II. EXAMEN DU RAPPORT (27 MARS 2024)
Au cours d'une réunion tenue le mercredi 27 mars 2024, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de M. Jean-François Husson, rapporteur général, sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales.
M. Claude Raynal, président. - Nous entendons maintenant une communication de Jean-François Husson, en sa qualité de rapporteur de la mission d'information sur les problèmes assurantiels des collectivités territoriales.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Le 7 février dernier, la commission des finances entendait l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), Intercommunalités de France et Régions de France sur le sujet des difficultés assurantielles des collectivités. Cette audition, en formation plénière de la commission, attestait de l'importance du sujet et marquait le début des travaux de la mission d'information, constituée le 30 janvier.
En moins de deux mois, la mission a mené 26 auditions et rencontré plus de 40 interlocuteurs : associations d'élus, assureurs, réassureurs, administrations centrales, courtiers, autorités administratives et indépendantes, etc.
Nous avons par ailleurs procédé à deux déplacements : l'un en Île-de-France, dans le Val-de-Marne et les Hauts-de-Seine ; l'autre en Meurthe-et-Moselle. Ces déplacements nous ont permis d'avoir des échanges nourris avec des élus de terrain, concernés au premier chef par ces problèmes.
Ces auditions et ces rencontres ont très utilement nourri les travaux de la mission. Elles ont permis, d'une part, de largement confirmer le constat de difficultés assurantielles accrues pour les collectivités et, d'autre part, de le préciser en identifiant plus clairement le type de problèmes, mais également les catégories de collectivités les plus concernées.
À cet égard, la consultation que le Sénat a menée au cours du mois de février nous a apporté des exemples précis et des éléments chiffrés - avec les réserves que nous devons toutefois avoir en raison du caractère non statistiquement représentatif des réponses reçues. La consultation a recueilli 713 contributions, qui permettent de confirmer solidement et de compléter les éléments et les témoignages récoltés lors des auditions.
On note tout d'abord que 48 % des répondants indiquent avoir constaté une dégradation de leur relation avec leur assureur depuis le 1er janvier 2023. Les collectivités de plus grande taille sont davantage touchées par la forte dégradation : 40 % pour les collectivités de plus de 5 000 habitants, contre 18 % pour les autres.
La consultation confirme également l'ampleur des remontées que nous avions eues des territoires : près de 30 % des répondants indiquent ainsi que leur contrat d'assurance a fait l'objet d'un avenant depuis le 1er janvier 2023, et même 45 % pour les collectivités de plus de 10 000 habitants. En outre, 94 % des avenants se sont traduits par une hausse du coût du contrat.
De manière générale, 60 % des collectivités répondantes déclarent faire face à au moins un problème important avec leur assureur, et c'est le cas de près de 90 % des collectivités de plus de 10 000 habitants.
Ces problèmes sont de natures diverses. Outre la mauvaise qualité de la relation avec l'assureur, notons que 20 % des collectivités répondantes ont vu leur contrat résilié depuis le 1er janvier 2023, parfois avec des préavis très courts - inférieurs à deux mois -, ce qui a induit des difficultés pour retrouver un nouvel assureur. Ainsi, 24 % des répondants indiquent avoir lancé des appels d'offres infructueux et 16 % affirment s'être retrouvés dans l'impossibilité de s'assurer depuis le 1er janvier 2023.
Au-delà de ces constats, permettant de mieux cerner la nature des problèmes rencontrés, la consultation nous éclaire également sur les actions qui pourraient être mises en oeuvre par les collectivités, au besoin avec l'accompagnement des assureurs, afin d'améliorer les relations contractuelles et de faciliter la passation et l'exécution des marchés d'assurance.
Tout d'abord, près de la moitié des collectivités estime ne pas avoir une connaissance suffisante du fonctionnement de ses contrats d'assurance et 62 % d'entre elles souhaiteraient pouvoir bénéficier d'une formation sur ce sujet. À cet égard, 61 % des collectivités qui évoquent une dégradation de leur relation avec leur assureur estiment, dans le même temps, ne pas connaître suffisamment le fonctionnement de leur contrat d'assurance. Inversement, celles qui évoquent une amélioration de leurs relations ne sont que 14 % à ne pas avoir une connaissance suffisante de leurs contrats. Preuve en est qu'une meilleure maîtrise par les collectivités des contrats d'assurance va de pair avec une meilleure relation entre assureur et assuré.
Par ailleurs, les collectivités considèrent rarement disposer de suffisamment d'informations sur les risques auxquels elles font face.
Enfin, la consultation montre que les actions de prévention des risques, pourtant de nature à permettre la conclusion de contrats dans les meilleures conditions tarifaires possible, ne sont pas suffisamment développées, comme en atteste le fait que 42 % des collectivités déclarent ne mener aucune action de prévention ou que 30 % déclarent ne pas connaître leur patrimoine, faute d'inventaire, alors même qu'une connaissance précise de ce patrimoine mobilier et immobilier est un préalable nécessaire à la définition du besoin d'assurance.
Nos travaux, qui se sont appuyés sur les résultats de cette consultation, et le rapport qui en découle mettent en exergue que les difficultés rencontrées par les collectivités sont protéiformes et concernent tant la passation des marchés que leur exécution. Par ailleurs, ces difficultés affectent l'ensemble des communes, qu'elles soient urbaines ou rurales, qu'elles aient été touchées ou non par des émeutes ou des phénomènes climatiques violents.
Cette généralisation pointe le fait que les tensions du marché de l'assurance des collectivités territoriales sont le fruit de dysfonctionnements structurels, bien plus qu'elles ne découlent du niveau de sinistralité des collectivités ou de leur exposition aux risques.
C'est pour moi l'une des principales découvertes issues directement de nos travaux. J'avoue avoir imaginé, en lançant cette mission, que les difficultés du secteur étaient essentiellement dues à une absence de corrélation entre l'évolution des risques, d'une part, et les pratiques des assureurs et des collectivités, d'autre part. Mais en réalité, les émeutes et la hausse de la sinistralité en 2023 n'ont été que le révélateur du véritable fait préjudiciable aux collectivités territoriales : l'atrophie du marché de l'assurance des collectivités, avec une absence quasi totale de concurrence.
Sur ce point, nous avons constaté que, dans la seconde moitié des années 2010, les tarifs des contrats d'assurance des collectivités ont fortement baissé, sous l'effet conjugué de la politique tarifaire très mordante de la Smacl et d'une guerre des prix sous l'influence d'assureurs européens ayant pénétré le marché, pour s'en désengager peu de temps après.
Le marché s'en retrouve aujourd'hui divisé en deux segments, dont chacun est dominé par un assureur : Groupama pour les collectivités de moins de 10 000 habitants et, pour les autres, Smacl Assurances SA, une société pénalisée par une gestion hasardeuse, matérialisée notamment par une inadéquation entre les risques souscrits et ses capacités d'y faire face. Son rétablissement, qui passe par des hausses de tarifs, pèse aujourd'hui d'autant plus sur les collectivités et celles-ci ne peuvent se tourner vers d'autres assureurs puisque, comme je l'ai expliqué, la concurrence n'existe plus sur ce marché.
Face à cette situation, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), dont l'une des missions est de superviser le secteur des assurances, a averti plusieurs fois la Smacl des difficultés vers lesquelles elle s'orientait et a fini par lui demander en septembre 2020 la mise en oeuvre d'un programme de rétablissement, aboutissant à l'adossement à la MAIF de la structure, devenue de ce fait Smacl Assurances SA.
L'action résolue de l'ACPR a très probablement évité la défaillance d'un acteur incontournable de l'assurance des collectivités. Toutefois, force est de constater qu'elle n'a pas permis de remédier structurellement aux dysfonctionnements du marché.
Or, en l'absence d'évolution du fonctionnement de ce marché, la situation ne pourra qu'empirer dans les années à venir, en raison de risques climatiques et de risques d'émeutes qui causent des dommages de plus en plus nombreux et coûteux. C'est ce qu'indique notamment une très récente communication de France Assureurs, selon laquelle l'année 2023 est la troisième plus chargée en sinistres climatiques, juste après 2022.
Dans ce contexte, les collectivités territoriales, si elles ne sont pas responsables des difficultés qu'elles subissent, peuvent toutefois prendre diverses mesures pour améliorer leur situation assurantielle, de même que les assureurs et l'État doivent renforcer leur accompagnement.
Au terme de ce travail approfondi, le rapport formule quinze recommandations qui s'articulent autour de quatre axes.
Premier axe : il est nécessaire de garantir la concurrence sur le marché de l'assurance.
C'est pourquoi je propose, d'une part, que la commission des finances saisisse l'Autorité de la concurrence, comme elle a le pouvoir de le faire, afin de disposer d'une analyse précise de la situation du marché de l'assurance des collectivités et des modalités à même de garantir son bon fonctionnement. Ce point me semble particulièrement important parce qu'il était dans l'angle mort du sujet ; il me semble notamment ne pas avoir été identifié par la mission diligentée par le Gouvernement, alors même qu'il apparaît comme un prérequis pour régler les problèmes rencontrés.
Je propose, d'autre part, que l'ACPR mette en place un suivi spécifique de l'assurance des collectivités, ce qui n'est pas le cas actuellement. Ses représentants nous ont même indiqué en réunion qu'ils disposaient de peu d'informations sur ce sujet, car ils traitent les collectivités au sein du secteur des entreprises, alors que ce marché, on le voit bien, est spécifique et nécessite un suivi particulier.
Deuxième axe : les collectivités doivent mettre en place des actions visant à mieux connaître leur patrimoine à assurer, à mieux identifier leurs risques et à les prévenir le mieux possible, ce qui doit permettre de négocier des marchés au plus près des besoins réels et au meilleur coût.
Cela passe par une amélioration de la tenue des inventaires, par le développement d'une culture de gestion des risques, mais également par le déploiement d'actions de prévention. Pour ce faire, les collectivités peuvent - doivent, me semble-t-il - se faire accompagner par les assureurs, dont c'est le métier et la responsabilité.
Il est évident que lorsque ni la collectivité ni, a fortiori, son assureur ne savent exactement quel est l'objet du contrat, c'est-à-dire les biens et les risques associés à assurer, tout le monde y perd : le contrat est plus cher, car l'assureur n'a pas de vision claire, et les risques sont moins bien couverts. Comme toujours lorsqu'on évoque la diversité des collectivités territoriales, certaines sont exemplaires, mais d'autres ont des progrès à faire en cette matière - les résultats de la consultation sur la plateforme du Sénat en attestent.
Troisième axe : les conditions de passation des marchés publics d'assurance doivent être facilitées et sécurisées, de même qu'une relation contractuelle équilibrée doit être favorisée.
Ainsi, il convient de déterminer dans quelles conditions les collectivités peuvent avoir recours à l'ensemble des procédures du code de la commande publique sans courir de risques de contentieux. Cette responsabilité incombe au premier chef à l'État, en particulier à la direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy, qui, me semble-t-il, peut progresser pour sécuriser l'utilisation de ce code et diffuser les bonnes pratiques auprès des collectivités. Un grand nombre de celles que nous avons rencontrées ne se sentent pas suffisamment « assurées » - c'est le cas de le dire - dans l'utilisation des procédures de marchés publics, et ce sans compter que le guide pratique de la DAJ remonte à 2008...
Il est également nécessaire de former les élus et les agents aux particularités du marché des assurances en favorisant, autant que possible, le recours à des intermédiaires qui peuvent, si besoin, accompagner les collectivités et les aider à développer des relations contractuelles plus équilibrées avec leur assureur.
Enfin, il me semble qu'il faut avancer vers une généralisation des franchises à des niveaux limités, en évitant les franchises nulles. En effet, les franchises présentent plusieurs avantages : elles permettent de recentrer le contrat sur son coeur - les risques principaux -, en réduisant son coût et en améliorant son efficacité ; elles incitent par ailleurs les collectivités à adopter des pratiques vertueuses en matière de prévention des risques, l'objectif prioritaire étant davantage de réduire les risques que de seulement tout faire pour les couvrir.
Quatrième, et dernier axe : pour apporter de la sécurité aux collectivités, l'État doit élargir son intervention dans les situations exceptionnelles.
Actuellement, les collectivités craignent de plus en plus de se retrouver sans assureur, ce qui n'est pas acceptable. Certaines sont déjà, bien malgré elles, dans cette situation, et de nombreuses risquent de s'y retrouver au 1er juillet prochain, si rien n'est fait.
Dans les cas extrêmes où une collectivité ne trouve plus d'assureurs, elle doit pouvoir bénéficier d'une solution. Je propose de confier cette mission au Médiateur de l'assurance, spécialiste du secteur, assortie d'une obligation de moyens. Celui-ci me semble effectivement être le bon interlocuteur pour aider les collectivités confrontées à cette difficulté : il connaît parfaitement le marché et peut rapidement, par décret, voir ses missions étendues par le Gouvernement.
Je propose également d'augmenter la durée du préavis en cas de résiliation de contrat par les assureurs, en le portant à six mois - la règle est de deux mois et la pratique plutôt de quatre -, afin que les élus aient le temps de passer un nouveau marché. Je souhaite aussi que les assureurs aient l'obligation de justifier la résiliation : nous avons rencontré trop d'élus locaux désemparés qui étaient pris d'un sentiment de culpabilité face à des résiliations sèches et non justifiées.
Enfin, je propose d'étendre les modalités d'intervention de l'État en cas d'émeutes majeures touchant un nombre important de collectivités territoriales, en pérennisant des solutions qui sont aujourd'hui adoptées en urgence. L'idée est d'éviter, comme en juillet 2023, de recourir à un projet de loi d'urgence et d'offrir de la visibilité tant aux assureurs qu'aux assurés.
Les dommages aux biens non assurables dans ces cas extrêmes d'émeutes généralisées seraient couverts in fine par une dotation semblable à la dotation de solidarité en faveur de l'équipement des collectivités territoriales et de leurs groupements touchés par des événements climatiques ou géologiques (DSEC).
Les dommages assurables pourraient, quant à eux, être couverts par un régime spécifique, qui s'inspirerait du régime des catastrophes naturelles (CatNat), avec intervention de la Caisse centrale de réassurance (CCR). En cas d'impossibilité de celle-ci de faire face à la sinistralité, l'État interviendrait avec sa garantie illimitée.
Ces recommandations tiennent compte du fait que les collectivités territoriales sont les victimes de l'atrophie du marché de l'assurance et qu'elles ne peuvent pas être considérées comme des entreprises : la nécessité d'assurer des services publics de proximité exige de traiter leurs difficultés assurantielles de manière différenciée par rapport au secteur privé. Il me semble d'ailleurs que la faculté de s'assurer doit être considérée comme contribuant à leur libre administration.
J'ajoute enfin qu'un guide pratique à destination des collectivités territoriales pour la passation de leurs marchés publics d'assurance a été réalisé dans le cadre des travaux de la mission. Il ne se substituera pas au dialogue renoué que j'appelle de mes voeux entre les collectivités territoriales et leurs assureurs, mais pourra fournir une aide utile aux collectivités, en attendant que l'État se saisisse du problème.
Je rappelle d'ailleurs que ce travail a été réalisé en parallèle des autres travaux de notre commission sur cette thématique, à savoir, d'une part, le contrôle budgétaire mené par Christine Lavarde sur le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles, et, d'autre part, la mission conjointe de contrôle relative aux inondations survenues en 2023 et au début de l'année 2024, en particulier dans le nord de la France.
Mme Vanina Paoli-Gagin. - Je salue la qualité des travaux de la mission d'information, qui répondent à des préoccupations concrètes des collectivités territoriales. Vous parliez d'angle mort. Le risque cyber n'en est-il pas un ? Plusieurs maires m'ont fait part de leurs inquiétudes à ce sujet. Quand les systèmes informatiques sont hors service ou que les communes sont victimes de ransomware, il est très difficile d'assurer la continuité du service public.
Par ailleurs, plusieurs maires s'interrogent sur la possibilité d'assurer certains domaines de voirie - aires de retournement, ronds-points -, comme si nous étions dans l'incertitude. Qu'en est-il ? Qui les assure ?
M. Marc Laménie. - Je remercie le rapporteur et les collègues qui se sont investis sur ce sujet. Je m'étonne que les collectivités du Pas-de-Calais aient été si peu nombreuses à répondre à la consultation. Ce département a pourtant été particulièrement touché par les inondations récentes. Par ailleurs, les nombreuses recommandations témoignent de l'ampleur de la tâche. Les banques en particulier se font de plus en plus souvent assureurs. Prennent-elles des dispositions en direction des collectivités locales ? Enfin, il est vrai que tout ce qui relève de la voirie n'est pas assuré. Comment peut-on mieux connaître le patrimoine immobilier des collectivités ?
M. Albéric de Montgolfier. - Je remercie Jean-François Husson de ce rapport et en particulier d'avoir proposé le recours au Médiateur de l'assurance pour les collectivités qui ne trouvent pas d'assureur. Pourquoi ne pas avoir proposé de recourir au Bureau central de tarification (BCT) ? Cette autorité administrative indépendante est chargée de désigner un assureur et, au besoin, d'établir la tarification pour ce qui concerne les assurances obligatoires. Son champ d'action, initialement limité à l'assurance automobile, a notamment été étendu à l'assurance responsabilité locative. Je pose donc la question de la compétence du BCT en cas de refus d'assurance.
Mme Isabelle Briquet. - Je salue le travail collectif qui a été réalisé sous la houlette du rapporteur. Les positions des membres de la mission ont été prises en compte dans toute leur diversité.
Compte tenu de la forte attente de nos collectivités, cette mission d'information était importante. Je comprends que mes collègues éprouvent une certaine frustration à la lecture des résultats de la consultation des élus. Personnellement, je m'explique mal le delta, dans mon département par exemple, entre les remontées de terrain et les retours qui ont été transmis à la mission au travers de cette consultation.
Albéric de Montgolfier a souligné l'importance des recommandations qui ont été formulées, dont celle du recours au Médiateur. J'espère qu'elle sera rapidement mise en place, car aucune collectivité ne peut être ainsi privée d'assureur.
M. Grégory Blanc. - Je remercie le rapporteur de la qualité du travail présenté. Je goûte avec délectation les propos du rapporteur, qui fait le constat qu'en l'absence de régulation le marché seul ne peut fonctionner et que la puissance publique doit intervenir pour remettre de l'ordre dans tout cela.
Face au risque, les collectivités ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Je pense à celles qui sont sujettes à l'effacement du trait de côte ou aux inondations, ou encore à celles qui ont connu des émeutes urbaines. Le déclenchement d'un mécanisme de solidarité supplémentaire de la part de l'État a-t-il été envisagé pour aider ces collectivités à prendre en charge ce surcoût ?
Ma deuxième question porte plus directement sur la recommandation n° 14. Préconisez-vous de maintenir le seuil pour être indemnisé à 150 000 euros de dommages ? Les émeutes urbaines, notamment, dépassent parfois les frontières de la commune et les coûts peuvent être importants pour de petits budgets.
Enfin, on sait que, entre le moment où survient le sinistre et le moment où la commune touche la dotation de solidarité pour les événements climatiques, de très longs mois s'écoulent. Comment faire en sorte que les équipements puissent être remis en service plus rapidement ?
M. Christian Bilhac. - Cette mission d'information nous aura permis d'approfondir le sujet et ses recommandations permettront de faire un grand pas en avant.
Une chose me surprend. Lorsque j'ai parlé de nos travaux à des maires et que je leur ai dit que les assureurs n'avaient pas connaissance de certains éléments - inventaire des biens, cartographie des risques, registres de sécurité, rapports des bureaux de contrôle sur la conformité des installations électriques -, ils m'ont répondu qu'ils les avaient et que jamais les assureurs ne les leur avaient demandés. Il y a donc un manque de communication flagrant entre assureurs et collectivités. Peut-être certaines collectivités n'effectuent-elles pas les contrôles électriques, mais celles qui le font tiennent à disposition des assureurs les documents qui en attestent.
Mme Sylvie Vermeillet. - Je vous remercie, monsieur le rapporteur, de ces travaux qui répondent à une attente très forte de la part de nos collectivités. Pouvez-vous nous apporter un éclairage sur la solidité financière de nos compagnies d'assurance ? Pendant les années covid, en 2020-2021, une sinistralité en baisse leur avait permis de réaliser des profits records - 2,2 milliards d'euros de mémoire - et un prélèvement exceptionnel de 1,5 milliard d'euros avait été décidé. À la faveur d'événements nouveaux, comme les émeutes, la sinistralité est certes aujourd'hui différente, mais les compagnies d'assurances ont-elles conservé cette solidité financière ?
M. Vincent Capo-Canellas. - Je remercie le rapporteur pour son écoute et pour la manière dont il a animé cette mission d'information. Les orientations présentées hier ont donné satisfaction à ses membres.
Je voudrais insister sur l'urgence de la situation. Trop de collectivités de taille moyenne sont encore confrontées à l'absence de réponse sur des lots significatifs. Les élus concernés sont plongés dans un abîme de perplexité.
La recommandation n° 13 - élargir les prérogatives du Médiateur de l'assurance - me paraît très pertinente. Je me demande toutefois si, compte tenu de l'urgence, il ne faudrait pas demander au Gouvernement de procéder à un recensement par les préfectures ou de mener une mission d'inspection afin de faire remonter les cas.
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Cela prendrait des mois !
M. Vincent Capo-Canellas. - Nous ne pouvons pas laisser les élus seuls face à la responsabilité de se dire que tel bâtiment peut partir en fumée sans être couvert par une assurance. En cas de sinistre, tout le monde pointerait leur responsabilité.
Mme Ghislaine Senée. - Je remercie le rapporteur de cette synthèse, réalisée en un temps record après des auditions très denses. Je salue l'équilibre des recommandations. Il en ressort la nécessité de mieux connaître le patrimoine des collectivités et de développer la culture du risque.
Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'une fois que le marché sera réactivé, nous ferons face à des enjeux cruciaux, notamment en matière d'aléas climatiques. Il y a donc urgence à ce que l'État fasse en sorte que les assureurs assument leurs responsabilités. La rupture du dialogue est en effet davantage du fait des assureurs que des collectivités, qui ne sont pas en faute. Les assureurs doivent prendre leur part pour améliorer la qualité de ce dialogue et la connaissance mutuelle des risques d'un côté, du patrimoine des collectivités de l'autre. Ils doivent s'interdire à l'avenir d'envoyer un courrier de résiliation sans aucune discussion préalable. On a bien vu pendant les auditions que ces pratiques avaient laissé chez les élus locaux une certaine amertume.
M. Michel Canévet. - Je remercie à mon tour le rapporteur et l'ensemble de la mission pour ce travail de synthèse. Je soutiens tout à fait les recommandations qui sont formulées.
Mon inquiétude porte surtout sur les risques liés aux événements climatiques, dont l'intensité pourrait doubler par rapport à ceux des trente dernières années. C'est dire si l'enjeu est important, et les sommes qui se jouent - 143 milliards d'euros - sont tout à fait significatives. Les collectivités doivent-elles s'attendre à ce que les cotisations d'assurance doublent elles aussi ? Peut-on trouver une autre forme de financement ? Imaginer un dispositif inspiré du régime CatNat, dont les réserves sont aujourd'hui épuisées ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. - Dans le cadre de cette mission, nous sommes passés du constat « collectivités recherchent assureur désespérément » à l'objectif de trouver la manière de garantir une solution d'assurance aux collectivités, quelle que soit la situation.
L'objectif de cette mission d'information était d'obtenir des garanties pour les collectivités. Nous l'avons menée dans un temps rapide. Le risque cyber a été évoqué, mais il n'est pas encore assez mature. Nous ne disposons pas de statistiques suffisantes, et l'aléa n'est pas évalué. Des débuts de solutions d'assurance existent et ce sujet montera en puissance.
Sur les risques climatiques, ayons bien en tête que le problème du défaut d'assurance des collectivités n'est pas lié à l'explosion des risques. Ce n'est pas seulement la sinistralité liée aux émeutes ou aux événements climatiques qui a provoqué la situation actuelle. Le problème vient en fait du marché, qui se partage désormais entre deux assureurs essentiellement. L'un d'eux a perdu 25 % d'encaissement de primes dans les années précédant l'année 2020 quand, dans la même période, les sinistres qu'il devait régler augmentaient de 25 % !
La pire des situations est celle des communes qui n'ont pas connu de sinistre et qui reçoivent une lettre sèche de résiliation, sans aucune autre explication. La mission avait d'abord pour objectif de résoudre cette difficulté. Chaque chose en son temps.
En ce qui concerne la voirie, ma réponse est simple : ces biens ne sont pas assurables. S'ils les assuraient, les assureurs seraient probablement vite appelés à indemniser beaucoup de sinistres. L'assurance est une activité privée, qui exige un équilibre technique, économique et financier. La Smacl, qui s'était lancée dans une vaine stratégie de conquête, a failli baisser le rideau avant de connaître un plan de redressement. Il est ici question d'assureurs mutualistes ; le sujet n'est donc pas, comme j'ai pu l'entendre, celui des dividendes ou des profits. Cette société a simplement commis des erreurs stratégiques.
Vous m'interrogez sur la solidité financière des compagnies. C'est assez simple : quand les prix sont trop bas, certains concurrents considèrent l'activité comme non rentable et se retirent du marché, ce qui conduit à sa désertification. Il faut donc retrouver un équilibre de prix de marché et faire en sorte que les assureurs retrouvent l'envie de garantir les collectivités.
Grégory Blanc a raison, je ne suis pas partisan d'un marché débridé. Dans tout marché, il y a un cadre d'exercice et des règles qui s'appliquent. À force de jouer avec le feu, dans un premier temps viennent l'évitement, les départs, l'évaporation, et, dans un second temps, ceux qui restent se retrouvent dans une forme d'impasse.
Concernant la question de la connaissance du patrimoine, des risques et des outils d'aide, le guide pratique visant à aider les collectivités dans leur approche du marché de l'assurance vous sera transmis par voie numérique très rapidement. Par ailleurs, l'Association pour le management des risques et des assurances de l'entreprise (Amrae) a établi un document permettant de réaliser une cartographie des risques. Elle a décliné cet outil pour les collectivités ce qui leur permettra de réaliser, de manière autonome, leur propre cartographie des risques
Au-delà de la connaissance des risques auxquelles elles sont exposées, je rappelle que 30 % des collectivités qui ont répondu à la consultation déclarent elles-mêmes ne pas connaître leur patrimoine avec précision. Dans les cas où elles le connaissent et qu'elles disposent de certificats de mise aux normes, comme le certificat de vérification des installations électriques, ces documents ne sont pas demandés par les assureurs. Or, mieux le risque est renseigné, mieux il est tarifé. Faute d'informations, l'assureur peut considérer que le défaut d'entretien, par exemple, aggrave le risque d'incendie et augmenter son tarif.
Monsieur de Montgolfier, nous avons reçu le BCT. Il n'est compétent que pour quelques risques, exclusivement dans le domaine des assurances obligatoires. Pour la plupart de leurs contrats, les collectivités ne sont donc pas concernées puisque les assurances dommages aux biens, qui posent les plus grandes difficultés, ne sont pas obligatoires. Pour être tout à fait honnête, nous n'avons, par ailleurs, pas senti une grande appétence du BCT pour garantir l'obtention d'une assurance pour les collectivités territoriales.
Nous avons également reçu le Médiateur de l'assurance. Ses compétences ont été élargies en octobre 2023 mais de manière assez limitée. En la matière, il faut faire vite. Le rapport d'information du Sénat s'adresse en premier lieu aux collectivités, mais nous proposerons au Gouvernement de se saisir de nos quinze recommandations. À lui d'en faire le meilleur usage possible.
C'est bien l'urgence qui nous a poussés à répondre au besoin de garantie des collectivités. Notre volonté affirmée de combler les trous pour ce qui concerne les garanties incitera les collectivités à trouver des solutions.
Madame Senée, j'ai moi-même évolué au fil des auditions dans ma position sur l'appréciation des risques. Afin de tenir compte des situations différentes, nous proposons des garanties pour que le reste à charge soit minimal.
Monsieur Blanc, l'application du seuil de 150 000 euros n'a pas été évoquée par la mission. En Meurthe-et-Moselle, nous avons visité une école qui avait été incendiée dans la nuit du 13 au 14 juillet dernier et qui a pu rouvrir pour la rentrée. En l'espèce, le fait de ne plus avoir à réaliser certaines consultations avant de procéder à des réparations d'urgence me semble intéressant. Nous avons dressé le même constat à Laxou, où les dégâts sur un bâtiment sont presque totalement effacés. Il en va autrement, en revanche, à Valenton : la mairie est toujours fermée, les dégâts sur un garage sont très importants et la collectivité est dans l'attente d'un règlement, dans un contexte de tension avec les assureurs.
Pour finir, je vous invite à communiquer sur les conclusions de notre rapport. Les dernières recommandations, les plus importantes, sont de nature à rassurer les élus. Notre travail devrait faire consensus. J'espère qu'il permettra au Gouvernement de prendre des décisions rapides au bénéfice des collectivités locales.
La commission a adopté les recommandations de la mission d'information et autorisé la publication de la communication du rapporteur de la mission sous la forme d'un rapport d'information.