III. DES SERVICES RÉPRESSIFS MOBILISÉS ET PLEINEMENT INVESTIS DANS LEUR MISSION, MAIS NÉGLIGÉS ET SOUS-DOTÉS

Au cours de leurs travaux, les membres de la commission d'enquête ont été frappés par la solidarité « de terrain » qui s'est nouée entre les services d'enquête et les magistrats. Chacun a tenu à saluer la grande implication des personnels mobilisés au quotidien par la lutte contre le narcotrafic, en dépit de moyens insuffisants pour répondre au « tsunami blanc » qui s'abat sur la France. Au-delà du manque de moyens criant dans les outre-mer, précédemment évoqué, les travaux menés par la commission d'enquête laissent deviner des services significativement sous-dotés, à un moment pourtant charnière de la lutte contre le narcotrafic.

A. DES SERVICES D'ENQUÊTE DÉMUNIS

Comme l'ont souligné les représentants de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), « la nécessité d'augmenter les moyens personnels, techniques et procéduraux ne concerne [...] pas seulement les autorités judiciaires », elle concerne également les services d'enquête352(*).

1. Des moyens humains et techniques qui font défaut pour mener des enquêtes complexes
a) Police et gendarmerie, un manque de moyens qui obère les capacités d'enquête
(1) Des effectifs encore sous-dimensionnés

Tout en saluant l'augmentation des effectifs constatée depuis plusieurs années dans les forces de sécurité intérieure, les policiers et les gendarmes entendus par la commission d'enquête ont souligné que ces renforts humains n'étaient pas en adéquation avec le niveau du narcotrafic, un fléau désormais présent dans l'ensemble des territoires, y compris les plus ruraux d'entre eux. Les villes qui ne sont pas des « capitales régionales » apparaissent particulièrement sous-dotées pour répondre à la menace353(*). En plus d'un déficit d'effectifs « en volume », elles souffrent d'une répartition inégalitaire des compétences sur le territoire, avec parfois seulement une dizaine d'enquêteurs spécialisés dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, sur des centaines de policiers.

Autre exemple, au niveau des compagnies de gendarmerie départementale, dont les missions sont généralistes, le nombre de militaires est insuffisant pour les affecter en nombre suffisant à un champ infractionnel spécifique. Certaines unités ont ainsi fait le choix, comme à Saint-Quentin, de créer des groupes spécialisés, mais sous le plafond des effectifs existants et au détriment des effectifs affectés aux autres missions354(*).

Enfin, de nombreux magistrats entendus par la commission d'enquête ont regretté que les services enquêteurs ne soient pas suffisamment dotés pour mener de front démantèlement des filières de trafic de stupéfiants et démantèlement des circuits de blanchiment. Au-delà d'un problème d'organisation, sur lequel le rapporteur reviendra ci-après, cette situation pose la question des moyens disponibles et de la formation des effectifs.

(2) L'impératif de maintenir des services « à l'état de l'art »

Face à des trafiquants de plus en plus ingénieux et qui ont parfaitement su se saisir de toutes les opportunités offertes par les nouvelles technologies, il est impératif que les services d'enquête soient constamment en mesure de s'adapter et de combler leur retard technologique. Or, la commission d'enquête a pu constater que ce n'était pas le cas, les services ne disposant pas des moyens nécessaires, que ces moyens soient humains ou techniques. Plus agiles, ingénieux et tirant pleinement profit de réseaux cryptés initialement développés pour protéger la vie privée de leurs utilisateurs, les trafiquants se jouent des investigations, même si quelques belles réussites doivent être notées.

Une illustration : l'affaire « uber coke » du parquet de Bayonne

« Une enquête menée par l'antenne de l'Ofast de Bayonne a permis d'identifier deux individus envoyés dans le Pays basque par un réseau criminel pour y revendre de la cocaïne, avec des prises de commande sur des réseaux cryptés. Ils avaient développé une véritable stratégie commerciale, avec des promotions, des prix dégressifs et des cartes de fidélité. La commande sur réseau crypté suscitait de surcroît un certain sentiment d'impunité parmi les clients.

« Établir la réalité du trafic a nécessité d'importants moyens d'enquête : surveillance physique, exploitation des données téléphoniques (géolocalisation, écoute) et auditions de nombreux usagers. La phase d'enquête a duré 16 mois.

« En dépit de ce succès, les parties prenantes n'ont pas manqué de souligner que la réponse apportée à ce nouveau vecteur d'écoulement des produits stupéfiants était insatisfaisante, les services d'enquête n'étant pas en capacité d'infiltrer directement les réseaux cryptés. La raison tenait moins au cadre juridique, l'enquête sous pseudonyme et les ``coups d'achat'' étant autorisés, qu'à des obstacles techniques et à un déficit de compétences informatiques. »

Source : réponse du parquet de Bayonne au questionnaire du rapporteur

Outre l'absence d'outils pour accéder aux réseaux cryptés, sont également cités les obstacles que représentent le manque de moyens d'observation - par exemple des véhicules de surveillance discrète - ou encore la limitation matérielle du déploiement des techniques spéciales d'enquête en matière de lutte contre la criminalité organisée, sous la direction du parquet ou d'un juge d'instruction355(*).

Plus généralement, s'agissant des moyens d'investigation plus poussés, la commission d'enquête a constaté un décalage significatif entre le discours du ministère de l'intérieur - qui affirme qu'il n'y a pas de problème « capacitaire » pour la mise à disposition de balises, d'IMSI catcher356(*) ou encore de key-loggers357(*) - et la réalité du terrain décrite par les services, en particulier au sein de la police nationale dont les effectifs ne peuvent pas recourir autant qu'ils le souhaiteraient à ces techniques spéciales d'enquête, pourtant cruciales pour les dossiers les plus complexes.

Les capacités de « piégeage » par key-logger sont mises en oeuvre par le service technique national de captation judiciaire (SNTCJ) de la DGSI, et les autres techniques (sonorisation et captation vidéo, IMSI catcher) par le service interministériel d'assistance technique (Siat) de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) du ministère de l'intérieur, sur un modèle qui est donc celui de la centralisation des moyens. Sans remettre en cause cette centralisation, qui peut se justifier pour des raisons techniques ainsi que par la nécessaire confidentialité attachée à l'usage de ces technologies, on ne peut que regretter que certains services estiment ne pas y avoir suffisamment accès.

Le constat du manque de moyens est particulièrement frappant pour les IMSI catcher, dispositif clé pour intercepter les communications téléphoniques. La commission d'enquête a été très étonnée d'apprendre que l'antenne de l'Ofast à Lyon ne disposait pas d'IMSI catcher, et que seules la police judiciaire de Paris et celle de Marseille en avaient à disposition à proximité358(*). Si un appareil devrait être livré d'ici la fin de l'année, cela implique dans l'attente que les services fassent venir le matériel depuis Paris, suscitant d'importantes contraintes logistiques.

De même, les forces de l'ordre, police et gendarmerie confondues, ne disposent d'aucun IMSI catcher dans la zone Antilles-Guyane.

Enfin, la majorité des représentants de services de gendarmerie et de police entendus par la commission d'enquête a souligné la nécessité de poursuivre la formation des personnels, en particulier aux techniques spéciales d'enquête, à la direction d'enquêtes complexes et au volet financier et patrimonial des investigations. La formation constitue également un gage de sécurité juridique, en particulier dans le maniement de certaines procédures telles que le recours aux informateurs.

b) L'absence de réponse au déficit d'attractivité de la filière investigation, une inquiétude pour l'avenir
(1) Un manque d'appétence pour faire du judiciaire

Les services de gendarmerie et de la police nationale ont dans leur grande majorité fait état d'une évolution inquiétante dans leurs rangs : celle de la désaffection croissante pour les filières « investigation », pourtant capitales pour démanteler les réseaux de trafic de stupéfiants. Cette désaffectation se traduit par un engorgement des procédures, qui en retour soulève des difficultés opérationnelles. En effet, comme le relevaient Nadine Bellurot et Jérôme Durain dans leur récent rapport sur la réforme de la police nationale, l'engorgement des procédures se traduit par « un nombre de dossiers par enquêteur [...] totalement déraisonnable pour permettre une conduite sereine des enquêtes »359(*).

Les magistrats entendus par la commission d'enquête s'inquiètent eux aussi, pour citer les termes de l'un d'entre eux360(*), du manque d'appétence des policiers pour faire du judiciaire, face à des avocats qui se saisissent de toutes les opportunités pour attaquer la procédure.

Le constat est donc celui de la désaffectation de la filière investigation, avec pour principales raisons avancées la complexité croissante de la procédure pénale et l'insécurité juridique qui en résulte. La commission d'enquête ne peut que regretter de devoir réitérer un état de fait connu depuis plusieurs années361(*), mais que le Gouvernement n'a pas su ou n'a pas voulu prendre en compte.

(2) Un déficit d'attractivité que la réforme de la police judiciaire pourrait aggraver

La réforme de la police judiciaire ne semble pas avoir permis d'apporter une première réponse à ce déficit d'attractivité.

D'abord, parce qu'elle laisse l'impression de prioriser le maintien de l'ordre et la lutte contre la délinquance du quotidien aux investigations de plus long terme, qui immobilisent nécessairement un nombre conséquent d'enquêteurs. Sur le terrain, plusieurs magistrats ont ainsi l'impression que, au quotidien, la mutualisation des services a provoqué une diminution des effectifs spécialisés les plus aptes à traiter des enquêtes de criminalité organisée.

Ensuite, parce que la mutualisation a pu donner l'impression à certains enquêteurs spécialisés de voir leurs compétences très spécifiques être « diluées » dans la réforme, au détriment des dossiers les plus complexes, qui supposent de disposer d'enquêteurs spécialisés.

Enfin, parce que le choix du département comme échelle de cette mutualisation a pu paraître surprenant et mal adapté à la lutte contre la criminalité organisée, face à des organisations qui disposent d'un ancrage national voire international.

Pour autant, et ainsi que l'avait rappelé la commission des lois du Sénat362(*), cette réforme, bien que très mal menée par le ministère de l'intérieur, aurait pu se révéler source de gains potentiels, tels qu'une meilleure compréhension de la délinquance locale, un décloisonnement des services (judiciaires et voie publique) et une meilleure circulation du renseignement, un aspect essentiel dans la lutte contre le narcotrafic. En l'état, il n'est pas sûr que cet objectif puisse être atteint, faute de respect des conditions de réussite qui avaient été posées par le Sénat comme par les inspections363(*). Subsistent en effet des inquiétudes sur la lutte contre la criminalité organisée, en l'absence de garanties données sur les moyens qui y seront dédiés (effectifs, techniques spéciales d'enquête, révision de la doctrine).

Les remontées de terrain dont dispose la commission d'enquête indiquent, de surcroît, que le Gouvernement n'a toujours pas su répondre aux inquiétudes des enquêteurs et des magistrats, et qu'il semble avoir une nouvelle fois oublié que réformer sans concerter et sans tenir compte des besoins du terrain n'est jamais gage d'une bonne politique publique.

2. Un cadre juridique source d'insécurité juridique et d'entrave pour les services d'enquête

Le courage des membres des forces de sécurité intérieure, en première ligne contre le trafic de stupéfiants, ne peut qu'être salué par les membres de la commission d'enquête. Pour autant, ces derniers ont été frappés de constater, lors des auditions comme des déplacements, qu'outre leur intégrité physique, une grande partie de ces hommes et femmes engagés quotidiennement sur le terrain s'inquiétaient de leur sécurité juridique. La direction de la sécurité publique de Marseille a résumé cette problématique en faisant état de leur difficulté majeure de laisser agir des personnels très engagés tout en les appelant à se ménager pour ne pas qu'ils se mettent en danger physiquement, mais aussi administrativement et judiciairement.

Trois éléments sont cités comme constituant des sources d'insécurité juridique ou d'entrave à l'action des policiers et des gendarmes : le recours aux sources, le statut des repentis et les enquêtes sous pseudonyme, en parallèle des « coups d'achat ».

a) La gestion des sources

Le renseignement humain demeure la clé de voûte des investigations menées en matière de trafics de stupéfiants et, plus généralement, de criminalité organisée. Les moyens sophistiqués dont disposent les têtes de réseaux pour se protéger tout comme la division des tâches entre organisations criminelles rendent indispensables l'obtention d'informations par le biais de sources internes, pour arriver à remonter les réseaux et à les connecter entre eux.

Le traitement de ces renseignements a donc fait l'objet d'un encadrement progressif en quête d'un équilibre entre, d'une part, l'objectif de recherche, de constatation et de poursuite des infractions pénales et, d'autre part, le droit à une procédure pénale équitable qui préserve l'égalité des armes entre les parties.

Le régime juridique des informateurs

Les informateurs bénéficient de la protection de leur anonymat. Ils ne peuvent disposer d'aucune exonération de responsabilité pénale à l'occasion de leur activité de renseignement et ne peuvent donc pas se rendre complices de l'infraction qu'ils dénoncent. Toutefois, aux termes de l'article 721-3 du code de procédure pénale, « une réduction de peine exceptionnelle, dont le quantum peut aller jusqu'au tiers de la peine prononcée, peut être accordée aux condamnés dont les déclarations faites à l'autorité administrative ou judiciaire antérieurement ou postérieurement à leur condamnation ont permis de faire cesser ou d'éviter la commission d'une infraction aux articles 706-73, 706-73-1 et 706-74. » Cet article apparaît toutefois encore très peu utilisé par les magistrats, au détriment de la faculté à recruter de nouvelles sources.

La rémunération des informateurs est prévue à l'article 15-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité. Il dispose que « les services de police et de gendarmerie ainsi que les agents des douanes habilités à effectuer des enquêtes judiciaires en application de l'article 28-1 du code de procédure pénale peuvent rétribuer toute personne étrangère aux administrations publiques qui leur a fourni des renseignements ayant amené directement soit la découverte de crimes ou de délits, soit l'identification des auteurs de crimes ou de délits. »

Source : réponses du service interministériel d'assistance technique au questionnaire du rapporteur

La gestion des sources s'est, tout d'abord, nettement professionnalisée ces dernières années. Cette évolution ne peut être que positive, notamment pour éviter de fragiliser la procédure pénale et donc le traitement judiciaire du dossier.

Les dispositions législatives (cf. supra, encadré) ont été accompagnées par l'élaboration d'une charte du traitement des informateurs en 2012, qui comporte des instructions plus précises et qui a été mise à jour en 2019. Elle doit permettre de prévenir certaines difficultés ou comportements litigieux qui ont pu être observés par le passé, à défaut d'un encadrement suffisant en droit.

La charte des informateurs

Les informateurs doivent être immatriculés dans le fichier central de traitement des sources (FCTS), dont l'architecture garantit que l'identité de l'informateur est seulement accessible au traitant, au contrôleur et au superviseur. Préalablement à son enregistrement, un informateur doit avoir fait l'objet d'une évaluation collégiale, qui prend en compte son potentiel mais aussi les risques qui peuvent venir de la collaboration.

La gestion d'une source implique en effet cinq profils :

· l'autorité hiérarchique, responsable de l'effectivité de la mise en oeuvre des prescriptions de la charte et du contrôle de leur respect ;

· le superviseur, qui exerce un commandement opérationnel. Il supervise et s'assure du contrôle de l'activité des traitants dans la gestion des sources. Il est également le garant de leur formation ;

· la personne ressource, qui assiste administrativement le superviseur. Elle dispose d'un droit de consultation des comptes des traitants ainsi que des fiches informateurs et des rémunérations de son département ;

· le contrôleur, désigné par l'autorité hiérarchique. Il exerce un commandement direct sur les traitants et suit au quotidien l'activité de gestion des sources. Il donne un avis pour tout enregistrement du traitant, toute immatriculation d'une source et toute proposition de rémunération de l'informateur ;

· le traitant, qui désigne le personnel actif qui entretient, dans le cadre de ses missions, des relations avec l'informateur aux fins de recueillir du renseignement à finalité judiciaire. Chaque informateur est obligatoirement géré par deux co-traitants et les rendez-vous avec l'informateur sont assurés en présence d'un autre personnel de police, sauf dérogation octroyée par le contrôleur, la personne ressource ou le superviseur. Le traitant doit établir une note d'information pour tout renseignement opérationnel recueilli auprès de l'informateur ainsi que pour toute proposition émanant de l'informateur.

Lorsqu'il est mis fin à une relation entre une source et son traitant, la radiation doit être enregistrée dans le FCTS. La radiation est obligatoire mais non définitive, la source pouvant être réactivée. Sont ainsi distinguées les radiations « simples », qui correspondent à des mises en sommeil de la source, et les demandes d'inscription sur « liste noire », pour des individus dont le comportement peut porter gravement atteinte au service et/ou à la sécurité du traitant.

Source : direction centrale de la sécurité publique, « Note du directeur ayant pour objet la révision de la charge du traitement des informateurs en matière de police judiciaire », 21 décembre 2019

Le bureau central des sources du service interministériel d'assistance technique (Siat) est chargé du contrôle interne de la police nationale dans le domaine des informateurs judiciaires. Il procède à leur immatriculation, instruit les demandes de rémunération et assure la coordination avec la gendarmerie nationale et les douanes.

Surtout, et une fois encore, la formation est essentielle. À Marseille, l'accent a été mis sur la démocratisation de la formation à la gestion des sources, au-delà des filières investigation. Les effectifs des brigades anticriminalité (BAC) peuvent ainsi s'y inscrire, ce qui contribue à les sécuriser. En conséquence, de plus en plus de sources sont enregistrées dans le fichier dédié, y compris sur des affaires de plus petite ampleur.

Pour autant, ce cadre n'est pas exempt de critiques. Plusieurs personnes entendues par la commission d'enquête, dont le chef du Siat, ont insisté sur le fait qu'en l'absence d'un cadre juridique plus rigoureux, par exemple la définition d'un statut des traitants dans le code de procédure pénale, la gestion des sources humaines par les services d'investigation demeurait une activité comportant des risques de fragilité juridique pour les enquêtes et pour les traitants. Ces derniers craignent en particulier la provocation à l'infraction et leur mise en cause pour complicité de trafic de stupéfiants par exemple. Ainsi que le résume la préfecture de police de Paris : « beaucoup de policiers considèrent donc que le recrutement d'un informateur signe le début des ennuis »364(*). Dans les faits, cette situation se traduit par une diminution du nombre de traitants.

Les écueils de la gestion des sources et les risques juridiques encourus par les enquêteurs

Si les traitants laissent trop de marge de manoeuvre à leur informateur, ils encourent le risque que soit mise en cause non seulement la responsabilité pénale de leur source, mais aussi la leur, en tant que complices ou commanditaires.

Les traitants doivent donc veiller à ce que leur source ne s'engage pas de manière active dans le trafic qu'elle est censée éclairer, et ce pour éviter deux écueils :

1° la provocation à l'infraction, en laissant par exemple l'informateur acheter du produit à des trafiquants présumés ;

2° la complicité active de l'informateur, par exemple dans le transport des stupéfiants, la mise à disposition de moyens de transport ou de stockage ou encore la circulation de l'argent.

Source : réponse de la direction générale de la police nationale au questionnaire du rapporteur

b) Les enquêtes sous pseudonyme et les « coups d'achat »

Les enquêtes sous pseudonyme sont prévues aux articles 706-32 du code de procédure pénale et 67 bis-1 du code des douanes. Autorisée par le procureur de la République, cette technique permet aux officiers de police judiciaire et aux agents des douanes, spécialement habilités à cet effet, d'acquérir des marchandises prohibées (ce qu'on appelle des « coups d'achat ») ou de fournir des moyens juridiques, financiers ou logistiques à des personnes en vue de cette acquisition.

De telles enquêtes se heurtent, elles aussi, à des limites inhérentes à leur cadre juridique, notamment dans le cadre de la lutte contre le phénomène « Uber shit » ou « Uber coke ». Si un enquêteur, dûment habilité à cet effet, peut se faire passer pour un acheteur et acquérir un produit illicite sur un réseau social quand un autre utilisateur le propose, il ne peut ensuite que procéder à la transaction à laquelle a mené cet échange (donc à un achat ponctuel) et arrêter le vendeur et/ou le livreur sur place, au moment de la livraison. En d'autres termes, il ne peut pas décider de surseoir à cette arrestation pour s'engager dans une enquête de plus grande ampleur lui permettant d'identifier non plus seulement le livreur ou le vendeur, mais les lieux de stockage, les modes opératoires du réseau, etc., et in fine les donneurs d'ordre ou les logisticiens.

La cheffe de l'antenne de l'Ofast à Marseille, Olivia Glajzer, a ainsi souligné l'impossibilité pour les enquêteurs de tenter de remonter un peu plus haut dans la filière en procédant à plusieurs transactions. D'autres pays se montrent en effet plus souples sur ce point et c'est également possible, en France, dans le cadre des livraisons surveillées.

Les livraisons surveillées

En matière judiciaire, la livraison surveillée est prévue par l'article 706-80-1 du code de procédure pénale. Elle correspond à la possibilité pour un officier de police judiciaire, sur autorisation de l'autorité judiciaire, de solliciter, dans le cadre d'une surveillance, de tout fonctionnaire ou agent public de ne pas procéder au contrôle et à l'interpellation d'individus ciblés par une enquête en matière de criminalité organisée, et notamment de trafic de stupéfiants. Cette demande peut aussi être formulée auprès d'une autorité étrangère dans le cadre des livraisons surveillées internationales, qui requièrent une demande d'entraide pénale internationale.

La livraison surveillée peut être complétée par une opération de substitution de la marchandise, réalisée dans un port ou dans un aéroport par exemple.

Source : réponse de l'Office antistupéfiants au questionnaire du rapporteur

Par ailleurs, la question de la provocation, facteur d'insécurité pour les enquêteurs dans la gestion de leurs sources, se pose également pour les enquêtes sous pseudonyme. Les enquêteurs ont en effet l'interdiction stricte d'inciter à la commission d'infraction, sans que le code de procédure pénale ne définisse ce que recouvre précisément une telle « incitation », laissant les enquêteurs dans un flou artistique qui n'engage pas à l'action.

De manière connexe, la plupart des services d'enquêtes sollicités par la commission d'enquête ont de fait regretté l'impossibilité, en droit français, de procéder à des infiltrations « civiles », c'est-à-dire à des infiltrations d'informateurs. Ce point distingue la France de nombreux pays partenaires.

Le cadre juridique et opérationnel des infiltrations

Aux termes des articles 706-81 du code de procédure pénale et 67 bis du code des douanes, une infiltration consiste, pour un agent infiltré, à se faire passer auprès des personnes visées par une enquête judiciaire ou douanière comme un de leurs coauteurs, complices ou receleurs. Les agents infiltrés et les personnes requises dans le cadre de l'infiltration bénéficient d'une exonération de responsabilité pénale encadrée par les articles 706-82 du code de procédure pénale et 67 bis du code des douanes.

Le bureau de techniques d'enquête du Siat dispose du monopole de la formation des agents infiltrés et de la mise en oeuvre des opérations d'infiltrations judiciaires et douanières. Il est saisi par l'autorité judiciaire pour procéder à l'infiltration. Entre 2019 et 2023, neuf opérations d'infiltration ont été conduites dans le cadre d'enquêtes sur des trafics de stupéfiants, pour quatre ayant produit un résultat et 15 interpellations. À ces opérations s'ajoutent celles conduites en matière de blanchiment, six opérations sur la même période, dont trois ayant produit des résultats et 20 interpellations.

Source : réponses écrites du service interministériel d'assistance technique au questionnaire du rapporteur

Le cadre juridique régissant les infiltrations fait l'objet de deux critiques, en plus de celle relative à l'impossibilité de procéder à des infiltrations « civiles ». D'une part, il existe un vide juridique quant au traitement des sources humaines dans le cadre d'une opération d'infiltration : la loi est muette sur la manière dont un infiltré peut interagir avec ceux qui le croient leur complice, leur client ou leur associé. Au regard de la sensibilité des enjeux, ce vide n'est pas facteur de souplesse mais source d'insécurité juridique, et limite de fait les actions entreprises par les services d'enquête. D'autre part, le caractère trop strict de la prohibition de toute provocation à l'infraction dans le cadre des opérations d'infiltration est également souligné par les services d'enquête et par une partie des magistrats, qui pointent l'impossibilité pour les infiltrés de se contenter d'assister passivement à la préparation d'une infraction tout en conservant leur crédibilité auprès des membres du réseau qu'ils doivent mettre au jour.

c) Le statut des collaborateurs de justice, les « repentis »

L'apport des collaborateurs de justice aux enquêtes menées en matière de criminalité organisée a été démontré en Italie et aux États-Unis dès les années 1970, dans le cadre des opérations de lutte contre les mafias et les groupes criminels. En France, il a fallu atteindre la loi du 9 mars 2004 dite « Perben II »365(*) pour qu'un régime soit expressément prévu à destination des collaborateurs de justice, plus communément désignés sous le terme de « repentis ». Il a fallu attendre dix ans supplémentaires pour que le décret d'application366(*) soit enfin publié et que le dispositif de protection et de réinsertion entre réellement en vigueur, au mois de mars 2014.

La prise en charge des collaborateurs de justice

Commission administrative présidée par un magistrat, la commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR) décide des mesures de protection et de réinsertion octroyées aux collaborateurs de justice et à leur proche. Elle se compose d'un magistrat exerçant ou ayant exercé au sein d'une juridiction interrégionale spécialisée (Jirs), d'un magistrat représentant la direction des affaires criminelles et des grâces, d'un représentant de la direction générale de la police nationale, d'un représentant de la direction de la gendarmerie nationale et d'un représentant du ministre chargé des douanes. Le Siat, chargé du secrétariat permanent de la commission et de la mise en oeuvre des mesures, y dispose d'un représentant, mais avec une voix consultative seulement.

Toutes les juridictions ont la faculté de saisir la CNPR mais, au regard des infractions visées et de la complexité des affaires, les Jirs apparaissent comme les premières « utilisatrices ». La mise en oeuvre du dispositif de protection et de réinsertion des collaborateurs de justice est limitée aux cas 1° où le témoignage du repenti revêt une importance particulière pour la manifestation de la vérité ; 2° où la réalité de la menace à l'encontre de la personne qui demande à bénéficier du programme est avérée ; 3° aux individus évalués aptes à supporter le programme et le changement de vie qu'il induit, pour eux et pour leurs proches. Ces conditions sont cumulatives.

L'instruction du dossier est opérée par le Siat, qui expose les faits devant la CNPR et formule un avis sur l'utilité et la faisabilité des mesures de protection et de réinsertion envisageables (identité d'emprunt, relocalisation du repenti et de ses proches, protection physique en milieu carcéral, mise en place d'un suivi psychologique, scolarisation des enfants, formation professionnelle, etc.), accompagné d'une évaluation du coût et de la durée de mise en oeuvre. La CNPR prend la décision de mettre en oeuvre le programme de réinsertion et de protection et en définit ensuite le contenu et fixe les obligations que doivent respecter les personnes concernées. Il revient ensuite au bureau de protection et de réinsertion du Siat de mettre en oeuvre les programmes.

La CNPR peut à tout moment modifier, suspendre ou mettre fin aux mesures de protection et de réinsertion accordées (évolution des risques pesant sur le bénéficiaire et ses proches, violation des conditions et modalités de mise en oeuvre du programme).

À noter, le dispositif a été élargi aux victimes de la traite des êtres humains en 2015 et aux témoins menacés en 2016.

Source : direction des affaires criminelles et des grâces, dépêche du 24 octobre 2014 relative à la mise en oeuvre du dispositif de protection et de réinsertion des collaborateurs de justice ; réponses écrites du service interministériel d'assistance technique au questionnaire du rapporteur

Dix ans après la mise en oeuvre effective du dispositif de protection et de réinsertion, la commission d'enquête a considéré qu'il était temps d'en tirer un premier bilan, qui démontre tout l'intérêt du dispositif mais aussi toutes les marges d'amélioration qui subsistent.

La commission relève tout d'abord que le retard pris dans l'application du dispositif s'est avéré dommageable pour la lutte contre la criminalité organisée en général, et contre le trafic de stupéfiants en particulier, alors que le dispositif des « repentis » est absolument primordial pour parvenir à obtenir des informations sur ces réseaux et à les enrayer. Bruno Sturlese, président de la CNPR de 2017 à 2023, souligne ainsi que les collaborateurs de justice sont l'arme par excellence pour s'attaquer aux filières du narcotrafic et que le narcotrafic est le spectre naturel et privilégié pour l'intervention du collaborateur de justice367(*). Plus de trois quarts des programmes validés par la CNPR procèdent ainsi d'enquêtes ayant visé des groupes criminels impliqués dans le trafic de stupéfiants.

Deux affaires jugées en 2023 ont témoigné de l'importance des collaborateurs de justice : l'une, jugée à Lille, a conduit au prononcé d'une peine de neuf ans de détention à l'encontre du principal organisateur d'une opération d'importation de cocaïne ; l'autre, à Lyon, a conduit à des peines de 18 ans à 25 ans de réclusion criminelle à l'encontre du commanditaire et des auteurs d'un homicide commis à l'arme de guerre sur fond de rivalités entre trafiquants locaux.

Le retard de mise en place et les règles complexes de fonctionnement de la CNPR ont par ailleurs pu conduire certains magistrats à se montrer réticents à recourir à ce dispositif, qui a pourtant fait ses preuves. Ces blocages sont toutefois en train d'être levés. En audition, le président de la CNPR368(*) a confirmé que les missions d'évaluation confiées au Siat étaient en hausse, tout comme le nombre de programmes validés et le nombre de personnes impliquées dans le dispositif.

Si l'accélération est très nette depuis deux ans, il n'en demeure pas moins que l'utilisation du dispositif est encore inférieure aux projections, et inférieure au recours qui peut en être fait à l'étranger. De même, l'extension aux témoins menacés n'a pas conduit à une hausse significative du recours au dispositif, ce qui est particulièrement problématique dans un contexte où de plus en plus de personnes ont peur de témoigner contre les narcotrafiquants.

La réponse n'est pas à rechercher du côté des moyens budgétaires : le financement apporté par l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc) est supérieur à la consommation effective des crédits369(*).

Les limites tiennent plutôt au champ infractionnel - qui exclut notamment les « crimes de sang » et l'association de malfaiteurs - aux différences « culturelles » entre les approches judiciaire et administrative, à la relative opacité quant au fonctionnement du Siat et de la CNPR ainsi qu'enfin, pour les candidats, au manque d'« attractivité pénale ». Si les « repentis » cherchent à se protéger physiquement, ils peuvent aussi vouloir bénéficier d'une certaine indulgence pénale. Sans aller jusqu'à l'exemption systématique de peine, le fait que plusieurs collaborateurs de justice aient été condamnés à des peines identiques voire plus lourdes que celles prononcées contre les têtes de réseaux n'est pas sans susciter un certain étonnement.

3. La douane, des effectifs limités sur les missions de contrôle et des équipements techniques toujours en attente

Administration de la frontière et de la marchandise, les douanes se situent en première ligne pour intervenir sur deux caractéristiques du narcotrafic370(*) : sa matérialité, les marchandises illicites, et sa territorialité, le franchissement de frontières et l'exploitation de la porosité des plateformes logistiques. La douane intervient aujourd'hui, en partenariat avec les forces de sécurité intérieure, sur l'ensemble des vecteurs d'entrée des stupéfiants sur le territoire : maritime, aérien, terrestre, postal et numérique371(*).

Les moyens juridiques des douanes devraient, selon les annonces du ministre de l'intérieur et des outre-mer au cours de son audition du 10 avril 2024372(*), être prochainement consolidés grâce à un contrôle plus efficace des précurseurs chimiques pouvant être utilisés pour la production de drogues de synthèse, en inversant la logique actuelle (selon laquelle tout produit qui n'est pas interdit est licite) pour garantir la saisie de tous les produits qui ne sont pas expressément autorisés : la commission d'enquête s'en félicite et souhaite que cette évolution, indispensable, intervienne dès que possible.

Pour autant, elle constate que, à l'inverse des moyens juridiques, les moyens humains et techniques des douanes ne sont pas au niveau de la menace.

a) Des moyens humains à consolider

Les effectifs de la douane sont classés selon deux branches : la branche « surveillance » (SU) et la branche « opérations commerciales et administration générale » (AG/CO). Les agents de ces deux branches sont amenés à intervenir dans la lutte contre le trafic de stupéfiants, qui mobilise l'ensemble des services de la surveillance - brigades de contrôle par exemple - ainsi que les agents des bureaux en charge du fret express et postal pour ce qui relève des services des opérations commerciales. À ces effectifs s'ajoutent ceux des directions spécialisées, notamment ceux de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED).

Sans revenir sur la spécificité des territoires ultramarins, avec des services de l'État tous sous-dimensionnés pour faire face au trafic de stupéfiants, les travaux menés par la commission d'enquête ont également souligné l'insuffisance des effectifs douaniers sur le territoire, et notamment dans les aéroports et dans les ports.

Lors de leur déplacement au Havre, les membres de la commission d'enquête n'ont pu masquer leur étonnement en apprenant que la brigade de surveillance extérieure des navires (BSEN), chargée du contrôle des navires et des conteneurs, ne se composait que d'une vingtaine de personnes, un effectif qui a diminué depuis 2017. La disponibilité d'un scanner fixe et le ciblage des conteneurs ne peuvent à eux seuls combler l'écart entre le nombre de douaniers effectivement disponibles pour procéder aux contrôles et les millions de conteneurs qui arrivent chaque année au Havre. Il suffit d'une opération de grande envergure pour saturer les services douaniers présents. Surtout, alors que les narcotrafiquants se reportent de plus en plus vers les ports secondaires, comme celui de Dunkerque, la douane n'y dispose pas de ce type de brigades (voir infra).

S'agissant du renseignement, la DNRED a été progressivement renforcée et s'appuie aujourd'hui sur plus de 750 personnes. Toutefois, ces moyens ne sont pas suffisants face à l'ampleur des missions à accomplir - notamment dans un contexte, sur lequel on reviendra, dans lequel d'autres services du premier cercle se sont désinvestis de la lutte contre le narcotrafic, augmentant d'autant la charge de travail de la DNRED dans ce domaine. À ce titre, la commission d'enquête ne peut que rappeler la recommandation émise par la délégation parlementaire au renseignement (DPR) en 2022, à savoir « augmenter les moyens humains de la DNRED en matière de lutte contre les stupéfiants dans les ports »373(*). La recommandation n'avait pas été suivie d'effet, sans qu'aucun élément ne paraisse avoir été apporté à la DPR pour justifier cet arbitrage374(*).

Plus généralement, au-delà de la question portuaire, la place centrale occupée par la DNRED dans la lutte contre le trafic de stupéfiants implique qu'elle dispose de moyens humains et matériels adéquats, d'autant que le Gouvernement a récemment acté une extension de ses missions à la lutte contre la fraude fiscale grave et complexe et son blanchiment, pour le compte de la direction générale des finances publiques375(*) (voir infra), sans précision sur les moyens alloués à l'exercice de cette nouvelle mission.

La même question se pose pour le service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF), devenu le 1er mai 2024 « l'Office national anti-fraude », un service à compétence nationale rattaché conjointement au directeur général des douanes et des droits indirects et au directeur général des finances publiques376(*).

Le service d'enquêtes judiciaires des finances

Créé le 1er juillet 2019, le service d'enquêtes judiciaires des finances, issu de la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, résulte de la transformation du service national de douane judiciaire (SNDJ). Dirigé par un magistrat de l'ordre judiciaire, il se compose d'environ 320 agents, dont environ 240 officiers de douane judiciaire (ODJ) et une quarantaine d'officiers fiscaux judiciaires (OFJ).

Le SEJF n'intervient que sur saisine des magistrats, qui le saisissent au titre d'une enquête de flagrance, d'une enquête préliminaire ou sur commission rogatoire. Les ODJ et les OFJ ne disposent que des compétences d'attribution que la loi leur confère (articles 28-1 et 28-2 du code de procédure pénale) : infractions douanières, escroqueries à la TVA, blanchiment des principales infractions pour les ODJ ; présomption de fraude fiscale complexe, blanchiment de ces présomptions et escroqueries à la TVA pour les OFJ.

Source : audition de Christophe Perruaux, directeur du service d'enquêtes judiciaires des finances, 11 décembre 2023

Loin d'être cosmétique, la transformation du SEJF en Onaf s'accompagne de l'octroi d'un chef de filat dans la lutte contre la fraude aux finances publiques qui supposera nécessairement, pour être efficace, des moyens supplémentaires. Or, dans sa forme actuelle, le SEJF commence d'ores et déjà à s'approcher de la saturation, avec un nombre de dossiers par ODJ et par OFJ en constante augmentation.

Au 30 novembre 2023, le SEJF était saisi de 982 affaires en cours, dont 844 confiées aux ODJ, 123 aux OFJ et 15 conjointement aux ODJ et aux OFJ. Depuis 2019, 42 co-saisines ont été enregistrées en matière de blanchiment lié au trafic de stupéfiants : dans 36 cas le SEJF est co-saisi de la seule infraction de blanchiment de trafic de stupéfiants, dans les six autres, il est co-saisi avec l'Ofast des chefs de trafic de stupéfiants et de blanchiment de trafic de stupéfiants377(*).

b) La livraison des moyens techniques, un temps long qui s'oppose à la temporalité des narcotrafiquants

Comme le soulignait la commission des finances du Sénat en 2022378(*), les douanes devraient bénéficier d'ici 2025 d'une augmentation des moyens techniques mis à leur disposition.

Le contrat d'objectifs et de moyens (COM) de la douane pour la période 2022-2025 prévoit en effet une stabilité du budget global de la douane mais une augmentation de l'enveloppe dédiée aux équipements, à hauteur de 97 millions d'euros, sans compter les financements européens obtenus pour l'acquisition de scanners (15 millions d'euros).

Acquisition par la douane de nouveaux moyens d'équipement sur la période 2022-2025

(en millions d'euros et en pourcentages)

Source : rapport d'information n° 45 (2022-2023), Donner à la Douane les moyens d'accomplir sa mission dans la lutte contre le trafic de stupéfiants fait par Albéric de Montgolfier et Claude Nougein au nom de la commission des finances, déposé le 12 octobre 2022

La commission d'enquête ne peut que s'interroger sur les choix opérés par le Gouvernement pour la douane. Pour quelles raisons a-t-il attendu si longtemps avant de rehausser les moyens techniques alloués aux services douaniers ? Cette question est d'autant plus saillante que, entre l'octroi des crédits et la livraison des équipements, le délai se compte en années et que les étapes sont nombreuses de la passation des marchés publics à leur pleine exploitation, en passant par l'aménagement des locaux.

L'absence de scanners dans les ports principaux et secondaires et dans les aéroports, la vétusté des moyens aéromaritimes et l'obsolescence de certains outils numériques n'ont pu qu'accentuer la porosité des plateformes logistiques au narcotrafic et faciliter l'arrivée des stupéfiants sur le territoire national. Ce ne sont plus quelques digues qui vont freiner le tsunami auquel la France est désormais confrontée.


* 352 Réponse de la Junalco au questionnaire du rapporteur.

* 353 Déplacement à Valence, 28 mars 2024.

* 354 Réponse de la compagnie départementale de gendarmerie de Saint-Quentin au questionnaire du rapporteur.

* 355 Géolocalisation, interception de correspondances émises par la voie des communications électroniques, interceptions téléphoniques, sonorisation et fixation d'images, captation de données informatiques.

* 356 Dispositif d'interception des communications mobiles, qui imite le fonctionnement d'une antenne-relais de téléphonie.

* 357 « Enregistreur de touches », dispositif qui détecte les frappes sur le clavier d'un ordinateur ou un smartphone et mémorise les entrées.

* 358 Déplacement de la commission d'enquête en région lyonnaise, 15 et 16 février 2024.

* 359  Rapport d'information n° 387 (2022-2023) La police judiciaire dans la police nationale : se donner le temps de la réussite fait par Nadine Bellurot et Jérôme Durain au nom de la commission des lois, déposé le 1er mars 2023.

* 360 Audition en format « rapporteur » de vice-procureurs du tribunal judiciaire de Paris, 10 janvier 2024.

* 361 Voir par exemple le rapport « Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner » remis au Gouvernement en 2019 par les députés Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann.

* 362  Rapport d'information n° 387 (2022-2023) La police judiciaire dans la police nationale : se donner le temps de la réussite fait par Nadine Bellurot et Jérôme Durain au nom de la commission des lois, déposé le 1er mars 2023.

* 363 Inspection générale de l'administration, inspection générale de la justice, inspection générale de la police nationale, « Bilan de la création des directions territoriales de la police nationale dans les outre-mer et des expérimentations des directions départementales de la police nationale », janvier 2023.

* 364 Préfecture de police de Paris, note au rapporteur sur « Le dispositif de la préfecture de police en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants », en date du 21 mars 2024.

* 365  Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

* 366  Décret n° 2014-346 du 17 mars 2014 relatif à la protection des personnes mentionnées aux articles 706-62-2 et 706-63-1 du code de procédure pénale.

* 367 Audition en format rapporteur de Bruno Sturlèse, ancien président de la commission nationale de protection et de réinsertion, 29 février 2024.

* 368 Audition de Marc Sommerer, président de chambre près la cour d'appel de Paris, président de la commission nationale de protection et de réinsertion des repentis, 12 février 2024.

* 369 La convention triennale signée entre la direction générale de la police nationale et l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués prévoit en outre une revalorisation annuelle en tant que de besoin.

* 370 Pour reprendre les termes employés par Clothilde Champeyrache, économiste, maîtresse de conférence habilitée à diriger des recherches au Conservatoire national des arts et métiers.

* 371 Les douanes sont à l'origine de 70 % à 80 % de l'ensemble des saisies de produits stupéfiants opérées sur le territoire national.

* 372 Gérald Darmanin a e effet déclaré lors de son audition : « Aujourd'hui, nous analysons ces drogues, nous cherchons les précurseurs et, ensuite, nous les interdisons par arrêté. En résumé, tout est autorisé, sauf ce qui est interdit. [...] je proposerai que l'on s'inspire du modèle britannique, en interdisant les précurseurs utilisés pour fabriquer de la drogue, sauf ceux qui sont autorisés pour l'industrie du médicament. Cette initiative me paraît de nature à lutter plus vite et plus fort contre les drogues de synthèse ».

* 373  Rapport n° 547 (2021-2022) fait par François-Noël Buffet au nom de la délégation parlementaire au renseignement, déposé le 24 février 2022.

* 374  Rapport n° 810 (2022-2023) fait par Christian Cambon et Sacha Houlié au nom de la délégation parlementaire au renseignement, déposé le 29 juin 2023.

* 375  Arrêté du 8 mars 2024 modifiant l'arrêté du 29 octobre 2007 portant création d'un service à compétence nationale dénommé « direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières ».

* 376  Décret n° 2024-235 du 18 mars 2024 portant création d'un service à compétence nationale dénommé « Office national anti-fraude ».

* 377 Éléments chiffrés transmis par le service d'enquêtes judiciaires des finances en réponse au questionnaire du rapporteur.

* 378  Rapport d'information n° 45 (2022-2023) Donner à la Douane les moyens d'accomplir sa mission dans la lutte contre le trafic de stupéfiants fait par Albéric de Montgolfier et Claude Nougein au nom de la commission des finances, déposé le 12 octobre 2022.

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