E. REDONNER SA JUSTE PLACE AU RENSEIGNEMENT

Dans la lutte contre le narcotrafic, la France se situe désormais à un point de bascule : Dans ce contexte, le renseignement doit retrouver sa juste place et le narcotrafic être traité pour ce qu'il est vraiment, une menace pour les intérêts fondamentaux de la nation. Ce constat soulève une interrogation quant à l'articulation entre le renseignement et le judiciaire ; la commission d'enquête s'est attachée à défendre une distinction nette entre les deux.

1. Reconnaître et sanctuariser le rôle du renseignement administratif

La commission d'enquête s'est longuement interrogée sur le fait qu'en l'absence d'une pleine implication de la DGSI dans la lutte contre le narcotrafic, cette mission était prioritairement assurée par deux services du premier cercle relevant non pas du ministère de l'intérieur mais de celui de l'économie et des finances, à savoir la DNRED et Tracfin. Elle n'a pas obtenu de réponse claire sur cet état de fait, alors même qu'il soulève des interrogations substantielles.

Sans préconiser un big-bang de l'organisation actuelle, qui risquerait de conduire à reprendre des années de retard en matière de lutte contre le narcotrafic, la commission d'enquête estime que la coordination doit être davantage structurée. En parallèle, la DGSI doit être pleinement remobilisée : il est plus que surprenant que de nombreux services d'enquête aient indiqué n'avoir eu aucun contact avec cette direction s'agissant de la lutte contre le narcotrafic.

En matière de lutte contre le trafic de stupéfiants, la finalité du renseignement doit être la judiciarisation pour parvenir à démanteler les réseaux et à mettre hors d'état de nuire les trafiquants. Cela implique que les services du renseignement se mettent véritablement au service des services d'enquête et des magistrats, afin de prévenir toute difficulté lors de la judiciarisation du dossier. À l'inverse, les dossiers judiciaires regorgent de détails non exploités très précieux pour le renseignement, qui doivent être remontés aux services. Dans la lutte contre le narcotrafic en effet, aucune information ne doit être perdue.

2. Crédibiliser le « renseignement criminel »

Le renseignement criminel correspond à toute information issue d'une source ouverte ou fermée, relative à une activité délictuelle ou criminelle et qui peut donner lieu à une exploitation, afin de lutter contre un ou plusieurs groupes criminels organisés.

Deux axes de réforme concernent ce renseignement criminel : le premier porte sur la création d'un grand fichier dédié à la criminalité organisée (réclamée par la police, la gendarmerie et l'Ofast) et dont la description est de nature à brouiller la frontière si essentielle entre le renseignement et le judiciaire. La remise en cause de cette frontière est assumée par les porteurs de ce projet : le modèle cité est celui du terrorisme, c'est-à-dire d'un fichier de souveraineté auquel n'ont accès que les services de renseignement du premier cercle.

La commission d'enquête fait preuve de la plus grande prudence face à un tel fichier, qui ne saurait être légitime que s'il est suffisamment encadré, soumis à une autorité de supervision suffisamment puissante et adossé à un partage des rôles clairement garanti. Il est frappant - et préoccupant - que ni la police nationale, ni la gendarmerie nationale, ni l'Ofast n'aient été capables de s'interroger sur le futur contrôle du fichier ou de préciser la nature des traitements envisagés.

Le second axe de réforme concerne les 104 cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross) qui ont pour mission de recueillir, d'analyser, d'enrichir et de favoriser le partage des renseignements opérationnels ainsi que de cartographier les réseaux de narcotrafiquants. Elles ont permis d'obtenir des résultats notables : en 2023, ce sont 1 265 personnes écrouées, 290 réseaux mis en cause, 721 kilogrammes de cocaïne saisis, 16 tonnes de cannabis, 604 armes et quasiment dix millions d'euros d'avoirs.

Pour poursuivre leur montée en puissance, les Cross doivent être véritablement fonctionnelles sur l'ensemble du territoire et disposer de personnels suffisamment formés pour en assurer l'animation et favoriser l'exploitation des renseignements. Elles doivent également s'intégrer dans un dispositif plus vaste, dont le but doit être d'obtenir la condamnation pénale effective des trafiquants : c'est dans cette perspective que la commission d'enquête propose que les parquets soient intégrés aux Cross afin d'enrichir les enquêtes en cours comme de préparer au mieux la judiciarisation des dossiers.

Les thèmes associés à ce dossier

Partager cette page