F. ADAPTER LE DROIT PÉNAL ET LA PROCÉDURE PÉNALE AUX RÉALITÉS DU NARCOTRAFIC
La commission d'enquête l'a affirmé : il est plus que temps que la réalité de la menace liée au narcotrafic soit prise en compte et que les moyens de la lutte soient portés au niveau supérieur.
Ce constat vaut, plus encore que dans d'autres matières, dans le domaine de procédure pénale : il faut aujourd'hui donner aux officiers de police judiciaire et aux magistrats les moyens juridiques d'agir contre le trafic, en priorisant le « haut du spectre ».
1. Créer un parquet national antistupéfiants
Sur les modèles pertinents et réussis du parquet national financier (PNF) et du parquet national anti-terrorisme (Pnat), la commission d'enquête estime indispensable la création d'un parquet national antistupéfiants (Pnast), équivalent judiciaire de l'Ofast rénové qui en serait le bras armé.
Le Pnast, acteur national et centralisateur, aurait pour compétence la lutte contre le narcotrafic du « haut du spectre » ; il disposerait d'un monopole sur la gestion des « repentis » et des futurs informateurs « civils » dont la commission d'enquête propose la création et répondrait à deux impératifs majeurs : d'une part, celui de la spécialisation qui, seule, peut permettre de tenir compte des particularités des réseaux de narcotrafic de massifier le recours aux techniques spéciales d'enquête et d'aller plus loin dans la mise au jour de circuits de blanchiment qui échappent aujourd'hui à la répression faute de pouvoir être identifiés ; d'autre part, celui de l'incarnation, ce nouveau parquet permettant l'émergence d'une figure unique, clairement identifiée et qui sera l'interlocuteur de référence au sein de la sphère judiciaire comme auprès des services répressifs dans leur ensemble.
2. Durcir la procédure pénale pour mettre les narcotrafiquants hors d'état de nuire
La création de nouveaux outils de procédure pénale est un axe-clé des travaux de la commission d'enquête. Elle recommande :
· d'étendre l'infraction d'association de malfaiteurs, sur le modèle de la loi antimafia italienne, et de créer un crime d'association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un des crimes relevant de l'article 706-73 du code de procédure pénale ;
· de créer un dossier confidentiel, dit « coffre », permettant de préserver du contradictoire certaines techniques spéciales d'enquête ;
· de mieux encadrer le régime des nullités de procédure ;
· de spécialiser l'ensemble de la chaîne pénale pour couvrir non seulement des faits nouveaux (règlements de comptes liés au narcotrafic, notamment), mais aussi des domaines supplémentaires, comme l'application des peines ;
· d'adapter les modalités de détention des narcotrafiquants ce qui suppose, d'une part, d'assurer l'interdiction effective des téléphones portables via un brouillage généralisé de tels appareils et, d'autre part, de durcir le régime de la détention provisoire.
3. Mieux protéger le recours aux informateurs et étendre le statut des « repentis »
La commission d'enquête est convaincue que le législateur doit se saisir du sujet des informateurs sans fausse pudeur en encadrant la possibilité donnée aux policiers et gendarmes de s'appuyer sur des sources, tout en reconnaissant avec franchise qu'un bon informateur n'est pas celui qui est innocent de toute infraction. La commission est également favorable à ce qu'un informateur puisse devenir un infiltré « civil », ce qui implique qu'il bénéficie d'une complète immunité pénale sous réserve de respecter des conditions strictes qu'il incombera au futur Pnast de fixer.
S'agissant de l'infiltration policière, la commission d'enquête souhaite un assouplissement (ou a minima une clarification) de la notion d'« incitation à la commission d'une infraction » qui, aujourd'hui imprécise et insécurisante, dissuade les services répressifs de recourir à l'infiltration - qui est pourtant un outil puissant de démantèlement des réseaux.
La commission d'enquête appelle également à une refonte globale du dispositif des repentis afin de libéraliser largement son usage pour l'ensemble des infractions en lien avec le narcotrafic, y compris les crimes de sang, et de garantir aux personnes concernées une réduction ou une exemption de peine dès l'entrée dans un programme de protection.
4. Mineurs et « petites mains » : trouver la réponse adaptée
Face à la gravité des faits de narcotrafic commis par les mineurs, la commission d'enquête propose la mise en place d'un régime pénal spécifique pour ces derniers, similaire à celui envisagé par le Sénat dans le cadre de la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste déposée en décembre 2023 par le président de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet8(*), ce qui permettra en particulier une réponse plus ferme dès la première infraction.
Cette répression renforcée ne doit pas conduire à négliger l'aspect éducatif. La commission plaide ainsi pour une prise en charge renforcée de ces mineurs par les services éducatifs agissant conjointement (protection judiciaire de la jeunesse et aide sociale à l'enfance). En outre, elle souhaite tirer pleinement profit de l'infraction pénale de provocation d'un mineur au trafic de stupéfiants afin de mieux sanctionner les narcotrafiquants qui exploitent les « jobbeurs » et les « charbonneurs » : elle propose notamment que toute « offre d'emploi » liée au trafic et publiée sur un réseau social accessible aux mineurs soit considérée comme une telle provocation, et donc passible de sept ans de prison.
Les trois principales recommandations de la commission d'enquête pour mettre la procédure pénale au niveau de la menace que représente le narcotrafic :
· créer un parquet national anti-stupéfiants (Pnast), acteur spécialisé qui sera la référence sur le narcotrafic pour la sphère judiciaire et aura un monopole sur la gestion des « repentis » et des infiltrés « civils » ;
· faciliter les infiltrations policières et le traitement des sources, et créer une infiltration « civile » par des informateurs devenus infiltrés ;
· durcir la procédure pénale, avec notamment la création d'un dossier « coffre » pour les techniques spéciales d'enquête les plus sensibles.
* 8 Dossier législatif accessible en ligne.