B. LES FREINS SPÉCIFIQUES À LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE
1. Malgré des atouts, les métiers de la territoriale peinent à attirer
Les métiers de la territoriale disposent d'indéniables atouts pour tirer leur épingle du jeu sur le marché de l'emploi. Il s'agit en effet de métiers ancrés dans le concret, porteurs de sens et implantés dans un territoire. En outre, ces fonctions peuvent parfaitement convenir aux aspirations professionnelles de ceux voulant travailler en mode projet, désirant une chaîne hiérarchique courte, ou encore intéressés par la digitalisation et l'innovation.
Toutefois, pour l'heure, ces avantages ne permettent pas encore de remédier durablement à un déclin d'attractivité. Dans les petites communes, ce déclin, avec les difficultés induites à pourvoir les postes, contribue à alimenter le désenchantement des maires. Le rapport de Philippe Laurent21(*), président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT), identifie les principales causes de la crise que traverse le secteur public local. Il affirme notamment, au terme d'une étude annuelle22(*), que « 39 % des employeurs territoriaux disaient éprouver des difficultés à attirer des candidats » en 2021, soit 9 points de plus qu'en 2015.
2. La méconnaissance de cette filière d'emploi
La première facette du manque d'attractivité de la fonction publique territoriale réside dans la méconnaissance des métiers exercés et des possibilités de recrutement, ou de mobilité, ouvertes au sein des collectivités territoriales et de leurs satellites, notamment concernant les métiers les plus en tension. En effet, les modes d'accès à la fonction publique territoriale sont considérés comme manquant de clarté23(*) et les collectivités locales sont confrontées à un désintérêt relatif de la part des demandeurs d'emploi à l'égard des professions exercées, bien que celles-ci correspondent à des compétences diversifiées et renvoient à la satisfaction des besoins essentiels de la population (services ou infrastructures publics).
Les raisons de ce constat sont connues : bien qu'offrant de multiples opportunités de carrière, les collectivités territoriales restent encore marquées dans l'opinion publique par une image tronquée. « Dépassés par des réseaux sociaux interconnectés »24(*), les réseaux institutionnels des collectivités territoriales peinent à communiquer avec les internautes sur les grandes caractéristiques de la fonction publique territoriale, notamment sur les valeurs relatives à l'intérêt général. En effet, nombre de citoyens ont, à ce jour, une vision erronée des métiers proposés. À titre d'illustration, une partie de la population considère encore que le rôle des agents se limite à un « accueil en mairie » ou encore à « l'entretien de la voie publique », alors que la palette des possibles est bien plus large. Globalement, et comme le souligne le rapport de Philippe Laurent, « seuls les jeunes ayant des parents fonctionnaires territoriaux ont une réelle approche des métiers de la territoriale ».
Les candidats potentiels n'arrivent que difficilement à se projeter dans les métiers existants. En ce sens, il n'est pas infondé de parler de déficit de notoriété des emplois de la fonction publique territoriale. Ce secteur ne dispose pas de vitrine médiatique permettant de mieux cerner les métiers de la branche, a contrario de la fonction publique d'État (reportages, documentaires, films et séries sur les forces de l'ordre, les enseignants, les magistrats...) et de la fonction publique hospitalière (reportages, documentaires, films et séries sur les médecins, les infirmiers...). Cette carence conduit les candidats potentiels, et notamment la jeunesse, à préférer des professions davantage incarnées et mieux identifiées.
Dans la même veine, la fonction publique territoriale n'opère aucune campagne coordonnée sur les différents canaux de communication afin de mettre en avant les métiers pour lesquels elle souhaite recruter. C'est une différence notable avec les deux autres branches de la fonction publique, que l'on peut aisément retrouver dans des encarts de la presse papier, via des spots TV et radio, dans les transports en commun, ou encore sur la pluralité de médias digitaux (réseaux sociaux, YouTube, Dailymotion...). Les collectivités territoriales n'occupent guère l'espace publicitaire national afin de faire naître la flamme à l'égard de la territoriale.
C'est notamment ce que regrette Yves Charmont : « la valorisation des métiers à l'aide de vidéos et d'événementiels est cruciale » afin d'offrir une image réaliste et attractive des fonctions réellement exercées. D'après la quatrième édition du baromètre de la marque employeur du secteur public (réalisé par la Gazette des communes et Intériale), 71 % des candidats à un emploi dans la fonction publique territoriale se renseignent sur Internet, 62 % sur des sites d'offres d'emploi et 32 % sur des réseaux.
S'inscrivant dans la droite lignée du constat posé, les résultats d'une enquête commandée en 2021 par la direction interministérielle de la transformation publique (DITP)25(*), portant sur la perception de l'attractivité de la fonction publique territoriale par les personnes de 18 à 30 ans, montrent également que la fonction publique territoriale reste relativement « méconnue » auprès d'un public pourtant susceptible de rejoindre certains de ses emplois. Livré dans le cadre du rapport de Philippe Laurent, ce travail d'analyse inédit a notamment permis de mieux connaître la manière dont est appréhendé l'emploi public local par des personnes qui n'en font pas partie et qui constituent un vivier de recrutement potentiel.
Les apports de l'enquête conduite par la DITP en 2021
Fondée sur un échantillon de 1 481 personnes âgées de 18 à 30 ans, l'enquête a examiné la connaissance des sondés sur différents aspects de la fonction publique territoriale. Les résultats mettent en évidence que :
- les trois quart des personnes interrogées identifient les responsabilités des agents territoriaux. Mais un tiers seulement savent que les communes sont en charge du fonctionnement des écoles, la même proportion croit que les agents territoriaux sont en charge des fédérations sportives ;
- si certains métiers de la territoriale sont connus (un tiers des répondants identifient les animateurs périscolaires ou les urbanistes, par exemple), plus de 20 % pensent que les inspecteurs du travail ou les conducteurs de train sont des fonctionnaires territoriaux ;
- les modalités d'accès à la fonction publique territoriale sont connues par la moitié des personnes interrogées, mais 26 % pensent qu'il faut résider dans la commune où se trouve le poste et 10 % pensent qu'il faut connaître un élu ;
- les agents de la fonction publique territoriale sont considérés comme disciplinés, autonomes, intègres et sachant faire preuve d'initiative, mais ils manqueraient de leadership, de curiosité et d'empathie ;
- la rémunération, un travail intéressant et l'équilibre vie personnelle / vie professionnelle sont les éléments les plus recherchés, le dernier item étant le plus important ;
- la fonction publique territoriale est perçue essentiellement comme offrant un emploi et une carrière stables ;
- les deux tiers des répondants souhaitent se sentir appréciés et reconnus, pouvoir exprimer une idée et avoir des conditions de travail flexibles ;
- les refus, par les personnes interrogées, de postuler pour un emploi territorial sont liés soit à l'acceptation d'un autre emploi, soit à un processus pour candidater trop complexe ou trop compétitif ;
- le site de Pôle emploi et les portails de recherche d'emploi en ligne sont les portes d'entrée des candidats.
En outre, dans son rapport, Philippe Laurent regrette que « les documentations proposées par le ministère de l'éducation nationale soient très lacunaires sur la possibilité de travailler dans la fonction publique territoriale ». Il en va de même des revues de l'Office national d'information sur les enseignements et les professions (ONISEP), alors même que de nombreux métiers techniques peuvent trouver à s'exercer au sein de la fonction publique territoriale (peintre, jardinier, électricien, responsable informatique...).
Le même constat peut être dressé au sein de l'enseignement supérieur qui fait, au sein des cursus de droit ou de sciences politiques, la part belle aux concours de la fonction publique d'État au détriment de ceux de la fonction publique territoriale. Dans le cadre de ces enseignements, on peut regretter que la présentation des modalités de recrutement des métiers de la territoriale ne soit pas assez mise en avant.
Cette méconnaissance de la fonction publique territoriale s'illustre également au sein des « prépas Talents ». Selon les éléments communiqués par l'association « La Cordée » à vos rapporteurs, les élèves de ces prépas « ciblent prioritairement les concours de l'État », alors que la fonction publique territoriale n'avait jusqu'à peu26(*) « aucune classe préparatoire intégrée » (ancienne appellation des classes « talents ») contrairement aux deux autres versants de la fonction publique. Les candidats issus de ces prépas font dès lors « trop souvent le choix de la territoriale par défaut, faute de valorisation suffisante de cette branche ».
3. Les contraintes inhérentes à la taille de la collectivité territoriale employeuse et à sa localisation
Les collectivités territoriales sont inégalement affectées par les difficultés de recrutement en fonction de leur taille ainsi que de leur localisation. Dans une petite commune rurale, les recrutements sont souvent rendus plus difficiles en raison de l'éloignement et du risque d'isolement. Dans une grande agglomération, le coût de la vie se révèle élevé pour les agents de catégorie C, majoritairement au SMIC.
Concernant la localisation, certaines zones géographiques sont plus prisées que d'autres. La proximité de la mer, un climat favorable, une bonne desserte en transports, font par exemple de l'Ouest et du Sud de la France des territoires disposant d'atouts supplémentaires lorsqu'il s'agit de séduire des candidats à un poste au sein d'une collectivité territoriale.
M. Vincent Le Maux, président du CDG des Côtes d'Armor, rappelle qu'« en fonction de leur taille, les collectivités ne rencontrent pas les mêmes difficultés ». Ainsi, une grande collectivité rencontrera davantage de difficulté à recruter sur certains métiers spécifiques. Tel est notamment le cas pour des compétences touchant au service d'information, à la comptabilité ou encore aux ressources humaines. Dans pareille situation, « la collectivité sera en concurrence directe avec les acteurs du secteur privé »27(*).
Par ailleurs, les petites collectivités offrent souvent moins de perspectives de déroulement de carrière et proposent des métiers qui nécessitent des qualités de polyvalence, comme par exemple dans le cas déjà largement développé par vos rapporteurs des secrétaires de mairie. En outre, l'emploi du conjoint y est également rendu parfois plus difficile. Les raisons de cet état de fait sont bien connues : trouver une mobilité de carrière au sein d'une collectivité de moindre grandeur, où le turnover est souvent faible, n'est pas chose aisée. De plus, le caractère enclavé, ou les moyens d'accès limités à de telles collectivités, accentuent la perte d'attractivité.
En regard, les agglomérations et les communes moyennes offrent certaines facilités en termes de conditions de vie : une offre culturelle, sportive et médicale plus étoffée, ou encore la pluralité de possibilités pour la scolarité des enfants.
L'effet taille ne joue cependant pas qu'à sens unique et il peut aussi en naître des handicaps. Ainsi, pour les grandes collectivités et les capitales régionales, l'attractivité est fréquemment impactée négativement par la cherté de la vie. Au-delà de cet aspect, les temps de déplacement sont également considérés comme plus longs et le secteur immobilier moins attractif. Ces collectivités permettent toutefois de dérouler plus facilement des carrières variées, y compris pour le conjoint, avec une pluralité d'emplois disponibles et donc une facilité pour trouver une embauche durable.
Selon le baromètre de la marque employeur du Secteur Public, réalisé en 2021 par la Gazette des communes, les trois types de collectivités les plus attractives selon les candidats à la fonction publique territoriale sont les conseils départementaux, les communes de 500 à 5 000 habitants et les métropoles. A contrario, les trois types de collectivités ou d'établissements les moins attractifs sont les communes de moins de 500 habitants, les CDG et les services départementaux d'incendie et de secours (SDIS).
4. L'exposition à certains risques professionnels
La notion de pénibilité des métiers de la branche représente un élément à prendre en considération dans l'analyse. En effet, avec près de 75 % des agents exerçant des missions de catégorie C, les collectivités territoriales et leurs satellites constituent le secteur de la fonction publique qui regroupe le plus grand pourcentage d'agents publics exposés aux risques professionnels. De nombreux postes sont soumis à des contraintes fortes : relations potentiellement tendues avec les usagers, risques physiques, psycho-sociaux, horaires atypiques, régimes d'astreintes...
Globalement, ces risques professionnels peuvent, à juste titre, constituer un frein à l'attractivité de la fonction publique territoriale. Les contraintes organisationnelles et / ou techniques, le port de charges lourdes, les nuisances sonores et thermiques, ou encore l'exposition à des substances chimiques dangereuses sont susceptibles de considérablement réfréner de nombreux candidats, notamment depuis la crise sanitaire et l'accent porté sur la préservation de la santé physique et mentale au travail.
Un accord fondateur en faveur de la protection sociale complémentaire
Après un an de négociation, six syndicats d'agents et sept organisations d'employeurs territoriaux ont conclu, le 11 juillet 2023, un accord national « portant réforme de la protection sociale complémentaire des agents publics territoriaux ». Cet accord, qui en appelle d'autres sur la santé, concerne principalement la prévoyance.
Cet accord vise à améliorer les droits des agents. Ainsi, un agent malade ou en invalidité percevra 90 % de son revenu net incluant le traitement indiciaire (TI), la nouvelle bonification indiciaire (NBI) et le régime indemnitaire (RI). Cette couverture interviendra au moyen d'un contrat collectif à adhésion obligatoire.
Selon les signataires, cette adhésion obligatoire constitue un gage d'efficacité : elle permet aux organismes assureurs de connaître à l'avance les besoins à couvrir, elle crée une solidarité entre assurés quel que soit leur âge, et elle mutualise la couverture des risques. Les contrats pourront être mis en place par collectivité ou à un niveau supérieur, via notamment les CDG. Au final, l'adhésion obligatoire aboutit à un rapport entre les prestations et les cotisations plus favorable aux agents et aux employeurs.
Une autre avancée favorable aux agents concerne la participation des employeurs, qui sera au minimum de 50 % du montant de la cotisation prévoyance et non plus d'un montant de référence, fixé à 35 euros par mois.
Les signataires ont également prévu d'encadrer les pratiques contractuelles des opérateurs au profit de la solidarité entre bénéficiaires. La principale proposition de l'accord consiste à encadrer les écarts de cotisation en complémentaire santé pour que la plus forte cotisation ne puisse dépasser le double de la plus faible. L'objectif étant d'éviter une trop forte augmentation de la cotisation des retraités.
5. L'information lacunaire à propos des postes à pourvoir
Dans un autre registre, l'expérience candidat est également un facteur qui peut nuire à l'attractivité de la fonction publique territoriale. En effet, sur bien des aspects, le cheminement d'un candidat pour intégrer une structure territoriale reste imparfait. Selon l'association « La Cordée », parmi les axes d'amélioration figurent notamment le souhait d'une procédure d'accès et de recrutement fluide et transparente, ou encore davantage de simplicité concernant le contenu de la fiche de poste.
Concernant la fluidité et la transparence de la procédure de recrutement, il convient de souligner que la lourdeur d'une procédure de recrutement peut aller jusqu'à constituer un facteur repoussoir pour nombre de candidats. Si les offres d'emplois font l'objet d'une obligation de publicité lors d'une vacance de poste, il arrive assez fréquemment que le poste en question soit d'ores et déjà pourvu en interne. Pareil procédé est jugé par de nombreux candidats extérieurs comme un manque de transparence des structures publiques locales. Ce reproche conduit parfois les candidats à ne plus déposer leur candidature afin d'éviter une perte de temps inutile. En moyenne, il y a chaque jour 30 000 offres d'emploi accessibles sur Place de l'emploi public pour la fonction publique territoriale, mais combien sont réellement « ouvertes » ?
Concernant les fiches des postes, les candidats souhaitent davantage de transparence sur les prérequis : le poste est-il bien accessible aux contractuels ? Dans le cas où le poste est ouvert en priorité aux fonctionnaires, quels sont les concours privilégiés ? Lesquels peuvent être équivalents ? Les candidats manquent également d'information pour mieux comprendre les conditions d'emploi d'un contractuel : durée du contrat, perspectives d'évolution, possibilité de reconduction du contrat, de bénéficier d'une formation pour passer des concours...
Les collectivités locales sont souvent sur un schéma assez traditionnel d'offre de postes avec des descriptions peu attrayantes des fonctions à exercer qui sont souvent peu éclairantes pour le candidat : que fait concrètement un rédacteur ? Et un attaché ? L'information est trop juridique pour être comprise ; elle gagnerait à être tournée vers le public particulièrement pour le recrutement dans des métiers communs avec le secteur privé pour lesquels les candidats potentiels peuvent peiner à décrypter les termes et les procédures de recrutement du secteur public local. À cet égard, il faut souligner que les élus tendent à prendre conscience du caractère trop formel de la présentation des emplois et souhaitent désormais donner une image plus sympathique et attirante de leur collectivité.
* 21 Cf. rapport précité sur « L'attractivité de la fonction publique territoriale ».
* 22 Il s'agit du « 12ème baromètre RH des collectivités locales », publié en septembre 2021 et réalisé par Randstad en partenariat avec La Gazette des communes, Villes de France, l'Assemblée des communautés de France (AdCF), l'Association nationale des DRH des territoires (ANDRHDT) et l'Association des directeurs généraux des communautés de France (ADGCF).
* 23 Pour beaucoup des étudiants ou demandeurs d'emplois accompagnés par l'association « La Cordée », auditionnée par vos rapporteurs, entrer dans la territoriale relève d'un processus de sélection difficile à comprendre.
* 24 Cf. rapport précité sur « L'attractivité de la fonction publique territoriale ».
* 25 Enquête menée par le « Behavioural insights team » (BIT) pour le compte de la DITP.
* 26 En 2021, création d'une voie « talents » pour le concours d'administrateur territorial et association du CNFPT aux prépas talents portées par l'Institut national du service public (INSP) à Strasbourg et Nantes.
* 27 Cf. rapport précité sur « L'attractivité de la fonction publique territoriale ».