LISTE DES PRINCIPALES PROPOSITIONS

AVANT-PROPOS

Dans leur précédent rapport d'information « Attractivité du métier de secrétaire de mairie - Faire de la fonction de secrétaire de mairie un véritable métier ! »5(*), vos rapporteurs pointaient un cas particulier, et spécialement problématique, au sein de la fonction publique territoriale, celui des secrétaires de mairie. Dans la continuité de ce travail, le présent rapport d'information vise à adopter un angle de vue plus large sur l'emploi dans les collectivités territoriales. Car les maires et les autres élus locaux le savent, nos collectivités rencontrent des difficultés grandissantes à recruter sur les postes à pourvoir, puis à fidéliser leurs agents. L'enjeu n'est pourtant rien moins que le bon fonctionnement des services publics locaux, qui repose tant sur la qualité et le sens de l'engagement des personnels en ayant la charge. Le risque réside également, du fait d'un tarissement des candidats, dans le découragement des élus locaux, subissant les sous-effectifs et malgré tout comptables de l'efficacité de l'action publique devant la population.

Confrontées à une situation inédite mais qui tend à s'ancrer sous l'effet des tensions actuelles sur le marché de l'emploi, les collectivités territoriales explorent de nouvelles voies pour conforter, ou restaurer, leur attractivité en tant qu'employeuses. Parmi ces novations, la stratégie de la marque employeur a plus particulièrement retenu l'attention de vos rapporteurs. Technique marketing à la croisée des ressources humaines et de la communication, la marque employeur se présente comme un moyen de repenser la démarche de recrutement de la collectivité, de repositionner la relation employeur / employé dans un sens plus égalitaire, et de mettre en valeur l'identité de la collectivité territoriale tout comme le sens des missions qu'elle propose.

Au travers des témoignages recueillis et des expériences étudiées, le présent rapport se veut offrir une boîte à outils aux décideurs locaux - qu'ils soient élus ou dans les services - désireux de s'informer, et pourquoi pas d'engager une stratégie de marque employeur au service de leur collectivité.

I. LA PERTE D'ATTRACTIVITÉ DE LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE

A. LA DÉGRADATION DE L'ATTRAIT DES MÉTIERS DE LA FONCTION PUBLIQUE

1. Les recrutements plus difficiles

Au 31 décembre 20216(*), 5,67 millions d'agents exerçaient dans la fonction publique, ce qui représente environ « un emploi sur cinq » à l'échelle nationale pour reprendre le constat de Mme Marie-Laure Blot, chef de projets en marque employeur au sein du cabinet We Fell Good7(*).

Les chiffres clés de la fonction publique

La répartition des 5,67 millions agents publics entre les trois versants de la fonction publique s'opère de la façon suivante :

- fonction publique d'État : 2,52 millions d'agents (soit 45 % de l'emploi public), dont 78 % dans les ministères et 22 % dans les établissements publics administratifs nationaux.

- fonction publique territoriale : 1,93 million d'agents (soit 34 % de l'emploi public), dont 72 % dans les régions, départements et communes, et 28 % dans les établissements publics administratifs locaux.

- fonction publique hospitalière : 1,21 million d'agents (soit 21 % de l'emploi public), dont 87 % dans les hôpitaux, 9 % dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées et 4 % dans les autres établissements médico-sociaux.

Parmi les agents de la fonction publique, 37 % relèvent de la catégorie hiérarchique A (dont 2 % de la catégorie A+), 17 % de la catégorie B et 46 % de la catégorie C.

Enfin, 35 % des agents de la fonction publique sont âgés de 50 ans ou plus (contre 30 % pour le secteur privé). 63 % des agents de la fonction publique sont des femmes (contre 46 % dans le secteur privé). 43 % des emplois de catégorie A+ sont occupés par des femmes, 53 % sont occupés par des agents de 50 ans ou plus.

Source : étude précitée sur l'« Évolution des effectifs des trois fonctions publiques en 2021 »

Par rapport à l'année 2020, ces effectifs correspondent à une hausse globale de 14 200 agents8(*), soit une augmentation de l'ordre de + 0,3 % sur un an. Cette hausse se ventile de la manière suivante entre les trois versants de la fonction publique : - 0,1 % dans la fonction publique d'État (FPE), + 0,6 % dans la fonction publique territoriale (FPT) et + 0,5 % dans la fonction publique hospitalière (FPH).

L'évolution des effectifs dans les trois versants de la fonction publique de 2011 à 2021

Source : Siasp, Insee. Traitement DGAFP-SDessi

Pour autant, cette évolution se déroule sur fond de crise relative d'attractivité de la fonction publique, Marie-Laure Blot déplorant que « 93 % des cadres de la fonction publique [...] rencontrent des difficultés de recrutement ». À titre illustratif de ces difficultés, le nombre de candidats aux différents concours dans la fonction publique d'État a été divisé par trois entre 1997 (650 000 candidats) et 2018 (228 000 candidats)9(*).

2. La crise des vocations

Parmi les facteurs à l'origine de ce déficit d'attractivité commun aux trois fonctions publiques, figure une réelle crise des vocations à l'égard des métiers de la sphère publique. Avec l'arrivée de nouvelles générations (X, Y, Millenials, Z...) sur le marché du travail, le point de vue concernant l'attrait et les atouts de la fonction publique change. Insensiblement ce qui était, de longue date, perçu comme un avantage se retourne en inconvénient.

Le statut de fonctionnaire, un moindre attrait ?

Malgré le moindre engouement pour les métiers de la sphère publique, certains éléments propres au statut de la fonction publique méritent d'être soulignés.

La stabilité de l'emploi : les concours de la fonction publique permettent au candidat lauréat d'être titularisé sur un poste et d'avoir ainsi accès à une garantie d'emploi qui peut se révéler appréciable en période de crise économique et de chômage à la hausse. Contrairement au secteur privé, l'agent public ne relève pas du code du travail et n'est pas rattaché à son employeur par un contrat. Le fonctionnaire bénéficie d'un statut définissant ses rôles en tant qu'agent public et les missions relatives à son poste.

Les perspectives d'évolution interne : la majorité des postes obtenus par concours externe permet aux agents, après quelques années d'exercice et s'ils le souhaitent, de candidater à des concours internes pour accéder, éventuellement, à un poste dans la catégorie supérieure. Les conditions de présentation aux concours internes sont fixées par les administrations ouvrant ces postes, la majorité des postes étant accessible sans conditions de diplôme ni d'âge. Ces possibilités d'évolution, ainsi que la diversité des parcours et des profils, apportent une vraie richesse au quotidien dans le travail au sein de la fonction publique.

Le caractère évolutif à la hausse de la rémunération : le fonctionnaire perçoit une rémunération en fonction de son niveau indiciaire. Cet indice de rémunération correspond aux points que l'agent cumule selon sa catégorie et son ancienneté. Les grilles indiciaires indiquent donc les rémunérations des agents selon leur statut, catégorie et ancienneté. De cette manière, un agent public voit sa rémunération augmenter à mesure qu'il monte en compétence (change de catégorie) et en ancienneté. Ce principe d'évolution garantit une trajectoire de rémunération lisible et prévisible, ce qui tranche avec le secteur privé où les aléas de salaire peuvent être beaucoup plus marqués.

La formation intégrée : certains concours ne donnent pas directement accès à un poste mais à une formation permettant d'acquérir les méthodes et les compétences nécessaires au métier visé (écoles des impôts, école nationale de police, école nationale des douanes...). Ces formations sont rémunérées et s'accompagnent généralement d'une période de stage permettant de découvrir la globalité du poste avant d'être titularisé.

L'appartenance à un corps au service de l'intérêt général : la fonction publique permet à ses agents de travailler dans le respect de valeurs professionnelles et humaines communes (laïcité, égalité de traitement et égalité des chances...) et de les faire appliquer autour d'eux. Outre cet aspect, l'agent public remplit une mission d'intérêt général, c'est-à-dire que son rôle et ses missions contribuent au bien commun. Ils animent la collectivité et le vivre ensemble en créant les conditions d'un État de droit.

Le fait est que les jeunes générations entrant sur le marché du travail désirent, outre la reconnaissance et le souhait de donner du sens à leur carrière, davantage de liberté et d'autonomie. Elles refusent de se voir cantonnées dans des fonctions aux perspectives d'évolutions limitées. Pour ces nouvelles générations, la liberté de l'emploi prime largement sur la sécurité offerte par le statut10(*).

Le manque d'intérêt des nouvelles générations pour les métiers de la fonction publique trouve également une partie de son origine dans de nouvelles aspirations perçues comme insuffisamment prises en compte par les administrations publiques. Plus précisément, les préoccupations écologiques, sociales ou liées à la transition numérique représentent autant de critères de plus en plus déterminants dans l'orientation professionnelle, en particulier pour les nouvelles générations. Or, dans l'esprit des demandeurs d'emploi aujourd'hui, les administrations publiques ne s'imposent pas spontanément comme des modèles sur ces aspects-là, même si cette perception ne correspond pas nécessairement à une réalité. Par ailleurs, on ne peut pas passer sous silence la perte d'attractivité engendrée par une rémunération qui n'est pas assez compétitive par rapport au secteur privé et dont la faiblesse relative est de moins en moins compensée par d'autres contreparties11(*).

Enfin, l'image écornée du fonctionnaire constitue une cause supplémentaire de perte d'attrait de la sphère publique.

Certes, les critiques à l'encontre des fonctionnaires ne sont pas neuves dans notre pays et représentent même un « marronnier » éculé (nombre supposément excessif des agents publics, temps de travail prétendument trop faible...). Mais dans un contexte de tensions sur le marché de l'emploi qui mettent le candidat dans une position de choix et de force inédite, ces attaques injustifiées contribuent à rendre encore un peu plus difficile la tâche des administrations publiques dans leurs objectifs de recrutement.

Tirant les conséquences de cette profonde transformation des approches, Marie-Laure Blot constate que seulement « un jeune sur six déclare être intéressé par un emploi dans le secteur public ». Rapprochée du taux d'emploi public (un emploi sur cinq), cette proportion rend compte de l'enjeu actuel du recrutement au sein de la fonction publique, confrontée à une crise des vocations bien réelle.

3. La remise en question de la sélection par concours

De longue date, le concours constitue la pierre angulaire du recrutement au sein de la fonction publique et ce principe ne souffrait aucune contestation. Or, désormais la procédure de recrutement par concours fait elle aussi face à une incontestable remise en question. Longue, complexe ou encore perçue comme excessivement concurrentielle, celle-ci attire moins les candidats, au contraire de la voie contractuelle qui ne cesse de se développer au sein de l'emploi public12(*).

Autant du côté de l'employeur public que du candidat, le recours au contrat a le vent en poupe et permet de pourvoir rapidement un poste vacant tout en satisfaisant les deux parties. A contrario, le concours ne présente aujourd'hui pour les jeunes générations que peu d'intérêt, voire est jugé avec sévérité comme étant un procédé archaïque.

Cette évolution du rapport au concours trouve une traduction quantitative sans ambiguïté. Ainsi, le rapport annuel 2022 sur l'état de la fonction publique met en lumière une baisse du nombre de candidats aux concours depuis le milieu des années 1990. Il précise notamment que « le nombre moyen de candidats pour un poste offert est ainsi passé de 16 en 1997 à 6 en 2022 ». À titre d'illustration, au concours externe de professeurs des écoles en 2022, les inscriptions ont enregistré une chute alarmante : sur 41 641 inscrits (contre 84 131 en 2019), seuls 14 112 ont passé les épreuves écrites (alors qu'ils étaient 26 657 l'année précédente).

Des concours administratifs moins attractifs : un constat commun aux trois branches

Le rapport annuel 2022 sur l'état de la fonction publique précité, détaille les éléments constitutifs de la moindre attractivité constatée des concours de la fonction publique.

Fonction publique d'État : le nombre de candidats aux concours externes a baissé de 11 % en 2020 par rapport à 2019, et celui des présents aux épreuves de 5 %, en raison de la situation sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. Sur la période 2010-2020, le nombre d'inscrits a chuté de 30 %, alors que le nombre de postes à pourvoir augmentait fortement. Le taux de sélectivité est ainsi passé de 11,7 à 5,5. En 2020, 5,2 candidats se sont présentés pour une place ouverte en catégorie A, contre 8,9 en 2010.

Fonction publique territoriale : 49 600 candidats se sont présentés en 2019 aux concours organisés par les centres de gestion (CDG), la ville de Paris et le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), pour 10 200 places offertes. Seuls 9 420 candidats ont été admis. La sélectivité de ces concours (5,8 candidats pour un lauréat, hors concours de la ville de Paris) a baissé depuis la première moitié de la décennie. Signé par l'un de vos rapporteurs, Catherine Di Folco, le rapport pour avis n° 146 (2019-2020) de la commission des Lois sur le projet de loi de finances 2020 pour la fonction publique mettait déjà en évidence une perte d'attractivité des concours de recrutement dans la fonction publique. Il révélait que nombre de candidats présents aux concours organisés par les CDG avait chuté de près de 33 % entre 2014 et 2017, passant de 124 276 à 83 529 personnes.

Fonction publique hospitalière : le concours d'attaché d'administration hospitalière illustre les difficultés rencontrées par les hôpitaux : le nombre de candidats présents a chuté de 18 % entre 2014 et 2017, alors que le nombre de postes à pourvoir augmentait.

Une étude consacrée aux recrutements externes de la fonction publique d'État relève que sur 39 900 postes proposés ouverts au recrutement, un peu plus de 3 100 postes de la fonction publique d'État n'ont pas été pourvus en 2021, soit 8 % des postes. Menée par la DGAFP, cette étude13(*) détaille que l'écart observé entre le nombre de postes offerts et le nombre de candidats recrutés s'explique par trois raisons notables :

- « une partie des admis se désiste à l'issue du concours » ;

- « le niveau des candidats présents est parfois insuffisant par rapport aux exigences du concours » ;

- « certains postes n'attirent pas suffisamment de candidats ».

Un autre volet de cette étude de la DGAFP montre le désamour croissant pour le format contraignant du concours. Il s'appuie dans son analyse sur la sélectivité du concours (nombre de lauréats sur nombre de candidats présents à la première épreuve), indicateur traditionnel quoiqu'indirect, de la perte d'attractivité du secteur public. La sélectivité aux concours s'établit à six candidats présents pour un admis au sein de la fonction publique d'État en 2021. Si la sélectivité « augmente très légèrement » après plusieurs années de baisse, elle reste malgré tout à « un niveau historiquement faible », observe la DGAFP. Cette sélectivité au sein de la fonction publique d'État a en effet été divisée « par plus de deux » pour les concours externes, passant de 12 en 2007 à 5,6 en 2021. La DGAFP précise que cette sélectivité « n'a jamais été aussi faible » pour les concours des catégories A et B. Elle s'élève respectivement à 5,1 (contre 9,2 en 2007) et 5,8 (contre 14,4 en 2007). La sélectivité pour les concours de catégorie C de la fonction publique d'État est, quant à elle, de 9,2.

Si le concours n'entre plus en résonnance avec les attentes de nombre de candidats potentiels, il présente aussi des limites apparaissant de plus en plus nettement du côté des administrations publiques. Les modalités du concours ne sont en effet parfois pas en adéquation avec les besoins des structures publiques. La nature des épreuves ne permet pas toujours de savoir avec exactitude si les compétences du candidat seront suffisantes pour occuper la fonction à laquelle il postule. En fonction des concours, les épreuves n'intègrent pas toujours l'intégralité des enjeux du métier. Dans pareille situation, un décalage entre le concours et le métier peut se faire jour. Tel est le cas au sein de plusieurs concours qui débouchent sur des métiers incorporant du management hiérarchique ou de projet. Au sein de ceux-ci, la « dimension managériale n'est [malheureusement] pas toujours intégrée [au sein même] des épreuves »14(*).

La question du calendrier des concours constitue également un facteur susceptible de nuire à l'envie de rejoindre les rangs de la fonction publique. En effet, il s'agit d'un élément dissuasif pour nombre de candidats, ceux-ci ne pouvant pas toujours se permettre d'attendre l'ouverture de la prochaine session d'examen. Tel est, par exemple, le cas du concours d'attaché territorial qui n'a lieu que tous les deux ans, ou encore de filières spécifiques pour lesquelles les épreuves ne sont parfois organisées que tous les trois ou quatre ans. Faute d'examen annuel ou d'une récurrence plus courte, une partie des candidats se détournent alors, bien malgré eux, de la sphère publique en faveur du secteur privé. Cette mauvaise adéquation porte préjudice aux structures publiques elles-mêmes, puisque les calendriers de certains concours ne sont que très imparfaitement corrélées aux besoins de recrutement. En conséquence, le vivier de candidats lauréats disponibles se restreint artificiellement et les administrations publiques se trouvent, au final, contraintes de se tourner vers le recrutement de non-titulaires, soient des contractuels, pour combler les postes vacants. On peut en outre voir dans cette situation l'indice d'une programmation et d'une anticipation défaillante en matière de recrutement.

Enfin, le mode de recrutement par concours, puis liste d'aptitude, peut recéler un double frein à l'attractivité. D'une part, en raison de l'incertitude d'être titularisé dans un poste après la réussite au concours (notamment au sein de la fonction publique territoriale où la réussite d'un concours ne garantit en rien d'avoir un poste à la clef15(*)) et, d'autre part, en raison du critère de l'affectation géographique. Ce second point est perçu par les nouvelles générations, désireuses de plus de liberté, comme une contrainte supplémentaire. Se voir imposer une localisation en primo-affectation est ainsi ressenti comme une obligation et non un choix délibéré de leur part.

4. Le niveau des rémunérations

La rémunération constitue également une cause explicative de la perte d'attractivité de la fonction publique. De loin le plus cité par les différents acteurs du secteur interrogés par vos rapporteurs, ce facteur pesant négativement sur l'emploi public représente la pierre angulaire, ou le point de bascule, conduisant de potentiels candidats à l'entrée dans la fonction publique, ou des agents déjà en poste, à se désintéresser de celle-ci au profit des métiers du secteur privé16(*). La raison de ce constat est simple : pour des postes similaires, les filières de la fonction publique sont très souvent moins rémunératrices que les filières du secteur privé. Ainsi, Marie-Laure Blot constate que la balance salariale n'est pas à l'avantage du secteur public : « entre 2013 et 2020, le salaire net moyen du secteur public [a] augmenté de 8,83 %, alors qu'il [a] progressé de 14,35 % dans le secteur privé ».

Dans la pratique, l'écart salarial impacte le choix décisif et engendre, dans une majorité des cas, une « fuite des talents » vers la sphère privée, particulièrement dans les territoires urbains où les candidats et les agents ont le choix de l'employeur, et ce sans avoir de contraintes extérieures fortes (déménagement...). Lors de la réunion plénière de votre délégation, organisée 6 avril 2023, portant sur la « Marque employeur : quelle stratégie territoriale pour les collectivités territoriales ? », votre rapporteur Jérôme Durain considérait ainsi que l'enjeu de l'attrait pour la fonction publique peut se résumer en deux mots clés : « du sens et des sous ». Si l'un d'eux vient à manquer, la balance entre le secteur public et privé vire au profit du second. Dans le prolongement de cette réflexion, M. Yves Charmont, délégué général de Cap'Com, témoigne que l'écart enregistré au niveau des rétributions s'est accentué. Il constate en outre que celui-ci « prend encore plus d'importance dans un contexte inflationniste ». Les revalorisations du point d'indice opéré en juillet 2022 (+3,5 %) et en juillet 2023 (+1,5 %), parallèlement à la revalorisation du SMIC, ne permettent pas encore de combler le retard accumulé.

Parmi les trois versants de la fonction publique, le secteur le plus touché par le volet des rémunérations est la territoriale. La raison tient en la structuration catégorielle de cette fonction publique : les effectifs des collectivités territoriales et leurs satellites comportent une part relativement élevée de fonctionnaires relevant de la catégorie C (environ 75 %), soit la catégorie la moins rémunérée. En outre, au sein même de cette catégorie d'agents, comme l'observe votre présidente de délégation, Françoise Gatel, « un nombre important d'agents communaux [est notamment] au SMIC »17(*). Par conséquent, cet état de fait tire vers le bas les niveaux moyens de rémunération au sein les collectivités territoriales.

En 2021, un agent de la fonction publique territoriale gagnait en moyenne 2 039 euros nets par mois, a contrario d'un agent de la fonction publique d'État touchant 2 688 euros. Cette concurrence salariale n'est pas sans effet pour les acteurs de la territoriale. En effet, la rémunération constitue légitimement un critère essentiel pour les agents publics. Si ce dernier n'est pas à un niveau adapté, les collectivités territoriales ne peuvent pas être attractives et capter le vivier de candidats, qui s'orientent plus massivement vers le secteur privé ou les deux autres versants de la fonction publique, davantage rémunérateurs à poste équivalent18(*).

En pratique, cette rémunération moins attractive et son corolaire (perte de pouvoir d'achat des agents, détérioration du niveau de vie...) impacte négativement un nombre croissant de métiers de la fonction publique territoriale. Parmi les métiers en tension, on peut citer ceux d'« assistant de gestion des ressources humaines ou administrative », de « chargé de propreté des locaux », de « travailleur social », de « policier municipal », d'« ouvrier de maintenance des bâtiments », d'« agent de service polyvalent en milieu rural », d'« assistant de gestion financière », d'« assistant éducatif », d'« auxiliaire de puériculture » ou encore d'« animateur-éducateur sportif ». La concurrence toujours plus vive avec le secteur privé, les autres versants de la fonction publique, mais aussi entre collectivités territoriales19(*) fait aussi sentir ses effets délétères lorsqu'il s'agit de procéder à des recrutements sur des postes d'« informaticiens », d'« ingénieurs », et plus généralement de « techniciens ».

Responsable de la sécurité des systèmes d'information (RSSI) : un des métiers en tension de la fonction publique territoriale

Parmi les métiers en tension de la fonction publique territoriale figure celui de responsable de la sécurité des systèmes d'information (RSSI). À l'instar du délégué à la protection des données (DPO), le RSSI est aujourd'hui une fonction pivot au sein des collectivités territoriales. Toutefois, un manque de personnel qualifié se fait jour depuis plusieurs années, notamment au sein des collectivités de petite envergure, peu attractives sur ce secteur. L'explication tient à plusieurs facteurs, notamment celui d'une faible rémunération des agents ainsi qu'à des missions considérées comme peu attrayantes comparées à celles du secteur privé.

Pour pallier ce constat, une revalorisation, à l'instar de celle impulsée par vos rapporteurs à l'échelle des secrétaires de mairie, représente un enjeu important pour capter davantage les jeunes talents une fois diplômés. Selon les acteurs du secteur, afin d'avoir un personnel compétent, il convient de revaloriser les fonctions du RSSI dans les collectivités1. Il s'agit d'en faire un véritable « directeur de la sécurité numérique », dont les fonctions ne doivent pas être perçues comme uniquement techniques. La sécurité informatique d'une ville peut constituer une expérience beaucoup plus riche que de s'occuper de celle d'une entreprise du secteur privé, et ce au regard des compétences variées des communes. Il convient de montrer aux candidats, de plus en plus en quête de sens, que servir un territoire et contribuer à l'intérêt général sont des dimensions intéressantes.

Le secteur public pratique une grille indiciaire éloignée des salaires du marché du secteur. Dans le privé, les experts de la sécurité informatique peuvent aspirer à des montants de salaire aux alentours de 60 000 à 80 000 euros bruts par an. Dans les collectivités, la rémunération dédiée à ces spécialistes est deux fois moindre. Une solution pour que les collectivités territoriales puissent s'aligner sur les acteurs du privé réside dans la mutualisation des moyens.

En outre, en complément de cette politique d'attractivité à mener, et à défaut de recruter en externe les profils pointus recherchés, il revient aux collectivités d'utiliser aussi la promotion en interne comme un véritable vivier de candidats potentiels aux postes à pourvoir. Cette pratique commence à se répandre avec l'instauration d'un plan de formation, de coaching ou encore d'assistance, notamment pour la spécialisation d'un agent de la direction des services informatiques.

1 Cf. rapport d'information n° 283 (2021-2022) de Serge Babary et Françoise Gatel, fait au nom de la délégation aux entreprises et de votre délégation, portant sur « Les collectivités territoriales face au défi de la cybersécurité »

5. Le management perçu comme trop hiérarchique

Le style de management dans la fonction publique se trouve parfois en décalage avec les attentes du moment. Les services des ressources humaines, et plus largement l'ensemble des acteurs des institutions publiques, observent ainsi une évolution des mentalités sur le moyen / long terme. Notable, ce changement impulsé par les nouvelles générations, mais pas uniquement, amène les agents publics à vouloir travailler dans un environnement plus moderne, moins bureaucratique et plus agile. Marie-Laure Blot insiste sur ce bouleversement des pratiques et remarque que « si les agents sont [toujours] fiers de porter des projets tournés vers l'avenir et d'exercer un métier qui fait sens, ils ont parfois du mal à trouver leur place dans une grande organisation ».

La difficulté à trouver sa place s'accentue avec le caractère pyramidal de l'organisation de la fonction publique, au moment où sont plébiscités dans le management moderne des systèmes de prise de décision plus collectifs et horizontaux. Malgré son ouverture à des pratiques innovantes de management, la sphère publique continue de se voir accoler une image quelque peu vieillotte et trop hiérarchique (nécessité de solliciter l'aval de la hiérarchie avant de pouvoir prendre la moindre initiative, par exemple), dont elle peine à se défaire.

Globalement, ce « manque de souplesse interne » restreint l'« émergence d'initiatives »20(*) et conduit à une « déresponsabilisation » de l'agent au sein de ses tâches quotidiennes, et ce quelle que soit la branche de la fonction publique. Au bout du processus, l'agent en fonction développe un sentiment de robotisation, dans un environnement qui ne lui laisse aucune marge de manoeuvre. Pour tenter de remédier à cette déshumanisation des fonctions, plusieurs institutions, notamment locales, tentent de casser les codes en vigueur et d'améliorer le regard porté sur la qualité de vie au travail. Parmi les procédés visant à redorer cette réputation, nombre de collectivités territoriales tentent, par exemple, de faire évoluer les conditions de travail et d'initier des pratiques innovantes sur le plan managérial, de l'organisation interne ou encore de l'utilisation des nouvelles technologies.

Lorsqu'elles sont mises en place, cette souplesse et cette autonomie accordées aux agents constituent une manière pour les institutions publiques d'être plus attractives sur le marché de l'emploi. À cet égard, Marie-Laure Blot souligne que « l'équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle est très important. 70 % des candidats [citent celui-ci] comme faisant partie de leurs critères de choix. Ce phénomène s'est [même] accentué depuis la crise sanitaire [et le recours croissant au télétravail]. 58 % attachent [depuis] de l'importance à l'ambiance de travail ». Depuis la crise sanitaire, les exigences des candidats se sont accrues quant à l'équilibre vie privée / vie professionnelle, le salaire, la flexibilité (télétravail, horaires...) et le sens trouvé dans le travail, notamment chez les jeunes diplômés particulièrement attentifs à leur bien-être au sein du milieu professionnel.

Le management se situe donc au coeur des réflexions des organisations publiques confrontées à un problème d'attractivité. Il n'est ainsi pas anodin d'observer qu'un nombre croissant d'administrations publiques forment désormais leurs managers pour qu'ils assouplissent leurs méthodes. Ces administrations ont pris conscience de ce que Marie-Laure Blot relève dans les nouveaux comportements au travail : « une bonne entente avec le management est citée par 44 % des candidats comme critère de motivation pour rejoindre ou quitter une entreprise ».


* 5 Sénat, rapport d'information n° 676 (2022-2023), déposé le 1er juin 2023.

* 6 Étude sur l'« Évolution des effectifs des trois fonctions publiques en 2021 » publiée le 16 juin 2023 par la direction générale de l'administration de la fonction publique (DGAFP).

* 7 Audition par la délégation aux collectivités territoriales le 6 avril 2023, lors de la réunion plénière portant sur la « Marque employeur : quelle stratégie territoriale pour les collectivités territoriales ? ».

* 8 Étude sur l'« Évolution des effectifs des trois fonctions publiques en 2021 » mentionnée supra.

* 9 Étude sur l'« Attractivité de la fonction publique » publiée le 3 décembre 2020 par la direction générale de l'administration de la fonction publique (DGAFP).

* 10 Cf. par exemple l'étude « Future of work : quelles attentes de la Gen Z pour l'entreprise de demain ? » (Cabinet Mazars, 2019).

* 11 Par la retraite, par exemple.

* 12 Rapport sur l'« État de la fonction publique - édition 2022 » par la DGAFP.

* 13 Étude sur « Moins de recrutés que de postes offerts dans la fonction publique de l'État en 2021 » (mars 2023) menée par la DGAFP.

* 14 Rapport sur « L'attractivité de la fonction publique territoriale », publiée en janvier 2022 par le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT) et l'Inspection générale de l'administration (IGA).

* 15 Le mode de recrutement au sein de la fonction publique territoriale, fondé sur une double sélection par le concours puis par le processus de recrutement, est un facteur repoussoir. Cette absence de garantie d'emploi suite à la réussite au concours limite l'intérêt de l'investissement dans la préparation d'un concours, en particulier pour les personnes dont le niveau de ressources est faible. Faute de trouver un poste dans le délai statutaire, les candidats lauréats perdent le bénéfice du concours. Il s'agit là d'une véritable double peine, les personnes de milieu modeste hésitant déjà à préparer un concours en raison du risque inhérent de ne pas l'obtenir et, par ricochet, de perdre une année pour rien.

* 16 Parmi les collaborateurs des entreprises et des collectivités territoriales, 71 % placent le salaire comme critère numéro un pour faire la différence entre deux offres d'emploi. Ce chiffre est issu d'une enquête menée par le cabinet Robert Half en novembre 2022. L'attachement à l'environnement de travail, aux valeurs, à la responsabilité sociale environnementale (RSE) est certes réel, mais le salaire demeure essentiel pour une grande majorité de candidats.

* 17 Le 6 avril 2023, lors de la réunion plénière portant sur la « Marque employeur : quelle stratégie territoriale pour les collectivités territoriales ? ».

* 18 Les comparaisons au niveau des rémunérations restent toutefois peu aisées. En effet, les structures d'emploi sont différentes entre les collectivités elles-mêmes, mais aussi entre les versants de la fonction publique et entre le secteur public et le secteur privé.

* 19 La fonction publique territoriale se caractérise par une forte concurrence pour le recrutement sur les métiers en tension (police municipale, travailleurs sociaux, cadres...) entre les collectivités du même bassin de vie qui peuvent adopter des régimes indemnitaires très différents.

* 20 Cf. rapport précité sur « L'attractivité de la fonction publique territoriale ».

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