D. LA FLAMBÉE DES VIOLENCES LIÉES AU TRAFIC DE DROGUE : « NARCHOMICIDES », RÈGLEMENTS DE COMPTES ET « JAMBISATION »

La commission d'enquête a constaté, tout au long de ses travaux, que la violence des réseaux de narcotrafic était sans limite, sans conscience et sans échappatoire pour ceux qui en sont la cible. Les 49 règlements de comptes survenus en 2023 dans la seule ville de Marseille en sont le témoignage le plus visible et le plus choquant, mais les grandes villes ne sont pas les seules à être touchées : à l'inverse, la violence fait partie intégrante du business model des narcotrafiquants, la nouveauté étant que ce constat, auparavant réservé à la grande criminalité, vaut aussi pour les groupes de « milieu de gamme ».

Lors de son audition devant la commission d'enquête le 9 avril 2024, le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, a présenté la flambée de violences en ces termes : « Si ces constats ne sont pas nouveaux, le phénomène s'amplifie, les organisations criminelles ayant désormais recours à une violence totalement débridée : les trafiquants tuent leurs rivaux, assassinent les membres de leur propre réseau et exécutent les “petites mains” des trafics, alors que les habitants vivent dans la terreur des balles perdues ».

Au traditionnel cri des guetteurs aux abords des points de deal, ce « arah » qui ne retentit que trop souvent dans certains quartiers, s'est ainsi ajouté le bruit des armes - parfois automatiques - dans certaines villes de France.

1. Une violence qui augmente en intensité...

La procureure près le tribunal judiciaire de Paris, Laure Beccuau, également à la tête du parquet de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco) dresse un constat inquiétant lors de son audition par la commission : « Le recours à la violence est sans limites : nous constatons une sévère aggravation des guerres claniques et des règlements de compte sur tout le territoire »187(*).

La cheffe de l'Ofast, Stéphanie Cherbonnier, abonde en ce sens en estimant que « le niveau très élevé de la menace a trait à l'augmentation très significative, en France, des violences criminelles liées au trafic de stupéfiants, sous l'effet des rivalités de territoires et de la concurrence entre organisations criminelles. Inhérentes aux trafics, ces violences criminelles recouvrent les règlements de comptes, les homicides volontaires et les tentatives d'homicide, mais aussi les enlèvements et séquestrations »188(*).

Règlements de compte, homicides et tentatives d'homicide au niveau national

Source : Ofast189(*)

L'Office central de lutte contre la criminalité organisée (OCLCO) « estime qu'entre 80 à 90 % du nombre total des règlements de comptes, des meurtres et des tentatives de meurtre entre délinquants s'expliquent par des différends liés au trafic de stupéfiants »190(*).

L'OCLCO retient quatre critères cumulatifs pour identifier un règlement de compte :

· la victime, ou l'auteur, ou le commanditaire, doit être reconnue comme un malfaiteur d'envergure ;

· les faits doivent révéler un objectif avéré d'élimination physique ;

· le mobile doit être lié à un contentieux au sein de la criminalité organisée, ou à une volonté d'extension de pouvoir ou de territoire, d'affaiblissement d'un groupe criminel adverse, ou bien enfin s'inscrire dans un contexte de représailles ;

· le mode opératoire doit être caractéristique de celui habituellement utilisé par la criminalité organisée.

 

2016

2017

2018

2019

2020

2021

2022

01/01/2023 au 31/10/2023

Règlements191(*) de compte

113

78

77

63

77

72

67

76

L'analyse des chiffres nationaux amène l'OCLCO à considérer qu'une « augmentation sensible des règlements de compte est attendue pour 2023 (+ 36 % entre les 10 premiers mois de 2022 et la même période en 2023) ». Des chiffres, rendus publics par la presse en mars 2024, confirment cette prévision : les règlements de compte auraient augmenté de 38 %, 85 morts en 2023 contre 67 en 2022 ; on dénombrerait plus largement 418 victimes tout compris en 2023 contre 303 en 2022192(*).

Les territoires les plus impactés par les trafics de stupéfiants sont également ceux touchés par le recours accru à cette violence extrême. Le procureur de la République de Marseille constate que la ville détient « un triste record, le nombre de narchomicides de la juridiction étant supérieur à celui de toutes les autres juridictions réunies »193(*).

Règlements de compte, homicides et tentatives d'homicides à Marseille

Source : Ofast194(*)

Loin de se résumer à Marseille, cette hyperviolence touche d'autres départements comme l'a indiqué le ministre de la justice, Éric Dupond-Moretti, lors de son audition devant la commission d'enquête : « le phénomène des règlements de comptes, qui concernait principalement Marseille, Grenoble, Nantes et la région parisienne, touche désormais des villes moyennes traditionnellement épargnées telles qu'Amiens, Valence, Besançon, Saint-Nazaire, Metz, Cherbourg ou encore Belfort ». La commission d'enquête a pu mesurer toute l'ampleur de ce constat lors de son déplacement à Valence à la fin du mois de mars 2024, ses interlocuteurs ayant décrit un phénomène de « terrorisation » du territoire dans son ensemble, les habitants (y compris ceux qui n'ont aucun lien avec le narcotrafic ou avec une quelconque forme de délinquance) étant progressivement gagnés par la peur d'une balle perdue.

C'est également ce qu'illustre le propos de Marc Perrot, directeur territorial de la police judiciaire de Nantes : « Depuis une dizaine d'années, Nantes a été marquée par des homicides et des tentatives d'homicides par armes à feu. On constate une augmentation des règlements de comptes, ce qui s'explique en partie par une désinhibition de l'usage des armes. Des délinquants, qui ne sont pas pour autant ancrés dans de la délinquance lourde, n'hésitent pas à recourir aux armes à feu, voire aux armes de guerre, pour régler leurs conflits, défendre, conquérir ou reprendre un point de deal »195(*).

L'intensité de la violence utilisée par les narcotrafiquants s'illustre également, la commission l'a découvert lors des auditions196(*) et déplacements, par le recours au procédé dit de la « jambisation ». Cette technique, apparue il y a quelques années, consiste à faire usage d'une arme en tirant dans les jambes de la victime, généralement sur le genou ou légèrement en dessous. Ce procédé plus discret, moins médiatisé et en apparence moins grave aux yeux des auteurs, permet de sanctionner de manière visible un opposant ou un trafiquant déloyal, étant précisé que la « jambisation » entraîne bien souvent des séquelles, la victime boitant pour le restant de ces jours. Virginie Girard a qualifié, lors de son audition, cette pratique comme étant « des avertissements délivrés sous forme non létale »197(*).

La violence s'étend au-delà des réseaux de trafic pour toucher ceux qui sont accusés de « gêner » l'activité criminelle ou de dénoncer les méfaits des trafiquants, comme le souligne la note déjà citée de la direction des affaires criminelles et des grâces, qui met en lumière l'exposition de certaines populations à la corruption mais aussi aux formes les plus graves de violence, toutes deux étant les faces complémentaires d'une même médaille. S'agissant plus particulièrement des dockers198(*) :

« Fin 2019, la Jirs de Lille dénombrait [...] “une vingtaine de mises en examen de dockers” [pour des faits de corruption]. Inversement, dans certains cas, les dockers sont également victimes des agissements violents des réseaux ; le procureur du Havre dénombrait plus d'une vingtaine d'enlèvements et séquestrations violents en 2021, avec des balises retrouvées régulièrement sur les véhicules des dockers. Le meurtre d'un docker le 12 juin 2020, commis après la dénonciation par la victime à la PJ [police judiciaire] du Havre des pressions subies pour le contraindre à prendre part aux sorties de cocaïne, marquait le secteur très fortement.

« Le paroxysme était atteint avec les dossiers “Trudy” et “Trudy 2” portant respectivement sur la saisie de 1 127 kilogrammes de cocaïne bord du cargo “Trudy” le 1er octobre 2021, et l'assaut d'un commando armé en quête du reliquat de cocaïne soupçonné d'être resté à bord du cargo, alors amarré au port de Dunkerque et placé sous scellés199(*). Ces faits, générateurs d'une forte répercussion en termes de sécurité portuaire, constituent une première sur le territoire national. »

2. ... et qui touche qui touche désormais des délinquants de moyenne envergure

La violence débridée utilisée par les narcotrafiquants ne vise plus seulement les chefs des réseaux criminels ou leurs lieutenants. En effet, Marc Perrot, directeur de la police judiciaire de Nantes constate : « On a également des opérations de rétention violente contre les petites mains du trafic, dès lors qu'il y a des soupçons - avérés ou non - de détournement de produits. Cela prend la forme d'enlèvements-séquestration ou de l'usage de la torture. En 2023, des trafiquants de stupéfiants ont investi un appartement, séquestré les locataires, violé deux d'entre elles et torturé les autres pour récupérer une dette de 8 000 euros. On a passé un cap dans les mesures de rétorsion et l'utilisation d'une violence débridée »200(*).

Le constat est identique pour Marseille, puisque la vice-présidente exerçant les fonctions de juge d'instruction, Isabelle Couderc, relève que « le réseau est aussi particulièrement intransigeant et sans pitié face aux défaillances : régulièrement, nous sommes sidérés, nous, juges d'instruction, en découvrant des vidéos d'une violence extrême où de très jeunes gens sont frappés, humiliés, torturés dans des caves, et parfois exécutés »201(*).

On peut citer ici l'exemple d'un adolescent de 16 ans placé en foyer à Chartres et arrivé à Marseille pour vendre de la drogue sur un point deal en août 2019. Lors de son interpellation le premier jour, il réussissait à cacher la matière stupéfiante (15 grammes de cocaïne et 10 barrettes de résine de cannabis) puis venait la récupérer à sa sortie de garde à vue pour la revendre, sur le point de deal, sans autorisation du responsable dudit point. Il se faisait rapidement dénoncer par un guetteur, était ensuite roué de coups en bas de l'immeuble puis emmené dans un local désaffecté où il était dénudé, attaché à une chaise avec du câble électrique, frappé, brûlé à quarante reprises avec une cigarette puis avec un chalumeau202(*).

Le procureur de la République du tribunal de Marseille complète les propos de sa collègue du service de l'instruction : « Une autre différence par rapport aux règlements de comptes du milieu traditionnel réside dans le déploiement d'une stratégie d'intimidation et de terreur [...] nous pourrions même parler de narcoterrorisme, tant les victimes sont dépersonnalisées. Celles-ci se répartissent en plusieurs catégories, à commencer par les personnes ancrées dans la criminalité, mais qui ne représentent plus la majorité des victimes. Particulièrement jeunes, les petites mains du trafic - ravitailleurs, “charbonneurs” et “chouffeurs” - sont les premières à faire les frais d'une logique de terreur qui les expose à une rafale de kalachnikov dès lors qu'il est question de prendre en main un point de deal »203(*).

Un magistrat rencontré au cours d'un déplacement évoquait, de même, le fantasme de jeunes persuadés de venir travailler sur un point de deal pour un salaire mirobolant, parfois annoncé à 9 000 euros par mois non imposables, cédant ainsi à un miroir aux alouettes : non seulement ils ne toucheront jamais de telles sommes, mais surtout ils s'exposent à une fin tragique - puisque, comme le résumait le magistrat concerné, il n'est pas rare que « cela finisse dans une cave ».

3. L'impact sur les populations locales : entre vie quotidienne insoutenable et assassinat de victimes collatérales

L'exemple de la ville de Marseille est le plus édifiant même si bien d'autres territoires, la Seine-Saint-Denis ou certains quartiers de villes grandes ou moyennes sont particulièrement impactés par les violences des narcotrafiquants.

Les bailleurs sociaux entendus par la commission relèvent effectivement que les espaces communs des immeubles de ces quartiers peuvent devenir, lorsqu'il y a du trafic de stupéfiants, des lieux d'affrontement avec les forces de l'ordre et aussi entre les trafiquants eux-mêmes. Les habitants de ces quartiers se retrouvent confrontés à une extrême violence dont ils deviennent, au mieux, des spectateurs terrorisés et, au pire, des victimes collatérales.

C'est exactement ce que décrit le président du tribunal judiciaire de Marseille, Olivier Leurent, lorsqu'il dresse le constat suivant :

« La ville de Marseille est incontestablement le territoire au sein duquel les conséquences du narcobanditisme se manifestent dans leur expression la plus violente, en provoquant d'importants troubles à l'ordre public, en blessant, voire en tuant, des victimes dites collatérales, et en altérant considérablement les conditions de vie des habitants des quartiers. En d'autres termes, le narcobanditisme agit à Marseille comme une sorte de gangrène qui abîme jour après jour le tissu social »204(*).

Concernant les victimes tuées ou blessées lors de règlements de compte entre narcotrafiquants, le procureur de la République du tribunal judiciaire de Marseille, Nicolas Bessone, relève que « [...] ce narcoterrorisme induit une multiplication des victimes collatérales n'ayant aucun rapport avec le trafic, que la mort du jeune Fayed205(*), âgé de 10 ans, à Nîmes, et de la jeune Socayna206(*), dans les quartiers sud-est de Marseille, a tragiquement illustrée »207(*).

Isabelle Courderc ajoute que les violences peuvent également être utilisées à l'égard de témoins : « Des trafiquants ont également enlevé, séquestré et violenté le gérant d'une pizzeria implantée à cinquante mètres d'un point de deal, parce qu'il avait soi-disant trop parlé ; ils ont ensuite multiplié les coups de pression pour qu'il cède son établissement à vil prix »208(*).

Enfin, ces scènes de violence, parfois extrêmes à l'instar des tirs d'arme de guerre décrits supra, créent un climat de peur et d'insécurité constant et intense pour l'ensemble des habitants mais aussi des personnes amenées à intervenir pour des raisons professionnelles (gardiens, agents de nettoyage, soignants, pompiers, livreurs, etc.) dans les quartiers gangrenés par le trafic de stupéfiants.

Les bailleurs sociaux ont justement indiqué à la commission que leur personnel pouvait craindre pour sa sécurité, se trouver exposé à des dangers inhabituels (comme le fait de découvrir des armes à feu) et qu'il était parfois difficile de pourvoir à certains postes compte tenu de la réputation de certains lieux.

Ce climat d'insécurité et de violence permet aux narcotrafiquants de prendre le pouvoir de certains immeubles, quartiers ou territoires, devenant en quelque sorte, selon les bailleurs sociaux, « des habitants au-dessus des autres, régulateurs de la vie en collectivité » imposant leurs règles aux habitants - dont celle du silence, qui s'applique à quiconque entendrait dénoncer aux forces de l'ordre les faits dont il est régulièrement témoin.

4. Le narcotrafic au carrefour d'autres trafics violents
a) Des trafics violents qui nourrissent le narcotrafic

À titre liminaire, il convient de rappeler que les travaux menés par la commission n'ont pas permis d'identifier de porosité particulière entre le narcotrafic et le terrorisme de manière générale (voir supra), que ce soit en France ou ailleurs en Europe.

En revanche, les narcotrafiquants sont de manière très claire alimentés par les trafics d'armes pour mener à bien leurs activités. Les armes à feu, dont des armes de guerre (cf. supra), sont utilisées par les trafiquants de drogue pour assurer leur sécurité de manière préventive d'une part, ou pour procéder à des règlements de compte, d'autre part.

Les narcotrafiquants utilisent également des véhicules de manière conséquente pour leurs propres déplacements, le déplacement de la marchandise, les livraisons chez les clients, etc. Or ces véhicules peuvent provenir de vols commis par des réseaux agissant en bande organisée et bien souvent avec violence.

Il existe aussi un opportunisme de malfaiteurs qui profitent de la rentabilité du trafic de stupéfiants sans que cela soit leur « coeur de métier ». En effet, certains acteurs de la criminalité organisée, hors narcotrafic, investissent d'importantes sommes dans le trafic de stupéfiants de manière épisodique ou unique, pour maximiser leurs profits en raison d'une proposition qui leur est faite à un moment précis sans qu'ils ne deviennent narcotrafiquant à temps plein. On peut prendre l'exemple d'un voleur en bande organisé de véhicules qui va investir 500 000 euros dans une livraison de cocaïne dont il entend retirer le maximum de bénéfices, sans toutefois se spécialiser dans ce domaine par la suite.

Ce constat n'est, au demeurant, pas nouveau. Il y a plus de vingt ans, Bernard Petit, chef de l'OCRTIS, relevait ainsi : « Nous avons, çà et là, des enquêtes qui démontrent très clairement que des gens qui appartiennent au grand banditisme et qui ont donc des activités traditionnelles dans le monde de la criminalité (proxénétisme, jeu clandestin, contrefaçon de documents, trafics de voitures, etc.) sont hautement intéressés par le trafic de cocaïne dans notre pays et investissent des sommes importantes pour importer de grands lots de cocaïne qu'ils revendent en France et dans les pays étrangers [...] on parle de centaines de kilos et même de tonnes, et non pas de petites importations de 400 ou 500 grammes aux aéroports. Nous en sommes à ce stade et nous avons en face de nous des organisations criminelles qui sont les nôtres : celles du banditisme français »209(*).

Le phénomène est désormais passé au « stade » supérieur, en particulier sous l'effet de la « démocratisation » de la cocaïne qui rend plus tentants encore ces « coups » ponctuels d'acteurs qui savent profiter de l'extrême rentabilité du trafic de stupéfiants sans en faire un fonds de commerce.

b) Le narcotrafic à l'origine d'autres trafics violents

Nourri par d'autres formes de criminalité, le narcotrafic vient en retour créer ou soutenir des trafics tiers. Ainsi, il alimente la traite des êtres humains. De plus en plus, la justice et les médias se font l'écho d'une « délinquance forcée »210(*) commis par les acteurs du trafic de stupéfiants. En effet, face à la pénurie de guetteurs, vendeurs et autres « petites mains » du trafic de stupéfiants dans certains territoires, les têtes de réseau ont de plus en plus recours à l'usage de menaces, de violences ou de torture à l'encontre de leurs dealers du quotidien, qui peuvent ensuite se trouver « prêtés » à d'autres réseaux pour suivre les pérégrinations des consommateurs pendant les périodes de vacances, de la montagne en hiver au bord de mer en été211(*).

Les violences peuvent survenir en amont d'une participation à un trafic de stupéfiants pour contraindre un individu, souvent mineur ou jeune adulte, à vendre de la drogue sur un point de deal. Le code pénal réprime ces faits notamment sous l'angle de la traite des êtres humains212(*) étant précisé que, lorsque la victime est mineure, l'infraction de traite des êtres humains est caractérisée même en l'absence de contrainte. Le code pénal réprime également la provocation d'un mineur à participer à un trafic de stupéfiants213(*).

Les violences utilisées pour contraindre une personne à participer à un trafic de stupéfiants peuvent aussi survenir après une interpellation, en raison d'une perte de la recette ou des produits stupéfiants ou d'une collaboration réelle ou supposée avec les forces de l'ordre lors d'une garde à vue.

Une main-d'oeuvre sous le joug des réseaux

« Les “petites mains” constituent une catégorie composée de nombreux mineurs qui représentent une ressource vulnérable, parfois soumise à la contrainte et victime de violences extrêmes. Le chantage à la dette, réelle ou fictive, est un mécanisme rodé pour contraindre à vendre sur un point de deal sans contrepartie financière. Il est également utilisé pour forcer ceux qui souhaitent partir à rester dans le trafic. Des sévices, accompagnés de simulacres d'exécution, sont parfois filmés et transmis aux contacts de la victime par les auteurs, participant d'une politique de terreur et d'intimidation. »

Source : Ofast214(*)

En second lieu, le narcotrafic attire la convoitise d'autres délinquants qui se spécialisent dans le braquage de trafiquants de stupéfiants. Ces faits sont peu ou pas connus des autorités, sauf lorsqu'ils sont rendus visibles en raison d'un trouble à l'ordre public, de blessures graves ou du décès d'une victime. Les services d'enquête constatent effectivement que certaines équipes se sont spécialisées dans le vol en bande organisée au préjudice de trafiquants ou de leurs financiers, avec des techniques qui se rapprochent de celles des forces de l'ordre : surveillance physique, balisage, repérages, etc. Ces vols peuvent s'accompagner de violences, plus ou moins graves, et d'enlèvement et séquestration, rarement dénoncés aux forces de l'ordre.

Enfin, ce phénomène n'est pas nouveau mais les forces de l'ordre et les acteurs judiciaires constatent un rajeunissement des tueurs à gages peu ancrés dans la délinquance et avec une très faible expérience dans le domaine du maniement des armes et du recours à ce type de violence mortelle. La jeunesse de ces individus, mis en cause au cours des derniers mois, surprend dans la mesure où aucun n'avait plus de 25 ans et plusieurs d'entre eux étaient encore mineurs lors de leur passage à l'acte. Le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille note à cet égard que « les auteurs comme les victimes sont toujours plus jeunes, la majorité des auteurs étant âgés de 16 à 21 ans »215(*).

Le magazine L'Obs a également consacré un reportage à ces jeunes tueurs intitulé « Mineurs et tueurs à gages : enquête sur les nouvelles recrues du trafic de drogue »216(*). L'article revient sur le parcours de plusieurs très jeunes majeurs, peu connus de la justice, qui ont participé à un ou plusieurs assassinats au cours des mois précédents. Dans cet article, le commissaire Pascal Bonnet, chef de la brigade criminelle et de la brigade de répression du banditisme de Marseille explique « là où on avait auparavant des gens assez “qualifiés”, nous sommes aujourd'hui face à des “jobbeurs du crime” ». Il ajoute que ces jeunes « passent de délits assez mineurs aux homicides et, en moins de six mois, soit on les serre, soit ils sont morts. Ce ne sont pas des profils qui vont s'ancrer dans le narcobanditisme ». Ce témoignage est cohérent avec les propos tenus par un policier à Marseille, celui-ci expliquant que l'accalmie dont bénéficie la ville depuis quelques mois était due au fait que les principaux trafiquants avaient tous été tués dans des règlements de compte, et les équipes de tueurs rapidement appréhendées par la police en raison de leur grande inexpérience.


* 187 Audition du 7 décembre 2023.

* 188 Audition du 27 novembre 2023.

* 189 Ofast, État de la menace liée aux trafics de stupéfiants, 2023.

* 190 Direction nationale de la police judiciaire, note sur l'état des règlements de compte en lien avec le trafic de stupéfiants sur le territoire national et à Marseille, 1er décembre 2023.

* 191 Id.

* 192 Le Figaro, édition en ligne du 21 mars 2024.

* 193 Audition du 5 mars 2024.

* 194 Ofast, État de la menace liée aux trafics de stupéfiants, 2023.

* 195 Audition du 17 janvier 2024, Marc Perrot précise également : « Ces trafics de stupéfiants ont généré des règlements de comptes, qui, depuis le premier en 2013, se sont amplifiés avec le temps. 2019 a constitué une année de référence pour la criminalité nantaise, avec 64 faits de fusillades et de violence armée. Si, depuis lors, ces phénomènes ont très légèrement diminué, on reste sur des tendances lourdes puisque 41 fusillades ont été recensées dans l'agglomération nantaise en 2023. Les trafics de stupéfiants n'ont pas faibli : 845 kilos de résine de cannabis, 436 kilos de cocaïne et une dizaine de kilos d'héroïne ont été saisis en 2023 ».

* 196 Audition du 17 janvier 2024 de la procureure près le tribunal judiciaire de Lille, Carole Étienne.

* 197 Audition du 17 janvier 2024.

* 198 Note précitée de la DACG.

* 199 Dans la nuit du 10 au 11 octobre 2021, un commando de 6 ou 7 personnes parlant anglais et français montait à bord du navire depuis le quai, se dirigeait vers la coupée (poste de surveillance radio du navire), où il prenait en otage le marin affecté à la surveillance radio, puis gagnait la cabine du capitaine. Les individus séquestraient ensuite les 21 membres de l'équipage du navire dans une pièce, permettant ainsi à une partie du groupe des agresseurs de procéder à une fouille complète de celui-ci, accompagné du capitaine. Cette fouille ne donnait lieu, d'après ce dernier, à aucune découverte particulière. Les malfaiteurs quittaient ensuite le navire, aux alentours de 4 h 30 ou 5 h 00 du matin, après avoir dépouillé les membres de l'équipage de leurs téléphones portables et du numéraire en leur possession.

* 200 Audition du 17 janvier 2024.

* 201 Audition du 5 mars 2024.

* 202 Sud Ouest, «  Trafic de drogue à Marseille : l'effroyable calvaire d'un « charbonneur » qui avait doublé des dealers », 8 septembre 2023.

* 203 Audition du 5 mars 2024.

* 204 Audition du 5 mars 2024.

* 205 Enfant tué le 21 août 2023 dans le quartier Pissevin de Nîmes, très touché par le trafic de stupéfiants. Il se trouvait dans la voiture de son oncle prise entre les tirs de gangs s'opposant pour le contrôle d'un point de deal. Source : Le Monde, «  Mort de Fayed, 10 ans, à Nîmes : neuf hommes mis en examen », 18 novembre 2023.

* 206 Femme âgée de 24 ans tuée le 10 septembre 2023 à la cité Saint-Thys de Marseille alors qu'elle travaillait dans sa chambre, un individu passager d'un scooter a tiré en rafales sur des bâtiments à proximité d'un lien de trafic de stupéfiants. Source : France 3 régions, « Assassinat de Socayna : ce qu'il faut retenir de la mise en examen d'un mineur impliqué dans le trafic de drogue », Christine Laemmel, 16 février 2024.

* 207 Audition du 5 mars 2024.

* 208 Idem.

* 209 Cité par le rapport n° 321 (2002-2003) « Drogue, l'autre cancer » de Bernard Plasait et Nelly Olin.

* 210 Cela vise l'hypothèse d'un individu qui est amené à commettre des infractions de manière contrainte.

* 211 Le Parisien, «  Marseille : viol, séquestration et torture sur mineurs... Jusqu'à 25 ans de prison pour des trafiquants de drogue », 29 septembre 2023 : deux adolescents de 15 et 16 ans, recrutés par des trafiquants dans les quartiers nord de Marseille, avaient été retenus, coupés de leurs proches, forcés à travailler gratuitement.

* 212 Articles 225-42-1 et suivants du code pénal.

* 213 Article 227-18-1 du code pénal.

* 214 Ofast, État de la menace liée aux trafics de stupéfiants, 2023.

* 215 Audition du 5 mars 2024.

* 216  Article publié le 29 novembre 2023.

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