les « mules »

· Adapter la réponse judiciaire à la problématique des convoyeurs de stupéfiants, en Guyane comme aux Antilles : sécurisation des arrêtés préfectoraux d'interdiction d'embarquement, maintien des procédures simplifiées et transactions douanières, hyper-prolongation médicale de la garde à vue pour les personnes transportant de la drogue in corpore, mise en place d'une peine complémentaire d'interdiction de vol ;

· Systématiser les contrôles des flux « retour » en ciblant l'argent liquide.

III. SÉCURISER LES INFRASTRUCTURES PORTUAIRES

Le rapporteur a eu l'occasion de le souligner : le vecteur maritime constitue la principale voie d'entrée de la cocaïne en Europe. 75 % des saisies de cocaïne en France en 2022 ont eu lieu dans les ports et plus de trois quarts de ces saisies ont eu lieu dans le port du Havre.

Entre 800 tonnes et 1 000 tonnes de cocaïne transitent chaque année vers l'Europe, pour un taux d'interception d'environ 20 % à 30 %679(*). Il s'agit donc d'un véritable « tsunami blanc », qui exerce une très forte pression sur les infrastructures portuaires et sur les acteurs privés comme publics.

Évolution des saisies de cocaïne entre 2018 et 2023 sur les grands ports de la façade nord de l'Europe

(en tonnes)

Source : commission d'enquête

Ainsi que le constatait le ministère de la justice, « toute la façade atlantique et méditerranéenne française est touchée par le phénomène prenant la forme de la pollution des marchandises de containers ou de dissimulation dans ou sous la coque de voiliers voire dans des bateaux de croisière », tandis que « les ports guyanais et antillais constituent des zones de rebond essentielles pour les trafiquants »680(*). Il est constaté que 8,7 % des dossiers traités par les juridictions interrégionales spécialisées entre 2004 et le 30 juin 2022 présentent un lien de connexité avec un port français681(*).

Répartition des dossiers Jirs présentant un lien avec un port français

Source : commission d'enquête, d'après les données transmises par la direction des affaires criminelles et des grâces, « La problématique judiciaire des ports », juin 2023

Les installations portuaires posent plusieurs défis aux services chargés d'en garantir la sécurité : leur superficie (10 600 hectares pour Le Havre), le nombre d'intervenants (des milliers de personnes en incluant les intermédiaires), la complexité logistique du transport par conteneur. Selon la Banque mondiale, le fret commercial conteneurisé représente 840 millions de rotations par an682(*).

La problématique portuaire dans la lutte contre les trafics de stupéfiants de toute nature est désormais mieux intégrée par l'État, en particulier dans le cadre du « plan port » présenté le 8 décembre 2023 et, surtout, de l'instruction interministérielle relative à l'organisation et à la coordination de la sûreté maritime et portuaire683(*). Toutefois, elle peut encore être complétée et surtout étendue - la focalisation sur les grands ports français tendant à passer à côté d'une caractéristique fondamentale du narcotrafic, son agilité et son ingéniosité pour parvenir à contourner les entraves et à trouver de nouveaux points d'entrée.

A. MIEUX SUIVRE LES FLUX MARITIMES ET PORTUAIRES POUR MIEUX LES CONTRÔLER

1. Accroître le contrôle des conteneurs

Face à la masse de conteneurs, les services douaniers ont développé des critères de ciblage pour orienter les contrôles. Ce ciblage est effectué tant au niveau national - par le service national d'analyse de risque et de ciblage (Sarc) - qu'au niveau local - Le Havre disposant de sa propre cellule de ciblage avec la cellule de lutte contre le trafic illicite par containers (Celtics), spécialisée dans l'analyse de risques et le ciblage du trafic portuaire.

a) Définir un nouvel équilibre entre impératifs économiques et lutte contre le narcotrafic

Plus de 90 millions de conteneurs circulent chaque année via les ports européens et seuls 2 % à 10 % d'entre eux sont physiquement contrôlés, l'écart s'expliquant par le contrôle accru de conteneurs en provenance d'Amérique du Sud684(*). La concurrence est extrêmement forte entre les grands ports européens, dont la stratégie commerciale s'attache à démontrer leur attractivité, que ce soit par la simplicité des procédures de sortie des conteneurs, par l'ouverture de lignes commerciales ou par la modernisation des infrastructures. Ce sont autant de points de porosité pour les organisations criminelles.

Il serait bien entendu impossible de contrôler l'ensemble des conteneurs. Toutefois, le contrôle douanier ne doit plus être présenté comme une entrave, en étant appréhendé sous le seul angle économique. Alors que, dans l'arbitrage entre efficience économique et sécurité, l'efficience a été tacitement privilégiée ces dernières années, sans véritable débat, il convient de refaire de cet arbitrage une question politique685(*). Les travaux menés par la commission d'enquête ont ainsi permis de montrer qu'il était possible de faire plus en faisant mieux, c'est-à-dire en s'appuyant sur le criblage des conteneurs - qui conduit notamment à ouvrir davantage de conteneurs en provenance d'Amérique du Sud.

Les opérateurs et les compagnies maritimes doivent être mis davantage à contribution, en mettant notamment à disposition des douanes les données sur les cargaisons et les conteneurs. L'accès aux données logistiques et commerciales des opérateurs maritimes et portuaires est devenu un enjeu de premier plan.

Sur le volet quantitatif, la douane devrait prochainement disposer de dix nouveaux scanners mobiles, en plus de ceux dont elle dispose au Havre (scanner fixe) ou à Marseille (mobile).

Le scanner fixe du Havre

Le scanner fixe du Havre, le seul en France, permet de voir à travers près de 37 centimètres d'acier et le scan complet d'un conteneur est effectué en une minute. L'installation est située à l'écart des terminaux portuaires, pour davantage de sécurité (sécurisation du site, brise-vues). Cinq personnes sont nécessaires pour faire fonctionner le scanner et en analyser ensuite les résultats.

Environ 7 000 conteneurs sont scannés chaque année, mais le flux quotidien dépend du criblage. Ce niveau reste inférieur à la capacité du scanner, de l'ordre d'une vingtaine de conteneurs par heure.

Source : déplacement de la commission d'enquête au Havre, 18 janvier 2024

À plus long terme, et dans l'objectif de rendre possible l'objectif de « contrôle à 100 % » sur les conteneurs, et sans emboliser les circuits logistiques, la commission d'enquête plaide pour la poursuite, en lien avec des laboratoires universitaires et des entreprises privées, de projets de recherche destinés à disposer de moyens de tests plus rapides et moins intrusifs.

Par exemple, l'un des projets consiste à développer, d'ici quelques années, des outils capables de détecter des particules de produits stupéfiants sans avoir à ouvrir le conteneur.

Enfin, il convient de noter que la modification du droit de visite des douaniers, intervenue dans le cadre de la loi du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces686(*) après la censure du dispositif antérieur par le Conseil constitutionnel687(*), a eu des effets non anticipés sur le contrôle des conteneurs.

Aux termes de l'article 60-8 du code des douanes, une fois une marchandise dédouanée, la visite d'un conteneur par un douanier, c'est-à-dire sa fouille, s'apparente à la visite d'un moyen de transport. Elle doit donc être effectuée en présence de l'exploitant du conteneur ou d'un tiers spécialement requis à cet effet, sauf si cette présence comporte un risque grave pour la sécurité des personnes et des biens. Actuellement, un courrier est donc envoyé systématiquement aux responsables de la marchandise pour les informer de la mise sous contrôle des conteneurs ciblés. Découlent de cette information un risque de fuite et une faille dans la confidentialité indispensable aux opérations de contrôle.

b) « Faire le tri » dans les compagnies de transport maritime

Plusieurs personnes ont indiqué à la commission d'enquête que les enquêtes menées sur des dossiers de trafic de stupéfiants par voie maritime avaient permis d'identifier des compagnies maritimes soit totalement factices, soit servant de façade à des organisations criminelles.

Les incohérences relevées dans les informations transmises par ces compagnies ou, par exemple, le repérage de bateaux portant le même nom qu'une compagnie, sont autant d'éléments qui peuvent être mobilisés dans le cadre du ciblage des contrôles, du renseignement maritime et de l'analyse de situation de surface.

La commission d'enquête estime que devrait également être étudiée la piste d'un « bannissement » des compagnies maritimes défaillantes, factices ou infiltrées par des organisations criminelles : concrètement, les infrastructures portuaires refuseraient le débarquement des conteneurs et toute la marchandise pourrait être saisie, pour enquête.

2. Prolonger le dispositif de clearance et s'engager vers un véritable PNR maritime

L'utilisation du vecteur maritime pour le trafic de stupéfiants revêt des formes de plus en plus diverses : si le conteneur demeure l'instrument privilégié, les produits sont également dissimulés dans des bateaux ou à bord de voiliers de plaisance, en particulier pour le transit inter-îlien (Antilles, Polynésie). Pour répondre à ce phénomène, plusieurs personnes entendues en audition, dont le secrétaire général de la mer, Didier Lallement, ont cité la mise en place de la clearance.

Le dispositif de clearance s'applique aux plaisanciers naviguant dans l'ensemble des pays de la Caraïbe. Ils sont tenus de déclarer leur arrivée et leur sortie dans les ports concernés en remplissant un document, qui peut être déposé auprès d'un service douanier ou d'un service habilité par les douanes.

La clearance

Par arrêté préfectoral du 4 juillet 2023, le préfet de la Martinique a instauré, en tant que délégué du gouvernement pour l'action de l'État en mer, un dispositif relatif au dépôt obligatoire de clearances dans les départements et collectivités de la Martinique, de la Guadeloupe, de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy.

Depuis cette date, tout navire en provenance ou à destination de l'étranger, doit déclarer mais également soumettre les documents d'identification aux autorités douanières. Le capitaine est également tenu de présenter la clearance « départ » du pays de provenance auprès des autorités du pays d'escale.

Un dispositif similaire existe en Polynésie.

Source : direction générale des douanes et des droits indirects

Dans un premier temps, ce dispositif pourrait être étendu à l'ensemble des bateaux de plaisance à destination ou au départ d'un territoire français. En effet, après une première étape de mise en oeuvre consistant simplement à disposer d'un « guichet » pour le dépôt de déclaration, le dispositif est amené à évoluer pour permettre l'exploitation des données collectées. Des travaux sont en effet engagés sur le plan juridique, avec notamment la rédaction d'une analyse d'impact relative à la protection des données (AIPD) pour le volet exploitation et d'un acte réglementaire portant création du traitement, soumis à la consultation de la Cnil688(*).

Dans un second temps, la commission d'enquête considère que le développement d'un PNR (passenger name record) maritime doit enfin être concrétisé. En effet, alors que la mise en place d'un tel dispositif a été approuvée par le Parlement dès 2017689(*), les mesures réglementaires d'application de l'article L. 232-7-1 du code de la sécurité intérieure n'ont toujours pas été prises. De fait, le projet de PNR maritime est resté lettre morte, tant et si bien que plusieurs personnes entendues par la commission d'enquête ont appelé à son instauration, sans mentionner le cadre existant.

À l'instar des données collectées auprès des passagers aériens, ce PNR maritime permettrait d'identifier les personnes à bord du navire ainsi que les itinéraires empruntés. Surtout, ces données pourraient être utilisées pour cibler des navires et des passagers mais aussi pour procéder à un criblage automatique, aux fins de lutte contre le trafic de stupéfiants. Le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale a appelé à confier ce PNR à l'Agence nationale des données de voyage (ANDV)690(*), qui est chargée de la conception, de la mise en place et de l'amélioration des dispositifs de collecte et d'exploitation des données de voyage dans les transports aériens, maritimes et terrestres, au départ ou à destination de la France. Service à compétence nationale rattaché au ministère de l'intérieur et des outre-mer, l'ANDV traite également les demandes des autorités compétentes pour effectuer une évaluation des passagers avant leur arrivée, sur la base de critères de risque, pour les besoins d'enquêtes ou de poursuites ainsi que pour les besoins de l'élaboration de critères d'évaluation des risques.

3. Développer l'analyse de situation de surface

La direction nationale garde-côtes des douanes (DNGCD) constitue le « bras armé » de la douane en matière de lutte contre la fraude et de trafics maritimes. Elle s'appuie pour ce faire sur ses équipements aéromaritimes mais aussi, de plus en plus, sur l'intelligence artificielle. La DNGCD développe notamment des outils d'analyse des situations de surface, qui mobilisent l'intelligence artificielle, et entend créer un centre national d'analyse de situation de surface (Cnass) d'ici au mois de septembre 2024.

Cette expertise doit permettre à la douane d'exploiter des états de situation de surface réalisés par plusieurs vecteurs technologiques (drones à long rayon d'action, radars, satellites) et de croiser ces données avec celles dont elle dispose par ailleurs (géolocalisation et suivi des navires par le système d'identification automatique [AIS], routes maritimes) pour détecter des anomalies.

Le système d'identification automatique

L'Organisation maritime internationale, institution spécialisée des Nations unies, a adopté en 2000 une réglementation imposant à l'ensemble des navires de disposer, à bord, d'un système d'identification automatique (AIS), capable de transmettre automatiquement des informations sur le navire à d'autres navires ainsi qu'aux autorités côtières. L'AIS doit être activé en permanence, sous réserve des exceptions prévues dans le cadre d'accords internationaux ou octroyés par l'État du pavillon.

L'AIS doit pouvoir transmettre des informations sur le navire (identification, nature, position, trajet, vitesse, informations de sécurité), recevoir ces mêmes informations de la part des autres navires ainsi que permettre de suivre et de tracer le navire et d'échanger des données avec les autorités côtières et les infrastructures à terre.

Source : organisation maritime internationale, «  AIS transponders »

Les membres de la commission d'enquête ont pu assister à une démonstration de l'utilité de ce nouvel outil lors de leur déplacement au Havre, dans les locaux de la DNGCD. Il doit permettre de mieux cibler les bateaux et les endroits de projection de l'action de l'État en mer. En phase de rodage, il a vocation à être systématisé, pour passer du ciblage de deux à trois navires à des analyses de masse, en lien avec la Marine nationale. Le projet Anais permettra ainsi de visualiser le trafic maritime en récupérant les données brutes des AIS et d'automatiser la détection de comportements anormaux tels que les rencontres à la mer, les ralentissements ou les changements brutaux de route691(*).

Un exemple d'analyse de situation de surface

En septembre 2023, la DNGCD a repéré un vraquier ayant effectué des mouvements inhabituels - arrêt à Aruba sans chargement ni débarquement, coupure de l'AIS, départ de Curaçao jusqu'à un point situé au milieu de l'Atlantique - ainsi que des caractéristiques de nature à alimenter ce faisceau d'indices - changement récent de propriétaire, bateau portant le même nom que sa compagnie. Le navire a donc été ciblé et une demande a été transmise au MAOC. Il s'est avéré que ce vraquier avait été ciblé par la Drug Enforcement Administration (DEA - États-Unis). Le navire a été arraisonné par l'armée irlandaise, qui y a saisi 2,2 tonnes de cocaïne.

Source : déplacement au Havre de la commission d'enquête

Surtout, et dans la logique de ce que la commission d'enquête porte sur les outre-mer, la DNGCD présente cet outil comme un moyen de « dépasser la logique du bouclier » et de disposer de « capacités d'initiative et d'anticipation ». Il est en effet primordial, et le rapporteur n'aura de cesse de le rappeler, que la lutte contre le narcotrafic passe d'une logique défensive à une logique offensive.

Recommandation n° 12 de la commission d'enquête : mieux suivre et contrôler les flux maritimes et portuaires

· Expérimenter des opérations de contrôles à 100 % sur les conteneurs en provenance de destinations à risque ;

· Accroître les moyens techniques de détection (scanners fixes et mobiles) et les moyens humains (brigades de surveillance extérieure) dans les ports principaux et secondaires, en plus des renforts déjà annoncés ;

· Contribuer à des projets de recherche et de développement de techniques innovantes de détection des stupéfiants, en partenariat avec les laboratoires universitaires et les entreprises ;

· Étudier la faisabilité d'un « bannissement » des compagnies maritimes factices ou servant de façade à des organisations criminelles ;

· Finaliser le cadre réglementaire pour la mise en oeuvre d'un véritable « PNR maritime » ;

· Obtenir un accès accru aux données logistiques et commerciales des opérateurs maritimes et portuaires.

B. GARANTIR LA ROBUSTESSE DES INFRASTRUCTURES

Si la sécurisation des grandes infrastructures portuaires a largement progressé ces deux dernières décennies, notamment sous l'impulsion des États-Unis et dans le cadre de la lutte anti-terroriste692(*), d'importantes marges d'amélioration demeurent. Les enjeux de sûreté portuaire se caractérisent par ailleurs par une sorte de « compétence partagée » des autorités publiques et des exploitants privés des infrastructures.

L'évaluation de la sûreté des installations portuaires

L'évaluation de sûreté des installations portuaires est établie par le représentant de l'État dans le département, le cas échéant avec le concours d'un organisme de sûreté habilité. Elle est approuvée pour une durée de cinq ans maximum. L'évaluation de sûreté recense les menaces identifiées et détermine les mesures permettant de les prévenir.

L'exploitant de l'installation est ensuite responsable de la mise en oeuvre du plan de sûreté de l'installation portuaire, plan mis en place dans un délai de six mois à compter de l'évaluation. Le ministre chargé des transports ou le représentant de l'État dans le département peut toutefois vérifier à tout moment la conformité du plan de sûreté de l'installation portuaire à la réglementation en vigueur ainsi que l'application effective des mesures qu'il contient et le degré de sûreté réellement assuré dans l'installation, au moyen d'un audit, éventuellement inopiné, réalisé par les services de l'État ou par un organisme de sûreté habilité.

Source : section 4 du chapitre II du titre III du livre III de la cinquième partie de la partie réglementaire du code des transports

Étonnée que le futur plan de lutte contre les stupéfiants se contente d'appeler à renforcer les actions dans les ports maritimes métropolitains et ultramarins, la commission d'enquête propose plusieurs mesures précises pour concrétiser cet engagement et assurer la résilience des infrastructures portuaires.

1. « Étanchéiser » les zones portuaires
a) Mieux contrôler les personnels intervenant dans les zones portuaires

Les préfets disposent d'un outil puissant pour étanchéiser les installations portuaires : la classification en zones d'accès restreint (ZAR).

Les zones d'accès restreint

Le représentant de l'État dans le département peut par arrêté créer une ou plusieurs zones à accès restreint (ZAR) dans toute installation portuaire, après avis de l'exploitant de l'installation et de l'autorité portuaire et des services de l'État territorialement compétents qui concourent à la sûreté portuaire. Il revient au représentant de l'État d'arrêter, pour chaque ZAR, les conditions particulières d'accès, de circulation et de stationnement des personnes, de leurs bagages, des véhicules et des marchandises ainsi que les modalités de signalisation correspondantes. L'arrêté fixe également le taux de contrôle applicable à chaque catégorie de personnel ayant accès à la ZAR.

Dans une ZAR, la circulation des personnes est subordonnée à la détention d'un document d'identité et d'un titre de circulation ; celle des véhicules à la détention d'un laissez-passer (à l'exception des véhicules sérigraphiés utilisés par la police, la gendarmerie et la douane) ; celle des colis et marchandises à la détention d'un justificatif d'accès ou de transit.

Les personnes, véhicules, unités de transport intermodal, marchandises, bagages, colis et autres biens pénétrant ou se trouvant dans une ZAR sont soumis à inspection-filtrage. Les espaces et locaux situés dans une ZAR font quant à eux l'objet d'une surveillance, à l'exception des locaux d'habitation, privés et syndicaux.

Source : section 5 du chapitre II du titre III du livre III de la cinquième partie des parties législative et réglementaire du code des transports

Au Havre, les magistrats de la Jirs de Lille estiment qu'au regard des vulnérabilités portuaires, la classification en zone d'accès restreint doit être étendue693(*). Plus généralement, de telles zones doivent être mises en place dans l'ensemble des infrastructures portuaires principales et secondaires de France, en parallèle du déploiement de la vidéosurveillance et du contrôle des accès. Les endroits les plus sensibles, au moment du déchargement des conteneurs par exemple, doivent pouvoir être visibles et surveillés, pour identifier les tentatives de rip-off (sacs de stupéfiants « arrachés » des conteneurs à l'arrivée).

La question des badges est elle aussi très sensible : un badge est un droit d'accès, un droit à ne plus « être contrôlé » une fois l'enceinte du port pénétrée. De fait, de nombreux personnels sont approchés par des organisations criminelles qui souhaitent obtenir ce sésame. Le système technologique a été renforcé au Havre, mais pas encore dans tous les ports, et aucun dispositif biométrique n'a été mis en place - à l'exception de quelques locaux très sensibles. Le déploiement de badges sécurisés, robustes au prisme des standards de l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (Anssi) est une priorité pour l'ensemble des enceintes portuaires, avec une modulation des droits d'accès de ces badges en fonction des missions de chacun des intervenants sur la plateforme portuaire.

Dans le cadre des audits menés par la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) sur les dispositifs de sûreté des ports, les badges, la vidéosurveillance et les formations font partie des problématiques les plus fréquentes. La douane est désormais associée à ces audits portuaires, dans l'objectif de disposer d'un regard un peu plus orienté sur la lutte contre les trafics.

Par ailleurs, au regard de l'ensemble des éléments évoqués précédemment, la commission d'enquête soutient également le criblage des personnes amenées à intervenir sur le port, avec la réalisation systématique d'enquêtes administratives de sécurité, préalable à l'octroi d'une autorisation pour accéder aux installations portuaires sensibles. La commission interministérielle de sûreté maritime et portuaire (Cismap) a défendu cette même recommandation, les enquêtes étant confiées au service national des enquêtes administratives de sécurité (Sneas). Si la recommandation de la Cismap est désormais suivie d'effets dans la totalité ou presque des installations portuaires avec une activité « conteneurs » et pour les habilitations à accéder aux ZAR, les enquêtes pourraient être actualisées chaque année et concerner autant les personnels permanents que les personnels temporaires, les personnels publics que les personnels privés694(*).

La prévention et la lutte contre la corruption, abordées un peu plus en amont par le rapporteur, sont bien entendu également cruciales pour sécuriser les infrastructures portuaires. Au-delà de la corruption, il s'agit également de continuer à diffuser une « culture de la sûreté » : il n'est pas acceptable que les douaniers ne puissent pas cibler un conteneur sans que l'ensemble des salariés intervenant sur le port ne soient prévenus (klaxon, téléphone) ou ne puissent plus procéder à des livraisons surveillées depuis le port, faute de disposer des garanties nécessaires quant à la confidentialité des opérations.

Enfin, sur le modèle de la Belgique, il pourrait être envisagé de permettre aux juridictions de prononcer une peine complémentaire d'interdiction de paraître dans les enceintes portuaires. Depuis 2021, 86 interdictions ont été prononcées par les juridictions belges, pour des durées allant jusqu'à 20 ans695(*).

b) Remédier aux failles du système « TCT »

Un système original a été mis en place dans le port du Havre pour limiter les récupérations de conteneurs par les organisations criminelles : le Token code for trucker (TCT), effectif depuis le 1er mars 2023. Ce code est généré automatiquement au moment où le donneur d'ordre (le responsable de l'acheminement routier de la marchandise) demande une autorisation de sortie, le code étant ensuite transmis par le donneur d'ordre au transporteur. Ce dernier doit ensuite le donner à la porte du terminal pour pouvoir y avoir accès. Ce système s'ajoute à la « procédure rendez-vous », qui exige des transporteurs d'avoir préalablement réservé un créneau de chargement sur le terminal pour chaque conteneur qu'ils viennent récupérer.

Si le système TCT participe indéniablement de la sécurisation de l'infrastructure portuaire du Havre, il n'est pas exempt de failles :

· les donneurs d'ordre (c'est-à-dire l'entreprise propriétaire de la marchandise ou qui gère l'acheminement du conteneur) doivent être sensibilisés aux enjeux de sécurité et à la raison d'être du TCT. Certains donneurs d'ordre utilisaient par exemple des alias d'adresses électroniques : le code d'identification, unique et confidentiel, était alors envoyé à des centaines de personnes ;

· les narcotrafiquants obtiennent frauduleusement le numéro unique du conteneur qui transporte les produits, le TCT étant associé au numéro d'immatriculation du conteneur. Les récupérateurs usurpent ensuite l'identité de la société destinataire pour faire sortir le conteneur de l'enceinte portuaire.

Pour autant, les personnes rencontrées par la commission d'enquête dans le cadre de son déplacement au Havre ont toutes souligné l'apport que constitue le système TCT, qui devrait donc pouvoir être généralisé sur l'ensemble des procédures portuaires, une fois que leurs enceintes auront été sécurisées.

Ce système a permis de contrecarrer une pratique très usitée des récupérateurs, à savoir surveiller le statut logistique et douanier des marchandises auxquelles sont mêlés les produits stupéfiants - via le Container Tracking & Ports (public) ou des complicités internes - et, dès que le conteneur a obtenu tous les feux verts nécessaires à sa sortie, se présenter sur le terminal pour récupérer le conteneur en lieu et place du transporteur missionné à cet effet. Une prochaine étape, mais qui rejoint la problématique évoquée sur les badges, serait d'associer la biométrie à ce code, à l'instar du modèle adopté sur le port d'Anvers, avec l'Alfapass.

c) Brider et débrider les drones

Il arrive de plus en plus que des drones soient utilisés par des organisations criminelles et par les récupérateurs des produits stupéfiants pour surveiller le port, l'arrivée des marchandises, les flux de personnels et l'action des douaniers, et s'assurer par exemple qu'aucun dispositif de surveillance n'a été mis en place. Pour remédier à cette fragilité, la commission d'enquête propose qu'il soit possible de brider les drones au-dessus des ports, à l'instar de ce qui est prévu pour le survol des établissements pénitentiaires.

Une problématique quasiment inverse se pose pour l'utilisation des drones dont dispose la DNGCD, dans le cadre de son centre d'expertise. Ces drones peuvent être utilisés pour surveiller les plateformes portuaires (mouvements suspects d'individus et de marchandises, signature thermique des conteneurs et des navires, activités de contrebande). Ainsi que l'a expliqué la DNGCD à la commission d'enquête696(*), la réglementation impose cependant qu'un arrêté préfectoral autorise la DNGCD à capter des images avec ses drones. Or, les arrêtés sont par définition publics et les organisations criminelles peuvent facilement en prendre connaissance et connaître des modalités de déploiement des drones. Des ajustements sur leur contenu pourraient être étudiés.

2. Faciliter le signalement des comportements suspects dans les ports

La sûreté portuaire implique une vigilance constante de l'ensemble des acteurs amenés à intervenir dans ce type d'infrastructures, que ces acteurs soient publics (membres des forces de l'ordre, douaniers) ou privés (exploitant du port, dockers, intermédiaires et intervenants ponctuels). Ainsi que l'a rappelé le rapporteur, ces personnels constituent autant de points de compromission pour les organisations criminelles. Les milliers de personnes habilitées à intervenir sur un port peuvent donc faire face à des tentatives de corruption ou à des menaces. Par leur positionnement, elles peuvent également repérer des comportements suspects.

La mise en place d'un numéro ou d'une plateforme dédié(e) pourrait permettre de recueillir ces signalements, quitte à les anonymiser, afin de :

· pouvoir protéger les personnes ayant fait l'objet de menaces ou d'une tentative de corruption ;

· lancer des enquêtes judiciaires ou exploiter les informations en renseignement. Les signalements pourraient par exemple être exploités et enrichis dans le cadre de la cellule de renseignement opérationnel sur les stupéfiants spécifiquement dédiée au portuaire (Cross portuaire), mise en place au mois de septembre 2021 ;

· participer au ciblage des contrôles douaniers.

La commission d'enquête soutient donc la mise en place d'un point de contact, en dépit de l'expérience décevante observée au Havre. Le numéro mis en place auprès de la police n'avait en effet reçu aucun signalement, alors même que plusieurs personnels portuaires ont fait l'objet de tentatives de corruption, de menaces voire de violences. La lutte contre le narcotrafic et la sécurité des personnels doivent véritablement devenir la priorité de tous : aucun « filtre » ne doit conduire à limiter ces signalements, dont la commission d'enquête a appris qu'ils étaient parfois soumis en amont à certaines organisations professionnelles.

L'expérience doit être retentée, mais cette fois-ci au niveau national - pour couvrir l'ensemble des ports métropolitains et ultramarins - et en élargissant les publics cibles, pour que quiconque ayant constaté des comportements suspects sur le port ou aux alentours du port puisse en référer au point de contact. Ce système permettrait d'harmoniser les différentes initiatives de procédures d'alerte locales déployées depuis le second semestre 2021 et encore mal connues ou peu utilisées.

Un système proche existe depuis le mois de mars 2024 en Belgique : le point de contact national Portwatch permet de signaler anonymement des activités suspectes dans un port, informations ensuite accessibles à la police judiciaire. Si le point de contact est ouvert à l'ensemble de la population, il vise en priorité les personnels de l'infrastructure portuaire.

Les Pays-Bas ont adopté une logique inverse, avec la mise en place en 2021 d'un dispositif permettant aux forces de l'ordre de signaler aux entreprises portuaires leurs suspicions quant à la corruption d'un agent portuaire. Un nombre non négligeable de signalements ont été transmis en 2021 et 2022 et ont tous été suivis du licenciement de l'agent portuaire concerné.

3. S'assurer de la résilience cyber des infrastructures portuaires

La cybersécurité a été pleinement intégrée à la stratégie nationale portuaire validée lors du comité interministériel de la mer du 22 janvier 2021, dont l'objectif stratégique n° 15 vise à « Assurer la résilience numérique des ports ». La transformation numérique des ports (digitalisation des flux logistiques, développement de services digitaux) a en effet augmenté l'exposition des acteurs portuaires aux cybermenaces. L'Agence de l'Union européenne pour la cybersécurité (Enisa) a recensé dix catégories d'impact possible pour les ports :

· l'arrêt des opérations ;

· une blessure ou un décès humains, un enlèvement ;

· le vol de données sensibles et critiques ;

· le vol de marchandises ;

· le trafic illégal ;

· les pertes et les coûts financiers ;

· la fraude et le vol d'argent ;

· les dommages ou destruction des systèmes ;

· la réputation ternie et la perte de compétitivité ;

· une catastrophe environnementale.

Les grands ports maritimes français relèvent de la catégorie des opérateurs de services essentiels (OSE) et, à ce titre, ils ont l'obligation d'identifier leurs systèmes d'information essentiels, de leur appliquer des mesures spécifiques de sécurité et de signaler à l'Anssi tous les incidents constatés. Lors de son audition, Didier Lallement, secrétaire général de la mer, a ainsi expliqué qu'il avait été demandé à tous les opérateurs portuaires de « durcir leur dispositif informatique », qui doit « pouvoir résister aux pénétrations des trafiquants, qui leur permettent ensuite d'aller se servir directement dans le port »697(*).

La commission d'enquête appelle à ce qu'un pas supplémentaire soit franchi et à ce que des tests de résilience soient menés par les exploitants portuaires en partenariat avec les services de l'État concernés et l'Anssi. Ces tests permettraient aux exploitants d'identifier les failles de leur dispositif d'autant que, comme le soulignait la DGITM, il y a aujourd'hui un manque de culture numérique dans l'écosystème portuaire et un manque de sensibilisation et de formation concernant la cybersécurité698(*). Identifier les fragilités des infrastructures pourrait provoquer une « prise de conscience » et l'adoption par les exploitants des bonnes pratiques récemment identifiées et reprises dans un guide publié au mois de février 2024, en réponse à l'objectif n° 15 de la stratégie nationale portuaire.

Cette robustesse cyber doit se doubler d'une robustesse physique, s'agissant notamment des systèmes d'accès aux salles serveurs. Le déploiement de dispositifs biométriques apparaît plus que justifié pour ces locaux.

Par ailleurs, outre cet objectif « macro », la commission d'enquête soutient l'approche « micro » du secrétariat général de la mer pour assurer une meilleure traçabilité des accès aux applications de gestion des mouvements de conteneurs portuaires. C'est absolument essentiel d'abord dans un objectif de sécurité, mais aussi pour déceler d'éventuelles complicités internes.

La gestion des habilitations aux applicatifs et la traçabilité des connexions, qu'elles concernent les fichiers de police ou les systèmes d'information portuaires, devraient constituer le corollaire de ces fichiers et traitements ; le rapporteur ne peut que déplorer les progrès qu'il reste encore à accomplir dans ce domaine.

4. Harmoniser « par le haut » les niveaux de contrôle dans les infrastructures portuaires des pays européens les plus exposés
a) Jouer le jeu de l'alliance européenne des ports en intégrant également les acteurs privés
(1) Éviter le dilemme du prisonnier

Comme le rapporteur l'a rappelé, la façade portuaire du nord de l'Europe constitue l'épicentre du marché de la cocaïne en Europe. Ainsi, 80 % de la cocaïne entrant à Anvers ne ferait qu'y transiter pour ensuite être acheminée vers les Pays-Bas, où elle est conditionnée, puis envoyée partout en Europe699(*). En 2023, 205 tonnes de cocaïne ont été saisies à Anvers ou en amont dans des cargaisons à destination du port belge.

Or, seul un niveau de contrôle et de sécurité harmonisé peut permettre d'allier les deux objectifs d'apparence contradictoire que sont, d'une part, la concurrence économique loyale que peuvent se livrer les ports européens et, d'autre part, la protection de l'Europe contre les stupéfiants et contre les stratégies de contournement des narcotrafiquants.

Vouloir attirer des logisticiens en vantant le « sens commercial » des services douaniers revient à ouvrir une brèche dans la lutte contre le narcotrafic et crée une compétition délétère au sein de laquelle les ports aux contrôles les plus stricts choisissent d'affaiblir leur dispositif de contrôle pour pouvoir retrouver leur compétitivité économique. Le développement de la coopération européenne, à travers l'Alliance des ports européens, doit justement remédier à ce dilemme ainsi que contrecarrer les stratégies de contournement des organisations criminelles.

Alliance des ports européens - Renforcer la résilience des plateformes logistiques

La Commission européenne a présenté le 18 octobre 2023 sa nouvelle feuille de route sur la lutte contre la criminalité organisée et le trafic de stupéfiants. L'un des quatre domaines prioritaires concerne la nouvelle alliance des ports européens, aux fins de renforcer la résilience des plateformes logistiques.

Ce domaine prioritaire se décline en trois actions :

1° mobiliser la communauté douanière sur la lutte contre le trafic de stupéfiants, en renforçant la coopération avec les autorités de police. La Commission européenne envisage notamment la création d'un groupe de travail auquel participeront des douaniers et experts des États membres qui établira un état des risques et faiblesses douanières et déterminera des critères de ciblage communs pour renforcer la coordination et l'efficacité des contrôles ;

2° renforcer la coordination des opérations répressives dans les ports. L'un des axes consisterait à développer deux réseaux de laboratoires qui viendraient seconder la police et les douanes dans leurs investigations ;

3° renforcer le partenariat entre les acteurs publics et privés dans la lutte contre le trafic de stupéfiants et l'infiltration des ports par les réseaux criminels.

Source : documents transmis à la commission d'enquête700(*)

À titre d'exemple, s'il est difficile à l'heure actuelle, faute de recul suffisant, d'interpréter la baisse significative des saisies constatées à Rotterdam en 2022 (- 35 % par rapport à 2021), l'un des facteurs d'explication pourrait être le très fort renforcement des contrôles mis en place par les autorités néerlandaises. Cette incertitude doit appeler les voisins des Pays-Bas à la plus grande vigilance : à l'image de ce qui a été constaté sur le vecteur aérien après la mise en place des contrôles à 100 % sur les vols en provenance du Suriname, les organisations criminelles pourraient se reporter encore davantage vers les autres plateformes portuaires. La Suède a notamment justifié son investissement dans l'alliance européenne par le constat que davantage de produits stupéfiants commençaient à arriver au port de Helsingborg.

Non seulement les stratégies de contrôle doivent être harmonisées, mais les moyens doivent aussi être adaptés en conséquence, en tenant compte également du volume du trafic. À Anvers, les douaniers peuvent compter sur la présence de trois scanners mobiles et de deux scanners fixes et escomptent l'arrivée de cinq nouveaux scanners en 2024, de cinq autres sur la période 2024-2026 et potentiellement de 14 supplémentaires après 2027701(*). L'objectif est de scanner 100 % des conteneurs à risque. La France ne doit pas attendre vingt ans pour suivre cet exemple, comme elle l'a fait pour le vecteur aérien.

Enfin, l'Alliance devrait avoir vocation à être répliquée sur la façade sud de l'Europe : les ports de l'arc méditerranéen (les ports italiens, catalans, grecs...) pourraient en effet constituer de nouveaux points d'arrivée potentiels de produits stupéfiants sur le territoire, pour contourner les mesures mises en place dans les ports du nord de l'Europe. À Marseille, les saisies de cocaïne ont augmenté substantiellement, passant de 0,7 tonne en 2021 à 1,7 tonne en 2022.

À terme, ces réseaux devront travailler de concert pour prévenir tout « report » du narcotrafic et assurer une homogénéité aussi grande que possible des mesures de sécurisation mises en place.

Le garde des sceaux a annoncé lors de son audition que cette initiative pourrait se doubler de la mise en place d'un réseau de procureurs et de juges spécialisés dans la problématique portuaire, avec le soutien d'Eurojust702(*).

(2) Intégrer le secteur privé

La participation du secteur privé à la lutte contre le trafic de la cocaïne par la voie maritime est une condition sine qua non du succès de toute stratégie de sécurisation portuaire.

Comme le rappelle la Commission européenne dans sa communication sur la nouvelle feuille de route de l'Union européenne pour la lutte contre la criminalité organisée, l'initiative dédiée aux ports européens nécessitera « la mise en place d'un partenariat public-privé pour combiner les efforts de lutte contre le trafic de drogue et protéger la logistique, les technologies de l'information, les ressources humaines et les processus opérationnels contre l'infiltration des criminels »703(*). Lors de son audition, Ine Van Wymersch, la commissaire nationale aux drogues de la Belgique, a en effet souligné que cette modalité de coopération permettra un renforcement des échanges entre les secteurs public et privé, l'instauration d'une culture de sécurité partagée et une diffusion des bonnes pratiques704(*).

Il s'agit pour la France de parvenir à répliquer ce qui a été mis en place à l'échelle européenne au niveau national. Des réunions sont régulièrement tenues en présence des autorités préfectorales, maritimes et terrestres ainsi que des acteurs privés pour présenter l'état de la menace, faire un point sur les dispositifs de sûreté maritime, privés et publics (failles, bonnes pratiques), et rappeler les évolutions réglementaires et mesurer les éventuelles difficultés d'application705(*).

La sûreté de ces infrastructures s'apparente à une « compétence partagée » entre l'autorité publique et l'exploitant portuaire, dont il doit être tenu compte à chaque niveau.

b) Élargir la coopération, un impératif

Dans le cadre de l'alliance des ports européens, la Commission européenne annonce qu'elle pourrait, dès 2024-2025, renforcer la coopération internationale en apportant « un soutien supplémentaire pour intégrer davantage les pays tiers »706(*) dans deux des actions de l'alliance, à savoir la mobilisation de la communauté douanière autour de critères et d'analyses de risques communs et le renforcement des opérations répressives.

L'Ofast souligne en effet que les organisations européennes disposent d'émissaires au sein des principaux ports de départ des stupéfiants, ce qui leur permet d'infiltrer les plateformes portuaires et d'y acheter des complicités locales mais aussi de développer leurs « entreprises » en se positionnant au stade de l'expédition707(*).

C'est aussi ce qui explique que, lors de son audition, Ine Van Wymersch ait déclaré que les ports européens membres de l'Alliance devront disposer d'interlocuteurs en Amérique latine, avec l'objectif de très long terme d'« instaurer des normes qui soient partout les mêmes »708(*). Une première étape encourageante est la structuration au début de l'année 2024d'une Alliance des ports d'Amérique latine, qui regroupe la Colombie, l'Équateur et le Pérou.

De manière générale, la Belgique est aux avant-postes pour promouvoir une coopération internationale plus performante. Elle souhaite notamment renforcer la coopération judiciaire avec les États du Maghreb et du Moyen-Orient et elle envisagerait ainsi de nouer un accord avec l'Équateur pour échanger des images de conteneurs scannés.

Recommandation n° 13 de la commission d'enquête : garantir la robustesse des infrastructures portuaires

· Protéger l'enceinte portuaire en étendant les emprises portuaires classifiées en zones d'accès restreint, en déployant des badges biométriques et en plaçant sous vidéosurveillance l'ensemble des emprises portuaires ;

· Diffuser une « culture de la sûreté » parmi l'ensemble des personnels portuaires ;

· Systématiser les enquêtes administratives de sécurité pour l'ensemble des personnels portuaires et procéder à une actualisation annuelle ;

· Instaurer un point de contact unique pour signaler des comportements douteux observés dans un port ou aux alentours du port ainsi que des menaces et tentatives de corruption ;

· Brider les drones pour empêcher le survol des infrastructures portuaires ;

· Instaurer des tests de résilience cyber des infrastructures portuaires, en partenariat avec l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (Anssi) ;

· Harmoniser « par le haut » les contrôles douaniers dans les grands ports européens et s'appuyer sur un partenariat public-privé entre les exploitants et les autorités nationales.

C. PRENDRE EN COMPTE LES RISQUES NOUVEAUX QUI PÈSENT SUR LES PORTS SECONDAIRES

1. Entraver les stratégies de déport des narcotrafiquants
a) Sécuriser les ports secondaires

Pour prendre l'exemple des Pays-Bas, qui ont généralement quelques années « d'avance » sur la France dans le domaine du narcotrafic, les autorités craignent un phénomène de « vases communicants » entre le port de Rotterdam et les ports secondaires néerlandais. Si les saisies de cocaïne ont diminué à Rotterdam entre 2022 et 2023, pour se stabiliser autour de 45 tonnes, le volume de cocaïne intercepté dans le port de Vlissingen a été multiplié par plus de quatre, passant de 2,5 tonnes en 2022 à 11 tonnes en 2023. Ce phénomène pourrait déjà se produire en France : alors que les saisies de cocaïne seraient en forte baisse sur le port du Havre en 2023, elles augmenteraient dans des ports comme ceux de Montoir-de-Bretagne.

Les ports secondaires, bien que disposant d'une capacité d'accueil inférieure aux ports principaux, présentent plusieurs avantages pour les organisations criminelles : ils sont alimentés par le transbordement depuis les ports principaux, les enceintes sont parfois moins sécurisées et la liberté de circulation plus importante, facilitant de fait les entrées de personnes non habilitées et les opérations de sortie de marchandises illicites709(*). Dunkerque, Rouen, Montoir-de-Bretagne sont parmi les plus exposés.

Il est temps à cet égard que la douane dispose enfin de scanners camionnettes dans chacun des ports secondaires français métropolitains et ultramarins. Un scanner fixe et trois scanners mobiles constituent des moyens sous-dimensionnés par rapport à l'ampleur du commerce maritime et à celle du trafic de stupéfiants.

Dix scanners devraient être déployés d'ici 2025, après obtention d'un cofinancement européen de 15 millions d'euros : deux à Dunkerque, un au Havre, un à Gennevilliers, un à Saint-Nazaire, un à Sète, un à Marseille, un à Fort-de-France, un à Jarry et un à Dégrad des Cannes. Au regard du rapport entre le coût d'un appareil et son efficacité en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, rapporté plus globalement au nombre de conteneurs qui transitent chaque année dans les ports, la commission d'enquête peine à comprendre que le Gouvernement ait mis aussi longtemps à débloquer les fonds nécessaires pour la douane. La Commission européenne s'est montrée plus réactive et plus crédible quant à sa volonté de rehausser la robustesse des infrastructures portuaires face au trafic de stupéfiants. Selon les informations transmises par le secrétariat général de la mer, les zones de contrôle dédiées aux conteneurs devraient en conséquence être créées dans les ports d'ici à la fin de l'année 2024710(*).

Port secondaire, le port de Marseille dispose d'un scanner mobile et devrait bientôt bénéficier d'une nouvelle camionnette-scanner. Il apparaît donc plutôt bien doté par rapport aux autres ports français mais cela demeure insuffisant, alors que la juridiction interrégionale spéciale de Marseille a attiré plusieurs fois l'attention sur l'absence de stratégie consolidée quant à la lutte contre le trafic de stupéfiants, avec des mesures de sécurisation encore en déploiement.

Les mesures de sécurisation défendues par la commission d'enquête doivent enfin être pleinement appliquées dans les ports secondaires français, ce qui suppose également de leur octroyer des moyens supplémentaires. Le scan à 100 % des conteneurs à risque doit devenir une réalité dans l'ensemble des ports principaux et secondaires.

b) Doter les services compétents de moyens suffisants pour couvrir les ports secondaires

Alors que les ports secondaires deviennent un enjeu de premier ordre pour entraver les narcotrafiquants, la douane doit accompagner le déploiement de moyens techniques du renforcement de ses effectifs. Le port de Dunkerque, de plus en plus visé par les organisations criminelles et quasiment considéré comme un « port principal » au regard de sa localisation et des risques qui pèsent sur son détournement, ne dispose par exemple pas de sa propre brigade de surveillance extérieure des navires.

Le ministre chargé des comptes publics, Thomas Cazenave, n'a annoncé qu'au mois de décembre 2023 qu'une brigade de surveillance de 24 douaniers serait créée en 2024 à Dunkerque. La commission d'enquête s'en félicite mais s'interroge une nouvelle fois sur l'approche du Gouvernement français, de toujours courir après les narcotrafiquants : pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour créer cette brigade alors que les magistrats et les services d'enquête alertent sur la situation depuis plusieurs années ? Avec le temps nécessaire au recrutement et à la formation des effectifs, s'agissant d'opérations complexes, la brigade ne sera sans doute pas pleinement opérationnelle avant la fin de l'année 2024.

Par ailleurs, le Gouvernement n'a rien dit des moyens alloués aux autres ports secondaires ; peut-être faudra-il attendre, pour ces derniers, que les saisies de produits stupéfiants dépassent un certain volume...

c) Soutenir la coopération judiciaire et l'échange d'informations

Le constat porté sur le port de Marseille par la Jirs a incité le parquet général d'Aix-en-Provence à créer en 2022 une instance de coordination, en lien avec les parquets généraux de Montpellier et de Paris. Le bureau de liaison, qui en constitue la déclinaison opérationnelle, est piloté par la Jirs de Marseille, avec l'objectif de renforcer le partage et l'exploitation des renseignements entre les services spécialisés et de maintenir les échanges sur les procédures en cours entre les acteurs judiciaires concernés. À Marseille, cela s'est doublé d'un investissement spécifique de la DNRED, qui a adopté une démarche proactive auprès de la Jirs pour exploiter les éléments recueillis dans le cadre d'enquêtes judiciaires mais ne se traduisant pas par une réponse pénale. L'un des objectifs est de pouvoir vérifier les éventuels soupçons de complicité interne au milieu portuaire711(*).

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L'instance de coordination méditerranéenne réplique celle mise en place sur la façade nord dès 2016. Le bureau de liaison du Havre se réunit deux fois par an et associe le parquet du Havre ainsi que les parquets Jirs de Lille, de Paris, de Fort-de-France et de Rennes. Il avait par exemple permis d'alerter en 2019 sur un trafic de badges des dockers pour permettre l'accès au port et le démarrage des engins destinés à déplacer les conteneurs, mais aussi sur la complicité des transporteurs et des chauffeurs.

Pour tenir compte des stratégies de report vers les plus petits ports, en plus des ports secondaires, le procureur général près la cour d'appel de Bordeaux a demandé au mois de février 2023 à ce qu'une instance de coordination soit également créée pour couvrir l'arc Atlantique. Lancée le 27 octobre 2023, elle est composée des parquets généraux de Bordeaux, Rennes, Pau et Poitiers, des parquets disposant d'un ressort sur la façade atlantique et des parquets Jirs de Bordeaux et de Rennes.

Enfin, un bureau de liaison pourrait être créé pour le port de Fort-de-France712(*), dont l'extension à venir suscite de fortes inquiétudes au regard de l'incomplétude des mesures de sûreté-sécurité.

2. Anticiper les reports modaux

Hormis les ports secondaires, il convient d'anticiper et de se préparer à l'ensemble des stratégies de contournement et de déport que pourront mettre en place les organisations criminelles. Pour citer l'ancien directeur national du renseignement et des enquêtes douanières, Florian Colas, il faut être « lucides, les narcotrafiquants trouveront d'autres moyens, ils sont déjà en train de s'y atteler »713(*).

Ils pourront accroître leur recours au drop-off - c'est-à-dire au largage de ballots de produits stupéfiants en pleine mer, ensuite géolocalisés et récupérés par des marins ou par des navires de plaisance - mais aussi se tourner vers les centaines de petits ports de plaisance français ou encore vers les petits aérodromes.

Au cours du premier semestre 2023, 2,2 tonnes de cocaïne ont été récupérées sur les côtes bretonnes et normandes, sur des « ancres flottantes » équipées de balises GPS714(*). En parallèle, des saisies de plusieurs centaines de kilogrammes de cocaïne ont eu lieu dans les ports de Lorient et de Montoir-de-Bretagne mais aussi sur des voiliers de plaisance en Amérique du Sud715(*). Ces vecteurs doivent pouvoir faire l'objet d'une vigilance particulière, que ce soit par les forces de sécurité, les douaniers ou encore dans le cadre des Cross, dédiées aux échanges de renseignements.

Il faut, enfin, arrêter d'être en réaction mais pouvoir anticiper et prévenir. Les développements consacrés ci-avant, en première partie, aux modes alternatifs de transport des stupéfiants, notamment par voie aérienne, doivent être pris en compte dès maintenant comme des hypothèses crédibles qu'il conviendra, à terme, d'entraver : il ne faut pas attendre que, face à une porte fermée, les narcotrafiquants trouvent une fenêtre pour sécuriser l'ensemble de l'édifice, et une réflexion prospective sur les voies de report possibles ou probables devra à l'avenir être menée en parallèle de toute initiative de rehaussement des contrôles ou des obstacles au trafic.

Au titre des pistes d'avenir, la commission d'enquête appelle également à une meilleure prise en compte des flux de stupéfiants partant de l'Europe, désormais productrice de drogues de synthèse destinées au monde entier. Lors de leur déplacement sur le port d'Anvers-Zeebruges, le président et le rapporteur ont ainsi pris connaissance de l'existence, évoquée par la police fédérale, d'exports de telles drogues depuis la Belgique vers l'Australie - ces flux étant longtemps passés inaperçus dans la mesure où l'export n'est pas contrôlé : ce constat impose une réaction rapide pour éviter que, après avoir été noyé sous des stupéfiants produits à l'étranger, l'Hexagone ne devienne lui-même une « zone de rebond » pour l'expédition de nouvelles drogues à l'autre bout de la planète.

Recommandation n° 14 de la commission d'enquête : entraver les stratégies de déport des narcotrafiquants sur les ports secondaires

· Accroître les moyens techniques de détection (scanners fixes et mobiles) et les moyens humains (brigades de surveillance extérieure) dans les ports principaux et secondaires, en plus des renforts déjà annoncés ;

· Sécuriser les infrastructures portuaires secondaires ;

· Anticiper les reports modaux.

IV. REMETTRE À NIVEAU LES MOYENS D'ACTION DES SERVICES RÉPRESSIFS

Si la France est menacée de submersion par le narcotrafic, c'est en partie dû à la dramatique dissymétrie de moyens entre les trafiquants et les services répressifs. Pour éviter le basculement, il faut donc mettre fin à ce déséquilibre en donnant à nouveau à tous les acteurs de la lutte les moyens d'agir.

A. TRANSFORMER L'OFAST EN PROFONDEUR : VERS UNE « DEA À LA FRANÇAISE »

La commission d'enquête a mis en évidence les fragilités dont souffre l'Ofast dans son rôle de chef de file de la lutte contre le narcotrafic. Elle propose donc une série de mesures destinées à lui donner une véritable position d'animation du réseau des services répressifs. Si l'Ofast a l'ambition d'impliquer l'ensemble des acteurs de la lutte contre le trafic de stupéfiants, il faut lui en donner les moyens opérationnels et institutionnels.

1. Améliorer la coordination entre les antennes de l'Ofast

La commission d'enquête a mis en évidence des problèmes préoccupants de coordination entre certaines antennes de l'Ofast, en particulier aux Antilles, dont les magistrats se sont fait l'écho716(*). De telles difficultés ne peuvent qu'affaiblir le rôle de l'Ofast en tant que coordinateur des services douaniers et policiers de la lutte contre le trafic.

La coordination entre les antennes d'une part, et entre celles-ci et le siège central de l'autre, est d'autant plus cruciale que la mobilité géographique des trafiquants et des flux s'est considérablement accrue, avec des circulations criminelles entre des départements parfois très éloignés. La Bourgogne est l'une des illustrations les plus frappantes de ce phénomène : au Creusot, un réseau dont les têtes étaient parisiennes a été démantelé ; à Dijon, les « Marseillais » ont tenté de récupérer un point de deal717(*). Or la coopération entre le territoire d'origine et le territoire d'implantation est indispensable pour mieux comprendre ces phénomènes, comme les méthodes particulières des Marseillais : salaires plus élevés, mais répression très violente en cas de « défaillance » (défection, « carottage », etc.).

2. Garantir la qualité des recrutements et l'incorruptibilité des agents de l'Ofast

Le président et le rapporteur ont appris, lors de la visite au siège de l'Ofast, que l'Office ne maîtrisait pas entièrement ses recrutements. Pour exercer son rôle de chef de file, l'Ofast ne peut faire l'économie d'une politique de gestion des ressources humaines en propre.

La visite du président et du rapporteur à l'Ofast a également montré que l'Office n'était pas mieux équipé pour détecter les consultations anormales de fichiers. Ce point est paradoxal au vu de la saillance du phénomène d'utilisation abusive de fichiers de police au service des trafiquants, décrit dans ce rapport comme un phénomène en forte augmentation718(*). C'est l'un des éléments de la corruption dite de « basse intensité » qui affaiblit la réponse policière et sape le rapport des citoyens à l'État. Il est inconcevable que l'Ofast ne soit pas en mesure de détecter les consultations anormales de fichiers : il devrait, tout à l'inverse, être prioritaire dans le déploiement d'outils permettant une telle détection.

Les agents de l'Ofast sont les plus exposés au risque de corruption par les trafiquants, en particulier pour la consultation de fichiers comme le système d'immatriculation des véhicules (SIV) ou le fichier des objets et des véhicules signalés (FOVeS). Ils devraient donc faire l'objet des contrôles les plus rigoureux, qui sont autant de protections.

3. Renforcer le chef de filat de l'Ofast : l'interministériel XXL

Les travaux de la commission d'enquête - auditions, déplacements de terrain, communications écrites reçues des acteurs de la lutte contre le narcotrafic - l'ont convaincue que le positionnement institutionnel de l'Ofast en tant que service central rattaché à la direction nationale de la police judiciaire n'était pas le bon, comme la deuxième partie de ce rapport l'a exposé719(*).

La commission d'enquête propose donc un double rattachement de l'Ofast au ministère de l'intérieur et à celui de l'économie et des finances, ce statut lui apparaissant comme le seul à même de permettre à l'Ofast d'assumer sa mission de chef de file et de lui donner autorité sur l'ensemble des parties prenantes. Un tel positionnement facilitera également une convergence de l'approche financière et de l'approche criminelle, qui doivent être mises en oeuvre simultanément pour une action efficace contre le narcotrafic.

À la faveur de cette évolution, un rapprochement entre l'Ofast et la mission de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) et l'Ofast pourrait être envisagé. Rattachée au Premier ministre depuis 2008, la Mildeca a pour objet, ainsi que son président, Nicolas Prisse, l'a exposé lors de son audition par la commission d'enquête, de « coordonner l'action publique en mobilisant l'ensemble de ses leviers et en facilitant leur articulation, depuis les sujets les plus régaliens jusqu'à l'accompagnement des personnes et la réduction des risques et des dommages »720(*). Une part de son action a donc partie liée à la répression du trafic de stupéfiants.

La Mildeca est, en outre, l'opérateur du fonds de concours « Drogue » alimenté par les saisies et confiscations des avoirs criminels, et finance à ce titre de nombreuses actions au bénéfice des forces opérationnelles - comme l'installation de deux radars dans la zone Antilles-Guyane721(*). Un rapprochement entre les deux organismes donnerait à l'Ofast des potentialités nouvelles, à la fois en enrichissant l'expertise de son pôle « stratégie » et en donnant à l'Office une maîtrise des actions financées par le fonds de concours - cette maîtrise financière étant un puissant levier d'affirmation de son autorité et un gage de prise en compte des enjeux qu'elle identifie comme prioritaires dans le cadre de sa mission d'analyse de la menace.

L'Ofast conserverait ainsi la pluralité de missions qui est au coeur de son ADN et qui empêche qu'il devienne un service hors-sol, détaché de l'opérationnel et du terrain : il demeurerait compétent en matière de stratégie, d'enquêtes judiciaires sur le « haut du spectre » et de renseignement.

Ce nouveau positionnement n'aurait pas de sens s'il n'était pas adossé à des mesures concrètes d'affirmation du rôle de l'Office en tant que chef de file. Ainsi renforcé, l'Ofast devra :

· bénéficier d'effectifs complémentaires pour mener à bien l'ensemble de ses missions : concrètement, il conviendra qu'il dispose d'une direction technique autonome lui permettant de maîtriser le déploiement de ses moyens judiciaires et de renseignement (TSE et TRR) et de cesser d'être tributaire du Siat ;

· professionnaliser et renforcer son pôle « renseignement », lui permettant de dialoguer d'égal à égal avec les services du premier cercle, y compris une DGSI réinvestie dans la lutte contre le narcotrafic ;

· être recentré sur son « coeur de métier », étant rappelé que ce périmètre n'inclut ni la rédaction de notes d'actualité pour les cabinets ministériels, ni la gestion des flagrants délits ;

· surtout, être renforcé dans son positionnement institutionnel, ce qui implique, d'une part, qu'il soit doté d'un véritable pouvoir d'évocation lui permettant de « récupérer » les enquêtes les plus complexes ou les plus sensibles et, d'autre part, qu'il soit systématiquement saisi ou co-saisi des dossiers gérés par les Jirs et par le futur Parquet national antistupéfiants, dont il sera l'interlocuteur naturel.

Recommandation n° 15 de la commission d'enquête : consolider l'Ofast et en faire une véritable « DEA à la française »

· Formaliser la coordination et la circulation du renseignement entre les différentes antennes de l'Ofast, notamment à travers les Cross qui y sont rattachées ;

· Donner à l'Ofast le contrôle de sa politique de ressources humaines ;

· Doter l'Ofast d'un algorithme de détection des consultations anormales de fichiers ;

· Placer l'Ofast sous la double tutelle du ministère de l'intérieur et des outre-mer et du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté numérique et lui donner l'autorité requise pour qu'il assume pleinement son rôle de « chef de file », avec notamment un pouvoir d'évocation ;

· Envisager un rapprochement entre l'Ofast et la Mildeca sur l'aspect stratégique et sur la maîtrise de l'emploi des deniers du fonds de concours « Drogues » ;

· Doter l'Ofast des moyens techniques et humains nécessaires pour bénéficier d'une véritable autonomie d'action et de décision.

B. INSTAURER UN VÉRITABLE « PLAN D'URGENCE » DES MOYENS POUR LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC

La commission d'enquête a acquis la conviction, amplement documentée dans ce rapport, qu'en matière de lutte contre le narcotrafic, la France n'est pas encore passée à l'échelle. Avec des services répressifs débordés et une justice embolisée face à des narcotrafiquants dont les moyens sont infinis, la partie est terriblement inégale. Isabelle Couderc, vice-présidente chargée de la coordination de la section Jirs « criminalité organisée » au tribunal judiciaire de Marseille, ne disait pas autre chose en déclarant devant la commission d'enquête : « Je crains que nous ne soyons en train de perdre la guerre contre les trafiquants à Marseille »722(*).

Le garde des sceaux a choisi de répondre à ces propos par un courroux déplacé et une grave mise en cause723(*), publiquement assumée724(*), des magistrats.

La commission d'enquête pense au contraire que la seule réponse possible à l'inquiétude légitime des magistrats est de renforcer massivement les moyens policiers et judiciaires contre le narcotrafic, dans le cadre d'un véritable plan d'urgence.

1. Renforcer la police judiciaire comme la sécurité publique : « taper plus haut » et occuper le terrain

Dans les zones rurales et les petites villes touchées par le narcotrafic, la priorité est de renforcer les effectifs de police judiciaire comme de sécurité publique. Au cours de ses déplacements de terrain, la commission d'enquête a entendu à de nombreuses reprises les forces de police et de gendarmerie dire leur frustration de ne pas pouvoir remonter les filières, faute de moyens humains, et de devoir se contenter de « taper bas » pour obtenir une réponse pénale immédiate725(*). Cette frustration est à la hauteur de leur engagement : il est du devoir de l'État d'honorer le sien, qui est de leur donner les moyens de lutter. Ces moyens incluent également des équipements informatiques dignes de ce nom.

La réponse policière se joue aussi dans l'occupation de la voie publique, au moment crucial où un point de deal commence à s'implanter : il faut alors une présence renforcée que les forces locales n'ont pas nécessairement les moyens d'assurer.

Une telle présence se joue notamment dans une capacité rapide de déploiement de moyens de police judiciaire, les enquêtes approfondies étant, comme on l'a vu, le seul moyen de porter un coup décisif aux réseaux. Là encore, le manque de moyens humains et techniques est criant. Pour faire face à ce constat, il convient d'aller bien au-delà des mesures ponctuelles que le Gouvernement envisage avec la mise en oeuvre, depuis septembre 2023, d'unités nationales déployables (l'unité d'investigation nationale (UIN) pour la police, et l'unité nationale de police judiciaire (UNPJ) pour la gendarmerie).

D'après les éléments sollicités par la commission d'enquête, celles-ci sont en effet :

· faiblement dotées : en ce qui concerne la gendarmerie, et en dépit d'une cible de 30 effectifs (2 officiers et 28 enquêteurs dont « certains » - leur nombre n'est pas précisé - seront spécialisés dans les domaines de la délinquance financière et de la cybercriminalité), qui ne sera atteinte qu'après les jeux Olympiques, l'effectif réel était seulement, en mars 2024, de 15 personnels ; pour la police, les moyens semblent tout aussi dérisoires, avec une unité de seulement 22 effectifs (un commissaire, chef d'unité, un commandant divisionnaire, deux officiers chefs de groupe et 15 enquêteurs - là encore, la répartition entre officiers et agents de police judiciaire n'est pas précisée - avec un « état-major » comprenant deux secrétaires administratifs et une analyste, soit trois postes qui ne sont pas affectés au terrain) ;

· animées d'une vocation floue : alors que la gendarmerie admet, dans une note adressée au rapporteur, que « la doctrine d'emploi de l'UNPJ est en cours d'élaboration [et] permettra de préciser les conditions de sa saisine, son déploiement, sa constitution, les contentieux pris en compte » (cette absence de doctrine n'ayant pas empêché l'unité d'être plusieurs fois engagée depuis sa création, principalement sur des opérations « place nette » et « Tempête »), la doctrine communiquée au rapporteur par la DGPN reste muette sur la nature des situations ou des infractions qui peuvent donner lieu à la mobilisation de l'UIN726(*). Elle est, en revanche, très claire sur le caractère ponctuel du soutien qu'elle apportera aux forces locales : « La durée d'engagement de l'UIN sur un secteur et un dossier donnés ne peut être que temporaire afin de maintenir la capacité de projection de la force au bénéfice de l'ensemble des services territoriaux. Son engagement dure le temps nécessaire à l'enquête et ne peut s'inscrire dans la phase postérieure aux interpellations. De même, l'UIN n'a pas vocation à assurer la phase de défèrement et de présentation des mis en cause à l'autorité judiciaire » : en d'autres termes, l'unité a vocation à partir partout où elle est appelée, en « pompier », avant même la fin des enquêtes qu'elle aura pourtant contribué à mener à bien.

Cette situation n'est pas acceptable et les mesures prises, si elles procèdent d'une intention vertueuse, ne sont pas suffisantes. L'inquiétude est grande face non seulement aux lacunes des moyens actuels, mais aussi face aux effets prévisibles de la mobilisation totale attendue des forces de sécurité intérieure pendant la période - ô combien sensible ! - des jeux Olympiques et Paralympiques à l'été 2024 : au cours de l'été, quelle sera la possibilité de continuer à engager des forces pour lutter contre le narcotrafic, dans un contexte où les officiers de police judiciaire eux-mêmes seront requis pour des missions de sécurisation et de voie publique727(*) ? Quelle sera la doctrine du ministère de l'intérieur pour gérer cet événement porteur de menaces, mais aussi pourvoyeur d'un public étranger nombreux qui peut constituer une masse nouvelle de consommateurs de stupéfiants, et donc un revenu supplémentaire pour le trafic ?

Plus encore, que se passera-t-il lorsque, après un été laborieux, de nombreux policiers et gendarmes prendront leurs congés en septembre, créant un déficit capacitaire dont les trafiquants ne manqueront pas de profiter ?

Ces questions, pourtant soulevées par la commission d'enquête depuis le début de l'année 2024, n'ont pas encore trouvé de réponse.

2. Armer les tribunaux en moyens humains et matériels

Les déplacements de la commission d'enquête dans les tribunaux judiciaires de Bobigny, Dijon, Lyon, Marseille, Valence et Verdun ont mis en évidence un constat commun, détaillé dans ce rapport728(*) : une véritable embolie face à l'afflux de « petites mains » du trafic et, plus préoccupant encore, une insuffisance de moyens qui touche aussi les Jirs et la Junalco.

Ces faiblesses sont parfaitement, et cyniquement, exploitées par certaines défenses de trafiquants du « haut du spectre » qui optent pour des stratégies de « guérilla » sur des points de procédure parfois spécieux afin de faire perdre un temps d'audiencement qu'elles savent compté729(*).

La réponse, évidente, consiste donc dans un renforcement des effectifs de magistrats afin de dégager du temps d'audiencement, mais aussi de spécialiser davantage les cabinets d'instruction. Mais il convient de ne pas oublier les greffiers, dont la présence est indispensable à la tenue de chaque audience, ni les adjoints administratifs, appelés à jouer un rôle de plus important, notamment en matière d'entraide internationale.

Des solutions spécifiques pour les Jirs proposées par les magistrats

Pour répondre aux problèmes spécifiques rencontrés par les Jirs, le tribunal judiciaire de Marseille a, par l'entremise de son président, présenté à la commission d'enquête une solution « clés en main ». Pour répondre aux besoins, il faudrait pour le siège :

· un magistrat « placé » (de tels magistrats étant des « sapeurs-pompiers » délégués par le premier président de la cour d'appel pour permettre aux juridictions de faire face aux absences de leurs membres, par exemple en cas de congé de maternité ou d'arrêts maladie) par cabinet d'instruction ;

· un greffier et un adjoint administratif par cabinet ;

· un juriste-assistant pour deux cabinets ;

· deux assistants spécialisés en entraide pénale internationale et en analyse criminelle pour trois cabinets ;

· un service de numérisation performant et correctement dimensionné.

Enfin, la réponse de l'État passe aussi par une remise à niveau de moyens informatiques tout à fait obsolètes qui grippent la machine judiciaire730(*).

Recommandation n° 16 de la commission d'enquête : donner de véritables moyens de lutte aux magistrats et aux services répressifs

· Augmenter massivement les moyens humains sur le terrain, que ce soit en sécurité publique ou en police judiciaire, bien au-delà de ce que permettent les unités nationales récemment créées ;

· Renforcer les tribunaux judiciaires en moyens humains et informatiques ;

· Mieux valoriser le métier de greffier et celui d'adjoint administratif ;

· Renforcer l'équipe autour du magistrat, notamment en reprenant les propositions du tribunal judiciaire de Marseille pour répondre aux besoins des Jirs.

C. MOBILISER LES ACTEURS TIERS AU PROFIT DE LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC

1. Faciliter l'échange et la transmission d'informations au niveau local

La commission d'enquête a fait le constat d'une insuffisante association de certains acteurs locaux à la lutte contre le narcotrafic731(*), et notamment d'une circulation de l'information assez inégale entre ceux - maires et bailleurs sociaux notamment - qui peuvent jouer le rôle de capteurs en raison de leur proximité avec le terrain, et les forces de l'ordre.

Il existe plusieurs instances de dialogue autour de problèmes spécifiques de délinquance sur un territoire : les groupes de partenariat opérationnel, les groupes locaux de traitement de la délinquance (GLTD) présidés par le procureur de la République, les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) présidés par le maire et les plus récents, les groupes de partenariat opérationnel (GPO) créés en 2019 dans le cadre de la police de sécurité du quotidien. Ces instances ont vocation à incarner le « continuum de sécurité » au plus près des territoires en faisant dialoguer l'ensemble des acteurs impliqués - police/gendarmerie nationale et police municipale, magistrats, bailleurs sociaux, élus - sur les problèmes territoriaux spécifiques (les points de deal notamment).

Ces acteurs ont globalement dressé un bon bilan de ces instances dont le mode de fonctionnement est assez souple, même si leur animation effective dépend inévitablement de l'implication des parties prenantes. Les GLTD peuvent, notamment, contribuer à la résorption d'un point de deal732(*).

Il convient donc de mettre ces instances en valeur, y compris dans la communication publique, et de les dynamiser afin de s'assurer qu'elles tissent un réseau homogène de communication et de coordination sur le territoire.

Mais les « tiers de confiance » au sens large peuvent aussi trouver leur place dans la participation aux Cross, destinées à recueillir et centraliser le renseignement. À ce titre, le rapport a souligné certains dysfonctionnements locaux, à commencer par l'inactivité de certaines cellules, reconnue au demeurant par l'Ofast (voir supra).

Dans une réponse écrite à un questionnaire du rapporteur, l'Office pointe également l'apport potentiel d'autres acteurs comme les loueurs de voitures - les trafiquants ayant souvent recours à la location - dans la remontée du renseignement : « Les partenaires non institutionnels ou `tiers de confiance' restent de véritables capteurs de renseignements. Les bailleurs sociaux et les polices municipales peuvent être amenés à participer ponctuellement aux différentes réunions organisées par les Cross ».

De manière générale, la participation des tiers de confiance aux instances locales doit contribuer à la mobilisation de la société dans son ensemble contre le fléau du trafic de drogue, qui n'est pas la seule affaire des services répressifs. La commission d'enquête a perçu, dans ses déplacements notamment, une vraie demande d'association des partenaires locaux.

Recommandation n° 17 de la commission d'enquête : dynamiser les instances locales de coordination :

· Mettre en valeur ces instances et garantir leur pleine utilisation par l'administration ;

· Encourager leur élargissement à d'autres partenaires volontaires.

2. Renforcer les capacités de signalement des maires

Dans le même esprit de contribution à la lutte contre le narcotrafic au niveau local, renforcer le rôle de signalement des maires, notamment vis-à-vis des commerces présentant un profil anormal laissant soupçonner des activités de blanchiment - inactivité, mises en liquidation et changements de propriétaires fréquents. Comme l'a souligné Éric Piolle, maire de Grenoble733(*), « s'agissant du repérage destiné à lutter contre le blanchiment, nous disposons souvent d'indices grâce à des indiscrétions ou à des rumeurs au sujet des repreneurs de tel ou tel commerce [...] mais la démonstration du blanchiment nécessite un travail d'enquête approfondi et je ne pense pas que nous devions nous engager plus avant en la matière ».

Guillaume Valette-Valla, alors directeur de Tracfin, a en effet rappelé lors de son audition à huis clos par la commission734(*) que les maires, mais aussi les parlementaires ou toute entité publique avaient la faculté - et non l'obligation, comme les professions soumises à la réglementation LCB-FT - d'adresser des informations pertinentes sur un commerce au profil ou à l'activité suscitant des soupçons. Cette possibilité n'est pas toujours connue des élus eux-mêmes : comme l'a démontré la table ronde des maires ruraux735(*), les responsables locaux ne sont que peu informés de l'existence d'un tel outil.

Enfin, ce rôle de « vigies » pourrait être renforcé par la possibilité de demander à l'autorité préfectorale la fermeture de commerces se livrant à la vente de stupéfiants ou la facilitant, sur le modèle des dispositions existantes pour la vente de tabac illégal.

De manière plus générale, le besoin a été exprimé par les élus d'une clarification du cadre de l'échange d'informations sur le trafic de stupéfiants : Denis Mottier, chargé de mission sécurité et prévention de la délinquance à l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité736(*), a ainsi souligné que « le cadre d'échanges d'informations à portée confidentielle n'est pas suffisamment protecteur pour le service de l'État ou pour le maire », ce qui pose la question suivante : « Comment organise-t-on la communication d'informations sensibles entre l'élu, le maire et les forces de sécurité ? ».

Recommandation n° 18 de la commission d'enquête : faciliter la remontée d'informations par les maires :

· Informer systématiquement les maires, en particulier de communes rurales, de la possibilité de signaler à Tracfin les commerces de leur commune soupçonnés de servir au blanchiment du produit de trafics ;

· Leur donner la possibilité de demander à l'autorité préfectorale la fermeture de lieux permettant la vente de stupéfiants, sur le modèle des dispositions existantes en matière de vente illégale de tabac ;

· Clarifier le cadre des échanges d'informations relatives au trafic de stupéfiants entre les maires, la police et l'autorité judiciaire.

D. DÉVELOPPER LE RECOURS AUX TECHNIQUES INNOVANTES

Dans le cadre de son plan national de mobilisation contre les addictions pour la période 2018-2022, la Mildeca avait recommandé de renforcer les capacités d'investigations, en poursuivant « la modernisation des moyens d'enquête au profit de l'ensemble des services de l'ordre »737(*). La recommandation a été réitérée dans la stratégie interministérielle pour la période 2023-2027, sous une forme aménagée : l'adaptation des moyens technologiques de lutte contre la criminalité organisée fait partie des actions proposées par la Mildeca pour réduire la disponibilité et l'accessibilité des produits stupéfiants738(*).

Modernisation, adaptation et disponibilité : ces trois mots résument les propositions de la commission d'enquête pour favoriser le déploiement de technologies innovantes au sein de l'ensemble des services répressifs.

1. Investir dans nos capacités techniques pour mettre à jour les pratiques des narcotrafiquants
a) Une mise à niveau des investissements...

Interrogés sur ce dont ils avaient le plus besoin pour significativement accroître l'efficacité de la lutte contre le narcotrafic et entraver les narcotrafiquants, les services d'enquête - police, gendarmerie, douanes - et les magistrats ont unanimement cité, parmi leurs priorités, l'impératif de disposer de capacités techniques et cyber suffisantes pour accéder aux réseaux cryptés. En effet, si la lutte contre le blanchiment et la confiscation des avoirs criminels constituent le « nerf de la guerre » pour « faire mal » aux trafiquants, accéder aux réseaux cryptés constitue le meilleur moyen de porter un coup d'arrêt au trafic en lui-même.

Les exemples précités d'EncroChat et de Sky ECC, les affaires qui en ont découlé et les dossiers qui continuent d'être ouverts et de faire l'objet d'investigations à partir des informations obtenues sur ces réseaux le démontrent : casser une messagerie cryptée, c'est augmenter la probabilité de remonter toute une filière et d'aboutir à de nombreuses condamnations et saisies. Pour reprendre une expression entendue en audition par le rapporteur, le vrai game changer aujourd'hui pour les services, c'est la capacité à intercepter et à déchiffrer les communications.

Alors que les narcotrafiquants ne cessent d'investir pour développer et acquérir des outils technologiques de pointe, les forces de l'ordre doivent être en mesure d'empêcher l'utilisation de ces moyens de communication. Si le futur plan national de lutte contre les stupéfiants devrait bien comporter une telle mesure, rien n'est dit sur les moyens concrètement débloqués pour permettre ce saut technologique (financements, effectifs « cyber », technologies requises).

Pour la direction générale de la police nationale739(*), l'entrave des moyens technologiques utilisés par les trafiquants passera par l'identification des solutions utilisées par les narcotrafiquants en France, par la participation à des opérations internationales de démantèlement des solutions de communication indûment chiffrées, par la formation des agents à la détection et au traçage des cryptomonnaies ainsi que par la conduite de travaux pour détecter les balises utilisées pour suivre les produits stupéfiants. En particulier, identifier les solutions utilisées par les trafiquants permet de développer des outils dédiés à leur décryptage et de mettre en place des dispositifs de captation à distance, lorsque c'est faisable.

En plus de permettre de décrypter les moyens de communication utilisés par les narcotrafiquants entre eux, la mise à disposition de nouvelles capacités techniques doit également permettre d'améliorer la lutte contre le narcotrafic sur Internet. Pour les plateformes numériques « traditionnelles », les enquêteurs peuvent demander le retrait de contenus dangereux ou illicites (quelques dizaines l'an dernier) mais aussi, comme on l'a évoqué ci-avant avec le « paquet » e-evidence, envoyer des demandes d'information aux opérateurs afin de disposer des informations sur le compte, sur l'appareil et sur ses données de connexion, sur autorisation judiciaire. L'« angle mort » des enquêteurs concerne donc les autres plateformes, construites exclusivement pour préserver l'anonymat de leurs utilisateurs ou pour chiffrer l'ensemble des conversations et données.

Aussi, le développement des capacités technologiques des forces de l'ordre pourrait permettre de remonter jusqu'aux vendeurs de stupéfiants sur les réseaux sociaux, parfois difficiles à démasquer. Le cadre pénal s'étant adapté, les moyens techniques doivent désormais permettre de poursuivre ces agissements pénalement répréhensibles.

Deux nouveaux délits pour lutter contre le trafic de stupéfiants en ligne

La loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur a créé deux nouveaux délits (article 323-3-2 du code pénal) :

· le délit d'administration d'une plateforme en ligne pour permettre la cession de produits illicites. Est puni de cinq d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende le fait, pour un opérateur de plateforme en ligne, de permettre sciemment la cession de produits, de contenus ou de services dont la cession, l'offre, l'acquisition ou la détention sont manifestement illicites, lorsque la plateforme restreint son accès aux personnes utilisant des techniques d'anonymisation des connexions ou lorsqu'elle contrevient aux obligations qui lui sont imposées par la loi pour la confiance dans l'économie numérique. Ces obligations recouvrent notamment l'obligation de mettre en oeuvre un dispositif permettant aux utilisateurs de signaler un contenu illicite, l'obligation d'informer promptement les autorités publiques de ces signalements ou encore l'obligation de conserver les données de nature à permettre l'identification des personnes ayant contribué à la création d'un contenu diffusé ;

· le délit d'intermédiation ou de séquestre pour faciliter la cession de produits illicites. Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende le fait de proposer, par l'intermédiaire d'une plateforme en ligne, des prestations d'intermédiation ou de séquestre qui ont pour objet unique ou principal de mettre en oeuvre, de dissimuler ou de faciliter les opérations de cession de produits illicites.

Ces deux délits sont punis de dix ans d'emprisonnement et de 500 000 euros d'amende lorsqu'ils sont commis en bande organisée. Le recours aux techniques spéciales d'enquête est permis pour ces délits, et les Jirs et la Junalco disposent d'une compétence concurrente pour traiter de ces deux infractions, sous réserve qu'elles présentent un critère de grande ou de très grande complexité.740(*)

Les services d'enquête doivent pouvoir disposer de capacités techniques adéquates pour déchiffrer les communications des narcotrafiquants, lutter contre le trafic de stupéfiants en ligne et pour ne pas se laisser dépasser par les évolutions technologiques. La procureure de la République près le tribunal judiciaire de Dunkerque s'inquiétait ainsi de voir que certains smartphones de nouvelle génération résistaient aux tentatives d'ouverture par les enquêteurs, alors même qu'ils en avaient juridiquement la légitimité. Les matériels forensiques pour extraire les données ou pour parvenir à s'authentifier et accéder à la donnée doivent rester « en avance de phase » - ce qui suppose là encore un investissement soutenu dans les capacités techniques mises à disposition des enquêteurs, ainsi que le soutien du centre technique d'assistance de la DGSI.

Le ministre de l'économie et des finances a reconnu que nous devions « réinvestir, de manière à réaliser un saut technologique nous permettant de repérer les conversations cryptées des trafiquants, ce dont nous ne sommes pas capables actuellement. Les États-Unis peuvent pénétrer les applications les plus sécurisées ; il est temps que la France puisse le faire également »741(*). Les déclarations d'intention ne sont plus suffisantes aujourd'hui : le point de bascule sur lequel se situe la France appelle des annonces concrètes sur les moyens dédiés aux services.

Pour remédier aux contournements, par le biais notamment de l'achat de cartes de téléphonie prépayées, les sanctions à l'encontre des entreprises qui ne vérifient pas l'identité de leurs clients devraient également être renforcées. Il pourrait également être envisagé de limiter ou de fixer un plafond à la vente de ces cartes, certains trafiquants demandant à des « prête-noms » d'acheter en masse des cartes SIM prépayées, sans que ceux-ci n'aient connaissance de l'identité de l'ensemble des destinataires.

b) ... au profit de l'ensemble des acteurs impliqués dans la lutte « cyber »

Que ce soit pour « casser » des réseaux de communication cryptés ou lutter contre le trafic de stupéfiants en ligne, l'investissement technique doit se doubler d'un investissement humain, tant en effectifs qu'en formation.

L'appréhension de la cybercriminalité et, plus généralement, du cyber comme nouveau vecteur de « commerce » pour les organisations criminelles demeure récente. Elle a conduit la police et la gendarmerie nationales ainsi que la douane à se structurer pour répondre à cette menace. Les enquêtes « cyber » requièrent non seulement des enquêteurs spécialisés, formés à cet effet, mais aussi des personnes habilitées à pouvoir conduire des enquêtes sous pseudonyme et des « coups d'achat » en ligne (voir supra).

Police, gendarmerie, Ofast, douanes : quel dispositif d'intervention dans le cyberespace ?

Hors Ofast, la police nationale dispose de plusieurs unités plus particulièrement en charge de lutter contre la cybercriminalité. L'Office central en charge de la lutte contre la cybercriminalité (Ofac), créé le 23 novembre 2023, dispose d'une section luttant contre les cyber-services criminels, c'est-à-dire contre les cybercriminels qui fournissent des services numériques au crime organisé. C'est cet office qui est chargé de prendre l'initiative des enquêtes sur le fondement de l'article 323-3-2 du code pénal (voir supra, vente de produits illégaux sur une plateforme en ligne).

La gendarmerie nationale s'appuie sur un réseau de 308 enquêteurs exerçant à temps plein en tant que spécialistes des technologies numériques (Ntech) et sur 8 813 enquêteurs ayant la qualification de « correspondant Ntech » ainsi que sur les antennes du centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N) dans les sections de recherches des chefs-lieux des Jirs. Pour les dossiers les plus complexes techniquement, la gendarmerie peut s'appuyer depuis le mois de février 2021 sur le ComCyberGend, et plus particulièrement sur le peloton d'investigations numériques. Au total, environ 645 gendarmes sont habilités à réaliser des enquêtes sous pseudonyme.

L'Ofast a créé une cellule « cyber » au sein du pôle opérationnel au mois d'août 2020. Cette cellule est chargée d'évaluer et d'orienter la diffusion par la Cross nationale des renseignements recueillis par la plateforme Pharos742(*), de diligenter des enquêtes sur les réseaux de trafiquants recourant au darknet et de la criminalistique numérique (préservation des traces et indices numériques, exploitation des supports informatiques, extractions de données, déverrouillage de téléphones...). Au niveau des antennes de l'Ofast, un processus de formation et d'habilitation à l'enquête sous pseudonyme et au coup d'achat a été déployé en 2021.

La direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) dispose depuis le mois de février 2009 d'une unité spécialisée « Cyberdouane », chargée de recueillir et d'enrichir des informations sur Internet, dans tous les secteurs intéressant l'action de la douane (contrefaçons, stupéfiants, trafics d'armes ou d'oeuvre d'art...). La cellule effectue des recherches de sa propre initiative mais aussi pour le compte d'autres services douaniers. Les agents de Cyberdouane sont également habilités à effectuer des enquêtes sous pseudonyme et des coups d'achat.

Le modèle retenu par les forces de l'ordre est donc celui d'une centralisation des compétences cyber pour les dossiers les plus complexes, avec un appui en local dans des antennes spécialisées (Ofast, DNRED) ou dans les groupes d'enquêteurs « traditionnels » (police, gendarmerie). À l'instar de ce qui a été observé pour le recours aux techniques spéciales d'enquête, il est primordial que la centralisation ne fasse pas obstacle à la bonne conduite des enquêtes. Aucun calendrier n'a été donné par le ministère de l'intérieur quant au déploiement des antennes de l'Ofac, qui devrait disposer à terme de 11 antennes et de 45 détachements743(*). Le développement du maillage territorial est la condition exclusive de la mutualisation des compétences et d'une prise en compte systématique de la dimension cyber dans les enquêtes menées pour entraver le trafic de stupéfiants.

Le ministre de l'intérieur et des outre-mer a annoncé le 21 mars 2024 la création de « cyber-patrouilles », chargées de mener des actions régulières et visibles afin d'entraver ces nouveaux modes de distribution, de développer très largement la présence et la veille numérique et de généraliser le recours aux enquêtes sous pseudonyme et aux coups d'achat sous l'autorité des magistrats744(*). Là encore, la faculté du Gouvernement à médiatiser et à faire du « rebranding » ne peut qu'être reconnue : l'existence de cyber-patrouilles ne date pas de 2024, l'antenne de l'Ofast de Marseille et le parquet de Marseille ayant mis en oeuvre conjointement ce dispositif dès 2021745(*).

Il n'en demeure pas moins que la commission d'enquête soutient leur généralisation mais pose deux conditions à leur succès :

· que les effectifs alloués à ces cyber-patrouilles soient en nombre suffisant et formés à cet effet, pour qu'il ne s'agisse pas simplement de donner un nouveau nom sans effort supplémentaire dans la lutte contre le trafic de stupéfiants en ligne ;

· que ce « pilonnage » des points de deal numériques s'accompagne véritablement d'enquêtes poussées pour remonter les filières et démanteler les réseaux. À défaut, la réinstallation du point de vente sera encore plus rapide que celle observée pour les points de deal « physiques ».

Enfin, s'agissant de la présence sur les réseaux sociaux, le premier « rideau » consiste à pouvoir retirer davantage de contenus illicites en ligne. Les chiffres transmis à la commission d'enquête par les représentants des principaux réseaux en ligne apparaissent bien en deçà des informations reçues par la commission quant à la prévalence de la vente en ligne de produits stupéfiants - certains comptes étant notoirement connus. Depuis l'entrée en vigueur du règlement DSA746(*) le 25 août 2023, moins d'une demi-douzaine de demandes ont été adressées aux réseaux sociaux comptant le plus d'utilisateurs (Meta, TikTok, X, Snapchat).

Des actions de sensibilisation pourraient ainsi être menées auprès des forces de l'ordre pour qu'elles demandent le retrait de davantage de contenus : les signalements utilisateurs et les outils de détection automatique déployés par les opérateurs des plateformes en ligne ne peuvent, seuls, suffire à lutter contre le trafic en ligne.

En parallèle, une coopération est incontournable pour affiner les logiciels de détection. En 2021 par exemple, plusieurs représentants de l'Ofast avaient rencontré ceux de Snapchat en France pour déterminer des mots-clefs susceptibles de renvoyer à des produits stupéfiants, en tenant compte d'orthographes et d'abréviations diverses747(*). Au regard de l'adaptabilité des réseaux, de telles rencontres doivent se tenir sur une base régulière, avec la Mildeca, afin d'inclure les nouveaux usages.

2. Envisager une extension des traitements de données, sans remettre en cause le cadre régissant la protection des données personnelles

Les logiciels de traitement de données constituent un appui fondamental pour les services d'enquête, en particulier pour traiter un grand nombre de dossiers et pour parvenir, au-delà de l'interpellation des « petites mains », à identifier les personnes placées un peu plus haut dans le réseau.

C'est la logique poursuivie par exemple par l'Ofast avec le logiciel Pathfast, utilisé dans le cadre de la lutte contre le phénomène des « mules ». Il permet d'établir des liens entre des informations collectées sur des passeurs interceptés isolément afin de contribuer à remonter une filière voire à démanteler un réseau. Son utilisation en qualité de logiciel de rapprochement judiciaire, une telle certification faisant l'objet d'un projet en cours porté par la direction générale de la police nationale, pourrait permettre une exploitation plus rapide des supports numériques saisis lors de l'interception des convoyeurs.

Outre le développement de ce type de traitements de données, la principale demande des services d'enquête porte sur l'accès aux fichiers existants et, surtout, sur l'interconnexion de ces fichiers, pour permettre une exploitation plus aisée des données qui y sont inscrites.

La police, la gendarmerie et la douane souhaiteraient ainsi qu'un traitement centralisé748(*) soit mis en place pour les données issues des outils « lecteurs automatiques des plaques d'immatriculation » (Lapi). Un tel fichier permettrait de consulter directement la totalité des données des capteurs Lapi, quelle que soit l'administration en charge du capteur fixe, mobile ou embarqué concerné. Il ne s'agirait pas d'intelligence artificielle, écartée, mais d'une exploitation à des fins de ciblage, selon des requêtes multicritères749(*), et la Cnil examine actuellement cette demande. Ces données jouent en effet un rôle essentiel dans le contrôle du vecteur routier du trafic de stupéfiants, pour détecter des convois ou des comportements suspects, ou pour projeter rapidement des brigades sur des points de contrôle afin d'intercepter les véhicules surveillés.

Interconnexions entre fichiers : un cadre exigeant pour protéger les données personnelles

La Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ne s'oppose pas par principe à la mise en oeuvre d'interconnexions de fichiers, dès lors que celles-ci sont justifiées par la finalité poursuivie et qu'elles interviennent dans des conditions de nature à assurer une protection suffisante des données à caractère personnel. Elle a autorisé plusieurs connexions dans la sphère policière et judiciaire et en a demandé d'autres pour assurer la bonne mise à jour des données (par exemple le croisement du traitement des antécédents judiciaires du ministère de l'intérieur avec les traitements du ministère de la justice). La Cnil estime par ailleurs que la transparence vis-à-vis du public quant aux conditions de mise en oeuvre de ces différentes opérations participe de l'équilibre entre l'objectif poursuivi et le respect de la vie privée des personnes concernées.

Parmi les conditions à remplir pour qu'une interconnexion entre fichiers soit possible, figure le fait que :

· l'opération est conforme aux finalités, aux données et aux accédants et destinataires fixés par les deux fichiers. Si des données sont transférées d'une base à une autre, ce transfert n'est possible que s'il s'inscrit ou concourt aux finalités poursuivies par la base d'origine ;

· l'interconnexion est justifiée au regard des besoins spécifiques des services ou de circonstances particulières

· les responsables du traitement ont mis en place des garanties opérationnelles spécifiques pour faire en sorte que seuls les traitements comportant des données pertinentes, adéquates et nécessaires au regard des finalités des traitements visés soient consultés et enregistrés. Des précautions doivent également être prises pour éviter d'importer ou d'exporter des données erronées ou obsolètes ;

· l'interconnexion et ses modalités de mise en oeuvre sont portées à la connaissance de la Cnil ;

· une analyse d'impact relative à la protection des données a été réalisée (dans certains cas).

Source : contribution de la commission nationale de l'informatique et des libertés aux travaux de la commission d'enquête, 19 janvier 2024

Si la commission d'enquête comprend le besoin opérationnel qui justifierait une plus grande interconnexion des fichiers, elle ne souhaite pas pour autant remettre en cause le cadre actuel, pour ne pas porter une atteinte disproportionnée aux droits des personnes concernées. Il semble, au demeurant, que des interconnexions possibles en droit ne soient pas encore pratiquées pour des motifs techniques, à l'instar de la mise en relation de certaines données relatives aux lecteurs automatiques de plaques d'immatriculation. Dans ce contexte, et avant d'envisager toute évolution de notre droit, il revient aux services d'enquête d'utiliser toutes les potentialités permises par ce cadre juridique, et de se montrer prudents s'agissant de fichiers qui concernent parfois la quasi-totalité des citoyens, comme le fichier automatisé des empreintes digitales (Faed).

À court terme, des évolutions sur les accès sont plus rapidement envisageables - telle que la révision des accès au fichier des titres électroniques sécurisés (TES) pour inclure les attachés de sécurité intérieure en ambassade et leurs officiers de liaison.

L'extension des croisements entre fichiers de données, outre des interrogations juridiques, soulève aussi la question des moyens alloués à l'exploitation de données disponibles de plus en plus volumineuses. L'intelligence artificielle apporte, en la matière, une première réponse.

3. S'appuyer davantage sur les potentialités offertes par l'intelligence artificielle

Exploiter les potentialités de l'intelligence artificielle, c'est essayer de faire en sorte que les services de l'État chargés de la lutte contre le narcotrafic comblent une partie de leur retard sur les organisations criminelles.

a) Profiter des potentialités de l'intelligence artificielle
(1) Un coup d'accélérateur dans les enquêtes

Pour les services d'enquête, le recours à l'intelligence artificielle a pour principal avantage de permettre de traiter rapidement un immense volume de données - volume que des services d'enquête sous-dotés et surchargés de dossiers ne seraient jamais en mesure d'appréhender à eux seuls. Ces données peuvent tant provenir de fichiers auxquels les enquêteurs ont accès ou auxquels ils ont demandé un accès qu'être collectées dans un cadre judiciaire (images de vidéosurveillance, exploitation de données numériques et téléphonies saisies) ou avoir été extraites de sources ouvertes. Le recoupement de ces données apporte une aide précieuse aux services pour comprendre les réseaux, identifier les mis en cause principaux, recueillir des éléments de preuve et d'entrave et donc, in fine, progresser dans leurs enquêtes.

Dans des affaires comme celles d'EncroChat et de Sky ECC, avec un afflux massif de nouvelles données, l'intelligence artificielle peut être utilisée pour analyser les communications, repérer des indices ou des conversations liées au trafic de stupéfiants. Elle permet ainsi de « faire le tri » parmi des millions et des millions de messages et de conversations : 120 millions de messages ont été interceptés pour 40 000 à 60 000 téléphones et 620 utilisateurs français, dont 94 % membres d'un réseau criminel750(*). L'apport de l'intelligence artificielle pour exploiter les données brutes des téléphones saisis serait facteur d'efficience : récemment, l'exploitation des données issues du téléphone d'une seule cible d'intérêt prioritaire a donné lieu à la production d'un rapport d'exploitation de 180 000 pages, un tel volume étant matériellement impossible à traiter par les enquêteurs751(*).

La question de son usage hors de ces cas exceptionnels, pour des techniques spéciales d'enquête plus usuelles telles que la sonorisation et le traitement des écoutes téléphoniques, se pose également. Comme on l'a déjà indiqué ci-avant, une intelligence artificielle pourrait en effet retranscrire les conservations, sous le contrôle d'un enquêteur, ainsi que les traduire. L'usage pourrait être répliqué pour l'analyse des vidéos ; alors que le temps d'exploitation d'une vidéo par un enquêteur peut être du double de la durée de l'enregistrement (arrêts sur image, retours en arrière, visionnages multiples, captures d'écran pour intégration en procédure), un système d'analyse de masse pourrait permettre de conserver du temps aux enquêteurs pour des missions de terrain. Un projet commun (Système-V) à la police et à la gendarmerie est en cours de développement, en lien avec le ministère de la justice pour en définir le cadre juridique752(*).

Il est donc clair que l'intelligence artificielle ouvre de nouvelles perspectives pour les services d'enquête, sur un double aspect : un gain de temps et une meilleure appréhension des enjeux complexes. Le rapporteur considère néanmoins que l'usage de l'intelligence artificielle doit rester dans le cadre qui est le sien aujourd'hui, à savoir servir d'appui aux services, sans céder à la tentation d'un usage généralisé qui ne serait pas sans soulever de difficultés au regard de la protection des données personnelles et du droit au respect de la vie privée. Utiliser l'intelligence artificielle pour repérer des comportements inhabituels en public - avec donc de la reconnaissance faciale généralisée - ou pour surveiller l'ensemble des transactions financières effectuées au quotidien apparaît excéder ce cadre et ne saurait être accepté sous peine, pour reprendre l'expression employée au cours de son audition à huis clos par Guillaume Valette-Valla753(*), alors directeur de Tracfin, de constituer un « Léviathan du Bien » qui garderait de sa figure inspiratrice le risque d'un excès de puissance qui porterait un coup profond aux libertés publiques.

Intelligence artificielle, bases d'apprentissage et protection des données personnelles

L'utilisation de l'intelligence artificielle générative amplifie les questions qui se posent au regard de la protection des données pour les technologies d'intelligence artificielle plus classiques, à deux niveaux : l'utilisation des données personnelles pour la création des modèles d'intelligence artificielle sous-jacents (collecte à large échelle de contenus publiquement accessibles sur internet) et les traitements de ces données personnelles (les requêtes des utilisateurs sont-elles réutilisées et apprises ?).

La Cnil mène actuellement des travaux relatifs aux modalités de constitution de bases de données lorsque celles-ci contiennent des données personnelles. Ces travaux doivent donner lieu à des fiches pratiques, dont la première partie a fait l'objet d'une consultation publique, en vue de son adoption définitive. Elle concerne :

· la définition de la finalité, un principe remis en cause par des systèmes d'intelligence artificielle à usage général ;

· les modalités de réutilisation de bases de données déjà constituées, par exemple celles publiées en open source ;

· le respect du principe de minimisation des données ;

· la définition de la recherche scientifique, qui peut permettre un assouplissement de certaines exigences du RGPD.

La seconde partie des travaux porte sur les problématiques suivantes :

· l'exigence de sécurité ;

· la réalisation d'annotation d'un jeu de données ;

· la mobilisation de la base légale de l'intérêt légitime. Le traitement de données personnelles nécessite un fondement légal (consentement, exécution d'un marché d'intérêt public, contrat, etc.)

· les modalités d'information des personnes et d'exercice de leurs droits ;

· le statut des modèles d'intelligence artificielle, avec notamment une clarification des conséquences pour les personnes concernées de la capacité de ces modèles à mémoriser des données sur lesquelles ils se sont entraînés.

Source : contribution de la commission nationale de l'informatique et des libertés aux travaux de la commission d'enquête, 19 janvier 2024

Autre restriction que la commission d'enquête a souhaité poser et qui est analogue à celle qu'elle propose pour le « renseignement criminel » : celle qui consiste à n'autoriser les services d'enquête à utiliser l'intelligence artificielle pour traiter des données relatives à la criminalité organisée que si ce traitement intervient avant l'ouverture d'une enquête judiciaire et sans lien direct avec des investigations pénales en cours. Dans ce cas, l'exploitation des données relève en effet du renseignement et peut être pratiquée par des services du premier comme du second cercle (c'est-à-dire par certains services de police judiciaire) et qui, tous, interviennent alors sous le contrôle exigeant de la CNCTR ; dans tout autre cas, il n'apparaît pas raisonnable que de tels traitements soient permis.

De manière plus générale, il est essentiel que les services d'enquête disposent au plus vite d'une analyse des potentialités permises par le cadre juridique actuel et qu'ils puissent expérimenter des outils d'intelligence artificielle dans les limites posées par ce cadre. La réflexion devra aussi intégrer, comme on l'a vu, l'enjeu de l'articulation entre ces potentialités et celles du renseignement afin d'éviter tout chevauchement qui serait préjudiciable à la solidité des procédures pénales et donc, à terme, à la répression des narcotrafiquants.

(2) Des travaux en cours de finalisation pour les colis et les bagages

Le fret express et le fret postal sont deux vecteurs de plus en plus utilisés pour le trafic de stupéfiants, et en particulier pour les drogues de synthèse. Or, la douane se retrouve face à l'impossibilité matérielle de pouvoir contrôler l'ensemble des colis. Dans un contexte de ressources humaines contraintes, il est d'autres secteurs sur lesquels la mobilisation d'agents supplémentaires peut apparaître plus pertinente.

La douane travaille depuis plusieurs années sur un projet d'intelligence artificielle, qui lui permettrait de cibler les colis les plus suspects pour ouverture et contrôle. Concrètement, les colis sont scannés et les images comparées à celles d'une banque de données, construite par la douane à partir des images de colis positifs précédents, c'est-à-dire de colis dans lesquels ont été trouvés des produits stupéfiants. À terme, il serait envisageable de construire une base de données européenne, utile aux douanes de l'ensemble des États membres pour repérer les colis ou les bagages contaminés par des produits illicites.

Il convient de noter que ce projet a connu une nette accélération ces trois dernières années, pour des raisons liées non pas au trafic de stupéfiants mais à la lutte contre la fraude fiscale. Depuis l'entrée en vigueur, le 1er juillet 2021, du paquet européen relatif à la TVA sur le commerce électronique, il n'y a plus d'exonération de TVA sur les envois à valeur négligeable (22 euros). La douane s'est retrouvée à devoir traiter un afflux massif de déclarations électroniques et donc à devoir pleinement mobiliser ses solutions de traitement algorithmique pour croiser les données des déclarations et améliorer l'efficacité des contrôles menés sur les frets postal et express.

L'expérimentation, engagée depuis deux ans, ne devrait pas passer à « l'étape industrielle » avant deux nouvelles années. Il faut en effet encore quelque temps pour que ce système appuyé sur l'intelligence artificielle soit pleinement opérationnel : pour que le traitement mis en place repère un produit suspect, il faut en moyenne entre 200 et 2 000 images par produit, qui sont ensuite intégrées dans la base de données. Comme l'a indiqué Gaël Richard, co-directeur scientifique du centre interdisciplinaire Hi! Paris, l'efficacité du système « intelligent » mis en place repose sur le nombre d'informations à disposition754(*). Pour ce faire, la douane peut s'appuyer sur la mise à disposition prochaine de scanners à haute capacité, une nouvelle fois obtenus grâce à un cofinancement européen, via l'instrument de financement des équipements de contrôle douanier. L'objectif est bien d'atteindre 100 % de colis scannés.

Le même sujet de « masse critique » des informations intégrées à la base de données se pose pour les images issues du scannage des conteneurs : les algorithmes mis en place par la douane sont actuellement utilisés pour repérer le tabac et les cigarettes, mais pas les stupéfiants, faute d'images suffisantes pour alimenter la base de données755(*). Le basculement de ce lac de données à une échelle européenne pourrait aussi servir à franchir plus rapidement l'obstacle du volume des « faux positifs ».

(3) Repérer les stratégies de repli et de diversification

Lorsqu'un point de deal est visé par une opération policière, les vendeurs se replient le plus souvent sur la vente en ligne « Uber shit » ou sur des call centers, avec livraison du produit. Plus que des stratégies de repli, ces deux modalités de trafic deviennent importantes dans le paysage de l'offre et de sa distribution. Face à cette diversification, l'intelligence artificielle peut permettre de repérer des déplacements suspects et de déterminer le point d'origine probable mais, là encore, à condition de disposer des données nécessaires.

Pour enquêter sur le trafic de stupéfiants sur les réseaux sociaux, qui a pris de l'ampleur depuis la crise sanitaire, les cellules « cyber » de la police, de la gendarmerie, de l'Ofast et de la douane peuvent recourir à l'enquête sous pseudonyme ainsi qu'à des coups d'achat.

Les investigations en ligne permettent de pallier les insuffisances des systèmes de modération mis en place par les plateformes numériques pour retirer des contenus liés au trafic de stupéfiants. Si des efforts ont indéniablement été consentis par ces plateformes - rencontre avec les services d'enquête, déploiement de l'intelligence artificielle pour repérer les contenus douteux et les retirer proactivement, traitement des signalements des usagers et des forces de l'ordre... -, des failles demeurent dans la détection de ces contenus. Dès que le trafiquant n'utilise pas un « mot-clé » type, il peut échapper au contrôle proactif.

(4) Suivre l'argent

Enfin, dans la lutte contre le narcotrafic, l'intelligence artificielle peut être mise à profit pour déceler des comportements fiscaux anormaux. Depuis la loi de finances pour 2020756(*), et à titre expérimental, les agents de la DGFiP et de la DGDDI peuvent collecter et à exploiter, au moyen de traitements automatisés et informatisés, les contenus manifestement rendus librement accessibles par les utilisateurs de plateformes en ligne. Ces informations peuvent être analysées aux seules fins de recherche des infractions fiscales et douanières les plus graves, telles qu'une domiciliation fictive ou artificielle à l'étranger ou une activité occulte pour la DGFiP. La loi de finances pour 2024757(*) a étendu l'expérimentation aux contenus publiquement accessibles, c'est-à-dire aux contenus auxquels tout le monde peut avoir accès mais en disposant d'un compte sur la plateforme concernée.

Les expérimentations menées par la DGFiP ont pour l'instant porté sur la seule lutte contre les activités occultes et les revenus non déclarés. L'extension de l'expérimentation devrait permettre d'accéder à davantage de contenus, notamment pour lutter contre les domiciliations fictives. Par exemple, s'il est démontré que le trafiquant n'est pas réellement domicilié à l'étranger, alors l'ensemble de ses revenus sont de nouveau taxables en France, ainsi que son patrimoine.

La commission d'enquête estime qu'une expérimentation doit être envisagée pour cibler également les éléments de train de vie qui ne correspondent pas aux revenus déclarés et qui peuvent, en tant que tels, révéler l'existence d'un trafic sous-jacent.

Pour l'Ofast, l'intelligence artificielle pourrait également aider les enquêteurs à comprendre où et comment transitent les sommes perçues en cryptoactifs758(*), un vecteur que les services d'enquête ont encore du mal à appréhender.

Enfin, la douane pourrait pleinement exploiter les prérogatives qui lui sont données dans le cadre de l'article 154 précité de la loi de finances pour 2020 en ciblant, outre la contrebande de tabac, les produits stupéfiants. Il s'agirait là également, comme pour les forces de sécurité, de pallier les insuffisances des systèmes mis en place par les plateformes numériques.

b) S'adapter, c'est anticiper : les technologies quantiques

Les auditions menées par la commission d'enquête donnent l'impression d'une course perpétuelle entre les services répressifs et les narcotrafiquants, course que l'État aurait entamée en toute fin de peloton. Pour remonter sur ses concurrents, il lui faut désormais pouvoir anticiper les sauts technologiques à venir.

Un travail a ainsi été conduit par Europol à l'automne 2023 pour alerter les services répressifs des perspectives que pourraient ouvrir les technologies quantiques759(*). Qualifiées par Europol de potentiellement révolutionnaires pour les forces de l'ordre, ces technologies auraient notamment un fort impact sur les capacités de décryptage des réseaux et des messageries. Positive pour les enquêtes menées à l'encontre d'organisations criminelles, cette évolution serait également source de risques très élevés pour la sécurité des informations dont disposent les services d'enquête. D'autres avancées sont également à prévoir, s'agissant par exemple de la puissance des systèmes d'intelligence artificielle ou de la détection de comportements anormaux.

Par cet exemple, la commission d'enquête souhaite rappeler la nécessité de pouvoir anticiper les futures évolutions technologiques. Il n'est pas question pour les forces de l'ordre de disposer de technologies quantiques demain mais de pouvoir y répondre si ces technologies se concrétisent ces prochaines années. C'est d'ailleurs tout le sens des recommandations d'Europol : se tenir informé des tendances dans ce domaine de recherche, soutenir des projets de recherche et s'interroger sur l'impact de ces évolutions pour les droits fondamentaux.

4. Déroger aux règles des marchés publics pour faciliter le recours à des procédés innovants

S'agissant du recours aux techniques innovantes, si les freins liés au manque de moyens, à la complexité des usages et au défaut de formation sont connus, il en est d'autres que la commission d'enquête a découverts au cours de ses travaux, comme les contraintes liées aux règles de la commande publique.

Il peut tout d'abord être difficile pour une administration de décrire un besoin qu'elle ne connaît encore que de manière imparfaite, puisqu'elle souhaite innover sur ce besoin. Les lignes directrices en matière de commande publique pourraient donc être assouplies sur ce point.

Ensuite, les règles relatives à l'achat de véhicules ne sont pas adaptées aux contraintes opérationnelles des services d'enquête. Ces derniers sont aujourd'hui obligés de recourir à l'Union des groupements d'achats publics (Ugap), centrale d'achat publique généraliste, et les véhicules acquis sont toujours des mêmes marques. Ils sont donc plus facilement repérables par les trafiquants dans le cadre d'opérations de filature ou de surveillance. La flotte devrait pouvoir être diversifiée. L'application du malus écologique pénalise également la constitution des flottes de véhicules pour les services amenés à intervenir sur le terrain. Des exceptions pourraient être envisagées.

Enfin, au regard de la porosité du système d'immatriculation des véhicules, les services d'enquête et de renseignement devraient pouvoir disposer plus facilement de véhicules banalisés, immatriculés au nom de tiers.

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Les mesures présentées par la commission d'enquête répondent à un objectif simple : permettre aux services répressifs d'être aussi agiles que les narcotrafiquants et leur donner la possibilité de se battre à armes égales, dans le respect de nos principes fondamentaux et de l'État de droit.

Recommandation n° 19 de la commission d'enquête : donner les moyens de l'excellence technique aux services d'enquête

· Investir dans les capacités techniques à disposition des services d'enquête (interception des communications, décryptage des messageries) ;

· Développer les actions de sensibilisation au retrait des contenus en ligne et actualiser régulièrement la liste de mots-clés utilisés pour détecter des comptes de vente de stupéfiants en ligne ;

· Renforcer les sanctions à l'encontre des vendeurs de cartes sim prépayées qui ne vérifieraient pas l'identité des acheteurs ;

· Réviser les conditions d'accès à certains fichiers comme celui des titres électroniques sécurisés pour les attachés de sécurité intérieure ;

· Concrétiser le traitement centralisé pour les données issues des lecteurs automatiques des plaques d'immatriculation ;

· Investir dans le développement de l'intelligence artificielle (exploitation des données collectées et réquisitionnées, exploitation des images de vidéosurveillance, contrôle à 100 % des colis postaux, collecte et analyse par la douane des contenus publiés sur les plateformes en ligne et relevant de la vente de stupéfiants) ;

· Assouplir les règles des marchés publics en matière d'innovation ainsi que pour les véhicules des services d'enquête et de renseignement.

V. REDONNER SA JUSTE PLACE AU RENSEIGNEMENT

Le rapporteur l'a rappelé en introduction : dans la lutte contre le narcotrafic, la France se situe à un point de bascule. Plusieurs personnes entendues par la commission d'enquête ont dressé une analogie entre la prise de conscience du risque terroriste après les attentats de 2015 et l'actuelle prise de conscience de la dangerosité du narcotrafic et des risques qu'il fait peser sur nos institutions. Pour Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Ofast, « le narcotrafic constitue bien un risque d'atteinte aux institutions, et un risque de déstabilisation de l'État »760(*).

Dans ce contexte, le renseignement doit retrouver sa juste place et le narcotrafic être traité pour ce qu'il est vraiment, à savoir une menace pour les intérêts fondamentaux de la nation.

A. RECONNAÎTRE ET SANCTUARISER LE RÔLE DU RENSEIGNEMENT ADMINISTRATIF

Considérer que le narcotrafic constitue une menace pour les intérêts fondamentaux de la nation appelle deux réflexions complémentaires : l'une sur la place du renseignement dans la lutte contre ce phénomène, l'autre sur l'articulation entre le renseignement et le judiciaire - les deux étant liées.

Pleinement consciente de l'importance de chacun, la commission d'enquête s'est attachée à défendre, dans ses propositions, le maintien d'une distinction claire entre ce qui relève du renseignement et ce qui relève du judiciaire, condition sine qua non de la solidité des procédures pénales et, surtout, de la garantie des droits des citoyens.

1. Assumer l'importance du renseignement administratif pour la lutte contre le narcotrafic

Police nationale, gendarmerie nationale, douanes, Ofast : tous ont confirmé en audition, quelles que soient leurs fonctions, l'importance cruciale que revêt l'approche du renseignement en matière de narcotrafic. L'article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure (CSI) le permet : la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées fait partie des finalités justifiant le recours aux techniques prévues dans le CSI pour recueillir des renseignements relatifs à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation. C'est la « finalité 6 ».

a) Rationaliser l'intervention de chacun des acteurs

Dans ce contexte, la commission d'enquête s'est longuement interrogée sur le fait qu'en l'absence de la pleine implication de la DGSI dans la lutte contre le narcotrafic, cette mission était prioritairement assurée par deux services du premier cercle relevant non pas du ministère de l'intérieur mais de celui de l'économie et des finances, à savoir la DNRED et Tracfin. Elle n'a pas obtenu de réponse claire de la part des ministres, de la DGPN, de la DGGN ou de l'Ofast, si ce n'est pour dire que la coordination était quotidienne et qu'elle se passait bien, ce qui n'est pas toujours vrai sur le terrain.

L'Ofast est une instance encore jeune, qui doit assurer ce lien entre l'ensemble des services de renseignement et assumer un rôle de chef de file en matière de renseignement dans le domaine de la lutte contre le trafic de stupéfiants. Son positionnement est toutefois particulier puisque l'Office doit coordonner et discuter avec des services du premier cercle alors qu'il dispose en son sein d'un service du second cercle - le pôle renseignement - dont la professionnalisation n'est d'ailleurs pas sans susciter quelques doutes qui ont au demeurant déjà été exprimés. Le pôle a néanmoins reçu bien plus de notes opérationnelles (76) et de notes stratégiques (48) en 2023 qu'en 2022 (respectivement 14 et 6), signe peut-être que les services du premier cercle commencent à s'habituer à ce chef-de-filat.

En dépit des critiques qu'elle peut soulever, la commission d'enquête considère que la structure actuelle des intervenants doit être conservée, ne serait-ce que pour éviter la perte de temps qu'induirait la recomposition des capacités dans de nouveaux services ou ministères. Pour autant, pour éviter les doublons et tirer au mieux profit des compétences de tous, la coordination doit être encore plus structurée et conduire à rationaliser les interventions de chacun des services, en fonction de leur positionnement, de leur expérience, de leur capacité à exploiter le renseignement concerné.

Annoncée au stade de projet par la cheffe de l'Office anti-stupéfiants761(*), la convention entre l'Ofast et la DNRED doit être finalisée au plus vite et déboucher sur une véritable doctrine d'emploi permettant d'articuler leur travail au quotidien.

b) Remobiliser les services du premier cercle, et notamment la DGSI

La commission d'enquête en est convaincue, le narcotrafic constitue aujourd'hui une menace pour les intérêts fondamentaux de la Nation. À ce titre, la DGSI doit y prendre toute sa part, tout comme l'ensemble des services du premier cercle dans leurs champs de compétences respectifs. Lors de ses premières auditions, la commission d'enquête a été très étonnée d'apprendre que plusieurs services répressifs n'avaient absolument aucun contact avec la DGSI s'agissant de la lutte contre le trafic de stupéfiants, les échanges ayant lieu en priorité avec la DNRED et l'Ofast. La DGSI semble ainsi avoir « déserté » le champ de la lutte contre le narcotrafic, sauf en ce qui concerne l'appui au déploiement des techniques de renseignement.

Lors de son audition, le directeur général de la police nationale a néanmoins déclaré que le ministre de l'intérieur avait demandé à la DGSI de s'investir sur tous les sujets touchant à la lutte contre les trafics de stupéfiants762(*). Pour autant, de fortes incertitudes demeurent sur la portée concrète de cette affirmation et sur ses conséquences pour les autres services des premier et second cercles. Les propos de Gérald Darmanin en audition sont loin d'avoir rassuré la commission d'enquête : plutôt que de plaider pour un renforcement de la DGSI, celui-ci s'est interrogé sur la possibilité de transformer l'Ofast en organisme de renseignement criminel, « comme la DGSI pour le terrorisme »763(*).

Lors de son audition à huis clos, la directrice générale, Céline Berthon, a effectivement souligné que la DGSI n'est pas en première ligne dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, pour ce qui concerne notamment la production du renseignement et son analyse, mais qu'elle apporte son concours technique aux services prioritairement chargés de cette mission. Toujours selon ses déclarations, elle ne fait face en l'espèce à aucune contrainte capacitaire ou budgétaire : elle peut répondre à l'ensemble des demandes et les seuls refus proviennent d'une infaisabilité opérationnelle764(*).

Ces éléments témoignent d'une situation paradoxale au terme de laquelle la DGSI semble avoir délaissé la prévention de la menace susceptible d'être posée par la criminalité organisée, et en particulier par le narcotrafic, mais en a tout de même pleinement conscience puisqu'elle reçoit de la part des services du second cercle ou des services d'enquête des demandes de « piégeage », pour intercepter les communications cryptées. S'il y a besoin de déchiffrer un réseau de communication utilisé par des narcotrafiquants, c'est que la menace s'est concrétisée.

Par ailleurs, dans l'hypothèse où, dans le cadre de ses autres missions de renseignement, la DGSI croise une information liée au trafic de stupéfiants et que cette information est d'intérêt, elle la partage avec l'Ofast, donc avec un service de renseignement du second cercle, avec un formalisme renforcé. Pour les informations de plus « petit » niveau, elle peut les partager avec les services de la police et de la gendarmerie nationales. Plusieurs personnes entendues par la commission d'enquête ont toutefois souligné que ces échanges étaient rares.

Si le rôle de la DGSI est au coeur des interrogations sur la remobilisation des services du premier cercle, le rapporteur ne peut s'empêcher de mentionner le cas de la DNRED. Au 1er juillet 2024, cette dernière verra ses compétences être élargies au recueil, au traitement et à la diffusion du renseignement en matière de fraude fiscale grave et complexe et de son blanchiment pour le compte de la direction générale des finances publiques765(*). Cette annonce n'est pas sans susciter un certain étonnement :

· il y a tout d'abord une incertitude sur le fondement juridique de cette extension, les techniques de recueil de renseignement ne pouvant pas être utilisées pour lutter contre la fraude766(*) ;

· se pose ensuite la question d'un éventuel renforcement des moyens de la DNRED pour accomplir cette mission, en parallèle de celles dont elle a déjà la charge ;

· par ailleurs, la question de la coopération avec Tracfin et du partage des tâches entre ces deux services du premier cercle doit encore être posée, tout comme celle de la coopération avec l'Ofast si le renseignement fiscal, recueilli pour le compte de la DGFiP, porte sur un dossier de stupéfiants ;

· enfin, et comme cela a été rappelé, les volets financier et patrimonial sont primordiaux pour s'attaquer aux narcotrafiquants et assécher leurs capacités financières ; développer le renseignement fiscal pourrait donc permettre de donner un nouvel élan à cette approche. Or, il est précisé que la cellule de renseignement fiscal ne travaillera que pour le compte de la DGFiP, ce qui implique logiquement, mais de manière assez surprenante, qu'elle ne pourra pas travailler avec la police et la gendarmerie en tant que de besoin, ni avec l'Ofast. Pire encore : ses relations avec les douanes elles-mêmes ne sont pas claires, et la commission d'enquête n'a pas obtenu d'éléments précis quant à la possibilité pour cette structure (théoriquement limitée à intervenir « pour le compte de la DGFiP », aux termes de son arrêté de création) d'interagir avec les services douaniers en charge de la lutte contre les stupéfiants...

Aucun de ces points n'a été clarifié par le Gouvernement.

c) Le renseignement maritime, un atout à ne pas négliger

Tout travail de renseignement n'a pas vocation à déboucher sur un dossier judiciaire : c'est particulièrement le cas pour le renseignement maritime767(*). Comme on l'a vu, la France ne dispose pas toujours de la compétence territoriale pour intervenir mais peut partager ses informations avec des autorités et des agences étrangères, par exemple dans le cadre du MAOC-N ou du CeCLAD, donnant lieu à des interceptions par les pays compétents.

L'Ofast aurait ainsi participé, de par son activité de renseignement, à l'interception de près de 12 tonnes de cocaïne en mer en 2023768(*).

2. Inverser la dynamique entre le judiciaire et le renseignement
a) Mettre les services de renseignement au service des services d'enquête

En matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, la finalité du renseignement doit principalement être la judiciarisation, pour parvenir à démanteler les réseaux et à mettre hors d'état de nuire les trafiquants, que ce soit pénalement ou financièrement. C'est là d'ailleurs une différence de taille avec la lutte contre le terrorisme, pour lequel d'autres modes d'entrave que l'action judiciaire peuvent être envisagés : à l'inverse, pour le narcotrafic (qui constitue par définition une infraction pénale dès la réalisation des premiers actes préparatoires), il n'est pas possible d'envisager le recours à une entrave autre que judiciaire in fine (voir supra).

Cette différence suppose que les services de renseignement se mettent, en matière de narcotrafic, « au service des services d'enquête ». Les renseignements obtenus doivent permettre d'alimenter l'enquête judiciaire conduite sous l'autorité du parquet ou d'un juge d'instruction tandis que la judiciarisation doit intervenir suffisamment tôt pour ne pas entraver le travail d'enquête. Pour ce faire, et ainsi que l'explique Damien Brunet, les services doivent d'emblée s'inscrire « dans une logique d'exploitation judiciaire ultérieure » et respecter « certains principes d'administration de la preuve, tels que l'absence de provocation à la commission de l'infraction »769(*). Pourrait être ajouté le soin à apporter au suivi des dossiers pour éviter tout dépérissement des preuves ou pour rédiger correctement les procès-verbaux770(*). Cela nécessite un effort de formation et une sensibilisation de l'ensemble des services, à l'instar de la démarche qu'avait engagée Tracfin à cet effet par le passé.

De fait, il est impératif que l'ensemble des services de renseignement concernés échangent le plus en amont possible avec l'autorité judiciaire, et notamment avec les Jirs et la Junalco, pour l'informer de certains éléments qui donneront lieu à l'ouverture d'une enquête ou pour qu'ils échangent ensemble sur les dossiers qui pourraient donner lieu à une judiciarisation. Cela implique de dépasser des différences culturelles ancrées de longue date, notamment au sein des services de renseignement.

Si la commission d'enquête a bien conscience que cela peut constituer une petite révolution pour ces services, attachés à leurs prérogatives et à la culture du secret, elle rappelle que certains d'entre eux, au niveau local ou central, ont déjà entamé de telles démarches, et que c'est un impératif pour fiabiliser les dossiers judiciaires et donc, à terme, pour parvenir à démanteler les filières du narcotrafic.

Il importe, à cet égard, de donner aux magistrats la capacité juridique d'être destinataires des informations, même classifiées, que détiennent les services de renseignement. La commission d'enquête se rallie à la proposition faite sur ce sujet par François Molins771(*), qui suggérait de « conférer l'habilitation “confidentiel défense” à tous les magistrats du ministère public travaillant dans les juridictions interrégionales spécialisées », ce qui leur permettrait d'« accéder à l'ensemble des notes de renseignement régulièrement émises par la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) » mais aussi, voire surtout, de « discuter avec les membres de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) lorsque des problématiques de délimitation entre le judiciaire et le renseignement émergent », la bonne gestion de cette délimitation étant - comme on l'aura compris - essentielle aux yeux de la commission.

b) Exploiter davantage les informations collectées en judiciaire
(1) Potentialiser les éléments recueillis dans les dossiers judiciaires

Si la judiciarisation du renseignement est primordiale en matière de lutte contre le narcotrafic, symétriquement, et pour reprendre le néologisme employé par Guillaume Valette-Valla, alors directeur de Tracfin, « “renseignariser” le judiciaire » doit également devenir un nouveau réflexe772(*). Cette approche repose sur le constat que les dossiers d'enquêtes judiciaires peuvent contenir de nombreuses informations dont ne disposent pas les services de renseignement ou de nombreux « signaux faibles » qui n'ont pas été exploités en procédure mais qui peuvent se révéler précieux pour ces services.

La commission d'enquête entrevoit deux niveaux d'action.

Le premier est informel, dans le sens où il dérive d'initiatives locales, basées sur la coordination entre les acteurs d'un même ressort. À titre d'exemple, la DNRED a mené une démarche proactive auprès de la Jirs de Marseille pour exploiter les informations recueillies dans le cadre d'enquêtes judiciaires liées à la criminalité portuaire773(*). L'objectif est ne plus laisser aucune information remontante non exploitée et de créer un maillage de renseignements indirects pour lever les doutes, y compris sur d'éventuelles complicités internes au milieu portuaire. La même chose a été mise en place avec la Jirs de Fort-de-France, où les services de la DNRED sont en contact hebdomadaire avec le parquet pour pouvoir échanger de manière informelle sur les sujets susceptibles d'émerger774(*), ainsi qu'avec la Jirs de Lille, où les échanges permettent au parquet de faire des arbitrages plus pertinents quant au cadre à privilégier et à la temporalité de la judiciarisation775(*).

Le second est formel et consisterait à répliquer à la criminalité organisée les dispositions applicables en matière de terrorisme. L'article 706-25-2 du code de procédure pénale a en effet mis en place une sorte de dispositif de feed-back de renseignements judiciaires aux services de renseignement, par dérogation au principe du secret des procédures judiciaires776(*).

Ce dispositif serait préférable à celui qui existe aujourd'hui pour la criminalité organisée à l'article 706-105-1 du code de procédure pénale et qui présente, ainsi que l'a souligné Damien Brunet777(*), bien trop de fragilités juridiques pour pouvoir être pleinement mobilisé puisqu'il :

· est réservé à la Junalco ;

· exclut certaines infractions dont le meurtre en bande organisée, les tortures et actes de barbarie en bande organisée ou encore l'enlèvement et séquestration en bande organisée ;

· autorise la transmission de ces informations aux services du second cercle de renseignement. Or, contrairement aux dispositions prévues pour le terrorisme, il n'interdit pas que ces informations soient ensuite retransmises aux autres services n'appartenant pas à la communauté du renseignement.

La commission d'enquête et estime que le champ des destinataires pourrait être restreint afin de rendre le dispositif plus attractif et plus rassurant pour les services concernés. À tout le moins, les services du second cercle pourraient devoir justifier de la nécessité de disposer de ces informations pour leurs missions exclusives de celles des services du premier cercle.

La « renseignarisation » du judiciaire ne doit enfin pas conduire à ce qu'un service de renseignement interfère avec une autre procédure judiciaire. Un mécanisme de suivi sera donc indispensable et, là encore, l'échange d'informations sera primordial778(*).

(2) Développer l'intelligence artificielle

À l'instar de ce qui a déjà pu être présenté pour les services d'enquête, l'intelligence artificielle est devenue une innovation clé pour les services de renseignement : les systèmes d'intelligence artificielle sont désormais incontournables pour le prétraitement de la très grande quantité de données produites par les capteurs du renseignement.

Les volumes interceptés ne permettent plus un traitement seulement « humain » : l'intelligence artificielle vient donc appuyer le travail des services de renseignement en triant les données pour mettre en évidence celles qui sont le plus susceptibles d'être utiles. Deux logiques sont poursuivies : la mise en évidence d'éléments qui ont de fortes probabilités de correspondre à un modèle connu et l'identification d'anomalies ou de groupes comportementaux779(*).

Enfin, sur un sujet connexe, le rapporteur s'est intéressé aux potentialités du renseignement algorithmique, aujourd'hui réservé à la lutte contre le terrorisme.

La technique de renseignement algorithmique

Autorisée par l'article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, la technique de renseignement algorithmique consiste à installer des traitements automatisés sur les réseaux des opérateurs dans le but de détecter des connexions susceptibles de révéler une menace terroriste. Les données de connexion concernent autant les données de téléphonique que celles de navigation sur internet.

Cette technique de renseignement fonctionne en deux temps : 1° le traitement algorithmique analyse des flux de données en fonction de critères préétablis, mais sans qu'il soit possible pour les agents d'accéder à ces données ; 2° si le traitement algorithmique a détecté une anomalie, les agents doivent demander au Premier ministre l'autorisation d'accéder aux données, autorisation donnée après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).

La durée de l'autorisation de procéder à l'analyse des données de connexion ne peut excéder deux mois et la CNCTR doit avoir un accès complet et permanent aux traitements et données traitée. Elle doit également être informée de toute modification apportée aux traitements et peut émettre des recommandations. Si ces dernières ne sont pas suivies d'effets, elle peut saisir le Conseil d'État.780(*)

Si l'extension d'une telle technique de renseignement à la lutte contre le narcotrafic, donc hors du champ de la prévention du terrorisme auquel elle est actuellement limitée, venait à être envisagée par le législateur, elle supposerait un encadrement très strict, éventuellement ciblé sur des modalités particulières de trafic de stupéfiants. La perspective d'un déploiement pour lutter contre le phénomène « Uber shit » apparaît beaucoup plus sujette à caution, puisqu'elle nécessiterait l'accès et l'analyse de l'ensemble des données de connexion. La technique de l'algorithme est en effet particulièrement invasive et s'apparente à une surveillance de masse puisque l'ensemble des données sont analysées, de manière automatisée ; elle risque au surplus de poser de lourdes difficultés opérationnelles si elle est appliquée à la lutte contre le trafic de stupéfiants, plusieurs « comportements » observés chez les trafiquants ou leurs « petites mains » n'étant pas particulièrement distinctifs (à l'instar des livraisons à domicile après commande sur Internet, qui ne se différencient pas substantiellement de certains usages légaux sur le plan technique).

Si une telle piste devait être poursuivie et aboutir à une réforme législative, elle supposerait que le Parlement (a minima par le biais de sa Délégation au renseignement) soit informé des modalités de déploiement de cette technique et, surtout, qu'un cadre ad hoc soit fixé pour préciser les cas dans lesquels elle peut être utilisée, la notion générique de « criminalité organisée » figurant dans le code de la sécurité intérieure apparaissant trop large pour justifier une telle atteinte aux libertés : il conviendra ainsi de ne pas opter pour une simple extension à la criminalité organisée du dispositif existant en matière de prévention du terrorisme et, plus largement, d'éviter toute disproportion entre l'usage de cet outil et les objectifs poursuivis.

B. CRÉDIBILISER LE « RENSEIGNEMENT CRIMINEL »

Le renseignement criminel ne se définit pas par rapport à son « auteur » mais par rapport à son usage. Il correspond à toute information issue d'une source ouverte ou fermée, relative à une activité délictuelle ou criminelle et qui peut donner lieu à une exploitation, afin de lutter contre un ou plusieurs groupes criminels organisés.

Dans une vision extensive, il peut inclure les informations tirées de dossiers judiciaires mais aussi celles collectées par l'usage de techniques de recueil du renseignement. De manière prosaïque, il peut constituer une aide à la décision et à l'enquête en apportant une compréhension plus précise des phénomènes de criminalité organisée au niveau local, et notamment des trafics de stupéfiants. Ces deux approches seront tour à tour abordées, par le biais du projet de fichier relatif à la criminalité organisée et par le biais du réseau des Cross.

1. Le fichier « crim org », le Léviathan du bien ?

Dans le cadre des discussions sur la frontière entre le renseignement et le judiciaire et sur les moyens mobilisés dans la lutte contre le narcotrafic est apparue la question du croisement des données et, surtout, celle de la création d'un grand fichier dédié à la criminalité organisée.

La police nationale, la gendarmerie nationale et l'Ofast défendent en effet l'idée d'un « fichier crim org », une base nationale qui regrouperait les données du renseignement criminel et qui aurait vocation à rassembler les données issues de certaines procédures judiciaires, du renseignement criminel, les données collectées en source ouverte, mais aussi des renseignements d'ordre administratif. Aujourd'hui en effet, et comme l'a regretté le directeur général de la police nationale devant la commission d'enquête, « pour tout ce qui concerne les recoupements entre dossiers, entre affaires, entre ce qui est de l'ordre administratif ou judiciaire, nous ne disposons pas de support juridique réunissant l'ensemble des informations »781(*).

La création de cette base nationale pour la criminalité organisée fait partie des quatre priorités énoncées par l'Ofast pour 2024782(*). Elle consisterait en quelque sorte en une très forte extension des potentialités offertes par l'article 706-105-1 du code de procédure pénale (cf. supra).

L'instauration d'un tel fichier se heurte toutefois à plusieurs contraintes juridiques et tend à remettre en cause la distinction fondamentale entre le renseignement et le judiciaire.

D'abord, ce fichier excéderait les deux cadres juridiques existants, à savoir celui des bases d'analyse sérielle, qui permettent de croiser des données judiciaires sur les phénomènes sériels, et celui des logiciels de rapprochement judiciaire, qui permettent de croiser de la donnée dans une procédure judiciaire unique783(*).

Ensuite, l'approche « multicapteurs » d'un tel fichier, si elle existe depuis longtemps dans le monde du renseignement, serait nouvelle pour les services répressifs et pour son application à des données brutes, avant toute synthèse784(*). L'accès direct à ces données soulèverait d'importantes interrogations de confidentialité et de besoin d'en connaître. La commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) s'est quant à elle toujours montrée très vigilante sur la ligne de partage entre le volet judiciaire et le volet renseignement.

La remise en cause de cette limite est, au demeurant, assumée par les services porteurs de ce projet : le modèle de la base de données dont disposent les services de renseignement du premier cercle pour lutter contre le terrorisme est clairement cité, tout comme l'impératif de « décloisonner » les cadres d'utilisation des données. Or, pour le terrorisme, il s'agit d'un fichier de souveraineté, accessible aux seuls services de renseignement et strictement encadré.

Par ailleurs, d'après les informations recueillies par la commission d'enquête, non seulement un croisement des données et des informations collectées pour des finalités différentes - judiciaires et renseignement - est demandé, mais l'objectif serait aussi d'utiliser des outils d'intelligence artificielle pour analyser les données disponibles et pouvoir déceler des indices présumant de l'existence d'un narcotrafic et de ses participants avant l'ouverture d'une enquête. Cela rejoint l'argument du rapporteur : si c'est avant l'enquête, cela relève du renseignement et, si cela relève du renseignement, c'est aux services dédiés et formés à cet effet d'exploiter ces données.

Cet argument est d'autant plus fort que la nature des informations ayant vocation à figurer dans ce fichier, dans l'esprit de ses défenseurs, n'est pas claire. La commission d'enquête a cru comprendre que le fichier était censé être alimenté par les données issues des affaires judiciaires closes. Pour autant, rien n'est moins sûr lorsque l'on relit les propos tenus par le directeur général de la police nationale, Frédéric Veaux, lors de sa seconde audition785(*) : « Ce serait effectivement une banque de données, alimentée notamment par les informations recueillies au titre des dossiers clôturés. En effet, il serait sans doute dangereux d'utiliser les dossiers d'affaires en cours, car certains croisements pourraient alerter telle ou telle personne. Cela étant, il existe des dispositifs techniques permettant de cloisonner les accès à une même base. On peut se protéger de ces risques ».

La commission d'enquête accueille avec la plus grande des réserves l'idée selon laquelle il serait possible de traiter en renseignement des données issues d'affaires judiciaires en cours. Cette piste est à la fois dangereuse et problématique sur le fond, puisqu'elle implique mécaniquement que des fichiers de renseignement soient mis en lien, visiblement sans le contrôle de l'autorité judiciaire, avec des dossiers couverts par le secret de l'instruction. Plus encore, les propos tenus par le directeur général de la police nationale laissent craindre, sans pour autant que cela soit affirmé avec netteté, qu'il soit envisagé de créer un accès direct des services de renseignement (du premier comme du second cercle) à des bases judiciaires, ce qui expliquerait la mention d'un cloisonnement des accès « à une même base » : cette évolution ne saurait être acceptée.

Enfin, le contenu et la portée de ce futur fichier interrogent dans un contexte où il semble avoir vocation à contenir des informations « périmées », sans utilité apparente pour les enquêteurs comme en renseignement : lors de l'audition précitée786(*), Frédéric Veaux évoquait ainsi l'enregistrement dans ce fichier des « éléments de téléphonie » (ce qui est étrange s'agissant d'une population qui change de ligne tous les mois, voire toutes les semaines) et des « plaques d'immatriculation » (ce qui pose question s'agissant d'une forme de criminalité largement alimentée par le trafic de véhicules avec, là encore, des changements fréquents d'immatriculations voire l'utilisation de fausses plaques)...

En résumé, si la commission d'enquête est convaincue que le judiciaire doit bien constituer l'aboutissement de la lutte contre le narcotrafic, cela ne signifie pas pour autant qu'elle soutienne l'idée que les services d'enquête puissent s'octroyer des prérogatives de prévention et de traitement préjudiciaire, qui relèvent du renseignement administratif.

Ainsi, si le rapporteur de la commission d'enquête peut soutenir la création d'un tel dispositif, c'est à la condition qu'il soit suffisamment encadré, qu'une autorité de supervision soit clairement désignée et que le « partage des rôles » soit bien garanti. Là encore, il est frappant qu'aucun des acteurs interrogés (DGPN, DGGN, Ofast) n'ait été capable de se poser d'initiative la question du contrôle à mettre en place et des limites à apporter au fichier souhaité, pas plus que de préciser la nature des traitements qui seraient envisagés dans le cadre de la « base de données » souhaitée.

Aux yeux de la commission, la gravité de la menace ne justifie pas que soit donnée aux services la possibilité de « piocher » des informations dans un gigantesque fichier pour y découvrir, par hasard ou par chance, des éléments qui n'auraient pas été révélés au cours de l'enquête pénale. Le parallèle avec le terrorisme est, là encore, éclairant : une telle opération, sensible par nature, ne peut relever que du premier cercle du renseignement (ou de services du second cercle limitativement énumérés dont le « besoin d'en connaître » sera préalablement démontré et régulièrement réévalué) ; elle doit également être soumise à un cadre juridique clair évitant toute ingérence excessive dans la vie privée (les données des proches des suspects peuvent également apparaître dans les procédures...) et maintenant une ligne de partage nette entre le judiciaire et le renseignement.

2. Professionnaliser les services du second cercle
a) Mieux préparer la judiciarisation des dossiers

Si la Junalco relève que le renseignement criminel s'est largement développé ces dernières années, elle souligne aussi la nécessité de poursuivre la professionnalisation des services de renseignement787(*). Elle perçoit d'ailleurs dans la faculté de transmettre des informations judiciaires aux services de renseignement un moyen de « faire progresser » sa capacité de judiciarisation, « tout comme il faut que les services de renseignement progressent dans leurs capacités à s'investir dans la lutte contre la criminalité organisée »788(*).

S'agissant des dossiers traités par le pôle « renseignement » de l'Ofast, près de la moitié des dossiers de la Cross nationale ont été judiciarisés. Ce ratio est plutôt satisfaisant et repose sur un travail étroit avec l'autorité judiciaire, notamment lorsqu'une source humaine est à l'origine de la procédure et pourrait y apparaître. Ce sont en effet les dossiers pour lesquels la judiciarisation peut être la plus difficile à déclencher et la procédure la plus complexe à respecter.

b) Garantir l'étanchéité entre les actions de renseignement menées par le « second cercle » et les procédures judiciaires : le cas de l'Ofast

Le rôle de chef de file de la lutte contre le trafic de stupéfiants attribué à l'Ofast a conduit à la création d'une structure particulière, qui réunit en son sein un pôle opérationnel et un pôle « renseignement ». Ce choix peut légitimement susciter des interrogations quant à l'étanchéité de ces deux compartiments, physiquement situés au même endroit.

Le pôle « renseignement » est notamment chargé de l'animation de la Cross nationale, de la gestion des cibles d'intérêt prioritaire et de diverses investigations spécifiques à ses missions. Il constitue l'un des piliers de l'Office et a établi, en 2023, plus de 500 notes de renseignement, témoignant d'un niveau élevé d'activité.

L'Ofast a voulu se doter d'un tel pôle pour traiter d'égal à égal avec les autres services de renseignement et pour professionnaliser ce renseignement789(*). Or, lors d'un contrôle sur place, le président et le rapporteur de la commission d'enquête ont pu se rendre compte que cette professionnalisation n'était pas encore totalement au rendez-vous, ne serait-ce que formellement : si les agents sont bien spécialisés, les locaux ne sont pas sécurisés (voir supra), les personnels peu au clair de la distinction entre le judiciaire et le pénal, ce qui ne peut que nourrir des doutes quant à l'étanchéité entre ces deux approches au sein de l'Office. De plus, il arrive que des agents du pôle opérationnel mettent en oeuvre des techniques de renseignement, alors même que cette mission ne relève pas de leurs compétences théoriques. Souvent, c'est parce que les agents ne disposent pas d'informations suffisamment constituées pour lancer des investigations dans un cadre judiciaire : mais, si tel est le cas, le dossier n'a aucune raison de rester au sein du pôle opérationnel.

Le pôle « renseignement » est également compétent en matière d'investigations internationales, y compris sur des tâches opérationnelles. Il s'agit, là encore, d'une brèche potentielle entre les deux missions.

Enfin, en tant que service du second cercle, le pôle « renseignement » de l'Ofast peut mettre en oeuvre des techniques de recueil du renseignement (TRR). Plusieurs centaines de ces techniques ont été mises en oeuvre en 2023 ; leur nombre est en baisse de 32 % par rapport à 2022 mais pour un taux de judiciarisation nettement supérieur (33 %, contre 10 % en 2022)790(*). Si cette évolution est encourageante, les chiffres bruts attestent que l'Ofast apparaît encore loin d'être un acteur de premier plan et semble sous-dimensionné pour agir comme un véritable service de renseignement. Comme on l'a déjà souligné dans le cadre de la recommandation tendant à faire de l'Ofast une véritable « DEA à la française », les missions du pôle « renseignement » doivent être rationalisées et l'étanchéité enfin assurée avec le pôle opérationnel.

3. Redynamiser le dispositif des Cross

La nouvelle version du plan national de lutte contre les stupéfiants, dont les lourdes imperfections ont été évoquées ci-avant, devrait appeler à accroître les capacités du renseignement opérationnel dans les territoires. Cette mesure, à l'instar des autres, apparaît particulièrement floue. Si l'objectif est de mieux connaître les zones d'implantations des trafiquants et les réseaux, alors la commission d'enquête propose, de manière beaucoup plus concrète, de redynamiser le dispositif des Cross.

a) Poursuivre la montée en puissance des Cross

Parmi les missions des Cross figurent le recueil, l'analyse, l'enrichissement et le partage des renseignements opérationnels, la cartographie des réseaux ou encore la constitution d'une cellule de documentation criminelle. Le réseau des 104 Cross est coordonné par la Cross nationale, l'une des six sections du pôle « Renseignement » de l'Ofast. La Cross nationale vise également à collecter, à traiter et à enrichir le renseignement criminel. Deux autres Cross nationales thématiques ont été créées et sont dédiées aux vecteurs portuaire et aéroportuaire - cette dernière incluant les enjeux liés au fret postal.

En 2023, les Cross ont reçu 13 307 signalements, soit une augmentation de 18 % par rapport à l'année 2022 (11 214 signalements).

Répartition de l'origine des informations reçues par les Cross en 2023

Source : commission d'enquête, d'après le bilan annuel d'activité 2023 de l'Office anti-stupéfiants

La suite donnée à ces informations et les résultats obtenus confirment la montée en puissance du réseau des Cross. En 2023, 39 % des informations reçues ont fait l'objet d'une note de renseignement. Sur ces 5 187 notes, un peu moins d'un tiers a trouvé une traduction judiciaire ou douanière.

Évolution des informations reçues par les Cross entre 2022 et 2023

Source : commission d'enquête, d'après les éléments transmis par l'Ofast, la direction générale de la police nationale et la direction générale de la gendarmerie nationale

À l'occasion de ces procédures judiciaires, 3 590 personnes ont été placées en garde à vue et 1 265 écrouées, 290 réseaux et 251 points de deal ont été démantelés tandis que 16,5 tonnes de cannabis ont été saisies, ainsi que 721 kilogrammes de cocaïne, 78 kilogrammes d'héroïne, 223 kilogrammes de drogues de synthèse, 604 armes, 225 véhicules et quasiment dix millions d'euros d'avoirs en valeur. Les saisies ont donc diminué par rapport à 2022, notamment pour ce qui concerne la cocaïne (3,4 tonnes) mais aussi les avoirs criminels (11 millions d'euros), sans que des facteurs d'explication n'aient été avancés.

Évolution des résultats obtenus à la suite de notes de renseignement des Cross entre 2022 et 2023

Source : commission d'enquête, d'après les éléments transmis par l'Ofast, la direction générale de la police nationale et la direction générale de la gendarmerie nationale

Pour poursuivre leur montée en puissance, les Cross doivent être véritablement fonctionnelles sur l'ensemble du territoire et disposer de personnels suffisamment formés pour en assurer l'animation et favoriser l'exploitation des renseignements. La commission d'enquête se félicite à cet égard qu'un système d'information dédié aux Cross soit déployé en 2024, dans une logique de professionnalisation des méthodes de travail des cellules et de sécurisation de la gestion des informations détenues (partage d'informations, facilitation de la coordination et du suivi au niveau national, harmonisation des documents de travail, etc.).

b) Éviter « la mise au vert » de certains délinquants

Les auditions et les déplacements menés par la commission d'enquête l'ont conduite à disposer d'un échantillon assez représentatif des écosystèmes de coopération au niveau local. Or, en dépit des résultats très positifs en 2023, et qu'il convient de saluer, le constat est clair s'agissant des Cross ; il y a des endroits où elles fonctionnent très bien, d'autres où elles ont été totalement mises de côté, se réunissant à peine une fois par an. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette situation : la qualité des relations interpersonnelles, qui demeure un facteur prépondérant791(*), la présence ou non d'une antenne de l'Ofast à proximité pour redynamiser le réseau, des « faits » d'actualité, qui peuvent conduire à réactiver des cellules en sommeil.

La mise en sommeil de certaines Cross constitue, pour les narcotrafiquants, une faille supplémentaire dont ils peuvent tirer profit. Les auditions menées avec des magistrats, des policiers et des gendarmes de zones rurales ont confirmé une tendance des trafiquants à chercher à se « mettre au vert », que ce soit pour trouver un nouveau lieu de stockage pour leurs produits ou pour trouver « refuge » dans une commune plus calme et pas en première ligne dans le narcotrafic.

Ainsi que le résumait Karine Malara, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Bourg-en-Bresse : « les délinquants nous avouent parfois qu'ils se sont mis au vert dans un village, où ils bénéficient d'un relatif anonymat et où ils courent moins le risque d'être identifiés par les forces de l'ordre que dans les villes. Les zones rurales sont aussi les bases arrière des trafics, notamment en matière de stockage. Il en va ainsi de Bourg-en-Bresse pour les trafiquants lyonnais, qui s'y comportent en distributeurs, en développant des stratégies géographiques afin de se rapprocher de la clientèle, présente partout »792(*).

Par ailleurs, la création des Cross répond à une logique préventive : que certaines cellules soient réactivées après l'interception d'une cargaison de stupéfiants ou après un fait criminel violent s'inscrit à rebours de l'objectif poursuivi et également défendu par la commission d'enquête tout au long de ce rapport, à savoir, parvenir, enfin, à anticiper pour cesser d'être dans la réaction permanente.

La direction générale de la police nationale a procédé à une évaluation du réseau des Cross à la fin de l'année 2023, évaluation qui devrait lui permettre de proposer des ajustements. Lors de leurs auditions, tant le directeur général de la police nationale que la cheffe de l'Ofast sont restés très flous sur ces évolutions. Il revient pourtant à l'Ofast, en tant que chef de file de la lutte contre le trafic de stupéfiants et que « Cross nationale », de pouvoir animer le dispositif des Cross, en particulier dans les territoires où elles sont délaissées. Il est partout nécessaire de disposer de tels espaces de discussion et de coordination, qui permettent d'éviter les « renseignements perdus » et de traiter tous les signaux faibles, qui peuvent éclairer l'organisation d'un réseau ou du trafic793(*).

Or, le temps presse quand il s'agit de s'opposer à des organisations criminelles puissantes. La commission d'enquête propose donc :

· de conduire une action de sensibilisation auprès de l'ensemble des forces de sécurité intérieure pour favoriser la remontée d'informations brutes en provenance des effectifs de terrain. Le but de la Cross n'est pas seulement de pouvoir discuter de dossiers en voie d'être judiciarisés, mais également de pouvoir anticiper en recoupant des informations brutes qui n'auraient peut-être pas été exploitables prises isolément, mais qui peuvent être enrichies en étant comparées et recoupées. Un tel travail a été engagé par la préfecture de police de Paris794(*) ;

· de définir, dans certaines régions, des « Cross cheffes de file », sur le modèle francilien. En Île-de-France, la Cross 75 centralise, analyse et enrichit tout le renseignement qui concerne son ressort avant de faire « redescendre » ces informations vers les Cross franciliennes, qui en retour les diffusent à l'ensemble des services et unités contributeurs. Ce modèle pourrait être utilement répliqué dans d'autres régions : les Cross ayant un faible volume d'activités pourraient participer aux travaux de leur Cross cheffe de file. Ces organisations intermédiaires ne seraient pas nécessairement alignées avec le périmètre de la région, mais pourraient tenir compte des particularismes locaux : on rappellera au lecteur l'exemple déjà évoqué de Verdun et de ses liens difficiles avec la Cross de Metz, alors même que le trafic local est largement alimenté par les réseaux messins.

c) Intégrer le parquet

Les travaux menés par la commission d'enquête ont fait apparaître des disparités quant à la présence ou non du parquet aux réunions des Cross. Cet état de fait s'inscrit en porte-à-faux des recommandations émises lors de la création des Cross : sans prévoir que les parquets soient membres de ces structures, une dépêche de la direction des affaires criminelles et des grâces avait néanmoins souligné, dès 2018, que les missions assurées par les Cross devaient « permettre au procureur de la République d'enrichir les enquêtes en cours ou d'ouvrir de nouvelles enquêtes »795(*).

L'intégration systématique du parquet aux réunions des Cross apparaît donc essentielle, et pour deux raisons. D'une part, elle pourrait permettre de donner un premier cadre à ce que la commission d'enquête appelle de ses voeux, une « judiciarisation du renseignement » et une « renseignarisation du judiciaire » et, d'autre part, elle permettrait de disposer d'une vision globale de la délinquance et des menaces qui pèsent sur un même territoire. L'intégration des parquets pourrait tenir compte des particularités de la délinquance locale : les procureurs ne seraient pas seulement invités à participer à leur Cross départementale, ils pourraient également demander à participer à des Cross limitrophes.

?

Le renseignement, qu'il soit recueilli et enrichi par un service du premier cercle ou par un service du deuxième cercle, criminel ou administratif, est à la base des enquêtes judiciaires qui sont ensuite conduites pour démanteler les réseaux. Il suppose l'investissement de l'ensemble des services concernés, au niveau central comme au niveau local, à travers le réseau des Cross.

Recommandation n° 20 de la commission d'enquête : tracer une juste frontière entre le judiciaire et le renseignement

· Rationaliser l'intervention des services du renseignement et définir des « doctrines d'arbitrage » en cas de dossiers recoupant les champs de compétence des chefs de file (stupéfiant, fraude fiscale, blanchiment) ;

· Donner à la DGSI les moyens d'être pleinement mobilisée dans la lutte contre le narcotrafic ;

· Former les personnels des services de renseignement du second cercle à la judiciarisation des dossiers et garantir l'étanchéité entre les pôles opérationnel et renseignement de l'Ofast ;

· Accroître la transmission d'informations entre les juridictions et les services de renseignement par l'intermédiaire d'un dispositif de feed-back inspiré de celui mis en place dans la lutte contre le terrorisme ;

· Définir les cadres d'usage de l'intelligence artificielle ;

· Subordonner la création d'un fichier « criminalité organisée » à l'identification claire de son périmètre, des services appelés à y accéder et des modalités de sa supervision, en interdisant tout lien avec des dossiers judiciaires en cours ;

· Envisager une expérimentation du renseignement algorithmique en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, avec des règles adaptées et clairement encadrées ;

· Redynamiser le dispositif des Cross, en intégrant les parquets, en encourageant les remontées d'informations en provenance des effectifs sur le terrain et en désignant des Cross « chef de file » pour centraliser et enrichir le renseignement et éviter les « informations perdues ».

VI. ADAPTER LE DROIT PÉNAL ET LA PROCÉDURE PÉNALE AUX RÉALITÉS DU NARCOTRAFIC

La commission d'enquête l'a affirmé : il est plus que temps que la réalité de la menace liée au narcotrafic soit prise en compte et que les moyens de la lutte soient portés au niveau supérieur.

Ce constat vaut, plus encore que dans d'autres matières, dans le domaine de procédure pénale. Ayant l'ambition de donner aux officiers de police judiciaire et aux magistrats les moyens d'agir contre le trafic, le présent rapport est porteur de nombreuses propositions qui, toutes, visent à permettre une répression effective des narcotrafiquants, en priorisant le « haut du spectre ».

A. CRÉER UN PARQUET NATIONAL ANTISTUPÉFIANTS

La première de ces propositions porte sur la création d'un parquet national antistupéfiants, équivalent en judiciaire de l'Ofast rénové dont la commission d'enquête recommande la mise en place qui en serait le bras armé.

Cette création s'inspirerait des parquets nationaux existants en matière financière (donc le parquet national financier, ou PNF) et de lutte contre le terrorisme (soit le parquet national antiterroriste, ou Pnat).

Le PNF et le Pnat : des modèles à suivre

Le PNF

Le parquet national financier (PNF) a été créé par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la fraude fiscale et à la grande délinquance financière et par la loi organique n° 2013-1115 du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République financier.

Cette loi trouve sa genèse dans un évènement national, « l'affaire Cahuzac », dans laquelle un ministre délégué en charge du Budget a été mis en cause puis condamné pour les délits de fraude fiscale et de blanchiment de fraude fiscale, mais répond également, au niveau international, aux recommandations de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) qui avait invité la France, à l'issue d'une évaluation réalisée en 2012, à intensifier ses actions pour lutter contre la corruption internationale. [...]

Afin d'accroître l'efficacité de son action en matière de lutte contre la fraude de grande complexité, les magistrats qui le composent sont spécialisés en matière économique et financière.

Le PNF est doté d'une compétence nationale. Il peut donc connaître de tous les faits entrant dans son champ de compétence commis en France métropolitaine et sur les territoires et départements d'outre-mer. Il peut également, sous certaines conditions, connaître de faits commis à l'étranger.

Le PNF est spécialisé dans le traitement de la délinquance économique et financière la plus complexe.

Son champ de compétence recouvre quatre catégories d'infractions :

· les atteintes aux finances publiques (les délits de fraude fiscale complexe, de fraude fiscale commise en bande organisée, d'escroqueries à la TVA de grande complexité et de blanchiment des infractions précitées) ;

· les atteintes à la probité (les délits de corruption, de trafic d'influence, de prise illégale d'intérêts, de pantouflage, de concussion, de favoritisme, de détournement de fonds publics, d'obtention illicite de suffrages en matière électorale...) ;

· les atteintes au bon fonctionnement des marchés financiers (les délits d'initié, de manipulation de cours ou d'indice, de diffusion d'informations fausses ou trompeuses) ;

· depuis l'entrée en vigueur de la loi du 24 décembre 2020, le PNF a vu sa compétence étendue aux atteintes au libre jeu de la concurrence (les délits d'entente illicite et d'abus de position dominante).

En matière d'atteintes aux finances publiques, à la probité et à la concurrence, le PNF dispose d'une compétence concurrente à celle des autres parquets territoriaux et juridictions spécialisées (Jirs). Cela signifie qu'il n'est pas le seul à pouvoir être saisi de ce type d'infractions, même lorsqu'elles présentent une grande complexité.

Toutefois, en matière d'atteintes aux marchés financiers, sa compétence est exclusive, ce qui signifie que le PNF est la seule autorité judiciaire compétente pour enquêter et poursuivre pénalement ce type d'infractions796(*).

Le Pnat

L'activité antiterroriste a pris une part prépondérante dans l'activité du procureur de Paris. Il était donc nécessaire de créer une structure dédiée à temps plein à cette lutte contre le terrorisme. [...] ce nouveau parquet [...] sera compétent sur l'ensemble du territoire en matière de terrorisme et de crimes contre l'humanité.

Le Pnat bénéficiera d'une équipe de magistrats et de fonctionnaires renforcée. Sa création s'accompagnera de la désignation de procureurs délégués antiterroristes au sein des parquets territoriaux les plus exposés.

Le Parquet national antiterroriste aura pour mission la répression de trois catégories de crimes et délits :

· les crimes et délits terroristes ainsi que certaines infractions visant des personnes mises en cause pour des actes de terrorisme ;

· les crimes et délits relatifs à la prolifération des armes de destruction massive ;

· les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité relevant auparavant de la section A3 du parquet de Paris.

Doté de la plénitude de compétences en matière de terrorisme, le Pnat exercera l'action publique devant la cour d'assises spéciale797(*).

Sur le modèle de ces deux parquets dont la légitimité est aujourd'hui pleinement établie, la commission d'enquête estime indispensable de créer un parquet dédié à la lutte contre le narcotrafic du « haut du spectre »798(*).

Cette proposition répond à deux impératifs majeurs :

· d'une part, celui de la spécialisation qui, seule, peut permettre de tenir compte des particularités des réseaux de narcotrafic : ces derniers constituent - comme on l'a vu - une menace pour les intérêts fondamentaux de la nation, ce qui impose une fine maîtrise à la fois des modes d'action des narcotrafiquants et des outils juridiques pouvant être déployés pour investiguer sur les groupes criminels complexes auxquels ils appartiennent et pour les démanteler. La création d'un parquet national antistupéfiants (Pnast) doit ainsi permettre d'accroître, voire de massifier le recours aux techniques spéciales d'enquête, en lien avec un Ofast rénové et disposant à l'avenir d'une autonomie dans la gestion des matériels requis (voir supra), et d'aller plus loin dans la mise au jour de circuits de blanchiment qui échappent aujourd'hui à la répression faute de pouvoir être identifiés ;

· d'autre part, celui de l'incarnation : l'efficacité de la lutte contre le narcotrafic passe en effet, aux yeux de la commission d'enquête, par l'émergence d'une figure unique, clairement identifiée et qui sera l'interlocuteur de référence pour la sphère judiciaire. Cette figure sera, en particulier, la mieux placée pour développer des liens fluides et confiants non seulement avec les services de police judiciaire et avec les douanes, mais aussi avec les services de renseignement du premier cercle engagés dans la lutte contre le narcotrafic, dans le cadre du dialogue que la commission d'enquête appelle de ses voeux pour établir une juste frontière entre le pénal et le renseignement799(*). On rappellera à cet égard que les créations du PNF et du Pnat ont été d'incontestables succès s'agissant du renforcement de la visibilité et de la cohérence de l'action judiciaire dans leurs secteurs respectifs de compétences : le même mouvement doit s'opérer en matière de lutte contre le narcotrafic.

Cette centralisation et cette particularisation du narcotrafic permettront au futur parquet national antistupéfiants d'être au coeur de la stratégie de lutte contre cette menace - cette stratégie étant aujourd'hui largement définie, comme on l'a vu s'agissant par exemple des opérations « place nette », sans le concours des juridictions, ce qui n'est pas satisfaisant.

Le Pnast serait ainsi saisi des « grandes » affaires de narcotrafic (donc les affaires d'ampleur nationale ou internationale) et des infractions directement connexes en matière de violences ou de blanchiment. Il aurait une compétence d'attribution en matière correctionnelle, dans le cadre d'un dialogue avec les Jirs et la Junalco (voir infra), et disposerait d'un monopole sur les affaires criminelles : règlements de comptes les plus violents (meurtres, tortures...), animation d'un réseau de trafic, etc.800(*)

Dans l'esprit de la commission d'enquête, le Pnast aurait en outre un monopole sur la gestion des « repentis », dont il est proposé ci-après d'étendre le périmètre d'application, et des infiltrés « civils », c'est-à-dire de délinquants dont il est proposé de faire, sur le modèle américain, les yeux et les oreilles de la police judiciaire dans les réseaux (voir infra).

Cette évolution ne signifierait ni la dévitalisation des Jirs ni la disparition de la Junalco : non seulement les Jirs continueraient d'être saisies des affaires qui, sans avoir une ampleur nationale, dépassent le ressort d'un seul parquet ou présentent une certaine complexité, mais surtout la Junalco continuerait à jouer l'indispensable rôle qu'elle assure aujourd'hui dans la lutte contre la criminalité organisée et resterait saisie des cas qui mêlent plusieurs types de cette criminalité - donc le narcotrafic et d'autres types de trafics.

S'agissant là encore de l'articulation avec la Junalco, la création du Pnast, souhaitable pour des motifs qualitatifs, semble par ailleurs réaliste au plan quantitatif : selon les statistiques transmises par la Junalco à la commission d'enquête, le narcotrafic représente 22 % de son activité. Plus précisément, sur les 137 affaires dont elle a été saisie depuis sa création, 31 concernaient le trafic de stupéfiants : le volume d'affaires restantes (106) est suffisamment important pour que le dimensionnement actuel de la Junalco ne soit pas remis en cause par l'émergence du Pnast.

Symétriquement, ces chiffres révèlent que le volume de dossiers relatifs au narcotrafic du « haut du spectre » est suffisant pour justifier la création d'un parquet national ad hoc (a fortiori au vu de la haute technicité des procédures applicables en matière de narcotrafic comme de la nécessité d'une spécialisation pour assurer la gestion, déjà évoquée, des « repentis » et des infiltrés « civils »). On ne saurait douter que, vu l'ampleur de la menace, la « masse critique » requise pour assurer le fonctionnement normal d'un parquet spécialisé sera atteinte par le futur Pnast en ce qui concerne non seulement les magistrats, mais aussi l'équipe à constituer autour de ces derniers (greffiers, assistants spécialisés...).

Le rapporteur relève enfin que, bien que s'étant déclaré opposé à la création d'un parquet national antistupéfiants, François Molins, ancien procureur général près la Cour de cassation, avait souligné lors de son audition par la commission d'enquête, le 27 mars 2024, le besoin d'un véritable « chef de file » (rôle qu'il envisageait de confier à la Junalco) afin d'assainir des « partages de compétences qui renvoient à des enjeux de pouvoir - je le dis sans langue de bois - entre l'administration centrale et le ministère public » ; il estimait d'ailleurs qu'un tel chef de filat judiciaire « se justifierait d'autant plus que le trafic de stupéfiants est souvent mené par des réseaux “multicartes”, qui commettent également des meurtres et qui peuvent se livrer à des pratiques d'extorsion ».

Ces deux propositions ne sont pas exclusives l'une de l'autre, et la commission d'enquête estime judicieux que la Junalco soit renforcée et que son rôle spécifique soit réaffirmé. La recommandation tendant à créer un Pnast n'enlève rien, en effet, à la qualité de l'action de la Junalco qui, après quatre ans d'existence, a fait toute la preuve de sa pertinence et de son efficacité : pour n'en donner que deux exemples, elle a ainsi réussi à faire parvenir le tentaculaire dossier Sky ECC à maturité et a généré la saisie, en 2023, d'environ 230 millions d'euros d'avoirs criminels. Ce bilan mérite d'être mis en valeur et salué.

Le Pnast cohabitera donc avec les Jirs et la Junalco, chaque acteur étant doté d'un périmètre de compétences clairement défini. Afin de garantir le bon fonctionnement de cette nouvelle architecture et de ne pas perturber l'action des entités existantes, et sans préjudice de ce qui a déjà été souligné ci-avant quant à l'indispensable affirmation de la compétence des Jirs et à l'approfondissement de leur coordination avec les juridictions de droit commun, il est essentiel qu'un dialogue de chaque instant soit assuré entre les Jirs, la Junalco et le futur Pnast. Le principe d'une saisine simultanée par les services d'enquête, pour permettre notamment à la Junalco et au Pnast de revendiquer leur compétence sur une affaire, et d'une répartition harmonieuse des dossiers devra être scrupuleusement assuré - ce qui peut passer, au vu des failles relevées en deuxième partie, par l'inscription de cette triple saisine dans le code de procédure pénale.

Signe que la proposition de la commission d'enquête trouve toute sa pertinence et son actualité, lors de leurs auditions respectives devant la commission d'enquête, les ministres de la justice et de l'intérieur et des outre-mer801(*) ont fait part de leur intérêt pour la création d'un parquet national, le ministre de la justice ayant d'ailleurs précisé qu'une réflexion sur ce sujet était en cours et qu'il fallait dans tous les cas renforcer la Junalco sans dévitaliser les Jirs. Le ministre de l'intérieur est apparu quant à lui très favorable à la création d'un parquet national compte tenu, notamment, du succès du Pnat pour lutter contre le terrorisme au stade judiciaire.

Recommandation n° 21 de la commission d'enquête : donner à l'autorité judiciaire les moyens de la mobilisation contre le narcotrafic

· Créer, sur le modèle du Pnat et du PNF, un parquet national antistupéfiants (Pnast).

B. DURCIR LA PROCÉDURE PÉNALE POUR METTRE LES NARCOTRAFIQUANTS HORS D'ÉTAT DE NUIRE

La commission d'enquête estime par ailleurs nécessaire de « muscler » l'arsenal pénal pour mettre les trafiquants hors d'état de nuire, ce qui passe par des modifications non seulement en matière de droit pénal, mais aussi de procédure pénale, à tous les stades de la conduite des investigations et des procès.

1. Dans le droit pénal : neutraliser les narcotrafiquants du haut du spectre avant qu'il ne soit trop tard

L'association de malfaiteurs, en droit français, est une infraction dite obstacle, visant à appréhender les comportements délictueux ou criminels en amont de la survenance de l'infraction qui est envisagée par les délinquants. En ce sens, elle permet de protéger la société avant la survenance d'actes dommageables. Lorsque l'infraction préparée est survenue, seule cette dernière peut être poursuivie.

Actuellement, selon l'article 450-1 du code pénal, l'association de malfaiteurs nécessite l'existence d'un « groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement ». Lorsque l'infraction préparée est un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement, la peine encourue est de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende ; lorsqu'il s'agit d'un crime ou d'un délit puni de dix ans d'emprisonnement, la peine encourue est de dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende.

Au cours des travaux de la commission, plusieurs acteurs ont indiqué que l'infraction française d'association de malfaiteurs apparaissait comme insuffisante pour appréhender pleinement les agissements des narcotrafiquants, en particulier de ceux agissants en haut du spectre compte tenu de leur capacité à s'impliquer dans le trafic de stupéfiants tout en restant le plus éloigné possible pour éviter une mise en cause judiciaire.

Baudoin Thouvenot, inspecteur général de justice et membre national pour la France à l'European Union Agency for Criminal Justice Cooperation (Eurojust) : « pour ce qui est de l'association de malfaiteurs, la définition pourrait être davantage alignée sur le modèle italien, au terme duquel l'appartenance à la mafia est un élément central et constitue une infraction en soi »802(*).

L'économiste Clotilde Champeyrache précise, concernant le droit pénal italien, que « le concours externe en association mafieuse, utilisé en Italie, est peu évoqué chez nous. Il s'agit de frapper plus durement un non-affilié qui apporte sciemment son concours à l'organisation criminelle. Cette zone grise est assez importante ; elle concerne la corruption et bien d'autres acteurs. Si on la casse, on détruit la capacité des mafias à s'étendre. L'illégal a des liens avec le légal. Il est primordial de casser ces liens si l'on veut affaiblir les organisations criminelles. Je prends l'exemple de la messagerie cryptée EncroChat, qui était au départ une société légale de télécommunication, mais proposait des services susceptibles de plaire aux criminels »803(*).

Par ailleurs, le délit d'association de malfaiteurs en vue de commettre un crime est actuellement puni de seulement dix ans d'emprisonnement, alors même que l'économie générale de cette infraction est d'exposer le participant d'une association de malfaiteurs à la même peine que l'infraction préparée. Il apparaîtrait donc logique de criminaliser l'infraction d'association de malfaiteurs lorsque l'infraction projetée est, notamment, un des crimes relevant de l'article 706-73 du code de procédure pénale.

Recommandation n° 22 de la commission d'enquête : compléter l'arsenal pénal de la lutte contre le narcotrafic

· Envisager l'extension de l'infraction d'association de malfaiteurs sur le modèle de la loi antimafia italienne et la création d'un crime d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un des crimes relevant de l'article 706-73 du code de procédure pénale.

2. Au cours de l'enquête et de l'instruction
a) Protéger l'efficacité des techniques spéciales d'enquête par la création d'un dossier « coffre » mettant en oeuvre un contradictoire asymétrique

La commission constate que la procédure pénale en matière de criminalité organisée prévoit des techniques d'enquête particulièrement intéressantes pour démanteler les réseaux de narcotrafiquants mais qu'elles sont, pour certaines, insuffisamment utilisées.

À cet égard, Frédéric Veaux, le directeur général de la police nationale, déclarait : « Nous pouvons également améliorer nos outils dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, notamment les techniques spéciales d'enquête. Afin de pénétrer les trafics les plus structurés et organisés, nous avons besoin de la plus grande des discrétions pour ne pas dévoiler nos modes d'action auprès des trafiquants »804(*).

Les magistrats et les enquêteurs entendus par la commission d'enquête ont fait part de leur intérêt pour la création d'un dossier dit « coffre », « confidentiel » ou « distinct ». Ce dernier aurait pour objectif de ne pas rendre contradictoire certains éléments de procédure concernant les techniques spéciales d'enquête en raison du risque de contournement par les délinquants de ces outils probatoires.

La coordinatrice du service de l'instruction à la Jirs de Paris, Sophie Aleksic, identifie trois techniques d'enquête qui pourraient opportunément intégrer le dossier « coffre » : « La première méthode concerne le recours aux indicateurs, celle-ci ne faisant l'objet d'aucun contrôle par la cour d'appel et étant gérée exclusivement par le procureur. La deuxième méthode concerne l'infiltration, soit par un policier sous couverture, soit par un civil, étant précisé qu'en France nous ne connaissons pas d'infiltration par des civils ; dans le dossier, ne sont mis en procédure que les éléments d'exécution, tout le reste se trouvant dans le dossier “confidentiel”. Enfin, la troisième méthode concerne l'observation avec moyen technique ; les techniques sont protégées, les suspects ne savent jamais ce que l'on a utilisé pour les observer »805(*).

Cette proposition apparaît comme une réponse adaptée aux évolutions récentes du narcotrafic et aux capacités sans cesse renouvelées des narcotrafiquants à déjouer les méthodes d'investigation des enquêteurs.

En outre, elle a le mérite, d'une part, de pas être totalement inconnue de l'ordre juridique français et, d'autre part, d'être théoriquement compatible avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui a déjà eu à se prononcer sur la conventionnalité d'un dispositif similaire prévu par le droit pénal belge.

En effet, et en premier lieu, la procédure pénale française connaît déjà d'une forme très simplifiée du « dossier coffre » dans le cadre du témoignage anonyme. L'article 706-58 du code de procédure pénale prévoit la possibilité pour le juge des libertés et de la détention (JLD), sur requête motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction, pour les procédures portant sur des infractions punies d'au moins trois ans d'emprisonnement, d'autoriser à ce que les déclarations du témoin soient recueillies sans que son identité apparaisse dans le dossier de la procédure. La décision du JLD est jointe au procès-verbal d'audition du témoin anonyme sur lequel ne figure pas sa signature. En revanche, l'identité et l'adresse de ce témoin sont inscrites dans un autre procès-verbal signé par l'intéressé qui est versé dans un dossier distinct du dossier de la procédure, dans lequel figure également la requête précitée.

En second lieu, la procédure devant le juge administratif connaît aussi un aménagement du principe du contradictoire depuis plusieurs années concernant le contentieux de la mise en oeuvre des techniques de renseignement soumises à autorisation et des fichiers intéressant la sûreté de l'État806(*) et, plus récemment certaines décisions administratives807(*) dès lors qu'elles sont fondées sur des motifs en lien avec la prévention d'actes de terrorisme.

Dans ces hypothèses, l'article L. 773-11 du code de la justice administrative808(*) prévoit que lorsque des considérations relevant de la sûreté de l'État s'opposent à la communication d'informations ou d'éléments sur lesquels reposent les motifs de l'une des décisions précitées, soit parce que cette communication serait de nature à compromettre une opération de renseignement, soit parce qu'elle conduirait à dévoiler des méthodes opérationnelles des services de renseignement, l'administration peut, lorsque la protection de ces informations ou de ces éléments ne peut être assurée par d'autres moyens, les transmettre à la juridiction par un mémoire séparé en exposant les raisons impérieuses qui s'opposent à ce qu'elles soient versées au débat contradictoire.

Le juge administratif statue sur le litige sans soumettre les éléments qui lui ont été communiqués au débat contradictoire ni en révéler l'existence et la teneur dans sa décision, toutefois, lorsqu'il estime que les éléments communiqués sont sans lien avec la sûreté de l'État, le juge informe l'administration qu'il entend verser les éléments au débat contradictoire pour en tenir compte, l'administration pouvant alors refuser de les communiquer.

Cet exemple relatif au droit administratif et au domaine du renseignement est certes différent du droit pénal et de l'enquête judiciaire, mais il n'en demeure pas moins que les techniques spéciales d'enquête (dont certaines sont similaires aux techniques de renseignement) méritent également de rester confidentielles pour en assurer l'efficacité, d'une part ; d'autre part, l'objectif de lutte contre la criminalité organisée et les narcotrafiquants, en ce qu'ils menacent les intérêts fondamentaux de la Nation, pourrait également justifier le recours à un contradictoire aménagé.

On rappellera à cet égard que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a jugé, le 23 mai 2017, que le recours par l'État belge à des méthodes particulières de d'observation et d'infiltration, dans le cadre d'une enquête pénale dont les éléments sont versés dans un dossier confidentiel non contradictoire, n'était pas contraire au droit à un procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales809(*).

Dans cette affaire qui portait sur des faits de trafic de stupéfiants, de participation à une organisation criminelle internationale et de blanchiment d'argent, la CEDH a également noté l'existence d'un contrôle effectif de la régularité de la mise en oeuvre des méthodes particulières de recherche effectué par la chambre des mises en accusation de la cour d'appel. Cette juridiction, indépendante et impartiale, a pu examiner si des éléments figurant dans le dossier confidentiel devaient faire partie ou non du dossier contradictoire.

Le droit à la divulgation des preuves pertinentes n'est pas absolu

« La Cour, quant à elle, doit, pour mener à bien sa tâche, déterminer si la procédure pénale a globalement revêtu un caractère équitable. Pour ce faire, elle envisage la procédure dans son ensemble, y compris la manière dont les éléments de preuve ont été recueillis, et vérifie le respect non seulement des droits de la défense mais aussi de l'intérêt du public et des victimes à ce que les auteurs de l'infraction soient dûment poursuivis ainsi que, si nécessaire, des droits des témoins.

« Dans ce contexte, la Cour rappelle que tout procès pénal, y compris ses aspects procéduraux, doit revêtir un caractère contradictoire et garantir l'égalité des armes entre l'accusation et la défense : c'est là un des aspects fondamentaux du droit à un procès équitable. En matière pénale, le droit à un procès contradictoire implique, pour l'accusation comme pour la défense, la faculté de prendre connaissance des observations ou éléments de preuve produits par l'autre partie, ainsi que de les discuter. De surcroît, l'article 6 exige que les autorités de poursuite communiquent à la défense toutes les preuves pertinentes en leur possession, à charge comme à décharge.

« Cela dit, le droit à une divulgation des preuves pertinentes n'est pas absolu. Dans une procédure pénale donnée, il peut y avoir des intérêts concurrents - tels que la sécurité nationale ou la nécessité de protéger des témoins risquant des représailles ou de garder secrètes des méthodes policières de recherche des infractions - qui doivent être mis en balance avec les droits de l'accusé. Dans certains cas, il peut être nécessaire de dissimuler certaines preuves à la défense de façon à préserver les droits fondamentaux d'un autre individu ou à sauvegarder un intérêt public important. Toutefois, seules sont légitimes au regard de l'article 6 § 1 les mesures restreignant les droits de la défense qui sont absolument nécessaires. De plus, si l'on veut garantir un procès équitable à l'accusé, toutes difficultés causées à la défense par une limitation de ses droits doivent être suffisamment compensées par la procédure suivie devant les autorités judiciaires. »810(*)

À l'aune de ces considérations et de l'état de menace particulièrement élevée que pose le narcotrafic en France (cf. première et deuxième parties du rapport), la commission estime qu'il est nécessaire, dans les affaires de criminalité organisée uniquement, de prévoir un dossier confidentiel, dit « coffre » dans le cadre de la procédure pénale permettant de préserver certaines techniques spéciales d'enquête, à l'instar, notamment, de l'infiltration811(*), de la sonorisation et la fixation d'images de certains lieux ou véhicules812(*) ou de la captation des données informatiques.

Il est toutefois impératif que le contrôle de la régularité des pièces versées dans le dossier coffre soit assuré ; il pourrait, par exemple, s'exercer sous le contrôle de la chambre de l'instruction de la cour d'appel.

b) Utiliser pleinement les techniques spéciales d'enquête

La question des techniques spéciales d'enquête - définies et listées plus haut dans le présent rapport - est, elle aussi, un enjeu essentiel ; elle pose des enjeux non seulement capacitaires, mais aussi juridiques.

(1) L'enjeu capacitaire : les TSE, combien de divisions ?

Les auditions et déplacements de la commission d'enquête ont, en effet, fait apparaître un manque de moyens pour la mise en place de techniques spéciales d'enquête (TSE). Face à l'impossibilité d'obtenir, dans de nombreux domaines, des chiffres précis, on tentera d'en juger à partir de trois exemples, dont certains ont déjà été abordés en deuxième partie.

Le premier concerne les sonorisations : outre que celles-ci sont complexes à mettre en oeuvre, la pose s'effectuant lorsque l'opportunité se présente, souvent après plusieurs jours de « planque », les logiciels dont dispose la police nationale pour exploiter les enregistrements sont obsolètes et la taille des fichiers informatiques correspondants est peu compatible avec des moyens informatiques anciens, qui « buggent » en raison de ce volume.

Le second concerne les IMSI-catchers, dont l'utilité a déjà été commentée en deuxième partie. Comme on l'a évoqué, au vu du prix de ces équipements, leur nombre au niveau national est extrêmement limité, obligeant les services de police judiciaire - y compris ceux de zones dans lesquelles le trafic, et plus largement la criminalité et la délinquance organisées, est très actif - à faire venir un appareil de Paris ou de Marseille, avec la latence associée à ce déplacement, lorsque leur utilisation est requise pour une enquête.

Le troisième concerne les key-loggers, eux aussi décrits en deuxième partie et dont il faut rappeler qu'ils constituent souvent le seul moyen d'accéder au contenu des communications échangées par téléphone portable, dans la mesure où celles-ci transitent par des messageries cryptées. Non seulement ces outils présentent des limites techniques qui ont déjà été exposées, mais, surtout, le nombre d'utilisations effectives de key-loggers dans des enquêtes liées au narcotrafic est bien trop modeste.

Ces failles ne sont pas acceptables et un effort financier conséquent doit être consenti pour équiper correctement l'ensemble des services d'enquête et pour faire en sorte que la technique apporte toute sa contribution à la conduite des investigations pénales.

(2) En allongeant les délais de recours aux techniques spéciales d'enquête dans le cadre de l'enquête dirigée par le parquet

Il convient également de faciliter le recours aux techniques spéciales d'enquête en aménageant et en harmonisant la procédure applicable à leur déploiement.

En effet, les techniques spéciales d'enquête (TSE) font actuellement l'objet d'un délai d'usage globalement harmonisé par cadre juridique ; toutefois, les délais diffèrent s'il s'agit d'une enquête ou d'une instruction813(*).

Dans le cadre de l'enquête, l'autorisation donnée aux enquêteurs d'utiliser une TSE est valable pendant un mois renouvelable une fois ; dans le cadre d'une instruction, l'autorisation est donnée pour une durée de quatre mois renouvelables dans la limite de deux ans. La géolocalisation connaît un régime différent, mais uniquement dans le cadre de l'enquête sous la responsabilité du parquet814(*).

Le moins que l'on puisse dire est que ces différences de régime ne sont pas un gage de lisibilité.

La commission estime que les délais prévus pour le recours aux TSE dans le cadre de l'instruction sont adaptés à la réalité du narcotrafic à l'inverse de ceux prévus dans le cadre de l'enquête dirigée par le procureur de la République. En effet, alors que l'instruction judiciaire est devenue résiduelle (seulement 5,5 % des auteurs poursuivis815(*)) et que les enquêtes dirigées par le parquet permettent de neutraliser efficacement et rapidement les narcotrafiquants, par un jugement en comparution immédiate, il serait utile de prolonger les délais (prévoir une durée initiale de deux mois renouvelable deux fois) prévus pour le recours aux TSE dans le cadre des enquêtes, étant précisé que le JLD continuerait à en autoriser et à en contrôler l'usage.

(3) En simplifiant la procédure d'autorisation au recours des techniques spéciales d'enquête

Actuellement, les juges des libertés et de la détention et les juges d'instruction autorisent le recours aux techniques spéciales d'enquête de manière individuelle, pour chaque ligne téléphonique, chaque voiture, chaque domicile, chaque téléphone portable ciblé, etc. Cela implique un formalisme particulièrement lourd pour les enquêteurs et les magistrats en charge de l'enquête (parquetier ou juge d'instruction).

Or dans les affaires de criminalité organisée, et en particulier en matière de trafic de stupéfiants, le recours aux TSE est très fréquent, impliquant une lourde charge de travail pour les juridictions.

Dès lors, le formalisme actuel apparaît excessif à l'aune des objectifs poursuivis : la recherche et l'identification d'auteurs d'infractions de criminalité organisée d'une part, et la protection de la vie privée d'autre part.

La commission estime qu'il serait préférable de prévoir une autorisation générale de recours à un panel de techniques visant une personne dénommée, ses équipements informatiques, son véhicule et le cas échéant son domicile (en lieu et place de chacun de ces équipements numériques ou informatiques, véhicules ou domiciles, etc.) tout en s'assurant de la gradualité et de la proportionnalité de cette autorisation générale, les TSE les plus attentatoires au droit à la vie privée devant être autorisées en dernier recours.

La jurisprudence de la Cour de cassation a ouvert une voie vers cette solution puisqu'elle a déjà validé le fait qu'une seule décision d'un juge d'instruction peut valoir autorisation pour plusieurs écoutes de lignes téléphoniques dès lors que ces lignes concernent l'utilisation d'un seul boîtier téléphonique avec un numéro IMEI816(*) unique817(*).

c) Encourager les enquêtes sous pseudonyme

L'enquête sous pseudonyme818(*) est un des outils de la procédure pénale qui peut permettre de lutter efficacement contre le narcotrafic qui se déploie sur les réseaux sociaux, internet ou le darknet.

Lors de son audition par la commission, le directeur territorial de la police judiciaire de Nantes, Marc Perrot, a pourtant noté que l'enquête sous pseudonyme était encore peu utilisée malgré son intérêt pour lutter contre le narcotrafic : « Concernant les moyens, outils et pratiques dont nous pourrions avoir besoin pour accroître l'efficacité de la lutte contre le trafic de stupéfiants, nous avons identifié plusieurs pistes. Il s'agit par exemple du développement des enquêtes sous pseudonyme sur internet - un outil dont nous devons encore davantage nous saisir : nous avons des personnels formés pour ce faire mais la charge est lourde »819(*).

En effet, cette procédure ne peut être utilisée que par « un service spécialisé » et l'officier ou agent de police judiciaire doit être « spécialement habilité », ce qui nécessite notamment d'avoir suivi les formations pertinentes.

La commission estime qu'il serait utile d'encourager l'ensemble des services compétents à utiliser davantage l'enquête sous pseudonyme.

Sans remettre en cause le préalable d'une formation spécifique et d'une désignation individuelle (exigence qui constitue, aux yeux de la commission d'enquête, une protection pour les officiers de police judiciaire infiltrés), il devrait également être envisagé de créer une procédure plus souple pour l'habilitation aux « coups d'achat » sur internet : un tel procédé, décrit plus en détail ci-après et qui suppose de toute évidence l'utilisation d'une identité d'emprunt - et est donc de jure une enquête sous pseudonyme -, ne devrait en effet pas être soumis au même formalisme qu'une enquête au long cours qui impose que l'infiltré puisse tenir sa « légende » pendant plusieurs mois dans des conditions de contact rapproché extrêmement dangereuses.

d) Faciliter la technique du « coup d'achat »

La technique dite du « coup d'achat » prévue par l'article 706-32 du code de procédure pénale vise, pour mémoire, à constater les infractions d'acquisition, d'offre ou de cession de produits stupéfiants, d'en identifier les auteurs et complices et d'effectuer les saisies pertinentes. Les officiers de police judiciaire et sous leur autorité, les agents de police judiciaire, peuvent avec l'autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction, sans être pénalement responsables de ces actes :

· acquérir des produits stupéfiants ;

· en vue de l'acquisition de produits stupéfiants, mettre à la disposition des personnes se livrant à ces infractions des moyens de caractère juridique ou financier ainsi que des moyens de transport, de dépôt, d'hébergement, de conservation et de télécommunication.

Malgré le cadre posé, les enquêteurs utilisent le coup d'achat avec difficulté ou parcimonie par crainte d'une part, de commettre une provocation à l'infraction, qui est interdite en droit pénal car déloyale et donc contraire au droit à un procès équitable, et d'autre part, de commettre une infraction qui pourrait leur être reprochée.

Par exemple, la Cour de cassation estime que l'autorisation de procéder à une livraison contrôlée de stupéfiants ne crée pas de présomption de régularité de la procédure. La provocation à l'infraction par un agent de l'autorité publique exonère donc le prévenu de sa responsabilité pénale lorsqu'elle procède de manoeuvres de nature à déterminer les agissements délictueux portant atteinte au principe de la loyauté des preuves820(*).

La provocation à l'infraction sous le prisme du parquet général de la Cour de cassation

« La provocation à la commission de l'infraction est la forme la plus grave de déloyauté - on pourrait dire son noyau dur. Elle revient, en effet, pour les enquêteurs, à fabriquer des infractions et donc des coupables ce qui, bien entendu, est la négation absolue des principes du procès équitable.

« La Cour européenne des droits de l'homme lui a consacré une abondante jurisprudence dans laquelle s'inscrit celle de la Chambre criminelle. Sans entrer dans le détail de cette jurisprudence, illustrée notamment par l'arrêt de grande chambre Ramanauskas c/Lituanie du 5 février 2008, il est possible d'en tirer deux axiomes.

« Premier axiome : on ne peut provoquer qu'à une infraction qui n'a pas déjà été commise ou qui n'est pas en train de se commettre. Il va de soi qu'un enquêteur ne peut être considéré comme ayant provoqué à la commission de l'infraction si, lors de son intervention, la personne concernée était déjà impliquée comme auteur ou complice dans une activité délictueuse. La Cour de Strasbourg se montre plutôt souple dans l'appréciation de cette circonstance. Pour elle, l'activité délictueuse est préexistante si - nous la citons - lors de l'intervention de l'agent, il existait des soupçons objectifs selon lesquels le requérant avait été mêlé à une quelconque activité criminelle ou avait une propension à s'y livrer. Tel est le cas, au premier chef, lorsque, au moment de l'intervention de l'enquêteur, l'infraction est en train de se commettre. À titre d'illustration, dans son arrêt Blaj c/Roumanie du 8 avril 2014, la Cour de Strasbourg a jugé qu'il n'y avait pas provocation à l'infraction dans le fait, de la part d'une personne ayant fait l'objet d'une offre de corruption, de participer, sur instructions de la police, à des échanges avec le corrupteur et de remettre à celui-ci une enveloppe de billets pour le confondre. Dans cette affaire, la police a cherché, non à provoquer la commission du délit de corruption, mais à constater un délit de corruption en train de se commettre.

« Second axiome : l'interdiction de la provocation, ce n'est pas la condamnation à la passivité. La Cour européenne a admis au contraire le recours aux agents infiltrés qui se font passer, auprès des personnes suspectes, pour des coauteurs, complices ou receleurs. Or, il va de soi que ces agents sont actifs puisque, précisément, ils participent, dans certaines limites, à l'activité délictueuse pour mieux en établir la preuve et en identifier les auteurs. Selon les termes des arrêts de la Cour européenne, il n'y a pas provocation à l'infraction si les agents se sont simplement greffés sur une activité criminelle en cours, s'ils se sont simplement “associés” aux actes criminels sans en être à l'origine - même si leur intervention a nécessairement une incidence sur le cours des événements »821(*).

Les travaux de la commission, en particulier les déplacements, ont mis en lumière la difficulté pour les enquêteurs d'appréhender les narcotrafiquants du haut du spectre tout en restant dans le cadre procédural du coup d'achat et sans commettre de provocation à l'infraction. Le général Jean-Philippe Lecouffe se faisait l'écho de cette difficulté lors de son audition par la commission d'enquête : « En Europe, nous ne sommes pas prêts à [déposer de l'argent dans des chambres de compensation pour ensuite “tracer” les flux financiers] car nous considérons que cela participerait à la commission d'une infraction et que cela relèverait de la provocation. Ce sont des méthodes d'enquête agressives. Ce n'est pas à moi de soulever le débat, mais de telles méthodes existent dans certains pays. Où se situe le point d'équilibre entre le respect des libertés et la lutte contre ces trafics, entre la provocation et le “coup d'achat” ? Ce n'est pas toujours évident, mais ce sont des méthodes qui peuvent s'avérer efficaces et que certains utilisent. En Europe, globalement, nous avons à peu près tous la même ligne directrice, qui est de ne pas s'engager dans cette voie »822(*).

Lors de son audition par le rapporteur, Frédéric Trannoy, commissaire divisionnaire en charge du service interministériel d'assistance technique (Siat), reconnaissait lui-même que le dispositif d'enquête sous pseudonyme connaît un impact assez réduit en volume sur les enquêtes pénales, et la réponse écrite décrit les infiltrations comme des opérations « rares mais efficaces ».

Cette rareté est, aux yeux de la commission d'enquête, déplorable au vu des immenses potentialités des infiltrations pour lutter contre le narcotrafic.

Sans trancher définitivement un débat complexe, et à l'aune de l'importance de la menace posée par le narcotrafic en France, la technique des « coups d'achats » mériterait a minima d'être étendue, voire assouplie afin de sécuriser les investigations des enquêteurs luttant contre les trafics de drogue. Il conviendrait en particulier de définir clairement la notion d'« incitation à la commission d'une infraction » inscrite dans le code de procédure pénale, fût-ce seulement pour prévoir que les actes visant à permettre à l'officier de police judiciaire d'être mis en contact avec sa « cible » - actes qui supposent une action volontaire et délibérée, les trafiquants étant méfiants et donc difficiles à approcher - ne peuvent constituer une telle incitation.

Il devrait également être permis, une fois les premiers contacts pris, de continuer l'enquête pour « remonter » le réseau, la rédaction actuelle du code laissant planer le doute sur la licéité d'une telle stratégie.

La commission d'enquête souhaite, enfin, que soient engagées des réflexions pour envisager l'infiltration de « civils », donc concrètement d'informateurs qui sont dans le même temps des délinquants (voir infra).

e) Mieux encadrer le régime des nullités de procédure

La commission a acquis la conviction que le régime actuel des nullités en matière de procédure pénale est trop favorable aux narcotrafiquants, leur permettant, dans certaines hypothèses de se dégager de leur responsabilité pénale, pourtant matérialisée par de nombreuses preuves.

En outre, le régime des nullités actuel tend à emboliser les chambres de l'instruction, ce qui peut avoir un effet incident sur la durée des procédures d'instruction et donc entraîner la fin de la détention provisoire avant la fin de la procédure d'instruction.

Il apparaît donc opportun de procéder à un « choc de simplification » concernant le régime actuel des nullités en prévoyant, par exemple, les modifications suivantes :

· prévoir l'irrecevabilité des demandes en nullité portant sur des moyens frauduleux et/ou non agréés en France ou en Europe (par exemple, portant sur des messageries comme EncroChat ou Sky ECC) ;

· exiger, sous peine d'irrecevabilité, la démonstration d'un grief à l'appui d'une requête en nullité - ce qui ne constitue qu'un retour à la jurisprudence précédemment établie de la Cour de cassation ;

· réduire à trois mois le délai pour déposer une requête en nullité au cours de l'instruction judiciaire ;

· prévoir l'irrecevabilité des requêtes en nullité déposées devant la chambre de l'instruction en cas de non-justification par le requérant ou son avocat du respect de l'obligation qui lui est faite de communiquer sa requête au juge d'instruction saisi de la procédure.

La commission d'enquête s'interroge par ailleurs sur la possibilité d'éviter que, par une somme de petites déloyautés, la défense des narcotrafiquants ne vienne tenter de déstabiliser l'enquête ou l'instruction. Elle estime nécessaire, à cet égard, d'engager une réflexion sur les suites à apporter aux stratagèmes manifestes et de prévoir dans la loi que, face à une manoeuvre dont la mauvaise foi peut être démontrée, les règles habituelles de nullité de procédure ne trouvent pas à s'appliquer.

Recommandation n° 23 de la commission d'enquête : renforcer l'efficacité de la procédure pénale au stade de l'enquête et de l'instruction

· Instaurer un « dossier coffre », sous le contrôle de la chambre de l'instruction de la cour d'appel, pour protéger l'efficacité de certaines techniques spéciales d'enquête ;

· Encourager les services d'enquête à recourir davantage aux techniques spéciales d'enquête et garantir une capacité de réponse suffisante des services en charge de la fourniture de ces techniques ;

· Simplifier la procédure d'autorisation de recours aux techniques spéciales d'enquête et allonger les délais du recours de ces mesures au stade de l'enquête dirigée par le parquet ;

· Faciliter et encourager les enquêtes sous pseudonyme ;

· Étendre et assouplir les conditions de la procédure des « coups d'achat », notamment en définissant clairement la notion d'« incitation à la commission d'une infraction » ;

· Mieux encadrer le régime des nullités de procédure.

3. Au stade du jugement et de l'application des peines

La commission d'enquête a mis en avant les limites de l'actuelle cour pénale spécialement composée qui, compétente pour le trafic de stupéfiants, ne l'est pas pour les infractions connexes.

Conformément aux propositions qui ont été formulées à de multiples reprises au cours des auditions - notamment par Laure Beccuau, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Paris -, elle estime nécessaire de prévoir que les règlements de compte des narcotrafiquants (assassinats et meurtres commis en bande organisée) ne soient plus jugés par des jurés populaires mais par une cour d'assises composée de magistrats professionnels : cette évolution apparaît en effet indispensable compte tenu de la très grande complexité de ces affaires et du risque de pressions ou de corruption des jurés populaires. Rappelons, par ailleurs, que ce système est déjà pratiqué par de nombreux pays étrangers, dont les Pays-Bas - qui ont par ailleurs été jusqu'à prévoir l'anonymat des magistrats, des avocats et de l'ensemble des personnels judiciaires ayant contribué au procès dit « Marengo » qui a permis de juger Ridouan Taghi, figure déjà citée de la Mocro Maffia, et ses seize coaccusés pour plusieurs homicides et tentatives d'homicide823(*).

De la même manière, les juges de l'application des peines sont les derniers acteurs de la chaîne pénale à ne pas connaître une spécialisation en matière de gestion des individus condamnés pour la criminalité organisée. Il convient de mettre fin à cette divergence en prévoyant une spécialisation de l'application des peines en matière de narcotrafic : comme le rappelait, là encore, Laure Beccuau, le 4 décembre 2023, « Il faut prévoir un droit d'application des peines spécial, avec un JAP spécialisé, car gérer une personnalité de la grande criminalité organisée est tout à fait différent de gérer un délinquant de droit commun ».

Recommandation n° 24 de la commission d'enquête : spécialiser effectivement la chaîne pénale

· Spécialiser l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale en créant des cours d'assises spéciales pour les assassinats et meurtres commis en bande organisée et des juges de l'application des peines spécialisés en matière de criminalité organisée.

4. La problématique spécifique de la détention des narcotrafiquants

La détention soulève, elle aussi, des enjeux particuliers, qu'il s'agisse des conditions de détention stricto sensu ou du régime de détention provisoire.

a) Mieux armer les prisons face au risque d'une continuation des trafics en détention

Comme on l'a rappelé en deuxième partie, l'un des défis auxquels l'administration pénitentiaire doit faire face concerne la cessation effective des trafics en prison ; à l'inverse, il apparaît aujourd'hui que la sphère carcérale ne joue plus son rôle de mise à l'écart des trafiquants et que ceux-ci peuvent, depuis leur cellule, garder leur rôle d'animation des réseaux et continuer à répandre la terreur à l'extérieur des murs de leur établissement.

Pour mettre fin à cette anomalie, et écho aux failles déjà décrites ci-avant, la commission d'enquête estime nécessaire :

· de revoir les règles d'alimentation des pécules des détenus par des virements extérieurs lorsque la détention est liée à des faits de narcotrafic, et de plafonner le montant total dudit pécule ;

· d'accroître sans attendre les efforts d'équipement des établissements en brouilleurs antidrones et antiportables afin d'obtenir une couverture complète du parc immobilier dans un délai raisonnable (3 à 5 ans, au plus) ;

· aller au bout des expérimentations relatives au brouillage de la 5G dite « stand alone » ;

· prévoir l'activation en permanence des dispositifs de lutte contre les drones (et non plus seulement lorsqu'un survol est détecté, comme c'est actuellement le cas) ;

· enfin et surtout, de rendre compte au Parlement, fût-ce par le biais de la Délégation parlementaire au renseignement si certains des éléments visés sont couverts par le secret de la défense nationale, au moins une fois par an, de l'efficacité des dispositifs existants et de leur évolution qualitative et quantitative : il est en effet difficilement compréhensible que la commission d'enquête n'ait pas pu obtenir de réponse claire quant à la proportion de zones ou d'établissements pénitentiaires dans lesquels l'usage des téléphones portables est effectivement et complètement brouillé par des équipements fixes ou mobiles, et que des incertitudes puissent encore exister quant à l'effectivité du brouillage opéré dans les établissements qui disposent pourtant de matériels fixes mais où, de toute évidence, les communications avec l'extérieur restent possibles.

b) Adapter les délais de détention provisoire aux narcotrafiquants

Actuellement, dans le cadre d'une instruction judiciaire, les personnes placées en détention provisoire pour des faits de trafic de stupéfiants de nature délictuelle824(*) sont placées sous mandat de dépôt délictuel qui peut être renouvelé dans la limite de deux ans825(*). Or la complexité de ces procédures, pouvant impliquer de nombreux mis en examen et des investigations particulièrement longues et complexes, ne permet toujours pas aux enquêteurs et aux juridictions de clôturer la procédure dans les délais prévus en la matière.

Dès lors, il paraît inévitable d'aligner les délais de détention provisoire prévus durant l'instruction pour les personnes mises en examen pour des délits de trafic de stupéfiants (ou plus généralement des infractions de criminalité organisée prévues à l'article 706-73 du code de procédure pénale) sur le régime de la détention provisoire pour les infractions criminelles, soit une durée maximale de quatre ans826(*).

En outre, face à l'intensification des recours en nullité dans les affaires de criminalité organisée, il serait utile de prévoir qu'en cas de requête en nullité pendante devant la chambre de l'instruction au moment où la décision de renvoi devant le tribunal correctionnel devient définitive, le délai de détention provisoire du requérant avant l'examen au fond par le tribunal ne commence à courir qu'à compter du jour où la décision prise sur sa requête est elle-même devenue définitive. Non seulement cette mesure apporterait une réponse au risque de remise précoce en liberté, mais surtout elle constituerait un levier puissant de lutte contre la « guérilla juridique » déjà décrite en deuxième partie.

c) Sécuriser le traitement des demandes de mise en liberté des narcotrafiquants

Les acteurs judiciaires ont alerté la commission des difficultés récurrentes rencontrées concernant certains stratagèmes utilisés par des avocats de la défense pour obtenir la remise en liberté anticipée de leurs clients.

En premier lieu, il conviendrait d'édicter des conditions de formes strictes (avec mentions obligatoires) conditionnant la recevabilité des demandes de mise en liberté déposées au stade de l'instruction et celle des appels de rejets de demandes de mise en liberté formées en détention. En particulier, il apparaît nécessaire de prévoir que les délais d'audiencement de ces demandes de mise en liberté et appels de rejet de demandes de mise en liberté ne commencent à courir qu'à compter de l'enregistrement de la demande au greffe de la juridiction compétente.

En second lieu, l'envoi par courrier des demandes de mise en liberté des avocats n'étant pas du ressort du tribunal judiciaire en charge de l'instruction pose, depuis plusieurs années, de réelles difficultés aux juridictions comme l'illustrent les arrêts de la Cour de cassation en la matière (cités en deuxième partie du rapport) et les auditions des acteurs judiciaires par la commission. En conséquence, il apparaît nécessaire de supprimer la possibilité donnée à l'avocat extérieur au ressort du tribunal judiciaire saisi de l'affaire de formuler une demande de mise en liberté par lettre recommandée avec demande d'avis de réception d'une part, et, d'autre part d'imposer le recours à un avocat postulant827(*) pour effectuer la demande de mise en liberté via une déclaration au greffe de la juridiction d'instruction saisie ou de la juridiction compétente.

Enfin, il apparaît que le traitement des demandes de mise en liberté des personnes en détention provisoire pour des faits de criminalité organisée présente une sensibilité particulière compte tenu des enjeux particulièrement importants qu'impliquent ces procédures et des éventuels risques de corruption ou de pression des greffiers et agents pénitentiaires amenés à gérer administrativement ces demandes. Dans ce contexte, l'administration pénitentiaire pourrait opportunément mette en place un circuit sécurisé du traitement de ces demandes afin d'éviter tout risque d'« évasions judiciaires », par exemple en limitant le nombre d'acteurs impliqués dans la gestion et le traitement de telles demandes.

Recommandation n° 25 de la commission d'enquête : redonner son sens à l'incarcération des narcotrafiquants :

· Limiter les virements extérieurs et plafonner le « pécule » des personnes en détention pour des faits liés au narcotrafic ;

· Mettre en place les mesures techniques indispensables pour faire cesser les trafics en prison via les brouilleurs de téléphones portables et les dispositifs antidrones, et imposer au Gouvernement de rendre compte régulièrement de l'avancée de ce chantier au Parlement ;

· Adapter les délais de la détention provisoire aux narcotrafiquants et sécuriser le traitement des demandes de mise en liberté.

C. MIEUX PROTÉGER LE RECOURS AUX INFORMATEURS ET ÉTENDRE LE STATUT DES « REPENTIS »

Au cours de ses travaux, la commission d'enquête a perçu l'impérieuse nécessité de sécuriser deux statuts aujourd'hui fragiles du fait soit des failles de la législation, soit de son insuffisance : celui des informateurs et de leurs traitants, et celui des « repentis ».

1. Apporter enfin une réponse aux craintes quant au statut des traitants d'informateurs

Les informateurs apportent un concours indispensable à l'activité des services d'enquête sur le narcotrafic ; ils sont actuellement inscrits au bureau central des sources du Siat, qui est chargé de leur immatriculation (voir supra).

Rappelons que, en dépit de cette apparente officialité, le statut des informateurs n'a été que tardivement reconnu est reste aujourd'hui incomplet.

Le statut des informateurs : l'éclairage du Siat

Si la protection de leur anonymat est reconnue par une jurisprudence constante de la Cour de cassation, les « informateurs » ne peuvent disposer d'aucune exonération de leur responsabilité pénale à l'occasion de leur « activité de renseignement » et ne peuvent donc en aucun cas se rendre complices de l'infraction qu'ils dénoncent.

Deux textes reconnaissent néanmoins implicitement la plus-value qu'ils sont susceptibles d'apporter dans le cadre d'une procédure pénale :

· l'article [27] de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 donne un cadre légal à leur rétribution ;

· l'article 721-3 du code de procédure pénale prévoit qu'une « réduction de peine exceptionnelle, dont le quantum peut aller jusqu'au tiers de la peine prononcée, peut être accordée aux condamnés dont les déclarations, faites à l'autorité administrative ou judiciaire antérieurement ou postérieurement à leur condamnation, ont permis de faire cesser ou d'éviter la commission d'une information aux articles 706-73, 706-73-1 et 706-74 ».

Au cours des vingt-cinq dernières années, le traitement des sources s'est néanmoins considérablement professionnalisé dans la police nationale avec :

· la création en 2000 d'un bureau central des sources (BCS) qui est rattaché au Siat,

· l'élaboration d'une « charte du traitement des informateurs » assortie d'instructions de plus en plus précises des directeurs généraux de la police nationale (DGPN) à partir de 2012.

Le bureau central des sources (BCS) du Siat est aujourd'hui la clef de voûte du contrôle interne de la police nationale dans le domaine du traitement des sources humaines.

Il lui revient de :

· procéder à l'immatriculation des sources « judiciaires » de la police nationale (périmètre DGPN et PP hors RT), d'instruire les demandes de rémunérations, d'assurer la coordination avec les services partenaires (DGGN, douanes) ;

· dispenser des formations aux différents niveaux intervenants dans la chaîne du traitement du renseignement humain (autorité hiérarchique, superviseur, traitant) ;

· être le point de contact en matière de coopération internationale et de jouer un rôle de conseil auprès des services d'enquête en cas de difficulté.

En l'absence de cadrage procédural, la gestion des sources humaines par les services d'investigation demeure néanmoins une activité qui comporte des risques de fragilité juridique pour les enquêtes et conduit parfois à la mise en cause de traitants.

Source : réponse écrite du Siat au questionnaire du rapporteur

Nombreux ont été ceux qui, au cours des travaux de la commission d'enquête, ont :

· d'une part, pointé l'hypocrisie d'un système qui interdit aux informateurs de contribuer à la réalisation de l'infraction qu'ils documentent, alors même qu'ils sont systématiquement des délinquants et qu'il leur serait impossible de disposer d'informations sur un trafic s'ils restaient extérieurs à celui-ci et s'ils gardaient « les mains propres » ;

· d'autre part, mis en lumière les fragilités créées par cette absence de reconnaissance officielle du rôle des informateurs pour leurs « traitants », donc pour les officiers de police judiciaire appelés à être en contact avec des « tontons ».

La commission d'enquête est ainsi convaincue que le législateur doit se saisir du sujet sans fausse pudeur et mettre fin dans la loi à ce paradoxe en encadrant la possibilité donnée aux policiers et gendarmes de s'appuyer sur des sources, tout en reconnaissant avec franchise qu'un bon informateur n'est pas celui qui est innocent de toute infraction. Il est plus encore nécessaire que, cette réalité étant désormais assumée, le Parlement apporte un cadre légal à l'intervention des « traitants », qui exercent aujourd'hui leurs missions dans l'angoisse d'être mis en cause au plan pénal, mais aussi d'être victimes d'informateurs qui tentent parfois d'instrumentaliser leur statut.

Comme cela a été évoqué, la commission est également favorable à ce qu'un informateur puisse devenir un infiltré, ce qui implique qu'il bénéficie à partir du moment où il change de statut d'une complète immunité pénale, celle-ci étant toutefois étroitement conditionnée au fait que l'infiltré « civil » se borne à respecter strictement les consignes qui lui sont données par le magistrat en charge du dossier. Elle propose, pour mémoire, que le futur parquet national antistupéfiants (Pnast) ait le monopole de la gestion de ces informateurs « civils ».

Certes, cette proposition constitue en apparence une véritable « révolution copernicienne » ; cependant, dans les faits, elle ne vise qu'à inscrire dans la loi une pratique déjà mise en oeuvre par certains services spécialisés sur le « haut du spectre » qui n'hésitent pas, pour mener à bien des investigations complexes, à donner des directives claires à leurs « sources » pour orienter l'enquête.

Dans ce cadre nouveau, la redéfinition de la « provocation » dans un sens plus libéral sera non plus seulement utile, mais indispensable à la cohérence du système juridique : il ne serait en effet pas imaginable que l'outil nouveau que constitueraient les « infiltrés civils » soit condamné à rester lettre morte faute d'un cadre suffisamment protecteur pour les officiers de police judiciaire et les magistrats chargés de le mettre en oeuvre.

2. Les « repentis » : un dispositif sous-exploité

Un autre dispositif à rénover est celui des « repentis », dont les contours sont détaillés avec précision par Marc Sommerer, président de la commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR), dans son audition du 12 février 2024.

Le bilan chiffré du dispositif, tel qu'exposé par Marc Sommerer lors de l'audition précitée, est le suivant : « au 1er janvier 2024, le Siat protégeait 42 personnes dans le cadre de 18 programmes actifs. Depuis sa création, il a protégé 60 personnes dans le cadre de 22 programmes, dont 17 concernant des groupes criminels impliqués dans le trafic de stupéfiants. Cela représente donc les trois quarts de notre activité. Sept programmes relèvent du trafic de stupéfiants stricto sensu, neuf programmes concernent des homicides en bande organisée liés à un trafic de stupéfiants, et un programme est relatif à un blanchiment de fonds issus du trafic de stupéfiants ».

Ces chiffres attestent, s'il en était besoin, de l'utilité du dispositif des « repentis » pour lutter contre le narcotrafic.

Le régime des « repentis » vu par le Siat : théorie et réalité

Extraits de la réponse écrite du commissaire Trannoy au questionnaire du rapporteur

Prévu par la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 dite « loi Perben II » qui est à l'origine des articles 132-78 du code pénal (CP), 706-73-1 du code de procédure pénale (CPP) et 706-62-2 du CPP, le dispositif de protection et de réinsertion n'est réellement entré en vigueur qu'avec le décret d'application du 17 mars 2014.

Initialement conçu pour les « collaborateurs de Justice » au sens strict, il a ensuite été élargi aux « victimes de la traite des êtres humains » en 2015 et aux « témoins menacés » en 2016.

Doté d'un bureau de protection et de réinsertion (BPR), le Siat s'est vu confier le monopole en matière d'évaluation des demandes émanant des autorités judiciaires et de mise en oeuvre des programmes décidés par la commission nationale de protection et de réinsertion (BPR).

Partie réglementaire du CPP issue du décret 2004-1026 du 29 septembre 2004

Décret 2014 modifié - article 1

« La Commission nationale de protection et de réinsertion prévue à l'article 706-63-1 du code de procédure pénale est placée auprès du ministre de l'intérieur.

« Elle est composée :

« • d'un magistrat hors hiérarchie, en activité ou honoraire, président, désigné par le ministre de la justice ;

« • de deux magistrats exerçant ou ayant exercé au sein d'une juridiction interrégionale spécialisée, désignés par le garde des sceaux, ministre de la justice ;

« • [...].

Elle comprend, en outre, avec voix consultative, un représentant du service interministériel d'assistance technique au ministère de l'intérieur. [...] »

? Le financement vertueux du dispositif de protection et de réinsertion - coût moyen d'un programme

Depuis son lancement effectif en 2014, le dispositif (fonctionnement BPR/Siat et CNPR, évaluations, programmes) est financé par l'agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis (Agrasc).

Il est à souligner que le coût des programmes est très variable et est fonction de la composition de la famille de la personne protégée, de la durée du programme (qui se compte généralement en années) et de la capacité des bénéficiaires à retrouver le chemin de l'autonomie financière.

Ce coût est par principe dégressif conformément à l'objectif de réinsertion qui a vocation à progressivement l'emporter sur l'objectif de protection au fur et à mesure que s'amenuise la menace initiale.

? Les résultats du dispositif de protection et de réinsertion dans le domaine de la lutte contre les trafics de stupéfiants

Le président de la CNPR est seul habilité à communiquer sur le nombre de programmes actifs et le nombre de personnes protégées.

Il peut néanmoins être indiqué que plus de 75 % des programmes validés par la CNPR procèdent d'enquêtes visant des groupes criminels impliqués dans le trafic de stupéfiants.

Il convient d'ajouter que ces enquêtes peuvent :

· porter aussi bien sur des faits de trafic de stupéfiants stricto sensu que sur des faits d'homicides en bande organisée (« règlements de compte ») ou de blanchiment ;

· viser des groupes de trafiquants exerçant une emprise localisée (par exemple sur un ou plusieurs points de deal sis dans des quartiers dits « sensibles ») comme des organisations criminelles d'envergure internationale (dirigées par des trafiquants susceptibles de figurer parmi les cibles d'intérêt prioritaires de l'Ofast ou de pays partenaires).

En pratique, avant la saisine de la CNPR qui est formellement décisionnaire de l'attribution du statut de « repenti », la procédure - telle qu'exposée par le commissaire divisionnaire Frédéric Trannoy lors de son audition par le rapporteur - est la suivante :

· un magistrat, ou plus occasionnellement un service de police ou de gendarmerie, ayant repéré un individu qui semble vouloir faire des révélations, contacte le Siat en vue d'une évaluation ;

· cette évaluation est faite par le Siat selon trois critères : l'importance des informations que la personne concernée veut communiquer et leur intérêt judiciaire ; la réalité de la menace à l'encontre de la personne concernée ; sa capacité à changer de vie sous l'effet du programme de protection qui accompagne l'octroi du statut de « repenti » ;

· si le Siat valide la candidature, le dossier est soumis à la CNPR pour arbitrage.

Le régime des repentis souffre aujourd'hui d'imperfections qui semblent faire consensus. En particulier, trois failles majeures ont été évoquées auprès de la commission d'enquête :

· la première touche à l'insuffisance du périmètre d'acceptation des « repentis » qui, en l'état, ne peuvent pas avoir été des personnes mises en cause pour association de malfaiteurs, pour assassinat ou pour meurtre, ce qui limite objectivement la possibilité de toucher des profils du « haut du spectre » qui auraient pourtant beaucoup à apporter à un dossier s'ils avaient intérêt à donner les informations dont ils disposent ;

· la deuxième concerne l'impossibilité, pour les services qui « recrutent » un repenti, de lui garantir qu'il bénéficiera d'une exemption ou d'une réduction de peine : en effet, non seulement l'article 132-78 du code pénal qui fixe le statut des repentis distingue, de manière peut-être trop manichéenne, ceux qui ont permis d'éviter la commission d'un crime ou d'un délit (et qui peuvent bénéficier d'une exemption de peine) de ceux qui ont permis de faire cesser l'infraction (et qui ne peuvent prétendre qu'à une réduction), alors que la ligne entre ces deux notions est parfois floue, mais surtout le « recrutement » du repenti est distinct dans le temps comme dans la procédure de la mise en oeuvre effective de ce dispositif : en d'autres termes, une personne reconnue comme « repentie » peut ne se voir accorder ni exemption ni réduction de peine dès lors que le magistrat en charge de l'enquête ou de l'instruction n'invoque pas l'article 132-78 précité lors du renvoi à la juridiction de jugement. Il va sans dire, dans ce contexte, que le dispositif est peu incitatif et ne rassure pas les éventuels prétendants, notamment dans un contexte où on a vu des « repentis » être condamnés plus lourdement que les autres accusés à l'issue de l'audience ;

· la troisième touche aux compétences du Siat, trop larges aux yeux de certains observateurs : ce service effectue en effet un examen de faisabilité qui, pour utile qu'il soit, conditionne la saisine de la CNPR - ce qui est en soi une difficulté de principe, comme l'a relevé l'ancien président de la commission, Bruno Sturlèse, lors de son audition par le rapporteur.

La commission d'enquête est persuadée que les « repentis » peuvent être un outil puissant de lutte contre le narcotrafic et qu'il convient, en conséquence, d'apporter sans délai une réponse à ces imperfections et pour mettre fin au déficit d'attractivité du dispositif.

C'est pourquoi elle propose, outre sa recommandation tendant à ce que les « repentis » soient gérés exclusivement par le futur Pnast (voir supra), trois modifications d'ampleur au régime des « repentis » :

· en premier lieu, la suppression des « verrous » tenant à la nature des infractions commises, la gravité de celles-ci devant être mise en regard avec l'apport à l'enquête des informations détenues par la personne concernée sans regard moral voire moralisateur ;

· ensuite, la mise en place d'une véritable contractualisation entre le « repenti » et le Pnast, garantissant pleinement - sous réserve du respect de conditions clairement énumérées, notamment celle d'avoir dit la vérité et de n'avoir rien caché au cours de l'enquête - à la personne concernée de bénéficier d'une exemption ou d'une réduction de peine, quitte à ce que cette possibilité s'incarne dans un nouveau type de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité avec obligation de témoigner au cours du futur procès visant à réprimer l'infraction dénoncée ;

· enfin, et comme le proposent au demeurant le Siat comme la CNPR, la distinction des missions confiées, au cours de la procédure de sélection des « repentis », à deux piliers qui devront être à l'avenir clairement séparés : d'une part, un pilier judiciaire (qui serait, dans l'esprit de la commission d'enquête, confié au Pnast en matière de narcotrafic et maintenu dans le giron de la CNPR pour les autres infractions) concernant l'appréciation de l'intérêt judiciaire des révélations, l'octroi du statut de repenti et ses conséquences judiciaires et, d'autre part, un pilier administratif assuré par le Siat et concernant la protection et la réinsertion, la définition et la mise en oeuvre des mesures requises et leur évolution dans le temps.

Il va de soi que certaines des difficultés déjà commentées, et notamment celles qui concernent la répartition des rôles entre la CNPR et le Siat, valent tout autant pour l'autre versant de l'activité de la commission - à savoir la protection des témoins menacés. Au vu des pressions que les réseaux de narcotrafic font peser sur les témoins et de l'intensité des violences qu'ils sont capables d'appliquer en représailles d'une dénonciation, il est absolument nécessaire que la CNPR joue pleinement son rôle auprès des témoins et qu'elle intensifie son action auprès d'eux, y compris lorsque cela implique le relogement de familles entières : de ce point de vue, la commission observe qu'un simple déménagement serait, dans bien des cas, une mesure suffisante pour assurer la protection de témoins qui, loin d'aspirer à un changement complet d'état civil, souhaitent simplement voir leurs proches mis à l'abri des menaces que les narcotrafiquants locaux font peser sur eux en obtenant une relocalisation dans une ville - voire dans un quartier - où le réseau n'a pas de prise.

Recommandation n° 26 de la commission d'enquête : mieux utiliser les informateurs et les « repentis »

· mettre fin à l'idée selon laquelle un informateur ne peut pas participer à la commission de l'infraction sur laquelle il renseigne les services d'enquête ;

· donner un véritable statut aux traitants d'informateurs ;

· envisager la création d'une « infiltration civile » dans laquelle un informateur deviendrait un infiltré, dans le respect d'une convention passée avec le futur parquet national antistupéfiants ;

· libéraliser le recours aux « repentis » et garantir aux personnes concernées une réduction ou une exemption de peine ;

· distinguer clairement le pilier judiciaire du pilier administratif dans la sélection des « repentis » ;

· confier le monopole de la gestion des « repentis » et des infiltrés « civils » en matière de stupéfiants au futur Pnast ;

· donner à la CNPR tout son rôle dans la gestion des témoins menacés.

D. MINEURS ET « PETITES MAINS » : TROUVER LA RÉPONSE ADAPTÉE

Si la commission d'enquête a, sans ambiguïté, identifié le « haut du spectre » comme une priorité, elle ne néglige pas pour autant la nécessité de réprimer de manière efficace les supplétifs du trafic, c'est-à-dire les « petites mains » et les mineurs - deux catégories qui peuvent se confondre. C'est dans cette optique qu'elle a étudié des propositions pour améliorer la prise en charge de ces deux types de délinquance qui constituent le socle indispensable du narcotrafic et qui doivent par conséquent être pleinement prises en compte dans la politique pénale rénovée que la commission appelle de ses voeux.

1. L'amende forfaitaire délictuelle (AFD) au service de la lutte contre les trafics de stupéfiants du quotidien

Le narcotrafic, lorsqu'il prend la forme d'un point de deal, occupe de manière très visible et nuisible l'espace public.

Si l'infraction de trafic de stupéfiants ne peut pas être caractérisée à l'égard des « petites mains » du trafic de stupéfiants (guetteurs ou vendeurs) présentes sur un point de deal, faute de preuves, d'autres infractions peuvent néanmoins leur être reprochées à l'instar des contraventions pour tapage nocturne ou diurne828(*) ou du délit l'occupation en réunion des parties communes d'une habitation collective829(*).

Cette dernière infraction peut, depuis 2019830(*), faire l'objet d'une procédure d'amende forfaitaire délictuelle831(*) à l'instar du délit d'usage de stupéfiants832(*).

L'amende forfaitaire délictuelle (AFD)

Cette procédure a été introduite par l'article 36 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle dans l'objectif de simplifier et renforcer l'efficacité de la lutte contre la délinquance routière (conduite sans permis ou sans assurance)833(*).

En vertu de l'article 495-17 du code de procédure pénale, le paiement de l'amende forfaitaire éteint l'action publique. La procédure n'est pas applicable si le délit a été commis par un mineur ou si plusieurs infractions, dont l'une au moins ne peut donner lieu à une amende forfaitaire, ont été constatées simultanément. Elle n'est pas non plus applicable en état de récidive légale sauf disposition légale contraire.

L'article 58 de la loi du 22 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a étendu la possibilité de recourir à la procédure de l'AFD pour d'autres délits dont l'usage de stupéfiants et l'occupation illicite d'un hall d'immeuble. Néanmoins, le Conseil constitutionnel, par une réserve d'interprétation, a précisé dans sa décision n° 2019-778 DC du 21 mars 2019 que la procédure de l'AFD ne peut s'appliquer, au risque de méconnaître le principe d'égalité devant la justice, à des délits punis d'une peine d'emprisonnement supérieure à trois ans.

Pour les délits d'usage de stupéfiants et l'occupation illicite d'un hall d'immeuble, le montant de l'amende est de 200 euros mais ce montant est minoré à 150 euros en cas de paiement immédiat ou dans les 15 jours, et majorée à 450 euros en l'absence de paiement total dans les 45 jours.

L'article 495-18 du code de procédure pénale permettait le paiement de l'amende entre les mains de l'agent verbalisateur mais ce n'est que depuis le 6 novembre 2023 qu'il est possible de le faire à la suite de l'adoption d'un décret d'application de cette disposition prévue dès 2016834(*).

Le rapporteur relève qu'actuellement, le délit de participation à un attroupement dans l'espace public, prévu par les articles 431-3 et 431-4 du code pénal et réprimé par une peine d'un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende, ne peut pas faire l'objet d'une amende forfaitaire délictuelle. Or cette infraction peut également s'appliquer à des individus participant aux trafics de stupéfiants dans la mesure où ils se trouvent sur la voie publique et qu'ils troublent l'ordre public de par leurs agissements (contrôle passants et voitures, blocage de la rue avec du mobilier, etc.).

Le général Tony Mouchet, adjoint au major général de la gendarmerie nationale, entendu par la commission, dresse un bilan positif du recours à l'AFD en matière d'usage de stupéfiants : « À mes yeux, et depuis le terrain, l'AFD a raffermi l'autorité de l'État. Avant cette amende, si un consommateur se faisait prendre au volant avec cinq grammes de résine de cannabis, on les jetait à la poubelle et il perdait 50 euros ; si vous vous faites prendre avec un téléphone portable au volant, vous avez une amende de 135 euros. [...] Avant l'AFD, les petites saisies n'aboutissaient à rien. La mise en place de cette amende apporte une réponse pénale et montre une forme d'autorité de l'État, même si elle a ses limites. Nous ne faisons qu'appliquer les textes : l'usage de stupéfiants est réprimé par le code pénal, il peut entraîner un an d'emprisonnement et des amendes. Et le fait que l'on puisse bientôt, sous certaines conditions, procéder au paiement immédiat de l'AFD sur la voie publique, permettra de combiner à la fois la détection et la sanction immédiate. Cette mesure, loin d'affaiblir le système, le renforce »835(*).

Dès lors, le rapporteur estime qu'il serait intéressant de prévoir le recours à la procédure d'AFD pour le délit de participation à un attroupement dans l'espace public afin d'apporter un outil supplémentaire dans la lutte contre le trafic de stupéfiants du quotidien.

2. Les mineurs, entre complices et victimes : trouver le bon équilibre

Comme on l'a évoqué à de multiples reprises au cours du présent rapport, les mineurs, s'ils participent parfois délibérément au trafic, sont fréquemment les victimes de la prédation et de la barbarie des réseaux. Il convient d'adapter la réponse pénale à cette réalité tout en rappelant que les mineurs sont, légitimement, soumis à un statut spécifique dans lequel l'éducation prend le pas sur la sanction : ainsi, même dans les cas où la commission recommande une prise en charge pénale, elle ne le fait qu'en ayant à coeur la protection et la réinsertion des mineurs concernés - dont ce sont souvent les parents, dépassés, qui réclament la mise en sécurité dans des centres fermés, loin de l'influence délétère des dealers.

a) Pour les cas les plus lourds, s'inspirer des propositions du Sénat en matière de terrorisme

Dans un contexte où la menace liée au narcotrafic grandit et où les juges des enfants sont, comme la commission d'enquête a pu le constater au cours de ses déplacements, démunis face à la gravité des faits par de jeunes mineurs dès la première infraction, la première des recommandations de la commission concerne la mise en place d'un régime pénal spécifique pour les mineurs mis en cause en lien avec des faits de narcotrafic.

À cet égard, il convient de s'inspirer des orientations qui figurent dans la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste836(*) déposée en décembre 2023 par le président de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet, examinée par le Sénat en première lecture en janvier 2024 mais non encore débattue par l'Assemblée nationale, et qui prévoit :

· le placement sous contrôle judiciaire des mineurs de treize à seize ans s'ils encourent une peine d'emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans pour une infraction liée au narcotrafic, étant donné qu'un tel seuil de cinq ans est déjà prévu pour les délits de violences, d'agression sexuelle et de délit commis avec la circonstance aggravante de violences (article L. 331-1 du code pénal de la justice des mineurs) ;

· le placement en centre éducatif fermé d'un mineur, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, pour une durée pouvant aller jusqu'à deux ans, au lieu de six mois actuellement (article L. 331-2 du CJPM) ;

· la possibilité d'assigner à résidence, dans un lieu éloigné du quartier où se déroule le trafic, sous surveillance électronique les mineurs âgés de treize à seize ans qui encourent une peine minimale de cinq ans d'emprisonnement pour une infraction liée au narcotrafic ou pour une infraction connexe, cette possibilité étant limitée par le droit en vigueur aux mineurs âgés d'au moins 16 ans encourent une peine d'au moins trois ans d'emprisonnement (article L. 333-1-1 du CJPM) ;

· le placement en détention provisoire pour une durée de trois mois à un an pour les mineurs de moins de seize ans pour l'instruction des délits et crimes liés au narcotrafic.

Comme en matière de terrorisme, ces mesures rigoureuses auraient pour corollaire une prise en charge des mineurs concernés par la protection judiciaire de la jeunesse au-delà de leur accession à la majorité, y compris sans leur accord, pour éviter toute rupture de la prise en charge éducative à des âges pourtant charnières. Elle s'accompagnerait également d'une extension des cas de recours à la double prise en charge par la PJJ et par l'aide sociale à l'enfance (ASE), les mineurs concernés ayant tout autant besoin d'être sanctionnés que protégés ; or, comme le relève le rapport établi par Marc-Philippe Daubresse sur la proposition de loi précitée, une telle prise en charge existe mais est à ce jour réservée aux mineurs de retour de zone syro-irakienne, ce qui est regrettable au vu du bénéfice que les jeunes impliqués dans le narcotrafic pourraient tirer de ce dispositif.

La commission estime, enfin, que la sanction pénale d'un mineur lié au narcotrafic doit interroger sur le devenir de l'ensemble de la fratrie et imposer, en tant que de besoin, une mise sous protection des frères et soeurs du mis en cause. Elle recommande ainsi l'élargissement de l'expérimentation lancée à Marseille et qui consiste, comme le résumait le président du tribunal judiciaire Olivier Leurent lors de son audition837(*), à « mettre en oeuvre des mesures d'assistance éducative pour chaque mineur déféré en matière de stupéfiants : [la PJJ] considère à juste titre qu'il faut alors s'interroger sur les risques encourus par les frères et les soeurs appartenant à la même fratrie et sur la situation de la famille. »

Recommandation n° 27 de la commission d'enquête : garantir la pleine prise en compte des spécificités du rôle des mineurs dans le narcotrafic

· Adapter la réponse pénale pour les mineurs liés au narcotrafic dès la première infraction commise ;

· Prévoir une double prise en charge de ces mineurs par l'ASE et la PJJ ;

· Tenir compte de la situation des fratries pour éviter le basculement des frères et soeurs dans les trafics.

b) Reconnaître le statut de victime des mineurs en exploitant pleinement les possibilités offertes par le droit pénal

Auteurs, les mineurs sont également des victimes et la commission d'enquête souhaite que ceux qui les exploitent soient sanctionnés pour cette seule circonstance, au-delà même des faits de narcotrafic stricto sensu.

La loi pénale française prévoit des condamnations lourdes, fixées par l'article 227-18-7-1 du code pénal, pour ceux qui « [provoquent] directement un mineur à transporter, détenir, offrir ou céder des stupéfiants » : cette infraction est punie de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende, voire de dix ans de prison et 300 000 euros d'amende lorsque certaines circonstances aggravantes sont constatées (mineur de moins de quinze ans, faits commis dans les établissements scolaires...).

Ce délit, parce qu'il est autonome et ne suppose pas que soit par ailleurs démontrée la matérialité ou a fortiori l'ampleur du trafic, constitue un puissant levier de pénalisation de tous ceux qui tentent de recruter des « jobbeurs » sur les réseaux sociaux ou de faire pression sur les jeunes d'un quartier pour obtenir qu'ils concourent au trafic.

Or, malgré ses avantages, cette infraction est trop peu utilisée par parquets et les juges d'instruction. Interrogé sur ce sujet, le ministère de la Justice indique que quelques dizaines de condamnations à peine sont prononcées chaque année (de 2018 à 2023, le nombre de condamnations par an s'étend de 28 à 53, sans qu'une tendance globale à la hausse ou à la baisse puisse être établie), en dépit d'un taux de répression avoisinant les 100 % : ce n'est donc pas l'effectivité de la sanction qui est en cause, mais la fréquence des poursuites, encore trop rares face à de tels faits - pourtant gravissimes.

Face à ce constat, la commission d'enquête appelle à ce que :

· des consignes claires soient passées aux parquets pour rechercher des cas de mise en oeuvre de l'article 227-18-1, en mettant en avant ses avantages pour une pénalisation lourde et rapide ;

· la loi soit modifiée pour indiquer que toute personne qui met en ligne sur des réseaux sociaux accessibles aux mineurs - ce qui est de facto le cas de toutes les grandes plateformes utilisées par les réseaux pour recruter leurs « petites mains » - une offre d'emploi au service d'un réseau de narcotrafic se rend coupable du délit prévu par l'article précité et encourt, de ce seul fait, sept ans de prison, que l'annonce ainsi diffusée ait ou non mené au recrutement d'un « jobbeur » : de telles initiatives peuvent en effet aisément tomber sous le coup de la tentative et être, en tant que telles, pénalisées comme l'infraction initiale, même si celle-ci n'a pas été commise.

Recommandation n° 28 de la commission d'enquête : réprimer le recrutement en ligne des « jobbeurs »

· Tirer pleinement profit de l'infraction pénale de provocation d'un mineur au trafic de stupéfiants, notamment en clarifiant les conditions de sa mise en oeuvre en cas de recrutement de « jobbeurs » sur les réseaux sociaux.

Au titre de la protection des mineurs et de leurs familles - notamment dans les cas où des jeunes ont été victimes de narchomicides -, la commission d'enquête a également pris connaissance, avec un grand intérêt, des propositions faites par les associations de victimes qu'elle a rencontrées pendant son déplacement à Marseille. Celles-ci ont en effet formulé plusieurs recommandations qui, pour certaines, recoupent les réflexions de la commission, par exemple sur le développement des internats d'excellence (voir infra) ou sur l'approfondissement de la coordination avec les acteurs locaux (voir supra), et qui toutes visent à prévenir la délinquance comme à améliorer la prise en charge des proches des victimes.

L'accompagnement social des familles : les propositions des associations rencontrées à Marseille

Lors de son déplacement à Marseille les 7 et 8 mars 2024, la commission d'enquête a pu rencontrer, au cours d'une table ronde, des associations de proches de victimes de règlements de comptes. Étaient représentés le collectif « Trop jeune pour mourir », le collectif des familles de victimes d'assassinats, le collectif « Le coeur d'une mère », l'association Addiction Méditerranée et l'association Conscience, qui ont longuement évoqué les manoeuvres, voire les violences utilisées par les narcotrafiquants pour contraindre des jeunes à devenir, par la menace ou par la séduction, « chouf » ou « charbonneur ». Elles ont également décrit le sentiment d'abandon, voire de stigmatisation des familles de victimes de narchomicides et leur attente à la fois d'une réponse pénale et d'un accompagnement psychologique et social, comme leur volonté de voir le narcotrafic et ses violences connexes appréhendés dans toutes leurs dimensions. Relevant que le traitement des familles de victimes de règlements de comptes était parfois inadapté, en particulier au vu des menaces et pressions exercées par les réseaux de narcotrafic à l'encontre des proches endeuillés, ces associations ont formulé diverses propositions visant à améliorer l'accompagnement social des proches. Elles ont notamment proposé :

· à titre préventif, de mettre en place de cellules d'urgence (elles-mêmes dotées de standards téléphoniques) pour les mineurs engagés dans le trafic chargées d'identifier et de secourir les jeunes et constituées de psychologues, d'éducateurs et de personnels du ministère de justice ;

· toujours en matière de prévention, de soutenir et de développer les interventions des associations de proches de victimes en milieu scolaire pour contribuer à dissuader les jeunes d'entrer dans les trafics ;

· de faire un effort de sensibilisation auprès des forces de sécurité intérieure pour éviter tout manque d'empathie lors de l'annonce du décès d'un proche et pour ne pas faire peser sur les familles, par défaut de tact, un sentiment de culpabilité ;

· de mettre en place, par exemple sous l'égide d'associations assermentées par la préfecture, un soutien aux familles de victimes pour faciliter l'accès aux structures existantes (en particulier aux associations d'aide aux victimes et à l'aide juridique gratuite) : en effet, nombre de familles en deuil affirment avoir besoin d'un appui pour accomplir les démarches administratives, parfois lourdes, qui leur permettent d'être accompagnées juridiquement, socialement et psychologiquement ;

· de créer une cellule d'aide psychologique dans les quartiers après chaque assassinat, afin d'offrir un soutien à la population touchée ;

· un relogement rapide, dans un autre quartier, des familles qui vivent à proximité du lieu où leur proche a été assassiné, afin qu'elles cessent d'être quotidiennement ramenées au drame qui les a frappées.

VII. ENDIGUER LE POUVOIR CONTAMINANT DU NARCOTRAFIC : LUTTER CONTRE LA CORRUPTION

La corruption se révèle être à la fois l'un des facteurs facilitants du narcotrafic et l'un de ses symptômes. Il est aujourd'hui impossible pour une organisation criminelle de parvenir à diffuser ses produits stupéfiants sur le territoire national sans corrompre des intermédiaires, agents publics comme privés, que ce soit pour faciliter l'importation de leurs produits, pour éviter certains contrôles ou pour agir en toute impunité. Dans le même temps, l'ampleur du narcotrafic renforce celle du phénomène corruptif qui porte atteinte, avec le blanchiment, au système économique.

La France bénéficie néanmoins d'un atout par rapport à certains pays : les faits de corruption, bien que sous-estimés, demeurent limités, alors même que le risque est très élevé. Elle se situe donc à un point de bascule : il faut agir maintenant pour circonscrire la contagion. La corruption contribue à alimenter une menace, le narcotrafic, dont la commission d'enquête considère désormais qu'elle porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation. La réponse doit donc être à la hauteur.

Si le nouveau plan de lutte contre les stupéfiants prévoit, en sa mesure 19, de prévenir, détecter et réprimer les atteintes à la probité facilitant le trafic de stupéfiants, une fois encore, aucun détail n'est donné quant aux actions à mener dans ce cadre. La commission d'enquête propose des mesures précises et multivectorielles, pour la sphère publique comme pour la sphère privée.

A. GÉRER LE RISQUE DE CORRUPTION TOUT AU LONG DE LA CARRIÈRE

La commission d'enquête souscrit pleinement aux propos de Christine Dubois, adjointe à la cheffe de l'inspection des services de la douane, « qu'y a-t-il de plus infamant pour une administration que d'être soumise à la corruption ? C'est la négation de nos valeurs les plus louables »838(*).

Or, le risque corruptif existe simplement parce que les agents publics en charge de la lutte contre le narcotrafic se trouvent confrontés à des organisations très puissantes financièrement et dont l'un des principaux enjeux est de trouver un point d'entrée sur un territoire. En réponse à ce risque, et du fait d'une prise de conscience récente, la réponse des administrations est encore trop faible, comme cela a été souligné plus haut. Il doit être mis fin à la confusion selon laquelle l'absence de cas « nets » de corruption en lien avec le narcotrafic signifie que le risque n'existe pas, confusion d'ailleurs alimentée par les ministres de la justice et de l'intérieur eux-mêmes, qui ont affirmé lors de leur audition que les cas étaient peu nombreux, voire résiduels - ce qui ne dit rien de l'état de la menace.

L'article 17 de la loi du 9 décembre 2016 dite « Sapin II »839(*) impose aux entreprises840(*) une série de mesures pour prévenir et détecter la corruption en leur sein : cartographie des risques, mesures de remédiation, code de conduite, formations, mécanismes d'alerte, de contrôle et d'audit, mécanismes d'évaluation des tiers, sanctions. Pour les entités publiques, les dispositions prévues à l'article 3 de ladite loi n'ont pas la même force obligatoire. Il est temps de changer d'approche.

Les administrations doivent à la fois protéger leurs agents de la compromission, être en mesure de déceler des agissements suspects et sanctionner ceux de leurs agents qui seraient corrompus. Prévenir, détecter, réprimer : ce sont les trois axes des propositions de la commission d'enquête pour gérer le risque de corruption tout au long de la carrière des agents publics.

1. Redonner une place centrale aux inspections

En dépit d'un risque désormais connu et qualifié de très élevé, la commission d'enquête s'étonne de constater que les inspections générales et des services ne sont pas toutes au même niveau s'agissant de la mise en place d'un véritable plan anticorruption dans leurs administrations.

a) Caractériser le risque

Sans revenir sur la prise de conscience récente des liens entre corruption et criminalité organisée, et les interrogations qu'elle peut susciter sur la capacité des inspections à anticiper les risques, on peut relever que toutes les administrations exposées au risque corruptif en lien avec le narcotrafic n'ont pas encore conduit un audit interne sur la corruption, audit qui doit ensuite servir de base à un plan d'action.

Seules les douanes et l'administration pénitentiaire l'ont fait à ce jour. Pour la douane, cela a pris la forme d'un audit de l'inspection générale des finances (IGF) et de l'inspection des services de la douane, cette dernière étant chargée de son suivi. L'administration pénitentiaire s'appuie quant à elle sur sa mission de contrôle interne. À l'inverse, l'inspection générale de la justice (IGJ) a par exemple simplement indiqué conduire une mission sur la déontologie en 2024. Or la corruption doit désormais être considérée comme un phénomène à part, et non pas être « noyée » dans un contrôle plus large.

L'absence de cas nombreux et avérés de corruption n'est absolument pas un argument contre la réalisation de ces audits. Au contraire, l'objectif d'un audit, c'est de pouvoir anticiper la réalisation du risque, en se posant les bonnes questions : quels sont les risques théoriques ? quels sont les dispositifs mis en place pour minimiser ces risques ? quels sont les risques résiduels ?

La commission d'enquête estime qu'il est impératif que l'ensemble des inspections - administration, justice, gendarmerie, police - conduisent un audit « en centrale » et sur le terrain pour caractériser le risque de corruption et ses facteurs facilitants.

Sur un sujet connexe, on peut également noter que le défaut d'évaluation des risques liés à la corruption au regard du blanchiment des capitaux fait partie des lacunes identifiées par le Gafi dans son rapport d'évaluation mutuelle de la France841(*). Les mesures proposées par la commission d'enquête pour limiter le risque corruptif vont de pair avec celles qu'elle propose pour remédier au blanchiment endémique auquel la France est confrontée dans sa lutte contre le narcotrafic.

b) Cartographier le risque corruptif

La cartographie du risque corruptif est indissociable de la capacité des administrations à anticiper et à prévenir la réalisation du risque et à adopter une approche plus proactive que réactive. Elle se conçoit à la fois dans une approche « macro » - identifier les points de faille d'une administration en elle-même, du fait de ses missions et de son positionnement -, et dans une approche « micro » - au niveau de chaque agent.

Corruption et criminalité organisée : des facteurs de risque désormais bien identifiés

Le groupe de travail842(*) sur le risque corruptif en relation avec la criminalité organisée, placé sous l'égide de l'Agence française anticorruption et de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), a identifié sept facteurs de risque :

· la proximité des agents de l'État avec des milieux plus exposés aux pratiques délinquantes (prisons, tribunaux, contrôle des jeux d'argent, des débits de boissons, territoires marqués par le trafic de stupéfiants) ;

· la fragilité des agents (difficultés financières, isolement familial, conduites addictives et à risque pour la santé, isolement géographique, absence de repères déontologiques) ;

· l'intervention des agents dans des environnements marqués par le trafic intense de marchandises (ports, aéroports) ;

· l'accès des agents à des informations sensibles intéressant notamment les réseaux criminels (fichiers de police ou judiciaires, fichiers bancaires, fiscaux ou douaniers) ;

· l'isolement dans l'exercice des missions interdisant le contrôle par les pairs et rendant de fait la détection plus difficile ;

· la faible rotation sur les postes et, dans certains cas, le maintien prolongé dans certains territoires et/ou sur des missions exposées au risque de corruption ;

· la proximité géographique des agents de l'État avec leurs lieux de travail, rendant possible leur identification par des milieux criminels.

Source : Agence française anticorruption, Groupe de travail sur le risque corruptif en relation avec la criminalité organisée - Compte rendu des échanges et relevés de conclusion, 27 septembre 2023

Cartographier le risque corruptif, c'est aussi lui accorder une juste place. Dans la quasi-totalité des administrations, la corruption n'est pas identifiée en tant que telle dans la cartographie des risques, mais elle est incluse dans la déontologie. Au regard de la situation actuelle, cette approche est désormais insuffisante ; un traitement spécifique doit être réservé à la corruption.

Les travaux menés au sein de chacune des administrations confrontées au phénomène de corruption en relation avec la criminalité organisée pourront ensuite nourrir la cartographie nationale en cours d'élaboration par l'AFA.

La cartographie nationale du risque corruptif

L'Agence française anticorruption ne dispose pas à ce jour d'une cartographie nationale du risque corruptif. Ce projet a toutefois été lancé en 2021, ce qui a permis de poser les bases d'un futur observatoire des atteintes à la probité, qui serait développé dans le cadre du prochain plan national pluriannuel de lutte contre la corruption 2024-2027. Cette cartographie s'appuie sur quatre sources de données :

· les décisions de justice rendues en première instance dans le champ des six infractions d'atteintes à la probité (AAP) ;

· les données statistiques issues des procédures de police judiciaire en matière d'AAP ;

· les données statistiques de sanctions disciplinaires dans la fonction publique de l'État en matière d'AAP ;

· les signalements reçus par l'AFA en tant qu'autorité externe de recueil des signalements.

Source : réponse de l'Agence française anticorruption au questionnaire du rapporteur

c) Apporter de la cohérence

Lors de son audition, la directrice de l'AFA, Isabelle Jégouzo, a qualifié de « parcellaire » le dispositif anticorruption mis en place dans les administrations publiques, en soulignant son manque de cohérence843(*) : « Or, dans un dispositif anticorruption, la cohérence est clef : en cas d'alerte interne signalant des phénomènes de corruption, la cartographie des risques doit être immédiatement alimentée, le dispositif de formation doit en tenir compte, un audit sur la question doit être mené dans les deux ans qui suivent. Cette cohérence globale fait encore défaut dans les administrations : les choses existent, mais elles restent parcellaires ».

À partir des faits existants, les inspections ou services dédiés doivent s'attacher à analyser les opportunités identifiées et utilisées par les organisations criminelles (accès à des informations sensibles, mise à disposition de moyens matériels, accès à des zones protégées, fragilités des agents visés) pour définir les mesures de prévention les plus adéquates.

Il est dès lors indispensable que l'ensemble des cas de corruption ou de manquements à la probité soient signalés aux inspections. C'est loin d'être le cas aujourd'hui : la plupart des dossiers échappent à leur connaissance et sont traités par des services d'investigation spécialisés ou de droit commun ainsi que par les cellules de déontologie. Les inspections n'ont ainsi pas connaissance des faits de corruption dite « de basse intensité » et qui n'affectent a priori pas le fonctionnement des services ou qui ne connaissent pas de retentissement médiatique particulier. La corruption de basse intensité constitue pourtant un levier pour la criminalité organisée : moins visible, jugée « moins grave », elle peut continuer à étendre son emprise.

De fait, conditionner la remontée des informations à l'écho rencontré par les faits de corruption ne permet absolument pas de construire un dispositif anticorruption robuste. Ce sont ces signaux faibles qui sont aujourd'hui les plus inquiétants dans le lien entre corruption et narcotrafic et ils doivent, tout comme les dossiers « médiatiques », faire l'objet d'un traitement à la hauteur de la menace qu'ils représentent. Les signalements et les dossiers doivent donc être centralisés auprès des inspections générales, quitte à ce que les enquêtes soient ensuite confiées à des services dédiés ou aux cellules déontologie.

Enfin, cette mise en cohérence pourrait être envisagée en étendant aux acteurs publics les obligations prévues à l'article 17 de la loi Sapin II pour les entreprises (cartographie des risques, mesures de remédiation, code de conduite, formations, mécanismes d'alerte, de contrôle et d'audit, mécanismes d'évaluation des tiers, sanctions). Une telle extension conduirait nécessairement les acteurs publics à s'emparer plus résolument du sujet de la corruption et à véritablement structurer la fonction conformité. Elle suppose toutefois une réflexion sur le seuil d'assujettissement et sur les coordinations à opérer avec les dispositions applicables en matière de probité (marchés publics, déontologie, déclarations auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique).

2. Modifier l'organisation du travail pour limiter le risque corruptif

Les audits conduits par les inspections pour caractériser le risque de corruption, en lien avec l'AFA, pourraient conduire à revoir l'organisation du travail pour limiter le risque. C'est en cours pour les douanes, Christine Dubois ayant rappelé au cours de son audition844(*) l'importance des « mesures in design, directement incluses dans les processus de travail ».

L'organisation du travail, au coeur de la prévention de la corruption

Avant l'audit de l'IGF et de l'inspection des services de la douane sur le risque corruptif au sein de la douane, plusieurs mesures avaient déjà été mises en place pour limiter le contournement des contrôles et la compromission des agents :

· le ciblage est dissocié du contrôle. Les fonctions de ciblage et de contrôle sont séparées, l'analyse de risques et les critères de ciblage qui viennent prescrire les contrôles sont examinés en amont et indépendamment des services chargés d'opérer les contrôles. Le ciblage est également organisé sur plusieurs niveaux et à partir de plusieurs supports d'informations ;

· les contrôles sont systématiquement réalisés par plusieurs agents.

D'autres mesures liées à l'organisation du travail ont été recommandées à la suite de l'audit :

· le remisage des badges d'accès à la fin du service ;

· une plus grande rotation des agents, à deux niveaux : la tenue de postes différents sur une même vacation par les agents d'une même équipe et l'affectation sur un poste pour une durée déterminée. La rotation peut par exemple accroître l'imprévisibilité des contrôles, les agents ne sachant pas à quel moment ils seront à tel endroit ;

· un meilleur contrôle des accès, les agents des douanes ne devant avoir accès qu'aux espaces pour lesquels ils y sont autorisés.

Source : documents transmis à la commission d'enquête par l'Agence française anticorruption et par la direction générale des douanes et des droits indirects

Agir sur l'organisation du travail suppose également de pouvoir anticiper : l'accès aux dossiers individuels des agents peut s'avérer particulièrement utile pour déterminer l'affectation d'un agent ou en cas de suspicions sur son comportement. Le directeur de l'administration concernée devrait pouvoir le consulter facilement pour prendre connaissance d'éventuels antécédents judiciaires, procédures disciplinaires, enquêtes administratives et de ses évaluations professionnelles.

3. Sensibiliser et former tout au long de la carrière

La sensibilisation au risque corruptif, loin d'être un axe « mou » de la lutte contre la corruption en lien avec le narcotrafic, constitue une pierre angulaire de tout dispositif anticorruption. Comme le relevait Christophe Straudo, chef de l'inspection générale de la justice, « les phénomènes de corruption de basse intensité sont favorisés par une absence d'appropriation des principes essentiels à l'entrée dans la fonction publique. Je crois beaucoup à la nécessité d'entamer un travail de prévention, par la formation, et par un certain nombre d'interventions »845(*).

Pour être efficace, la formation doit s'articuler autour de trois axes : la sensibilisation au risque corruptif, y compris par les actes les plus anodins, la détection des tentatives d'approche ou des comportements suspects, et la prévention du recrutement criminel. Elle doit concerner l'ensemble des agents, sur l'ensemble de leur carrière.

Dans ce domaine, l'AFA a érigé en « bonne pratique » le travail conduit par l'administration pénitentiaire, à la fois sur la formation initiale et sur la formation continue.

L'administration pénitentiaire et la sensibilisation au risque de corruption

Lors de la première réunion du groupe de travail sur la corruption en relation avec la criminalité organisée, les bonnes pratiques de l'administration pénitentiaire ont été présentées à l'ensemble des administrations partenaires : cartographie des risques, mécanismes de détection et d'audit, formation et sensibilisation du personnel. Sur la formation en particulier, l'action de l'administration pénitentiaire se déploie à tout moment de la carrière, dans tous les établissements et pour tous les personnels intervenant en détention :

· la formation initiale au sein de l'École nationale d'administration pénitentiaire (Énap). Le module de formation ne présentant la corruption qu'en termes de faute et de sanction a été remplacé par une séance sur les risques corruptifs faisant prévaloir une approche en termes de risques, de prévention, de protection et de recherche de solutions collectives ;

· la formation continue, appuyée sur le module de l'Énap, avec un passage de l'information à la « formation-action ». La formation continue repose sur des formateurs-relais interrégionaux formés par l'Énap. Sur cinq jours, la formation-action permet de former aux risques corruptifs, de rédiger un code anticorruption propre à l'établissement, de former des formateurs-relais et de présenter les fiches du code de conduite local anticorruption ;

· une formation spécifique aux risques que représentent les réseaux sociaux. L'Énap, le service national du renseignement pénitentiaire et la mission de contrôle interne ont construit un parcours de formation en ligne afin de sensibiliser à la notion « d'empreinte numérique ». Ce module de formation continue est intégré à la formation initiale dispensée par l'Énap depuis le mois de septembre 2023 ;

· la mise à disposition d'outils dédiés pour les agents : un outil d'aide à une évaluation individuelle du risque corruptif et un « déontomètre », en lien avec les référents interrégionaux chargés de la déontologie.

Le « pass Anticor » (outil de repérage et d'évaluation des risques corruptifs individuels) mis en place par l'administration pénitentiaire :

Source : documents transmis à la commission d'enquête par l'administration pénitentiaire

Sensibilisation et formation tout au long de la carrière doivent permettre la diffusion d'une véritable culture anticorruption : chaque agent doit acquérir des réflexes de prévention de la corruption. La commission d'enquête soutient à cet égard la mise en place d'un baromètre de la sensibilisation, qui permettrait aux administrations d'être en mesure d'évaluer l'impact de la sensibilisation des agents. Le thème de la corruption doit être visible et s'installer dans les services, pour mieux prévenir la survenance de comportements compromis. En l'état, l'administration pénitentiaire est celle dont les travaux sont les plus aboutis.

Le ministère de la justice est d'ailleurs loin d'avoir harmonisé ses pratiques puisque la formation des magistrats ne comprend pas de module dédié au risque corruptif, intégré dans les formations à la déontologie.

Au sein de la gendarmerie nationale, la sensibilisation à la corruption n'est pas reprise dans un guide pratique spécifique et ne fait pas l'objet d'une formation spécifique. Elle est abordée au gré des formations à l'éthique et à la déontologie, tandis que les risques d'atteinte à la probité ne sont pas du tout abordés dans la formation initiale des sous-officiers. Seuls les élevés officiers suivent cette formation, qui repose sur un « mode de raisonnement éthique », l'élève officier étant invité à réfléchir de lui-même aux risques éventuels d'atteinte à la déontologie. Là encore toutefois, la corruption est un élément parmi d'autres. Il a fallu attendre les travaux préparatoires au plan national pluriannuel de lutte contre la corruption 2024-2027 pour que la gendarmerie nationale crée une formation sur les atteintes à la probité accessible à tous. Le retard à rattraper est immense.

La situation est un peu meilleure du côté de la police nationale mais toujours insuffisante, avec une formation à la déontologie dispensée à l'ensemble des policiers adjoints et des gardiens de la paix, cible prioritaire pour les organisations criminelles. Depuis peu, le risque d'atteinte à la probité est également considéré comme un risque à part entière pour tous les grades de la police, en lieu et place d'une simple composante du risque déontologique.

De même, du côté de la douane, des travaux ont tout juste été engagés pour inclure un module consacré au risque corruptif dans la formation initiale ainsi que dans la formation continue. Cette dernière inclurait des mécanismes d'autoévaluation, des cas pratiques et des mises en situation, sur le modèle de ce qui a été mis en place par l'administration pénitentiaire.

Gendarmerie, police et douanes étudieraient par ailleurs la possibilité d'élaborer une formation conjointe, dont le premier niveau consisterait en une sensibilisation à la probité, le deuxième en une formation spécifique pour les officiers de douane judiciaire, les officiers fiscaux judiciaires et les officiers de police judiciaire, et le troisième en un approfondissement. La commission d'enquête souhaite que ce projet se concrétise rapidement : toute acculturation prend du temps, et le plus tôt est le mieux quand il s'agit de lutter contre la corruption.

La formation et la sensibilisation à la corruption doivent traiter ce phénomène en tant que tel, du début à la fin de carrière, avec une adaptation aux spécificités géographiques et fonctionnelles. En ce sens, un dispositif de formation robuste est indissociable d'un travail de cartographie en amont sur les postes et leur exposition au risque.

Enfin, l'animation du dispositif au plus haut niveau demeure essentielle : « le point de départ est toujours l'engagement de l'instance dirigeante »846(*). Si l'ensemble des directeurs d'administration - police, gendarmerie, douanes - se sont montrés très conscients du risque corruptif, leurs déclarations doivent trouver une traduction concrète.

4. Recourir davantage aux enquêtes, un enjeu de prévention et de détection
a) Accroître les enquêtes administratives

Avant d'occuper certaines fonctions sensibles ou d'entrer dans certaines administrations, les candidats sont soumis à une enquête administrative préalable, diligentée par le service national des enquêtes administratives et de sécurité (Sneas). Ces enquêtes visent à s'assurer que les comportements ou les agissements d'une personne ne sont pas incompatibles avec l'exercice des fonctions envisagées. Des enquêtes de moralité peuvent également être conduites.

Au regard du risque corruptif élevé auquel font face les services en charge de la lutte contre le narcotrafic, la commission d'enquête propose que ce criblage soit non seulement systématique mais se déroule à échéance régulière, et pas uniquement à l'entrée en carrière. Des vulnérabilités sont en effet susceptibles d'apparaître à tout instant de la carrière d'un agent.

La fréquence de ce criblage serait déterminée à l'issue d'une analyse des risques, qui tiendrait notamment compte de la sensibilité des fonctions occupées par les agents, par exemple sur les plateformes logistiques ou dans les offices centraux, et de leur progression de carrière. Il prendrait la forme à la fois d'une consultation des fichiers de données à caractère personnel et d'une enquête administrative de sécurité. Alors que la pratique du criblage est régulière pour les personnels privés des plateformes portuaires et aéroportuaires par exemple, elle doit également devenir systématique dans l'administration.

En Belgique, dans le cadre des mesures adoptées par les autorités pour lutter contre le trafic de stupéfiants et prévenir la corruption, une évolution est en cours pour que les agents des douanes ne soient plus soumis à un criblage « à l'embauche » mais à un criblage continu, tout au long de la carrière. C'est ce qu'il convient d'instaurer en France, et plus généralement pour l'ensemble des services chargés de la lutte contre le narcotrafic et la criminalité organisée.

b) Instaurer des enquêtes patrimoniales

En complément des enquêtes administratives, la commission d'enquête propose que les agents particulièrement exposés au risque corruptif en lien avec la criminalité organisée fassent l'objet d'enquêtes patrimoniales régulières, avec une surveillance des dépenses et des enrichissements inexpliqués.

Ce dispositif s'appuierait sur la mise en place d'obligations déclaratives pour les fonctionnaires les plus haut placés. Ainsi aujourd'hui, si le directeur national de la police judiciaire est soumis à de telles obligations, tel n'est pas le cas de la cheffe de l'Office antistupéfiants. Le périmètre des fonctions soumises à une déclaration de situation patrimoniale contrôlée par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) devrait donc être élargi.

Les obligations déclaratives des agents publics

Deux catégories d'agents publics sont soumises à des obligations déclaratives.

D'une part, les personnes occupant un emploi à la décision du Gouvernement pour lequel elles ont été désignées en conseil des ministres. Il s'agit principalement des secrétaires généraux de ministères, des directeurs d'administration centrale ou équivalents, des préfets, des recteurs et des ambassadeurs. Cette obligation concerne donc les grandes directions et services centraux impliqués dans la lutte contre le narcotrafic.

Ces agents sont soumis à une déclaration de situation patrimoniale au président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). La déclaration est la photographie de ce que possède le déclarant à la date de la déclaration : biens immobiliers, placements financiers, comptes bancaires, emprunts et dettes. À la fin de ses fonctions ou lors du renouvellement, la déclaration est augmentée des revenus perçus par l'agent public ainsi que des événements majeurs ayant pu affecter son patrimoine depuis la dernière déclaration. Toutefois, en cas de modification substantielle de son patrimoine, l'agent public doit transmettre une déclaration modificative à la HATVP Elle fait l'objet d'un contrôle de la part de la HATVP mais elle n'est pas publique.

Les agents précités sont également soumis à une déclaration d'intérêts, contrôlée par la HATVP.

D'autre part, les agents publics (fonctionnaires ou contractuels de la fonction publique) nommés dans un emploi « dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions justifient » ont l'obligation d'adresser une déclaration de situation patrimoniale » à la HATVP.

La déclaration n'est pas contrôlée par la HATVP et n'est pas publique. Les agents ne sont pas concernés par la déclaration d'intérêts. La liste des emplois concernés est définie par le décret n° 2016-1968 du 28 décembre 2016 relatif à l'obligation de transmission d'une déclaration de situation patrimoniale. Pour chaque ministère, des arrêtés précisent ce décret en listant les emplois visés. Sont ainsi concernés, dans les administrations centrales de l'État, les emplois de chef de service et de sous-directeur ainsi que de directeur de service à compétence nationale, dont les responsabilités en matière d'achat ou de placements financiers le justifient ou dont les services sont en charge de l'élaboration ou de la mise en oeuvre de normes en matière économique et financière ou du soutien ou du contrôle d'opérateurs agissant dans un secteur économique concurrentiel.

Le fait pour un agent public, ne pas adresser de déclaration de patrimoine ou de soumettre une déclaration mensongère (omission, sous-évaluation) est puni d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

Source : Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

Pour les agents de terrain, l'injonction pour richesse inexpliquée, proposée par la commission d'enquête (voir infra) pourra utilement être mobilisée par les services d'enquête ou par les inspections pour obtenir des agents des explications sur des éléments de leur train de vie qui n'apparaissent pas en corrélation avec leurs revenus.

Enfin, et quel que soit l'emploi de l'agent public, l'expertise de Tracfin gagnerait à être davantage mobilisée. Tracfin peut en effet être sollicité par un service de renseignement pour tracer l'environnement financier et patrimonial d'un agent suspecté se trouver en délicatesse, enquête élargie au patrimoine de ses proches pour essayer d'objectiver l'arrivée de flux financiers ou un rehaussement inexpliqué du train de vie847(*). Le partage des bonnes pratiques de détection des signaux faibles de corruption entre les administrations doit conduire ces dernières à adresser davantage de signalements à Tracfin.

5. Consolider les dispositifs d'alerte

Capteur de signaux faibles, le dispositif d'alerte constitue à ce titre un composant majeur de la maîtrise du risque de corruption. Pourtant, les administrations s'estiment encore peu outillées et formées pour recueillir et appréhender les signalements. Les faits de corruption sont en grande majorité révélés de manière incidente, lors d'investigations portant sur d'autres faits, voire par hasard.

La police et la gendarmerie nationales disposent d'une plateforme de signalement des usagers, signalements qui peuvent être anonymes et transmis par des policiers. Il n'existe pas en revanche de système dédié à l'alerte interne.

La reconfiguration d'un tel dispositif d'alerte est en cours au sein de la douane. Il s'agit à la fois de détecter de possibles compromissions mais également de permettre aux agents pris dans l'engrenage de disposer d'une « porte de sortie ». Pour reprendre les propos de Julien Senèze, chef du pôle audit de l'IGF, « il faut que les agents n'aient pas peur de faire part de ce qu'ils ont vu ou de ce à quoi ils ont été soumis auprès de leur hiérarchie ou de la chaîne d'alerte »848(*).

Ce dispositif d'alerte doit permettre à l'ensemble des agents de pouvoir s'exprimer, et notamment aux collègues de l'agent approché ou compromis. Il faut pouvoir passer de « je savais » à « je sais » et « je dis ». La présence de référents « lanceurs d'alerte interne » doit se banaliser et permettre de recueillir des signalements à un stade précoce, pour réagir avant que le mécanisme corruptif ne s'étende849(*).

6. Sanctionner pour réprimer et pour dissuader

La sanction obéit à un double usage individuel et collectif : elle vise d'une part à réprimer un agent ayant commis un acte illicite et, d'autre part, à dissuader ses collègues de reproduire ce comportement.

Pourtant, le groupe de travail sur la corruption en relation avec la criminalité organisée, placé sous l'égide de l'AFA et de l'OCLCIFF, a souligné que l'administration éprouvait des difficultés à sanctionner lourdement les agents coupables d'atteintes à la probité850(*) - amoindrissant de fait la portée répressive et dissuasive de la sanction.

Sanctions disciplinaires dans la fonction publique

Premier groupe : avertissement, blâme, exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours.

Deuxième groupe : radiation du tableau d'avancement, abaissement d'échelon à l'échelon immédiatement inférieur, exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre à quinze jours, déplacement d'office.

Troisième groupe : rétrogradation au grade immédiatement inférieur, exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans.

Quatrième groupe : mise à la retraite d'office, révocation.

Source : article L. 533-1 du code général de la fonction publique

En matière administrative, et contrairement au pénal, il n'existe pas d'échelle de sanction prédéfinie en fonction des faits matérialisés par l'enquête. La sanction est déterminée par l'administration à l'issue d'un processus disciplinaire qui peut lui-même avoir été engagé à la suite d'une enquête administrative, sous réserve que celle-ci ait conclu à l'existence de manquements. Il revient ensuite à l'autorité administrative de définir la sanction. Pour des atteintes à la probité, elles peuvent aller du premier au quatrième groupe de sanctions, selon la nature des faits commis.

La sanction disciplinaire n'est donc pas forcément automatique et il peut théoriquement arriver qu'un agent mis en cause dans une affaire de corruption continue d'exercer ses missions. Pour y remédier, il pourrait être envisagé de pouvoir lancer des enquêtes administratives ou des poursuites disciplinaires sans attendre l'aboutissement des enquêtes judiciaires, quand les situations le justifient851(*).

En parallèle de cet aspect répressif, la question de la gestion des personnes concernées, qui n'ont pas toutes vocation à être radiées, se pose. Comme le relevait le chef de l'inspection générale de la justice, Christophe Straudo, lors de son audition852(*), « ne faudrait-il pas développer un accompagnement interne, faisant notamment intervenir les services de ressources humaines, pour les personnes sanctionnées qui restent en place dans l'administration ? Pour certains faits de faible intensité, des sanctions telles que des déplacements d'office ou des rétrogradations de grade existent ; mais en plus de ces sanctions internes, comment accompagner la personne pour éviter que l'épisode ne se renouvelle ? ».

La commission d'enquête estime que les personnes sanctionnées pour des atteintes à la probité devraient faire l'objet d'un suivi et d'un accompagnement RH spécifique, ce qui, de manière surprenante n'est pas encore le cas dans l'ensemble des administrations. Or la prévention de la récidive suppose un accompagnement accru et personnalisé.

Quant à l'aspect dissuasif, la publicité des sanctions pour corruption, en lien ou non avec le narcotrafic ou la criminalité organisée, est essentielle. À titre de comparaison, en Belgique, l'administration générale des douanes et des accises procède à la publication systématique sur l'intranet douanier de communiqués de presse pour chaque cas de corruption, dans un objectif assumé de conscientisation et de prévention.

La commission d'enquête considère que, pour être efficace, la publication systématique d'un communiqué doit être envisagée non seulement pour les douanes, mais également pour les forces de sécurité intérieure, la magistrature ou l'administration pénitentiaire, dans le respect de l'anonymat des agents. Attendre le rapport annuel n'est pas suffisant : les sanctions disciplinaires peuvent et doivent devenir un levier de diffusion de la culture anticorruption.

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L'ensemble des mesures précitées doivent pouvoir être déployées dans le futur plan national pluriannuel de lutte contre la corruption (PNPLC) 2024-2027. La lutte contre la corruption en relation avec la criminalité organisée doit devenir, comme l'a défendu Isabelle Jégouzo, directrice de l'AFA, « l'une des priorités, si ce n'est la priorité » de ce plan853(*). En conséquence, l'AFA, qui n'a jusqu'ici conduit aucun contrôle spécifique en la matière, doit l'intégrer dans son plan de contrôle, dès la fin de l'année 2024. Il faut pouvoir agir vite face à un risque très élevé et accompagner les administrations dans la mise en place de ces mesures nouvelles.

Recommandation n° 29 de la commission d'enquête : gérer le risque de corruption tout au long de la carrière des agents publics

· Confier aux inspections la réalisation d'un audit « en centrale » et sur le terrain pour caractériser le risque de corruption et ses facteurs facilitants ;

· Cartographier le risque corruptif, à la fois à l'échelle d'une administration (sensibilité des postes, organisation du travail) et à l'échelle de chaque agent (fonctions, facteurs de risque) ;

· Transmettre obligatoirement aux inspections l'ensemble des cas de corruption ou de manquements à la probité constatés au sein d'une administration et assurer la cohérence du dispositif anticorruption (signalement, audit, adaptation des mesures de prévention) ;

· Sensibiliser et former les agents tout au long de leur carrière, en mettant également à leur disposition des outils d'aide à l'évaluation individuelle du risque corruptif et en instaurant un baromètre annuel de la sensibilisation ;

· Cribler systématiquement et à échéance régulière les agents publics des services répressifs, de la douane et de l'administration pénitentiaire ;

· Élargir le périmètre des fonctionnaires soumis à une obligation de déclaration de situation patrimoniale à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ;

· Solliciter davantage Tracfin pour tracer l'environnement financier et patrimonial d'un agent suspecté d'atteinte à la probité ;

· Consolider les dispositifs d'alerte interne ;

· Prévoir un accompagnement et un suivi RH spécifique pour les agents publics sanctionnés pour atteinte à la probité ;

· Publier systématiquement un communiqué de presse sur l'intranet pour tous les cas de corruption ;

· Intégrer dans le plan de contrôle de l'Agence française anticorruption une évaluation du dispositif mis en place par la police nationale, la gendarmerie nationale, la douane, l'administration pénitentiaire et la magistrature pour lutter contre la corruption en lien avec la criminalité organisée.

B. CRÉER LES CONDITIONS DE L'INCORRUPTIBILITÉ DANS LA SPHÈRE PUBLIQUE COMME DANS LA SPHÈRE PRIVÉE

Dans son « État de la menace 2023 », l'Office antistupéfiants (Ofast) insiste sur le rôle de la corruption pour faciliter le trafic : « la compromission de professionnels susceptibles de protéger ou de favoriser le trafic est un véritable outil au service du trafic de stupéfiants ».

Sont notamment visées les professions qui répondent à des besoins spécifiques :

· la sécurisation des flux (douaniers, dockers, chauffeurs routiers, etc.) ;

· la facilitation des activités (agents susceptibles de fournir des informations sensibles, d'alerter sur des enquêtes en cours ou de fournir des véhicules ou des locaux) ;

· la garantie de l'impunité (professions permettant aux trafiquants d'opérer leurs activités sans être inquiétés)854(*).

Outre la gestion du risque corruptif tout au long de la carrière des agents publics, il est donc impératif de renforcer l'étanchéité des sphères publique et privée à la corruption. La lutte contre la corruption apparaît en effet comme l'un des piliers d'une approche globale de la lutte contre le narcotrafic.

1. Mieux détecter les usages anormaux des fichiers et les comportements suspects

L'augmentation de la consultation des fichiers fait partie des tendances observées par le groupe de travail de l'AFA et de l'OCLCIFF sur la corruption en relation avec la criminalité organisée855(*) ; les informations détenues dans ces fichiers faisant l'objet d'un intérêt marqué de la part des narcotrafiquants (voir supra). Un sous-groupe dédié à la thématique de la consultation des fichiers sensibles a d'ailleurs été créé pour proposer des réponses et partager des bonnes pratiques.

Les administrations concernées, et en particulier la police et la gendarmerie, semblent désormais s'être saisies de cette problématique, à la fois par des actions de prévention (rappel des règles, fiches mémo) et par la sanction a posteriori des personnels ayant outrepassé leurs prérogatives.

Toutefois, pour reprendre le triptyque « prévention, détection, sanction », cette approche présente un angle mort : la détection a priori des usages suspects, qui peuvent être le signe d'une compromission. En effet, dans la quasi-totalité des cas, la détection se fait de manière incidente ou fortuite, par l'intermédiaire d'investigations distinctes ou de découvertes par hasard. De là découle l'impératif de disposer d'outils qui ne visent plus seulement à détecter ex post mais à prévenir ex ante les accès illicites.

C'est pour répondre à cette faille que l'inspection générale de la police nationale porte l'idée d'un algorithme pour détecter les consultations et les utilisations suspectes des fichiers de police, en soutien du contrôle hiérarchique, incontournable pour révéler d'éventuelles pratiques corruptives856(*). Cette proposition recueille le plein soutien de la commission d'enquête, qui souhaite la mise en place d'un outil interministériel ayant bénéficié, pour sa mise en oeuvre, de l'expertise de l'AFA. L'objectif est de passer d'un système de détection a posteriori à un système de traçage des connexions, sur lequel serait appliqué l'algorithme.

À titre d'exemple, l'inspection générale de la gendarmerie nationale dispose d'un bureau - le bureau de l'audit, de la protection et de la gouvernance des données (BAPGD) - dont le rôle est de s'assurer de l'utilisation conforme des traitements automatisés de données à caractère personnel. Ce bureau contrôle les connexions des personnels, soit à son initiative, soit sur demande (échelons territoriaux de commandement), soit sur réquisition judiciaire, sur sollicitation soit de Tracfin, soit des douanes. Cette approche a été présentée au groupe de travail précité de l'AFA et de l'OCLCIFF, l'objectif étant qu'elle puisse servir de base au « développement d'un outil permettant de mieux surveiller et contrôler les fichiers, de façon préventive et non plus seulement sur demande »857(*).

La mise en place d'un tel système aurait par ailleurs un effet dissuasif : s'ils savent que leurs accès sont tracés et que les anomalies sont plus facilement détectables, les agents auront d'autant moins intérêt à prendre le risque d'accéder aux fichiers. Le rapport risque/avantage se renverse.

La commission d'enquête ne peut d'ailleurs s'empêcher de souligner qu'il lui semble délicat de promouvoir la constitution d'un grand fichier « crim org » (voir supra) sans que la question de la traçabilité des accès et de leur contrôle n'ait été résolue en amont.

Pour autant, la gestion des habilitations aux applicatifs et le renforcement du suivi des consultations de fichiers demeurent primordiaux et des marges d'amélioration demeurent en la matière. La revue des habilitations devrait être systématiquement intégrée au plan annuel de contrôle interne et des « packs d'habilitation » envisagés. Un tel système a été mis en place pour le fichier central des traitants de sources : chaque profil (autorité hiérarchique, superviseur, personne « ressource », contrôleur et traitant858(*)) dispose de droits d'accès différents, pour des informations précises. De même, la création, la radiation et la réactivation d'une fiche source ainsi qu'une demande de rémunération génèrent des alertes mail. L'Ofast a également renforcé le contrôle d'accès à ses données stockées sur le réseau informatique en créant des « groupes de sécurité », c'est-à-dire des groupes d'utilisateurs autorisés à accéder à une donnée en particulier et paramétrés par le service informatique de la direction nationale de la police judiciaire. La modification de l'architecture du réseau, de la liste des groupes de sécurité et de leur composition est soumise à la validation expresse de la direction de l'Ofast.

Le contrôle interne hiérarchique a un rôle clé à jouer, en tant qu'intervenant de « premier niveau » : la consultation des fichiers doit faire l'objet d'un contrôle annuel et les constats et les recommandations tirés de ces contrôles être soumis au directeur de l'administration centrale concernée. Il revient également à l'autorité hiérarchique de pouvoir demander à retirer une habilitation, au titre de son contrôle interne, et éventuellement d'ouvrir une enquête judiciaire et/ou administrative.

2. « Pénaliser » davantage la corruption

Outre une faible identification dans les dossiers ouverts pour infractions à la législation sur les stupéfiants - il a été rappelé que les faits de corruption n'étaient pas systématiquement poursuivis sous cette qualification pénale - la corruption fait également l'objet d'un suivi limité. La commission d'enquête défend au contraire une approche globale et un continuum entre le judiciaire et l'administratif.

À l'instar du blanchiment, les atteintes à la probité devraient être systématiquement recherchées dans les enquêtes portant sur du trafic de stupéfiants. L'antenne de l'Ofast au Havre a par exemple tout juste commencé à poser les bases d'une coopération plus étroite avec l'OCLCIFF859(*) - ce type de coopération devrait devenir la norme dans chacune des antennes de l'Office. Elle doit permettre d'apporter une expertise supplémentaire aux enquêteurs spécialisés dans le trafic de stupéfiants, ce qui doit en retour permettre d'incriminer davantage de « facilitateurs » du trafic, qui n'auraient pas pu être qualifiés de complices. Il est rappelé qu'un certain nombre de techniques spéciales d'enquête peuvent être utilisées pour caractériser des infractions liées à la corruption, lorsqu'elle est liée à la criminalité organisée.

Le rapporteur soutient à cet égard une extension de la liste des incriminations860(*) de la criminalité organisée à la corruption, en tant qu'outil de la criminalité organisée ou du trafic de stupéfiants. Cette extension permettrait notamment de pouvoir recourir à une garde à vue de 96 heures, ce qui est déjà le cas par exemple pour des suspicions de blanchiment du produit, des revenus et des choses provenant des infractions commises en bande organisée.

Ensuite, si les enquêtes ouvertes pour corruption n'aboutissent pas à des poursuites ou à des condamnations, les éléments recueillis à cette occasion constituent des indices, des informations à exploiter, par exemple en renseignement. Comme la commission d'enquête a eu l'occasion de le rappeler, en matière de lutte contre le narcotrafic, aucune information ne doit être « perdue ». Même si la corruption n'est pas toujours caractérisée pénalement et ne fait pas l'objet de poursuites, elle existe et elle est même « en réalité plus répandue qu'on ne le pense »861(*).

Outre l'exploitation des informations, une coordination plus étroite entre les inspecteurs chargés de l'enquête administrative et les magistrats parquetiers ou instructeurs chargés de l'enquête judiciaire est de nature à permettre de traiter l'ensemble du spectre des atteintes à la probité. Il s'agirait notamment de permettre aux inspections de pouvoir accéder à certaines informations contenues dans le dossier d'enquête judiciaire avant même l'engagement des poursuites862(*), et sur autorisation du procureur ou du magistrat instructeur. Ce qui ne sera peut-être pas poursuivi au pénal pourrait faire l'objet d'une sanction disciplinaire et conduire à proposer de nouvelles mesures de prévention ou de remédiation, au profit d'une plus grande étanchéisation de la sphère publique au narcotrafic.

Les juridictions pourraient en retour bénéficier de partenariats beaucoup plus développés avec les administrations signalantes telles que Tracfin, mais aussi les préfectures, l'administration fiscale, les douanes, l'AFA, la HATVP863(*) ou les chambres régionales et territoriales des comptes, ainsi qu'avec l'ensemble des professions réglementées, et en particulier les notaires, les commissaires aux comptes, les administrateurs et les mandataires judiciaires864(*). Ces partenariats doivent conduire à susciter davantage de signalements au titre de l'article 40 du code de procédure pénale - la commission d'enquête défendra la même approche de sensibilisation des acteurs privés s'agissant de la lutte contre le blanchiment des capitaux.

Enfin, un lien plus systématique doit être établi entre les juridictions et l'Agence française anticorruption. Cette dernière dénombre environ 900 décisions de justice par an dans des dossiers d'atteinte à la probité. Toutes ne lui sont pas transférées alors même qu'elles pourraient utilement nourrir le travail de cartographie nationale mentionné plus haut.

3. Protéger les lanceurs d'alerte

Dans le cadre du dispositif français visant à assurer la protection des lanceurs d'alerte, l'AFA a été désignée autorité d'alerte externe, c'est elle qui recueille et traite les signalements pour certains faits d'atteintes à la probité ; la protection étant octroyée aux lanceurs d'alerte par le Défenseur des droits. D'un point de vue strictement juridique, l'AFA est l'autorité externe désignée pour les signalements d'atteinte à la probité en matière de marchés publics et de violations portant atteinte aux intérêts de l'Union européenne, mais elle peut recevoir des alertes externes portant sur des risques corruptifs en relation avec la criminalité organisée. Sa compétence en la matière pourrait faire l'objet d'une clarification.

Elle peut donc recevoir des signalements portant sur des soupçons de corruption, dans la sphère publique comme dans la sphère privée, et les transmettre soit à l'autorité judiciaire soit aux administrations concernées. 430 signalements externes ont été reçus par l'Agence française anticorruption en 2023, mais peu semblent en lien avec la criminalité organisée865(*).

Pour autant, comme la directrice de l'AFA l'a expliqué en audition, ce mécanisme externe n'est pas suffisant, l'existence de mécanismes d'alerte interne est tout aussi essentielle dans la détection de la corruption en relation avec la criminalité organisée, et en particulier avec le narcotrafic.

Si l'AFA opère bien une distinction entre les dispositifs d'alerte interne anticorruption et la protection des lanceurs d'alerte, elle indique néanmoins avoir adopté une approche pragmatique en la matière. Ainsi indique-t-elle, dans ses recommandations : « 513. Différents dispositifs d'alerte professionnelle coexistent, il est conseillé, dans un souci de lisibilité, lorsque c'est juridiquement possible, la mise en place d'un dispositif technique unique de recueil des signalements, qui feront l'objet de traitement approprié.

« 514. La mise en place d'un dispositif technique unique de recueil suppose d'ouvrir la possibilité de signalement non seulement aux personnels, mais aussi aux collaborateurs extérieurs et occasionnels ou aux ordres professionnels. Il peut également être rendu public »866(*).

Dès lors, en plus des dispositifs développés pour les agents publics, dont la reconfiguration et la consolidation ont été proposées par la commission d'enquête, les dispositifs mis en place par les administrations doivent pouvoir recevoir les alertes des personnels de la sphère privée (prestataires externes en détention, logisticiens, personnels portuaires et aéroportuaires). En matière portuaire, la commission d'enquête a défendu la mise en place d'un dispositif national de signalements, avec la possibilité de les anonymiser.

Les mécanismes d'alerte doivent également permettre aux agents publics ou privés qui, n'ayant pas cédé aux tentatives de corruption par de l'argent ou des cadeaux ou ayant cédé une première fois mais refusant de continuer, se trouvent soumis à des menaces, à des intimidations voire à des violences. Pour reprendre les propos d'un membre de l'antenne de l'Ofast du Havre, une fois qu'une personne a accepté de l'argent, même une fois, elle se retrouve prise dans un engrenage, jusqu'à la violence867(*).

« L'adhésion forcée » ne peut être négligée dans les tactiques employées par les organisations criminelles pour obtenir d'un agent public ou d'un salarié qu'il leur rende service ou qu'il convainque ses collègues d'en faire autant. Les menaces à l'encontre des dockers, qui se sont traduites par des actes de torture, d'enlèvements-séquestrations et même de meurtre dans un cas, ont fortement affecté la perception du risque corruptif au sein de cette profession, particulièrement exposée. Les personnels des bailleurs sociaux sont eux aussi exposés à ces menaces, alors qu'ils sont régulièrement en première ligne face aux points de deal (installation devant un immeuble, utilisation d'espaces communs ou d'appartements comme lieux de stockage).

Des mesures de protection ad hoc doivent pouvoir être mises en place, pour la personne approchée comme pour sa famille, au-delà de la protection fonctionnelle qui est importante mais qui ne concerne que les agents publics. Les organisations criminelles n'hésitent en effet pas à cibler les enfants des personnels visés, en les menaçant ou en leur demandant, contre plusieurs dizaines de milliers d'euros, de dérober un badge ou de donner des informations sur leurs parents. Ces mesures pourraient aller jusqu'à l'éloignement, avec une rémunération compensatoire.

4. Intégrer au dispositif de lutte contre la corruption des acteurs « périphériques »

Créer des conditions de nature à limiter fortement le risque de corruption en lien avec le narcotrafic suppose nécessairement une implication des acteurs privés périphériques, tels que les logisticiens, les personnels portuaires et aéroportuaires ou encore les prestataires dans les prisons. Les organisations criminelles cherchent à identifier les personnels les plus vulnérables, leur statut importe peu, tant qu'ils sont en mesure de leur permettre d'exploiter une faille dans le circuit logistique ou dans le dispositif de contrôle et de répression mis en place par les autorités pour entraver le trafic de stupéfiants. Outre les agents publics des forces de sécurité intérieure, qui peuvent « fermer les yeux » sur le trafic, et les agents municipaux, qui peuvent faciliter le stockage des stupéfiants, il peut notamment s'agir :

· des dockers ou du personnel de compagnies maritimes, qui renseignent les organisations criminelles sur une arrivée de stupéfiants par conteneurs ou qui gèrent des opérations de manutention nécessaires à leur récupération et à leur circulation sur les zones portuaires. Ainsi, si les Jirs ont été saisies de trois dossiers en lien avec les dockers sur la période 2004-2014, ce nombre est passé à 19 sur la période 2015-2021868(*) ;

· des employés de sociétés aériennes et aéroportuaires, tels que les agents de piste ou les bagagistes, ou encore les personnels navigants, qui facilitent la circulation des produits ;

· des salariés et/ou gérants de sociétés de location de véhicules ainsi que des chauffeurs routiers, qui facilitent le transport de la marchandise869(*).

À l'instar des agents publics, l'intégration de ces personnels périphériques au dispositif anticorruption passe par trois actions : la sensibilisation, l'accès aux dispositifs d'alerte (voir supra) et la sécurisation des accès.

En audition, Emmanuel Razous, directeur adjoint de l'administration pénitentiaire, a par exemple indiqué que les actions de sensibilisation au risque corruptif dédiées au personnel pénitentiaire s'adressaient également aux prestataires , qui sont en contact avec les détenus et peuvent faire entrer des objets en détention870(*). Des « formations actions » leur sont donc proposées.

La douane a quant à elle mis en place une démarche de sensibilisation des entreprises de la logistique portuaire et aval par le biais des pôles d'action économique, qui sont en contact direct avec elles. Différents outils de sensibilisation aux facteurs internes et externes de risque ont été déployés (affiches, flyers, présentations type, téléphone de contact)871(*), l'approche par les réseaux sociaux devant faire l'objet d'une mise en garde spécifique.

Plus généralement, les actions mises en place à destination des douaniers et des forces de sécurité intérieure trouveraient utilement à s'adapter aux spécificités des acteurs « périphériques », tels que les employés des bailleurs sociaux, les transporteurs routiers ou encore les intermédiaires logistiques portuaires et aéroportuaires, à travers, par exemple, des modules de formation. Ces actions doivent concerner tant les personnels permanents que les personnels temporaires, et le plus en amont possible. À titre d'exemple, pour anticiper et tenter de prévenir leur « recrutement » par des organisations criminelles, le parquet d'Anvers a entrepris de sensibiliser les étudiants dès l'université, en amont de stages ou d'une prise de poste sur le port.

Outre la nécessité de créer les conditions d'une incorruptibilité, il s'agit aussi, à court terme, d'entraver les stratégies de report des narcotrafiquants. L'audit de l'IGF et de l'inspection des services de la douane sur la prévention de la corruption des douaniers sur les grandes plateformes a été lancé après que la directrice générale des douanes et des droits indirects a été alertée de la pression croissante exercée par les organisations criminelles sur les grands ports du nord de l'Europe, Anvers et Rotterdam872(*). Les actions rigoureuses mises en place par les autorités belges et néerlandaises font craindre, à l'instar du renforcement des contrôles des conteneurs, un report des organisations criminelles vers des plateformes plus friables. La « mise à niveau » du dispositif anticorruption constitue dès lors un impératif.

Dans ce contexte, les audits conduits par la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM) doivent désormais, eux aussi, intégrer pleinement le risque corruptif. C'est une composante incontournable des mesures de sécurisation portuaires portées par la commission d'enquête (badge, vidéosurveillance, zones d'accès restreint, audit), et dont fait partie le criblage systématique et régulier des personnels privés intervenant sur les plateformes portuaires. À Anvers, les 1 600 employés du port ont été criblés avant que leur badge ne leur soit octroyé873(*).

Il est dommage que le ministre de l'économie et des finances ait attendu le mois de février 2024 pour demander à l'AFA de conduire un contrôle sur l'ensemble des grands ports maritimes afin, et enfin, « de dresser un état des lieux précis des processus de prévention et de détection des risques de corruption dans les ports »874(*). La porosité des infrastructures portuaires n'est pourtant pas une nouveauté et il conviendra, à la suite du contrôle de l'AFA, de pleinement mobiliser les gestionnaires portuaires et la DGITM sur ce sujet875(*). L'AFA permet toutefois une approche initiale intéressante en ce qu'elle permet, pour citer les mots de sa directrice, de « contrôler tout un écosystème, dans ses différentes composantes [acteurs publics et privés], sur ses liens éventuels avec la criminalité organisée »876(*). Certains ports sont par ailleurs soumis aux obligations de l'article 17 de la loi Sapin II, l'AFA pouvant s'assurer de leur respect (cartographie des risques, mécanismes de détection et d'alerte, dispositifs de prévention, de remédiation et de sanctions).

Le criblage effectif et continu doit également concerner les personnels privés aéroportuaires, en incluant l'aspect « corruption » comme un composant à part entière. Aujourd'hui en effet, les audits menés par la direction générale de l'aviation civile (DGAC) se concentrent quasi exclusivement sur la lutte contre le terrorisme et ne sont pas axés sur la lutte contre le trafic de stupéfiants877(*). En particulier, la DGAC a développé un traitement informatisé des titres de circulation et des habilitations avec un criblage semestriel, centré sur la prévention des risques liés à la radicalisation des personnels. Dans un contexte où le narcotrafic constitue désormais une menace pour les intérêts fondamentaux de la Nation, les audits de sûreté de la DGAC doivent davantage tenir compte de cette dimension ainsi que du risque corruptif.

Comme pour la sécurisation des infrastructures portuaires (voir supra), une grande partie des mesures proposées par la commission d'enquête pour intégrer les acteurs de la sphère privée à la lutte contre la corruption en lien avec la criminalité organisée supposera de renforcer le partenariat entre les acteurs publics et privés. C'est l'un des axes d'actions de l'Alliance des ports européens, qui vise à lutter non seulement contre le trafic de stupéfiants mais également contre l'infiltration des ports par les réseaux criminels. La feuille de route de l'Union européenne sur la lutte contre la criminalité organisée et le trafic de stupéfiants878(*) comprend également un volet dédié au renforcement de la coordination des opérations répressives dans les ports, qui recouvre notamment le fait d'encourager les enquêtes sur la corruption.

Enfin, la commission d'enquête n'ignore pas le risque de corruption politique. Comme on l'a déjà évoqué, la DACG a émis des alertes sur l'influence corruptrice que peut exercer le narcotrafic à l'encontre des agents municipaux et des élus locaux, la politique étant le dernier maillon de la chaîne mafieuse après l'économie et le territoire879(*). Dans quelques dossiers, des personnes mises en cause pour infractions à la législation sur les stupéfiants ont été recrutées dans des échelons assez élevés des administrations municipales, parfois même sur des emplois fictifs.

Les éléments obtenus par la commission d'enquête laissent apparaître que le phénomène est encore limité, bien que le risque corruptif soit là aussi élevé et qu'il doive être considéré comme un sujet de préoccupation majeur. Pour prévenir les tentatives de corruption comme les menaces, les élus doivent pouvoir bénéficier des mêmes dispositifs que les agents publics et privés : des actions de sensibilisation et des mécanismes d'alerte. Les sanctions doivent également être à la hauteur des compromissions, en particulier s'agissant d'élus.

Recommandation n° 30 de la commission d'enquête : ne pas céder au piège de la corruption de « basse intensité »

· Assurer la traçabilité des accès aux fichiers de la police et de la gendarmerie et développer un traitement automatisé pour détecter les utilisations suspectes ;

· Donner toute sa place au contrôle interne dans la lutte contre l'utilisation abusive des fichiers (contrôle hiérarchique, revue annuelle des habilitations, mise en place de packs d'habilitations, avec une gestion différenciée des accès) ;

· Assurer une coopération plus étroite entre les antennes de l'Office antistupéfiants et l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales ;

· Étendre la liste des incriminations de la criminalité organisée à la corruption ;

· Assurer une coordination plus étroite entre les inspecteurs chargés des enquêtes administratives et les magistrats parquetiers ou instructeurs chargés des enquêtes judiciaires sur des faits de corruption commis par des agents publics (assouplissement du droit d'accès aux informations contenues dans le dossier d'enquête, remontée d'informations) ;

· Développer les partenariats avec les administrations « signalantes » (Tracfin, douanes, Agence française anticorruption, direction générale des finances publiques, Haute Autorité pour la transparence de la vie publique) ainsi qu'avec les professions réglementées (notaires, commissaires aux comptes, administrateurs et mandataires judiciaires) ;

· Garantir que les dispositifs d'alerte interne puissent également traiter les signalements des lanceurs d'alerte ainsi que les signalements de personnels privés approchés par les organisations criminelles ;

· Développer des mesures de protection ad hoc pour les personnes approchées et menacées par les organisations criminelles ;

· Impliquer davantage les acteurs privés « périphériques » dans les dispositifs anticorruption en développant des actions de sensibilisation à leur égard ;

· Cribler systématiquement et régulièrement les personnels des plateformes portuaires et aéroportuaires ;

· Intégrer pleinement le risque corruptif dans les audits des plateformes portuaires et aéroportuaires respectivement menés par la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités et par la direction générale de l'aviation civile.

VIII. LUTTER DE MANIÈRE IMPLACABLE CONTRE TOUS LES BLANCHIMENTS

Le narcotrafic se distingue par la possibilité pour les forces de sécurité et pour les juridictions d'intervenir sur trois volets patrimoniaux, pour enrayer les moyens du trafic, confisquer le produit du trafic et avoir une action sur le patrimoine du trafiquant.

Les recommandations de la commission d'enquête visent ces trois volets, avec un objectif clair : mettre en place un système dans lequel il est impossible de gagner de l'argent en commettant une infraction et « empêcher les plus gros réseaux d'atteindre une taille critique sur le plan financier, afin d'éviter l'émergence de cartels propres à menacer les institutions »880(*), par des mesures concrètes qui vont au-delà des déclarations d'intention. La commission d'enquête s'inscrit donc à rebours de la stratégie particulièrement floue affichée par le Gouvernement dans le nouveau plan de lutte contre les stupéfiants qui, de surcroît, s'entête à vouloir partir du « petit » pour aller vers le haut.

Or, pour freiner le narcotrafic, pour l'entraver, il faut avant tout frapper le haut du spectre et les têtes de réseaux, assécher leurs capacités financières et remonter les flux financiers pour les démanteler et compliquer leur potentielle reconstitution. Dans un contexte où les narcotrafiquants ne sont motivés que par l'argent et où, comme le résumait un officier de police rencontré par la commission d'enquête en déplacement, « la saisie de stupéfiants est en pertes et profits dans leur business plan », il ne suffit plus de suivre les flux de produits : l'effort doit désormais être mis sur les avoirs criminels.

A. « IL FAUT SUIVRE L'ARGENT POUR COMPRENDRE LE SYSTÈME »

« Suivre l'argent pour comprendre » : cette citation du juge antimafia Giovanni Falcone illustre parfaitement le caractère fondamental du volet financier dans la lutte contre le narcotrafic. En plus de frapper les trafiquants au portefeuille, il est impératif de comprendre, enfin, la façon dont les réseaux fonctionnent et s'organisent. Le renseignement doit pleinement jouer son rôle.

1. Renforcer le rôle-pivot de Tracfin

En tant que service de renseignement du premier cercle chargé de la lutte contre les circuits financiers clandestins, le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, Tracfin est amené à identifier des circuits de blanchiment des trafics de stupéfiants, en lien avec l'Ofast, et à des fins de judiciarisation ou de renseignement. Sur ce dernier volet, la coopération s'opère principalement avec le pôle renseignement de l'Ofast, dans le cadre du suivi des cibles prioritaires, de leurs mécanismes de blanchiment et de l'identification de leurs avoirs criminels à l'étranger.

La détection des flux financiers suspects par Tracfin

Pour parvenir à détecter les flux financiers suspects, Tracfin peut s'appuyer sur quatre principaux leviers :

· les déclarations de soupçon émises par les professionnels assujettis au dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme ;

· les communications systématiques d'informations (COSI). Deux types de transactions sont aujourd'hui visés : la transmission de fonds à partir d'un versement d'espèces ou en monnaie électronique supérieur à 1 000 euros par opération ou d'un montant cumulé de 2 000 euros pour une même personne sur un mois civil et les dépôts ou retraits d'espèces dont le montant cumulé sur un mois civil dépasse 10 000 euros ;

· les droits de communication adressés par Tracfin dans le cadre de ses enquêtes ;

· les informations recueillies par Tracfin auprès de ses homologues étrangers, dans le cadre de la coopération internationale opérationnelle au sein du groupe Egmont.

Source : réponse de Tracfin au questionnaire du rapporteur

Dans la lutte contre le narcotrafic et le blanchiment des flux financiers qui y sont liés, Tracfin doit continuer à servir d'interface à la fois avec les autres services impliqués dans cette lutte, via des échanges opérationnels en renseignement, mais également avec l'autorité judiciaire. En 2022, 251 notes ont été transmises par le service aux juridictions, dont 21 directement liées au trafic de stupéfiants. Le service joue ainsi un « rôle pivot » :

· en répondant aux demandes de criblage adressées par les services d'enquête sur des dossiers en cours ou aux demandes de réquisitions judiciaires ;

· en recevant des notes révélant des soupçons d'ordre financier de la part des juridictions et des offices centraux de la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ), mais aussi de toute administration de l'État ;

· en échangeant avec les juridictions pour que ces dernières lui adressent des informations de soupçon en lien avec des dossiers d'intérêt commun sur lesquels ses capacités d'investigation financière sont susceptibles d'avoir une plus-value.

Les échanges d'information : l'une des clés du succès

« Un autre exemple concerne Marseille. Nous y avions remarqué des mouvements quelque peu atypiques en matière de jeux, sur des points de vente, avec des rachats de tickets gagnants ou la présentation de cartes d'identité qui semblaient ne pas correspondre à des personnes pouvant effectivement se rendre dans ces points de vente. À la suite du croisement de fichiers, il était apparu qu'il s'agissait de cartes d'identité volées ou déclarées perdues.

« Nous n'avions pas établi de lien avec un trafic de stupéfiants, en étions restés à la présomption de blanchiment et en avions référé à la Jirs de Marseille. Cette juridiction a mis en place une surveillance des points de vente suspects. Celle-ci a permis d'identifier les personnes qui s'y déplaçaient, de comprendre que nous étions en présence de blanchiment de trafic de stupéfiants et, en définitive, de mettre à mal le circuit financier d'un microtrafic local.

« Dans cet exemple, nous avons été amenés à travailler sur l'aspect partenarial des échanges d'informations, non seulement sur le volet renseignement, mais aussi sur le volet judiciaire. La Jirs nous a communiqué une liste de points de vente qu'elle avait établie avec l'aide de ses propres partenaires locaux. À partir de cette liste, nous avons de notre côté cherché à identifier des comportements atypiques susceptibles de conforter un schéma commun. »881(*)

Dans le futur « plan stups », le Gouvernement, qui appelle de ses voeux le renforcement de l'action de Tracfin, se contente de citer le volet de la coopération internationale. S'il est capital pour pouvoir identifier des intermédiaires financiers et traquer des organisations internationales qui se jouent des frontières, davantage peut également être fait au niveau national, et de manière plus concrète.

a) Accroître les échanges d'informations

Si la coopération a nettement progressé entre Tracfin, les services d'enquête, les offices centraux et les juridictions, elle peut encore être approfondie dans quatre domaines :

· la diffusion d'informations entre les services sur les « lessiveuses » utilisées par les narcotrafiquants, tout en préservant la confidentialité de la procédure. Des informations non utiles dans un dossier en cours peuvent se révéler très précieuses pour des enquêtes financières : aucune information ne doit être « perdue ». Certains commerces ou centres de gros sont en effet notoirement connus pour servir de lessiveuses aux organisations criminelles, et la commission d'enquête proposera d'ailleurs la mise en place d'une procédure administrative de fermeture de ces « sociétés » (voir infra) ;

· la saisine quasi-systématique de Tracfin par les Jirs pour des demandes de criblage lors des ouvertures d'information judiciaire et dans les enquêtes préliminaires pouvant concerner des faits de blanchiment de trafic de stupéfiants ;

· l'organisation de réunions « retex » sur les dossiers d'enquête traités par un service dont l'origine est une transmission judiciaire de Tracfin ;

· la mutualisation des connaissances sur les mécanismes de blanchiment et les modes d'investigation dédiés entre services. L'objectif est de valoriser le renseignement criminel pour détecter les nouvelles menaces et mettre en place des dispositifs visant à entraver spécifiquement les actions des organisations criminelles.

Dans ce sens, un rappel systématique pourrait être effectué auprès des juridictions s'agissant de la procédure d'échange d'information avec Tracfin. Dans un second temps, il pourrait être envisagé de donner à Tracfin un accès aux données des dossiers judiciaires pertinents, sous le contrôle de l'autorité judiciaire.

Il convient en effet que Tracfin puisse exploiter l'ensemble des informations nécessaires à ses missions. Du côté de l'autorité judiciaire, des magistrats référents ont été nommés par chaque parquet et parquet général. Le déploiement du logiciel « TRAJET » en 2021 a en outre facilité la transmission et le suivi d'informations entre Tracfin et les juridictions, par voie dématérialisée.

Les échanges d'informations entre Tracfin et l'autorité judiciaire

Tracfin transmet deux types de signalements à l'autorité judiciaire :

· les transmissions judiciaires (article L. 561-30-1 du code monétaire et financier), lorsque les investigations diligentées par Tracfin mettent en évidence des faits susceptibles de relever du blanchiment du produit d'une infraction punie d'une peine privative de liberté supérieure à un an ou de financement du terrorisme ;

· les transmissions spontanées (article L. 561-31 du code monétaire et financier), qui ne portent pas nécessairement sur la présomption de commission d'une infraction de blanchiment ou de financement du terrorisme mais sur des informations qui sont en relation avec les missions des autorités judiciaires. Elles viennent généralement alimenter des procédures en cours.

L'applicatif Trajet permet la transmission dématérialisée de ces deux types de transmission. En retour, il permet à l'autorité judiciaire d'informer Tracfin des suites qui ont été apportées aux transmissions judiciaires. Toutefois, en l'absence d'interconnexion entre Trajet et Cassiopée, les applications doivent être complétées en parallèle.882(*)

Sur un sujet connexe et qui ne concerne pas directement Tracfin, il importe que les échanges d'informations soient également formalisés entre les juridictions et la douane, par la signature de protocoles dédiés. En particulier, les informations sur les flux d'argent liquide aux frontières doivent être remontées aux parquets, que ces informations concernent des retenues d'argent liquide aux frontières, de simples déclarations ou encore des manquements aux obligations déclaratives n'ayant pas donné lieu à une retenue d'argent liquide mais à une transaction douanière. Ces informations peuvent être recoupées par les parquets avec les dossiers en cours883(*).

b) Inciter les personnes assujetties et les parties prenantes à saisir davantage Tracfin en cas de soupçon

48 professions sont assujetties au dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT), soit environ 220 000 professionnels. Ceux-ci sont soumis parfois depuis de nombreuses années à des obligations de vigilance, de déclaration et d'information, dont le nombre total a atteint 190 653 en 2023884(*).

(1) Mobiliser les professionnels assujettis qui manquent de diligence

Si certaines des professions assujetties se montrent exemplaires dans le respect de leurs obligations de LBC-FT, d'autres n'y répondent que de manière parcellaire, créant de fait des failles dont profitent les organisations criminelles et les narcotrafiquants. Il importe donc de davantage mobiliser les professions qui, en dépit d'une augmentation constatée en 2023, ne transmettent pas suffisamment de déclarations de soupçon, alors même qu'elles ont connaissance de transactions suspectes ou de transactions dans des domaines propices au blanchiment : professions immobilières, notaires, marché de l'art, administrateurs et mandataires judiciaires, secteur des jeux en ligne.

Dans ce qui a pu être qualifié de blanchiment de « deuxième niveau »885(*), l'échange d'argent liquide contre des tickets à gratter, de tickets de loterie ou de paris sportifs - qui permettent ensuite de se faire payer les gains par voie bancaire - constitue par exemple un « angle mort » de la lutte contre le blanchiment des avoirs issus du trafic de stupéfiants. Plusieurs procédures judiciaires de la brigade de soutien de quartier de Seine-Saint-Denis (BQS 93) faisaient par exemple état de gains issus de jeux d'argent pouvant aller jusqu'à plus de 100 000 euros par an886(*).

La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) contrôle le bon respect, par les professionnels de l'immobilier, les domiciliataires d'entreprises887(*) et les professionnels du luxe, de leurs obligations de vigilance. Elle peut à cet égard saisir la Commission nationale des sanctions (CNS), qui elle-même peut prononcer un avertissement, un blâme, une interdiction d'exercice d'une activité, un retrait de la carte professionnelle, des sanctions pécuniaires et la publication des sanctions.

En 2022, ses investigations l'ont conduite à conclure qu'il y avait de nombreux manquements888(*) :

· le taux d'anomalie est de 60 % parmi les près de 300 professionnels de l'immobilier contrôlés (absence de dispositif d'évaluation et de gestion des risques, procédures internes incomplètes ou mal appliquées, absence d'identification du client ou du bénéficiaire effectif, défaut d'information sur la provenance des fonds, défaut de formation, large ignorance du dispositif de gel des avoirs). Les contrôles ont mené à 104 lettres de rappel de la réglementation, 46 injonctions, 28 rapports d'intervention en vue d'une saisine de la CNS et deux procès-verbaux ;

· le taux d'anomalie est également de 60 % parmi les 50 domiciliataires d'entreprises contrôlés (manque de rigueur dans la gestion des pièces des dossiers, défaut dans le suivi des justificatifs). Douze rapports d'intervention ont été rédigés par la DGCCRF en vue d'une saisine de la CNS. La DGCCRF a également adressé 10 avertissements et 19 injonctions et dressé un procès-verbal pénal ;

· le taux d'anomalie est de 50 % pour les 25 professionnels du luxe contrôlés (efforts insuffisants en matière d'identification des bénéficiaires effectifs, de mise en place de mesures de vigilance complémentaire et de déclarations de soupçons, méconnaissance des obligations). La CNS a été saisie pour deux d'entre eux, la DGCCRF ayant également adressé trois lettres de rappel de la réglementation et cinq injonctions.

Comme le relève la Cour des comptes, « l'élargissement du périmètre des professions assujetties n'a pas été accompagné, en parallèle, d'une dynamique d'appropriation de leurs obligations par toutes les professions. Elles continuent de présenter un niveau de connaissance et de maîtrise des règles très variables »889(*). La Cour relève le cas des professions non financières qui ne disposent pas d'une autorité de supervision. En particulier, les agents immobiliers, les commerçants de métaux et pierres précieuses et les négociants d'antiquités ou d'oeuvres d'art émettent un nombre de déclarations en deçà des enjeux identifiés dans leurs secteurs et ne sont soumis à aucune obligation de formation.

Pour répondre à cet état de fait, des initiatives peuvent d'abord être prises au niveau local. Les parquets pourraient par exemple réunir régulièrement les professions assujetties au dispositif LBC-FT et leurs instances représentatives afin de les inciter à signaler davantage de transactions à Tracfin890(*). Cette sensibilisation doit être particulièrement prononcée à l'égard des professions immobilières au sens large : les biens de luxe sont fortement investis par les trafiquants du haut du spectre, qui entendent également se constituer un patrimoine et pouvoir, le cas échéant, en disposer à l'issue de leur « carrière » ou le transmettre.

Ensuite, la formation initiale et continue apparaît essentielle, par l'intermédiaire des ordres professionnels quand ils existent ou des chambres de commerce et d'industrie, qui délivrent par exemple la carte professionnelle d'agent immobilier. Pour accroître la professionnalisation de certaines professions assujetties, la Cour des comptes recommande la mise à disposition de formulaires adaptés de déclaration de soupçon, des contrôles plus fréquents, des retours sur les déclarations de soupçon émises pour en améliorer la qualité, une communication plus régulière de Tracfin à leur profit, par exemple pour les sensibiliser à certaines problématiques spécifiques à leur secteur d'activité.

Enfin, la commission d'enquête soutient la proposition de Tracfin de vouloir proposer une certification professionnelle de connaissances minimales en LBC-FT à l'ensemble des personnes assujetties891(*).

(2) Élargir le périmètre des déclarants

Il ressort des auditions menées par la commission d'enquête que le recours à des sociétés de location de véhicules de luxe est de plus en plus utilisé dans le blanchiment des avoirs criminels. Ces biens présentent l'avantage de ne pas pouvoir être saisis s'ils appartiennent à un concessionnaire de « bonne foi ». De même, une partie des flux d'argent liquide issus du trafic des stupéfiants alimente une consommation somptuaire, tournée vers les biens de luxe.

Dans ce cadre, la commission d'enquête estime que le périmètre des professions assujetties pourrait inclure ces sociétés de location et que le commerce de luxe pourrait être incité à signaler des transactions douteuses.

(3) Accroître la contribution des personnes publiques

Outre les professions assujetties, les administrations doivent également être incitées à faire remonter davantage d'informations vers Tracfin.

Échanges d'informations entre Tracfin et les administrations publiques

Tracfin reçoit à l'initiative des administrations de l'État, des collectivités territoriales, des établissements publics, des organismes de sécurité sociale et de toute autre personne chargée d'une mission de service public, toutes les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission ou les obtient en temps utile de ceux-ci à sa demande. L'autorité judiciaire, les juridictions financières, les officiers de police judiciaire et les services de renseignement peuvent également rendre Tracfin destinataire de toute information.

Tracfin dispose également d'un droit d'accès direct aux fichiers de la DGFiP et au fichier des antécédents judiciaires.

Source : article L. 561-27 du code monétaire et financier

Comme le relève la Cour des comptes, les informations de soupçon transmises chaque année par les administrations publiques sont peu nombreuses au regard du périmètre couvert - 2 428 en 2023892(*) - et leur qualité est variable893(*). Tracfin ne reçoit ainsi qu'une faible part des informations utilisées par les administrations dans leurs actions de lutte contre le blanchiment des capitaux. À titre d'exemple, la Cour souligne qu'un très faible nombre d'affaires traitées par le Parquet national financier procède d'informations transmises par Tracfin, mais qu'un nombre bien plus important provient de la DGFiP et des forces de sécurité intérieure. Tracfin ne dispose donc que d'une petite partie des informations sur des faits de blanchiment et sur les personnes qui y sont impliquées.

De la même façon, le directeur de Tracfin s'est montré très favorable à ce que les élus locaux soient davantage incités à transmettre des signalements. Leur connaissance de l'immobilier et de l'économie locale peut s'avérer très précieuse et leur ancrage territorial permettrait à Tracfin de doubler ses « capteurs parisiens » de « capteurs locaux » ; comme on l'a vu, ce souhait est partagé par les maires qui, bien souvent, ignorent l'existence même d'une telle procédure (voir supra).

c) Donner à Tracfin les moyens d'être associé à la lutte contre les flux de toute intensité

Lors de son audition, le directeur de Tracfin a admis qu'« au regard de ses capacités, Tracfin ne saurait traiter du blanchiment de l'ensemble des sommes liées au trafic de stupéfiants en France »894(*). Dans une logique d'optimisation de l'allocation des moyens, il serait en effet impossible de confier ce rôle à Tracfin, pour un apport qui ne pourrait qu'être marginal dans les plus petits dossiers. En revanche, il importe que le service dispose de moyens adaptés à la lutte contre les intermédiaires et le haut du spectre.

La commission d'enquête reprend l'une des recommandations de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) qui, en 2022895(*), appelait à « accompagner la croissance de Tracfin afin de permettre un développement de ses compétences et une diffusion de son expertise en matière de blanchiment ». Si, dans son rapport publié au mois de juin 2023896(*), la DPR a estimé que cette recommandation avait été suivie d'effets, il existe encore des marges de progrès : la commission d'enquête propose donc d'aller plus loin et faire en sorte que Tracfin dispose de moyens lui permettant d'être pleinement associé, à la demande des services d'enquête, à la lutte contre les flux de haute comme de moyenne intensité.

2. Cartographier les flux financiers issus du narcotrafic

À l'issue de ses travaux et en dépit de ses efforts, la commission d'enquête se situe encore dans une relative opacité quand il s'agit de comprendre et de suivre les flux financiers issus du narcotrafic. Les services d'enquête ne sont pas nécessairement mieux lotis, même lorsqu'ils sont parvenus à remonter toute une filière, voire à démanteler le réseau. Porter une attention supplémentaire à la cartographie de ces flux financiers, pour mieux les tracer et pour mieux comprendre le fonctionnement des organisations criminelles, apparaît donc essentiel non seulement pour assurer la saisie effective des avoirs criminels, mais aussi pour identifier l'écosystème des argentiers (sarrafs, brokers, collecteurs...) et des logisticiens qui apportent un concours indispensable au trafic et qui échappent aujourd'hui largement à toute sanction pénale.

a) Parvenir à suivre les flux d'argent liquide

Dans l'état de la menace en 2023, l'Ofast souligne que la menace est soutenue par la multiplicité de techniques peu complexes pour blanchir l'argent, mais difficiles à détecter : conversion rapide en écritures bancaires par le dépôt de sommes modestes, prêt bancaire ou crédit à la consommation contractés par un intermédiaire, opérations de change, acquisition ou alimentation de cartes prépayées, investissement dans le chiffre d'affaires de commerces de proximité dont le gonflement sera justifié par une fausse écriture comptable, recours aux jeux d'argent... Le constat est le même s'agissant de l'évacuation de cet argent vers l'étranger, que ce soit par le biais d'opérateurs de transferts de fonds ou encore plus simplement par du transport « physique »897(*).

Outre le sujet du contrôle et de la détection des commerces « contaminés » par l'argent du narcotrafic, qui sera abordé ci-après, se pose également la question des paiements en liquide. En France, ces paiements sont réglementés, mais ce n'est pas le cas partout encore en Europe - pour mémoire, certains pays comme l'Autriche, Chypre, l'Estonie, la Finlande, l'Allemagne ou la Hongrie n'ont prévu aucun plafond (voir supra).

Payer en espèces en France

Le paiement en espèces entre particuliers (achat d'une voiture par exemple) n'est pas limité. Un écrit est nécessaire au-delà de 1 500 euros pour prouver les versements. En revanche, le paiement en espèces d'un particulier à un professionnel ou entre professionnels est limité à 1 000 euros, plafond relevé à 15 000 euros si le domicile fiscal du particulier se situe à l'étranger et qu'il règle une dépense personnelle.

Une pièce d'identité doit être présentée pour tout paiement supérieur à 1 000 euros. Si le paiement en espèces dépasse ces plafonds, une amende d'un montant maximum de 5 % des sommes payées illégalement en espèces est encourue. La moitié doit être payée par le client, l'autre par le professionnel qui a accepté le règlement en espèces.

Les paiements effectués ou reçus par un notaire pour le règlement de certaines transactions immobilières peuvent s'effectuer en espèces si la transaction ne dépasse pas 3 000 euros. C'est le cas, par exemple, pour l'achat d'un terrain ou d'un logement. Au-delà de cette somme, ces paiements doivent être réglés par virement.

Source : service-public.fr, Paiement en espèces

Le nouveau « paquet antiblanchiment », en cours d'adoption au niveau européen, prévoit cependant, et enfin, de limiter à 10 000 euros les paiements en espèces au sein de l'Union européenne. La commission d'enquête considère que ce plafond est encore trop élevé, même s'il est aligné sur celui applicable au transport d'argent liquide vers ou depuis l'Union européenne, dans le cas du franchissement d'une frontière. Un abaissement devrait être défendu par la France au niveau européen : le plafond projeté n'empêche pas les organisations criminelles de recourir à des « mules financières » pour bancariser les fonds dans des pays de la zone euro moins exigeants, notamment en Europe de l'Est.

b) Comprendre, enfin, les liens financiers entre le « haut » et le « bas » du spectre

Un constat est apparu très clairement à la commission d'enquête : les liens entre le bas et le haut du spectre sont particulièrement opaques, même pour les services spécialisés. En dépit de demandes répétées en ce sens, les services entendus n'ont pu apporter que très peu de précisions sur ces liens, d'autant plus que la majorité des flux repose sur de l'argent liquide.

La cartographie appelée de ses voeux par la commission d'enquête devra donc prêter une attention particulière aux réseaux des collecteurs, dont on sait qu'ils constituent l'interface entre les échelons intermédiaires du narcotrafic et les réseaux de blanchiment plus sophistiqué. Le Cifa d'Aubervilliers, plaque tournante du blanchiment, s'appuie ainsi sur des réseaux de collecteurs appartenant à la diaspora chinoise, qui mêlent fonds légaux et illégaux898(*). De même, des réseaux pakistanais ont fortement investi les schémas de compensation entre la France et les Émirats arabes unis, avec des donneurs d'ordre installés à Dubaï. En France, la diaspora pakistanaise s'appuie sur des secteurs tels que le BTP, la téléphonie, la restauration ou le commerce communautaire899(*).

À l'issue de ces travaux, la commission d'enquête a connaissance des différents moyens employés pour transférer les fonds à l'étranger ou les blanchir, des schémas les plus simples aux plus complexes, ainsi que des grandes étapes du circuit - la sortie du point de vente, la rémunération des acteurs locaux, la récupération par des collecteurs, le paiement des intermédiaires, la sortie des frontières pour rejoindre le patrimoine des têtes de réseaux. Elle ne saurait pas pour autant décrire précisément les étapes entre la vente sur un point de deal et l'enrichissement caractérisé des narcotrafiquants du haut du spectre.

Une telle cartographie est d'autant plus complexe à établir que les stratagèmes employés sont nombreux et internationalisés et qu'il existe une multitude de points de fuite. Chaque acteur impliqué dans le narcotrafic blanchit à son niveau la rémunération reçue en contrepartie de ses « services » : producteur, convoyeur, nourrice, vendeur, guetteur, etc.

S'il est complexe, ce travail de cartographie est pourtant nécessaire. Ainsi que le relevait la Jirs de Marseille, de nombreux dossiers ont pu aboutir à des non-lieux en fin d'information faute d'investigations, et les investigations sont insuffisantes sur la compréhension du mécanisme de blanchiment des fonds issus des points de vente. Les magistrats et les services d'enquête ne disposent dès lors que d'une compréhension très partielle de ce que devient l'argent liquide qui sort des points de deal900(*).

Une telle cartographie permettrait également de mettre au jour les flux vers les fonctions « support » du trafic - le blanchiment lui-même, donc, mais aussi le transport, le stockage, la vente d'armes, etc. - et donc de repérer des intermédiaires qui, aujourd'hui, échappent à toute mise en cause pénale. Lors de son déplacement à Lyon, la commission d'enquête a ainsi noté avec intérêt que certaines entreprises de location de véhicules, dont les noms sont parfaitement connus des services de police judiciaire, étaient notoirement des sociétés « fantômes » reposant sur un marché parallèle occulte (dans lequel elles acceptent, contre rémunération, de faire immatriculer un véhicule qui appartient en réalité à un trafiquant ou à un réseau) : la société citée sur place, qui ne dispose même pas d'un site internet accessible au grand public et qui apparaît fréquemment dans des dossiers de stupéfiants, a ainsi fait immatriculer plus d'un millier de véhicules.

La commission d'enquête déplore que, en l'état, aucune action pénale ne puisse être engagée contre de telles sociétés, faute de temps et d'outils pour mener une enquête approfondie : cette situation n'est pas acceptable et la mise en cause pénale de tous les « soutiens » du narcotrafic, quel que soit leur rôle, doit à l'avenir être une priorité.

Recommandation n° 31 de la commission d'enquête : mieux suivre l'argent du narcotrafic et exploiter pleinement le rôle du renseignement

· Accroître le partage d'informations entre les services de renseignement, les services d'enquête et les juridictions en : a) diffusant les informations sur les « lessiveuses » ; b) prévoyant une saisine systématique de Tracfin de demandes de criblage sur des dossiers Jirs concernant des faits de blanchiment et de trafic de stupéfiants ; c) mutualisant les connaissances sur les mécanismes de blanchiment ; d) organisant des réunions « retex » sur les dossiers d'enquête traités par un service dont l'origine est une transmission judiciaire de Tracfin ; e) donnant un droit d'accès automatique de Tracfin aux dossiers judiciaires pertinents ;

· Mobiliser davantage les professions financières et non financières en : a) incitant les professions assujetties à mieux remplir leurs obligations de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT) ; b) professionnalisant certaines professions assujetties (formation, mise à disposition de formulaires « types », retours sur les déclarations de soupçon) ; c) créant une certification professionnelle de connaissances minimales en LBC-FT pour l'ensemble des personnes assujetties ; d) envisageant un élargissement du périmètre des déclarants aux sociétés de véhicules de luxe ; e) incitant les administrations publiques et les élus locaux à transmettre davantage d'informations de soupçon ;

· Donner davantage de moyens à Tracfin pour lui permettre de répondre à l'ensemble des demandes qui lui sont adressées ;

· Cartographier les flux financiers issus du narcotrafic et comprendre les liens entre le bas et le haut du spectre, en intégrant les collecteurs.

B. INTÉGRER PLEINEMENT LES ENJEUX FINANCIERS AUX INVESTIGATIONS JUDICIAIRES

1. Faire du volet patrimonial et financier un incontournable de la lutte contre le narcotrafic
a) Systématiser les enquêtes patrimoniales

Dans le cadre de son plan national de mobilisation contre les addictions pour la période 2018-2022, la Mildeca avait recommandé de « systématiser l'approche patrimoniale dans toute procédure de trafic de stupéfiants »901(*). Si la recommandation a disparu en ces termes de la stratégie interministérielle pour la période 2023-2027902(*), ce n'est absolument pas parce que cet objectif a été atteint. Au contraire, comme cela a été rappelé, les enquêtes patrimoniales sont encore trop rares dans les dossiers de trafic de stupéfiants, en dépit des instructions données en ce sens aux services d'enquête et aux magistrats.

Ainsi, au regard de l'ampleur des flux financiers liés au trafic de stupéfiants et du caractère dolosif des saisies et des pénalités financières pour les acteurs du narcotrafic, la commission d'enquête propose que les enquêtes patrimoniales approfondies deviennent un automatisme.

De telles enquêtes présentent en effet trois avantages903(*), permettant de :

· disposer d'une connaissance exhaustive du patrimoine des trafiquants ;

· pouvoir en conséquence procéder à des saisies et des confiscations étendues, les poursuites sous le chef de trafic de stupéfiants permettant de saisir l'entier patrimoine du mis en cause ;

· pouvoir ainsi assécher les circuits financiers qui permettent aux trafiquants de stupéfiants de faire perdurer le trafic.

La systématisation des enquêtes patrimoniales doit en conséquence permettre de rehausser le nombre et le volume des confiscations, en établissant de manière bien plus exhaustive les liens entre le patrimoine du narcotrafiquant et son trafic de stupéfiants. L'enquête patrimoniale prend d'autant plus de sens dans la lutte contre le trafic de stupéfiants que ce dernier fait partie des infractions pour lesquelles la saisie et la confiscation de l'entier patrimoine du mis en cause sont possibles.

Si elle est appelée de ses voeux par l'ensemble des acteurs rencontrés par la commission d'enquête, la systématisation des enquêtes patrimoniales nécessite par définition un renfort des effectifs et de l'expertise financière dans les services d'enquête. Il ne suffit pas de dire que les officiers de police judiciaire peuvent réaliser des enquêtes patrimoniales aux fins d'identification des avoirs criminels904(*) pour qu'ils puissent effectivement le faire. Sans la mobilisation de moyens supplémentaires, le Gouvernement en resterait à un voeu pieux et la situation serait insoutenable pour les forces de l'ordre comme pour les magistrats.

b) Renforcer l'expertise financière dans les services d'enquête et dans les juridictions

L'expertise financière doit être pleinement intégrée à toutes les investigations sur la criminalité organisée, et les moyens alloués être à la hauteur des ambitions affichées. La filière « financière » souffre et les enquêteurs la désertent, faute de soutien. Il faut mettre un terme à cette tendance : l'assèchement des capacités financières des organisations criminelles doit prendre le pas sur l'assèchement des moyens dévolus aux enquêtes financières.

Les renforts humains vont de pair avec la formation, une nécessité ressentie même au sein des cellules des offices centraux, pourtant plus spécialisées. Ainsi les membres de la cellule financière du pôle opérationnel de l'Ofast expriment le besoin d'une montée en compétence technique, par des formations qualifiantes905(*). Ce constat peut être généralisé à l'ensemble des forces de sécurité intérieure et des magistrats ayant à connaître de dossiers liés au blanchiment et au trafic de stupéfiants : la formation initiale et continue doit être développée et les contenus adaptés aux nouveaux schémas de fraude, tels que les cryptoactifs.

En outre, et qu'importe les évolutions législatives apportées au régime des saisies et des confiscations, les résultats n'atteindront pas leur plein potentiel si, d'une part, les enquêteurs ne sont pas mieux formés, notamment pour s'appuyer sur les bons fondements juridiques et, d'autre part, si les juridictions elles-mêmes ne bénéficient pas d'un renfort de leurs moyens, à la fois en magistrats et en assistants spécialisés, ainsi que d'une formation accrue à ces enjeux. L'Agrasc relève ainsi que les juridictions qui bénéficient du soutien d'assistants spécialisés ou de juristes assistants assurant la formalisation et le suivi des décisions de saisies pénales sont plus dynamiques en matière de saisies et de confiscations906(*).

Enfin, au renforcement de l'expertise financière des services d'enquête s'ajoute la nécessité d'une acculturation aux investigations financières. Cartographier les flux, les déceler et les suivre reviennent à s'intéresser à un autre « angle d'attaque » contre le narcotrafic, celui des flux financiers. Or, en France, si les services d'enquête essayent de saisir l'argent dans le but de le confisquer, « le démantèlement d'un réseau à partir non des produits interdits mais des flux financiers est peu développé »907(*). Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bayonne, Jérôme Bourrier, explique ce constat par le fait que « dans les services spécialisés de lutte antistupéfiants, comme l'Ofast, il y a une notion de plaisir dans le travail : le policier enquêteur qui “fait des stups” aime trouver des produits, faire de grosses saisies, interpeller des équipes ou des convois armés »908(*).

Un changement d'approche est donc nécessaire, à tous les niveaux ; « c'est l'affaire de tous les enquêteurs de police judiciaire. Chacun doit avoir le réflexe et la capacité, à son niveau, sans avoir recours aux GIR, de procéder à des mesures de saisie d'avoirs criminels lors des enquêtes »909(*). Pour résumer, l'argent doit être traité comme le produit.

c) Exploiter chaque information disponible

Le mécanisme de partage d'informations entre Tracfin et l'autorité judiciaire vise à s'assurer que les données pertinentes pour la lutte contre les circuits financiers clandestins puissent être pleinement exploitées. La commission d'enquête propose d'aller au bout de cette logique en instaurant une procédure complémentaire d'enquête administrative ou judiciaire post-sentencielle : les dossiers de trafics de stupéfiants pourraient faire l'objet d'une enquête sur le patrimoine du mis en cause et ses proches après sa condamnation, et même si aucune saisie n'a été effectuée antérieurement au procès.

Cette procédure viendrait donc en complément de la systématisation de l'enquête patrimoniale, qui doit être prioritaire. Néanmoins, la mise en oeuvre de cette enquête post-sentencielle permettrait de s'assurer qu'aucune information n'est « perdue ».

Sur un plan technique, la commission d'enquête considère que pourrait être étudiée l'ouverture aux officiers de police judiciaire dûment habilités à cet effet de l'accès au fichier informatisé des données juridiques immobilières (FIDJI). Le FIDJI fait en effet partie des fichiers administrés par la DGFiP dont l'accès n'a pas été octroyé aux OPJ, au contraire de Ficoba (comptes bancaires et assimilés), Ficovie (assurance vie et contrats de capitalisation), Patrim (estimation des biens immobiliers) ou BNDP (base de données patrimoniales). L'élargissement des droits d'accès au système d'immatriculation des véhicules (SIV) doit également être envisagé : les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale ainsi que les services douaniers ne peuvent actuellement y avoir accès que dans le cadre de contrôles routiers. Or, les informations de ce fichier pourraient être exploitées dans le cadre d'enquêtes patrimoniales ou fiscales, pour déceler par exemple un écart entre les revenus déclarés et les possessions matérielles, en l'occurrence des véhicules de luxe.

d) Autoriser la fermeture administrative des lessiveuses et lutter contre le travail dissimulé

Ainsi que cela a été rappelé, les mécanismes de compensation, dont l'hawala, et le « blanchiment territorial » font partie des schémas les plus fréquemment utilisés pour blanchir des fonds acquis illégalement. L'une des stratégies déployées par les services de renseignement et d'enquête consiste donc à détecter les commerces qui peuvent participer à ces transactions et servir de lessiveuses910(*).

Il faut parvenir à casser les liens troubles entre l'économie légale et l'économie illégale et le Gouvernement doit y être prêt : on peut légitimement se demander si la faiblesse de la lutte contre le volet financier du narcotrafic ne répond pas parfois à une logique « socio-économique », pour éviter de déstabiliser des milliers d'entreprises ou de commerces locaux. Pourtant, ces « facilitateurs » doivent eux aussi être poursuivis et entravés : en se nourrissant de l'argent liquide du narcotrafic, pour rémunérer leurs salariés non déclarés, ils contribuent à entretenir des organisations criminelles déstabilisatrices et mortifères.

Pour identifier ces entreprises, la coopération avec les comités opérationnels départementaux anti-fraude (Codaf) est essentielle, puisqu'ils sont en première ligne pour lutter contre le recyclage de fonds d'origine illicite par les entreprises. De même, les élus locaux constituent dans ce domaine une riche source d'informations, avec une connaissance approfondie du tissu économique local.

La commission d'enquête propose donc d'autoriser la fermeture administrative d'une « lessiveuse », sur arrêté préfectoral, en lien avec l'ensemble des acteurs impliqués dans la lutte contre le narcotrafic et contre le blanchiment des flux illicites - y compris sur proposition des maires, comme on l'a détaillé supra. Un dispositif proche a été voté en Belgique à la fin de l'année 2023 : l'approche administrative doit permettre aux communes, après une enquête sur la création ou le fonctionnement d'un établissement accessible au public, de pouvoir demander sa fermeture, après avis de la direction chargée de l'évaluation de l'intégrité des pouvoirs publics.

De même la lutte contre le travail dissimulé doit constituer une priorité : le blanchiment du trafic de proximité repose en grande partie sur un échange de « bons procédés » entre une organisation criminelle qui cherche à dissimuler l'origine de ses fonds et une entreprise qui recherche de la liquidité pour rémunérer ses travailleurs non déclarés. En 2023, 1,17 milliard d'euros ont été mis en redressement sur ce motif, pour seulement 80 millions d'euros de recouvrés, ce qui est extrêmement faible. La commission d'enquête ne peut que déplorer la communication du Gouvernement, qui s'est empressé de se vanter de résultats historiques : or, si les sommes ne sont pas recouvrées, la sanction est indolore pour des entreprises qui ont pourtant tiré profit du narcotrafic.

e) Adopter une approche « globale »

Dès 2019, le tribunal judiciaire de Grenoble avait insisté sur la nécessité, à défaut de parvenir à obtenir le placement en détention des trafiquants, de perturber le plus possible leur quotidien pour compliquer leur trafic.

La commission d'enquête soutient ce pragmatisme : à Grenoble, cela s'était traduit par :

a) l'identification et le contrôle des commerces, soit parce qu'ils facilitent le trafic, soit parce qu'ils en blanchissent le chiffre d'affaires ;

b) un partenariat renforcé avec la direction départementale des finances publiques pour faciliter la saisie des véhicules et des biens immobiliers ;

c) un partenariat renforcé avec la caisse d'allocations familiales ;

d) un travail avec les bailleurs sociaux.

Pour autant, le parquet ne négligeait pas les mesures répressives, avec un contrôle accru des trafiquants incarcérés, une politique pénale de réquisition systématique d'interdiction de séjour et le développement de techniques d'enquête plus complexes (coups d'achat, recours à la présomption de blanchiment, sollicitation de Tracfin aux fins de criblage des individus ciblés).

Sur ce modèle, et au-delà de cet exemple, la commission d'enquête défend une « approche globale » du patrimoine du trafiquant et de ses proches. Dans ce cadre, la coordination avec la direction générale des finances publiques ne doit pas être négligée, et ce sur deux aspects :

· le contrôle fiscal, avec l'usage systématique des procédures ouvertes à la DGFiP, telles que la présomption de revenus et la taxation selon les éléments de train de vie911(*). À cet égard, la liste des éléments de train de vie pourrait être complétée, pour inclure du mobilier de luxe, les bateaux ou encore l'habillement de luxe. La transmission par les officiers et les agents de police judiciaire des informations recueillies dans les procédures judiciaires et susceptibles de comporter une implication de nature financière ou fiscale doit devenir un automatisme912(*) ;

· le recouvrement des créances de l'État. La commission d'enquête est favorable à ce que les conventions partenariales relatives à la saisie des espèces sur les personnes gardées à vue puissent être étendues à d'autres créances que les amendes forfaitaires ou pénales. Autre voie d'action pour la DGFiP, l'autorité judiciaire doit être incitée à informer l'administration fiscale913(*) le plus en amont possible des dossiers susceptibles de confiscation ou des dossiers ayant procuré un profit significatif au délinquant afin que la DGFiP puisse constituer sa créance en temps utile et être en mesure de bénéficier des restitutions judiciaires. Ainsi, alors que les trafiquants portent atteinte, par leurs activités, aux deniers publics, tous les moyens existants doivent être pleinement actionnés pour qu'ils s'acquittent eux aussi de leurs obligations fiscales.

L'approche défendue par la commission d'enquête inclut également un partenariat avec les caisses d'allocations familiales (CAF)914(*). Les jugements correctionnels, qui permettent par exemple de faire état d'un enrichissement indu de la part d'un individu, doivent être transmis aux CAF, qui tiendront compte de ces revenus non déclarés pour réviser les allocations versées à l'individu condamné. Plus généralement, la Mildeca avait recommandé, dans le cadre de son plan national de mobilisation contre les addictions pour la période 2018-2022, de « s'assurer du remboursement des droits sociaux illégalement perçus »915(*). La recommandation n'a pas été reprise dans la stratégie interministérielle pour la période 2023-2027, ce qui est difficilement compréhensible : la commission d'enquête souhaite ainsi la reprendre et la défendre, car elle est indissociable du déploiement de cette « approche globale » du patrimoine des trafiquants.

Enfin, une action en parallèle de l'Urssaf est indispensable : l'argent liquide du narcotrafic constitue l'un des premiers vecteurs de financement du travail dissimulé par des entreprises légales. En parallèle, les contrôles fiscaux doivent être systématiques pour les entreprises soupçonnées d'avoir dissimulé leurs revenus ou falsifié leur chiffre d'affaires en blanchissant l'argent du narcotrafic. Une approche décloisonnée de la criminalité organisée doit également être privilégiée : dans de nombreuses villes, les points de « recrutement » des travailleurs journaliers sont bien connus et ils peuvent être facilement suivis jusqu'aux chantiers - dans une action alliant à la fois les inspecteurs du travail et les services de voie publique916(*).

2. Mettre fin à la sédimentation et s'interroger sur le bon « format » pour traiter des enjeux financiers
a) Rationaliser les acteurs en présence
(1) Une interrogation sur le devenir des GIR

La commission d'enquête s'est longuement interrogée sur la place des groupes interministériels de recherche (GIR), dont l'efficacité pour lutter contre les schémas complexes de blanchiment et investir le volet patrimonial des enquêtes apparaît parfois limitée. Les GIR ne peuvent pas se permettre de s'engager dans la détection des circuits de blanchiment, un processus trop long et trop consommateur en effectifs.

La future doctrine d'intervention des GIR917(*) devrait rappeler que la finalité de l'action des GIR ne saurait être réduite à l'identification et à la saisie des avoirs criminels, même s'ils ont vocation à conserver leurs compétences en matière d'enquête patrimoniale. Il est difficile de comprendre ce qu'implique concrètement cette orientation pour les GIR et, surtout, pour les services d'enquête avec lesquels ils interviennent en co-saisine. Alors qu'il est reproché aux GIR de se contenter le plus souvent d'une vision « statique » du patrimoine et des flux, il reste à démontrer que cette nouvelle orientation se traduira par une attention accrue à l'appréhension des circuits financiers et donc, in fine, des avoirs criminels.

Par ailleurs, si les GIR veulent conserver leur crédibilité en tant que catalyseurs de l'approche interministérielle des enquêtes financières et patrimoniales, il serait sans doute temps que le comité interministériel stratégique se réunisse de nouveau918(*). Une réunion serait prévue en 2024, soit 13 ans après la dernière, un calendrier curieux pour une instance de pilotage et de coordination, sur un sujet de surcroît présenté comme prioritaire par le Gouvernement.

(2) Privilégier des cellules spécialisées ?

La lutte contre le blanchiment des flux illicites liés au narcotrafic et les enquêtes patrimoniales sur les trafiquants sont complexes et longues, et le seul moyen de mettre à jour les schémas utilisés et de pouvoir véritablement entraver la puissance financière des organisations criminelles est de recourir à des techniques spéciales d'enquête. Or, les GIR ne disposent ni des moyens ni des effectifs nécessaires pour intervenir sur le « moyen » spectre et remonter les filières. Les enquêtes en question sont réalisées par des services spécialisés, qui croulent déjà sous le volume de leurs dossiers.

Le rapporteur de la commission d'enquête privilégie donc davantage un modèle dans lequel des « cellules » dédiées aux volets financier et patrimonial seraient présentes dans chacun des services d'enquête (police, gendarmerie, Ofast), à l'instar de l'expérimentation d'une cellule spécialement dédiée au blanchiment au sein des antennes de l'Ofast au Havre et à Marseille. La présence d'une unité dédiée aux questions financières au sein de chaque compagnie de gendarmerie ou service de police judiciaire permettrait de traiter les dossiers du spectre intermédiaire, aujourd'hui délaissé, alors même qu'il peut permettre de faire le lien avec les têtes de réseaux.

Ces cellules pourraient bénéficier de l'appui de services d'enquête spécialisés ou des cellules d'offices centraux (cellule financière du pôle opérationnel de l'Ofast, Office central pour la répression de la grande délinquance financière, Office national anti-fraude) et regrouper en leur sein, dans des « pools » d'expertise situés en service de police judiciaire, les effectifs de la DGFiP aujourd'hui affectés dans les groupes régionaux des enquêtes économiques (Gree), dans les GIR ou dans les BQS. Ces agents jouent un rôle clé dans les enquêtes sur les environnements patrimoniaux et financiers et peuvent également accéder aux applicatifs de la DGFiP.

Une réflexion similaire devrait également être engagée sur la multiplicité des offices, cellules, plateformes, brigades centrales compétentes en matière de lutte contre le blanchiment et d'identification des avoirs criminels. Une première étape, suggérée en 2019919(*), serait de confier une compétence exclusive à l'Agrasc en tant que bureau de recouvrement des avoirs, pour la coopération avec les autorités étrangères. Une organisation unifiée serait plus à même de répondre aux défis posés par l'internationalisation de la criminalité organisée.

Le rapporteur a bien conscience du travail de rationalisation qu'il faudra mener, que ce soit pour harmoniser les emprises territoriales entre administrations ou pour remédier aux doublons. Il est toutefois impératif de clarifier et de simplifier le paysage français pour les enquêtes patrimoniales et financières : déjà que nos services manquent de moyens dans ce domaine, évitons de les éparpiller.

S'agissant de la problématique de la formation, la commission d'enquête s'est intéressée à la réponse apportée par la gendarmerie nationale, avec la mise en place, au sein de la sous-direction de la police judiciaire, d'une task-force Défi (délinquance économique et financière) composée d'une quinzaine de réservistes opérationnels exerçant des professions dans le milieu économique et financier avec un très haut niveau de technicité. Les réservistes peuvent appuyer les enquêteurs dans leurs investigations dès lors que celles-ci nécessitent une approche économique et/ou financière spécialisée. Ce modèle gagnerait à être répliqué, au-delà des équipes dédiées au sein des offices centraux.

b) Développer des groupes inspirés du Colbac-S marseillais

En complément de la partie « enquête », se pose également la question de la coordination des services concourant à la lutte contre le blanchiment des fonds. Le Colbac-S marseillais, son organisation, son agilité et ses résultats ont laissé une forte impression à la commission d'enquête. Ce modèle de structure ad hoc lui semble devoir être développé dans l'ensemble des juridictions, sous l'égide du parquet. Il permet :

· d'échanger des informations et donc d'appeler la vigilance des services sur certaines thématiques ;

· de déterminer des cibles prioritaires. Dans l'un des quatre dossiers ouverts à la suite d'une réunion du Colbac-S, 15 personnes ont été interpellées, 285 000 euros ont été saisis et 45 kilogrammes de cocaïne ;

· d'élaborer des stratégies d'investigations, par exemple en reprenant et en traitant des infractions financières quasiment révélées par les investigations dans les dossiers d'information judiciaire mais non traitées ;

· de positionner les services d'enquête sur certaines cibles. Le Colbac-S peut pour ce faire s'appuyer sur une évaluation préalable des capacités d'enquête des services ;

· et de pouvoir reprendre sous l'angle du blanchiment ou de la non-justification de ressources des dossiers déjà jugés par le tribunal correctionnel. Ce point est essentiel et peut-être rattaché à la proposition de la commission d'enquête relative à l'enquête post-sentencielle. Le Colbac-S identifie le meilleur axe de traitement entre les enquêtes administratives et le judiciaire.

D'une certaine façon, il s'agira de « pilonner » les dossiers identifiés comme prioritaires pour parvenir à remonter les filières et à assécher la puissance financière des narcotrafiquants et de leurs organisations.

Recommandation n° 32 de la commission d'enquête : intégrer pleinement les enjeux financiers aux investigations judiciaires :

· Systématiser les enquêtes patrimoniales ;

· Renforcer l'expertise financière dans les services d'enquête et dans les juridictions, en accroissant les moyens humains et les efforts de formation ;

· Créer une enquête post-sentencielle sur le patrimoine de la personne condamnée pour trafic de stupéfiants ainsi que sur celui de ses proches ;

· Faciliter l'accès au fichier informatisé des données juridiques immobilières et au système d'immatriculation des véhicules ;

· Autoriser la fermeture administrative des « lessiveuses », sur arrêté préfectoral ;

· Adopter une approche « globale » intégrant à la fois le contrôle fiscal, le recouvrement des créances publiques et la lutte contre la fraude sociale et le travail dissimulé ;

· Mettre fin à la sédimentation des acteurs en privilégiant des unités dédiées dans les services d'enquête et une coordination sur le modèle du « Colbac-S » de Marseille.

C. FRAPPER LES TRAFIQUANTS AU PORTEFEUILLE

Les réseaux de narcotrafic intègrent les saisies de produits dans leurs « pertes et profits » - la perte de marchandise est « provisionnée » par l'organisation et n'est pas de nature à déstabiliser durablement son activité. Tel n'est pas le cas en revanche de la saisie et de la confiscation des avoirs, qui peuvent permettre d'atteindre en profondeur les organisations criminelles, de les démanteler et de ralentir voire d'empêcher leur éventuelle reconstitution. De même, pour les trafiquants eux-mêmes, la confiscation de leurs avoirs est bien plus douloureuse que la peine de prison, qui peut être contournée (fuite à l'étranger) ou « aménagée » (poursuite du trafic en prison).

1. Déceler et traquer la richesse inexpliquée
a) Instaurer une procédure d'injonction pour richesse inexpliquée

La commission d'enquête propose tout d'abord de créer une injonction pour richesse inexpliquée. Concrètement, une administration ou un service d'enquête, étant en mesure de démontrer une décorrélation entre les revenus perçus par un individu et son train de vie, pourrait demander une ordonnance judiciaire afin que la personne concernée justifie la façon dont elle a acquis ses avoirs, par exemple ses biens de luxe, et en présente la preuve. Le bien serait saisi à titre préventif, sur autorisation judiciaire et, éventuellement, confisqué. Cette procédure serait le pendant de la présomption de blanchiment, pénale.

S'intéresser au train de vie, c'est pouvoir approcher les flux non bancarisés et les avoirs non financiers : l'absence de corrélation entre la situation réelle et la situation déclarée de certaines personnes laisse présager de leur participation à une économie parallèle voire illégale, comme celle du narcotrafic.

Le mécanisme proposé est à distinguer de ce qui existe déjà en matière fiscale, et notamment le mécanisme de présomption de revenus, qui permet de taxer les produits stupéfiants dont ont librement disposé les contribuables, et celui de taxation selon les éléments de train de vie.

Le premier dispositif n'est de surcroît pas pleinement satisfaisant, en ce qu'il permet de ne frapper que les dépositaires de la marchandise et non les intermédiaires (« moyen spectre ») ou les têtes de réseaux (« haut du spectre »). Le second est très peu utilisé, les contrôleurs préférant le premier pour son assiette plus large et pour la possibilité d'appliquer des pénalités de 80 %. Au total, les contrôles fiscaux effectués sur ce fondement se traduisent par des rendements relativement faibles, de l'ordre de quelques dizaines de millions d'euros, dont il est impossible de savoir lesquels se rapportent au trafic de stupéfiants.

Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique aura eu beau affirmer lors de son audition que la taxation des signes extérieurs de richesse était une « priorité » de son administration, les faits sont tenaces : les contrôles fiscaux menés sur ce fondement se sont traduits par des redressements de 2,1 millions d'euros en 2022920(*), et 500 000 euros en 2023.

Face à ces résultats catastrophiques, il est temps de proposer autre chose pour frapper les narcotrafiquants au portefeuille. La proposition de la commission d'enquête s'inspire ainsi de deux exemples étrangers :

· au Royaume-Uni, le Criminal Finances Act de 2017 a autorisé la Haute Cour, juridiction civile, à émettre une injonction de richesse inexpliquée à l'encontre d'une personne suspectée d'être impliquée ou d'être proche d'une personne impliquée dans la commission d'une infraction grave. Cette injonction est émise aux fins de pouvoir enquêter sur les origines des biens de l'individu ainsi suspecté. Toute agence des forces de l'ordre peut demander à la Haute Cour d'émettre cette injonction lorsqu'il existe des raisons de soupçonner qu'une personne - physique ou morale - détient des biens d'une valeur minimale de 50 000 euros alors que ses revenus actuels sont insuffisants pour avoir acheté légalement ces biens ; ou quand il y a des raisons de soupçonner que le bien a été obtenu de manière illégale. Lorsque la police émet cette demande, elle peut obtenir le gel des avoirs en attendant la réponse de la personne visée par l'injonction ;

· en Italie, l'article 416 bis du code pénal prévoit qu'en cas d'inculpation pour délit d'association mafieuse, une enquête patrimoniale est automatiquement lancée et la charge de la preuve inversée ; il revient alors à la personne inculpée de justifier du décalage entre ses revenus déclarés et le patrimoine détenu. Afin de contourner les difficultés liées aux interpositions fictives et aux « prête-noms », les vérifications effectuées sur le volet patrimonial peuvent être étendues au cercle proche de la personne visée (conjoint, enfants, sociétés, etc.)921(*).

En Belgique, la commissaire nationale aux drogues, Ine Van Wymersch, a également proposé de modifier la législation pour introduire une action d'injonction pour richesse inexpliquée. Elle pourrait découler d'une enquête préalable, en lien avec les organismes publics chargés de l'assurance chômage ou des aides sociales922(*).

b) Exploiter davantage la non-justification de ressources

Autre piste complémentaire à l'injonction pour richesse inexpliquée et à la présomption de blanchiment, la non-justification de ressources est une qualification pénale trop peu utilisée aujourd'hui, alors qu'elle permet de viser l'entourage du narcotrafiquant.

L'article 321-6 du code pénal dispose en effet que : « Le fait de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie ou de ne pas pouvoir justifier de l'origine d'un bien détenu, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes qui soit se livrent à la commission de crimes ou de délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et procurant à celles-ci un profit direct ou indirect, soit sont les victimes d'une de ces infractions, est puni d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. »

La commission d'enquête approuve à cet égard la démarche de la préfecture de police de Paris, qui a demandé aux quatre GIR (Paris, Nanterre, Bobigny et Créteil) d'accentuer leurs investigations visant cette qualification pénale923(*). Une fois encore, le cadre juridique existe, mais les acteurs de terrain ne se sont pas encore pleinement saisis de toutes ses potentialités, accentuant de fait le retard accumulé dans la lutte contre le narcotrafic. Il est temps de faire usage de toutes les « armes juridiques » à disposition des services d'enquête et des magistrats.

c) Encourager le recours à la présomption de blanchiment

La commission d'enquête en est convaincue, la présomption de blanchiment peut constituer un outil puissant dans la lutte contre le narcotrafic, à condition qu'il soit pleinement utilisé. En effet, ainsi que l'ont expliqué les magistrats du tribunal judiciaire de Grenoble924(*), développer, dans un dossier de trafic de stupéfiants, un axe d'enquête parallèle sur les infractions de blanchiment peut permettre d'atteindre judiciairement des profils d'un certain niveau que les services d'enquête ne parviennent pas à impliquer dans le trafic de stupéfiants lui-même. Pour frapper le haut du spectre - pénalement et financièrement - et affecter durablement un réseau, le volet financier est essentiel.

La commission d'enquête ne peut donc que partager la recommandation émise par le Gafi dans le cadre de l'évaluation mutuelle de la France au mois de mai 2022, à savoir « poursuivre la mise en oeuvre des stratégies relatives à l'application de la présomption de blanchiment auprès de l'ensemble des autorités de poursuites. »925(*) La sensibilisation des magistrats à cet outil doit s'accentuer, en lien avec la Cour de cassation, pour prévenir sur les éventuels risques.

Ainsi que l'a souligné Damien Brunet, substitut général à la Cour d'appel de Paris, lors de son audition par le rapporteur, une réflexion pourrait également être lancée pour rationaliser notre corpus juridique. Trois infractions de blanchiment cohabitent dans notre droit aujourd'hui : l'infraction « traditionnelle », la présomption de blanchiment et le blanchiment de trafic de stupéfiants. Or, la règle spéciale prime sur la règle générale : dès qu'il y a blanchiment de trafic de stupéfiants, c'est ce régime prévu à l'article 222-38 du code pénal qui s'impose, au détriment de la présomption de blanchiment, potentiellement plus large.

Une modification législative n'apparaît toutefois pas forcément nécessaire à court terme, les notes de politique pénale rédigées par les parquets pouvant suffire. Le parquet de Créteil invite ainsi « les magistrats à recourir, par principe, à la présomption de blanchiment posée par l'article 324-1-1 du code pénal, et ce même en présence de traces de stupéfiants afin de faciliter la charge de la preuve. Le non-respect des obligations douanières déclaratives pour les sommes supérieures à 10 000 euros devra être retenu au titre de l'acte de dissimulation constitutif du délit de blanchiment. Des poursuites devront enfin être systématiquement engagées en vue de confisquer le produit. »926(*)

2. Aller plus loin en matière de saisie et de confiscation
a) Soutenir les évolutions en cours au niveau national comme européen
(1) La proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels

Le Parlement examine actuellement la proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels, déposée par le député Jean-Luc Warsmann927(*). La commission des lois du Sénat a salué les avancées permises par le texte, qui « comporte des mesures de nature à faciliter l'action des enquêteurs, des magistrats et de l'Agrasc et qui, surtout, vient opérer une révolution copernicienne en mettant en place un mécanisme de confiscation “de droit” de certains biens saisis »928(*).

Parmi les mesures principales de la proposition de loi figurent929(*) :

· le fait que la décision de confiscation d'un bien immobilier vaut titre d'expulsion du condamné et des occupants de son chef, ce qui a pour intérêt d'épargner à l'Agrasc de devoir mener une procédure civile d'expulsion longue et coûteuse ;

· la possibilité donnée au procureur, dans le cadre d'une convention judiciaire d'intérêt public, d'imposer à la personne morale mise en cause de se dessaisir au profit de l'État de tout ou partie des biens saisis dans le cadre de la procédure ;

· l'obligation pour la juridiction de jugement, sauf décision spécialement motivée, de prononcer la confiscation des biens saisis qui sont l'instrument ou le produit direct ou indirect de l'infraction. La commission d'enquête souligne cet apport majeur, qui doit permettre d'optimiser la prise en compte du travail des enquêteurs ainsi que le ratio des confiscations rapportées aux saisies.

À l'initiative du Sénat, de nouvelles dispositions ont permis de consolider ces avancées :

· en permettant aux officiers de police judiciaire de procéder, sur autorisation d'un magistrat, à certaines saisies spéciales nouvelles, celles des biens meubles qui risquent de disparaître à défaut d'une telle saisie et celles des fonds présents sur des comptes de paiement ;

· en octroyant de nouvelles prérogatives à l'Agrasc en matière d'aliénation ou de vente avant jugement des biens saisis. Ce procédé pourra désormais également concerner les biens dont l'entretien requiert une expertise particulière ou ceux dont la conservation présente des coûts disproportionnés.

Au-delà des évolutions législatives, et de manière pratique, on doit pouvoir aller plus vite et plus loin dans la vente de biens avant un jugement (aliénation par anticipation) : si un véhicule est saisi, il doit pouvoir être vendu plus rapidement, d'une part pour limiter les frais de gardiennage, d'autre part pour éviter qu'il ne se déprécie. Il en va de même pour certains biens aux coûts de gardiennage et au risque de dépréciation élevés, tels que le vin, les objets de luxe, les bateaux, etc. Si la saisie ne donne pas lieu à confiscation, la somme pourra être remise à la personne concernée, dont la valeur du bien aura été en quelque sorte « protégée » de la dépréciation.

(2) La proposition de directive relative au recouvrement et à la confiscation d'avoirs

Selon Europol, les recettes générées par la criminalité organisée se sont élevées à 139 milliards d'euros en 2021. La Commission européenne considère que le blanchiment de ces produits fait peser une menace de plus en plus importante pour l'intégrité de l'économie et de la société, en érodant l'état de droit et les droits fondamentaux930(*). Or, seuls 2 % environ de ces produits sont saisis chaque année931(*). C'est dans ce contexte que la Commission européenne a soumis au Conseil et au Parlement européen une proposition de directive relative au recouvrement et à la confiscation des avoirs, qui retiendrait une définition large des produits du crime, puisqu'elle inclurait les produits directs du crime, mais aussi tous les gains indirects, y compris le réinvestissement ou la transformation ultérieurs des produits directs, ce qui comprend les biens mêlés à des biens acquis légitimement, à concurrence de la valeur estimée des produits du crime qui y sont mêlés.

Si la proposition de directive porte sur un périmètre plus vaste que le narcotrafic932(*), il n'en demeure pas moins que trois de ses dispositions pourraient considérablement accroître l'efficacité du dispositif français de saisie et de confiscation, en complément de la proposition de loi précitée :

· l'article 15 prévoit la possibilité d'une confiscation sans condamnation. Les États membres devront prendre les mesures nécessaires pour permettre la confiscation des instruments et des produits ou des biens de valeur correspondante lorsque des poursuites pénales ont été engagées mais que la procédure n'a pas pu être poursuivie en raison des circonstances suivantes : fuite, maladie ou décès de la personne mise en cause, ou le délai de prescription pour l'infraction pénale est inférieur à 15 ans et a expiré après l'ouverture de la procédure pénale. Dans de tels cas, la confiscation ne serait autorisée que lorsque la procédure pénale aurait pu déboucher sur une condamnation pénale définitive en l'absence des circonstances susmentionnées ;

· l'article 16 prévoit la possibilité de confiscation de richesse inexpliquée liée à des activités criminelles. Cette proposition s'inspire de la législation allemande : les États membres devront prendre les mesures nécessaires pour permettre la confiscation des biens gelés ou identifiés sur la base de soupçons d'infractions pénales933(*) commises dans le cadre d'une organisation criminelle et susceptibles de donner lieu, directement ou indirectement, à un gain économique substantiel, lorsque la juridiction nationale est convaincue que le bien provient du comportement criminel en question. Cette modalité de confiscation ne pourrait être mise en oeuvre que lorsque les autres modalités ne le pourraient pas et elle ne devrait pas porter atteinte aux tiers de bonne foi ;

· l'article 21 recoupe en partie des dispositions de la proposition de loi précitée du député Warsmann et concerne davantage l'allègement des frais de gestion de l'Agrasc. L'article impose en effet aux États membres de prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que des biens puissent être transférés ou vendus avant une décision définitive de confiscation s'ils sont périssables et déprissent rapidement, si les coûts de stockage ou d'entretien du bien sont disproportionnés par rapport à sa valeur marchande, ou encore si la gestion du bien nécessite des conditions particulières et une expertise difficile à trouver.

La commission d'enquête ne peut que s'étonner de l'opposition initiale du Gouvernement à l'article 16. Selon le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille, Nicolas Bessonne, ancien directeur de l'Agrasc, le renversement de la charge de la preuve pourrait en effet permettre d'accroître significativement les confiscations934(*). La lutte contre le narcotrafic ne peut pas accepter de double discours, et encore moins de la part du Gouvernement.

(3) La confiscation, une logique vertueuse

En suivant une stricte approche comptable, il convient par ailleurs de noter que l'Agrasc « rapporte » plus que ce qu'elle ne coûte à l'État : 110 millions d'euros ont été reversés au budget général en 2023, contre un budget total de 14 millions d'euros.

La confiscation obéit également à une logique de justice sociale, en permettant l'indemnisation des victimes.

b) Instaurer une procédure de gel judiciaire et de saisie conservatoire des avoirs des narcotrafiquants

Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a annoncé, au début de l'année 2024, la mise en place d'un dispositif de gel administratif des avoirs des narcotrafiquants, le Gaban, sur le modèle du gel administratif des avoirs des terroristes, le Gabat935(*). Sur le modèle du Gabat, les personnes assujetties seraient dans l'obligation de mettre immédiatement en oeuvre les mesures de gel et les interdictions de mise à disposition ou d'utilisation des avoirs, et d'en informer immédiatement le ministre chargé de l'économie. À défaut, les assujettis pourraient s'exposer à des sanctions.

Il s'agirait donc d'une mesure de police administrative visant à limiter les capacités économiques et financières de personnes physiques ou morales exerçant un rôle clé dans les activités liées au narcotrafic et au blanchiment des revenus afférents936(*).

La notion de capacités économiques et financières

Dans le cadre du Gabat, la notion de fonds ou ressources économiques revêt une acception large. Sont concernés par le gel :

· les comptes courants ou les comptes d'épargne tels que les livrets A, les livrets de développement durable ;

· les fonds déposés ou détenus sur des comptes de paiement ;

· les fonds versés pour charger des instruments de monnaie électronique et les valeurs monétaires stockées sur ces instruments ;

· les fonds versés dans le cadre d'un contrat individuel ou collectif de gestion d'actifs ;

· les intérêts et autres revenus d'actifs financiers de toute nature (rémunération sur les comptes à vue, comptes d'épargne, parts d'organismes de placement collectif) ;

· les primes ou cotisations versées dans le cadre d'un contrat d'assurance et les indemnisations versées ;

· les contrats d'assurance-vie ou de capitalisation (encours et versements) ;

· les titres et contrats financiers visés à l'article L. 211-1 du code monétaire et financier (actions, titres de créance, etc.) ainsi que leurs équivalents émis ou conclus sur le fondement d'un droit étranger, y inclus les bons de capitalisation ;

· les intérêts et autres revenus des titres ou contrats financiers ou tout autre titre ou contrat émis ou conclu sur le fondement d'un droit étranger ;

· les créances ;

· le crédit, le droit à compensation, les garanties, les garanties de bonne exécution ou autres engagements financiers ;

· les lettres de crédit, les contrats de vente ;

· tout document attestant la détention de parts d'un fond ou de ressources financières ;

· tout autre instrument de financement à l'exportation.937(*)

Ce dispositif de gel viendrait en complément de l'action judiciaire, de manière à ne pas perturber les enquêtes en cours938(*) - ce qui nécessiterait un important effort de coordination entre Bercy, le ministère de l'intérieur et le ministère de la justice - un premier point d'inquiétude.

Selon les informations obtenues par la commission d'enquête, ce dispositif trouverait deux usages principaux :

1° il permettrait de geler les avoirs d'une personne condamnée, y compris si elle est en fuite à l'étranger ;

2° il permettrait de réagir rapidement en cas de renseignements sur l'utilisation de ces avoirs par un trafiquant condamné ou en fuite, ou pour le compte de ce trafiquant. Ce gel pourrait ensuite être confirmé par l'autorité judiciaire.

Les avoirs concernés seraient donc les fonds et les ressources économiques des trafiquants du « haut du spectre », des entités morales qui leur sont rattachées et des personnes agissant pour leur compte - puisqu'en effet il est rare que les têtes de réseau disposent d'un patrimoine en leur nom sur le territoire national, une seconde difficulté.

Les cibles seraient identifiées par la DNRED et l'Ofast, en lien avec l'autorité judiciaire. La gouvernance du Gaban serait quant à elle assurée par un groupe de travail interministériel qui pourrait réunir la DNRED, l'Ofast, les services de renseignement, la Junalco, le ministère des affaires étrangères, la direction générale du trésor, la DGFiP, la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur, etc.

La commission d'enquête relève que cette proposition, qui nécessite une modification de la loi, pourrait venir combler un vide juridique : la France ne dispose en effet d'aucun dispositif de gel « d'urgence » des avoirs des narcotrafiquants. Autre point positif, l'approche globale adoptée dans le cadre de ce dispositif, qui ne viserait pas simplement les personnes physiques mais aussi les entités liées et les « prête-noms », à condition bien entendu de pouvoir les identifier - ce qui ne peut pas être garanti au regard de la complexité de certains schémas utilisés et de l'opacité des flux et des liens qui en résultent.

En revanche, l'absence de précisions données sur le dispositif et sur sa mise en oeuvre opérationnelle ne peut qu'être déplorée : la commission a en été réduite, pour comprendre le fonctionnement de ce futur outil, à glaner des éléments dans la presse - ce qui n'est pas acceptable et atteste d'une forme d'impréparation de la part de Bercy. À ce stade, le Gouvernement donne l'impression de vouloir « montrer les muscles », mais sans être véritablement conscient de ce qu'implique ce dispositif ni même de la façon dont il pourra s'articuler avec les textes européens en discussion.

Pire encore : les informations réduites dont la commission d'enquête dispose sont déjà une source de préoccupations. Même avec le peu d'éléments dont elle dispose sur ce futur « gel administratif des avoirs », la commission d'enquête ne peut qu'entretenir de lourdes craintes sur l'opérationnalité du dispositif et sur sa conformité à la Constitution.

Tout d'abord, la principale différence entre le Gabat et le Gaban procède du fait que le Gabat concerne principalement des terroristes disparus ou morts sur zone, peu susceptibles d'exercer un recours à l'encontre des décisions de gel. En revanche, le Gaban visera des narcotrafiquants particulièrement bien armés pour se défendre légalement, disposant de nombreux avocats et très agiles dans leurs montages financiers. La commission d'enquête s'est donc enquise à plusieurs reprises de la manière dont Bercy se préparait à faire potentiellement face à de nombreux recours.

Lors de son audition, aucune réponse n'a été apportée par le ministre de l'économie et des finances sur ce sujet, ni sur les autres points de vigilance identifiés par la commission d'enquête, ce qui laisse craindre un défaut d'anticipation.

Ensuite, la commission s'étonne que les modalités d'association de Tracfin au dispositif ne soient, à date, pas connues. Il ne serait pas compréhensible ce service ne soit pas associé à la future procédure alors même qu'elle fait partie de son « coeur de métier » de renseignement financier, Tracfin étant déjà chargé de la mise en oeuvre du gel administratif des avoirs des terroristes et ayant assuré la gestion du gel des avoirs des oligarques russes à la suite des sanctions mises en oeuvre en réaction à l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Enfin, la commission d'enquête s'inquiète de la viabilité juridique d'un dispositif qui :

· apparaît dépourvu de base légale européenne - contrairement au Gabat qui constitue la traduction en droit interne d'un dispositif de l'Union -, voire en rivalité avec la future procédure de confiscation prévue par l'article 16 de la directive sur le gel des avoirs, déjà évoqué ;

· est de nature à poser de problèmes de conformité à la Constitution, les comptes de tiers en lien avec des narcotrafiquants ayant vocation à subir un gel alors même que, dans l'architecture qui semble avoir été imaginée par le Gouvernement, les tiers en cause ne seraient pas concernés par une procédure pénale ;

· soulèvera manifestement des difficultés, elles-mêmes peu surmontables, de cohérence juridique : à la différence des djihadistes présents en zone syro-irakienne dont les avoirs ont été gelés par le biais du Gabat, et qui ont été traités dans un cadre de renseignement administratif permettant d'écarter l'intervention de l'autorité judiciaire, les narcotrafiquants du « haut du spectre » ne peuvent être identifiés comme tels (et donc soumis à un gel de leurs avoirs) que s'ils font d'ores et déjà l'objet d'une procédure judiciaire gérée par un magistrat : cette procédure ne paraît pas de nature à entrer en cohérence avec un gel administratif, fût-il prononcé « en lien » avec l'autorité judiciaire.

Toutes ces considérations incitent à prendre avec prudence les annonces de Bercy et à privilégier, pour permettre la mise en oeuvre effective d'un gel des avoirs - la commission d'enquête étant parfaitement favorable à l'objectif ainsi poursuivi -, la création d'une procédure judiciaire ad hoc s'appuyant sur la directive européenne précitée, et qui sera à la fois moins susceptible de recours, moins risquée pour la solidité des procédures pénales qui devront à terme être menées pour réprimer le trafic et plus efficace pour garantir que les trafiquants soient réellement privés de leurs avoirs criminels.

On pourra opposer à cette proposition que le recours à une formule administrative est un gage de rapidité (ce qui reste à prouver, le cadre judiciaire permettant lui aussi la mise en oeuvre de mesures d'urgence, comme en témoigne le droit des saisies spéciales...) et limite les recours (ce qui est inexact, puisque le « gel » proposé par le Gouvernement n'échappera pas aux contestations devant le juge administratif). Toutefois, non seulement ces arguments sont inexacts, mais surtout ils témoignent d'une lourde méconnaissance des stratégies des narcotrafiquants, prêts à de véritables guérillas juridiques pour se soustraire à la justice, et auxquels il convient en conséquence de faire obstacle par des instruments fiables, robustes et inattaquables.

La gravité de la menace ne saurait dispenser le législateur de respecter le rôle de l'autorité judiciaire, ni l'autoriser à multiplier les outils par effet d'annonce, en oubliant que la complexité de notre droit constitue d'ores et déjà une faille dans laquelle les délinquants ne cessent de s'engouffrer : la lutte contre le narcotrafic est à ce prix et ne s'accommode pas d'une simple poudre aux yeux.

c) Permettre des saisies plus larges et plus dissuasives
(1) Autoriser la confiscation civile sans condamnation pénale

La confiscation sans condamnation, pour récupérer des avoirs en matière de trafic de stupéfiants, a été défendue par plusieurs représentants de services d'enquête et par des magistrats dont Nicolas Bessonne, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille et ancien directeur de l'Agrasc939(*). Inspiré du modèle italien, ce mécanisme permettrait de confisquer, dans le cadre d'une procédure indépendante d'une condamnation, des biens entrés illicitement en possession de personnes d'autant plus dangereuses qu'elles seraient suspectées de graves infractions.

La commission d'enquête observe que deux dispositifs complémentaires permettent de donner corps à la confiscation civile sans condamnation pénale : l'article 16 de la proposition de directive sur le gel des avoirs et la proposition de la commission d'injonction pour richesse inexpliquée.

(2) Faciliter la saisie des fonds de commerce

Ainsi que cela a été rappelé par le rapporteur, l'une des formes les plus communes de blanchiment des produits issus du narcotrafic réside dans le « blanchiment territorial », à savoir l'achat de commerces et d'entreprises locales, fictives ou semi-fictives. Ces entreprises agissent comme des « lessiveuses » et créent dans le même temps, pour celles qui fonctionnent réellement, une concurrence économique déloyale. D'autres sont totalement éphémères et n'ont pour vocation que de permettre la bancarisation et donc le blanchiment du produit issu du trafic de stupéfiants, avant de disparaître.

Les personnes entendues en audition ont confirmé aux membres de la commission d'enquête que repérer les entreprises éphémères ou semi-fictives et prouver le blanchiment des fonds était très difficile, tant pour Tracfin que pour la DGFiP et les services d'enquête. Pour autant, certaines sont notoirement connues et signalées comme telles aux autorités. La commission d'enquête considère, à l'issue de ses travaux, que l'absence de possibilité pour l'État de pouvoir saisir les fonds de commerce constitue une fragilité de son dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux, et donc de lutte contre le narcotrafic. Sans saisie, les têtes de réseaux ou les intermédiaires ne sont absolument pas inquiétés sur ce patrimoine économique. Pire encore, ils peuvent continuer à s'en servir pour « lessiver » les fonds ou pour alimenter les sociétés légales en liquidités, afin de financer le travail dissimulé.

Dans le cadre d'une saisie des fonds de commerce impliqués dans le narcotrafic ou dans le blanchiment de ses produits, l'État en assurerait dans toute la mesure du possible l'administration conservatoire, par l'intermédiaire d'un administrateur judiciaire : les personnes qui détiennent ou qui contrôlent ces biens ne pourraient plus exercer leurs droits à leur encontre mais les activités légales pourraient se poursuivre.

Cette recommandation s'inscrit également dans la logique poursuivie par le rapporteur, à savoir celle de parvenir à casser les liens entre économie légale et illégale, pour freiner la « contamination » de l'économie légale par le narcotrafic et l'intégration dans cette économie des bénéfices générés par le trafic.

Par ailleurs, les greffiers des tribunaux de commerce, en tant que chargés de la tenue du registre du commerce et des sociétés (RCS), ont un rôle à jouer en la matière, d'autant que le directeur de Tracfin a salué en audition la qualité de leur coopération et de leurs signalements940(*), alors même qu'ils ne font partie des professions assujetties que depuis 2020. Les greffiers peuvent en effet renforcer les contrôles effectués lors de la création des sociétés, en vérifiant la cohérence des informations déclarées, la localisation des sièges sociaux et l'authenticité des documents fournis - ce qu'ils ont déjà commencé à faire. Sur les 1 000 déclarations de soupçon transmises à Tracfin en 2022, la grande majorité concernait des faux documents d'identité, de domiciliation ou d'attestation bancaire941(*).

Ces contrôles visent notamment la lutte contre les sociétés éphémères, spécialisées dans le recyclage des fonds.

Un exemple de succès : mettre en échec les opérations bancaires des sociétés éphémères

Le tribunal de commerce de Paris avait détecté plus d'un millier de sociétés éphémères dont les comptes bancaires servaient de comptes de transit à des fonds d'origine délictuelle. L'identification de ces entités par les services judiciaires et par Tracfin était toutefois tardive. Face à ce constat d'échec dans la lutte contre les sociétés éphémères, la section F2 du tribunal judiciaire de Paris a mis en place un protocole de saisie pénale directe sur les comptes bancaires détenus par ces sociétés, en lien avec Tracfin, avec la sous-direction de la lutte contre l'immigration irrégulière et sa cellule spécialisée dans la détection des faux documents, avec le greffe du tribunal de commerce de Paris et avec le GIR de Paris. Ce protocole, mis en place en février 2023, a permis de saisir plus de 11 millions d'euros sous le chef de blanchiment présumé. Il y a eu cinq procès-verbaux (PV) : un PV de saisine, trois PV de recherche, un PV de clôture, soit une demi-journée de travail d'un OPJ.

Ce dispositif a été élargi à l'Île-de-France et environ 15 millions d'euros ont été saisis sur ces comptes bancaires, pour lesquels il n'y aura pas d'appel, du fait de la présence de « mules » bancaires à la tête de ces sociétés éphémères.942(*)

La commission d'enquête ne peut que recommander la systématisation de « circuits courts » entre Tracfin, les parquets et éventuellement les greffiers des tribunaux de commerce pour lutter contre les sociétés « taxi » : dès qu'un compte bancaire actif lié à une société éphémère est identifié, le parquet saisit un service d'enquête aux fins de saisie des comptes bancaires de la société943(*). Aujourd'hui, ces procédures ont été mises en place dans les parquets de Paris, de Bobigny, de Créteil, de Versailles et de Marseille : elles doivent désormais être généralisées.

(3) Mieux identifier les bénéficiaires effectifs

En lien avec les propos précédents et notamment la lutte contre les sociétés éphémères, la commission d'enquête souligne la nécessité de mieux identifier les bénéficiaires effectifs des entreprises. Là encore, les greffiers des tribunaux de commerce constituent un rouage essentiel, puisqu'ils sont chargés de la tenue du registre des bénéficiaires effectifs (RBE).

En lien avec les parquets, ils peuvent contribuer à déceler des comportements anormaux. Ainsi, sous l'impulsion des parquets, des procédures d'injonction de déclaration des bénéficiaires effectifs ont été lancées à l'encontre de toutes les entreprises qui n'avaient pas déposé leurs déclarations - le taux de complétude du registre étant aujourd'hui de 93 %. De même, les greffiers coopèrent avec les établissements bancaires, qui sont obligés, comme l'ensemble des professions assujetties, de procéder à un signalement de divergence s'ils disposent d'informations sur les bénéficiaires effectifs d'une entreprise en contradiction avec celles inscrites dans le RBE. En cas de signalement, l'entreprise est invitée à régulariser sa situation, et à défaut, elle peut être sanctionnée.

Pour accroître la transparence sur les bénéficiaires effectifs, la commission d'enquête propose deux évolutions, qui s'appuient sur les travaux du Conseil national des greffiers de tribunaux de commerce944(*) :

· la possibilité de radier d'office les entreprises qui ne se sont pas soumises à leurs obligations déclaratives au titre du RBE ou qui n'ont pas répondu au signalement d'une divergence. La radiation ne leur retirerait pas la personne morale mais les obligerait à se signaler. Cette « menace » serait sans doute plus efficace que les sanctions prévues dans le code monétaire et financier : selon Transparency international, une seule sanction a été imposée depuis 2017 pour non-respect de l'obligation de déclaration du ou des bénéficiaires effectifs945(*) ;

· abaisser le seuil de déclaration dans les secteurs à risque. Aujourd'hui, le seuil de détention en capital ou en droits de vote conférant la qualité de bénéficiaire effectif est de 25 % : ce seuil pourrait être abaissé pour l'ensemble des entreprises, charge ensuite aux autorités concernées de s'intéresser aux nouvelles déclarations des entreprises des secteurs les plus exposés au blanchiment des capitaux.

(4) Mieux prendre en compte les cryptoactifs
(a) Un cadre européen plus strict

Au niveau européen, l'application d'ici la fin de l'année 2024 de deux nouvelles réglementations devrait permettre de renforcer le cadre applicable aux cryptoactifs et de mieux appréhender ces actifs dans la lutte contre le blanchiment des flux financiers issus du trafic de stupéfiants :

· le règlement sur les marchés de cryptoactifs, dit « MiCA »946(*), crée le statut de prestataires de services sur cryptoactifs (PSCA), très largement inspiré des obligations imposées aux PSAN en France pour obtenir leur agrément. La Commission européenne devrait rendre un rapport d'ici 2024 pour étendre ou non les dispositions du règlement aux jetons non fongibles (non fungible tokens, NFT) ;

· le règlement TFR947(*) impose aux PSCA de veiller à ce que les transferts de cryptoactifs sont accompagnés d'informations sur l'initiateur et le bénéficiaire de la transaction (identité, adresse du registre distribué, numéro de compte, adresse, numéro du document d'identité officiel, numéro d'identification du client). Les données devront être conservées pendant cinq ans. Les PSCA devront également prendre en compte des facteurs de risques supplémentaires propres à certains transferts, par exemple ceux liés à des produits, à des transactions ou à des technologies conçus pour renforcer l'anonymat (portefeuilles confidentiels, services de mixage ou de brassage). Il convient toutefois de noter que ces règles ne seront applicables que pour les transactions supérieures à 1 000 euros et que, comme tout seuil, les organisations criminelles pourraient vouloir le contourner en répliquant une technique utilisée dans le monde monétaire « réel » : le « schtroumpfage ».

À l'instar des constats dressés sur le cadre français, la mise en place d'un cadre européen renforcé pour les PSCA ne résoudra pas la question des prestataires non-agréés et donc non supervisés. Or, la détection de ces prestataires se heurte aujourd'hui à plusieurs limites techniques, l'AMF s'appuyant principalement sur les réclamations des investisseurs, sur les signalements adressés par les prestataires enregistrés et sur une veille en ligne pour les identifier948(*). Depuis 2021, six prestataires non enregistrés ont vu leurs adresses Internet être bloquées et 70 signalements effectués par l'AMF au parquet portaient sur la fourniture illicite de services sur cryptoactifs949(*).

Ni l'AMF ni l'ACPR ne disposent ainsi de la possibilité de recourir à des identités d'emprunt pour accéder à certains prestataires en ligne. La commission d'enquête propose de faire évoluer le cadre juridique en ce sens. Les enquêteurs de l'ACPR et de l'AMF pourraient ainsi tester la robustesse du processus d'entrée en relation d'affaires à distance (vérification de l'identité et connaissance de la clientèle) des assujettis, et notamment des Psan.

(b) La formation, un enjeu clé

Tracfin a créé dès 2018 une structure dédiée aux investigations financières relatives aux cryptoactifs. Pour tenir compte de la montée en puissance de ce vecteur dans le blanchiment des capitaux, le service a par la suite adapté son organisation : de la spécialisation de quelques agents, ce sont désormais l'ensemble des analystes et enquêteurs traitant des dossiers de blanchiment qui ont été sensibilisés à cet enjeu950(*). Pour monter en compétence, Tracfin souligne que la formation continue est primordiale.

Le SEJF s'est organisé en 2020 pour acquérir et développer une compétence en matière de cryptoactifs, avec une sensibilisation de premier niveau à la détection et à la saisie de ces avoirs951(*). De fait, le SEJF est devenu le service d'enquête le plus sollicité dans des dossiers de blanchiment via les cryptoactifs, aux côtés des services spécialisés dans la lutte contre la cybercriminalité.

Enfin, selon la direction générale de la police nationale952(*), l'une des actions menées dans le cadre du nouveau plan de lutte contre les stupéfiants sera de former les agents en matière de détection et de traçage des cryptoactifs. La mesure serait pilotée par l'office central en charge de la lutte contre la cybercriminalité, rattaché à la police nationale, mais devrait inclure, selon la commission d'enquête, des services comme Tracfin ou le SEJF, qui disposent désormais de l'expertise nécessaire pour déceler ces transactions mais aussi expliquer aux enquêteurs comment les traiter dans un cadre judiciaire.

Bien entendu, la formation seule ne suffira pas : des effectifs doivent être dédiés à ce vecteur d'enrichissement et de blanchiment. Actuellement, un seul agent de la brigade nationale d'enquêtes économiques (BNEE) est spécialisé sur le traçage des fonds en cryptoactifs et leur saisie et reçoit donc de très nombreuses requêtes.

(c) Les cryptoactifs, des faiblesses inhérentes à exploiter

Les cryptoactifs se distinguent des autres vecteurs de blanchiment en ce que leurs caractéristiques, d'apparence si favorables au blanchiment de flux illicites, peuvent se « retourner » contre les narcotrafiquants, au bénéfice des services chargés de les entraver.

D'une part, la volatilité des cryptoactifs conduit de nombreux narcotrafiquants à considérer que ces actifs ne sont pas des réserves de valeur. Ainsi, pour éviter des pertes trop importantes, ils vont rapidement re-fiduciariser leurs fonds, que ce soit pour procéder à des opérations de consommation ou d'investissement ou pour protéger leurs biens953(*). Les fonds réintègrent alors un marché de professionnels assujettis à la LBC-FT.

D'autre part, si la blockchain a constitué l'une des principales innovations de ces dernières années pour sécuriser les transactions, mais aussi pour les anonymiser, son invulnérabilité s'effrite. En effet, les outils d'analyse transactionnelle renversent l'avantage comparatif obtenu par les trafiquants puisqu'ils permettent de lire et de déchiffrer les chaînes de blocs, et donc de retracer l'historique complet des transactions. Ce qui fait la force des cryptoactifs pour les réseaux criminels peut donc devenir leur principal point de faiblesse, à condition que les services d'enquête disposent des outils technologiques adéquats.

Enfin, les cryptoactifs peuvent faire l'objet de la procédure de saisie rapide954(*) prévue à l'article 706-154 du code de procédure pénale (voir supra). Pour éviter le contournement de cette procédure, la commission d'enquête estime que cette procédure, également applicable aux comptes bancaires, pourrait être étendue aux comptes de paiement en ligne, de plus en plus utilisés par les réseaux de narcotrafic ; elle se réjouit que cette évolution ait fait l'objet d'un amendement de la commission des lois du Sénat, intégré au texte adopté, sur la proposition de loi déjà citée visant à renforcer l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation.

d) Affecter davantage de biens aux services impliqués dans la lutte contre le narcotrafic

La commission d'enquête soutient tout d'abord le fonctionnement du « fonds de concours drogues », constitué des sommes définitivement confisquées par l'autorité judiciaire en matière de trafic de stupéfiants et réparti de la manière suivante : 35 % pour la police, 25 % pour la gendarmerie, 20 % pour la justice, 10 % pour la douane et 10 % pour des actions de prévention sous l'égide de la Mildeca. En 2023, 50,1 millions d'euros ont été versés sur ce fonds par l'Agrasc, pour un total d'avoirs confisqués d'une valeur d'environ 175,5 millions d'euros.

Même si ce fonds de concours déroge aux règles budgétaires, il a pour principale vertu de rendre visible le « retour sur investissement » des services en première ligne dans la lutte contre le trafic de stupéfiants. Il permet ainsi aux forces de sécurité intérieure et aux douaniers de disposer de crédits complémentaires pour acquérir des matériels de pointe pour recueillir du renseignement ou des preuves, ou encore pour garantir la sécurité des agents sur le terrain.

Les biens saisis doivent enfin pouvoir davantage profiter aux services d'enquête et aux douanes : la lutte contre le narcotrafic est une mission rentable pour l'État. Deux évolutions doivent être envisagées :

· sur le plan juridique, et à l'initiative de la commission des lois du Sénat, la proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels comprend désormais une disposition ouvrant la possibilité aux services d'enquête et aux services judiciaires de se voir affecter à titre gratuit des biens immeubles saisis ou confisqués, à l'instar de la possibilité dont ils disposent déjà pour les biens meubles ;

· sur le plan pratique, certains critères de « gestion » pourraient être assouplis pour permettre de donner plus aux services impliqués dans la lutte contre le narcotrafic. S'agissant par exemple des véhicules, le critère relatif au kilométrage - assimilé à l'évolution du coût d'entretien - pourrait être révisé pour permettre d'affecter davantage de véhicules à ces services.

Recommandation n° 33 de la commission d'enquête : frapper enfin les narcotrafiquants au portefeuille

· Instaurer une procédure d'injonction pour richesse inexpliquée ;

· Recourir davantage à la présomption de blanchiment ;

· Instaurer une procédure de gel judiciaire et de saisie conservatoire des biens des narcotrafiquants ;

· Autoriser la confiscation civile sans condamnation pénale ;

· Faciliter la saisie des fonds de commerce ;

· Systématiser les « circuits courts » pour lutter contre les sociétés éphémères ;

· Mieux identifier les bénéficiaires effectifs en prévoyant une radiation d'office des entreprises qui ne se sont pas soumises à leurs obligations et abaisser le seuil de déclaration ;

· Former davantage à la saisie des cryptoactifs ;

· Étendre la procédure de saisie rapide aux comptes de paiement en ligne ;

· Étendre aux enquêteurs de l'AMF et de l'ACPR la possibilité de recourir à une identité d'emprunt pour contrôler les prestataires en ligne ;

· Affecter davantage de biens confisqués aux services d'enquête et aux juridictions.

IX. GAGNER LA BATAILLE CULTURELLE : L'ENJEU DE LA PRÉVENTION

La commission d'enquête a choisi de limiter le périmètre de ses travaux à la question, déjà immense, de la lutte contre le narcotrafic. Mais elle a eu un aperçu, au cours de ses entretiens et déplacements, des failles béantes dans l'action des pouvoirs publics en amont de la lutte, c'est-à-dire dans la prévention. Cette dernière question mérite un travail parlementaire à part entière ; il a néanmoins paru nécessaire à la commission de formuler des recommandations soulignant l'absolue nécessité d'un travail de prévention à la hauteur de la menace.

Le plan rénové de lutte contre les stupéfiants qui succédera bientôt au premier plan stups de 2019, est particulièrement lapidaire dans sa version transmise à la commission d'enquête, sur le chapitre de la prévention qui ne fait l'objet que d'une recommandation : « Déconstruire l'image positive du contre-modèle des trafiquants auprès des acteurs du trafic et des consommateurs ». Or comme l'a souligné Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Ofast, la lutte contre le narcotrafic doit « s'inscrire dans un cadre bien plus large, en intégrant les dimensions de la santé publique et de la prévention », car « le ministère de l'intérieur et des outre-mer ne peut pas être le seul acteur en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants »955(*). David Marti, maire du Creusot, abonde en estimant qu'associer douanes, police, gendarmerie, justice ne suffira pas et qu'un effort préventif de fond et massif est absolument nécessaire956(*).

Selon la commission d'enquête, cette bataille se jouera à la fois sur la prévention de la consommation et sur la dissuasion de l'entrée dans les trafics, ces deux chantiers devant impérativement être menés en parallèle.

A. LA PRÉVENTION DE LA CONSOMMATION : METTRE LA COMMUNICATION PUBLIQUE À LA HAUTEUR DES ENJEUX

1. Pourquoi interdire l'usage de drogues sans avertir de leurs dangers ?

Plusieurs interlocuteurs ont noté le paradoxe qui consiste à conduire de grandes campagnes publiques contre l'excès d'alcool et surtout de tabac, sans engager d'effort similaire sur les stupéfiants alors même que, à l'inverse des deux premiers produits cités, les drogues sont illégales. Le colonel Rénald Boismoreau, commandant le service central de renseignement criminel (SCRC) de la gendarmerie nationale, a ainsi pointé devant le rapporteur un « manque de cohérence »957(*).

Une magistrate rencontrée par la commission d'enquête au tribunal judiciaire de Bobigny958(*) s'interrogeait, elle aussi, sur l'absence de campagnes de prévention pour mettre en garde contre les effets du cannabis, de certains médicaments ou de la cocaïne, alors que quatre des cinq viols recensés lors de la dernière permanence avaient été commis sous l'emprise de la cocaïne, avec des victimes couvertes de bleus. Il n'est pas concevable d'interdire certains produits en raison des dangers que leur consommation présente sans prendre la peine d'informer la population sur ces dangers.

Comme l'a reconnu le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin, devant la commission d'enquête959(*), « il n'y a pas eu de campagne de communication gouvernementale unique sur la drogue depuis très longtemps ». L'explication, selon le ministre, est la suivante : « au fond, la France n'a pas choisi entre la tolérance et la prohibition ». Notre pays vivrait donc dans un régime de prohibition légale, mais aussi dans une forme de tolérance culturelle qui empêcherait de s'engager à fond dans la bataille de communication.

Ce constat a été partagé par de nombreux interlocuteurs de la commission d'enquête, et notamment par le préfet du Gard, Jérôme Bonet, qui rappelait au cours d'un déplacement à Valence que, alors que le consommateur est responsabilisé pour acheter des produits de consommation courante « durables », aucun message ne lui est adressé pour le dissuader d'acquérir des substances illicites, la dernière campagne de communication datant des années 1980 avec un slogan désormais daté qui se bornait à rappeler que « la drogue, c'est de la m... ».

Toutefois, selon des membres éminents du Gouvernement, tous les services de l'État n'apparaissent pas alignés sur le sujet. Pour le ministre de l'intérieur, « nous sommes parfois confrontés à un blocage culturel. Tout le monde, au sein de l'État, est d'accord pour lutter contre le terrorisme. Ce n'est pas le cas sur la drogue ». Et de citer une campagne de la sécurité routière, lancée à la demande du ministère de l'intérieur : « On a eu droit à une campagne de communication dont le message était : “Si l'on fume un pétard, il faut rester chez soi”. Ce n'est pas ce que l'on demandait ! Il ne faut pas fumer de pétard tout court »960(*).

Pourtant, il est incompréhensible que l'on n'engage pas contre le narcotrafic des efforts de communication publique à la hauteur de ceux qui ont été consentis contre le terrorisme et la radicalisation, puisque les menaces sont désormais reconnues comme équivalentes par les pouvoirs publics.

2. Une campagne massive, bien calibrée et assortie à un plan de lutte contre la consommation

Face à ce constat, la commission d'enquête propose le lancement d'une campagne massive, nationale de communication centrée sur les dangers liés à la drogue, similaire à ce qui a pu être fait pour le tabac, mais aussi destinée à responsabiliser les consommateurs en leur faisant comprendre la violence du commerce qu'ils alimentent et ses dégâts sociaux, économiques, voire environnementaux. Des campagnes ont déjà été menées en ce sens961(*) mais, faute de moyens - et sûrement d'ambition -, elles sont restées d'une ampleur trop limitée pour avoir un véritable impact.

Il y a en la matière des écueils bien connus à éviter, en particulier le ton moralisateur qui a causé l'échec de précédentes campagnes parfois tournées en dérision962(*) : selon Benjamin Tubiana-Rey, responsable « plaidoyer et communication » de la Fédération Addiction963(*), « les campagnes de prévention fondées sur un message de peur - “Si vous consommez, il vous arrivera tel ou tel problème de santé” - ont un faible impact sur les comportements et [...] leur effet est limité dans le temps. En revanche, les campagnes de prévention fondées sur une information factuelle, vérifiable, auront un meilleur impact, et celles qui ont en plus un aspect très motivationnel, dispensant des messages positifs sur les effets bénéfiques d'une moindre consommation, sont beaucoup plus efficaces pour modifier les comportements ».

3. Sur la consommation, trois publics à privilégier : les jeunes, les travailleurs et les « festifs »

Les jeunes constituent le public cible « naturel » des campagnes antidrogue. La commission d'enquête a eu connaissance de nombreuses initiatives au niveau local et en milieu scolaire privilégiant les « compétences psychosociales » : « plutôt que de dire aux jeunes que consommer c'est mal, on leur apprend à acquérir les ressources pour s'opposer à la pression sociale »964(*), souligne Benjamin Tubiana-Rey. Il existe plusieurs programmes fondés sur cette approche comme Unplugged, qui vise les collégiens de sixième et de cinquième sur la base de douze séances dans l'année animées par un enseignant et un professionnel d'une structure d'addictologie, ou le programme Primavera ciblé sur les élèves de primaire. Mais, remarque Benjamin Tubiana-Rey, « on manque encore de moyens et ces initiatives restent très parcellaires »965(*).

Au vu de l'utilité indéniable de ces initiatives en milieu scolaire, la commission d'enquête plaide pour qu'elles soient mises en cohérence et systématisées dès la fin du primaire.

Il convient également de prendre en compte le caractère émergent de la consommation en milieu professionnel. Les métiers artistiques ou liés aux relations publiques ne sont pas les seuls touchés : on consomme également pour « tenir le coup » dans les métiers pénibles. L'augmentation de la consommation dans des professions où on ne l'attendait pas, comme les marins-pêcheurs, a été documentée966(*) et mentionnée dans ce rapport967(*). Il est donc indispensable de prendre cette nouvelle réalité en compte, même si elle n'est pas flatteuse pour notre société dans son ensemble.

Il convient, enfin, de tenir compte de la consommation dite « festive », en tout cas occasionnelle, que pratiquent certaines populations de trentenaires ou de quadragénaires - population qui, au vu de la baisse des tarifs, va bien au-delà des seuls « bobos » ciblés par le Gouvernement. Selon les études de l'OFDT, « en 2017, en France, plus d'un adulte sur vingt (18-64 ans) déclare avoir déjà expérimenté, au moins une fois, la cocaïne - trois fois plus qu'il y a vingt ans (5,6 % en 2017 vs 1,8 % en 2000) [...]. La diffusion de la cocaïne a donc globalement augmenté parmi les adultes, mais seulement dans certaines tranches d'âge, en particulier parmi les trentenaires et quarantenaires »968(*). Cette consommation est bien souvent le fait de « consommateurs intégrés socialement, qui consomment généralement de la cocaïne le week-end, lors de soirées ou en d'autres occasions spéciales, parfois en plus grandes quantités » et « estiment “contrôler” leur consommation de cocaïne, en se fixant des règles, par exemple sur la quantité, la fréquence ou le contexte »969(*), sans même en tirer un sentiment de transgression.

Or, comme le rappelait Didier Lallement, secrétaire général de la mer, les consommateurs voient dans leur consommation « un acte individuel alors qu'ils ébranlent les fondements de notre nation et nous plongent, collectivement, dans une situation difficile »970(*) en contribuant au financement de réseaux qui sèment la mort et la déstabilisation des institutions. Des campagnes de prévention sur ce thème existent déjà, à l'image de celle menée à Grenoble sur financements de la Mildeca et décrite par Éric Piolle à la commission d'enquête : « En collaboration avec la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), nous avons produit des vidéos destinées à montrer aux consommateurs l'envers du décor et ce à quoi ils participent. Or, pour aboutir à une réelle stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives, il faudrait intensifier très fortement ce travail »971(*).

Ainsi, bien que dénué de pertinence pour les jeunes et les individus dépendants, sur lesquels - comme on l'a relevé - l'argument « moral » n'a que peu d'impact, ce message exigeant mérite d'être passé auprès des consommateurs « festifs » afin que chacun soit renvoyé à ses responsabilités en tant que citoyen.

Pour ces populations, la question se pose également d'un renforcement des sanctions - c'est-à-dire d'une augmentation du montant de l'amende forfaitaire délictuelle (AFD) encourue pour possession de stupéfiants, dont le montant actuel (200 euros) est considéré comme trop faible par les policiers, gendarmes et magistrats. Pourrait également être envisagée une extension des cas dans lesquels une telle amende peut être prononcée : en cas de pluralité de produits détenus, par exemple, puisqu'il est aujourd'hui impossible d'appliquer une AFD à une personne transportant deux produits à la fois, comme de la cocaïne et de la MDMA par exemple, ce qui peut pourtant correspondre au profit « festif » décrit ci-avant, ou encore en cas de première récidive.

La commission d'enquête est favorable à ce qu'une telle piste soit expertisée : si elle présente des inconvénients, notamment en ce qu'elle pourrait être interprétée comme un « permis de consommer » dont les plus riches pourraient s'acquitter, cette proposition a fait l'objet d'une très forte demande sur le terrain et constitue une solution qui ne doit être négligée.

En tout état de cause, la campagne de communication que la commission d'enquête appelle de ses voeux devra donc adapter son message au public ciblé : la consommation repose sur des leviers qui varient selon les individus et les modes de communication devront être le reflet de cette diversité.

Elle devra se traduire par un plan aussi ambitieux que le plan pluriannuel de lutte contre le tabac, dont les cinq objectifs (prévenir l'entrée dans le tabagisme, en particulier chez les jeunes, accompagner les fumeurs, en particulier les plus vulnérables vers l'arrêt du tabac, préserver notre environnement de la pollution liée au tabac, améliorer la connaissance sur les dangers liés au tabac et les interventions pertinentes, transformer les métiers du tabac et lutter contre les trafics) pourraient être reproduits presque à l'identique. Comme pour le tabac, des objectifs en termes de diminution de la consommation devront être fixés pour évaluer l'efficacité de cette campagne et adapter, le cas échéant, la nature du message transmis.

Ces initiatives nationales n'épuisent pas le sujet et il conviendra, dans le même temps, d'intensifier l'effort d'accompagnement des initiatives locales, notamment dans les territoires non-métropolitains (campagnes et villes moyennes) qui, moins familiarisés avec le narcotrafic, se trouvent bien souvent démunis et dont les élus ont, plus encore que ceux des grandes villes, besoin d'un réel soutien.

Denis Mottier, chargé de mission sécurité et prévention de la délinquance à l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité, souligne que le soutien de la Mildeca reste peu connu des maires ruraux, appelant de ses voeux « l'accessibilité les outils du CIPDR, de la Mildeca et de l'État en général, notamment pour les maires ruraux, idéalement gratuitement »972(*). Il souligne en effet que « des campagnes de prévention et des projets sont effectivement mis en oeuvre par la Mildeca, mais ils ne sont pas forcément relayés jusque dans les petites communes, qui en ont pourtant besoin ».

Dans ce rôle d'accompagnement des maires, la Mildeca joue son rôle, mais un effort doit être fait en matière de communication, en particulier en direction des communes rurales, ainsi que de financement, les sommes disponibles étant souvent dérisoires par rapport à l'ampleur du travail à accomplir.

4. Assurer la prise en charge médicale des consommateurs dépendants

Les conséquences sanitaires de l'explosion du narcotrafic ne sont plus seulement visibles dans les grandes villes. David Marti, maire du Creusot, a alerté la commission d'enquête sur un « problème croissant de santé mentale » lié aux stupéfiants dans sa ville : « on trouve des personnes hagardes dans la rue ». Le maire de Valence, Nicolas Daragon, a quant à lui estimé que la consommation de drogues par les jeunes était une « bombe à retardement » pour la pédopsychiatrie973(*).

Or les structures pour prendre en charge les consommateurs ne sont pas là : au Creusot comme ailleurs, les services d'addictologie se sont raréfiés - tout comme les médecins addictologues - et les associations sont démunies pour accompagner ceux qui veulent sortir de la toxicomanie.

La prise en charge médicale était pourtant prévue par la loi du 31 décembre 1970 qui est toujours, aujourd'hui, le fondement de la lutte antidrogue en France, sous la forme de l'injonction thérapeutique, définie comme « l'obligation de se soumettre à des mesures d'examen médical, de traitement ou de soins, même sous le régime de l'hospitalisation lorsque le condamné fait usage de stupéfiants ou fait une consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques »974(*). Pour Alain Bauer, professeur de criminologie au conservatoire national des arts et métiers, « une véritable injonction thérapeutique peut constituer le premier élément d'une politique de santé publique touchant l'essentiel des personnes directement victimes, parce que ce sont des malades »975(*).

Le garde des sceaux a certes déclaré, lors de son audition par la commission d'enquête : « il convient d'ajouter une dimension sanitaire à notre réponse pénale. C'est pourquoi j'ai invité les parquets à se servir des obligations de soins s'agissant des personnes souffrant d'addiction, et à recourir aux stages de sensibilisation aux dangers de l'usage des stupéfiants pour les usagers occasionnels, y compris pour les mineurs »976(*).

Mais une telle politique n'est pas possible sans moyens idoines. Or la prise en charge médicale des toxicomanes dans son ensemble se trouve aujourd'hui dans un état de déréliction. Comme l'a souligné Benjamin Tubiana-Rey977(*), « les actions de prévention sont chroniquement sous-financées en France. Elles sont de surcroît dispersées. Prévues par la loi, elles sont censées être obligatoires. Pourtant, les centres de soins, d'accompagnement, de prévention en addictologie (Csapa) ne reçoivent pas de financement pérenne pour leurs actions de prévention : ils ne peuvent passer que par des appels à projets ».

Le constat est le même pour les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud) qui, selon Nathalie Appéré, maire de Rennes, « manquent de moyens alors même que les situations de toxicomanie et les pratiques à risques sont de plus en plus nombreuses »978(*).

Ces instances sont pourtant essentielles à la prise en charge et à l'accompagnement des consommateurs mais aussi de leur entourage, comme la commission d'enquête a pu le constater à l'occasion de sa visite du Csapa de Lyon.

La prise en charge médicale des consommateurs, inscrite à l'origine dans le cadre de la lutte antidrogue fixé par la loi de 1970, a été victime de l'attrition budgétaire dont a souffert le secteur de la prévention. Il faut inverser la tendance.

Cet effort en faveur des structures d'addictologie doit s'accompagner d'un effort similaire sur la recherche. Comme l'a souligné le professeur Georges Brousse, président du comité régional Auvergne-Rhône-Alpes d'Addictions France, lors de la visite de la commission d'enquête au Csapa de Lyon, « la psychiatrie et l'addictologie devraient être une grande cause nationale de recherche, comme le cancer l'a été sous Jacques Chirac ». C'est particulièrement vrai pour la cocaïne, pour laquelle il n'y a ni traitement de l'addiction ni produits de substitution, malgré la prévalence croissante de cette drogue dans la population.

Recommandation n° 34 de la commission d'enquête : engager un véritable effort de communication publique contre le narcotrafic et améliorer la prise en charge des consommateurs

· Mettre en oeuvre un plan de lutte contre la consommation de stupéfiants, sur le modèle du « plan tabac » et adapté selon les publics visés ;

· Mieux soutenir les initiatives des maires en faisant connaître les programmes menés par la Mildeca et en renforçant leur financement.

· Renforcer les moyens des structures d'addictologie et allouer des financements pérennes à leurs actions, notamment en vue de la mise en oeuvre des injonctions judiciaires de soins.

B. COMMUNIQUER POUR ÉVITER L'ENTRÉE DES JEUNES DANS LE TRAFIC

La cheffe de l'Ofast, Stéphanie Cherbonnier, l'a souligné lors de son audition : « Il nous faudra démontrer que l'entrée dans ces trafics n'est pas quelque chose de positif, qu'il ne s'agit pas d'une solution de vie et que l'ascension sociale ne peut pas s'effectuer par le crime ». Nombre d'élus, de membres des forces de l'ordre ont confirmé à la commission d'enquête que la partie ne sera pas facile.

1. Un véritable contre-modèle dans les quartiers touchés par le trafic

La commission d'enquête a eu connaissance d'informations faisant état d'un véritable contre-modèle dans certains quartiers où les délinquants les plus en vue sont devenus des notables, voire des modèles de réussite pour les plus jeunes. Employeurs, investisseurs dans les commerces de proximité, ils acquièrent une véritable influence sociale. Une partie est allée s'installer à Dubaï ou au Maghreb, ce qui ne les empêche pas de conserver une aura entretenue par les réseaux sociaux.

Cette influence facilite le recrutement dès l'adolescence des guetteurs ou « choufs », fascinés par la perspective d'une ascension rapide et par un salaire journalier très attractif - jusqu'à 200 euros par jour - dépensé dans une consommation ostentatoire qui matérialise une forme de réussite. Ce processus est décrit en détail dans la première partie du rapport.

Les élus assistent, atterrés, à ce phénomène, tout en manifestant une certaine compréhension pour le comportement de ces jeunes. Michel-Ange Jérémie, maire de Sinnamary et président de l'Association des maires de Guyane, décrit ainsi le parcours des adolescents qui font les « mules » pour les trafiquants : « Si, au départ, ces jeunes ont commencé à trafiquer pour aider leurs parents, la pratique s'est maintenant vulgarisée. Comment résister quand on est issu d'une famille indigente et que l'on voit son grand frère arriver avec une voiture neuve ou des chemises de luxe ? »979(*).

Il est pourtant avéré que ce modèle a tout du miroir aux alouettes : les guetteurs sont piégés par la « création de dette » décrite par de nombreux policiers et magistrats, qui consiste à mettre en défaut le jeune d'une manière ou d'une autre, pour ne plus lui verser son salaire et/ou le forcer à rester dans le réseau. Elle s'accompagne souvent, par surcroît, d'une extrême violence, exercée contre ceux qui avaient le tort d'être là au moment où la descente de police a interrompu le trafic quelques heures, ou qui ont commis une faute réelle ou imaginaire (voir supra).

La commission d'enquête estime, en conséquence, qu'un travail de fond doit être fait pour exposer la réalité sordide du narcotrafic, en priorité dans les quartiers où celui-ci est déjà implanté et où les trafiquants ciblent les enfants dès le plus jeune âge pour en faire des « petites mains ». Ses auditions et déplacements ont mis au jour un système tout aussi redoutable que révoltant, dans lequel les plus vulnérables (ceux des familles les plus pauvres et les plus isolées, en particulier ou, plus tard, ceux qui sont en décrochage scolaire voire en situation de handicap) sont repérés dès l'enfance : d'abord sollicités pour de petits achats alimentaires par les dealers, qui les autorisent en contrepartie à garder la monnaie (d'où l'appellation de « chef canette » ou de « chef kebab » fréquemment employée pour décrire ces jeunes enfants, qui n'ont parfois pas plus de 7 ou 8 ans), ils se voient ensuite demander de transporter, contre rémunération, des sacs dont ils ne connaissent pas le contenu, ce qui est le premier pas de leur implication dans le trafic puisqu'ils convoient ainsi des produits stupéfiants ou de l'argent liquide ; ils sont ensuite sollicités pour devenir « choufs », le réseau leur faisant alors comprendre qu'ils sont déjà trop impliqués pour reculer.

Au cours de ses déplacements, la commission d'enquête a entendu évoquer des cas plus pervers encore, dans lesquels des dealers venaient défendre des jeunes adolescents harcelés par leurs camarades de classe pour revenir ensuite les voir, quelques années plus tard, en demandant que le « service » du passé leur soit rendu par une contribution au trafic. En Seine-Saint-Denis, les représentants de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ont aussi pointé l'influence des oeuvres de fiction qui, par l'image favorable qu'elles donnent des dealers, contribuent à en faire des figures « repère » pour des jeunes en difficulté, notamment lorsqu'ils viennent d'un milieu familial complexe - la perte de lien avec l'école, dont les trafiquants sont informés par la rumeur publique, étant souvent l'élément déclencheur de la bascule vers le trafic.

Il faut que l'État tienne un discours clair : le « recrutement » des jeunes par les réseaux est celui de prédateurs qui n'ont cure des intérêts de leurs proies et qui les exploiteront de manière impitoyable. Ils les condamneront à une vie de violences et de domination dans laquelle ils n'hésiteront pas à faire usage de la pire des barbaries et pousseront l'ignominie jusqu'à faire la publicité sur les réseaux sociaux des tortures infligées aux jeunes pour maintenir un climat de terreur dans l'ensemble du réseau et auprès de la concurrence.

Il importe de saluer la pertinence de ces initiatives ; elles restent toutefois encore trop limitées et doivent passer au niveau supérieur.

Ainsi, le message visant à dissuader les jeunes d'entrer dans les trafics doit être clairement passé et répété jusqu'à s'imposer dans l'esprit de tous. L'enjeu est de contrebalancer l'image « positive » que les médias véhiculent parfois, notamment lorsqu'ils présentent les trafiquants comme des hommes puissants, riches et respectés, presque comme des protecteurs auprès d'une communauté ou d'un quartier. Il faut le marteler : les trafiquants ne sont ni respectables, ni enviables, ni même courageux ; ils sont des lâches qui exploitent les plus faibles et font commerce de la misère humaine, et la fin de leur parcours ne saurait être que la prison et la confiscation des fruits du trafic.

2. Des initiatives en milieu scolaire à structurer

Face au trafic de drogue, les élus locaux et l'éducation nationale ne baissent pas les bras. Beaucoup d'actions sont menées au niveau local pour éviter la tombée dans le trafic. C'est le cas à Grenoble, dont le maire, Éric Piolle, a présenté à la commission « des actions de sensibilisation au niveau des collèges, en lien avec la police municipale, à un moment où le risque d'emprunter la voie de l'argent facile, encouragé par l'aspiration à la reconnaissance sociale et par le désir d'appartenir à un groupe, est fort » ; malheureusement, « ce travail est conduit avec des moyens très réduits, les sources de financement de l'éducation populaire s'étant taries »980(*).

C'est à Marseille que les initiatives en ce sens se sont le plus structurées. Selon Véronique Blua, directrice académique adjointe des services départementaux de l'éducation nationale981(*), les actions de prévention ont été réorientées de l'usage vers l'entrée dans les trafics. Elles sont menées par l'unité de prévention urbaine, une spécificité marseillaise, constituée de policiers et d'anciens policiers spécialisés dans les actions de prévention. L'Éducation nationale agit même dès le primaire avec les centres de loisirs jeunes - des centres de loisirs encadrés par la police nationale destinés à changer l'image des forces de l'ordre.

Mais l'échelle de ces actions reste modeste, et surtout, comme l'a reconnu Jean-Yves Bessol, directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) des Bouches-du-Rhône, tout ne se joue pas à l'école qui représente moins de 10 % du temps annuel d'un élève. D'où l'idée des internats d'excellence982(*), qui permettent une prise en charge permanente : les jeunes marseillais sont envoyés dans les départements voisins où les places ne sont pas intégralement utilisées.

Il existe d'autres initiatives sur le territoire, notamment Limit's, une action de formation des acteurs de terrain pour prévenir l'entrée des jeunes dans le trafic, financée par la Mildeca et expérimentée à Loos, Lille et Sarcelles983(*).

Un exemple d'expérimentation pour lutter contre l'entrée dans les trafics : le programme Limit's

Extraits de l'audition de Célia Bobet, chargée de mission « police » au sein de la Mildeca

« L'expérimentation qui vise à prévenir la participation des jeunes au trafic de stupéfiants s'appelle Limit's. En 2020, nous avons constaté l'implication croissante et très préoccupante des plus jeunes, de 13 à 16 ans, comme petites mains, qu'on appelle les intérimaires du point de deal. Nous voulions intervenir en amont, dans le cadre d'une prévention primaire, en identifiant les leviers qui conduisent un jeune à vouloir participer à ce trafic, au-delà de la simple quête de l'argent facile.

« L'expérimentation a été élaborée avec trois territoires directement concernés et les acteurs locaux impliqués au quotidien sur ces questions : on a d'abord travaillé avec la ville de Loos, à côté de Lille ; Lille a voulu rejoindre l'expérimentation l'année suivante ; puis Sarcelles.

« Nous avons travaillé sur les leviers que nous avions identifiés avec des chercheurs, avec des spécialistes dans la prévention. Les programmes de compétences psychosociales qui pouvaient être mis en place à l'école sur le long terme auprès des plus jeunes, c'est-à-dire les élèves de CM1, CM2, de sixième ou de cinquième, sont apparus comme des leviers intéressants pour prévenir non seulement la consommation, mais aussi la délinquance, comme aux États-Unis.

« Pour ce faire, nous avons décidé de mobiliser les parents. On parle des quartiers les plus touchés, pour lesquels le trafic est presque conçu comme une activité quotidienne. Quand un gamin de 10-12 ans voit dans son immeuble des gens qui participent à ces trafics, il faut faire en sorte que ce ne soit pas conçu comme une activité banale et quotidienne, comme une activité comme une autre, mais une activité illicite et dangereuse à plusieurs égards. Il s'agit donc d'accompagner la parentalité sur ces questions. À Lille, nous avons mis en place plusieurs ateliers de mères - elles sont généralement les plus mobilisées et ont souvent un certain sentiment d'impuissance et de manque d'autorité sur leur enfant - pour partager les expériences, mais nous leur avons aussi proposé des programmes plus structurés d'accompagnement de la parentalité : au-delà des programmes de renforcement des compétences psychosociales (CPS), je pense au programme de soutien aux familles et à la parentalité (PSFP), par exemple.

« Le troisième volet du programme consiste à travailler auprès des jeunes sur les idées reçues sur les trafics pour les déconstruire : ce serait de l'argent facile, rapide ; cela n'impacterait qu'eux et ils seraient maîtres de leur destin ; ce serait sans conséquence et cela pourrait être un simple passage pour gagner de l'argent. Dans cette perspective, on a élaboré des capsules vidéo de sensibilisation avec des jeunes de Sarcelles et un réalisateur sarcellois pour travailler sur l'impact que ces trafics peuvent avoir sur les parents. Ce levier est intéressant, car s'ils ne craignent pas de se mettre en danger, ils peuvent prendre conscience de l'impact que cela peut avoir sur leur famille, sur leur mère qui est inquiète, sur leurs proches. Ces outils de prévention sont disponibles pour les professeurs et les travailleurs sociaux, afin qu'ils déconstruisent en partie ces mythes et engagent des discussions. [...]

« Enfin, nous proposons des alternatives en montrant que le deal n'est pas une voie normale. Nous avons proposé, notamment à Sarcelles, des « journées d'ouverture des possibles » avec différents métiers, du plus qualifié au moins qualifié, présentés par des personnes qui avaient estimé réussir leur vie. »

Source : audition de la Mildeca, 11 décembre 2023.

Cependant, ces actions restent pour le moment en ordre trop dispersé pour avoir un effet à la hauteur de la menace - d'autant qu'elles sont financées par la Mildeca dont le budget est inférieur à 20 millions d'euros, ce qui interdit un passage à l'échelle sur l'ensemble du territoire. Là encore, les pouvoirs publics sont confrontés à la dissymétrie de moyens avec les trafiquants.

Recommandation n° 35 de la commission d'enquête : empêcher l'entrée des plus jeunes dans le trafic

· Contrer, par des campagnes ciblées, le récit mis en place par les trafiquants dans les quartiers les plus touchés ;

· Structurer les initiatives menées sur le territoire en milieu scolaire ;

· Envisager le développement des internats d'excellence pour le public spécifique des adolescents exposés au narcotrafic.

EXAMEN EN COMMISSION

(Mardi 7 mai 2024)

M. Jérôme Durain, président. - Nous procédons aujourd'hui à l'examen du projet de rapport de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier.

Je tiens tout d'abord à remercier chaleureusement l'ensemble des membres de cette commission pour leur disponibilité, chacun s'étant investi dans la mesure de ses possibilités compte tenu d'un calendrier de travail assez particulier depuis le mois de novembre.

Nous avons mené un travail pluraliste, animé par la recherche du consensus et du pragmatisme, en essayant de nous tenir à l'écart de mauvaises controverses sur un sujet complexe et de mener notre mission dans des conditions propices à l'analyse et la réflexion.

Nos travaux ont été très suivis par la presse et le grand public : plusieurs vidéos d'auditions ont dépassé les 300 000 vues sur YouTube et, sur Instagram, un extrait de l'audition d'Alain Bauer a été vu à ce jour plus de 400 000 fois.

Au total, nous avons mené 73 auditions, entendu 175 personnes et effectué plusieurs déplacements, notamment en Seine-Saint-Denis, au Havre, à Verdun, à Commercy, à Valence, à Dijon, au Creusot, à Lyon, à Marseille et à Anvers.

Le droit de communication a été largement exercé. Ainsi, plus de 2 500 pièces ont été reçues de la part d'une centaine d'administrations, de juridictions, d'associations, d'acteurs privés ou de personnes entendues, majoritairement sur la demande du rapporteur, parfois sous la forme d'un envoi spontané.

Les contacts avec les cabinets ministériels et certaines administrations n'ont pas toujours été simples, mais nous avons réussi à faire valoir les prérogatives que l'ordonnance de 1958 confie aux rapporteurs des commissions d'enquête. Certaines des pièces obtenues ont constitué des apports substantiels aux travaux de notre commission, notamment sur l'état du narcotrafic en outre-mer et sur l'action de notre pays en Europe et à l'international.

Il me revient de vous rappeler les règles de procédure applicables à la présente réunion. Il a été demandé aux membres de la commission de déposer leurs téléphones portables à l'extérieur de la salle pour préserver la parfaite confidentialité de nos échanges et, surtout, du contenu du rapport. Il est du devoir de chacun d'entre vous de contribuer au secret de nos travaux jusqu'à la publication de nos conclusions. Ces règles strictes permettent de ne pas risquer de voir le contenu de nos réflexions divulgué de manière anticipée.

Le rapport est sous embargo strict pendant vingt-quatre heures. Durant cette période, il ne peut être consulté qu'aux fins de solliciter la réunion du Sénat en comité secret, c'est-à-dire une réunion à huis clos pour statuer sur la publication ou la non-publication de l'ensemble du texte ou de certains passages.

Notre rapport sera publié le 14 mai prochain, date à laquelle les résultats de nos travaux seront présentés en conférence de presse. D'ici là, rien ne doit filtrer à l'extérieur, ce qui proscrit toute communication à la presse, à des tiers ou sur les réseaux sociaux.

Tous ceux qui contreviendraient à cette règle s'exposeraient à des sanctions fondées non seulement sur notre règlement - le président Larcher a rappelé à plusieurs reprises l'interdiction absolue d'une publicité anticipée, même de quelques minutes, sur les rapports ou les conclusions des commissions d'enquête -, mais aussi sur le code pénal, dont l'article 226-13 prévoit des peines d'emprisonnement en cas de divulgation dans les vingt-cinq ans, voire dans les cinquante ans, de toute information relative à une partie non publique des travaux d'une commission d'enquête.

Veillons à respecter ces règles, pour des raisons à la fois juridiques et institutionnelles. En effet, les fuites amoindriraient la portée de nos travaux.

La consultation du rapport a eu lieu au cours de la semaine du 29 avril. Des exemplaires numérotés et nominatifs vous ont été distribués contre émargement ; il vous sera demandé de les restituer à la fin de la réunion.

Après l'exposé du contenu du rapport, je céderai la parole à ceux d'entre vous qui souhaiteraient s'exprimer pour un propos liminaire. Nous procéderons ensuite à l'examen des propositions de modification qui ont été déposées la semaine dernière. Elles ont été distribuées sous la forme d'une liasse, avec un ordre de numérotation et d'examen correspondant à celui de leur insertion projetée au sein du rapport.

Après le vote sur ces propositions, nous voterons sur les recommandations, puis sur le titre du rapport. Nous voterons enfin sur son adoption et sa publication.

Il est possible pour les groupes politiques de présenter une contribution qui sera annexée au rapport ; elle doit être d'une longueur raisonnable. Le délai limite pour leur dépôt est fixé au 10 mai, à 12 heures.

Enfin, je vous propose que le compte rendu de la présente réunion soit, lui aussi, annexé au rapport de la commission d'enquête.

Il en est ainsi décidé.

M. Étienne Blanc, rapporteur. - Le fructueux travail que nous avons accompli au sein de cette commission a abouti à l'élaboration d'un rapport, que nous avons proposé d'intituler « Un nécessaire sursaut : sortir du piège du narcotrafic ».

Nous considérons que la France se trouve aujourd'hui dans une situation particulièrement préoccupante compte tenu du développement du narcotrafic. En tout cas, elle fait face à un risque majeur, ce qui implique un sursaut. Désormais, les narcotrafiquants sont organisés et puissants : de fait, ils tendent à la République un certain nombre de pièges, dont les médias se font régulièrement l'écho. Cela appelle des réactions de la part de nos institutions.

Le rapport vise tout d'abord à faire prendre la mesure d'une réalité : aujourd'hui, notre pays est submergé par le narcotrafic. Nous avons tenu à utiliser le terme de « submersion », eu égard à l'importance des quantités de drogue qui déferlent sur le territoire hexagonal, mais aussi, et surtout, dans les Antilles et en Guyane.

Ma première observation porte sur l'état du narcotrafic dans le monde, qui évolue constamment. La production mondiale de drogue est très importante : je pense au cannabis, mais aussi à la cocaïne, dont la production augmente de façon considérable. On observe également une production grandissante de drogues de synthèse, dont la consommation provoque de graves problèmes de santé.

Hélas, on fabrique de plus en plus de drogues de synthèse en Europe. Les cartes présentées dans notre rapport montrent la densité très importante de laboratoires produisant de telles drogues en Europe de l'Est ainsi qu'en Belgique et aux Pays-Bas ; or certains de ces produits sont particulièrement dangereux, comme le PTC, ou « pète ton crâne », et la cocaïne rose, qui se révèle être un véritable fléau.

Ma deuxième observation concerne les routes du narcotrafic. Comment les drogues sont-elles acheminées jusque chez nous ? Les moyens de transport sont divers : sous-marins en provenance d'Amérique du Sud, développement du transport aérien, usage de voies maritimes et terrestres. Lorsqu'on réussit à contraindre, freiner ou supprimer l'accès au territoire européen par un certain nombre de routes établies, les réseaux de narcotrafiquants, qui font preuve d'une créativité permanente en la matière, trouvent immédiatement une échappatoire.

Bien sûr, les routes les plus importantes sont identifiées : elles passent par l'Afrique de l'Ouest et les territoires d'outre-mer, lesquels sont devenus des zones de rebond. En Amérique du Sud, la mise en place de procédures extrêmement contraignantes de lutte contre le narcotrafic, notamment depuis le Suriname, a entraîné des reports de trafics en Guyane. Lorsque nous avons nous-mêmes imposé des contrôles drastiques dans les aéroports de ce territoire, le trafic s'est mécaniquement reporté en Guadeloupe et en Martinique.

Ma troisième observation a trait à la mobilité des trafiquants eux-mêmes, au-delà de celle des produits et de la versatilité des voies d'accès. Ces derniers profitent pleinement de la mondialisation des échanges. Ils sont à la tête d'un système purement libéral : ils ont créé des entreprises qui, comme toutes les autres, produisent des biens destinés à être consommés. Entre les producteurs, les consommateurs et les organisateurs de ces entreprises, il existe toute une série d'intermédiaires et de prestations de services.

Les entreprises du narcotrafic exploitent le régime libéral et capitaliste. Elles pratiquent une forme de taylorisme, conduisant à identifier les éléments constitutifs du fonctionnement de l'entreprise - transport, transformation, distribution, etc. - pour, ensuite, rechercher à tout crin une maximisation de la rentabilité. Les structures créées par les narcotrafiquants s'inscrivent dans un business de la mondialisation. Les réseaux internationaux - par exemple albanais, marocains et brésiliens - contribuent à l'organisation de ces entreprises sur l'ensemble de la planète.

Une telle mobilité est favorisée par la possibilité qu'ont les trafiquants de s'installer ou de placer leurs avoirs sans crainte dans un certain nombre de pays bien identifiés, comme le Maroc, dans certaines villes comme Marbella ou dans l'émirat de Dubaï, où ils se sentent protégés. Dans ces lieux, ils échangent entre eux, perfectionnent leurs entreprises, mutualisent les prestations et améliorent les performances financières des réseaux de trafic.

Ma quatrième observation est la suivante : ces organisations ont un caractère absolument impitoyable. Je le disais, il s'agit de créer une entreprise capitaliste, de produire, d'approvisionner, de vendre, de pratiquer le taylorisme, la sous-traitance et parfois même la délocalisation.

Cette observation qui porte sur le trafic à l'échelle mondiale est tout aussi frappante lorsqu'on analyse l'évolution du narcotrafic sur le territoire français ; dans le monde comme sur notre territoire, on assiste à l'explosion de la violence et de la corruption au service de l'augmentation du chiffre d'affaires. Cette violence n'a aujourd'hui plus de limites : on peut prendre l'exemple de la Mocro Maffia qui, s'étant installée en Belgique et aux Pays-Bas, menace les plus hautes autorités de l'État, comme des membres du gouvernement ou les familles royales, et commet des crimes de sang contre des avocats ou des journalistes.

Bref, nous avons affaire à un système économique très performant, protégé par une violence atteignant des niveaux que nous ne connaissions pas jusqu'à présent. Les entreprises de narcotrafic, contrairement à celles du secteur économique classique, ont une très grande capacité d'adaptation : elles s'affranchissent de toute réglementation, de toute loi ; elles ont une liberté absolue. C'est en s'appuyant sur la violence qu'elles développent des activités rentables.

Ma cinquième observation concerne les opérations de blanchiment tentaculaire auxquelles les entreprises de narcotrafic se livrent au moyen d'un vaste éventail de procédés. La première étape, parfaitement identifiée, est celle de la réutilisation directe des fonds, sans passer par le blanchiment. En France, le chiffre d'affaires estimé du narcotrafic s'établit entre 3,5 et 6 milliards d'euros. Il est essentiellement constitué de petits achats quotidiens réalisés avec de petites coupures. Or ces masses d'argent très importantes sont parfois réinjectées directement dans l'économie, moyennant des commissions et des décotes, dans des secteurs qui ont besoin de numéraire. Tel est le cas de ceux qui font appel au travail dissimulé, au titre duquel les employés sont rémunérés en espèces : c'est là un exemple de la réutilisation immédiate du produit du narcotrafic.

Nous avons également étudié ce que nous avons appelé le « blanchiment de proximité », réalisé via les commerces locaux : coiffeurs, kebabs, ongleries, magasins de téléphonie divers, etc. Souvent, ces commerces sont ouverts au nom d'un proche ; grâce au paiement de faux loyers et de fausses factures, ils permettent de blanchir une partie du produit du narcotrafic.

Autre phénomène bien identifié : la hawala. Il s'agit d'un système très ancien qui, originellement, a permis d'échanger des marchandises et de développer le commerce dans des régions ou des secteurs particulièrement peu sûrs. Ce phénomène perdure, mais il se double aujourd'hui d'un blanchiment financier internationalisé, qui utilise les dispositifs classiques de fraude et s'appuie sur des intermédiaires peu scrupuleux, souvent installés dans des paradis fiscaux, et des cryptoactifs.

Il reste un certain nombre d'incertitudes quant au lien entre le narcotrafic et le terrorisme. Le ministre de l'économie et des finances a affirmé devant notre commission que ce lien était bien réel. Toutefois, lorsque nous lui avons posé des questions plus précises, il s'est montré moins affirmatif...

Il est certain que nous devons rester vigilants. Entre terrorisme et narcotrafic, il existe sans doute une communauté d'intérêts pour un certain nombre de filiales, mais ces liens restent en France opportunistes, involontaires et fortuits. Nous savons que les narcotrafiquants s'appuient sur les réseaux d'armes pour assurer leurs activités : sont-ce les mêmes réseaux qui alimentent le terrorisme ?

Notre rapport révèle que la France se trouve dans le piège du narcotrafic ; elle est « en overdose ». Longtemps, nous avons pensé que le narcotrafic était organisé autour de spécialités et de savoir-faire propres aux pays étrangers, notamment sud-américains. Ainsi, nous estimions que la France ou l'Europe ne pouvaient pas connaître le même phénomène.

La réalité est bien différente : aujourd'hui, des groupes dangereux se sont organisés sur le territoire national, qu'ils occupent entièrement - métropoles, villes moyennes et zones rurales. Nous avons repéré un certain nombre de points chauds, comme notamment les outre-mer et les ports, à l'instar de celui du Havre, où transitent les produits en provenance d'Amérique du Sud.

À une autre échelle, aux points de deal s'ajoutent des centres d'appel, relevant d'une organisation locale et nationale particulièrement performante. Nous sommes passés de la tournée de lait ou de pain que connaissaient nos campagnes à la « tournée de deal ». Je le répète, ces phénomènes se sont accompagnés d'un développement considérable des violences et de la corruption.

Nous avons particulièrement insisté sur les outre-mer, qui sont devenus une zone de rebond. Situés aux portes de l'Europe, ce sont des lieux de transit et de stockage où les réseaux mafieux se développent. Comme dans l'Hexagone, les trafiquants usent de la violence : la population locale en souffre ; elle se sent submergée, et même abandonnée. L'Europe se protège en érigeant des barrières : dès lors, les produits stupéfiants stagnent dans les outre-mer, où ils sont gérés, surveillés et financés, ce qui engendre une situation dramatique.

Par ailleurs, nous avons beaucoup parlé de l'ubérisation du narcotrafic. Les trafiquants s'adaptent à la répression - là encore, ils font preuve d'une très grande mobilité. Pour y parvenir, ils procèdent à des recrutements de mineurs qui complexifient l'action des services répressifs. Il s'agit parfois de mineurs étrangers, qui se retrouvent exploités et victimes de violences insupportables. Comme dans toute entreprise fonctionnelle et moderne, le travail se fait à flux tendu, sans stockage de produit ni d'argent. La drogue, acheminée en petites quantités, est immédiatement vendue ; le produit disparaît aussi rapidement qu'il est arrivé dans les poches des dealers.

Les violences que nous observons sont graves et sans limites. Elles résultent de rivalités entre territoires et de pratiques de vol entre entreprises de narcotrafic concurrentes : dans un port, il arrive qu'une équipe vienne capter une marchandise acheminée pour le compte d'une autre.

On estime entre 80 et 90 % le nombre de règlements de comptes découlant du narcotrafic. En réalité, on repère peu de violences entre les têtes de réseaux, mais on en dénombre beaucoup au sein même des réseaux, entre « moyens couteaux » rivaux et contre tous ceux qui gênent le petit trafic au quotidien. À cet égard, on a parlé de « scènes de guerre » et de « narcoterrorisme ». Nous avons aussi mis en lumière les prises de pouvoir dans des barres d'immeubles, voire dans des quartiers entiers.

Ma sixième et dernière observation nous renvoie à une question : la prison est-elle vraiment un moyen de lutte efficace, dès lors qu'un grand nombre d'acteurs des entreprises de narcotrafic la considèrent désormais comme un simple risque du métier ? Pire encore, les trafiquants peuvent continuer à exploiter leur entreprise depuis leur cellule, au travers de moyens de communication avec l'extérieur, comme l'ont confirmé de nombreuses auditions.

M. Jérôme Durain, président. - J'appelle votre attention sur différents points qui sont autant de failles de la réponse publique au narcotrafic. Notre rapport reprend une expression utilisée à de nombreuses reprises par les personnes entendues : le sentiment éprouvé est celui de « vider l'océan à la petite cuillère ».

Premier point : sur le terrain, nous observons une mobilisation de tous les instants d'un certain nombre d'acteurs - policiers, gendarmes et douaniers -, mais des failles béantes persistent dans notre dispositif répressif, d'abord au niveau de la coopération internationale.

Face à un narcotrafic mondialisé, la coopération entre États a pris du retard et l'état actuel du droit international ne permet pas de contraindre les pays qui se montrent non coopératifs. Bien sûr, nous disposons de magistrats de liaison, d'attachés douaniers et d'attachés de sécurité intérieure qui font vivre les coopérations judiciaire, douanière et policière. Malgré quelques réussites - je pense au cas de la Colombie -, des blocages subsistent avec certains interlocuteurs, comme le Maroc et Dubaï.

Europol et Eurojust sont des éléments satisfaisants de l'architecture institutionnelle de l'Union européenne, sans oublier le succès qu'a constitué le démantèlement des plateformes de communications cryptées EncroChat et Sky ECC. Reste que nous devons parfaire un certain nombre d'éléments. Le cadre législatif européen, dans certains de ses aspects, obère la coopération et reste assez contraignant ; je pense à la question de l'accès aux données de connexion. Quant au paquet européen destiné à améliorer le recueil de preuves sur les grandes plateformes numériques, il n'entrera en vigueur qu'en 2026, ce qui laisse aux trafiquants le temps de s'organiser.

Deuxième point : les territoires d'outre-mer nous semblent être « abandonnés » par l'État. C'est là une formule un peu brutale, mais étayée par les faits. Nous ne nous sommes pas rendus en outre-mer, faute de temps, mais nous savons que la dégradation de la situation sécuritaire en Guyane et aux Antilles ne date pas d'hier.

Le plan d'action interministériel de lutte contre le phénomène des « mules », lancé en 2019, est loin d'avoir produit les effets escomptés. Il y a à cela des raisons liées aux moyens humains : l'augmentation des effectifs de douaniers et de magistrats en poste dans les outre-mer ne suffit pas à faire face à l'intensification du trafic de stupéfiants et à la violence qui en découle. Ce sous-dimensionnement ne permet ni d'exploiter l'ensemble des renseignements disponibles, ni d'absorber la charge des investigations induites, ni de lutter contre la délinquance économique et financière liée au trafic de stupéfiants.

De même, les moyens techniques sont notoirement insuffisants, tant en matière d'enquête que de surveillance. À titre d'illustration, l'aéroport international Félix Éboué, en Guyane, n'a été que très récemment doté d'équipements de base pour assurer les contrôles, à savoir les scanners à rayons X pour les bagages et les scanners à ondes millimétriques destinés à déceler les drogues transportées sous les vêtements. Quant aux aéroports antillais, ils ne disposent toujours pas de tels équipements.

Cela pose un véritable problème, car jusqu'à la moitié des passagers d'un vol en provenance de Guyane peuvent être des passeurs. Sur cet aspect de la répression, nous avons vingt ans de retard par rapport aux Pays-Bas et leur « 100 % contrôle ».

Par ailleurs, nous déplorons l'efficacité insuffisante du démantèlement des filières. La lutte contre l'embolisation des services en outre-mer, celle-ci étant réelle, se fait peut-être au détriment de procédures plus longues. Du reste, notre politique répressive est davantage tournée vers la protection de l'Hexagone que des outre-mer, justifiant ainsi le sentiment d'abandon des habitants, des élus et de la chaîne pénale dans ces territoires.

Troisième point : au-delà de la situation spécifique des outre-mer, les services en charge de la lutte contre le narcotrafic sont pleinement mobilisés et investis, mais ils sont négligés et sous-dotés.

L'augmentation des effectifs dans les services de sécurité intérieure n'est pas en adéquation avec le niveau du narcotrafic, désormais présent dans l'ensemble des territoires. Les services sont engorgés par les opérations sur la voie publique, au détriment du démantèlement des réseaux.

Il existe aussi des difficultés d'ordre technique : les trafiquants profitent pleinement des nouvelles technologies, en particulier des réseaux cryptés, alors que les services d'enquête accusent un retard technologique. Ce décalage, inquiétant et significatif, marque un écart entre le discours du ministère de l'intérieur sur les techniques spéciales d'enquête - géolocalisation et interception des télécommunications - et la réalité du terrain, où l'on déplore le manque net de matériel sophistiqué comme les keyloggers.

Concernant les moyens humains, on constate une perte d'attractivité de la filière investigation, ce qui nourrit la plus grande inquiétude pour la lutte contre le narcotrafic, d'autant que la réforme de la police judiciaire pourrait aggraver la désaffection des policiers pour l'enquête.

À ces failles matérielles s'ajoute un sujet juridique : une grande partie des hommes et des femmes quotidiennement engagés sur le terrain dans la lutte contre le narcotrafic sont davantage préoccupés par leur sécurité juridique que par leur propre intégrité physique. Le cadre actuel de la gestion des sources, du recours aux collaborateurs de justice - c'est-à-dire les repentis -, des enquêtes sous pseudonyme et des infiltrations sont autant de sources d'insécurité ou d'entrave à l'action des policiers et des gendarmes.

Faute de moyens, en concentrant l'action sur le bas du spectre, on ne se permet pas de toucher les têtes de réseau. On aboutit ainsi à une saturation liée au traitement des « petites mains » interpellées dans le cadre des opérations menées sur la voie publique, telles que les opérations « place nette ».

Enfin, des difficultés concernent les douanes, celles-là mêmes qui se trouvent en première ligne pour appréhender deux caractéristiques du narcotrafic : sa matérialité et sa territorialité. Les effectifs demeurent insuffisants dans les ports et les aéroports ; nous appelons particulièrement l'attention sur la question des ports secondaires, vers lesquels les flux commencent à se reporter en réaction à la sécurisation des grandes infrastructures.

S'agissant de l'autorité judiciaire, nous faisons le même constat : celui d'une faiblesse des moyens matériels et humains. Les renforts sont obsolètes dès le moment où ils sont annoncés ; cela a été très bien documenté à Marseille. Certes, les moyens sont réévalués, mais, parallèlement, le nombre de dossiers en stock liés à la criminalité organisée s'est accru de 21 % et le nombre de règlements de comptes de 91 % entre 2022 et 2023 ! Cela conduit à des situations peu admissibles : à Valence par exemple, faute d'effectifs suffisants et de temps d'audience disponible en cour d'assises, des violences assimilables à des actes de barbarie sont traitées en comparution immédiate.

Dans notre rapport, nous avons évidemment parlé des opérations « place nette XXL » car elles sont la dernière déclinaison de la stratégie de « harcèlement » des points de deal lancée par le Gouvernement en 2019. S'agit-il de simples outils d'ordre public ou doit-on y voir la pierre angulaire de la lutte contre le narcotrafic ? Ces opérations permettent-elles réellement de démanteler les réseaux ou conduisent-elles seulement à appréhender les « petites mains » du trafic ?

Les résultats chiffrés paraissent très limités : les saisies de drogue autre que le cannabis sont très faibles - moins de 40 kilogrammes de cocaïne - et à peine quelques millions d'euros ont été interceptés, alors que 50 000 gendarmes et policiers étaient mobilisés. Les résultats des opérations « place nette XXL » ne sont pas meilleurs, avec à peine 18 kilogrammes de cocaïne saisis.

Les résultats judiciaires sont particulièrement décevants : seules 728 personnes ont été déférées dans le cadre d'opérations qui concernaient des cibles judiciaires pré-identifiées ou des cas de flagrance. Notre rapport révèle que les parquets n'ont pas été associés aux lancements des opérations « place nette », ce qui explique bien des choses. La commission d'enquête a surtout montré que ces dernières étaient moins efficaces que les opérations dites « de pilonnage » qui, en 2023, avaient permis de saisir 425 kilogrammes de cocaïne, 1 268 armes et 13,7 millions d'euros d'avoirs criminels.

Autre question importante, le démantèlement des points de deal se traduit par un report vers d'autres formes de trafics encore plus difficiles à détecter : commandes par messageries cryptées, livraisons postales, « Uber shit » et « Uber coke », etc. Cela pose la question de l'articulation entre les opérations menées et les enquêtes judiciaires et patrimoniales, qui nous semblent être les seules à même de remonter une filière et de faire durablement tomber les réseaux.

Quatrième point : les règles de droit laissent des failles dont profitent les narcotrafiquants. Je citerai, en matière juridique, l'exposition des méthodes d'intervention des services répressifs les plus sensibles aux trafiquants grâce à une utilisation dévoyée du principe du contradictoire ; le périmètre incomplet des règles dérogatoires applicables aux infractions de la criminalité organisée ; le caractère inabouti de la spécialisation et de la professionnalisation de la chaîne pénale en matière de crime organisé ; l'utilisation dolosive de certaines règles du code de procédure pénale.

Je tiens à insister sur la nécessité de lutter contre le narcotrafic en prison. Notre système carcéral ne permet pas un traitement spécifique des narcotrafiquants incarcérés. Alors que de nombreux téléphones circulent en prison, les dispositifs de brouillage demeurent imparfaits, sans que l'on sache si ces difficultés tiennent à de réels obstacles techniques ou à une volonté d'acheter la paix civile. En tout état de cause, il faudra remédier à cette situation.

La corruption, enfin, est difficile à détecter autant qu'à réprimer. Si nous avons constaté que ce phénomène prenait de l'ampleur, il est à la fois difficile à estimer et peu documenté, notamment dans les administrations généralistes, si bien que la France a pris du retard dans la répression de la compromission de ses agents publics et privés.

Cinquième point : l'organisation et le droit sont inadaptés à la réalité d'un blanchiment endémique. Je suis convaincu que la lutte contre les flux financiers issus du trafic de stupéfiants et la confiscation des avoirs criminels constituent le nerf de la guerre. Or les saisies et les confiscations demeurent trop peu nombreuses, et à la fin des travaux de cette commission, nous constatons que, si différentes opérations « écrans » sont bien identifiées - acquisition de sociétés locales, travail dissimulé, mise à disposition de prête-noms, envoi des fonds à l'étranger -, personne ne sait vraiment où va l'argent.

Il en résulte une décorrélation très forte entre le chiffre d'affaires issu du narcotrafic - estimé à 3,5 milliards d'euros en fourchette basse - et le montant des saisies liées au narcotrafic - 117 millions d'euros en 2023 pour les policiers et les gendarmes. Le Gouvernement se prive donc d'une manne qui pourrait s'élever à plusieurs centaines de millions d'euros et permettrait, notamment, de financer les politiques répressives dont nous avons besoin.

Sixième point : les acteurs sont éparpillés, « façon puzzle », au niveau central comme local. Aucune unité de commandement n'est véritablement dédiée à la lutte contre le narcotrafic. L'Office anti-stupéfiants (Ofast) ne dispose pas toujours des moyens suffisants pour assumer ce rôle. De nombreuses difficultés de coordination, d'ignorance réciproque, de chevauchement de compétences, voire de rivalités entre services nous ont été rapportées.

Nous avons également relevé le manque d'association des partenaires de terrain que sont les élus locaux ou les bailleurs sociaux et, surtout, les difficultés de positionnement de l'Ofast vis-à-vis d'autres acteurs majeurs de la lutte contre le narcotrafic, en dépit de la qualité et de la mobilisation de ses effectifs, en raison notamment de la très grande autonomie de certains de ses partenaires - comme la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED).

L'éparpillement prévaut également dans le renseignement. Si certains membres du Gouvernement nous ont indiqué qu'il était nécessaire de traiter le narcotrafic de la même manière que le terrorisme, force est de constater que le paysage du renseignement est particulièrement flou, la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) étant aux abonnés absents et les services de renseignement du premier cercle - Tracfin et la DNRED - étant paradoxalement concentrés à Bercy.

Ces discordances donnent le sentiment d'une vision d'ensemble désarticulée. Nous estimons d'ailleurs que le projet de nouveau plan national de lutte contre les stupéfiants, dit « plan stups », dont nous avons eu communication, est désincarné, car aucun acteur ne se voit assigner un rôle clair ; il est également famélique et presque en recul par rapport au « plan stups » de 2019.

M. Étienne Blanc, rapporteur. - Dans la troisième partie du rapport sont formulées 35 propositions, découlant des trois orientations prioritaires que nous avons retenues : donner un rôle clair à chaque acteur en identifiant des chefs de file pour éviter les redondances, adapter la procédure pénale à l'ingéniosité des criminels et lutter contre la corruption qui pervertit les fondements mêmes de la puissance publique - étant rappelé que ces axes sont financés grâce à une lutte implacable contre le blanchiment qui rapportera à l'État. Je me bornerai à indiquer les domaines d'action que nous avons identifiés.

Le premier domaine d'action est l'international avec, en particulier, une réponse de l'Europe trop lente face au narcotrafic. Nous devons faire des efforts supplémentaires, en particulier en matière d'utilisation de l'intelligence artificielle, pour traiter les données. Au regard de la quantité de données qu'emporte le décryptage de communications, il s'agit pourtant d'un outil essentiel.

L'Europe doit par ailleurs faire pression sur la Chine pour faire avancer la coopération, notamment en matière de lutte contre le blanchiment. Il nous faut également renforcer la coopération avec les États d'Amérique du Sud ainsi qu'avec Dubaï. Nous proposons également que la France se dote d'une compétence universelle, qui lui permettrait, par exemple, d'arraisonner un bateau sans avoir à obtenir l'autorisation du pays dont il bat pavillon, car certains pays, comme la Pologne, ne répondent pas à nos sollicitations.

Le Centre opérationnel d'analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants (MAOC-N) montre qu'une coopération renforcée est possible et souhaitable. En tout état de cause, il nous faut aller vers davantage de coopérations avec nos partenariats internationaux et européens.

Le deuxième domaine d'action est l'outre-mer, où les stupéfiants dont nous bloquons l'importation vers l'Hexagone produisent de véritables ravages. Nous proposons d'instaurer le contrôle à 100 % dans les aéroports de Guadeloupe, de Martinique et de Guyane et d'engager des actions spécifiques pour lutter contre le recours aux « mules », en particulier la possibilité de procéder à des interdictions de vol non plus seulement sous la forme d'une décision administrative, mais aussi sous la forme d'une décision judiciaire dont la durée pourrait être plus longue.

Le troisième domaine d'action concerne la sécurité des infrastructures portuaires, sachant qu'entre 800 et 1 000 tonnes de cocaïne sont introduites en Europe par voie maritime.

Nous proposons de constituer une « liste noire » des compagnies maritimes qui sont insuffisamment vigilantes, pour ne pas dire complices, afin de leur interdire l'accès à certains ports. Il convient également de renforcer le contrôle des conteneurs - seulement 2 à 10 % des conteneurs considérés comme « à risque » sont aujourd'hui contrôlés. Il faut pour cela disposer de davantage de scanners fixes et mobiles, mais aussi développer de nouvelles technologies, comme le repérage dans l'air des molécules de produits stupéfiants.

Le quatrième domaine d'action a trait à la remise à niveau de nos moyens d'action et de nos outils répressifs, dans l'objectif de faire de l'Ofast un outil efficace, pertinent, identifié et puissant, c'est-à-dire une sorte de DEA (Drug Enforcement Administration) à la française.

Il convient de donner à l'Ofast des moyens non seulement matériels, mais aussi organisationnels, en faisant en sorte, par exemple, qu'il n'ait plus à sous-traiter, comme il le fait aujourd'hui, la mise en oeuvre des moyens techniques sur lesquels il s'appuie. Nous proposons que l'Ofast, qui est actuellement rattaché au ministère de l'intérieur, le soit également au ministère des finances, afin de parfaire son rôle de chef de file vis-à-vis des douanes.

Les maires et élus locaux doivent également être mieux associés, car ils peuvent repérer des situations suspicieuses. Nous estimons à ce titre qu'une meilleure collaboration avec les élus locaux, comme du reste avec les bailleurs sociaux, serait utile.

J'estime enfin qu'il nous faut investir dans les techniques innovantes, notamment dans l'intelligence artificielle Au regard de la quantité de données qu'emporte le décryptage de communications, il s'agit d'un outil essentiel.

Le cinquième domaine d'action est le renseignement, auquel il importe de redonner sa juste place.

Le narcotrafic portant atteinte aux intérêts fondamentaux de l'État, un certain nombre de dispositifs dérogatoires qui se révèlent particulièrement efficaces doivent être utilisés. La DGSI, qui n'est aujourd'hui pas suffisamment mobilisée dans la lutte contre le narcotrafic, doit l'être davantage. Il nous paraît par ailleurs nécessaire que le renseignement, d'une part, et les services d'enquête et les juridictions, d'autre part, partagent leurs informations respectives.

La police et la gendarmerie souhaitent enfin qu'un grand fichier dédié soit créé, mais nous n'avons pas obtenu de renseignements suffisamment précis sur les éléments qui alimenteraient ce fichier et qui, pour certains, pourraient relever du secret de l'instruction. J'estime donc qu'il faudra examiner cette proposition avec prudence et ne pas remettre en cause la limite entre le judiciaire et le renseignement sous l'effet de ce projet, ni porter une atteinte disproportionnée aux libertés individuelles.

Nous préconisons enfin le renforcement des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross), en rendant obligatoire la participation du parquet à leurs travaux.

Le sixième domaine d'action est le droit pénal, qu'il nous faut adapter à la réalité du narcotrafic.

Il faut en particulier criminaliser l'association de malfaiteurs en vue de commettre l'une des infractions liées au narcotrafic.

Nous estimons par ailleurs qu'une partie du dossier pénal doit être protégée, de manière à ne pas révéler les technologies spécifiques utilisées par la puissance publique pour constituer des preuves. À défaut d'être soumises au contradictoire, ces parties de dossier seraient placées sous le contrôle d'un magistrat.

Il convient également d'améliorer l'encadrement des nullités de procédure. Aujourd'hui, un petit manquement formel peut faire chuter l'ensemble d'une procédure. Or la complexité du droit est telle que de nombreuses « niches » peuvent être utilisées par la défense pour entraîner la nullité d'une procédure.

Nous estimons de même qu'il faut engager une spécialisation de l'ensemble de la chaîne pénale, notamment en matière d'application des peines et de violences connexes au narcotrafic. Les trafiquants sont des délinquants très particuliers qui appellent des dispositifs adaptés.

Nous préconisons la création d'un parquet national antistupéfiants ; cela permettrait d'envoyer un message fort et de donner à la politique de lutte contre le narcotrafic une impulsion nouvelle autour de deux principes : la spécialisation et l'incarnation.

Il faut enfin améliorer la protection des informateurs. Aujourd'hui, non seulement l'informateur qui infiltre un réseau n'est pas protégé, mais l'autorité publique qui est sa donneuse d'ordre peut être accusée de complicité ; il faut mettre fin à cette situation. Nous proposons également que des civils puissent être des infiltrés, alors que ce statut est aujourd'hui réservé aux forces de l'ordre, et qu'ils puissent bénéficier d'une immunité pénale. Il convient de même d'améliorer le statut du « repenti » et d'inciter à la repentance.

Aujourd'hui, le fait, pour un adulte, d'inciter un mineur à entrer dans un réseau de narcotrafic est relativement peu poursuivi. Il convient de changer cela, notamment pour pénaliser ceux qui veulent recruter des « jobbeurs » mineurs sur les réseaux sociaux.

Le septième domaine d'action porte sur la façon d'endiguer le pouvoir contaminant du narcotrafic et de lutter contre la corruption. Il faut, en la matière, mettre en place une organisation du travail qui empêche matériellement la corruption dans la sphère publique : encourager le travail en binôme, mieux identifier les usages illégaux de fichiers, faciliter les signalements internes par les lanceurs d'alerte et diligenter des enquêtes patrimoniales régulières sur les agents les plus exposés. Nous proposons en outre d'établir une cartographie des risques.

Le huitième domaine d'action est la lutte contre le blanchiment.

On ne doit pas pouvoir vivre du produit du narcotrafic. Comme l'indiquait le juge italien Giovanni Falcone, il faut suivre l'argent pour comprendre le système. Cela suppose de renforcer le rôle pivot de Tracfin, en particulier sur le haut du spectre mais aussi sur le « milieu » de ce dernier, et, plus généralement, de mettre l'accent sur les éléments patrimoniaux et financiers dans la lutte contre le narcotrafic.

Il convient enfin de mener une bataille culturelle, c'est le neuvième et dernier domaine d'action. Si la puissance publique lutte activement contre le tabagisme et l'alcoolisme, elle n'a pas fait de la lutte contre la consommation de drogue une priorité, laissant s'installer le sentiment d'une forme de tolérance. Nous estimons au contraire qu'il convient de mener des opérations de sensibilisation, notamment chez les jeunes.

M. Jérôme Durain, président. - Je passe la parole aux commissaires qui le souhaitent pour réagir à la présentation du contenu du rapport.

Mme Marie-Arlette Carlotti. - Le titre du rapport, « Un nécessaire sursaut : sortir du piège du narcotrafic », marque notre volonté politique de voir la lutte contre le narcotrafic passer au stade supérieur. Il y va non plus seulement de la sécurité, mais de la souveraineté de notre pays.

Ce rapport a produit des effets avant même sa publication. Il a mis en lumière des faits, pourtant connus, mais trop longtemps tus. Il a permis de sortir des propositions du tiroir, comme celles qui portent sur la réforme du statut du repenti.

Je souhaitais au départ que cette commission d'enquête se concentre sur Marseille. J'avais tort, car comme vous l'indiquiez précédemment, monsieur le président, c'est toute la France qui est en overdose.

J'espère que nous pourrons travailler sur l'accompagnement des victimes, et que les actions menées pourront être coordonnées par le préfet, à défaut de quoi il ne se passera jamais rien. Guy Benarroche fera des propositions dans ce sens dans un instant.

Par ailleurs, la création du parquet national antistupéfiants emporte-t-elle la substitution d'un jury professionnel au jury populaire ?

M. Jérôme Durain, président. - Nous proposons une juridiction spécialement composée pour tous les faits liés au narcotrafic, y compris pour les violences connexes.

Mme Marie-Arlette Carlotti. - Cela me paraît s'imposer.

Le seul défaut de ce rapport est qu'il est très complet, et partant, très épais. Il nous faudra donc veiller à adapter notre communication.

J'espère que nous le voterons unanimement, et que cette unanimité sera suivie de propositions de loi et de préconisations, de sorte qu'il ne soit pas qu'un coup d'épée dans l'eau.

M. Jérôme Durain, président. - Je vous propose de passer à l'examen des propositions de modification ; les cinq premières nous sont présentées par Olivier Cadic.

M. Olivier Cadic. - La présentation qui est faite du Venezuela dans le projet de rapport me gêne quelque peu ; le changement d'ambassadeur de ce pays y est interprété comme une reconnaissance de l'élection de Nicolás Maduro. Je serais heureux si ma proposition de modification n° 1, visant à y remédier, était adoptée.

La proposition de modification n° 2 porte sur le contrôle des précurseurs chimiques de drogues de synthèse, qui proviennent essentiellement de Chine. Il convient de prendre note des annonces faites par le ministre de l'intérieur lors de son audition par la commission d'enquête. Je crains que, d'ici quelques années, on observe en Europe l'évolution constatée aux États-Unis en la matière.

La proposition de modification n° 3 vise à ajouter des précisions sur la situation politique vénézuélienne et la fermeté nécessaire face à l'inaction du gouvernement vénézuélien contre le trafic de drogue. On espérait l'an dernier que l'élection présidentielle dans ce pays rendrait Nicolás Maduro plus accommodant, mais on constate aujourd'hui qu'il persévère. Le Venezuela est considéré par beaucoup comme un narco-État ; les États-Unis offrent d'ailleurs 15 millions de dollars pour tout renseignement pouvant conduire à l'arrestation de M. Maduro.

La proposition de modification n° 4 vise à préciser que la coopération judiciaire et policière doit être développée non seulement avec la Colombie et le Venezuela, mais aussi avec l'ensemble des pays de la zone affectés par le narcotrafic. Je me rends cette semaine au Pérou et en Bolivie ; tous ces pays réclament une coopération internationale plus poussée.

Enfin, la proposition de modification n° 5 concerne le renforcement de la clause européenne dite « attrape-tout » (catch-all) pour les précurseurs chimiques, dans le prolongement de l'audition du ministre de l'intérieur. Il me semble important de faire état des propositions avancées dans ce domaine. Il est impossible d'être exhaustif au vu de la taille du problème auquel nous sommes confrontés, mais des propositions doivent être faites pour mieux lutter contre l'arrivée sur notre territoire des précurseurs chimiques.

Ces propositions de modification sont adoptées.

M. Jérôme Durain, président. - La proposition de modification n° 6 est présentée par Marie-Arlette Carlotti et Guy Benarroche.

M. Guy Benarroche. - Cette proposition de modification vise à faire figurer dans le rapport un sujet assez particulier, celui de la protection des mineurs impliqués dans le narcotrafic, de la reconnaissance de leur statut de victimes et de l'accompagnement social de leurs familles.

Nous avons rencontré des associations de familles à Marseille, qui nous ont fait des suggestions : la mise en place de cellules d'urgence dotées d'un standard téléphonique pour les mineurs engagés dans le trafic, constituées de psychologues, d'éducateurs et d'agents du ministère de la justice et chargées d'identifier et de secourir ces jeunes, ou encore la recherche de solutions de relogement pour les familles de jeunes victimes de règlements de compte ou risquant de l'être.

Les familles de ces mineurs, à la fois participants et victimes du narcotrafic, sont à l'origine de nombreuses demandes qui nous ont été adressées, surtout à Marseille, mais aussi ailleurs, dans la mesure où les homicides ont tendance à se propager au-delà de cette métropole. Il convient selon nous d'évoquer ces demandes dans le rapport, même si elles ne concernent pas des éléments fondamentaux de lutte contre le narcotrafic. Ainsi, on pourra mener des campagnes de prévention intéressantes et bien reçues dans les lieux qui souffrent du narcotrafic.

Une de ces demandes a été exclue de la présente proposition de modification : la constitution dans chaque département, à l'initiative du préfet, de comités de coordination entre familles, élus et milieux judiciaires. De telles instances existent, mais pas partout. Je la soumets à la commission de manière spécifique.

Par ailleurs, j'avais suggéré une modification relative aux tribunaux de commerce. Que contient le rapport sur ce sujet ?

M. Jérôme Durain, président. - Nous avons travaillé ensemble sur la rédaction de la présente proposition de modification qui concerne les familles de victimes de « narchomicides », que je vous propose donc d'adopter.

Concernant la deuxième proposition de M. Benarroche sur la coordination préfectorale, ces éléments n'ayant pas été évoqués lors de nos auditions ou de nos déplacements, il nous paraît difficile de les faire figurer dans le rapport, sans préjudice de leur devenir dans le débat public, ou sous la forme d'un amendement à la proposition de loi qui pourrait faire suite au rapport.

Enfin, concernant les tribunaux de commerce, il nous a semblé que le rapport était mieux-disant sur ce point. Vous pouvez par ailleurs mentionner cette réflexion dans la contribution de votre groupe.

La proposition de modification n° 6 est adoptée.

Les recommandations sont adoptées.

M. Jérôme Durain, président. - Nous en venons aux votes sur le titre retenu pour le rapport, puis sur l'ensemble de celui-ci.

M. Guy Benarroche. - Concernant le titre, le terme de « piège » laisse entendre, à mon sens, qu'on en ignore l'existence ou la nature. Or nous savons très bien ce qui se passe, nous savons ce que nous affrontons, des acteurs prêts à tout mettre en oeuvre pour continuer à tirer le meilleur profit possible du système libéral, capitaliste, très bien décrit par notre rapporteur. Il s'agit selon moi plutôt d'un défi porté à notre pays, à notre démocratie. Le terme de « défi » me semble plus adapté, moins édulcoré. Mais il s'agit d'un débat purement sémantique, qui ne m'empêchera nullement de voter ce rapport et son titre.

M. Étienne Blanc, rapporteur. - Nous avons retenu le terme de « piège » parce que, si l'on dispose d'une connaissance du narcotrafic à un instant « t », ses dispositifs n'en évoluent pas moins de manière extrêmement rapide. Là est le piège, à nos yeux : on risque de ne pas arriver à suivre ces évolutions.

M. Olivier Cadic. - Je veux féliciter notre président, notre rapporteur, et toute l'équipe qu'ils ont emmenée pour ce travail formidable, alarme nécessaire pour que chacun prenne conscience de l'ampleur du défi et de la tâche. J'appelais de mes voeux une telle entreprise depuis des années. Le ministre de l'économie a fait un lien entre le narcotrafic et le terrorisme ; ce lien, je l'ai constaté sur le terrain, avec l'implantation du Hezbollah au Venezuela et les attentats subis par la Colombie. D'autres liens encore se créent, avec le trafic des migrants, le trafic d'armes, ou encore la cybercriminalité. Tous ces crimes ont pour trait d'union le blanchiment. Le crime organisé a ses spécialités, mais on affronte aussi des généralistes du crime, ce que le travail de notre commission a mis au jour.

Marie-Arlette Carlotti disait que le travail était peut-être trop important ; malheureusement, il me semble au contraire que la tâche est tellement immense qu'un tel travail ne peut être exhaustif. On aurait pu évoquer les routes de trafic de l'Afrique de l'Est, mais cela aurait exigé encore bien des auditions, et nous avons déjà démontré l'essentiel. Un travail plus important encore pourrait aussi être mené sur la Chine et Hong Kong, véritables trous noirs du blanchiment.

Mon regret est peut-être que les trois recommandations essentielles du rapport sont à portée nationale. Or les pays consommateurs, auxquels nous appartenons, et les pays producteurs se renvoient la balle alors qu'ils sont deux faces de la même pièce. Avec tous ceux qui veulent se battre contre le narcotrafic, nous devons isoler les narco-États. Voilà la vision internationale que je défends ; ce prisme me vient naturellement de mon expérience en tant que membre de la commission des affaires étrangères. Mais je comprends bien que le présent travail a été suscité par une perception nationale du problème et, au vu de sa qualité et de l'écoute dont ont fait montre le président et le rapporteur, je soutiendrai ce rapport.

Le titre du rapport est adopté à l'unanimité.

La commission d'enquête adopte, à l'unanimité, le rapport et en autorise la publication.

M. Jérôme Durain, président. - Merci beaucoup, mes chers collègues, de ce travail et de l'excellent climat qui a toujours régné entre nous ! Notre travail, utile, demande à être poursuivi ; pour ma part, je regrette que nous n'ayons pu nous rendre outre-mer pour y apprécier les difficultés rencontrées sur place.

Étienne Blanc et moi-même présenterons le rapport lors d'une conférence de presse organisée le 14 mai, à 9 h 30.

CONTRIBUTION DU GROUPE ÉCOLOGISTE - SOLIDARITÉ ET TERRITOIRES

L'économie du narcotrafic, nec plus ultra du modèle économique libéral mondialisé, dans son organisation de la production, de la distribution et de la répartition des richesses produites

Les saisies comme les arrestations et les condamnations augmentent, plus de moyens pour les douanes, les forces de l'ordre, la justice avec de meilleurs résultats mais le trafic continue de croître sans réelle désorganisation ni mise en péril du trafic et des narcotrafiquants.

Si la voie pour la lutte contre le narcotrafic est celle-ci, nous pouvons affirmer que cela ne suffira pas.

Il faut donc s'attaquer en premier à :

· la production et sa diffusion

Il est compliqué de s'y attaquer au niveau national car elle est essentiellement basée à l'extérieur de nos frontières ce qui nécessite une forte coopération avec les pays tiers producteurs pour mettre en commun nos moyens et méthodes mais aussi afin qu'ils puissent se passer de cette manne économique.

La matière première agricole de la cocaïne, le cocaïer, n'est cultivée que dans trois pays : Colombie, Bolivie, Pérou, trois pays andins. La culture du pavot, matière première agricole des opiacés, est également géographiquement très concentrée : près de 90 % de l'opium est produit en Afghanistan, et près de 10 % l'est en Birmanie.

La Présidence belge de l'UE, en coopération avec la Commission européenne, a lancé ce 24 janvier 2024 l'« Alliance portuaire européenne », conformément à la feuille de route de l'Union européenne (UE) pour la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée.

À défaut de pouvoir s'attaquer rapidement et efficacement à la capacité de production, démanteler les « routes de la drogue » paraît prioritaire. La question maritime et portuaire est cruciale dans la logistique et la lutte contre les « routes de la drogue ». La généralisation des contrôles par exemple, entre autres par les scanners de containers et camions, implique la décision de « ralentir » le commerce mondial légal, c'est un choix politique à assumer. Et en n'oubliant les chemins de passage comme la Polynésie française et les DOM/TOM.

De plus, on commence à voir en France l'installation de laboratoires de drogues de synthèse avec des ingénieurs sud-américains, ce qui nécessiterait de mettre dès maintenant les moyens nécessaires à entraver ces installations.

· la répartition des richesses au bout de la chaîne

Il est primordial de déchiffrer les flux d'argent afin de dresser une cartographie précise de l'utilisation des richesses produites par le trafic, pour pouvoir lutter efficacement contre toutes les formes d'optimisation financière des narcotrafiquants, en particulier par le blanchiment, et pouvoir agir avec agilité et rapidité pour confisquer les biens et les avoirs des trafiquants. Le repérage de ces flux financier doit être un objectif prioritaire.

La lutte contre le crime organisé passe à ce niveau aussi par des initiatives stratégiques européennes (18.10.2023) :

o transformation de l'observatoire européen sur les drogues et les addictions en Agence européenne sur les drogues, effective au 2 juillet 2024 ;

o nouvelles dispositions législatives (y compris européennes) sur les saisies et confiscations (qui devraient être votées en France mi-mai après la commission mixte paritaire du 30 avril) ;

o nouveaux outils de coopération contre le blanchiment des capitaux.

La priorité de la criminalité organisée étant de faire toujours plus de profit, l'approche « suivez l'argent » est le moyen le plus efficace de priver les criminels de leurs importants profits illicites.

L'Union européenne en a fait la mesure n° 6 de sa feuille de route : « Le Centre européen de lutte contre la criminalité' financière et économique d'Europol, qui a soutenu plus de 400 enquêtes financières en 2024, et Eurojust, qui fournit aux autorités compétentes des lignes directrices et des bonnes pratiques sur le recouvrement d'avoirs illicites, jouent un rôle essentiel dans le soutien apporte' aux États membres. En particulier, le Centre peut apporter un soutien précieux aux activités conjointes concernant les enquêtes sur les banques clandestines. En outre, les capacités de formation du CEPOL peuvent aider les États membres a` accroitre les compétences et l'expertise des services répressifs en matière d'enquêtes financières. »

D'autant qu'une partie de l'argent sale va être réintroduite dans l'activité économique légale.

Avec quelles conséquences micro et macro-économiques ?

Le nombre de personnes « travaillant » dans le narcotrafic en France est estimé à 200 000, et l'évaluation réelle des chiffres d'affaires du narcotrafic et des masses monétaires réinjectées dans « l'économie légale » reste à faire. Il n'y a donc pas de vision précise de l'économie de la drogue, et de cartographie de l'impact financier des richesses qu'elle génère sur l'économie réelle.

Ces éléments sont nécessaires pour lutter plus efficacement contre le blanchiment. L'utilisation de l'argent de la drogue dans l'économie réelle n'est pas assez étudiée et identifiée. Sans données fiables et sérieuses, il est difficile d'établir des plans de lutte opérationnels contre ce phénomène.

Une mesure que nous préconisons est une harmonisation européenne des sommes maximales pouvant être réglées en argent liquide pour l'ensemble des personnes et pas seulement pour les nationaux communautaires ; une réflexion nouvelle et continue sur cette limitation du paiement en espèces doit se tenir.

Les ressources humaines de l'économie du narcotrafic

La professionnalisation et la répartition cloisonnée du travail sont apparues avec le développement de métiers travaillant en silo dans les domaines de la production, de la commercialisation, du transport et de la logistique, du recouvrement, du blanchiment (utilisant des instruments financiers très sophistiqués), de la réinjection des profits dans l'économie « propre », etc.

Ceci s'accompagne d'une organisation plus rationnalisée du recrutement, fondée aussi sur la vulnérabilité des « nouveaux salariés ».

L'Union européenne insiste sur ce point (mesure 12) : il faut empêcher les réseaux criminels de recruter des enfants et des jeunes.

Cela répond aussi à une des premières attentes des populations concernées et touchées par le narcotrafic : personne ne veut voir ses enfants se diriger vers les réseaux du narcotrafic.

« La prévention de la criminalité associe les communautés locales, les familles, les écoles, le secteur de la protection sociale, la société civile, les autorités répressives, le pouvoir judiciaire, les autorités pénitentiaires et le secteur prive'. L'utilisation efficace des ressources de l'UE et des États membres pour améliorer la cohésion sociale, lutter contre le chômage et veiller à ce que les jeunes n'abandonnent pas leurs études revêt un intérêt très particulier dans ce contexte », d'après l'UE.

Nous regrettons que trop peu d'attention ait été apportée à ce volet social pourtant essentiel.

Les narcotrafiquants prospèrent depuis toujours en agissant sur les conditions sociales des habitants souvent délaissés par les pouvoirs publics : l'exclusion sociale est un moteur d'intégration des réseaux.

À l'heure où les services publics ne sont plus accessibles dans certains quartiers, il suffit parfois pour les narcotrafiquants de palier les lacunes de l'État pour attirer les jeunes par la création d'un lien social (exemple de la mise à disposition de piscines par des dealers en été).

Ce processus a déjà été décrit dans la radicalisation religieuse et les recrutements terroristes passant par l'accompagnement social.

La préservation des familles de victimes d'homicide, et des personnes qui se retrouvent au milieu du trafic

Un article du Parisien faisait récemment état des difficultés de l'Aide Sociale à l'enfance (ASE) de l'Oise alors qu'une bonne partie des mineurs interpelés sur des points de deal se sont échappés de foyers. Cet article du Parisien mentionne l'exemple d'un « vendeur d'héroïne âgé de 12 ans, interpellé en 2023 à Compiègne, (...) placé dans un foyer de Seine-Saint-Denis, mais quelles que soient les mesures éducatives prononcées à son encontre par le juge pour enfants du tribunal judiciaire de Bobigny (Seine-Saint-Denis), les policiers le retrouvent encore et toujours, inexorablement, sur son point de deal du quartier du Clos-des-Roses, à Compiègne ». La question des moyens de l'ASE au vu du nombre de ces jeunes sans repères et isolés qui se trouvent sur le chemin des recruteurs est importante.

Selon la feuille de route de l'Union européenne pour la lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée, « certains lieux, comme les quartiers urbains, les gares, les stations de métro et les friches urbaines, sont particulièrement touchés par la vente de drogue, sa consommation et les infractions qui y sont liées. Cette situation s'explique par nombreux facteurs, dont la pauvreté' et l'exclusion sociale. »

Partout c'est le même constat, dans l'Union Européenne comme en France. Les violences se développent dans un contexte social délabré : services publics absents, transports en commun défaillants, déserts médicaux, fortes inégalités des chances et d'enseignement, inégalités économiques, sociales et d'accès à l'emploi, taux de pauvreté important. Cela constitue le terreau du développement d'une économie parallèle qui prospère, offrant, à certains, activité et revenus qu'ils ne trouvent pas ailleurs.

Les premières victimes de ces homicides ou règlements de compte sont les jeunes voire désormais les très jeunes, qu'ils soient directement impliqués dans le trafic ou victimes « collatérales ».

Les violences ne se limitent plus aux acteurs des trafics de drogues mais touchent toute une population. L'actualité a montré comment à Marseille, les trafiquants usent de la violence et de la peur pour asseoir leur autorité, étendre leur influence et faire main basse sur les cités.

Face aux drames qu'elles subissent, les familles des victimes qui ont le sentiment d'être abandonnées, stigmatisées, sont en attente d'une réponse pénale et d'un accompagnement psychologique et social (santé, éducation, logement).

Il est donc indispensable d'appréhender ces violences dans toute leur complexité : autant dans leur aspect criminel (drogue, prostitution, trafic d'armes) qu'économique et social.

Il faut répondre à ce sentiment afin de préserver la cohésion sociale. Outre l'encadré du rapport qui reprend les propositions présentées par les associations rencontrées à Marseille pour l'accompagnement social des familles que nous soutenons et portons également, nous demandons avec insistance la mise en place le plus rapidement d'un Comité de pilotage dans chaque département concerné sous l'égide du préfet, rassemblant les collectivités territoriales, des représentants des associations de victimes, les services de l'éducation nationale, de la santé... afin de coordonner les actions d'accompagnement des familles.

Prise en compte de la corruption à son niveau réel

Les corruptions par l'argent et les menaces se complètent et se succèdent. Ce sont les deux faces toujours présentes de l'emprise du trafic.

Nous craignons une sous-évaluation par la majorité des institutions et des organisations de l'importance des tentatives de corruption et des corruptions avérées.

Il serait important, sans aucune stigmatisation, de pouvoir obtenir une réelle photo précise de ces phénomènes sûrement en augmentation au même rythme que l'augmentation du chiffre d'affaires et des profits du narcotrafic.

Pareillement, il serait utile d'améliorer l'écoute de celles et ceux qui après avoir été « corrompus » sont « menacés » eux-mêmes et leurs familles, ainsi d'utiliser les renseignements qu'ils peuvent fournir, et de leur assurer une mise à l'abri.

Le trafic ne s'arrête pas en prison

La réalité constatée et avérée est que le trafic peut continuer à être dirigé par des personnes en prison.

La réponse actuelle est que certains établissements ont des brouilleurs qui devraient permettre l'impossibilité des communications avec l'extérieur.

Même si des téléphones sont introduits illégalement, si techniquement les brouilleurs sont installables et efficaces, pourquoi ne pas les mettre en place immédiatement dans tous les établissements concernés par des détenus liés au narcotrafic. Est-ce une question financière ?

Est-il vraiment possible de faire en sorte que grâce aux brouilleurs il n'y ait pas de communication pour les détenus entre prison et extérieur ?

Malheureusement nous n'avons pas obtenu de réponse satisfaisante à ces questions et nous souhaitons connaître le programme précis d'installation de systèmes de brouillage efficaces du Ministère de la Justice.

L'absence de bilan et de perspectives claires oblige à se questionner également sur l'intérêt de la création de quartiers ou de prisons spécialisées pour les condamnés pour narcotrafic.

Les rapports police/justice

L'État peut-il assurer 100 % des procédures judiciaires s'il arrive à réaliser un 100 % contrôle ?

Plusieurs pistes d'amélioration semblent pertinentes parmi les outils déjà opérationnels et sont décrites dans le rapport.

L'augmentation des moyens pour permettre des études plus denses des circuits financiers complexes et le suivi du patrimoine des trafiquants nous semble primordiale.

Nous tenons à mettre en avant la question de l'organisation de la Police Judiciaire suite à la récente réforme : les syndicats (ANPJ) alertent sur les méthodes Place Nette : « Dans une société où le narcotrafic ne cesse de se développer, y compris dans de petites villes, l'enquête judiciaire reste la seule arme capable d'endiguer ces phénomènes criminels.

« Les effets néfastes de la réforme sur l'efficacité du travail des enquêteurs sont déjà palpables. Le procureur national financier, les magistrats instructeurs de MARSEILLE et l'Association Française des Magistrats Instructeurs (AFMI) les ont déjà constatés. Les brigades financières sont tout particulièrement impactées, alors que le ministre veut faire de la lutte contre le blanchiment son nouveau fer de lance. Une situation ubuesque cristallisée par le DIPN d'AJACCIO qui prévoit de dissoudre la brigade de lutte de la criminalité financière de l'ancienne PJ (DCOS) pour reverser ses effectifs dans des groupes d'investigation de l'ancienne Sécurité Publique (DCT). Ces enquêteurs expérimentés, traitant une matière particulièrement sensible dans le contexte criminel Corse, pourraient ainsi, dès septembre, assumer la charge de près de 400 dossiers de délinquance générale en souffrance, en sus de leur portefeuille actuel. »

Enfin nous désirons mettre en avant deux sujets qui ne sont pas évoqués dans le rapport.

La légalisation et la dépénalisation du cannabis

Les mouvements de légalisation et de dépénalisation n'ont pas été abordés dans le travail de la commission d'enquête.

Bien sûr, le consommateur participe au trafic, il en épouse donc quelque part les conséquences, mais la consommation du cannabis doit être encadrée.

Notre groupe a déjà pu s'exprimer sur le sujet, une proposition de résolution portée par notre collègue Thomas Dossus contient dans son exposé des motifs certains de nos arguments :

« Le cannabis est un important produit d'appel pour les narcotrafiquants, en étant vendu au même endroit que d'autres produits illicites, plus nocifs. La répression, les opérations place nette, les amendes forfaitaires délictuelles ne dissuadent toujours pas les consommateurs de se rendre sur les points de deal. [...]

« Le nombre d'infractions constatées pour usage de cannabis est passé de 80 000 en 2000 à 150 000 en 2010 et 210 000 en 2021. Le dernier outil instauré en 2019, l'amende forfaitaire délictuelle, n'a donc entravé ni la consommation ni le trafic. [...] d'autant que comme décrit par le Défenseur des Droits : ''Le choix de recourir ou non à cette procédure repose uniquement sur l'appréciation des agents verbalisateurs et présente de fait un risque d'arbitraire puisque les agents sont maîtres de la qualification de l'infraction et de l'opportunité de décider du mode de réponse pénale sans que le procureur de la République puisse apprécier l'opportunité des poursuites''. »

Et puis surtout est-ce utile ? Sont-elles payées ? Découragent-elles les consommateurs ? Servent-elles aux forces de l'ordre pour diminuer le trafic ?

Ce constat est partagé par le Conseil économique, social et environnemental. Dans son rapport de janvier 2023, adopté à une très large majorité, le CESE appelle à « sortir du statu quo » et à se diriger vers « une législation encadrée des usages dits récréatifs du cannabis ». Plutôt que de réprimer, le CESE appelle à « réguler la production, la distribution et l'usage, à renforcer la prévention et la réduction des risques et à prévoir une taxe spécifique sur ces activités nouvellement autorisées. [...]

« Le projet de loi allemand récemment promulgué comporte un panel de mesures de bon sens, permettant à la fois de relâcher la pression sur les petits consommateurs, de concentrer les forces de l'ordre sur des missions plus importantes, de permettre la production et la distribution de cannabis sans pour autant livrer cette activité à une logique mercantile non régulée, de protéger efficacement les mineurs et de renforcer la lutte contre la prévention et les addictions, le tout, en prévoyant une évaluation des impacts de la réforme sur la société. [...]

« Cette approche permet d'offrir une opportunité aux consommateurs d'éviter d'avoir à nourrir les narcotrafics tout en n'ouvrant pas de marché spécifique pour le cannabis qui pourrait nourrir un trafic hors des territoires concernés. »

La prévention de la consommation : grande cause nationale

La France est le deuxième pays consommateur de cannabis en Europe avec environ 5 millions d'usagers réguliers par an, selon l'OFDT [Observatoire français des drogues et des tendances addictives].

L'aspect d'accompagnement sanitaire, d'un point de vue de santé publique notamment, n'est pas étudié volontairement dans ce rapport car il est [hors] du périmètre de la commission. (C'est totalement absent.)

« Je prône un plan Marshall sur 30 ans qui rassemble bien plus que les ministères de la Justice, de l'Intérieur et de la Santé. Il faut autour de la table celui des Écoles, celui du Sport, de la Culture, celui du Logement, du Budget », explique-t-elle. « On ne peut pas lutter contre le trafic si en parallèle on n'a pas le ministre de la Santé qui présente un plan pour soutenir les personnes dépendantes ». Selon Kaouther Ben Mohamed la présidente de l'association « Marseille en colère ! », la lutte contre le narcobanditisme doit être « globale, nationale et internationale ».

« Les politiques de prévention en matière d'addiction sont encourageantes car elles affichent des résultats probants selon la dernière enquête de l'Observatoire Français des Drogues et des Conduites Addictives. En effet, tous les niveaux d'usage de drogues ont baissé' depuis 2017 chez les jeunes. Ainsi, la consommation de tabac, alcool, cannabis est en nette diminution.

« Néanmoins, on observe une augmentation forte et continue de la consommation de cocaïne avec une croissance des passages aux urgences. L'usage de produits psychoactifs constitue un enjeu majeur pour notre société' et chacun d'entre nous peut concourir a` l'amélioration de la prise en charge des consommateurs.

« Dans le cadre de la mise en place d'une politique de prévention des addictions, la Ville de Besançon donne l'exemple et se mobilise pour outiller les professionnels ``non-initiés'' a` l'addictologie et l'entourage du consommateur au repérage de l'usage de substances licites et illicites a` risque.

« Ce guide a aussi pour objectif de favoriser l'orientation des consommateurs vers des dispositifs spécialisés permettant ainsi une meilleure acceptation des soins et multipliant les chances de prise en charge. Il concerne uniquement les addictions avec produit et reste non exhaustif. »984(*)

Nous devons relever ce défi de la prévention afin de sortir du piège du narcotrafic en y engageant des moyens considérables tant financiers qu'humains. Les citoyens sont prêts à en faire une Grande Cause Nationale.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LA COMMISSION

Lundi 27 novembre 2023

M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale

Mme Isabelle Braun-Lemaire, directrice générale des douanes et des droits indirects

M. Florian Colas, directeur de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières

Mme Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Office anti-stupéfiants (Ofast)

M. le général de corps d'armée Tony Mouchet, adjoint au major général de la gendarmerie nationale

Jeudi 30 novembre 2023

M. Guillaume Valette-Valla, directeur du service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin)

Mme Élise Naigeon-De Santi, conseillère juridique à Tracfin

N., agent à Tracfin

Mme Virginie Gentile, directrice générale par intérim de l'Agence de gestion de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc)

Jeudi 7 décembre 2023

Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco)

M. Stéphane Noël, président du tribunal judiciaire de Paris

Mme Laure Beccuau, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Paris

Mme Sophie Aleksic, première vice-présidente, coordinatrice du pôle criminalité

M. Éric Serfass, procureur adjoint, chargé de la division Jirs/Junalco au parquet de Paris

Lundi 11 décembre 2023

M. Nicolas Prisse, président de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca)

M. Didier Lallement, secrétaire général de la mer

M. Christophe Perruaux, directeur du service d'enquêtes judiciaires des finances du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique (SEJF)

M. Guillaume Airagnes, directeur de l'Observatoire français des drogues des tendances addictives (OFDT)

Mme Ivana Obradovic, directrice adjointe de l'OFDT

Mardi 12 décembre 2023

Table ronde de chercheurs

M. Yann Bisiou, juriste, docteur en droit privé et sciences criminelles, maître de conférences à l'université Paul-Valéry Montpellier 3

Mme Clotilde Champeyrache, économiste, maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches au Conservatoire national des arts et métiers

M. Nacer Lalam, économiste, directeur de la recherche et de la prospective à l'Institut des hautes études du ministère de l'intérieur

M. David Weinberger, sociologue, chercheur associé à l'Institut des relations internationales et stratégiques et co-directeur de l'Observatoire des criminalités internationales, chargé de mission « recherche » à la Mildeca

Lundi 18 décembre 2023

Table ronde de maires des Antilles

M. Jocelyn Sapotille, maire de Lamentin, président de l'Association des maires de Guadeloupe

M. Jean Philippe Courtois, maire de Capesterre-Belle-Eau (Guadeloupe)

M. Justin Pamphile, maire du Lorrain, président de l'Association des maires de la Martinique

Table ronde de forces de l'ordre des Antilles

M. Hugues-Lionel Galy, directeur interrégional des douanes Antilles-Guyane

M. Alexandre Huguet, chef de l'antenne de l'Office antistupéfiants Caraïbes

Mme Camille Blanc-Tichy, commissaire de police, cheffe du service territorial de la police judiciaire de Guadeloupe

M. le général de brigade William Vaquette, commandant de la gendarmerie de Martinique

Table ronde de magistrats des Antilles

Mme Dominique Vinsonneau, première vice-présidente chargée de l'instruction au tribunal judiciaire de Fort-de-France

Mme Caroline Calbo, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre

Mme Clarisse Taron, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Fort-de-France

Mme Maewenn Henaff, juge d'instruction au tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre

Table ronde de journalistes

M. William Molinié, journaliste spécialiste sécurité intérieure, défense et renseignement à Europe 1

M. Bertrand Monnet, professeur à l'École des hautes études commerciales Business School

M. Frédéric Ploquin, grand reporter indépendant, auteur et documentariste

M. Philippe Pujol, journaliste et écrivain

Mercredi 20 décembre 2023

Table ronde de maires de Guyane

M. Michel-Ange Jérémie, maire de Sinnamary, président de l'Association des maires de Guyane

M. Jean Claude Labrador, maire de Roura, Guyane

Table ronde de forces de l'ordre de Guyane

M. Hugues-Lionel Galy, directeur interrégional des douanes Antilles-Guyane

M. Richard Marie, directeur régional des douanes de Guyane

M. Philippe Jos, directeur territorial de la police nationale de Guyane

M. Philippe Mouradian, major, chef par intérim de l'Office anti-stupéfiants de Guyane

M. Jean-Christophe Sintine, général de brigade, commandant de la gendarmerie de Guyane

Table ronde de magistrats de Guyane

M. Mahrez Abassi, président du tribunal judiciaire de Cayenne

Mme Hélène Sigala, première vice-présidente chargée des services pénaux au tribunal judiciaire de Cayenne

M. Yves Le Clair, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Cayenne

M. Alexandre Rousselet-Magri, substitut placé auprès du procureur général près la cour d'appel de Cayenne

Lundi 15 janvier 2024

Parquets situés en zone rurale

Parquet de Bayonne

M. Jérôme Bourrier, procureur de la République

Mme Caroline Parizel, vice-procureure de la République, chargée de la délinquance au tribunal judiciaire

Parquet de Bourg-en-Bresse

Mme Karine Malara, procureure de la République

Mme Sylvie Perticaro, vice-procureure de la République, magistrate référente en matière de stupéfiants

Compagnies de gendarmerie

M. Ismaël Baa, chef d'escadron, commandant de la compagnie de gendarmerie départementale d'Alençon-Argentan

M. Frédéric Sanchez, chef d'escadron, commandant de la compagnie de gendarmerie départementale de Saint-Quentin

M. Antoine Schietequatte, major, commandant de la brigade de recherches de la compagnie départementale de gendarmerie de Saint-Quentin

M. Matthieu Vernette, adjudant-chef à la brigade de gendarmerie motorisée d'Argentan, détaché au groupe local de contrôle des flux

Mercredi 17 janvier 2024

Parquets situés en zone urbaine

Parquet de Lille

Mme Carole Étienne, procureure de la République

Mme Virginie Girard, procureure de la République adjointe, chargée de la division financière et de la criminalité organisée

Parquet de Dunkerque

Mme Charlotte Huet, procureure de la République

Parquet de Nîmes

Mme Cécile Gensac, procureure de la République

Mme Estelle Meyer, substitut du procureur de la République, chargée du cabinet « criminalité organisée »

Services de police

M. Marc Perrot, commissaire divisionnaire, directeur territorial de la police judiciaire de Nantes

M. Christophe Nicot, commandant de police, chef de la division de la criminalité organisée et spécialisée de la direction interdépartementale de la police nationale de Nantes

M. Jean-Marc Luca, contrôleur général, directeur interdépartemental de la police nationale de l'Essonne

M. Christophe Desfourneaux, commandant de police à la direction interdépartementale de la police nationale de l'Essonne

Lundi 22 janvier 2024

M. Jean-Philippe Lecouffe, général de corps d'armée (2S), directeur exécutif adjoint Opérations de l'European Union Agency for Law Enforcement Cooperation (Europol)

M. Baudoin Thouvenot, inspecteur général de la justice, membre national pour la France de l'European Union Agency for Criminal Justice Cooperation (Eurojust)

Ministère de l'Europe et des affaires étrangères

Mme Amélie Delaroche, sous-directrice de la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée

M. Jean-Noël Bonnieu, sous-directeur du Moyen-Orient

M. Jean-Christophe Tallard-Fleury, sous-directeur d'Amérique du Sud

M. Frédéric de Touchet, chef de mission du Mexique, d'Amérique centrale et des Caraïbes

M. Jean-Claude Brunet, ambassadeur, délégué à la coopération régionale de l'océan Indien

Lundi 29 janvier 2024

M. Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire national des arts et métiers, responsable scientifique du Pôle « sécurité, défense, renseignement, criminologie, cybermenaces, crises » (PSDR3C)

Table ronde de bailleurs sociaux

Représentants de bailleurs sociaux

Mardi 30 janvier 2024

M. Emmanuel Razous, directeur adjoint de l'administration pénitentiaire

Mme Camille Hennetier, cheffe du service national du renseignement pénitentiaire

Mardi 6 février 2024

Audition d'élus signataires de la tribune « Nous, élus des grandes villes et métropoles, appelons à un véritable plan national et européen contre le trafic de drogue » parue dans Le Monde le 20 septembre 2023

Mme Nathalie Appéré, maire de Rennes, présidente de Rennes Métropole, secrétaire générale de l'association France urbaine

M. Éric Piolle, maire de Grenoble, deuxième vice-président de l'association France urbaine

M. Hervé Niel, adjoint au maire de Metz chargé de la sécurité

Lundi 12 février 2024

Mme Isabelle Jégouzo, directrice de l'Agence française anticorruption

Table ronde des inspections générales de la justice, de l'administration et des finances

M. Christophe Straudo, inspecteur général, chef de l'inspection générale de la justice

M. Michel Rouzeau, inspecteur général de l'administration, chef du service de l'inspection générale de l'administration

M. Julien Senèze, inspecteur général des finances, chef du pôle audit de l'inspection générale des finances

M. Marc Sommerer, président de chambre près la cour d'appel de Paris, président de la Commission nationale de protection et de réinsertion

Mardi 13 février 2024

Table ronde des inspections générales de la gendarmerie nationale, de la police nationale et de l'inspection des services à la direction générale des douanes et des droits indirects

M. Jean-Michel Gentil, magistrat, chef de l'inspection générale de la gendarmerie nationale

Mme Agnès Thibault-Lecuivre, magistrate, directrice, cheffe du service de l'inspection générale de la police nationale

Mme Christine Dubois, administratrice supérieure des douanes, adjointe à la cheffe de l'inspection des services à la direction générale des douanes et des droits indirects

Lundi 26 février 2024

M. Roberto Saviano, journaliste, auteur du livre Extra pure : Voyage dans l'économie de la cocaïne

M. Émile Diaz, dit « Milou », ancienne figure de la French Connection, auteur, avec Thierry Colombié, de Truand : Mes 50 ans dans le milieu corso-marseillais

Mardi 27 février 2024

Fédération bancaire française

M. Nicolas Namias, président

Mme Maya Atig, directrice générale

Jeudi 29 février 2024

Table ronde d'associations de maires ruraux

Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF)

M. Yves Asseline, maire de Réville, vice-président de la communauté d'agglomération du Cotentin, membre du conseil d'administration de l'Association des maires de la Manche

M. Denis Mottier, chargé de mission « sécurité et prévention de la délinquance

Association des maires ruraux de France (AMRF)

M. Michel Fournier, maire des Voivres, président

Mme Catherine Leone, responsable juridique, chargée de mission auprès de l'exécutif

Association des petites villes de France (APVF)

M. Hervé Chérubini, maire de Saint-Rémy-de-Provence, membre du bureau

Mardi 5 mars 2024

Audition des chefs de juridiction du tribunal judiciaire de Marseille

M. Olivier Leurent, président du tribunal judiciaire de Marseille

M. Nicolas Bessone, procureur de la République de Marseille

Mme Isabelle Couderc, vice-présidente chargée de la coordination de la section « Jirs criminalité organisée » de l'instruction

Mme Isabelle Fort, procureure adjointe de la République de Marseille, responsable du service « Jirs Criminalité organisée » au parquet

Table ronde d'associations d'aide aux consommateurs de stupéfiants

M. Benjamin Tubiana-Rey, responsable « plaidoyer et communication » de la Fédération Addiction

M. Florian Guyot, directeur général de l'association Aurore

M. Léon Gomberoff, directeur d'activité sur le territoire Paris-Nord, de l'association Aurore

M. Auguste Charrier, président de la fédération Entraid'Addict

Mercredi 6 mars 2024

Mme Frédérique Camilleri, préfète de l'Essonne, ancienne préfète de police des Bouches-du-Rhône

Cabinet Ruben & Associés

M. Steeve Ruben, avocat associé

M. Philippe-Henry Honegger, avocat associé

Lundi 11 mars 2024

Direction générale des finances publiques du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

M. Frédéric Iannucci, chef du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal

M. Stéphane Créange, directeur chargé de la direction nationale des vérifications de situations fiscales

Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce

M. Victor Geneste, greffier associé du tribunal de commerce du Mans, président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce

M. Thomas Denfer, greffier associé du tribunal de commerce de Paris

M. Didier Oudenot, greffier associé du tribunal de commerce de Marseille, délégué national à la lutte contre la fraude

Mardi 12 mars 2024

Direction nationale de la police judiciaire

Mme Magali Caillat, contrôleuse générale, sous-directrice de la lutte contre la criminalité financière au sein de la DNPJ

M. Thierry Pezennec, commandant divisionnaire fonctionnel, chef de la coordination nationale des groupes interministériels de recherches (GIR)

Table ronde de représentants des réseaux sociaux

Mme Béatrice Oeuvrard, responsable des affaires publiques pour Meta France

M. Éric Garendeau, directeur des affaires publiques de TikTok en France

Mme Sarah Bouchahoua, responsable des affaires publiques de Snapchat en France

Mme Anna Zizola, responsable des affaires publiques pour l'Union européenne de X (ex-Twitter).

Jeudi 14 mars

Table ronde d'avocats du Conseil national des barreaux, de la Conférence des bâtonniers et des barreaux de Paris et Marseille

Conseil National des barreaux

Mme Valentine Guiriato, ancienne bâtonnière de l'ordre des avocats du barreau de Bergerac-Sarlat, membre élue du Conseil national des barreaux, membre de la commission libertés et droits de l'homme

M. Laurent Caruso, ancien bâtonnier du barreau de l'Essonne, membre élu du Conseil national des barreaux, membre de la commission libertés et droits de l'homme

Conférence des bâtonniers et des barreaux de Paris et Marseille

Mme Vanessa Bousardo, vice-bâtonnière du barreau de Paris

M. Mathieu Jacquier, bâtonnier du barreau de Marseille

M. Pierre Dunac, vice-président de la conférence des bâtonniers

M. Guillaume Martine, avocat au barreau de Paris, ancien membre du conseil de l'ordre du barreau de Paris

Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI)

Mme Céline Berthon, directrice générale de la sécurité intérieure

Lundi 18 mars 2024

M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale

M. le général d'armée Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale

Mme Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Office anti-stupéfiants (Ofast)

Mardi 19 mars 2024

Mme Ine Van Wymersch, commissaire nationale aux drogues de la Belgique

Lundi 25 mars 2024

M. Jean-François Dutheil, directeur général par intérim des douanes et des droits indirects

M. Florian Colas, directeur de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières

Mardi 26 mars 2024

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

Mercredi 27 mars 2024

M. François Molins, ancien procureur général près la Cour de cassation

Mardi 9 avril 2024

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

Mercredi 10 avril 2024

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur et des outre-mer

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR985(*)

Mercredi 10 janvier 2024

Tribunal judiciaire de Paris

M. François Antona, vice-procureur, chef de section

Mme Céline Mietka, vice-procureure, cheffe de section

Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI)

M. Cyrille Cohen, chef du bureau de la lutte contre les trafics et la criminalité organisée

Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED)

N., directeur des opérations douanières

N., directeur adjoint

Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN)

Général François Heulard, directeur de l'Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie

Service central de renseignement criminel de la gendarmerie nationale (SCRCGN)

Colonel Rénald Boismoreau, commandant du SCRCGN

Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO)

M. Yann Sourisseau, commissaire général, chef de l'OCLCO

Service d'information, de renseignement et d'analyse stratégique sur la criminalité organisée (Sirasco)

Mme Annabelle Vandendriessche, cheffe du Sirasco

Mardi 23 janvier 2024

Table ronde d'attachés douaniers et d'attachés de sécurité intérieure en Turquie et aux Émirats arabes unis

Mercredi 24 janvier 2024

Table ronde d'attachés douaniers et d'attachés de sécurité intérieure en Albanie, en Afrique de l'Ouest, aux États-Unis, en Amérique du Sud

Mardi 30 janvier 2024

Service interministériel d'assistance technique (Siat)

M. Frédéric Trannoy, commissaire divisionnaire, chef du Siat

Marine nationale

M. Jean-Emmanuel Perrin, commissaire en chef, chef du bureau « action de l'État en mer » à l'état-major opérationnel de la marine

M. Alain Thomas, capitaine de vaisseau, chef du bureau « emploi doctrine » à l'état-major opérationnel de la marine

M. Vincent Guéquière, capitaine de vaisseau, chargé des relations avec le Parlement au cabinet du chef d'état-major de la marine

N., officier de liaison au Centre opérationnel d'analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants (MAOC-N)

Mardi 6 février 2024

M. Hubert Bonneau, commandant de la région de gendarmerie de Bretagne

Mardi 13 février 2024

Union nationale des fédérations d'organismes HLM

M. Thierry Asselin, directeur des politiques urbaines et sociales de l'Union nationale des fédérations d'organismes HLM

Mme Émilie Vasquez, responsable du département des politiques de sûreté et tranquillité résidentielle de l'Union nationale des fédérations d'organismes HLM

Lundi 26 février 2024 (huis clos)

M. Guillaume Valette-Valla, directeur du service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin)

Mercredi 28 février 2024

Services de renseignement (huis clos)

N., directeur technique de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED)

N., directeur technique de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE)

Laboratoire d'IA de Polytechnique

M. Gaël Richard, co-directeur scientifique du centre interdisciplinaire Hi! PARIS et professeur à l'Institut polytechnique de Paris

Jeudi 29 février 2024

Commission nationale de protection et de réinsertion

M. Bruno Sturlese, ancien président de la Commission nationale de protection et de réinsertion

Lundi 11 mars 2024

M. Michel Kokoreff, sociologue, Université Paris-8 Vincennes - Saint-Denis

M. Michel Debacq, magistrat honoraire, ancien avocat général près la Cour de cassation

Jeudi 21 mars 2024

M. Damien Brunet, substitut général au sein du département de lutte contre la criminalité organisée du parquet général de Paris, coordinateur de l'ouvrage Droit et pratique de la criminalité organisée

LISTE DES CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Cette liste présente les contributions écrites transmises au rapporteur sur sa sollicitation ou de manière spontanée.

- M. le lieutenant-colonel Jean-François Brun, officier de liaison Gendarmerie à la direction générale des outre-mer (DGOM), auteur d'une thèse de doctorat en science politique intitulée « La lutte contre le trafic de cocaïne dans les Caraïbes et en Afrique de l'Ouest : un enjeu européen »M. Guilhem Giraud, auteur de Confidences d'un agent du renseignement français

- Mme Virginie Gautron, maîtresse de conférences en droit pénal et sciences criminelles, Nantes Université, laboratoire Droit et Changement Social

- M. Denis Trossero, éditorialiste, ancien journaliste à la Provence (chef du service police-justice)

- Association des avocats pénalistes (ADAP)

- Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)

- Autorité des marchés financiers

- Caisse des dépôts et consignations

- Collectif Tonkin Pai(x)sible

- Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil)

- Conflict Armament Research

- Direction de l'administration pénitentiaire du ministère de la justice

- Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice

- Direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur

- FO-Direction - Syndicat des directeurs des services pénitentiaires

- Mission nationale de contrôle des précurseurs chimiques

- Observatoire de la lutte anti blanchiment et contre le financement du terrorisme (Olab) 

- Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (direction générale de la police nationale, ministère de l'intérieur)

- Transparency international France

- Unité magistrats SNM-FO

LISTE DES DÉPLACEMENTS

Déplacement en Seine-Saint-Denis

(Jeudi 21 décembre 2023)

SÉQUENCE À SAINT-OUEN

9 h 30 - 11 h 45 : Accueil au commissariat

M. Michel Lavaud, directeur territorial de la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), et Mme Claire Laclau, commissaire centrale

Entretien avec les effectifs des services concourant à la lutte contre le narcotrafic

M. le commissaire Jean-Paul Mégret, chef du service départemental de police judiciaire de Seine-Saint-Denis (SDPJ) 93

M. le commandant Arnaud Petitfils, chef du service de sécurité du quotidien (SSQ)

M. le commissaire Léonard Stern, chef du groupe interministériel de recherches (GIR) de Bobigny

N. responsable d'unité locale de police (RULP) adjoint

N., responsable des unités d'appui

N., chef par intérim du SAIP

N., chef de la brigade des enquêtes d'initiative

SÉQUENCE À BOBIGNY

12 h 20 - 13 h 45 : Déjeuner en présence des chefs de juridiction et de magistrats du tribunal judiciaire

M. Peimane Ghaleh-Marzban, président

M. Éric Mathais, procureur de la République

Mme Claire Thepaut, première vice-présidente coordonnatrice du service de l'instruction

Mme Muriel Eglin, première vice-présidente coordonnatrice du tribunal pour enfants

M. Jean-Baptiste Acchiardi, premier vice-président coordonnateur des chambres correctionnelles spécialisées

Mme Catherine Brusaferro, procureur de la République adjoint

Mme Alice Dubernet, vice-procureure, cheffe de la division des affaires criminelles, des stupéfiants et de la délinquance organisée (Dacrido)

13 h 45 - 14 h 30 : Entretien avec des magistrats du siège

Mme Claire Thepaut, première vice-présidente coordonnatrice du service de l'instruction

Mme Muriel Eglin, première vice-présidente coordonnatrice du tribunal pour enfants

M. Jean-Baptiste Acchiardi, premier vice-président coordonnateur des chambres correctionnelles spécialisées

Mme Pauline Vayrette, juge d'instruction

14 h 30 - 15 h 15 : Entretien avec des magistrats du parquet

Mme Catherine Brusaferro, procureur de la République adjoint

Mme Alice Dubernet, vice-procureure, cheffe de la division des affaires criminelles, des stupéfiants et de la délinquance organisée (DACRIDO)

SÉQUENCE À SAINT-DENIS

16 h 00 - 17 h 00 : Table ronde avec des élus de Saint-Ouen, Bobigny et Saint-Denis

M. Adel Ziane, conseiller municipal de Saint-Ouen et sénateur de la Seine-Saint-Denis

Mme Gwenaëlle Badufle Douchez, adjointe au maire de Saint-Denis chargée de la sécurité

M. Jean-François Hirsch, adjoint au maire de Bobigny délégué à la sécurité et aux espaces publics

M. Thibaud Willette, directeur de la mission métropolitaine de prévention des conduites à risques au département de la Seine-Saint-Denis

17 heures - 18 heures : Table ronde avec la protection judiciaire de la jeunesse 

Mme Clélia Greco, directrice du service territorial éducatif de milieu ouvert (STEMO) de Pierrefitte

M. Wilfried Von Kaenel, éducateur de l'unité éducative de milieu ouvert (UEMO) de Saint Denis - STEMO de Pierrefitte

M. Romain Rousseau-Massay, éducateur de l'UEMO de Montreuil - STEMO du Raincy

Déplacement au Havre

(Jeudi 18 janvier 2024)

9 h 30 - 10 h 30 : Échange avec les représentants de Terminaux de Normandie - MSC (TNMSC) et des représentants du syndicat général des travailleurs portuaires du port du Havre

M. François Guérin, directeur général

M. Franck Narbonne, directeur général adjoint des terminaux de Normandie

M. Ivan Kouziaeff, directeur de la sécurité

M. Christian Boucard, directeur interrégional des douanes de Normandie

M. Perry Menz, directeur régional des douanes du Havre

10 h 40 - 11 h 30 : Contrôle de conteneur avec la BSE-Navire et échange avec les agents

11 h 50 - 12 h 30 : Démonstration de scanner avec la BSE-Conteneurs et échange avec les agents

13 h 00 - 14 h 15 : Déjeuner avec M. Édouard Philippe, maire du Havre, et avec Mme Marie-Laure Drone, adjointe au maire, chargée de la sécurité

14 h 30 - 15 h 15 : Échange avec la Direction nationale garde-côtes des douanes (DNGCD)

15 h 30 - 16 h 30 : Échange avec l'antenne locale de l'Ofast et avec des effectifs du service interdépartemental de police judiciaire

Déplacement à l'Office anti-stupéfiants (Ofast)

(Mardi 23 janvier 2024)

15 heures - 15 h 30 : Accueil par Mme Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Ofast, et par M. Christian de Rocquigny, chef adjoint

15 h 30 - 18 heures : Visite des locaux de l'Ofast et rencontre avec les effectifs du pôle « stratégie », du pôle opérationnel et du pôle « renseignement »

Déplacement à Verdun

(Jeudi 1er février 2024)

9 h 45 - 10 h 45 : Entretien - Tribunal judiciaire de Verdun

Mme Isabelle Buchmann, présidente du tribunal judiciaire de Verdun

Mme Sophie Partouche, procureure de la République près le tribunal judiciaire de Verdun

M. Éric Gallic, vice-président chargé des fonctions de juge des libertés et de la détention

Mme Ludivine Roguet, juge d'instruction

Mme Manon Benon, juge de l'application des peines

10 h 50 - 12 h 20 : Accueil

M. Christophe Lesznewski, commandant divisionnaire, chef de la circonscription de Verdun

Entretien avec :

M. Jonathan Rey, commissaire divisionnaire de police, directeur départemental de la sécurité publique de la Meuse

Mme Isabelle Sire, commissaire divisionnaire de police, directrice départementale de la sécurité publique de la Moselle

M. Antoine Baudant, chef du service interdépartemental de police judiciaire de Metz

Mme Carole Despres, cheffe du service interdépartemental de police judiciaire de la Meurthe-et-Moselle

M. Christophe Lesznewski, commandant divisionnaire, chef de la circonscription de Verdun

12 h 30 - 14 heures : sous-préfecture de Verdun

Déjeuner en présence de membres des services préfectoraux et d'élus locaux :

M. Xavier Delarue, préfet de la Meuse

M. Xavier Pannecoucke, sous-préfet de la Meuse

M. Jérôme Dumont, président du conseil départemental de la Meuse

M. Samuel Hazard, maire de Verdun

M. Gérard Stcherbinine, adjoint à la sécurité et à la tranquillité publique

M. Gérard Fillon, maire de Beurey-sur-Saulx et président de l'association des maires de Meuse

Mme Odile Beirens, maire de Buxières-sous-les-Côtes, présidente de l'Association des maires ruraux de la Meuse

Mme Martine Joly, maire de Bar-le-Duc

M. Pierre Léonard, maire de Montmédy

15 heures - 16 heures : Entretien - Mairie de Commercy

M. Jérôme Lefèvre, maire de Commercy

16 h 15 - 17 h 45 : compagnie de gendarmerie de Commercy

Entretien avec :

M. Sofian Saboulard, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bar-le-Duc

M. Sébastien Salvador, colonel, commandant du groupement de gendarmerie départementale de la Meuse

M. Régis Kauffmann, chef d'escadron, commandant de la compagnie de gendarmerie de Commercy

N., majore, commandant de la brigade territoriale autonome de Commercy

N., adjudant, enquêteur au sein de l'unité de lutte contre les infractions à la législation des produits stupéfiants (Ulis) de la compagnie de gendarmerie de Commercy

Déplacement à Dijon, Lyon, Le Creusot

(Jeudi 15 et vendredi 16 février 2024)

Jeudi 15 février 2024

SÉQUENCE À DIJON

8 h 50 - 10 heures : Entretiens - Préfecture de la Côte-d'Or

M. Franck Robine, préfet de la région Bourgogne-Franche-Comté, préfet de la Côte d'Or

Mme Nathalie Koenders, première adjointe au maire de Dijon, chargée de la transition écologique, du climat, de l'environnement, de la tranquillité publique et de l'administration générale, vice-présidente de Dijon métropole et conseillère départementale de Côte-d'Or

M. Samid El Ouhaidi, directeur de la tranquillité publique de la ville de Dijon

M. le général de brigade Sylvain Laniel, commandant de la région de gendarmerie Bourgogne-Franche-Comté

M. Bruno Gallot, directeur interdépartemental de la police nationale de la Côte-d'Or

M. David Cugnetti, directeur régional des douanes de Dijon

10 h 15 - 11 h 15 : Entretiens - Tribunal judiciaire de Dijon

Mme Nathalie Poux, présidente du tribunal judiciaire de Dijon

M. Olivier Caracotch, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Dijon

13 heures - 14 h 40 : Déjeuner au Creusot

M. Yves Séguy, préfet de Saône-et-Loire

M. David Marti, maire du Creusot

M Sébastien Gane, adjoint à la sécurité, prévention et politique de la ville du Creusot

M. Arnaud Deleplanque, conseiller municipal à la sécurité, prévention de la ville du Creusot

Mme Saliha Makhlouf, conseillère en stratégie, directrice des relations institutionnelles et internationales à la ville du Creusot

M. le commandant divisionnaire Fabien Gallet, commissaire de police du Creusot

M. le commandant David Djamshidi, commissaire de police de Montceau-les-Mines

M. Stéphane Gayte, adjoint au chef du service local de police judiciaire du commissariat du Creusot

M. le major Sébastien Fargeot, commandant de la communauté de brigades de Montchanin et du Creusot

M. le chef d'escadron Louis-Victor Bavard, commandant de la compagnie de gendarmerie d'Autun

SÉQUENCE À LYON

16 h 15 - 16 h 30 : Point presse

16 h 30 - 17 h 30 : Entretien

M. Éric Vaillant, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Grenoble

17 h 45 - 19 h 15 : Préfecture du Rhône

Mme Juliette Bossart-Trignat, préfète déléguée du Rhône à la défense et à la sécurité

M. le commandant Stéphane Cerna, chef du bureau de l'analyse et de la prévention de la délinquance à la préfecture du Rhône

Vendredi 16 février 2024

9 heures - 10 heures : Entretiens - Hôtel de ville de Lyon

M. Grégory Doucet, maire de Lyon

M. Mohamed Chihi, adjoint au maire de Lyon chargé de la sûreté, de la sécurité et de la tranquillité

10 h 15 - 11 h 15 : Entretiens - Csapa Lyon Presqu'île - Association Addictions France 69

M. le professeur Georges Brousse, président du Comité Régional Auvergne-Rhône-Alpes d'Addictions France, professeur en addictologie et psychiatre au centre hospitalier de Clermont-Ferrand

M. Laurent Barraud, directeur régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'association Addictions France

Mme Indra Seebarun, chargée de mission Plaidoyer à Addictions France

Mme Claire Desbats, directrice des établissements du Rhône d'Addictions France

Mme Géraldine Villard, conseillère en économie sociale et familiale à Addictions France

M. Anthony Demaria, psychologue à Addictions France

M. Yann Calandras, psychologue à Addictions France

11 h 40 - 13 heures : Visite de l'hôtel de police du 8e arrondissement

Entretien avec les effectifs de la division de la criminalité organisée et spécialisée et de l'antenne de l'Ofast de Lyon

13 h 15 - 14 h 30 : Déjeuner de travail

14 h 45 - 16 h 20 : Entretiens au tribunal judiciaire de Lyon

M. Pierre Laroque, premier vice-président chargé des fonctions de juge des libertés et de la détention

Mme Brigitte Vernay, première vice-présidente, cheffe du service correctionnel

Mme Élise Yamani, vice-présidente chargée de l'instruction - Jirs de Lyon

M. Thierry Dran, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon

M. Éric Jallet, procureur de la République adjoint chargé de la criminalité organisée

M. Nicolas Chareyre, premier vice-président chargé de l'instruction

Mme Emmanuelle Jouffrey, vice-procureure, cheffe de la section Criminalité organisée de la Jirs de Lyon

Déplacement à Marseille

(Jeudi 7 et vendredi 8 mars 2024)

Jeudi 7 mars 2024

10 h 20 - 11 h 50 : Tribunal judiciaire de Marseille

Accueil

M. Olivier Leurent, président du tribunal judiciaire de Marseille

M. Nicolas Bessone, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille

Entretiens

M. Vincent Clergerie, vice-président - Jirs de Marseille

Mme Isabelle Couderc, vice-présidente chargée de l'instruction - Jirs de Marseille

M. Antoine Derieux, vice-président chargé de l'instruction - Jirs de Marseille

Mme Audrey Tranouez, vice-présidente chargée des fonctions de juge d'instruction

M. Emmanuel Rodriguez, juge d'instruction - Jirs de Marseille

M. Jean Moineville, vice-procureur de la République, chargé du secrétariat général

Mme Audrey Jouaneton, vice-procureure

Mme Laurie Leblond, vice-procureure - Jirs de Marseille

Mme Anaïs Leborgne, vice-procureure à la section de la délinquance organisée

12 heures - 13 h 30 : Entretien et déjeuner

Mme Céline Leflefian, directrice de la police municipale de Marseille et de la sécurité (en visioconférence)

M. François Lamy, conseiller spécial du maire de Marseille en charge des relations publiques et institutionnelles et de la prospective

13 h 45 - 15 h 15 : Tables rondes des associations d'aide aux victimes 

Première table ronde

M. Hassen Hammou et Mme Haouaria Hadj-Chikh, représentants du collectif « Trop jeune pour mourir »

Mme Karima Meziene, porte-parole du collectif des familles de victimes d'assassinats

Mme Aicha Sebai, présidente du collectif des familles de victimes d'assassinats

M. Bruno Tanche, président de l'association Addiction Méditerranée, délégué médiateur du Procureur au Tribunal judiciaire de Marseille

Seconde table ronde

Mme Ouassila Benhamdi, membre de l'association Conscience

Mme Fana Rahem, responsable des familles de victimes à l'association Conscience

N., bénévole à l'association Conscience

M. Éric Vitale, bénévole à l'association Conscience

15 h 15 - 16 h 45 : Table ronde sur le thème du blanchiment

M. Emmanuel Gaillardon, adjoint à directrice régionale des finances publiques de la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur et du département des Bouches-du-Rhône

M. Nicolas Bessone, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille

M. Mathieu Bertola, vice-procureur près le tribunal judiciaire de Marseille

Mme Anaïs Leborgne, vice-procureure

N., représentant du Sirasco financier des Bouches-du-Rhône

M. le colonel Christophe Berthelin, commandant de la section de recherches de Marseille

N., directeur des opérations douanières pour la région Paca

16 h 45 - 18 h 45 : Préfecture de police des Bouches-du-Rhône

Accueil

M. Pierre-Edouard Colliex, préfet de police des Bouches-du-Rhône

Entretiens

M. Cédric Esson, directeur interdépartemental de la police nationale des Bouches-du-Rhône

M. Philippe Frizon, chef du service interdépartemental de police judiciaire des Bouches-du-Rhône

Mme Olivia Glajzer, cheffe de l'antenne de l'Ofast à Marseille

M. Pascal Bonnet, chef de la division criminelle et de répression du banditisme

M. Jean-Philippe Vigot, directeur régional des douanes de Marseille

N., directeur des opérations douanières pour la région Paca

18 h 45 - 19 h 15 : point presse

Vendredi 8 mars 2024

8 heures - 9 h 15 : Petit-déjeuner

M. Christophe Castaner, président du conseil de surveillance du Port de Marseille Fos 

M. Patrick Maddalone, secrétaire général du grand port maritime de Marseille

9 h 20 - 10 h 20 : Direction départementale de la sécurité publique (DDSP)

M. le commissaire divisionnaire David Brugère, commissaire central de Marseille

M. le commissaire Olivier Guiochon, adjoint chef de la division Nord, chef du service local de sécurité publique (SLSP)

M. le commissaire divisionnaire Stéphane Douce, chef de la division Sud

10 h 30 - 12 heures : Direction académique des services de l'éducation nationale des Bouches-du-Rhône

M. Jean-Yves Bessol, directeur académique des services de l'éducation nationale des Bouches-du-Rhône

Mme Véronique Blua, directrice académique adjointe des services de l'éducation nationale des Bouches-du-Rhône, en charge des établissements des quartiers Nord

12 h 40 - 13 h 45 : Entretiens au centre pénitentiaire de Marseille-Baumettes

Mme Karine Lagier, directrice du centre pénitentiaire de Marseille-Baumettes

M. Thierry Alves, directeur interrégional des services pénitentiaires Sud-Est - Marseille

15 h 30 - 16 h 40 : visite de la division de sécurité de proximité Nord

Accueil

M. le commissaire Olivier Guiochon, adjoint chef de la division Nord

M. le commissaire Benoît Auget-Latife

Table ronde

Entretien avec les effectifs de la brigade des stupéfiants, de l'unité de lutte contre les stupéfiants et l'économie souterraine (USES), de la brigade anticriminalité (BAC) et de la brigade spécialisée de terrain (BST) de Marseille

16 h 45 - 18 heures : déplacement à la cité du Castellas

Déplacement à Anvers

(Mercredi 20 mars 2024)

9 h 30 - 10 heures : Accueil

M. Philippe Baïssus, magistrat de liaison en Belgique et au Luxembourg

N., attaché douanier pour le Benelux

10 h 00 - 10 h 30 : Accueil

M. Wim Dillen, International Development Manager, Port of Antwerp-Bruges

10h30 - 12 heures : Entretiens avec les acteurs de la lutte contre le narcotrafic

M. Wim Dillen, International Development Manager, Port of Antwerp-Bruges

M. Niels Vanlaer, Harbour Master / Manager Harbour Safety & Security, Port of Antwerp-Bruges

M. Satoko Nakayama, conseiller général, Service de l'Administrateur général, SPF Finances - Administration générale des douanes et accises

M. Johan Meulepas, 1° CP Directeur Operations, Federale gerechtelijke politie

M. Jan Van Hoof, Afdelingshoofd Afdeling Drugs, Federale gerechtelijke politie

Mme Liesbeth Spaas, Chef sectie Drugs, Parket

M. Tom Van Deun, Adjunct Chef sectie Drugs, Parket

12 heures - 13 h 30 : déjeuner - Maison portuaire

13h30 - 16 heures : visite des infrastructures du port

Déplacement à Valence

(Jeudi 28 mars 2024)

10 heures - 11 heures : Tribunal judiciaire de Valence

M. Luc Barbier, président

M. David Debrun, vice-président

M. Laurent de Caigny, procureur de la République

Mme Marie Bazot, vice-procureure, cheffe de la division criminalité organisée et délinquance spécialisée

N., assistant spécialisé

11 heures - 11 h 30 : Point presse

11 h 40 - 13 h 10 : déjeuner - Mairie de Valence

M. Nicolas Daragon, maire de Valence

Mme Marie-Hélène Thoraval, maire de Romans-sur-Isère

M. Pierre Jouvet, maire de Saint-Vallier, président de la communauté de communes Porte de DrômArdèche

13 h 15 - 15 h 15 : Préfecture de la Drôme

Entretien avec les forces de l'ordre :

M. Hervé Cazaux, commissaire divisionnaire, directeur interdépartemental de la police nationale de la Drôme

M. le colonel Philippe Marestin, commandant du groupement de gendarmerie de la Drôme

Entretien avec la préfecture

M. François Jouffroy, directeur de cabinet du préfet de la Drôme

M. Jérôme Bonet, préfet du Gard (en visioconférence)

15 h 30 - 17 h 30 : Visite du centre pénitentiaire de Valence

M. Paul Louchouarn, directeur interrégional des services pénitentiaires de Lyon

Mme Franca Annani, cheffe d'établissement

N., adjointe à la cheffe d'établissement

Mme Nadège Thomas, directrice fonctionnelle des services pénitentiaires d'insertion et de probation

N., chef de détention

N., adjoint au service INFRA (service en charge de la sécurité de l'établissement)

N., commandant, en charge d'un bâtiment du quartier maison centrale

N., cadre infirmier (unité sanitaire de l'établissement)

TABLEAU DE MISE EN OEUVRE ET DE SUIVI

Numéro de la proposition

Proposition

Acteurs concernés

Calendrier prévisionnel

Support

ASSUMER UNE POSITION FORTE DANS LES CONCERTATIONS EUROPÉENNES ET DANS LA COOPÉRATION INTERNATIONALE

FAIRE DE LA COOPÉRATION INTERNATIONALE UN PILIER DE LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC

1

Obtenir une meilleure coopération judiciaire de Dubaï

 

· Plaider pour un réexamen de la décision du Gafi de retirer les Émirats arabes unis de la « liste grise » des juridictions soumises à une surveillance renforcée

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

Immédiat

Négociations diplomatiques multilatérales

 

· Au niveau diplomatique, souligner auprès des autorités émiriennes le risque réputationnel que fait courir Dubaï à la fédération en apparaissant comme un « paradis du blanchiment » pour les trafiquants et divers criminels

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

Immédiat

Relations diplomatiques bilatérales

 

· Au niveau judiciaire, mettre en place à titre expérimental un magistrat de liaison européen, mesure qui pourrait ensuite être élargie aux pays où le besoin s'en ferait sentir

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et ministère de la Justice

2026

Règlement européen

2

Améliorer la coopération judiciaire et sécuritaire avec la Colombie et le Venezuela

 

· Subordonner les relations entre la France et le Venezuela à un engagement plus résolu de ce dernier contre le trafic de drogue, et en particulier l'exportation de cocaïne vers les Antilles

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

Immédiat

Relations diplomatiques bilatérales

 

· Renforcer l'équipe dédiée pilotée par le service de sécurité intérieure en Colombie et faire essaimer ce dispositif qui fonctionne bien

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Créer un poste de magistrat de liaison en Colombie, avec une compétence s'étendant au Venezuela pour explorer les possibilités de coopération judiciaire avec ce pays

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et ministère de la Justice

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Plus largement, développer la coopération avec les îles des Caraïbes et les États-Unis pour mieux protéger les collectivités d'outre-mer

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, ministère de la Justice et ministère de l'Intérieur

Immédiat

Conventions internationales bilatérales

3

Renforcer les capacités de lutte des États d'Afrique de l'Ouest et du golfe de Guinée

 

· Porter, au niveau de l'Union européenne, un programme de renforcement des capacités en matière de surveillance maritime et portuaire au bénéfice des États du Golfe de Guinée

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

Immédiat

Négociations au niveau de l'Union européenne

 

· Explorer les possibilités d'un nouveau « contrat de sécurité » avec les États d'Afrique de l'Ouest situés sur la route terrestre de la cocaïne (Mali, Niger, Burkina Faso)

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

Immédiat

Conventions internationales bilatérales

4

Obtenir la coopération de la Chine en matière de blanchiment du narcotrafic

 

· À l'exemple des États-Unis pour le fentanyl, faire de la lutte contre le blanchiment d'argent un sujet à part entière des discussions entre l'Union européenne et la Chine

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

Immédiat

Négociations diplomatiques

 

· Porter une initiative européenne contre le blanchiment du trafic de drogue au niveau mondial, en misant sur l'effet d'entraînement du prochain train de mesures de l'Union européenne contre le blanchiment

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, ministère de la Justice et ministère de l'Économie et des Finances

Lancement immédiat pour un aboutissement en 2026

Négociations multilatérales

Renforcer les capacités du MAOC-N et explorer les possibilités d'une reproduction de ce modèle

5

Améliorer le partage du renseignement pour mieux lutter contre le narcotrafic en haute mer

 

· Explorer, auprès des pays partenaires, la possibilité d'une structuration du partage de renseignement sur le trafic de drogue par voie maritime dans l'océan Indien et l'océan Pacifique, sur le modèle du MAOC-N, et mettre ainsi la France en situation d'intervenir sur l'ensemble des routes maritimes de la drogue

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

Immédiat

Relations diplomatiques bilatérales

 

· Ajouter les infractions relevant du trafic de stupéfiants à la liste des infractions énumérées aux articles 689-2 et suivants du code de procédure pénale fondant la compétence universelle de la Justice française

Ministère de la Justice (DACG)

Parlement

2025

Loi

PORTER DES POSITIONS FORTES À L'ÉCHELLE DE L'UNION EUROPÉENNE POUR RENFORCER LA COORDINATION ET HARMONISER LES RÈGLES JURIDIQUES STRATÉGIQUES

Utiliser pleinement les leviers offerts par le droit européen

6

Assurer la pleine mobilisation des leviers européens pour lutter contre les trafics

 

· S'assurer de la bonne information des services d'enquête sur les obligations des plateformes liées au DSA

Ministère de l'Intérieur

Immédiat

Circulaire

 

· S'assurer de la cohérence du contrôle exercé par la Commission européenne sur les « très grandes plateformes » avec le contrôle exercé au niveau national sur les autres opérateurs

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, Arcom

Vigilance immédiate, cohérence à apprécier à moyen terme (2028-2029)

Modification du règlement DSA en cas de divergence substantielle à terme

 

· Étendre la clause dite « catch-all » pour protéger les populations contre le risque d'une arrivée en Europe de nouvelles drogues de synthèse

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

Immédiat

Modification des règlements (UE) règlement (UE) nos 273/2004 et 111/2005

Dynamiser le partage d'informations et la coopération au niveau des États membres

7

Renforcer la coopération opérationnelle au sein de l'Union européenne

 

· Privilégier les réseaux de coopération spécialisés ad hoc entre États, éventuellement soutenus par les structures légères telles qu'Eurojust et Europol

Ministère de la Justice, ministère de l'Intérieur et ministère en charge des Transports

Immédiat

Accords bilatéraux entre États membres de l'Union

8

Dynamiser la coopération inter-européenne

 

· OEuvrer pour le développement de solutions numériques européennes en matière d'intelligence artificielle et de traitement en masse de données

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et ministère de l'Économie et des Finances

Parlement

Immédiat

Loi de finances, budget de l'Union européenne

 

· Soutenir l'effort d'innovation des services de renseignement engagés dans la lutte contre le narcotrafic et encourager la constitution de ponts entre ces services et le milieu académique

Ministères de tutelle des services concernés (Ofast, DNRED, DGSI, Tracfin) et ministère de la Recherche et de l'Enseignement supérieur

Immédiat

Décision du Gouvernement

SE DONNER LES MOYENS DE LA SÉCURITÉ DANS LES OUTRE-MER

RENVERSER LA PHILOSOPHIE DE LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC EN OUTRE-MER

9

Mettre fin au sacrifice des outre-mer et lutter contre l'entrée de stupéfiants sur leur sol

 

· Pérenniser les contrôles à 100 % en Guyane, avec des moyens adaptés (nombre suffisant de chambres carcérales pour les « mules », contrôle systématique des bagages par scanner...) et les étendre aux Antilles

Ministère de l'Intérieur

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Accroître les contrôles routiers et maritimes dans l'ensemble des territoires ultramarins

Ministère de l'Intérieur

Immédiat

Décision du Gouvernement

DÉPLOYER DES MOYENS ADAPTÉS À L'ÉTAT DE LA MENACE

10

Déployer des moyens adaptés à l'état de la menace dans les outre-mer

 

· Accroître les moyens humains octroyés aux services d'enquête, aux douaniers et aux juridictions, en ciblant en priorité les Antilles et la Guyane et en incluant une révision des dispositifs destinés à accroître l'attractivité des postes ouverts dans les territoires ultramarins

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice, ministère de l'Économie et des Finances

Parlement

Dès maintenant avec un objectif de fin à horizon maximum de 5 ans (2029)

Lois de programmation et/ou lois de finances

 

· Déployer effectivement les moyens matériels promis (radars, scanners mobiles et bagages), accroître leur nombre (scanners, drones, radars) et remédier à l'obsolescence du parc aéromaritime des services répressifs

Ministère de l'Intérieur et ministère de l'Économie et des Finances

Dès maintenant avec un objectif de fin à horizon maximum de 2 ans (2026)

Décision du Gouvernement

 

· Tester l'usage d'échographes dans les aéroports de Guyane et des Antilles ainsi que dans les aéroports parisiens, en construisant des chambres carcérales médicales au sein des enceintes aéroportuaires

Ministère de l'Intérieur, ministère en charge des Transports et ministère de la Santé

Immédiat, avec un objectif de fin à l'horizon 2026

Décision du Gouvernement

 

· Procéder à une remise à niveau des infrastructures portuaires ultramarines en matière de sûreté- sécurité (badge, vidéoprotection, sécurisation des plateformes)

DGITM, opérateurs portuaires ultramarins

Immédiat

Décision des opérateurs sur demande de la DGITM

RÉNOVER LA POLITIQUE DE LUTTE CONTRE LES « MULES » POUR ÉVITER L'EMBOLIE DU SYSTÈME RÉPRESSIF

11

Rénover la politique de lutte contre les « mules »

 

· Adapter la réponse judiciaire à la problématique des convoyeurs de stupéfiants, en Guyane comme aux Antilles : sécurisation des arrêtés préfectoraux d'interdiction d'embarquement, maintien des procédures simplifiées et transactions douanières, hyper-prolongation médicale de la garde à vue pour les personnes transportant de la drogue in corpore, mise en place d'une peine complémentaire d'interdiction de vol

Ministère de la Justice

Parlement

2025 pour les normes de niveau législatif

Second semestre 2024 pour les normes de niveau inférieur

Dépêches, circulaires et loi

 

· Systématiser les contrôles des flux « retour » en ciblant l'argent liquide

Douane

Immédiat

Décision du Gouvernement

SÉCURISER LES INFRASTRUCTURES PORTUAIRES

MIEUX SUIVRE LES FLUX MARITIMES ET PORTUAIRES POUR MIEUX LES CONTRÔLER

12

Mieux suivre et contrôler les flux maritimes et portuaires

 

· Expérimenter des opérations de contrôles à 100 % sur les conteneurs en provenance de destinations à risque

Douane

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Accroître les moyens techniques de détection (scanners fixes et mobiles) et les moyens humains (brigades de surveillance extérieure) dans les ports principaux et secondaires, en plus des renforts déjà annoncés

Ministère de l'Économie et des Finances

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Contribuer à des projets de recherche et de développement de techniques innovantes de détection des stupéfiants, en partenariat avec les laboratoires universitaires et les entreprises

Douane

Immédiat

Décision de la DGDDI

 

· Étudier la faisabilité d'un « bannissement » des compagnies maritimes factices ou servant de façade à des organisations criminelles

Ministère en charge des transports

Parlement (le cas échéant)

Étude immédiate pour une adoption de norme en 2025

Décret ou loi

 

· Finaliser le cadre réglementaire pour la mise en oeuvre d'un véritable « PNR maritime »

Ministère de la Mer, ministère de l'Intérieur, SGMer, Cnil

Immédiat pour une adoption de norme en 2025

Décret

 

· Obtenir un accès accru aux données logistiques et commerciales des opérateurs maritimes et portuaires

Ministère de la Mer, ministère de l'Intérieur, ministère en charge des Transports, SGMer, Douane

Immédiat

Négociation avec les opérateurs et/ou décret

GARANTIR LA ROBUSTESSE DES INFRASTRUCTURES

13

Garantir la robustesse des infrastructures portuaires

 

· Protéger l'enceinte portuaire en étendant les emprises portuaires classifiées en zones d'accès restreint, en déployant des badges biométriques et en plaçant sous vidéosurveillance l'ensemble des emprises portuaires

Opérateurs portuaires et DGITM

Immédiat

Décision des opérateurs sur demande de la DGITM

 

· Diffuser une « culture de la sûreté » parmi l'ensemble des personnels portuaires

Opérateurs portuaires et DGITM

Immédiat

Décision des opérateurs sur demande de la DGITM

 

· Systématiser les enquêtes administratives de sécurité pour l'ensemble des personnels portuaires et procéder à une actualisation annuelle

Ministère de l'Intérieur (Sneas)

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Instaurer un point de contact unique pour signaler des comportements douteux observés dans un port ou aux alentours du port ainsi que des menaces et tentatives de corruption

Opérateurs portuaires et DGITM, ministère de l'Intérieur

Immédiat

Décision du Gouvernement, en concertation avec les opérateurs et la DGITM

 

· Brider les drones pour empêcher le survol des infrastructures portuaires

Ministère de l'Intérieur, ministère en charge des Transports

Immédiat

Décret

 

· Instaurer des tests de résilience cyber des infrastructures portuaires, en partenariat avec l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (Anssi)

Opérateurs portuaires et Anssi

Immédiat

Courrier de l'Anssi

 

· Harmoniser « par le haut » les contrôles douaniers dans les grands ports européens et s'appuyer sur un partenariat public-privé entre les exploitants et les autorités nationales

Opérateurs portuaires et douanes

Immédiat

Décision des douanes

PRENDRE EN COMPTE LES RISQUES NOUVEAUX QUI PÈSENT SUR LES PORTS SECONDAIRES

14

Entraver les stratégies de déport des narcotrafiquants sur les ports secondaires

 

· Accroître les moyens techniques de détection (scanners fixes et mobiles) et les moyens humains (brigades de surveillance extérieure) dans les ports principaux et secondaires, en plus des renforts déjà annoncés

Ministère de l'Économie et des Finances

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Sécuriser les infrastructures portuaires secondaires

Opérateurs portuaires et DGITM

Immédiat

Décision des opérateurs sur demande de la DGITM

 

· Anticiper les reports modaux

Ministère de l'Intérieur, ministères en charge des transports et des douanes, services répressifs et services de renseignement

Immédiat

Feuille de route confidentielle

REMETTRE À NIVEAU LES MOYENS D'ACTION DES SERVICES RÉPRESSIFS

TRANSFORMER L'OFAST EN PROFONDEUR : VERS UNE « DEA À LA FRANÇAISE »

15

Consolider l'Ofast et en faire une véritable « DEA à la française »

 

· Formaliser la coordination et la circulation du renseignement entre les différentes antennes de l'Ofast, notamment à travers les Cross qui y sont rattachées

Ofast

Immédiat

Note

 

· Donner à l'Ofast le contrôle de sa politique de ressources humaines

Ministère de l'Intérieur

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Doter l'Ofast d'un algorithme de détection des consultations anormales de fichiers

Ministère de l'Intérieur

Dès que possible

Décision du Gouvernement

 

· Placer l'Ofast sous la double tutelle du ministère de l'Intérieur et des outre-mer et du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté numérique et lui donner l'autorité requise pour qu'il assume pleinement son rôle de « chef de file »

Premier ministre

Parlement

Dès que possible

Loi et décret

 

· Envisager un rapprochement entre l'Ofast et la Mildeca sur l'aspect stratégique et sur la maîtrise de l'emploi des deniers du fonds de concours « drogues »

Premier ministre

Parlement

Dès que possible

Loi et décret

 

· Doter l'Ofast des moyens techniques et humains nécessaires pour bénéficier d'une véritable autonomie d'action et de décision

Ministère de l'Intérieur, ministère de l'Économie et des Finances

Immédiat

Décision du Gouvernement

INSTAURER UN VÉRITABLE « PLAN D'URGENCE » DES MOYENS POUR LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC

16

Donner de véritables moyens de lutte aux magistrats et aux services répressifs

 

· Augmenter massivement les moyens humains sur le terrain, que ce soit en sécurité publique ou en police judiciaire, bien au-delà de ce que permettent les unités nationales récemment créées

Ministère de l'Économie et des Finances, en lien avec le ministère de l'Intérieur

Parlement

Immédiat, avec un objectif de fin à horizon 3 ans

Loi de finances

 

· Renforcer les tribunaux judiciaires en moyens humains et informatiques

Ministère de l'Économie et des Finances, en lien avec le ministère de la Justice

Parlement

Immédiat, avec un objectif de fin à horizon 3 ans

Loi de finances

 

· Mieux valoriser le métier de greffier et celui d'adjoint administratif

Ministère de l'Économie et des Finances, en lien avec le ministère de la Justice

Immédiat

Grilles indemnitaires

 

· Renforcer l'équipe autour du magistrat

Ministère de l'Économie et des Finances, en lien avec le ministère de la Justice

Immédiat

Décision du Gouvernement

MOBILISER LES ACTEURS TIERS AU PROFIT DE LA LUTTE CONTRE LE NARCOTRAFIC

Faciliter l'échange et la transmission d'informations au niveau local

17

Dynamiser les instances locales de coordination

 

· Mettre en valeur ces instances et garantir leur pleine utilisation par l'administration

Ministère de l'Intérieur

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Encourager leur élargissement à d'autres partenaires volontaires

Ministère de l'Intérieur

Immédiat

Concertations locales

Renforcer les capacités de signalement des maires

18

Faciliter la remontée d'informations par les maires

 

· Informer systématiquement les maires, en particulier de communes rurales, de la possibilité de signaler à Tracfin les commerces de leur commune soupçonnés de servir au blanchiment du produit de trafics

Services préfectoraux, Tracfin

Immédiat

Courrier d'information et formations sur place si nécessaire

 

· Donner aux maires la possibilité de demander à l'autorité préfectorale la fermeture de lieux permettant la vente de stupéfiants, sur le modèle des dispositions existantes en matière de vente illégale de tabac

Ministère de l'Intérieur

Parlement

2025

Loi

 

· Clarifier le cadre des échanges d'informations relatives au trafic de stupéfiants entre les maires, la police et l'autorité judiciaire

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice

Immédiat

Circulaires pour les services de police judiciaire et dépêches aux parquets

DÉVELOPPER LE RECOURS AUX TECHNIQUES INNOVANTES

19

Donner les moyens de l'excellence technique aux services d'enquête

 

· Investir dans les capacités techniques à disposition des services d'enquête (interception des communications, décryptage des messageries)

Ministère de l'Intérieur

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Développer les actions de sensibilisation au retrait des contenus en ligne et actualiser régulièrement la liste de mots-clés utilisés pour détecter des comptes de vente de stupéfiants en ligne

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice

Immédiat

Communication auprès des plateformes en ligne

 

· Renforcer les sanctions à l'encontre des vendeurs de cartes sim prépayées qui ne vérifieraient pas l'identité des acheteurs

Ministère de l'Intérieur

Parlement

2025

Loi

 

· Réviser les conditions d'accès à certains fichiers comme celui des titres électroniques sécurisés pour les attachés de sécurité intérieure

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice, ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

2025

Décret

 

· Concrétiser le traitement centralisé pour les données issues des lecteurs automatiques des plaques d'immatriculation

Ministère de l'Intérieur, ministère de l'Économie et des Finances

2024

Décision du Gouvernement subordonnée à des développements techniques et à l'avis de la Cnil

 

· Investir dans le développement de l'intelligence artificielle (exploitation des données collectées et réquisitionnées, exploitation des images de vidéosurveillance, contrôle à 100 % des colis postaux, collecte et analyse par la douane des contenus publiés sur les plateformes en ligne et relevant de la vente de stupéfiants)

Ministère de l'Intérieur, ministère de l'Économie et des finances

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Assouplir les règles des marchés publics en matière d'innovation ainsi que pour les véhicules des services d'enquête et de renseignement

Ministère de l'Économie et des finances

Parlement

2025

Loi

REDONNER SA JUSTE PLACE AU RENSEIGNEMENT

CRÉDIBILISER LE « RENSEIGNEMENT CRIMINEL »

20

Tracer une juste frontière entre le judiciaire et le renseignement

 

· Rationaliser l'intervention des services du renseignement et définir des « doctrines d'arbitrage » en cas de dossiers recoupant les champs de compétence des chefs de file (stupéfiant, fraude fiscale, blanchiment...)

Premier ministre, Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT)

Immédiat

Plan national d'orientation du renseignement

 

· Donner à la DGSI les moyens d'être pleinement mobilisée dans la lutte contre le narcotrafic

Ministère de l'Intérieur

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Former les personnels des services de renseignement du second cercle à la judiciarisation des dossiers et garantir l'étanchéité entre les pôles opérationnel et renseignement de l'Ofast

Ministère de l'Intérieur

Immédiat

Formations ; pour l'Ofast, mesure de gestion

 

· Accroître la transmission d'informations entre les juridictions et les services de renseignement par l'intermédiaire d'un dispositif de feed-back inspiré de celui mis en place dans la lutte contre le terrorisme

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice

2025

Loi

 

· Définir les cadres d'usage de l'intelligence artificielle en matière pénale

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice

2025

Loi

 

· Subordonner la création d'un fichier « criminalité organisée » à l'identification claire de son périmètre, des services appelés à y accéder et des modalités de sa supervision, en interdisant tout lien avec des dossiers judiciaires en cours

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice

2025 au plus tôt

Loi

 

· Envisager une expérimentation du renseignement algorithmique en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, avec des règles adaptées et clairement encadrées

Ofast, DGSI, DNRED

2026

Loi

 

· Redynamiser le dispositif des Cross, en intégrant les parquets, en encourageant les remontées d'informations en provenance des effectifs sur le terrain et en désignant des Cross « chef de file » pour centraliser et enrichir le renseignement et éviter les « informations perdues »

Ministère de l'Intérieur

Immédiat

Décision du Gouvernement

ADAPTER LE DROIT PÉNAL ET LA PROCÉDURE PÉNALE AUX RÉALITÉS DU NARCOTRAFIC

CRÉER UN PARQUET NATIONAL ANTISTUPÉFIANTS

21

Donner à l'autorité judiciaire les moyens de la mobilisation contre le narcotrafic

 

· Créer, sur le modèle du Pnat et du PNF, un parquet national antistupéfiants (Pnast)

Ministère de la Justice

2025

Loi

DURCIR LA PROCÉDURE PÉNALE POUR METTRE LES NARCOTRAFIQUANTS HORS D'ÉTAT DE NUIRE

Dans le droit pénal : neutraliser les narcotrafiquants du haut du spectre avant qu'il ne soit trop tard

22

Compléter l'arsenal pénal de la lutte contre le narcotrafic

 

· Envisager l'extension de l'infraction d'association de malfaiteurs sur le modèle de la loi antimafia italienne et la création d'un crime d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un des crimes relevant de l'article 706-73 du code de procédure pénale

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi

Au cours de l'enquête et de l'instruction

23

Renforcer l'efficacité de la procédure pénale au stade de l'enquête et de l'instruction

 

· Instaurer un « dossier coffre », sous le contrôle de la chambre de l'instruction de la cour d'appel, pour protéger l'efficacité de certaines techniques spéciales d'enquête

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi

 

· Encourager les services d'enquête à recourir davantage aux techniques spéciales d'enquête et garantir une capacité de réponse suffisante des services en charge de la fourniture de ces techniques

Ministère de l'Intérieur

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Simplifier la procédure d'autorisation de recours aux techniques spéciales d'enquête et allonger les délais du recours de ces mesures au stade de l'enquête dirigée par le parquet

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi

 

· Faciliter et encourager les enquêtes sous pseudonyme

Ministère de la Justice, ministère de l'Intérieur

Parlement

2025

Loi

Sensibilisation par circulaire

 

· Étendre et assouplir les conditions de la procédure des « coups d'achat », notamment en définissant clairement la notion d'« incitation à la commission d'une infraction »

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi

 

· Mieux encadrer le régime des nullités de procédure

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi

Au stade du jugement et de l'application des peines

24

Spécialiser effectivement la chaîne pénale

 

· Spécialiser l'ensemble des acteurs de la chaîne pénale en créant des cours d'assises spéciales pour les assassinats et meurtres commis en bande organisée et des juges de l'application des peines spécialisés en matière de criminalité organisée

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi

La problématique spécifique de la détention des narcotrafiquants

25

Redonner son sens à l'incarcération des narcotrafiquants

 

· Limiter les virements extérieurs et plafonner le « pécule » des personnes en détention pour des faits liés au narcotrafic

Ministère de la Justice (direction de l'administration pénitentiaire)

2025

Décision du Gouvernement

 

· Mettre en place les mesures techniques indispensables pour faire cesser les trafics en prison via les brouilleurs de téléphones portables et les dispositifs antidrones, et imposer au Gouvernement de rendre compte régulièrement de l'avancée de ce chantier au Parlement

Ministère de la Justice (direction de l'administration pénitentiaire)

2025

Décision du Gouvernement

 

· Adapter les délais de la détention provisoire aux narcotrafiquants et sécuriser le traitement des demandes de mise en liberté

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi

MIEUX PROTÉGER LE RECOURS AUX INFORMATEURS ET ÉTENDRE LE STATUT DES « REPENTIS »

26

Mieux utiliser les informateurs et les « repentis »

 

· Mettre fin à l'idée selon laquelle un informateur ne peut pas participer à la commission de l'infraction sur laquelle il renseigne les services d'enquête

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi

 

· Donner un véritable statut aux traitants d'informateurs

Ministère de l'Intérieur

Parlement

2025

Loi et décret

 

· Envisager la création d'une « infiltration civile » dans laquelle un informateur deviendrait un infiltré, dans le respect d'une convention passée avec le futur parquet national antistupéfiants

Ministère de la Justice

Parlement

2026

Loi

 

· Libéraliser le recours aux « repentis » et garantir aux personnes concernées une réduction ou une exemption de peine

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi

 

· Distinguer clairement le pilier judiciaire du pilier administratif dans la sélection des « repentis »

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice

Parlement

2026

Loi

Mesures d'organisation interne pour le ministère de l'Intérieur

 

· Confier le monopole de la gestion des « repentis » et des infiltrés « civils » en matière de stupéfiants au futur Pnast

Ministère de la Justice

Parlement

2025-2026

Loi

 

· Donner à la CNPR tout son rôle dans la gestion des témoins menacés

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi

MINEURS ET « PETITES MAINS » : TROUVER LA RÉPONSE ADAPTÉE

Les mineurs, entre complices et victimes : trouver le bon équilibre

27

Garantir la pleine prise en compte des spécificités du rôle des mineurs dans le narcotrafic

 

· Adapter la réponse pénale pour les mineurs liés au narcotrafic dès la première infraction commise

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi

 

· Prévoir une double prise en charge de ces mineurs par l'ASE et la PJJ

Ministère de la Justice

Immédiat

Décision du Gouvernement (base législative existante)

 

· Tenir compte de la situation des fratries pour éviter le basculement des frères et soeurs dans les trafics

Ministère de la Justice

Immédiat

Décision du Gouvernement

28

Réprimer le recrutement en ligne des « jobbeurs »

 

· Tirer pleinement profit de l'infraction pénale de provocation d'un mineur au trafic de stupéfiants, notamment en clarifiant les conditions de sa mise en oeuvre en cas de recrutement de « jobbeurs » sur les réseaux sociaux

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi

ENDIGUER LE POUVOIR CONTAMINANT DU NARCOTRAFIC : LUTTER CONTRE LA CORRUPTION

GÉRER LE RISQUE DE CORRUPTION TOUT AU LONG DE LA CARRIÈRE

29

Gérer le risque de corruption tout au long de la carrière des agents publics

 

· Confier aux inspections la réalisation d'un audit « en centrale » et sur le terrain pour caractériser le risque de corruption et ses facteurs facilitants

Inspections chargées de la supervision des personnels exposés au risque de corruption (IGPN, IGGN, IGJ, inspection des services des douanes, IGA...)

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Cartographier le risque corruptif, à la fois à l'échelle d'une administration (sensibilité des postes, organisation du travail) et à l'échelle de chaque agent (fonctions, facteurs de risque)

Inspections précitées, avec l'appui de l'Agence française anticorruption

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Transmettre obligatoirement aux inspections l'ensemble des cas de corruption ou de manquements à la probité constatés au sein d'une administration et assurer la cohérence du dispositif anticorruption (signalement, audit, adaptation des mesures de prévention)

Services gestionnaires des effectifs exposés au risque de corruption (DGPN, DGGN, DGDDI, juridictions...)

Immédiat

Circulaires

 

· Sensibiliser et former les agents tout au long de leur carrière, en mettant également à leur disposition des outils d'aide à l'évaluation individuelle du risque corruptif et en instaurant un baromètre annuel de la sensibilisation

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice, ministère de l'Économie et des Finances

2025

Formations

 

· Cribler systématiquement et à échéance régulière les agents publics des services répressifs, de la douane et de l'administration pénitentiaire

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice, ministère de l'Économie et des Finances

Sneas

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Élargir le périmètre des fonctionnaires soumis à une obligation de déclaration de situation patrimoniale à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique

Premier ministre

2025

Loi

 

· Solliciter davantage Tracfin pour tracer l'environnement financier et patrimonial d'un agent suspecté d'atteinte à la probité

Services d'enquête chargés des dossiers d'atteinte à la probité

Immédiat

Mesure de coopération

 

· Consolider les dispositifs d'alerte interne

Services gestionnaires des effectifs exposés au risque de corruption (DGPN, DGGN, DGDDI, juridictions...)

Immédiat

Mesure d'organisation administrative interne

 

· Prévoir un accompagnement et un suivi RH spécifique pour les agents publics sanctionnés pour atteinte à la probité

Services gestionnaires des effectifs exposés au risque de corruption (DGPN, DGGN, DGDDI, juridictions...)

Immédiat

Mesure d'organisation administrative interne

 

· Publier systématiquement un communiqué de presse sur l'intranet pour tous les cas de corruption

Services gestionnaires des effectifs exposés au risque de corruption (DGPN, DGGN, DGDDI, juridictions...)

Immédiat

Mesure d'organisation administrative interne

 

· Intégrer dans le plan de contrôle de l'Agence française anticorruption une évaluation du dispositif mis en place par la police nationale, la gendarmerie nationale, la douane, l'administration pénitentiaire et les services judiciaires pour lutter contre la corruption en lien avec la criminalité organisée

Agence française anticorruption

2025

Contrôle de l'AFA

CRÉER LES CONDITIONS DE L'INCORRUPTIBILITÉ DANS LA SPHÈRE PUBLIQUE COMME DANS LA SPHÈRE PRIVÉE

30

Ne pas céder au piège de la corruption de « basse intensité »

 

· Assurer la traçabilité des accès aux fichiers de la police et de la gendarmerie et développer un traitement automatisé pour détecter les utilisations suspectes

Ministère de l'Intérieur

Dès que possible

Décision du Gouvernement subordonnée à des développements techniques

 

· Donner toute sa place au contrôle interne dans la lutte contre l'utilisation abusive des fichiers (contrôle hiérarchique, revue annuelle des habilitations, mise en place de packs d'habilitations, avec une gestion différenciée des accès)

Ministères de l'Intérieur, ministère de la Justice, ministère de l'Économie et des Finances

2025

Audit interne

 

· Assurer une coopération plus étroite entre les antennes de l'Office antistupéfiants et l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales

Ministre de l'Intérieur

Immédiat

Mesure de coopération

 

· Étendre la liste des incriminations de la criminalité organisée à la corruption

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi

 

· Assurer une coordination plus étroite entre les inspecteurs chargés des enquêtes administratives et les magistrats parquetiers ou instructeurs chargés des enquêtes judiciaires sur des faits de corruption commis par des agents publics (assouplissement du droit d'accès aux informations contenues dans le dossier d'enquête, remontée d'informations)

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi

Mesures d'organisation interne et de coopération

 

· Développer les partenariats avec les administrations « signalantes » (Tracfin, douanes, Agence française anticorruption, direction générale des finances publiques, Haute Autorité pour la transparence de la vie publique) ainsi qu'avec les professions réglementées (notaires, commissaires aux comptes, administrateurs et mandataires judiciaires)

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice, ministère de l'Économie et des Finances, HATVP, AFA, professions déclarantes

Immédiat

Mesure de coopération

 

· Garantir que les dispositifs d'alerte interne puissent traiter les signalements des lanceurs d'alerte ainsi que les signalements de personnels privés approchés par les organisations criminelles

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice, ministère de l'Économie et des Finances

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Développer des mesures de protection ad hoc pour les personnes approchées et menacées par les organisations criminelles

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice

Immédiat

Décision du Gouvernement (bases législative et réglementaire existantes)

 

· Impliquer davantage les acteurs privés « périphériques » dans les dispositifs anticorruption en développant des actions de sensibilisation à leur égard

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice, ministère de l'Économie et des Finances

Immédiat

Sensibilisation

 

· Cribler systématiquement et régulièrement les personnels des plateformes portuaires et aéroportuaires

Ministère de l'Intérieur (Sneas)

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Intégrer pleinement le risque corruptif dans les audits des plateformes portuaires et aéroportuaires respectivement menés par la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités et par la direction générale de l'aviation civile

DGITM et DGAC

Immédiat

Décision du Gouvernement

LUTTER DE MANIÈRE IMPLACABLE CONTRE TOUS LES BLANCHIMENTS

« IL FAUT SUIVRE L'ARGENT POUR COMPRENDRE LE SYSTÈME »

31

Mieux suivre l'argent du narcotrafic et exploiter pleinement le rôle du renseignement

 

· Accroître le partage d'informations entre les services de renseignement, les services d'enquête et les juridictions

Ministère de l'Intérieur (Ofast, services d'enquête...), ministère de la Justice (juridictions), Tracfin

Immédiat

Mesure de coopération

 

· Mobiliser davantage les professions financières et non financières dans la lutte contre le blanchiment

Ministère de l'Économie et des Finances

Professions assujetties

Tracfin

Parlement

Immédiat

Sensibilisation et communication

Pour l'élargissement du périmètre des déclarants : loi

 

· Donner davantage de moyens à Tracfin pour lui permettre de répondre à l'ensemble des demandes qui lui sont adressées

Ministère de l'Économie et des Finances

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Cartographier les flux financiers issus du narcotrafic et comprendre les liens entre le bas et le haut du spectre, en intégrant les collecteurs

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice, ministère de l'Économie et des Finances

Lancement immédiat des réflexions pour un aboutissement à horizon 2026

Cartographie des flux illicites

INTÉGRER PLEINEMENT LES ENJEUX FINANCIERS AUX INVESTIGATIONS JUDICIAIRES

32

Intégrer pleinement les enjeux financiers aux investigations judiciaires

 

· Systématiser les enquêtes patrimoniales

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Renforcer l'expertise financière dans les services d'enquête et dans les juridictions, en accroissant les moyens humains et les efforts de formation

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice

Immédiat

Décision du Gouvernement

 

· Créer une enquête post-sentencielle sur le patrimoine de la personne condamnée pour trafic de stupéfiants ainsi que sur celui de ses proches

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi

 

· Faciliter l'accès au fichier informatisé des données juridiques immobilières et au système d'immatriculation des véhicules

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Décret et loi, selon les publics visés

 

· Autoriser la fermeture administrative des « lessiveuses », sur arrêté préfectoral

Ministère de l'Intérieur

Parlement

2025

Loi

 

· Adopter une approche « globale » intégrant à la fois le contrôle fiscal, le recouvrement des créances publiques et la lutte contre la fraude sociale et le travail dissimulé

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice, ministère de l'Économie et des Finances

Immédiat

Mesure d'organisation interne susceptible d'être officialisée par des circulaires, notes ou dépêches

 

· Mettre fin à la sédimentation des acteurs en privilégiant des unités dédiées dans les services d'enquête et une coordination sur le modèle du « Colbac-S » de Marseille

Ministère de l'Intérieur, ministère de la Justice, ministère de l'Économie et des Finances

Immédiat

Décision du Gouvernement

FRAPPER LES TRAFIQUANTS AU PORTEFEUILLE

33

Frapper enfin les narcotrafiquants au portefeuille

 

· Instaurer une procédure d'injonction pour richesse inexpliquée

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi

 

· Recourir davantage à la présomption de blanchiment

Ministère de la Justice

Immédiat

Dépêche / circulaire de politique pénale

 

· Instaurer une procédure de gel judiciaire et de saisie conservatoire des biens des narcotrafiquants

Ministère de la Justice, ministère de l'Économie et des Finances (Tracfin)

Parlement

2025

Loi (en lien avec la transposition du paquet européen sur le gel des avoirs criminels)

 

· Autoriser la confiscation sans condamnation pénale

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi (en lien avec la transposition du paquet européen sur le gel des avoirs criminels)

 

· Faciliter la saisie des fonds de commerce

Ministère de la Justice

Parlement

2025

Loi

 

· Systématiser les « circuits courts » pour lutter contre les sociétés éphémères

Ministère de la Justice

Tracfin

Immédiat

Mesure de coopération

Dépêche aux parquets

 

· Mieux identifier les bénéficiaires effectifs en prévoyant une radiation d'office des entreprises qui ne se sont pas soumises à leurs obligations et abaisser le seuil de déclaration

Ministère de l'Économie et des Finances

Parlement

2025

Loi et décret

 

· Former davantage à la saisie des cryptoactifs

Ministère de la Justice, ministère de l'Intérieur

Agrasc

Immédiat

Formations

 

· Étendre la procédure de saisie rapide aux comptes de paiement en ligne

Ministère de la Justice

Parlement

2024

Loi (texte en cours d'examen)

 

· Étendre aux enquêteurs de l'AMF et de l'ACPR la possibilité de recourir à une identité d'emprunt pour contrôler les prestataires en ligne

Ministère de l'Économie et des Finances, ACPR et AMF

Parlement

2025

Loi

 

· Affecter davantage de biens confisqués aux services d'enquête et aux juridictions

Agrasc

Immédiat

Décision du Gouvernement

GAGNER LA BATAILLE CULTURELLE : L'ENJEU DE LA PRÉVENTION

LA PRÉVENTION DE LA CONSOMMATION : METTRE LA COMMUNICATION PUBLIQUE À LA HAUTEUR DES ENJEUX

34

Engager un véritable effort de communication publique contre le narcotrafic et améliorer la prise en charge des consommateurs

 

· Mettre en oeuvre un plan de lutte contre la consommation de stupéfiants, sur le modèle du « plan tabac » et adapté selon les publics visé

Premier ministre

2025

Plan de lutte

 

· Mieux soutenir les initiatives des maires en faisant connaître les programmes menés par la Mildeca et en renforçant leur financement

Premier ministre

2025

Actions de communication en direction des maires

 

· Renforcer les moyens des structures d'addictologie et allouer des financements pérennes à leurs actions, notamment en vue de la mise en oeuvre des injonctions judiciaires de soins

Ministère de la Santé

2025

Décision du Gouvernement

COMMUNIQUER POUR ÉVITER L'ENTRÉE DES JEUNES DANS LE TRAFIC

35

Empêcher l'entrée des plus jeunes dans le trafic

 

· Contrer, par des campagnes ciblées, le récit mis en place par les trafiquants dans les quartiers les plus touchés

Premier ministre

2025

Campagnes de communication

 

· Structurer les initiatives menées sur le territoire en milieu scolaire

Ministère de l'Éducation nationale

Mildeca

2025

Décision du Gouvernement

 

· Envisager le développement des internats d'excellence pour le public spécifique des adolescents exposés au narcotrafic

Ministère de l'Éducation nationale

2025

Décision du Gouvernement


* 1 ONUDC, rapport mondial sur les drogues, résumé exécutif, 2023.

* 2 Audition du 27 novembre 2023.

* 3 Direction nationale de la police judiciaire, note (non publique) sur l'état des règlements de compte en lien avec le trafic de stupéfiants sur le territoire national et à Marseille, 1er décembre 2023.

* 4 Cette technique, apparue il y a quelques années, consiste à faire usage d'une arme en tirant dans les jambes de la victime, généralement sur le genou ou légèrement en dessous.

* 5 Maritime Analysis and Operations Centre (Narcotics), soit Centre opérationnel d'analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants.

* 6 Mission d'information du Sénat relative au trafic de stupéfiants en provenance de Guyane.

* 7 Source du graphique : commission d'enquête, d'après les données établies par la plateforme d'identification des avoirs criminels (Piac) et publiées par l'Office anti-stupéfiants dans l'état de la menace en 2023.

* 8  Dossier législatif accessible en ligne.

* 9 Rapport n° 321 (2002-2003) de Bernard Plasait et Nelly Olin.

* 10 Voir, par exemple, les déclarations de Gérald Darmanin dès février 2021.

* 11 Audition du 26 février 2024.

* 12 Comme en attestent les travaux de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives, la dépénalisation ou la légalisation a été dans certains pays un facteur de limitation des trafics, et dans d'autres une cause aggravante (les organisations criminelles ayant tendance à se reporter soit sur un marché noir de cannabis, permettant la vente de produits moins onéreux et/ou plus concentrés en THC, soit vers d'autres substances).

* 13 Expression utilisée dans une contribution écrite adressée par Clotilde Champeyrache à la commission d'enquête.

* 14 Audition du 29 janvier 2024.

* 15 Constat porté par un représentant d'un service de renseignement entendu à huis clos par la commission.

* 16 L'éradication des cultures illicites de coca s'est poursuivie en 2022, avec la destruction de 70 000 hectares. Ce chiffre est cependant en deçà de l'objectif initial de 100 000 hectares. Concernant le changement de stratégie dans cette lutte contre les trafics, le président colombien Gustavo Petro, élu en juin 2022, a annoncé son souhait de mettre un terme à la « guerre anti-drogues » considérée comme un échec et de relancer les négociations avec les groupes armés. La transformation des cultures illicites au bénéfice de projets agricoles productifs constituerait la priorité des nouveaux pouvoirs publics, au détriment de l'affrontement direct avec les trafiquants. D'autres mesures, comme la suspension de l'extradition des trafiquants colombiens qui accepteraient de négocier avec l'État colombien le « démantèlement pacifique » de leur activité criminelle, ont été évoquées.

* 17 Chiffres présentés dans le Rapport mondial sur les drogues 2023 (Résumé analytique), p. 13.

* 18 Il en existe bien d'autres ; ainsi Baudelaire le consommait sous la forme d'une sorte de confiture de couleur verte, le dawamesk.

* 19 C'est notamment le cas en Afghanistan, en Mongolie ou encore au Mexique.

* 20 Les informations présentées dans cet encadré sont issues d'une note datée de juillet 2022 de l'Ofast/direction centrale de la police judiciaire, jointe au rapport.

* 21 Le tétrahydrocannabinol ou THC est le principal principe actif du cannabis.

* 22 « Production et routes de la résine de cannabis », Note OCRTIS du 11 avril 2018.

* 23 Rapport mondial sur les drogues 2023, résumé analytique, p. 23.

* 24 Audition de Frédéric Veaux le 27 novembre 2023.

* 25 OFDT, «  La cocaïne, un marché en essor. Évolutions et tendances en France (2020-2022) ».

* 26 Expression utilisée par un représentant d'un service de renseignement entendu à huis clos par la commission.

* 27 Chiffres cités dans la même audition.

* 28 Europol, Decoding the EU's most threatening criminal networks, 2024.

* 29 Traduit de l'anglais in World Drug Report - Executive Summary, p. 28.

* 30 OFDT, Drogues et addictions : chiffres clés.

* 31 C'est-à-dire un dérivé naturel de l'opium ; les opioïdes sont, eux, des produits synthétiques se liant aux mêmes récepteurs que les opiacés. On compte parmi les opioïdes la méthadone, utilisée en substitution de l'héroïne, mais aussi le fentanyl.

* 32 Données de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies présentées dans son rapport 2023.

* 33  Présentation des NPS sur le site de l'OFDT.

* 34 Voir Direction de la coopération internationale de sécurité (DCIS), « La « cocaïne rose », une drogue en expansion dans les milieux festifs européens », mars 2023, note d'information jointe au rapport.

* 35 Audition du 10 avril 2024.

* 36 Audition du 10 avril 2024.

* 37 Audition du 26 mars 2024.

* 38 La Fédération Addiction est un réseau de professionnels de l'addictologie et de centres de santé, regroupant notamment 80 % des centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) et des centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues (CAARUD).

* 39 Audition du 18 décembre 2023.

* 40 OFDT, « État des lieux sur le fentanyl et les fentanyloïdes en France », octobre 2021.

* 41 Voir une discussion sur le sujet dans un forum dédié à la consommation de drogues.

* 42 Le chercheur Bertrand Monnet y a consacré un reportage vidéo pour Le Monde : Au coeur des laboratoires mexicains de fentanyl, 7 novembre 2023.

* 43 Sans que ces chiffres soient officiels, les médias évoquent un total 120 000 morts aux États-Unis en lien avec les opioïdes pour l'année 2023.

* 44 Lors de son audition du 10 avril 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer Gérald Darmanin soulignait plus largement qu'« on compte 900 % de conteneurs de plus sur les mers du monde depuis huit ans. Qui peut penser que ce qui est valable pour les chaînes hi-fi, les bananes ou la production de melons ne le serait pas pour la drogue, qui emprunte en premier lieu le vecteur maritime ? ».

* 45 « Lutte contre le narcotrafic », note de 2015 établie en vue d'un séminaire à Bogotá et transmise au rapporteur par la Direction générale des relations internationales et stratégiques (DGRIS) du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

* 46 Ibid.

* 47 Nacer Lalam et David Weinbeger, « Le trafic de stupéfiants à partir des aérodromes secondaires non surveillés et plateformes de circonstance », décembre 2012, document transmis par l'IHEMI.

* 48 Ibid.

* 49 Ce point est développé plus avant, dans la section du rapport consacrée à la coopération internationale.

* 50 Chiffres présentés par l'attaché douanier régional pour l'Afrique de l'Ouest lors de son audition par le président et le rapporteur le 24 janvier 2024.

* 51 L'affaire dite Air Cocaïne a marqué le début d'une prise de conscience de l'ampleur du trafic dans cet espace : un Boeing 727 avait été retrouvé abandonné au Mali, en plein désert ; il avait transporté plusieurs tonnes de cocaïne en provenance du Venezuela.

* 52 Note « Trafic de drogue en Afrique de l'Ouest » du Centre d'analyse, de prévision et de stratégie transmise au rapporteur par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

* 53 Au vu des quantités de conteneurs qui arrivent chaque année dans les grands ports d'Europe du Nord, seuls 2 % environ peuvent être contrôlés. Les douaniers ciblent donc, pour ces contrôles, les lignes maritimes et les produits jugés les plus à risque.

* 54 Les fils des présidents de ces deux pays, Malam Bacai et Lansana Conté, ont tous deux été arrêtés et mis en examen pour trafic de cocaïne, respectivement en 2009 et en 2022.

* 55 Corentin Cohen, « La lutte contre le trafic de drogue via l'Atlantique Sud vers l'Afrique de l'Ouest. Comment convaincre le Brésil d'agir davantage ? », 2018, DGRIS/Networks of researchers in international affairs (NORIA).

* 56 Informations fournies par le service de sécurité intérieure (SSI) de l'ambassade de France en Turquie à une demande écrite de la commission d'enquête.

* 57 Ofast, État de la menace liée au trafic de stupéfiants 2023.

* 58 Nacer Lalam, chercheur spécialiste du narcotrafic, lors de la table ronde de chercheurs du 12 décembre 2023.

* 59 Frédéric Ploquin, reporter et documentariste, lors de la table ronde de journalistes du 18 décembre 2023 : « Les trafiquants se sont rendu compte qu'il était très simple de passer la drogue en France. [...] Je me suis rendu sur place pour mon dernier documentaire. Une vedette de police patrouille sur le fleuve ; dès qu'elle sort, des sonnettes s'activent et plus personne ne bouge. On mesure l'immensité du problème, avec des centaines de pirogues qui empruntent le fleuve et un bateau pour le surveiller... »

* 60 Ce point sera détaillé dans une section de la deuxième partie consacrée aux outre-mer.

* 61 Audition du 27 novembre 2023.

* 62 Audition du 18 décembre 2023.

* 63 Selon une note datée de 2018 et transmise au rapporteur par la DGPN « Drogues de synthèse de type amphétamine - production et routes », la production domestique européenne « est suffisante pour alimenter un trafic intra-européen de grande ampleur mais aussi d'importantes exportations vers tous les autres continents ».

* 64 Selon une note datée de septembre 2022 et transmise par la DGPN (« Le trafic de stupéfiants afghan, une activité criminelle à l'épreuve du pouvoir taliban »), ce trafic serait toléré par les Talibans, au contraire de celui de l'héroïne.

* 65 Note « Drogues de synthèse de type amphétamine - production et routes » précitée.

* 66 Ofast, L'état de la menace liée aux trafics de stupéfiants, 2023.

* 67 Corentin Cohen, op. cit.

* 68 Audition du 10 avril 2024.

* 69 « Les groupes albanais dans le trafic international de stupéfiants », Ofast, décembre 2022.

* 70 S. Lupo, Histoire de la mafia, des origines à nos jours, Champs Flammarion, 2009.

* 71 N. Carretero et A. Lezcano, « Marbella, sede global del crimen organizado », El País, 25 avril 2021.

* 72 Les difficultés de la coopération judiciaire et policière avec Dubaï et le Maghreb sont abordées dans la deuxième partie, consacrée à la coopération internationale.

* 73 Audition du 10 avril 2024.

* 74  « Dubai connexion, comment blanchir cinquante millions de dollars », documentaire vidéo réalisé par Bertrand Monnet pour Le Monde, 1er décembre 2023.

* 75 Audition « rapporteur » du 23 janvier 2024.

* 76 Audition à huis clos du 30 novembre 2023.

* 77 Le Parisien/AFP, « Deux gros narcotrafiquants français interpellés à Dubaï ont été relâchés, avant leur extradition », 11 janvier 2024. Voir la section suivante consacrée à la coopération internationale.

* 78 Audition du 27 novembre 2023.

* 79 Insight Crime, The Colombian Cocaine Shift to Europe: the Business No-Brainer, rapport

publié en février 2021.

* 80 Audition du 11 décembre 2023.

* 81 Celui-ci déclarait, lors de son audition du 26 février 2024, que « la Mocro Maffia [...] est parvenue à conquérir Marseille, qui lui donne une base ».

* 82 Audition du 22 janvier 2024.

* 83 Europol, « Decoding the EU's most threatening criminal networks », 2024.

* 84 Audition du 18 mars 2024.

* 85 Cité dans l'article de N. Carretero et A. Lezcano, « Marbella, sede global del crimen organizado », El País, 25 avril 2021.

* 86 Observations émises par des policiers lors du déplacement de la commission d'enquête à Marseille.

* 87 Audition du 18 décembre 2023.

* 88 Europol, Decoding the EU's most threatening criminal networks, rapport publié en avril 2024.

* 89 Ces quatre traits sont Agile, Borderless, Controlling et Destructive : agiles, sans frontières, manipulateurs et destructeurs.

* 90 Ibid.

* 91 Audition du 27 novembre 2023.

* 92 Audition du 26 mars 2024.

* 93 Audition à huis clos du 27 novembre 2023.

* 94 Jeune Afrique, « Affaire « Air Cocaïne » : un Espagnol, un Français et un Malien inculpés au Mali », 7 juin 2011.

* 95 On désigne sous ce vocable les bateaux naviguant sous la surface, mais incapables de plonger.

* 96 Le Parisien/AFP, « Espagne : un sous-marin chargé de cocaïne intercepté en Galice », 25 novembre 2019.

* 97 Littoral Info, « Galice : un narco-sous-marin abandonné et à la dérive a été découvert dans l'estuaire de l'Arousa », 14 mars 2023.

* 98  Loi du 9 juillet 2009 votée par le Congrès de Colombie.

* 99 Exemple cité en audition « rapporteur ».

* 100 Ouest France, « Cocaïne échouée en Normandie : plus de 2 tonnes de drogue et des questions qui persistent », 10 mars 2023.

* 101 Ouest France, « En Normandie, près de 700 kg de cocaïne retrouvés en pleine mer au mois de novembre », 11 décembre 2023.

* 102 BFMTV, « Une tonne de cocaïne cachée dans une cargaison de sucre saisie au port du Havre », 10 mars 2024.

* 103 Ofast, L'état de la menace liée au trafic de stupéfiants 2023.

* 104 Cette définition est accessible sur le site internet d'Interpol.

* 105 Audition du 12 février 2024.

* 106 Audition tenue à huis clos le 30 novembre 2023.

* 107 Ibid.

* 108 Exemples cités par Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin, lors de son audition à huis clos du 30 novembre 2024, ainsi que par les directions interdépartementales de la police nationale (DIPN) de Nantes et de l'Essonne lors de leur audition du 17 janvier 2024.

* 109 Réponse écrite de Clotilde Champeyrache.

* 110 Europol, rapport précité « Decoding the EU's most threatening criminal networks ».

* 111 Europol a identifié 821 most threatening criminal networks dans l'Union européenne, regroupant environ 25 000 individus.

* 112 Europol, rap.cit.

* 113 Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, lors de sa seconde audition devant la commission d'enquête (18 mars 2024).

* 114 Audition du 17 janvier 2024.

* 115 Audition du 11 décembre 2023.

* 116 Les autorités de supervision refusent la qualification de « crypto-monnaies » pour ne pas alimenter la confusion entre ces actifs et les monnaies « traditionnelles ». À leur sens, les actifs numériques ne remplissent pas les trois fonctions dévolues à la monnaie, à savoir servir d'une unité de compte, d'intermédiaire des échanges et de réserve de valeur.

* 117 Loi n° 2019-486 relative à la croissance et la transformation des entreprises du 22 mai 2019.

* 118 Informations transmises à la commission lors de son déplacement à Marseille.

* 119 Rapport d'activité du service Tracfin.

* 120 Audition à huis clos du 30 novembre 2023.

* 121 Audition à huis clos du 14 mars 2024.

* 122 Table ronde de chercheurs du 12 décembre 2023.

* 123 La situation est plus complexe hors du vieux continent : selon Jean Noël Bonnieu, sous-directeur du Moyen-Orient au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, « si les membres de Daech sont apparus comme des consommateurs de captagon en Irak, l'implication de l'organisation terroriste dans le narcotrafic, soupçonnée, n'a jamais été formellement établie. Toutefois, le contrôle résiduel de certains territoires ruraux par Daech donne inévitablement lieu au paiement de droits de passage à l'organisation. Au Yémen, les Houthis exercent un contrôle sur un large pan du trafic de stupéfiants, centré autour du khat » (audition du 22 janvier 2024).

* 124 Audition du 26 mars 2024.

* 125 Audition du 10 avril 2024.

* 126 Elle est même partiellement erronée concernant ce dernier pays puisque, comme expliqué supra, les Talibans ont interdit la culture du pavot à leur retour au pouvoir, ce qui s'est traduit par une baisse de 95 % de la production en 2023.

* 127 Audition du 26 mars 2024.

* 128 Note confidentielle de la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice transmise au rapporteur.

* 129 Cité par le rapport n° 321 (2002-2003), Drogue : l'autre cancer, de Bernard Plasait et Nelly Olin.

* 130 Audition du 12 décembre 2023.

* 131 Depuis 1999, ce dispositif assure une veille sur les évolutions et les phénomènes émergents dans le champ des drogues. Il se focalise sur des populations particulièrement consommatrices de drogues évoluant dans l'espace de la marginalité urbaine (rue, squat, etc.) et l'espace festif (scènes alternative et commerciale techno). Il s'appuie sur des données qualitatives recueillies auprès d'usagers, d'intervenants du secteur socio-sanitaire, et d'agents des forces de l'ordre.

* 132 OFDT, Phénomènes émergents liés aux drogues en 2001, rapport sur Marseille du dispositif TREND, p. 453-454.

* 133 Audition du 6 mars 2024.

* 134 Le Parisien, « Trafic de drogue : la France compte 3 952 points de deal », Jean-Michel Décugis et Vincent Gautronneau, publié le 20 décembre 2020.

* 135 OFDT, « Phénomènes émergents liés aux drogues - Tendances récentes sur les usages de drogues à Paris en 2018 », dispositif TREND, décembre 2019, p. 34.

* 136  Rapport d'information n° 45 (2022-2023) sur l'organisation et les moyens de la Douane face au trafic de stupéfiants, fait par Albéric de Montgolfier et Claude Nougein au nom de la commission des finances du Sénat, enregistré le 12 octobre 2022, p. 38.

* 137 Direction nationale des garde-côtes des douanes, note d'information sur l'évolution du trafic de cocaïne / vecteur maritime, 24 novembre 2023, p. 4.

* 138 Audition du 27 novembre 2023.

* 139 Op. cit. n° 3, p. 3.

* 140 Audition du 17 janvier 2024.

* 141 Audition du 15 janvier 2024.

* 142 Audition du 12 décembre 2023.

* 143 Audition du 18 décembre 2023.

* 144 Audition du général Tony Mouchet, adjoint au major général de la gendarmerie nationale

* 145 Audition du 15 janvier 2024.

* 146 Audition du 5 mars 2024.

* 147 Audition du 15 janvier 2024.

* 148 Ofast, État de la menace liée aux trafics de stupéfiants, 2023.

* 149 Jérôme Bourrier, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bayonne, audition du 15 janvier 2024.

* 150 Valence comprend 64 483 habitants dans un département (la Drôme) qui en compte 517 414.

* 151 France 3 Régions Auvergne Rhône Alpes, « Tentative d'homicide à Valence près d'une école : "on a peur pour nos enfants" témoigne une mère de famille », Blandine Lavignon, Géraldine Chaine et Hugo Chapelon, 26 mars 2024.

* 152 France 3 Régions Auvergne Rhône Alpes, « 3 questions sur la force d'action républicaine (FAR) qui entre dans sa phase 2 à Valence », Sandra Méallier, 21 décembre 2023.

* 153 Audition du 15 janvier 2024.

* 154 Audition à huis clos du 30 novembre 2023.

* 155 Le Monde, « La montée de la corruption d'agents publics, un défi pour l'État », Antoine Albertini, édition du 9 février 2024.

* 156 Audition du 26 février 2024.

* 157 Audition du 13 février 2024.

* 158 Audition du 27 novembre 2023.

* 159 Le Figaro, « Meaux : un réseau de corruption en prison impliquant une greffière démantelé », 21 décembre 2023.

* 160 France Bleu, « Neuf personnes, dont un policier, sont mises en examen pour trafic de drogue », 13 janvier 2024.

* 161 Le Parisien, « Trafic de drogue à la prison de Réau : six surveillants mis en examen, dont deux écrous », 15 mars 2024.

* 162 France 3 Provence-Alpes-Côte d'Azur, « Drogue : cinq choses à savoir sur la perquisition de l'antenne de l'Ofast à Marseille par l'IGPN », Sionie Canetto, 11 avril 2024.

* 163 Audition du 27 novembre 2023.

* 164 Audition du 12 décembre 2023.

* 165 Audition du 17 janvier 2024.

* 166 Ofast, L'état de la menace liée au trafic de stupéfiants 2023.

* 167 Audition du 7 décembre 2023.

* 168 Audition du 11 décembre 2023.

* 169 Rapport sur le traitement de la criminalité organisée et financière, juin 2019, transmis à la commission d'enquête au titre du droit de communication de son rapporteur.

* 170 Audition du 10 avril 2024.

* 171 Carte disponible sur le site Internet de l'ONUDC.

* 172 Rapport n° 707 (2019-2020), déposé le 15 septembre 2020, d'Antoine Karam, « Mettre fin au trafic de cocaïne en Guyane : l'urgence d'une réponse plus ambitieuse ».

* 173 Audition du 12 décembre 223.

* 174 Ce point est détaillé supra dans la première partie sur une section consacrée aux nouvelles routes de la drogue.

* 175 Audition du 12 décembre 2023.

* 176 Lors de son audition par la commission le 20 décembre 2023, le président de l'association des maires de Guyane, Michel-Ange Jérémie, a rappelé qu'en Guyane, 53 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, le taux de chômage est donc très fort.

* 177 Audition du 18 décembre 2023.

* 178 Audition du 18 décembre 2023.

* 179 Trois homicides volontaires par arme à feu commis en vingt-quatre heures, entre le 8 juin 2022 et le 9 juin 2022 sur le département de la Martinique, portant à 14 le nombre d'homicides volontaires commis par arme à feu depuis janvier 2022, contre 18 en 2018, 25 en 2019, 16 en 2020 et 16 en 2021.

* 180 Audition du 11 décembre 2024.

* 181 Actu.fr, « Réseau de drogue démantelé à Meaux : les dealers donnaient des cartes de fidélité », Louis Gohin, 24 janvier 2022.

* 182 Audition du 17 janvier 2024.

* 183 Audition du 18 décembre 2023.

* 184 Audition du 17 janvier 2024.

* 185 Audition du rapporteur du 10 janvier 2024

* 186 Audition du 27 novembre 2023.

* 187 Audition du 7 décembre 2023.

* 188 Audition du 27 novembre 2023.

* 189 Ofast, État de la menace liée aux trafics de stupéfiants, 2023.

* 190 Direction nationale de la police judiciaire, note sur l'état des règlements de compte en lien avec le trafic de stupéfiants sur le territoire national et à Marseille, 1er décembre 2023.

* 191 Id.

* 192 Le Figaro, édition en ligne du 21 mars 2024.

* 193 Audition du 5 mars 2024.

* 194 Ofast, État de la menace liée aux trafics de stupéfiants, 2023.

* 195 Audition du 17 janvier 2024, Marc Perrot précise également : « Ces trafics de stupéfiants ont généré des règlements de comptes, qui, depuis le premier en 2013, se sont amplifiés avec le temps. 2019 a constitué une année de référence pour la criminalité nantaise, avec 64 faits de fusillades et de violence armée. Si, depuis lors, ces phénomènes ont très légèrement diminué, on reste sur des tendances lourdes puisque 41 fusillades ont été recensées dans l'agglomération nantaise en 2023. Les trafics de stupéfiants n'ont pas faibli : 845 kilos de résine de cannabis, 436 kilos de cocaïne et une dizaine de kilos d'héroïne ont été saisis en 2023 ».

* 196 Audition du 17 janvier 2024 de la procureure près le tribunal judiciaire de Lille, Carole Étienne.

* 197 Audition du 17 janvier 2024.

* 198 Note précitée de la DACG.

* 199 Dans la nuit du 10 au 11 octobre 2021, un commando de 6 ou 7 personnes parlant anglais et français montait à bord du navire depuis le quai, se dirigeait vers la coupée (poste de surveillance radio du navire), où il prenait en otage le marin affecté à la surveillance radio, puis gagnait la cabine du capitaine. Les individus séquestraient ensuite les 21 membres de l'équipage du navire dans une pièce, permettant ainsi à une partie du groupe des agresseurs de procéder à une fouille complète de celui-ci, accompagné du capitaine. Cette fouille ne donnait lieu, d'après ce dernier, à aucune découverte particulière. Les malfaiteurs quittaient ensuite le navire, aux alentours de 4 h 30 ou 5 h 00 du matin, après avoir dépouillé les membres de l'équipage de leurs téléphones portables et du numéraire en leur possession.

* 200 Audition du 17 janvier 2024.

* 201 Audition du 5 mars 2024.

* 202 Sud Ouest, «  Trafic de drogue à Marseille : l'effroyable calvaire d'un « charbonneur » qui avait doublé des dealers », 8 septembre 2023.

* 203 Audition du 5 mars 2024.

* 204 Audition du 5 mars 2024.

* 205 Enfant tué le 21 août 2023 dans le quartier Pissevin de Nîmes, très touché par le trafic de stupéfiants. Il se trouvait dans la voiture de son oncle prise entre les tirs de gangs s'opposant pour le contrôle d'un point de deal. Source : Le Monde, «  Mort de Fayed, 10 ans, à Nîmes : neuf hommes mis en examen », 18 novembre 2023.

* 206 Femme âgée de 24 ans tuée le 10 septembre 2023 à la cité Saint-Thys de Marseille alors qu'elle travaillait dans sa chambre, un individu passager d'un scooter a tiré en rafales sur des bâtiments à proximité d'un lien de trafic de stupéfiants. Source : France 3 régions, « Assassinat de Socayna : ce qu'il faut retenir de la mise en examen d'un mineur impliqué dans le trafic de drogue », Christine Laemmel, 16 février 2024.

* 207 Audition du 5 mars 2024.

* 208 Idem.

* 209 Cité par le rapport n° 321 (2002-2003) « Drogue, l'autre cancer » de Bernard Plasait et Nelly Olin.

* 210 Cela vise l'hypothèse d'un individu qui est amené à commettre des infractions de manière contrainte.

* 211 Le Parisien, «  Marseille : viol, séquestration et torture sur mineurs... Jusqu'à 25 ans de prison pour des trafiquants de drogue », 29 septembre 2023 : deux adolescents de 15 et 16 ans, recrutés par des trafiquants dans les quartiers nord de Marseille, avaient été retenus, coupés de leurs proches, forcés à travailler gratuitement.

* 212 Articles 225-42-1 et suivants du code pénal.

* 213 Article 227-18-1 du code pénal.

* 214 Ofast, État de la menace liée aux trafics de stupéfiants, 2023.

* 215 Audition du 5 mars 2024.

* 216  Article publié le 29 novembre 2023.

* 217 Selon le site Internet Vie-publique.fr, l'ubérisation peut être définie comme « la remise en question de structures économiques traditionnelles par la mise en relation directe des clients et des prestataires, via des plateformes numériques. Elle permet une plus grande souplesse, diversifie l'offre et la demande, introduit l'innovation et modifie la notion même de travail ».

* 218 OFDT, Drogues et addictions - Données essentielles, édition 2019.

* 219 Audition du 5 mars 2024.

* 220 Audition du 5 mars 2024.

* 221 Audition du 15 janvier 2024.

* 222 Article L. 413-1 du code de la justice pénale des mineurs (CJPM).

* 223 Article L. 413-6 du CJPM.

* 224 Article L. 121-5 du CJPM.

* 225 Article préliminaire du CJPM.

* 226 Audition du 12 décembre 2023.

* 227 Audition du 17 janvier 2024.

* 228 Audition du 17 janvier 2024.

* 229 Audition du 18 décembre 2023.

* 230 Audition du 5 mars 2024.

* 231 Audition du 17 janvier 2024.

* 232 Audition à huis clos du 30 janvier 2024.

* 233 Audition du 5 mars 2024.

* 234 Audition du 15 janvier 2024.

* 235 Audition à huis clos du 30 janvier 2024.

* 236 Dans leur réponse écrite commune au questionnaire du rapporteur, la direction de l'administration pénitentiaire et le SNRP soulignent que le « risque d'évasion préméditée, en lien avec le réseau ou l'organisation criminelle auxquels [les détenus] appartiennent, ainsi qu'avec les moyens financiers dont ils disposent qui leur permettent de financer un tel projet et leur cavale » est réel et « s'accroît avec un quantum de peine élevé ».

* 237 Cf. supra les développements sur la corruption.

* 238 Aux termes des articles 86 et suivants de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dite de Montego Bay, du 10 décembre 1982, la haute mer s'entend de toutes les parties de la mer qui ne sont comprises ni dans la zone économique exclusive, la mer territoriale ou les eaux intérieures d'un État, ni dans les eaux archipélagiques d'un État archipel.

* 239 « Une Partie qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu'un navire exerçant la liberté de navigation conformément au droit international et battant le pavillon ou portant une immatriculation d'une autre Partie se livre au trafic illicite peut le notifier à l'État du pavillon, demander confirmation de l'immatriculation et, si celle-ci est confirmée, demander l'autorisation à cet État de prendre les mesures appropriées à l'égard de ce navire ».

* 240 Voir Valérie Boré Eveno, « Le cadre juridique international de la lutte contre le trafic maritime de stupéfiants : Quelles compétences pour les États ? ».

* 241 Ibid.

* 242 Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG), Focus sur l'action de l'État en mer, document transmis à la commission d'enquête.

* 243 Pour les cas où le pavillon n'est pas apparent ou connu, la Marine peut procéder à une enquête de pavillon. Si la nationalité ne peut être établie, en application de l'article 5 de la loi du 15 juillet 1994 le navire est considéré comme relevant de la compétence des juridictions françaises.

* 244  Décision de la Cour de cassation n°06-86945 du 13 décembre 2006. La Cour de cassation a considéré que l'article 17 de la Convention de Vienne n'imposait aucun formalisme.

* 245 Ordonnance n° 2015-1534 du 26 novembre 2015 modifiant la loi du 15 juillet 1994

* 246 Le procureur de la République compétent est celui de la zone du délégué de l'action de l'État en mer, en l'occurrence le préfet maritime de l'Atlantique, basé à Brest. Dans la zone Antilles, le délégué de l'action de l'État en mer est le préfet de la Martinique.

* 247 Contribution écrite transmise par la Marine nationale à la commission d'enquête.

* 248 Audition « rapporteur » de la Marine nationale.

* 249 Voir, infra, la section consacrée à la coopération avec le Venezuela.

* 250 Audition du 11 décembre 2023.

* 251 Contribution écrite transmise à la commission d'enquête.

* 252 Entendue en audition « rapporteur » le 10 janvier 2024.

* 253 Contribution écrite transmise à la commission d'enquête.

* 254 Réponse au questionnaire écrit du rapporteur.

* 255 Audition de la Junalco du 7 décembre 2023.

* 256 Dalloz, « Entraide judiciaire internationale : les trente ans des magistrats de liaison français », 20 octobre 2023.

* 257 Source : Ministère de la justice, septembre 2023

* 258 Cette équipe est notamment évoquée par un rapport sénatorial de 2019, « Colombie : une paix encore fragile » (n° 548, 2018-2019).

* 259 Audition de magistrats en poste aux Antilles du 18 décembre 2024.

* 260 Audition du 9 avril 2024.

* 261 Audition de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée, 7 décembre 2023.

* 262 Audition du 22 janvier 2024.

* 263 Audition du 26 mars 2024.

* 264 Le Parisien/AFP, « Deux gros narcotrafiquants français interpellés à Dubaï ont été relâchés, avant leur extradition », 11 janvier 2024. L'un d'entre eux a été à nouveau arrêté au Liban le 19 mars 2024 : Le Parisien/AFP, « L'un des deux gros narcotrafiquants français récemment relâchés à Dubaï interpellé au Liban », 19 mars 2024.

* 265 Audition du 23 janvier 2024.

* 266 Le Figaro/AFP, « Dubaï confirme l'arrestation d'un baron de la drogue italien », 25 août 2021. Imperiale a ensuite été extradé et son procès a commencé en octobre 2023 en Italie.

* 267 Audition du 29 janvier 2024.

* 268 Voir par exemple France24, « Sur le Sahara occidental, Paris réitère son "soutien clair et constant" au plan marocain », 26 février 2024.

* 269 France24/AFP, « Trafic de drogue : le chef présumé du gang marseillais Yoda interpellé au Maroc », 9 mars 2024.

* 270 CAPS, « Trafic de drogue en Afrique de l'Ouest », 23 juin 2016.

* 271 Voir la première partie du présent rapport.

* 272 Ibid., et Le Temps, « En Mauritanie, un trafic de cocaïne éclabousse des notables », 15 juin 2007.

* 273 Audition « rapporteur » du 24 janvier 2024.

* 274 InSight Crime, « Venezuela's Cocaine Revolution », avril 2022.

* 275 Voir le communiqué de presse du département de la Justice des États-Unis.

* 276 Le Sénat avait d'ailleurs adopté, le 30 octobre 2019, à l'initiative d'Olivier Cadic, une résolution pour le renforcement des sanctions adoptées par le Conseil européen contre des responsables des violations des droits humains au Venezuela et pour soutenir les États signataires de l'enquête auprès de la Cour pénale internationale.

* 277 Audition du 22 janvier 2024.

* 278 Ces accords prévoient une feuille de route en vue d'un scrutin « libre et inclusif ».

* 279 Les autorités vénézuéliennes ont également évoqué un « complot » pour assassiner le président ( France24 : « Au Venezuela, Nicolas Maduro dénoncent (sic) les accords de négociation avec l'opposition » (26 janvier 2024).

* 280 Audition du 11 décembre 2023.

* 281 Table ronde de journalistes du 18 décembre 2023.

* 282 Il s'agit de l'entretien que l'on peut voir dans le document « Dubaï connexion, comment blanchir 50 millions de dollars » réalisé par Bertrand Monnet et publié par Le Monde le 1er décembre 2023.

* 283 Audition du 22 janvier 2024.

* 284 Voir la partie suivante sur les initiatives européennes.

* 285 Ces failles ne sont pas le propre de l'Europe, comme en témoignent les difficultés rencontrées par les autorités américaines dans la lutte contre le fentanyl, produit sur la base de précurseurs chimiques fabriqués en Chine - certains élus ayant récemment émis des accusations selon lesquelles Pékin subventionnerait la production de fentanyl.

* 286 Audition de la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco), 7 décembre 2023.

* 287 À l'exception du terrorisme, domaine dans lequel Europol peut soutenir des enquêtes strictement nationales.

* 288 Audition du 22 janvier 2024.

* 289 Idem.

* 290 Idem.

* 291 Audition du 22 janvier 2024.

* 292 Ibid.

* 293 DACG, « Compte rendu séminaire de lutte contre la criminalité organisée - 27 & 28 avril 2023 »

* 294 DGGN, sous-direction de la police judiciaire, « Focus EncroChat/EMMA 95 », 7 juin 2023 (annexe VI).

* 295 Audition du 22 janvier 2024.

* 296 Voir infra.

* 297 Voir la note « Focus EncroChat/EMMA 95 ».

* 298 Audition à huis clos de la DGDDI et de la DNRED du 27 novembre 2024.

* 299 Ibid.

* 300 Audition de parquets situés en zone urbaine du 17 janvier 2024.

* 301 Audition du 19 mars 2024.

* 302 Audition du 22 janvier 2024.

* 303 Voir le texte intégral du programme de La Haye.

* 304 Ces dispositions sont issues du traité de Prüm signé en 2005 entre 7 pays membres puis intégré au corpus normatif de l'Union européenne.

* 305 Voir la présentation du texte dans le cadre du contrôle de subsidiarité effectué par le Sénat.

* 306 La commission des lois du Sénat a formulé 30 propositions sur le sujet dans un rapport intitulé « La reconnaissance biométrique dans l'espace public : 30 propositions pour écarter le risque d'une société de surveillance ».

* 307 Voir la présentation du texte dans le cadre du contrôle de subsidiarité effectué par la commission des affaires européennes du Sénat.

* 308 Réunion au Tribunal judiciaire de Marseille.

* 309 Voir la liste complète des mesures dans le communiqué de presse publié par le Conseil européen le 18 janvier 2024.

* 310 Réponse du service territorial de la police judiciaire de Guadeloupe au questionnaire du rapporteur.

* 311 Direction générale de la gendarmerie nationale, « Projet de création d'une task-force PJ en Guyane », 8 septembre 2022.

* 312 Selon la direction générale de la gendarmerie nationale, il n'y a aucun IMSI catcher en dotation en Guyane et aux Antilles.

* 313 Direction générale de la gendarmerie nationale, « Analyse de la criminalité organisée en Martinique », 16 novembre 2022.

* 314 Direction des affaires criminelles et des grâces, « Septième bilan de la mise en oeuvre du protocole interministériel d'action renforcée contre les mules », 2022.

* 315 Direction générale des outre-mer, note sur l'évolution du plan de lutte contre le trafic de stupéfiants, mai 2022. La proposition de mesure n° 22 visait à « s'assurer que les Cross ultramarines sont suffisamment armées en personnel pour être efficientes (plus d'un effectif), après avoir réalisé un état des lieux ».

* 316 Groupe de travail présidé par François Molins, procureur général près la Cour de Cassation, Rapport remis à Madame la Garde des Sceaux, « Rapport sur le traitement de la criminalité organisée et financière », juin 2019.

* 317 Direction des affaires criminelles et des grâces, « Trafics de stupéfiants : état des lieux et évolutions actuelles », 23 novembre 2022.

* 318 Circulaire du 29 septembre 2022 relative à la politique pénale territoriale pour la Guyane.

* 319 Table ronde de magistrats de Guyane, 20 décembre 2023.

* 320 Direction des affaires criminelles et des grâces, « Le traitement judiciaire de la problématique des « mules » de Guyane », 23 juillet 2023.

* 321 Table ronde des magistrats des Antilles, 19 décembre 2023.

* 322 Table ronde de magistrats de Guyane, 20 décembre 2023.

* 323 Chiffres donnés par le ministre de la justice, garde des sceaux, lors de son audition du 9 avril 2024.

* 324 Direction générale des douanes et des droits indirects, « Les caractéristiques de la composante aéromaritime de la Douane ».

* 325 Réponse du commandant de la gendarmerie de Martinique au questionnaire du rapporteur.

* 326 Préfecture de Guyane, courrier du 14 septembre 2022 ayant pour objet le renforcement de l'action de l'État contre le trafic international de stupéfiants entre la Guyane et les aéroports parisiens et le phénomène des mules.

* 327 Pour une mise en oeuvre effective au mois de septembre 2020.

* 328 Direction des affaires criminelles et des grâces, « Septième bilan de la mise en oeuvre du protocole interministériel d'action renforcée contre les mules », 2022.

* 329 Ibid.

* 330  Rapport d'information n° 707 (2019-2020) fait par Antoine Karam au nom de la mission d'information relative au trafic de stupéfiants en provenance de Guyane, déposé le 15 septembre 2020.

* 331 Direction des actions criminelles et des grâces, « Visite de l'aéroport de Schiphol », novembre 2022.

* 332 Placé sous l'égide de la Mildeca, le groupe de travail réunissait le ministère de la justice et le ministère de l'intérieur.

* 333 Direction des actions criminelles et des grâces, « La problématique des « mules » en provenance d'Antilles-Guyane. Synthèse des travaux du groupe de travail Mildeca », 30 juillet 2018.

* 334 D'après les éléments transmis au rapporteur par le ministère de l'intérieur et des outre-mer.

* 335 D'après les données transmises par le ministère de l'intérieur et des outre-mer au rapporteur.

* 336 Direction générale des outre-mer, « Dispositif « 100 % contrôles des voyageurs » à l'aéroport Félix Éboué - Contexte, mise en oeuvre et bilan », 16 octobre 2023.

* 337 Selon les éléments transmis au rapporteur par l'Office antistupéfiants ainsi que par la direction des affaires criminelles et des grâces.

* 338 Direction des affaires criminelles et des grâces, « Septième bilan de la mise en oeuvre du protocole interministériel d'action renforcée contre les mules », 2022.

* 339 Direction des actions criminelles et des grâces, « La problématique des « mules » en provenance d'Antilles-Guyane. Synthèse des travaux du groupe de travail Mildeca », 30 juillet 2018.

* 340 Réponse du service territorial de la police judiciaire de Guyane au questionnaire du rapporteur.

* 341 Table ronde de magistrats de Guyane, 20 décembre 2023.

* 342 Propos tenus par Alexandre Huguet, chef de l'antenne de l'Ofast Caraïbes, lors de son audition du 18 décembre 2023.

* 343 Audition du 18 décembre 2023.

* 344 Direction générale de la gendarmerie nationale, « Le trafic de stupéfiants par mules depuis la Guyane et la zone Antilles », 30 novembre 2022.

* 345 Chiffre arrêté au 1er décembre 2023.

* 346 Réponse du service territorial de la police judiciaire de Guadeloupe au questionnaire du rapporteur.

* 347 Une évolution également confirmée par l'antenne de l'Ofast Caraïbe-Martinique, en réponse au questionnaire du rapporteur.

* 348Table ronde de magistrats de Guyane, 20 décembre 2023.

* 349 Audition du 18 décembre 2023

* 350 Direction des affaires criminelles et des grâces, Circulaire du 29 septembre 2022 relative à la politique pénale territoriale pour la Guyane.

* 351 Direction des affaires criminelles et des grâces, « Le traitement judiciaire de la problématique des « mules » de Guyane », 23 juillet 2023.

* 352 Réponse de la Junalco au questionnaire du rapporteur.

* 353 Déplacement à Valence, 28 mars 2024.

* 354 Réponse de la compagnie départementale de gendarmerie de Saint-Quentin au questionnaire du rapporteur.

* 355 Géolocalisation, interception de correspondances émises par la voie des communications électroniques, interceptions téléphoniques, sonorisation et fixation d'images, captation de données informatiques.

* 356 Dispositif d'interception des communications mobiles, qui imite le fonctionnement d'une antenne-relais de téléphonie.

* 357 « Enregistreur de touches », dispositif qui détecte les frappes sur le clavier d'un ordinateur ou un smartphone et mémorise les entrées.

* 358 Déplacement de la commission d'enquête en région lyonnaise, 15 et 16 février 2024.

* 359  Rapport d'information n° 387 (2022-2023) La police judiciaire dans la police nationale : se donner le temps de la réussite fait par Nadine Bellurot et Jérôme Durain au nom de la commission des lois, déposé le 1er mars 2023.

* 360 Audition en format « rapporteur » de vice-procureurs du tribunal judiciaire de Paris, 10 janvier 2024.

* 361 Voir par exemple le rapport « Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner » remis au Gouvernement en 2019 par les députés Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann.

* 362  Rapport d'information n° 387 (2022-2023) La police judiciaire dans la police nationale : se donner le temps de la réussite fait par Nadine Bellurot et Jérôme Durain au nom de la commission des lois, déposé le 1er mars 2023.

* 363 Inspection générale de l'administration, inspection générale de la justice, inspection générale de la police nationale, « Bilan de la création des directions territoriales de la police nationale dans les outre-mer et des expérimentations des directions départementales de la police nationale », janvier 2023.

* 364 Préfecture de police de Paris, note au rapporteur sur « Le dispositif de la préfecture de police en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants », en date du 21 mars 2024.

* 365  Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

* 366  Décret n° 2014-346 du 17 mars 2014 relatif à la protection des personnes mentionnées aux articles 706-62-2 et 706-63-1 du code de procédure pénale.

* 367 Audition en format rapporteur de Bruno Sturlèse, ancien président de la commission nationale de protection et de réinsertion, 29 février 2024.

* 368 Audition de Marc Sommerer, président de chambre près la cour d'appel de Paris, président de la commission nationale de protection et de réinsertion des repentis, 12 février 2024.

* 369 La convention triennale signée entre la direction générale de la police nationale et l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués prévoit en outre une revalorisation annuelle en tant que de besoin.

* 370 Pour reprendre les termes employés par Clothilde Champeyrache, économiste, maîtresse de conférence habilitée à diriger des recherches au Conservatoire national des arts et métiers.

* 371 Les douanes sont à l'origine de 70 % à 80 % de l'ensemble des saisies de produits stupéfiants opérées sur le territoire national.

* 372 Gérald Darmanin a e effet déclaré lors de son audition : « Aujourd'hui, nous analysons ces drogues, nous cherchons les précurseurs et, ensuite, nous les interdisons par arrêté. En résumé, tout est autorisé, sauf ce qui est interdit. [...] je proposerai que l'on s'inspire du modèle britannique, en interdisant les précurseurs utilisés pour fabriquer de la drogue, sauf ceux qui sont autorisés pour l'industrie du médicament. Cette initiative me paraît de nature à lutter plus vite et plus fort contre les drogues de synthèse ».

* 373  Rapport n° 547 (2021-2022) fait par François-Noël Buffet au nom de la délégation parlementaire au renseignement, déposé le 24 février 2022.

* 374  Rapport n° 810 (2022-2023) fait par Christian Cambon et Sacha Houlié au nom de la délégation parlementaire au renseignement, déposé le 29 juin 2023.

* 375  Arrêté du 8 mars 2024 modifiant l'arrêté du 29 octobre 2007 portant création d'un service à compétence nationale dénommé « direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières ».

* 376  Décret n° 2024-235 du 18 mars 2024 portant création d'un service à compétence nationale dénommé « Office national anti-fraude ».

* 377 Éléments chiffrés transmis par le service d'enquêtes judiciaires des finances en réponse au questionnaire du rapporteur.

* 378  Rapport d'information n° 45 (2022-2023) Donner à la Douane les moyens d'accomplir sa mission dans la lutte contre le trafic de stupéfiants fait par Albéric de Montgolfier et Claude Nougein au nom de la commission des finances, déposé le 12 octobre 2022.

* 379 Groupe de travail présidé par François Molins, procureur général près la Cour de Cassation, Rapport remis à Mme la Garde des Sceaux, « Rapport sur le traitement de la criminalité organisée et financière », juin 2019.

* 380 D'après les éléments transmis par la juridiction interrégionale spécialisée de Paris au rapporteur.

* 381 Tribunal judiciaire de Paris, courrier dans le cadre du dialogue de gestion Jirs 2022 - Observations du tribunal judiciaire de Paris, 13 février 2023.

* 382 D'après les éléments transmis à la commission d'enquête après son déplacement en région lyonnaise.

* 383 En réponse au questionnaire du rapporteur.

* 384 Déplacement de la commission d'enquête à Valence, 28 mars 2024.

* 385 Voir par exemple l'enquête de la Cour des comptes sur le plan de transformation numérique du ministère de la justice, conduite à la demande de la commission des finances du Sénat, janvier 2022.

* 386 Tribunal judiciaire de Paris, courrier dans le cadre du dialogue de gestion Jirs 2022 - Observations du tribunal judiciaire de Paris, 13 février 2023.

* 387 Direction des services judiciaires, « Dialogue de gestion 2022 - Les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs) », 14 mars 2023.

* 388 Audition de la juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée, 7 décembre 2023.

* 389 Audition de Frédérique Camilleri, préfète de l'Essonne, ancienne préfète de police des Bouches-du-Rhône, 6 mars 2024.

* 390 Audition de Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, 18 mars 2024.

* 391 Contribution du collectif Tonkin Pai(x)sible aux travaux de la commission d'enquête.

* 392 Communication en Conseil des ministres, 17 avril 2024.

* 393 Il est d'ailleurs étonnant que si peu de chiffres soient disponibles quant au nombre de personnes interpellées, chaque ministère compétent se « renvoyant la balle » pour éviter de donner des statistiques consolidées, globales et à jour.

* 394 Audition du 10 avril 2024.

* 395 Audition du 9 avril 2024.

* 396 Dépêche du 12 mars 2024 relative à l'articulation de l'autorité judiciaire et des forces de sécurité intérieure dans le cadre des opérations de lutte contre les produits stupéfiants dites « place nette ».

* 397 Audition du ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, 10 avril 2024.

* 398 Les données communiquées dans le cadre du Conseil des ministres du 17 avril 2024 ne sont que parcellaires. Seul le montant des avoirs en liquide est mentionné, à savoir 5 millions d'euros saisis entre les mois de septembre 2023 et d'avril 2024.

* 399 Chiffres communiqués au rapporteur par la direction générale de la police nationale.

* 400 Audition du 10 avril 2024.

* 401 Audition du 27 mars 2024.

* 402 Décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, considérant 13.

* 403 La Cour de cassation rappelle de même que c'est le caractère structuré, ou hiérarchisé de la bande organisée qui la distingue de l'association de malfaiteurs (Crim., Crim. 8 juill. 2015, n° 14-88.329).

* 404 Relevant de la direction centrale de sécurité publique (DCSP).

* 405 Sous l'autorité d'un commandement de groupement, placé lui-même sous l'autorité du préfet.

* 406 Relevant de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ).

* 407 Sous l'autorité du commandant de la région de gendarmerie.

* 408 Les GIR feront l'objet d'observations complémentaires dans la deuxième partie du rapport.

* 409  Rapport d'information n° 387 (2022-2023) La police judiciaire dans la police nationale : se donner le temps de la réussite fait par Nadine Bellurot et Jérôme Durain au nom de la commission des lois, enregistré le 1er mars 2023, p. 29.

* 410 Par exemple, si des demandes d'entraides européennes multiples ou des équipes communes d'enquête sont nécessaires.

* 411 L'Ofast fait également l'objet de développements dans les deuxième et troisième parties du rapport.

* 412 Direction nationale de la police judiciaire, Doctrine d'emploi - filière PJ - Unité d'investigation nationale, 30 janvier 2024 (annexe VIII).

* 413  Rapport d'information n° 45 (2022-2023) sur l'organisation et les moyens de la Douane face au trafic de stupéfiants, fait par Albéric de Montgolfier et Claude Nougein au nom de la commission des finances du Sénat, enregistré le 12 octobre 2022, p. 7.

* 414 Anciennement le service national de douane judiciaire (SNDJ).

* 415 Articles 28-1 et 28-2 du code de procédure pénale.

* 416 Bordeaux, Lille, Lyon, Paris, Marseille, Rennes, Nancy et Fort-de-France.

* 417 Premier alinéa de l'article 706-75 du code de procédure pénale (CPP).

* 418 Alinéa 4 de l'article 706-75 du CPP.

* 419 I. - Dépêche du ministre de la justice du 24 avril 2017 relative à la lutte contre la criminalité complexe et la grande délinquance économique et financière, à la consolidation de l'action des Jirs, au partage de l'information et au règlement des conflits de compétence ; II. - Fiches de la direction des affaires criminelles et des grâces intitulées « L'instance de coordination et le bureau de liaison du port du Havre » et « Activités portuaires en Méditerranée - Parquet général Aix-en-Provence ».

* 420 Alors que le f de l'article 2 du décret n° 2014-445 du 30 avril 2014 relatif aux missions et à l'organisation de la direction générale de la sécurité intérieure prévoit un concours « à la surveillance des activités menées par des organisations criminelles internationales et susceptibles d'affecter la sécurité nationale ».

* 421 Comité interministériel de lutte contre les stupéfiants, dossier de presse, 2 mars 2022, p. 16-17.

* 422 Le I de l'article préliminaire du code de procédure pénale dispose que « la procédure pénale doit être équitable et contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties. » Le III de cet article prévoit également que toute personne suspectée ou poursuivie « a le droit d'être informée des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur. ».

* 423 Articles 706-80 et suivants du code de procédure pénale : surveillance, infiltration, enquête sous pseudonyme, accès à distance aux correspondances stockées par la voie de communications électroniques accessibles au moyen d'un identifiant informatique, recueil des données techniques de connexion et des interceptions de correspondance émises par la voie des communications électroniques, sonorisations et fixations d'images de certains lieux ou véhicules, captation des données informatiques.

* 424 Direction générale de la gendarmerie nationale, SDPJ, Fiche de présentation sur l'affaire « EncroChat/EMMA 95 », 7 juin 2023 (en annexe VI) ; Le Monde.fr, «  EncroChat, cette mystérieuse société technologique prisée par le crime organisé », Jacques Follorou et Martin Untersinger, 3 juillet 2020.

* 425 LeMonde.fr, «  Sky ECC, l'application prisée des trafiquants, mine d'or des enquêtes sur le crime organisé », Thomas Saintourens et Simon Piel, 18 novembre 2022.

* 426 Loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques.

* 427 Audition du 7 décembre 2023.

* 428 Audition du 27 novembre 2023.

* 429 Audition du 17 janvier 2024.

* 430 Article 706-73 du code de procédure pénale.

* 431 Définition élaborée par l'OCLCO et visée dans la première partie du rapport.

* 432 Article 132-71 du code pénal : « Constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'une ou de plusieurs infractions ».

* 433 10° de l'article 222-13 du code pénal s'agissant de violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ont n'ayant entraîné aucune incapacité de travail et

* 434 Article 222-9 du CP.

* 435 10° de l'article 222-12 du code pénal s'agissant des violences ayant entraîné une incapacité de travail de plus de huit jours.

* 436 Articles 432-11 (corruption passive d'acteur public) et 433-1 (corruption active par des particuliers) du code pénal.

* 437 Voir le Titre XV : De la poursuite, de l'instruction et du jugement des actes de terrorisme (Articles 706-16 à 706-25-22 du code de procédure pénale)

* 438 Audition du 7 décembre 2023.

* 439 Article 706-27 du code de procédure pénale

* 440 Audition du 7 décembre 2023. La cour d'assises de Seine-Saint-Denis a jugé en février 2019 huit accusés pour des actes de torture commis sur un transporteur de drogue à qui il était reproché par ses tortionnaires d'avoir perdu la marchandise au cours de la livraison. Avant l'annonce du délibéré par la cour d'assises, ce dernier a déjà fuité. Une enquête permettra d'établir qu'un ancien juré a violé le secret du délibéré étant précisé qu'il avait été approché par deux individus jugés pour des faits d'association de malfaiteurs et acte d'intimidation envers un juré. Pour plus de précisions : France Inter, «  A Bobigny, un juré jugé pour violation du secret : “Ce procès était une honte” », Corinne Audouin, 14 juin 2021 ; Carole Sterlé, Juré sous influence, éditions des Équateurs, 2022.

* 441 Article 2 de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027.

* 442 Articles 171 et 802.

* 443 Audition du 6 mars 2024.

* 444 Crim., 4 mai 1973, n° 72-90.262, B. n° 203 ; Crim., 17 mai 1973, n° 72-11.733, B. n° 321 ; Crim., 19 déc. 1988, n° 88-83.678, B. n° 433 ; Crim., 3 avr. 1979, n° 78-94.203, B. n° 135 ; Crim., 18 mars 1980, n° 79-91.439, B. n° 93 ; Crim., 17 avr. 1980, n° 79-94.128, B. n° 109 ; Crim., 20 mai 1980, n° 79-93.444, B. n° 153 ; Crim., 24 janv. 1985, n° 84-93.030, B. n° 41 ; Crim., 27 nov. 1985, n° 84-93.758, B. n° 383 ; Crim., 19 déc. 1988, n° 88-83.678, B. n° 433 ; Crim. 3 févr. 2004, n° 03-83.873, B. n° 27 ; Crim., 22 mars 2016, n° 15-83.834, B. n° 95 ; Crim., 28 nov. 2017, n° 17-80.416, B. n° 270 ; Crim., 1er sept. 2020, n° 19-85.495, P. ; Crim., 15 déc. 2020, n° 20-81.563, P.

* 445 Crim., 24 janvier 2023, n° 21-85.569 : l'obligation faite au ministère public par l'article 698-1 du code de procédure pénale de solliciter avant tout acte de poursuite, en cas de crime ou de délit visé par les articles 697-1 ou 697-4, l'avis du ministre chargé de la défense ou de l'autorité militaire habilitée par lui, est édictée dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice de sorte que sa violation est constitutive d'une nullité d'ordre public.

* 446 Crim., 25 juill. 1979, B. n° 253 ; Crim., 26 févr. 1991, n° 90-87.479 ; Crim., 16 avr. 1991, n° 91-80.681 ; Crim., 17 janv. 2006, n° 05-86.326, B. n° 19.

* 447 Selon la Cour de cassation dans deux arrêts du 7 septembre 2021 (nos 20-87.191 et 21-80.642) : « Pour déterminer si le requérant a qualité pour agir en nullité, la chambre de l'instruction doit rechercher si la formalité substantielle ou prescrite à peine de nullité dont la méconnaissance est alléguée, a pour objet de préserver un droit ou un intérêt qui lui est propre ».

* 448 Audition du 15 janvier 2024.

* 449 Cass. crim. 25 octobre 2022, n° 22-81.466.

* 450 Cass. crim. 21 novembre 2023, n° 23-81.606.

* 451 La décision du procureur de la République, du juge des libertés et de la détention ou du juge d'instruction est écrite et motivée par référence aux éléments de fait et de droit justifiant que ces opérations sont nécessaires. Elle n'a pas de caractère juridictionnel et n'est susceptible d'aucun recours.

* 452 Crim. 23 janvier 2023, n° 12-86.986.

* 453 Audition du 5 mars 2024.

* 454 Audition du 6 mars 2024.

* 455 Article 173-1 du code de procédure pénale.

* 456 Article D. 223-11 du code pénitentiaire.

* 457 Direction de l'administration pénitentiaire, instruction ministérielle du 11 janvier 2022 relative au répertoire des détenus particulièrement signalés, NOR : JUSK2201661C.

* 458 Audition du 9 avril 2024.

* 459 Audition du 12 février 2024.

* 460 Article 222-39 du code pénal.

* 461 Articles 433-1, 433-2 et 433-11 du code pénal.

* 462 Idem.

* 463 Audition du 13 février 2024.

* 464 Audition du 13 février 2024.

* 465 Les atteintes à la probité enregistrées par la police et la gendarmerie depuis 2016, n° 50, octobre 2022, page 4.

* 466 Audition du 15 janvier 2024.

* 467 Les atteintes à la probité enregistrées par la police et la gendarmerie depuis 2016, n° 50, octobre 2022, page. 8.

* 468 Audition du 12 février 2024.

* 469 Audition du 17 janvier 2024.

* 470 Audition précitée.

* 471 Voir les propos tenus par Jean-Michel Gentil, chef de l'inspection générale de la gendarmerie nationale, lors de son audition.

* 472 Lors d'une précédente évaluation menée par le Greco, il avait été recommandé à la France d'adopter « une stratégie globale dédiée à la prévention des risques de corruption au sein des services répressifs sur la base de cartographies des risques et des secteurs les plus exposés, telles qu'établies par la Gendarmerie nationale et la Police nationale ». Lors de son contrôle de suivi dont le rapport a été rendu publique en avril 2024, le Greco « constate toutefois [qu']aucune stratégie globale, commune à l'ensemble des services répressifs, n'a été adoptée sur la base des cartographies des risques existantes, ce qui empêche la mise en oeuvre complète de la recommandation » précitée.

* 473 Groupe d'États contre la corruption (Greco), deuxième rapport de conformité relatif à la France, cinquième cycle d'évaluation sur la prévention de la corruption et promotion de l'intégrité au sein des gouvernements centraux (hautes fonctions de l'exécutif) et des services répressifs, publié le 10 avril 2024, § 75 à § 80.

* 474 Audition du 12 février 2024.

* 475 Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

* 476 Audition du 27 novembre 2023.

* 477 Audition à huis clos du 30 novembre 2023.

* 478 Audition de Christine Dubois, administratrice supérieure des douanes, adjointe à la cheffe de l'inspection des services à la direction générale des douanes et des droits indirects, 13 février 2024.

* 479 Audition du 13 février 2024.

* 480 Idem.

* 481 Agnès Thibault-Lecuivre, audition précitée.

* 482 Christine Dubois, audition précitée.

* 483 Idem.

* 484 Direction des affaires criminelles et des grâces, Dépêche ayant pour objet la lutte contre la criminalité organisée et les trafics au sein des quartiers de reconquête républicaine, 7 septembre 2018.

* 485 Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner, rapport remis au Gouvernement en 2019 par les députés Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann.

* 486  Arrêté du 8 mars 2024 modifiant l'arrêté du 29 octobre 2007 portant création d'un service à compétence nationale dénommé « direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières ».

* 487 L'économie souterraine regroupe l'ensemble des activités économiques productives dépourvues d'existence légale, ce qui comprend des activités marchandes non déclarées, des activités marchandes illégales et des activités légales informelles.

* 488 Audition de Magali Caillat, contrôleuse générale, sous-directrice de la lutte contre la criminalité financière au sein de la direction nationale de la police judiciaire, et de Thierry Pezennec, commandant divisionnaire fonctionnel, chef de la coordination nationale des groupes interministériels de recherche, 12 mars 2024.

* 489 Ibid.

* 490 Il conserve une logique d'attribution.

* 491 Échange avec les participants du Colbac-S dans le cadre du déplacement de la commission d'enquête à Marseille, les 7 et 8 mars 2024.

* 492 En réponse au questionnaire du rapporteur.

* 493 Il est rappelé que l'article L. 135 L du livre des procédures fiscales (LPF) prévoit que les agents des administrations fiscale et douanière communiquent les renseignements et documents de nature financière, fiscale ou douanière aux officiers et agents de police judiciaire qui les leur demandent. Réciproquement, les officiers et agents de police judiciaire communiquent aux agents des administrations fiscale et douanière tous les éléments susceptibles de comporter une implication de nature financière, fiscale ou douanière.

* 494 Réponse du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal de la direction générale des finances publique au questionnaire du rapporteur.

* 495 Le Conseil d'État a toutefois précisé, dans une décision du 22 juillet 2022 (n° 454050) qu'une personne qui n'a eu que la garde temporaire d'une somme d'argent, produit direct d'une des infractions visées à l'article 1649 quater-0 B bis, doit être regardée comme n'en ayant pas eu la libre disposition.

* 496 Résidence principale, résidence secondaire, voitures automobiles destinées au transport des personnes, motocyclettes de plus de 450 cm3, clubs de sports et de loisirs, voyages, séjours en hôtels, locations saisonnières et dépenses y afférentes, appareils électroménagers, équipements son hifi-vidéo, matériels informatiques, articles de joaillerie et métaux précieux.

* 497 Inspection générale des finances, « Moyens de la DGFiP mis à disposition du ministère de l'intérieur dans le cadre de la lutte contre la délinquance économique et financière », octobre 2019.

* 498 Audition de Virginie Gentile, directrice générale par intérim de l'Agence de gestion de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), 30 novembre 2023.

* 499 Juridiction interrégionale spécialisée de Lille, rapport établi dans la perspective d'une réunion avec la direction des actions criminelles et des grâces, décembre 2021.

* 500 Audition du 27 mars 2024.

* 501 Audition « rapporteur » de Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin, 26 février 2024.

* 502 Inspection générale de la justice, Inspection générale de l'administration, Inspection générale de la gendarmerie nationale, « Rapport inter-inspections d'évaluation du nombre de procédures en cours dans les unités de gendarmerie et d'analyse des causes justifiant l'existence de ces stocks », juin 2023.

* 503 Réponse de la procureure de la République près le tribunal judiciaire de Lille au questionnaire du rapporteur.

* 504 Garde des Sceaux, ministre de la justice, Circulaire de politique pénale générale, 20 septembre 2022.

* 505 Direction générale de la gendarmerie nationale, « Constitution d'une chaîne fonctionnelle en matière de captation des avoirs criminels », 11 mars 2014.

* 506 Inspection générale des finances, Inspection générale de la justice, Inspection générale de l'administration, « Évaluation des moyens alloués à la lutte contre la délinquance économique et financière », avril 2020.

* 507 Réponse de la direction générale de la gendarmerie nationale au questionnaire du rapporteur.

* 508 Selon les éléments figurant dans une dépêche de la direction des affaires criminelles et des grâces portant sur la politique pénale relative à la lutte contre le blanchiment de fonds, en date du 11 décembre 2020.

* 509 Réponse de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués au questionnaire du rapporteur.

* 510 Sur plusieurs points de deal d'un même quartier à Marseille, le chiffre d'affaires quotidien était estimé à 1,5 million d'euros, soit 2,5 kilogrammes en billets de 20 euros.

* 511 Réponse de la direction générale de la gendarmerie nationale au questionnaire du rapporteur.

* 512 Audition de Christophe Perruaux, directeur du service d'enquêtes judiciaires des finances du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, 11 décembre 2023.

* 513 Audition de Magali Caillat, contrôleuse générale, sous-directrice de la lutte contre la criminalité financière au sein de la direction nationale de la police judiciaire, et de Thierry Pezennec, commandant divisionnaire fonctionnel, chef de la coordination nationale des groupes interministériels de recherche, 12 mars 2024.

* 514 Ibid.

* 515 Réponses de Clotilde Champeyrache, économiste, maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches au Conservatoire national des arts et métiers, au questionnaire du rapporteur.

* 516 Article 131-21 du code pénal.

* 517 Définie par la Cour de cassation comme la propriété économique réelle du bien par le condamné (Cass. Crim, 25 novembre 2020, n° 19-86.979).

* 518 La Cour de cassation considère en effet que la bonne foi du tiers propriétaire ne s'entend non pas de son ignorance des faits délictueux, mais de celle de ne pas être le propriétaire réel du bien confisqué (Cass. Crim, 28 juin 2023, n° 22-85.091).

* 519  Règlement (UE) 2018/1805 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 concernant la reconnaissance mutuelle des décisions de gel et des décisions de confiscation.

* 520 Réponse de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués au questionnaire du rapporteur.

* 521 Ibid.

* 522 Ibid.

* 523 Dans le cadre d'un cryptoactif appuyé sur une blockchain, les transactions sont proposées à l'ensemble des utilisateurs. Chacune est décomposée en blocs numériques horodatés qui s'enchaînent ensuite les uns aux autres et qui sont validés par les validateurs. Une fois un bloc validé, il est quasiment impossible à modifier.

* 524 Au premier trimestre 2023, 23 600 cryptoactifs avaient été recensés, pour une valorisation de 1 800 milliards d'euros.

* 525 Analyse nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, février 2023.

* 526 D'après les éléments communiqués par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution au rapporteur.

* 527 Cour des comptes, «  Les crypto-actifs : une régulation à renforcer », 19 décembre 2023.

* 528 Outils d'analyse transactionnelle, qui permettent de lire et de déchiffrer les chaînes de blocs pour retracer l'historique complet des transactions.

* 529  Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 530 Direction des affaires criminelles et des grâces, Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, « Guide de saisie et de confiscation des actifs numériques », juin 2023.

* 531 Article 30 de la loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces.

* 532 Article 415 du code des douanes.

* 533 Direction générale de la gendarmerie nationale, Fiche sur les avoirs criminels réalisée pour la commission d'enquête, 21 février 2024.

* 534 Modification de l'article 706-152 du code de procédure pénale par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale

* 535 Direction des affaires criminelles et des grâces, « Focus sur la mise en oeuvre du délit de blanchiment - État du droit et de la jurisprudence », juillet 2020.

* 536  Loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

* 537 Aux termes de l'article 321-6 du code pénal, « Le fait de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie ou de ne pas pouvoir justifier de l'origine d'un bien détenu, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes qui soit se livrent à la commission de crimes ou de délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et procurant à celles-ci un profit direct ou indirect, soit sont les victimes d'une de ces infractions, est puni d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende ».

* 538 Source : Audition de Magali Caillat, contrôleuse générale, sous directrice de la lutte contre la criminalité financière au sein de la direction nationale de la police judiciaire, et de Thierry Pezennec, commandant divisionnaire fonctionnel, chef de la coordination nationale des groupes interministériels de recherche, 12 mars 2024

* 539 Réponse du service d'enquêtes judiciaires des finances au questionnaire du rapporteur.

* 540 Contribution de Transparency International aux travaux de la commission d'enquête.

* 541 Audition de Christophe Perruaux, directeur du service d'enquêtes judiciaires des finances du ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, 11 décembre 2023

* 542 Ainsi que rappelé dans une circulaire du garde des sceaux, ministre de la justice, relative à la lutte contre la criminalité organisée et en date du 2 décembre 2016.

* 543 Groupe d'action financière, «  Mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. France, Rapport d'évaluation mutuelle », mai 2022.

* 544  Loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale.

* 545 Analyse nationale des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, février 2023.

* 546 Audition de Virginie Gentile, directrice générale par intérim de l'Agence de gestion de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, 30 novembre 2023.

* 547 Article 131-21 du code pénal.

* 548 Cour de cassation, Chambre criminelle, 12 juin 2019, n° 18-83.396. Ce principe impose que la confiscation soit proportionnée à la gravité de la faute commise et à l'ampleur du gain réalisé grâce à l'infraction, étant rappelé qu'une telle peine est étroitement contrôlée par le juge dans la mesure où elle constitue une atteinte au droit de propriété du condamné.

* 549 Projet annuel de performances de la mission « Justice » annexé au projet de loi de finances pour 2024.

* 550 Audition de Magali Caillat, contrôleuse générale, sous-directrice de la lutte contre la criminalité financière au sein de la direction nationale de la police judiciaire, et de Thierry Pezennec, commandant divisionnaire fonctionnel, chef de la coordination nationale des groupes interministériels de recherche, 12 mars 2024.

* 551 Déplacement de la commission d'enquête à Marseille, 7 et 8 mars 2024.

* 552 Méthodologiquement, cela correspond aux seules décisions de justice transmises à l'Agrasc. Données transmises par l'Agrasc en réponse au questionnaire du rapporteur.

* 553 Document transmis à la commission d'enquête.

* 554 Le C3N a eu un rôle important dans l'affaire EncroChat (voir la partie II-1)

* 555 Curieusement, l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN), rattaché à la SDPJ, n'est pas mentionné par l'Ofast parmi les acteurs de la lutte contre les stupéfiants, alors qu'il apporte un appui scientifique aux enquêtes portant sur le narcotrafic de haut niveau.

* 556 Comme l'IRCGN, ce service n'est pas mentionné par l'Ofast.

* 557 Voir infra.

* 558 Propos tenus par un membre du service interdépartemental de police judiciaire (SIPJ 54) lors d'une réunion de la commission d'enquête avec les services de police à Verdun.

* 559 Rencontré lors du déplacement de la commission d'enquête en Bourgogne et à Lyon.

* 560 Table ronde de magistrats des Antilles, 18 décembre 2023.

* 561 Audition du 27 novembre 2023.

* 562 Réponse à un questionnaire écrit du rapporteur en vue de l'audition de la DGDDI et de la DNRED du 25 mars 2024.

* 563 Document à statut confidentiel transmis à la commission d'enquête.

* 564 La commission d'enquête a rencontré le procureur de la République de Grenoble dans le cadre de son déplacement en Bourgogne et à Lyon.

* 565 Exemple donné par la section de recherche de Marseille lors d'une réunion à la préfecture de police.

* 566 Exemple donné par le général Hubert Bonneau, commandant de la région de gendarmerie Bretagne, lors de son audition « rapporteur » du 6 février 2024.

* 567 Déplacement de la commission à Verdun et Commercy.

* 568 Ofast, « Doctrine nationale de la lutte contre les trafics de stupéfiants », document transmis à la commission d'enquête.

* 569 Informations issues du même document.

* 570  https://www.masecurite.interieur.gouv.fr/fr

* 571 Données présentées par l'Ofast dans une réponse écrite à un questionnaire de la commission.

* 572 Pour 2023, les chiffres sont en légère augmentation : Pour 2023, 5 187 notes de renseignement, aboutissant à 3 590 gardes à vue dont 1 265 écrous (informations transmises par l'Ofast dans une réponse écrite à la commission d'enquête).

* 573 Audition « rapporteur » du 10 janvier 2024.

* 574 Audition du 6 mars 2024.

* 575 Audition de services de police, 17 janvier 2024.

* 576 Note de l'Ofast datée du 29 août 2022, transmise à la commission d'enquête.

* 577 Ofast, « Compte-rendu du 25ème comité de suivi du déploiement des Cross, 21 septembre 2023 ».

* 578 Audition de parquets situés en zone urbaine, 17 janvier 2024.

* 579 « Le dispositif de la préfecture de police en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants », 21 mars 2024.

* 580 Audition de France Urbaine, 6 février 2024.

* 581 Idem.

* 582 Audition précitée.

* 583 Table ronde des associations de maires ruraux, 29 février 2024.

* 584 Table ronde des services de police, 17 janvier 2024.

* 585 Audition de France Urbaine, 6 février 2024.

* 586 Audition de la direction générale de la gendarmerie nationale, 27 novembre 2024.

* 587 Audition des bailleurs sociaux, 29 janvier 2024.

* 588 Audition « rapporteur » du 13 février 2024.

* 589 Audition du 10 avril 2024.

* 590 Audition du 27 novembre 2023.

* 591 Idem.

* 592 Table ronde des magistrats de Guadeloupe et de Martinique, 17 décembre 2023.

* 593 Ibid.

* 594 Audition du 10 avril 2024.

* 595 Source : réponse écrite du Siat au questionnaire du rapporteur.

* 596 Réponses écrites de l'Ofast à un questionnaire du rapporteur.

* 597 Réponse de l'Ofast à un questionnaire écrit du rapporteur.

* 598 Table ronde du 18 décembre 2024.

* 599 Réponse au questionnaire du rapporteur en vue de l'audition de la DGDDI et de la DNRED du 25 mars 2024.

* 600 Audition du 27 novembre 2023.

* 601Bruno Le Maire aura, au cours de son audition le 26 mars 2024, fait à de multiples reprises un parallèle appuyé entre narcotrafic et terrorisme, allant jusqu'à déclarer - sans étayer son propos - que « les phénomènes du narcotrafic et du terrorisme, comparables de par leur intensité et de par la menace qu'ils font peser sur la France, sont liés ».

* 602 Audition à huis clos du 14 mars 2024.

* 603 Elle déclarait ainsi pendant son audition que la DGSI « apporte un concours technique déterminant aux services chargés prioritairement de la lutte contre le narcotrafic ».

* 604 Ibid.

* 605 Table ronde du 18 décembre 2023.

* 606 Audition de parquets situés en zone rurale, 15 janvier 2024.

* 607 Idem.

* 608 Audition du 7 décembre 2023.

* 609 Audition du 27 mars 2024.

* 610 Audition du 27 novembre 2023.

* 611 Audition du 18 mars 2024.

* 612 Audition du 18 mars 2024.

* 613 Audition du 18 mars 2024.

* 614 Audition du 10 avril 2024.

* 615 Annexe II.

* 616 Voir par exemple Le Temps/AFP, « Blanchiment d'argent: les Émirats arabes unis créent des entités de poursuite », 31 juillet 2023.

* 617 Voir la liste mise à jour du Gafi.

* 618 Matthew Karnitschnig, article « UAE set to be removed from money laundering `gray list' », Politico, 23 février 2024.

* 619 Voir le règlement délégué.

* 620 Anne Michel, « Des eurodéputés s'alarment du possible retrait des Émirats arabes unis de la liste des pays à haut risque de blanchiment », Le Monde, 8 mars 2024.

* 621 Voir supra.

* 622Voir la présentation par l'OEDT.

* 623 Audition du 22 janvier 2024.

* 624 Fiche « 3 points » du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

* 625 Dispositif présenté dans la partie II-1.

* 626 Audition « rapporteur » du 24 janvier 2024.

* 627 Auditions « rapporteur » des 23 et 24 janvier 2024.

* 628 Voir supra, partie II-1.

* 629 Voir une présentation du programme

* 630 « La lutte contre les trafics, notamment de stupéfiants, est un segment sur lequel la coopération structurelle investit des moyens humains et financiers substantiels, notamment en Afrique de l'Ouest (en Mauritanie, au Sénégal, au Bénin, en Guinée, en Côte d'Ivoire, au Niger, au Togo, au Nigeria) mais aussi aux Comores et à Madagascar. Le budget consacré y est en nette augmentation (en 2023, 326 000 euros sur le P105, contre 69 000 euros en 2022). »

* 631 Cette coalition a été lancée par les États-Unis le 7 juillet 2023 ; elle a été notamment rejointe par l'Union européenne et le Maroc. Source : « Réunion de lancement l'initiative US de coalition mondiale contre les drogues de synthèse (07/07/2023) », document transmis par la Mildeca à la commission d'enquête.

* 632 Table ronde du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, 22 janvier 2024.

* 633 Voir notamment ce communiqué de presse du Département de la justice des États-Unis annonçant l'arrestation de deux représentants de compagnies chinoises accusées d'exporter des précurseurs du fentanyl en toute connaissance de cause.

* 634 « Accord anti-fentanyl entre la chine et les États-Unis », note du Service de sécurité intérieure États-Unis transmise à la commission d'enquête.

* 635 Voir Brookings, article « US-China relations and fentanyl and precursor cooperation in 2024 », 29 février 2024.

* 636 Pour mémoire, les membres du MAOC-N sont la France, l'Irlande, l'Italie, l'Espagne, les Pays-Bas, le Portugal et le Royaume-Uni ; les États-Unis en sont membre observateur.

* 637 Audition « rapporteur » du 30 janvier 2024.

* 638 Cet article précise les conditions dans lesquelles l'État du pavillon d'un navire soupçonné de transporter des matières stupéfiantes peut autoriser l'État requérant à arraisonner, visiter et dérouter ce navire : voir supra.

* 639 Réponse écrite transmise par la DACG au rapporteur.

* 640 Idem.

* 641 Voir une présentation sur le site de la commission européenne.

* 642 Audition du 12 mars 2024. Un commissaire de police rencontré par la commission d'enquête lors du déplacement en Bourgogne et à Lyon assure au contraire que les requêtes adressées à WhatsApp n'ont « pas de chances d'aboutir ».

* 643 Béatrice Oeuvrard, responsable des affaires publiques pour Meta France, assure ainsi :« les requêtes portant sur la vente de drogues ou le recrutement de petites mains se situent à un niveau anecdotique par rapport au volume de contenus que nous gérons ».

* 644  Rapport n° 110 (2023-2024) Surveiller pour punir ? Pour une réforme de l'accès aux données de connexion dans l'enquête pénale fait par Agnès Canayer et Philippe Bonnecarrère au nom de la commission des lois, déposé le 15 novembre 2023.

* 645 Articles 26§3 bis et 3 ter du règlement n° 111/2005 (pour les flux extra-UE) et article 10§2 du règlement n° 273/2004 (pour les flux intra-UE). La clause permet de saisir une substance non classifiée dès lors qu'un faisceau d'indices permet de supposer une utilisation illicite.

* 646 Voir la partie II-1.

* 647 Audition du 19 mars 2024.

* 648 « Réunion informelle des ministres de la justice 26 janvier 2024 - Bruxelles (Belgique) », document transmis au rapporteur par le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE).

* 649 Audition du 10 avril 2024 : « le ministère de l'intérieur n'est pas en capacité d'écouter les communications satellitaires, qui relèvent de ce que fait le ministère des armées dans les théâtres d'opérations extérieures ».

* 650 Direction générale des outre-mer, « Organisation d'un webinaire sur la sécurisation des emprises portuaires », 11 octobre 2023.

* 651 Direction des affaires criminelles et des grâces, « Tableau comparatif Schiphol, Cayenne, Orly et Roissy », novembre 2022.

* 652 D'après les données transmises au rapporteur par le ministère de l'intérieur et des outre-mer.

* 653 Direction générale des outre-mer, contribution à l'évolution du plan de lutte contre le trafic de stupéfiants, mai 2022.

* 654 Table ronde des forces de l'ordre de Guyane, 20 décembre 2023.

* 655 Audition à huis clos de Jean-François Dutheil, directeur général des douanes et des droits indirects par intérim, 25 mars 2024.

* 656 80 % du coût total.

* 657 Direction générale des outre-mer, « Suivi de la stratégie nationale de sûreté des ports contre le trafic de drogue », 28 novembre 2022. Les scanners étaient annoncés pour 2023 en Guadeloupe et en Martinique et pour 2024 en Guyane et à La Réunion.

* 658 Ou switch method.

* 659 Direction générale des outre-mer, Webinaire consacré à la lutte contre le trafic de stupéfiants par conteneurs maritimes et territoires ultramarins, en lien avec la direction générale des douanes et des droits indirects, 20 octobre 2023.

* 660 Table ronde des magistrats des Antilles, 18 décembre 2023.

* 661 Réponse de la gendarmerie de Martinique au questionnaire du rapporteur.

* 662 Audition en format rapporteur de représentants de la Marine nationale, 30 janvier 2024.

* 663 Rapport d'information n° 45 (2022-2023) Donner à la douane les moyens d'accomplir sa mission dans la lutte contre le trafic de stupéfiants fait par Albéric de Montgolfier et Claude Nougein au nom de la commission des finances, déposé le 12 octobre 2022.

* 664 Réponse de la direction territoriale de la police nationale de Guadeloupe au questionnaire du rapporteur.

* 665 Selon les éléments transmis par la direction générale garde-côtes des douanes lors du déplacement de la commission d'enquête au Havre, le 18 janvier 2024.

* 666 Règlement d'exécution (UE) 2015/1998 de la Commission du 5 novembre 2015 fixant des mesures détaillées pour la mise en oeuvre des normes de base communes dans le domaine de la sûreté de l'aviation civile.

* 667 Source : rapport d'information n° 707 (2019-2020), fait par Antoine Karam au nom de la mission d'information relative au trafic de stupéfiants en provenance de Guyane, déposé le 15 septembre 2020 ; documents transmis à la commission d'enquête par la direction générale des outre-mer et par la direction régionale des douanes de Guyane.

* 668 Direction des affaires criminelles et des grâces, « Septième bilan de la mise en oeuvre du protocole interministériel d'action renforcée contre les mules », 2022.

* 669 Audition du ministre de l'intérieur et des outre-mer, Gérald Darmanin, du 10 avril 2024.

* 670 Réponse de la direction territoriale de la police nationale de Guadeloupe au questionnaire du rapporteur.

* 671 Direction générale des outre-mer, « Évolution du plan de lutte contre le trafic de stupéfiants », mai 2022.

* 672 Table ronde des magistrats de Guyane, intervention de Mahrez Abassi, président du tribunal judiciaire de Cayenne, 20 décembre 2023.

* 673 Propos d'Yves Le Clair, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Cayenne, lors de la table ronde des magistrats de Cayenne, 20 décembre 2023.

* 674 Ibid.

* 675 Direction des affaires criminelles et des grâces, « Politique pénale du parquet de Créteil relative au traitement des faits de trafic de stupéfiants et blanchiment sur la plateforme aéroportuaire d'Orly », 7 juillet 2023.

* 676 Loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces.

* 677 Propos d'Yves Le Clair, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Cayenne, lors de la table ronde des magistrats de Cayenne, 20 décembre 2023.

* 678 Rapport n° 614 (2022-2023) fait par Albéric de Montgolfier au nom de la commission des finances sur le projet de loi visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces, déposé le 17 mai 2023.

* 679 D'après les éléments transmis par la direction nationale garde-côtes des douanes lors du déplacement de la commission d'enquête au Havre, le 18 janvier 2024.

* 680 Direction des affaires criminelles et des grâces, « Trafics de stupéfiants : état des lieux et évolutions actuelles », novembre 2023.

* 681 Direction des affaires criminelles et des grâces, « La problématique judiciaire des ports », juin 2023.

* 682 Banque mondiale, Trafic de conteneurs dans les ports, 2021.

* 683 Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, « Instruction interministérielle relative à l'organisation et à la coordination de la sûreté maritime et portuaire », 28 juin 2022.

* 684 Office anti-stupéfiants, « État de la menace 2023 » ; réponse du secrétariat général de la mer au questionnaire du rapporteur.

* 685 Réponse de Clotilde Champeyrache, économiste, maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches au Conservatoire national des arts et métiers, au questionnaire du rapporteur.

* 686 Loi n° 2023-610 du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces.

* 687 Conseil constitutionnel, décision n° 2022-1010 QPC du 22 septembre 2022.

* 688 Réponse de la direction générale des douanes et des droits indirects au questionnaire du rapporteur.

* 689 Loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.

* 690 Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, « Instruction interministérielle relative à l'organisation et à la coordination de la sûreté maritime et portuaire », 28 juin 2022.

* 691 Audition au format rapporteur de la Marine nationale.

* 692 Imposition du code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires (ISPS)

* 693 Contribution de la juridiction interrégionale spécialisée de Lille aux travaux de la commission d'enquête.

* 694 Agence française anticorruption, « Propositions de thèmes à traiter dans le plan de lutte contre la corruption, plus particulièrement sous l'angle de la pression croissante de la criminalité organisée ».

* 695 RTBF, «  Trafic de drogue à Anvers : déjà 86 interdictions portuaires prononcées, indique le ministre de la Justice », 29 octobre 2023.

* 696 Déplacement au Havre, 18 janvier 2024.

* 697 Audition de Didier Lallement, secrétaire général de la mer, 11 décembre 2023.

* 698 Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, «  Ports « cybersécurisés » - Guide de bonnes pratiques pour la cyber sécurité dans le secteur portuaire », février 2024.

* 699 Office anti-stupéfiants, État de la menace 2023.

* 700 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la feuille de route de l'UE en matière de lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée, 18 octobre 2023 ; direction des affaires criminelles et des grâces, « Feuille de route de l'Union européenne sur la lutte contre la criminalité organisée et le trafic de stupéfiants », 23 octobre 2023

* 701 D'après les éléments transmis par la Douane lors du déplacement à Anvers, 20 mars 2024.

* 702 Audition du ministre de la justice, Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, 9 avril 2024.

* 703 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la feuille de route de l'UE en matière de lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée, 18 octobre 2023.

* 704 Audition d'Ine Van Wymersch, la commissaire nationale aux drogues de la Belgique, 19 mars 2024.

* 705 Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, « Instruction interministérielle relative à l'organisation et à la coordination de la sûreté maritime et portuaire », 28 juin 2022.

* 706 Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la feuille de route de l'UE en matière de lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée, 18 octobre 2023.

* 707 Office anti-stupéfiants, État de la menace 2023.

* 708 Audition d'Ine Van Wymersch, la commissaire nationale aux drogues de la Belgique, 19 mars 2024.

* 709 Office antistupéfiants, État de la menace 2023.

* 710 Réponse au questionnaire du rapporteur.

* 711 Direction des affaires criminelles et des grâces, « Activités portuaires en Méditerranée - Parquet général Aix-en-Provence », 21 juin 2022.

* 712 Contribution de Patrice Camberou, procureur général près la cour d'appel de Fort-de-France.

* 713 Audition à huis clos du 25 mars 2024.

* 714 Audition d'Hubert Bonneau, commandant de la région de gendarmerie de Bretagne, 6 février 2024.

* 715 Ibid.

* 716 Voir la partie II-6.

* 717 Cas respectivement présentés par David Marti, maire du Creusot, et Olivier Caracotch, procureur de la République près le tribunal de Dijon.

* 718 Voir notamment la partie II-4.

* 719 En particulier la partie II-6.

* 720 Audition du 11 décembre 2023.

* 721 Audition de Nicolas Prisse, président de la Mildeca, 11 décembre 2023.

* 722 Audition du 5 mars 2024.

* 723 Le garde des sceaux a d'abord rencontré les magistrats du tribunal judiciaire de Marseille le mardi 19 mars en marge du déplacement du Président de la République. La réunion, houleuse, a été rapportée par le Figaro (« L'opération “place nette” à Marseille réveille la tension entre Éric Dupond-Moretti et les magistrats ») ; le ministre aurait notamment accusé les magistrats de « faire le jeu de l'extrême droite ».

* 724 Lors de la séance de questions d'actualité au Gouvernement du mercredi 27 mars 2024, répondant à une interpellation du rapporteur sur les reproches adressés aux magistrats à Marseille, le garde des sceaux a déclaré : « J'ai dit que lorsque l'on exprimait l'idée qu'une guerre était perdue, on la perdait. Oui, c'est une réalité ».

* 725 Cette frustration était particulièrement criante à Verdun.

* 726 La doctrine communiquée au rapporteur se borne à indiquer que « La sollicitation en renfort de l'UIN peut être effectuée par la hiérarchie de toute circonscription de police nationale sous le couvert du directeur départemental ou interdépartemental de police nationale [...] afin de déclencher l'élaboration d'un diagnostic de la situation locale et de confirmer l'opportunité de l'engagement de l'unité », ce qui n'apparaît pas d'une parfaite clarté sur la nature de la « situation locale » ainsi visée.

* 727 Pour mémoire, et comme le rappelait le récent rapport d'Agnès Canayer et Marie-Pierre de La Gontrie sur la sécurité des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, « Sur la totalité de la période estivale, [le taux de présence des forces de sécurité intérieure] oscillera entre 75 % et 100 % alors qu'il s'établit habituellement entre 45 et 60 % sur ces mêmes périodes, témoignant du caractère inédit de la situation » ; pour assurer ce taux de présence, « d'après un principe général posé par le ministre de l'intérieur, seulement dix jours de congés - en dépit de la période estivale - seront autorisés entre le 15 juin et le 15 septembre » : il est donc très probable que de nombreux congés soient pris après le 15 septembre.

* 728 Partie II-3.

* 729 Ces stratégies ont été exposées à la commission d'enquête dans les tribunaux de Bobigny, Lyon et Marseille.

* 730 Voir la partie II-3 sur les défaillances du logiciel Sirocco.

* 731 Voir la partie II-6.

* 732 Cas cité par le procureur de la République de Dijon.

* 733 Audition du mardi 6 février 2024.

* 734 Audition du 30 novembre 2023.

* 735 Table ronde du 29 février 2024.

* 736 Table ronde du 29 février 2024.

* 737 Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, «  Plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 ».

* 738 Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, «  Stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives 2023-2027 ».

* 739 Réponse écrite au questionnaire du rapporteur.

* 740 Source : circulaire du garde des sceaux, ministre de la justice, du 3 février 2023 ayant pour objet la présentation des dispositions de la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur.

* 741 Audition de Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, 26 mars 2024.

* 742 Plateforme mise en place par l'État pour signaler des contenus ou des comportements en ligne illicites (violence, mise en danger de la vie d'autrui, menace ou apologie du terrorisme, injure ou diffamation, incitation à la haine raciale ou discrimination, atteintes aux mineurs).

* 743 Selon les éléments transmis par la direction générale de la police nationale en réponse au questionnaire du rapporteur.

* 744 Le Parisien, «  Lutte contre les narcotrafiquants du net : Gérald Darmanin crée des cyber-patrouilles », 21 mars 2024.

* 745 Garde des sceaux, ministre de la justice, Circulaire du 13 octobre 2021 relative à la politique pénale territoriale pour l'agglomération marseillaise et le département des Bouches-du-Rhône.

* 746  Règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/CE (règlement sur les services numériques).

* 747 Dossier de presse du comité interministériel de lutte contre les stupéfiants, 2 mars 2022.

* 748 Projet interministériel de système de traitement centralisé LAPI, le STCL.

* 749 Audition à huis clos de Florian Colas, alors directeur national du renseignement et des enquêtes douanières, 25 mars 2024.

* 750 Direction des affaires criminelles et des grâces, « Compte rendu du séminaire de lutte contre la criminalité organisée », avril 2023. Données pour EncroChat.

* 751 Selon des informations transmises par la direction générale de la police nationale en réponse au questionnaire du rapporteur.

* 752 Selon les informations transmises par la direction générale de la gendarmerie nationale en réponse au questionnaire du rapporteur.

* 753 Audition du 30 novembre 2023.

* 754 Audition en format rapporteur de Gaël Richard, co-directeur scientifique du centre interdisciplinaire Hi! Paris et Professeur à l'Institut polytechnique de Paris, 28 février 2024.

* 755 D'après les informations transmises à la commission d'enquête lors de son déplacement au Havre, 18 janvier 2024.

* 756 Article 154 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 757 Article 112 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

* 758 Réponse au questionnaire du rapporteur.

* 759 Europol, «  The Second Quantum Revolution: the impact of quantum computing and quantum technologies on law enforcement », octobre 2023. Ces technologies ont la particularité d'offrir une capacité de calcul massive, bien supérieure à celle des meilleurs supercalculateurs actuels, permettant notamment le traitement de problèmes informatiques complexes de simulation et d'optimisation.

* 760 Audition de Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Office antistupéfiants, 18 mars 2024.

* 761 Audition de Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Office anti-stupéfiants, 18 mars 2024.

* 762 Audition de Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, 18 mars 2024.

* 763 Audition du 10 avril 2024. On relèvera au surplus que ces propos paraissent paradoxaux dans la mesure où ils sont tenus par un membre du Gouvernement qui, dans le même temps, fait état de liens (certes non avérés, comme on l'a vu en première partie) entre narcotrafic et terrorisme : en toute logique, un tel argument devrait plaider pour un renforcement du rôle de la DGSI en matière de lutte contre le narcotrafic...

* 764 Audition à huis clos de Céline Berthon, directrice générale de la sécurité intérieure, 14 mars 2024.

* 765 Arrêté du 8 mars 2024 modifiant l'arrêté du 29 octobre 2007 portant création d'un service à compétence nationale dénommé « direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières ».

* 766 La lutte contre la fraude fiscale grave et son blanchiment ne font partie d'aucune des finalités prévues dans le code de la sécurité intérieure.

* 767 Audition de Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Office anti-stupéfiants, 18 mars 2024.

* 768 Office anti-stupéfiants, bilan annuel d'activité 2023.

* 769 « Droit et pratique de la lutte contre la criminalité organisée », sous la direction de Damien Brunet, avril 2024.

* 770 Contribution du tribunal judiciaire de Lille aux travaux de la commission d'enquête.

* 771 Audition du 27 mars 2024.

* 772 Audition en format rapporteur de Guillaume Valette-Valla, directeur du service Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins (Tracfin), 26 février 2024.

* 773 Direction des affaires criminelles et des grâces, « Activités portuaires en Méditerranée - Parquet général Aix-en-Provence », mai 2022.

* 774 Selon les éléments transmis par la procureure de la République près le tribunal judiciaire de Fort-de-France en réponse au questionnaire du rapporteur.

* 775 Selon les éléments transmis par la procureure de la République près le tribunal judiciaire de Lille en réponse au questionnaire du rapporteur.

* 776 « Droit et pratique de la lutte contre la criminalité organisée », sous la direction de Damien Brunet, avril 2024.

* 777 Ibid.

* 778 Ibid.

* 779 Direction du renseignement militaire, «  Intelligence artificielle et renseignement militaire », Revue défense nationale, 2019/5, n° 820.

* 780 Source : Alexandre Labbay, « La surveillance algorithmique des données de connexion dans le cadre de la lutte contre le terrorisme », Cahiers de la recherche sur les droits fondamentaux, 21/ 2023, 17 octobre 2023

* 781 Audition de Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, 18 mars 2024.

* 782 Office anti-stupéfiants, bilan annuel 2023.

* 783 Selon des éléments transmis par la direction générale de la police nationale en réponse au questionnaire du rapporteur.

* 784 Direction du renseignement militaire, «  Intelligence artificielle et renseignement militaire », Revue défense nationale, 2019/5, n° 820.

* 785 Audition précitée du 18 mars 2024.

* 786 Ibid.

* 787 En réponse au questionnaire du rapporteur.

* 788 Audition de représentants de la Junalco, 7 décembre 2023.

* 789 Audition de Stéphanie Cherbonnier, cheffe de l'Office antistupéfiants, 18 mars 2024.

* 790 Office antistupéfiants, bilan annuel d'activité 2023.

* 791 Lors du 25e comité de suivi des Cross, plusieurs exemples de frictions locales ont été évoqués tels que, dans un département, l'interdiction d'accès de la Cross aux brigades locales de gendarmerie.

* 792 Audition du 15 janvier 2024.

* 793 Audition en format rapporteur d'Annabelle Vandendriessche, cheffe du Sirasco, 10 janvier 2024.

* 794 Préfecture de police de Paris, « Le dispositif de la préfecture de police en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants », contribution aux travaux de la commission d'enquête, 21 mars 2024.

* 795 Direction des affaires criminelles et des grâces, dépêche relative à la lutte contre la criminalité organisée et les trafics au sein des quartiers de reconquête républicaine, 7 septembre 2018.

* 796 Source : site du tribunal judiciaire de Paris.

* 797 Source : site du Gouvernement.

* 798 Le volume d'affaires concernées ne permet pas, en effet, d'imaginer une compétence générale comparable à celle du Pnat et milite pour des prérogatives calquées sur celles du PNF, c'est-à-dire centrées sur les infractions d'une particulière gravité.

* 799 Voir infra.

* 800 Pour mémoire, la commission d'enquête recommande par ailleurs que les infractions connexes au narcotrafic soient à l'avenir soumises à une cour d'assises spécialement composée, donc exclusivement composée de magistrats professionnels.

* 801 Auditions, respectivement, des 9 et 10 avril 2024. Gérald Darmanin a ainsi déclaré : « Le Pnat a été créé parce que le terrorisme a des particularités. Le parquet national financier (PNF) a été créé parce que la délinquance financière a des particularités. Si l'on ne voit pas que la drogue et le grand banditisme ont des particularités... En tout cas, pour le très haut du spectre, on aurait intérêt à travailler avec un parquet spécialisé, d'autant qu'il faut souvent dépayser les affaires dans ce domaine ».

* 802 Audition du 22 janvier 2024.

* 803 Table ronde du 12 décembre 2023.

* 804 Audition 27 novembre 2023.

* 805 Audition du 7 décembre 2023.

* 806 Articles L. 773-1 du code de la justice administrative.

* 807 La dissolution d'une association ou d'un groupement de fait, l'interdiction de sortie du territoire français, le contrôle administratif des retours sur le territoire national, la fermeture d'un lieu de culte, la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance, le gel des avoirs, l'interdiction administrative du territoire, les refus de visas court et long séjour, l'interdiction administrative du territoire, le refus d'entrée à la frontière, le refus de délivrance ou le retrait d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle, le refus ou le retrait du statut de réfugié ou de protégé subsidiaire, l'expulsion ainsi que l'assignation à résidence en cas de report de l'éloignement, l'opposition à l'acquisition de la nationalité française par mariage et le rejet des demandes d'acquisition de la nationalité française.

* 808 Issu de l'article 74 de loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration.

* 809 CEDH, Arrêt du 23 mai 2017, Van Wesenbeeck c. Belgique, requête n° 67496/10.

* 810 Source : Extraits des paragraphes 66 à 68 de l'arrêt CEDH Van Wesenbeeck c. Belgique du 23 mai 2017

* 811 Articles 706-81 et 706-87 du code de procédure pénale.

* 812 Articles 706-96 à 706-98 du code de procédure pénale.

* 813 Articles 100 à 100-7, 706-95, 706-95-11 à 706-95-19, 709-95-20, 706-95-11 à 706-95-19 et 706-96 à 706-98 et 706-10-1 à 706-102-5 du code de procédure pénale.

* 814 Articles 230-32 à 230-44 du code de procédure pénale : durée initiale de 15 jours autorisée par le procureur de la République, renouvelable par le juge des libertés et de la détention pour un mois renouvelable dans la limite de deux ans en matière de criminalité organisée.

* 815 En 2022, sur les 648 999 auteurs poursuivis par les parquets, seulement 35 822 l'ont été devant le juge d'instruction contre 538 245 directement devant le tribunal correctionnel, soit 82,9 % des auteurs poursuivis. Source : Ministère de la justice, fiche de synthèse annuelle 2022 sur les indicateurs pénaux, p. 4.

* 816 International mobile equipment identity : numéro permettant d'identifier de manière unique chacun des terminaux de téléphonie mobile.

* 817 Cass. crim. 28 novembre 2017, n° 17-81.736.

* 818 Prévue à l'article 230-46 du code de procédure pénale.

* 819 Audition du 17 janvier 2024.

* 820 Cass. crim. 5 mai 1999, n° 97-83.117.

* 821 Avis oral de Frédéric Desportes, premier avocat général près la cour de Cassation, dans l'arrêt de la Cour de cassation du 9 décembre 2019, n° 18-86.767

* 822 Audition du 22 janvier 2024.

* 823 Ce procès, qui s'est déroulé dans le « Bunker » d'Osdorp à Amsterdam, était interdit au public et à la presse, l'ensemble des protagonistes (hors accusés) bénéficiant de mesures de protection renforcées et portant, pour certains, un masque visant à préserver leur anonymat ; les forces armées néerlandaises étaient déployées aux abords du tribunal et les accusés escortés, au cours de leur transport entre leur lieu de détention et le tribunal, par des unités spéciales.

* 824 Article 222-37 du code pénal : transport, détention, offre, cession, acquisition ou emploi illicite de stupéfiants.

* 825 Article 145-1 du code de procédure pénale.

* 826 Article 145-2 du code de procédure pénale.

* 827 À l'instar de ce qui est prévu dans le cadre où l'avocat est obligatoire dans les procédures civiles devant le tribunal judiciaire. En effet, le justiciable peut librement choisir son avocat dit « plaidant » qui n'est pas obligatoirement inscrit à l'ordre des avocats du tribunal judiciaire qui traite son affaire mais dans certaines procédures civiles où l'avocat est obligatoire conformément à l'article 760 du code de procédure civile, le justiciable doit être représenté par un avocat inscrit à l'ordre des avocats du ressort du tribunal judiciaire qui traite son affaire conformément à l'article 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

* 828 Article R. 623-2 du code pénal : « Les bruits ou tapages injurieux ou nocturnes troublant la tranquillité d'autrui sont punis de l'amende prévue pour les contraventions de la 3e classe ». Le montant de cette contravention est de 68 euros.

* 829 Article L. 272.-4 du code de la sécurité intérieure (CSI) qui prévoit une peine de deux mois d'emprisonnement et 3 750 euros d'amende.

* 830 Initialement prévue par l'article 58 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 au sein de l'article L. 126-3 du code de la construction et de l'habitation, le recours à l'AFD pour cette infraction est, depuis le 1er juillet 2021, prévue par l'article L. 272-4 du CSI.

* 831 Articles 495-17 à 495-25 du code de procédure pénale fixent la procédure d'amende forfaitaire délictuelle.

* 832 Article L. 3421-1 du code de la santé publique qui prévoit une peine d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende.

* 833  Rapport n° 839 (2015-2016) fait par Yves Détraigne au nom de la commission des lois du Sénat sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, de modernisation de la justice du XXIème siècle, enregistré le 21 septembre 2016.

* 834 Décret n° 2023-1026 du 6 novembre 2023 portant application de l'article 495-18 du code de procédure pénale relatif au paiement immédiat du montant de l'amende forfaitaire délictuelle.

* 835 Audition du 27 novembre 2023.

* 836 Le dossier législatif est accessible en ligne.

* 837 Audition du 5 mars 2024.

* 838 Propos tenus en audition, 13 février 2024.

* 839  Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

* 840 Aux acteurs économiques dont le chiffre d'affaires est supérieur à 100 millions d'euros et le nombre de salariés supérieur à 500.

* 841 Groupe d'action financière, «  Mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. France, Rapport d'évaluation mutuelle », mai 2022.

* 842 Il réunit l'AFA, l'OCLCIFF, la direction générale de la gendarmerie nationale, la direction générale de la police nationale, l'Office anti-stupéfiants, les inspections générales de la police et de la gendarmerie nationale, le secrétariat général du ministère de l'intérieur, Tracfin, la direction générale des douanes et des droits indirects, la direction générale des finances publiques, le secrétariat général du ministère de la justice, la direction des affaires criminelles et des grâces, la direction des services judiciaires et la direction de l'administration pénitentiaire.

* 843 Audition du 12 février 2024.

* 844 Audition du 13 février 2024.

* 845 Propos tenus lors de l'audition du 12 février 2024.

* 846 Audition d'Isabelle Jégouzo, directrice de l'Agence française anticorruption, 12 février 2024.

* 847 Audition à huis clos de Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin, 30 novembre 2023.

* 848 Audition du 12 février 2024.

* 849 Réponse de l'inspection des services de la direction générale des douanes et des droits indirects au questionnaire du rapporteur.

* 850 Agence française anticorruption, Groupe de travail sur le risque corruptif en relation avec la criminalité organisée - Compte rendu des échanges et relevés de conclusion, 27 septembre 2023.

* 851 Une piste également évoquée par l'inspection générale de la justice.

* 852 Audition du 13 février 2024.

* 853 Propos tenus lors de l'audition du 12 février 2024.

* 854 Office antistupéfiants, État de la menace 2023.

* 855 Agence française anticorruption, Groupe de travail sur le risque corruptif en relation avec la criminalité organisée - Compte rendu des échanges et relevés de conclusion, 27 septembre 2023.

* 856 Réponse de l'inspection générale de la police nationale au questionnaire du rapporteur.

* 857 Audition de Jean-Michel Gentil, chef de l'inspection générale de la gendarmerie nationale, 13 février 2024.

* 858 Voir supra pour une description plus détaillée de la gestion des informateurs.

* 859 Selon les informations transmises lors du déplacement de la commission d'enquête au Havre, 18 janvier 2024.

* 860 Visées à l'article 706-73 du code de procédure pénale.

* 861 Audition d'Isabelle Jégouzo, directrice de l'Agence française anticorruption, 12 février 2024.

* 862 L'article 11-2 du code de procédure pénale subordonne actuellement l'exercice du droit de communication à des poursuites judiciaires engagées contre l'agent.

* 863 L'Agence française anticorruption et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique disposent d'un cadre légal spécifique pour leurs échanges avec l'autorité judiciaire.

* 864 Ainsi d'ailleurs qu'avait pu le recommander le garde des Sceaux dans la circulaire du 13 mars 2023 relative à la politique pénale territoriale pour la Corse. De tels partenariats doivent pouvoir être déployés dans l'ensemble des ressorts judiciaires.

* 865 D'après les éléments transmis par l'Agence française anticorruption en réponse au questionnaire du rapporteur.

* 866 Agence française anticorruption, «  Recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d'influence, de concussion, de prise illégale d'intérêts, de détournement de fonds publics et de favoritisme », décembre 2020 (dernière mise à jour).

* 867 Déplacement de la commission d'enquête au Havre, 18 janvier 2024.

* 868 D'après les documents transmis par la direction des affaires criminelles et des grâces.

* 869 D'après les documents transmis par l'Agence française anticorruption et l'Office antistupéfiants.

* 870 Audition à huis clos du 30 janvier 2024.

* 871 D'après les informations transmises par la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) et par l'inspection des services de la DGDDI en réponse au questionnaire du rapporteur.

* 872 Audition de Christine Dubois, adjointe à la cheffe de l'inspection des services à la direction générale des douanes et des droits indirects, 13 février 2024.

* 873 D'après les informations transmises lors du déplacement à Anvers, 20 mars 2024.

* 874 Propos tenus par Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en audition, le 26 mars 2024.

* 875 Selon la lettre de mission adressée à l'Agence française anticorruption par le ministre de l'économie et des finances et par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, un rapport provisoire devrait être rendu à l'été et un rapport définitif à la fin de l'année 2024.

* 876 Propos tenus en audition, 12 février 2024.

* 877 Selon les documents transmis par l'Agence française anticorruption.

* 878  Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur la feuille de route de l'UE en matière de lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée, 18 octobre 2023.

* 879 Direction des affaires criminelles et des grâces, « Trafics de stupéfiants : état des lieux et évolutions actuelles », novembre 2023.

* 880 Tribunal judiciaire de Marseille, « Compte-rendu de la réunion de présentation du plan de lutte contre le blanchiment de trafics de stupéfiants », 3 juin 2022.

* 881 Source : Audition à huis clos de Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin, 30 novembre 2023.

* 882 Source : direction des affaires criminelles et des grâces, dépêche relative au déploiement de l'applicatif Trajet portant sur l'envoi par Tracfin de transmissions aux juridictions et au retour fait à Tracfin des suites données, 4 mars 2021.

* 883 Juridiction interrégionale spécialisée de Marseille, Compte rendu de la présentation du plan d'actions de lutte contre le blanchiment de trafics de stupéfiants du 3 juin 2022.

* 884 Tracfin, «  LCB-FT : activité des professions déclarantes. Bilan 2023 », avril 2024.

* 885 Audition de Magali Caillat, contrôleuse générale, sous directrice de la lutte contre la criminalité financière au sein de la direction nationale de la police judiciaire, et de Thierry Pezennec, commandant divisionnaire fonctionnel, chef de la coordination nationale des groupes interministériels de recherche, 12 mars 2024.

* 886 Réponse du service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques au questionnaire du rapporteur.

* 887 Professionnels qui fournissent une domiciliation à des entreprises qui ne possèdent pas de locaux.

* 888 Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, « Lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme : focus sur les secteurs de l'immobilier, des domiciliataires d'entreprises, et du luxe », avril 2024.

* 889 Cour des comptes, «  L'évolution du dispositif français de lutte contre le blanchiment », 23 février 2023.

* 890 Une telle initiative a par exemple été demandée par le garde des Sceaux dans la circulaire du 13 mars 2023 relative à la politique pénale territoriale pour la Corse.

* 891 Reprise par la Cour des comptes dans son rapport sur «  L'évolution du dispositif français de lutte contre le blanchiment », 23 février 2023.

* 892 Tracfin, «  LCB-FT : activité des professions déclarantes. Bilan 2023 », avril 2024.

* 893 Cour des comptes, «  L'évolution du dispositif français de lutte contre le blanchiment », 23 février 2023.

* 894 Audition en format rapporteur de Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin, 26 février 2024.

* 895  Rapport n° 547 (2021-2022) fait par François-Noël Buffet au nom de la délégation parlementaire au renseignement, déposé le 24 février 2022.

* 896  Rapport n° 810 (2022-2023) fait par Christian Cambon et Sacha Houlié au nom de la délégation parlementaire au renseignement, déposé le 29 juin 2023.

* 897 Office anti-stupéfiants, État de la menace 2023.

* 898 Comme l'explique Nacer Lalam, les réseaux de collecteurs mélangent les fonds illégaux avec les fonds envoyés par les travailleurs étrangers dans leurs pays d'origine, pour soutenir leurs familles (voir « Recycler l'argent du crime, un exemple d'adaptation : les collecteurs », Cahiers de la sécurité et de la justice, n° 50, janvier 2021).

* 899 Office anti-stupéfiants, État de la menace 2023.

* 900 Juridiction interrégionale spécialisée de Marseille, Compte rendu de la présentation du plan d'actions de lutte contre le blanchiment de trafics de stupéfiants du 3 juin 2022.

* 901 Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, «  Plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 ».

* 902 Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, «  Stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives 2023-2027 ».

* 903 Réponse de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués au questionnaire du rapporteur.

* 904 Article 1er bis A de la proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels ( dossier législatif).

* 905 Selon les éléments transmis par l'Office antistupéfiants à la suite du contrôle sur place de la commission d'enquête, le 23 janvier 2024.

* 906 D'après les éléments transmis par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués en réponse au questionnaire du rapporteur.

* 907 Propos de Jérôme Bourrier, procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bayonne, lors de la table ronde des parquets situés en zone rurale, 15 janvier 2024.

* 908 Ibid.

* 909 Audition de Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, 18 mars 2024.

* 910 Ils s'appuient pour cela sur des critères de détection, qui matérialisent un faisceau d'indice.

* 911 Respectivement prévues aux articles 1649 quater-0 B bis et 1649 quater-0 B ter du code général des impôts.

* 912 Juridiquement, cette transmission et sa réciprocité sont autorisées par l'article L. 135 L du livre des procédures fiscales.

* 913 Les articles L. 82 C et L. 101 du livre des procédures fiscales constituent des dérogations au secret de l'enquête et de l'instruction en permettant au ministère public et plus généralement à l'autorité judiciaire de transmettre à l'administration fiscale tout dossier ou indication à l'occasion de toute procédure judiciaire de nature à laisser présumer une fraude fiscale ou une simple manoeuvre ayant pour objet une fraude fiscale.

* 914 Une pratique développée par le tribunal judiciaire de Grenoble et signalée comme une « bonne pratique » par la direction des affaires criminelles et des grâces.

* 915 Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives, «  Plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 ».

* 916 Droit et pratique de la lutte contre la criminalité organisée, sous la direction de Damien Brunet, avril 2024.

* 917 Dont un projet a été transmis au rapporteur.

* 918 Le comité serait présidé par le ministre de l'intérieur et des outre-mer et le garde des sceaux. Il associerait le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

* 919 Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner, rapport remis au Gouvernement en 2019 par les députés Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann.

* 920 Selon les informations transmises au rapporteur par le service de la sécurité juridique et du contrôle fiscal de la direction générale des finances publiques. Il est impossible de distinguer parmi ces montants ceux qui relèvent de dossiers liés au narcotrafic.

* 921 Institut des hautes études du ministère de l'intérieur, Caterina Baglivi, « La dimension internationale de la coopération contre la criminalité organisée de type mafieux : nouveaux défis, nouvelles réponses », 2022.

* 922 Le Monde, «  Le narcotrafic est une guerre à laquelle le débat politique doit s'intéresser », 1er décembre 2024.

* 923 Contribution de la préfecture de police de Paris aux travaux de la commission d'enquête, mars 2024.

* 924 Déplacement de la commission d'enquête à Dijon et à Lyon, 15 et 16 février 2024.

* 925 Groupe d'action financière, «  Mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. France, Rapport d'évaluation mutuelle », mai 2022.

* 926 Direction des affaires criminelles et des grâces, « Politique pénale du parquet de Créteil relative au traitement des faits de trafic de stupéfiants et blanchiment sur la plateforme aéroportuaire d'Orly », 7 juillet 2023.

* 927  Dossier législatif de la proposition de loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels.

* 928 Voir le rapport n° 445 (2023-2024) fait par Muriel Jourda au nom de la commission des lois, déposé le 20 mars 2024.

* 929 Pour davantage de détails, se reporter au rapport précité.

* 930  Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au recouvrement et à la confiscation d'avoirs, telle qu'issue de la première lecture du Parlement européen, 15 mars 2024.

* 931 Commission européenne, « Feuille de route de l'Union européenne en matière de lutte contre le trafic de drogue et la criminalité organisée », 18 octobre 2023.

* 932 Elle devrait être formellement adoptée au printemps 2024 et le délai de transposition serait de deux ans.

* 933 Pour lesquelles la peine encourue est d'au moins quatre ans.

* 934 Déplacement de la commission d'enquête à Marseille, 7 et 8 mars 2024.

* 935 Articles L. 562-1 à L. 562-15 du code monétaire et financier.

* 936 Selon les éléments transmis par la direction générale des douanes et des droits indirects en réponse au questionnaire du rapporteur.

* 937 Source : lignes directrices conjointes de la direction générale du Trésor et de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution sur la mise en oeuvre des mesures de gel des avoirs, mise à jour juin 2021.

* 938 Par exemple en avertissant un narcotrafiquant qu'il est considéré comme une cible prioritaire.

* 939 Note du procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille, « La criminalité organisée dans le ressort de la Jirs de Marseille. État des lieux et pistes d'amélioration », 13 novembre 2023.

* 940 Audition en format rapporteur de Guillaume Valette-Valla, directeur de Tracfin, 26 février 2024.

* 941 Audition du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, 11 mars 2024.

* 942 Source : Audition de Magali Caillat, contrôleuse générale, sous directrice de la lutte contre la criminalité financière au sein de la direction nationale de la police judiciaire, et de Thierry Pezennec, commandant divisionnaire fonctionnel, chef de la coordination nationale des groupes interministériels de recherche, 12 mars 2024.

* 943 Une recommandation déjà portée dans une dépêche de la direction des affaires criminelles et des grâces portant sur la politique pénale relative à la lutte contre le blanchiment de fonds en date du 11 décembre 2020, mais qui n'a pas été systématisée.

* 944 Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, « Livre blanc - 15 propositions pour lutter efficacement contre la criminalité financière », 2024.

* 945 Contribution de Transparency international aux travaux de la commission d'enquête.

* 946  Règlement (UE) 2023/1114 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 sur les marchés de cryptoactifs, et modifiant les règlements (UE) n° 1093/2010 et (UE) n° 1095/2010 et les directives 2013/36/UE et (UE) 2019/1937.

* 947  Règlement (UE) 2023/1113 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 sur les informations accompagnant les transferts de fonds et de certains cryptoactifs, et modifiant la directive (UE) 2015/849.

* 948 Cour des comptes, «  Les crypto-actifs : une régulation à renforcer », 19 décembre 2023.

* 949 Ibid.

* 950 Réponse de Tracfin au questionnaire du rapporteur.

* 951 Réponse du service d'enquêtes judiciaires des finances au questionnaire du rapporteur.

* 952 En réponse au questionnaire du rapporteur.

* 953 Droit et pratique de la lutte contre la criminalité organisée, sous la direction de Damien Brunet, avril 2024.

* 954 Le procureur de la République ou le juge d'instruction peuvent autoriser l'officier de police judiciaire à procéder à cette saisie par tout moyen, à charge ensuite pour le juge des libertés et de la détention de se prononcer, dans un délai de dix jours, sur le maintien ou la mainlevée de la saisie.

* 955 Audition du 27 novembre 2023.

* 956 Propos tenus lors d'une réunion tenue au Creusot avec le maire, le préfet de Saône-et-Loire et les services répressifs du département.

* 957 Audition « rapporteur » du 10 janvier 2024.

* 958 Déplacement de la commission en Seine-Saint-Denis.

* 959 Audition du 10 avril 2024.

* 960 Audition du 10 avril 2024.

* 961 Une campagne contre la cocaïne a ainsi été lancée en mai 2022 sous la forme de visuels, diffusés par la Mildeca via ses comptes sur les réseaux sociaux.

* 962 On peut trouver sans peine de nombreux florilèges de campagnes ratées devenues objet de ridicule sur les réseaux sociaux, faute d'avoir activé les bons leviers chez les adolescents.

* 963 Table ronde d'associations d'aide aux consommateurs de stupéfiants, 5 mars 2024.

* 964 Benjamin Tubiana-Rey, table ronde d'associations d'aide aux consommateurs de stupéfiants, 5 mars 2024.

* 965 Idem.

* 966 Voir notamment le rapport de l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), « La cocaïne, un marché en essor », mars 2023.

* 967 Voir la partie I-1.

* 968 Rapport « La cocaïne, un marché en essor », mars 2023.

* 969 Ibid.

* 970 Audition du 11 décembre 2023.

* 971 Audition d'élus signataires de la tribune « Nous, élus des grandes villes et métropoles, appelons à un véritable plan national et européen contre le trafic de drogue », 6 février 2024.

* 972 Audition des associations de maires ruraux, 29 février 2024.

* 973 Propos recueilli lors du déplacement de la commission d'enquête à Valence, le 28 mars 2024.

* 974 Cf. fiche technique sur l'injonction thérapeutique.

* 975 Audition du 29 janvier 2024.

* 976 Audition du 9 avril 2024.

* 977 Table ronde d'associations d'aide aux consommateurs de stupéfiants, 5 mars 2024.

* 978 Audition du 5 février 2024.

* 979 Table ronde de maires de Guyane, 20 décembre 2023.

* 980 Audition d'élus signataires de la tribune « Nous, élus des grandes villes et métropoles, appelons à un véritable plan national et européen contre le trafic de drogue », 6 février 2024.

* 981 Réunion à l'occasion du déplacement à Marseille.

* 982 Voir ici une présentation du dispositif, destiné aux élèves issus de milieux défavorisés.

* 983 Voir une présentation ici.

* 984 Guide « Repères en addictologie » édité par la ville de Besançon.

* 985 Le rapporteur a ouvert ces auditions aux membres de la commission d'enquête, sauf pour celles tenues à huis clos. Elles n'ont pas fait l'objet de comptes rendus publiés et les personnes entendues n'ont pas été appelées à prêter serment.

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