CONCLUSION
Aux termes de ses travaux, la mission d'information du Sénat sur les difficultés assurantielles des collectivités territoriales fait le constat général d'une dégradation des relations entre les assureurs et les collectivités.
Au-delà des problèmes structurels évoqués dans le présent rapport et pour lesquels des recommandations sont formulées, les membres de la mission soulignent avec force la déshumanisation des rapports qu'ils entretiennent.
Dans un contexte où les relations contractuelles passent désormais essentiellement par des échanges informatiques, que des résiliations ont pu être envoyées sans discussion préalable et sans aucune justification, les élus ont un sentiment fautif mêlé de craintes, alors même qu'ils subissent les dysfonctionnements d'un marché dont ils ne sont pas responsables.
Si les préconisations de la mission seront de nature à fluidifier le marché des assurances, à rassurer les assurances tout en sécurisant les collectivités, il semble aussi et surtout nécessaire de réinstaurer un dialogue entre les acteurs du marché assurantiel et les élus, seul moyen de partager les problèmes et de restaurer une confiance mutuelle.
1. TRAVAUX DE LA COMMISSION
I. AUDITION DE MM. ALAIN CHRÉTIEN, MAIRE DE VESOUL, VICE-PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION DES MAIRES DE FRANCE ET DES PRÉSIDENTS D'INTERCOMMUNALITÉ (AMF), THOMAS FROMENTIN, PRÉSIDENT DE LA COMMUNAUTÉ D'AGGLOMÉRATION PAYS FOIX-VARILHES ET ADMINISTRATEUR D'INTERCOMMUNALITÉS DE FRANCE, ET ÉRIC SCHAHL, CONSEILLER RÉGIONAL D'ILE-DE-FRANCE, REPRÉSENTANT DE RÉGIONS DE FRANCE (7 FÉVRIER 2024)
M. Emmanuel Capus, président. - Je salue les membres du bureau de la délégation aux collectivités territoriales, notamment sa présidente, Françoise Gatel, que notre commission a souhaité associer à nos travaux de ce matin.
Nous nous retrouvons pour une table ronde sur le thème des difficultés assurantielles des collectivités territoriales. En effet, depuis quelques années, les collectivités doivent faire face à des risques accrus pesant sur les bâtiments publics et le mobilier urbain en raison de la multiplication des événements et aléas climatiques.
Plus récemment, ce constat a été renforcé par la survenance de mouvements comme celui des « gilets jaunes » puis les émeutes de l'été 2023, qui ont occasionné des dégâts importants sur les biens immobiliers des collectivités.
Face à ces épisodes, de nombreux élus dénoncent les difficultés grandissantes qu'ils rencontrent pour assurer leur collectivité, toutes les strates étant concernées.
Depuis les émeutes de l'été 2023, plus de 150 communes ont ainsi reçu un avenant et plus de 200 collectivités ont même vu leur contrat résilié par les deux principaux assureurs des collectivités.
De surcroît, les cotisations ont parfois pu être multipliées par trois ou quatre, et certaines communes ont vu leurs obligations d'assurance non respectées concernant la flotte automobile ou encore l'assurance fonctionnelle des élus.
Ces difficultés croissantes résultent de plusieurs facteurs.
D'un côté, le marché de l'assurance des collectivités présente des dysfonctionnements et se révèle peu attirant pour les assureurs. Les règles de la commande publique sont particulièrement contraignantes, ce qui conduit à ce que les assureurs ne répondent plus, ou répondent peu, aux appels d'offres.
De l'autre, la multiplication et l'intensité des aléas climatiques et des atteintes aux biens accroissent le coût des sinistres et fragilisent le modèle économique des contrats d'assurance « dommages aux biens ».
Les collectivités sont alors sûres de perdre face à la seule alternative qui s'offre aux assureurs : renoncer à candidater sur les marchés publics ou augmenter leurs tarifs.
Face à une telle situation, le Gouvernement a annoncé le lancement d'une mission sur l'assurabilité des collectivités territoriales conduite par Alain Chrétien, maire de Vesoul, qui nous fait le plaisir d'être là ce matin au nom de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), et Jean-Yves Dagès, ancien président de la fédération nationale Groupama.
Dans l'attente de leurs conclusions, le ministre de l'économie a étendu la compétence du Médiateur de l'assurance aux différends entre assureurs et collectivités, sans qu'il puisse toutefois négocier l'augmentation de cotisations ou aider à renouveler un contrat.
Dans ce contexte, la commission des finances du Sénat a, elle aussi, décidé de créer sa mission d'information sur les difficultés assurantielles des collectivités territoriales, dont le rapporteur est Jean-François Husson, rapporteur général de la commission. La mission s'est fixé comme objectif de dresser un état des lieux de ces difficultés et de proposer des solutions à même de garantir des conditions d'assurance acceptables pour toutes les collectivités et soutenables financièrement pour l'ensemble des acteurs concernés.
Pour étayer ses travaux, une consultation des élus locaux a été lancée sur le site internet du Sénat. Nous espérons que le plus grand nombre d'élus participeront, afin d'établir le constat le plus précis possible sur les difficultés rencontrées.
Pour lancer cette mission, nous avons décidé d'organiser, en réunion plénière de la commission, cette table ronde, dans laquelle sont représentées ce matin trois associations d'élus locaux. M. Alain Chrétien, maire de Vesoul, représente aujourd'hui l'AMF ; sa présence sera l'occasion de faire le lien entre nos travaux et ceux de la mission gouvernementale. M. Thomas Fromentin est président de l'agglomération de Foix-Varilhes et administrateur d'Intercommunalités de France. M. Éric Schahl, conseiller régional d'Île-de-France, représente quant à lui Régions de France.
Nous attendons de vous, messieurs, que vous puissiez nous présenter les difficultés concrètement rencontrées ces derniers mois : appels d'offres infructueux, résiliations ou avenants entraînant une hausse notable du coût des contrats. Vous pourrez aussi nous préciser les risques auxquels vous vous attendez à devoir faire face à l'avenir. N'hésitez pas enfin à esquisser les premières solutions qui pourraient être envisagées pour améliorer les relations assureurs-assurés et prévenir les risques auxquels les collectivités sont confrontées.
Je rappelle que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et qu'elle est retransmise en direct sur le site du Sénat.
M. Alain Chrétien, maire de Vesoul, vice-président de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité. -
Récemment, les collectivités ont fait face soit à des résiliations, soit à des augmentations brutales et importantes de leurs cotisations et de leur franchise. Toutefois, elles n'ont pas toutes fait remonter ces évolutions et difficultés. Aussi, les travaux du Sénat vont pouvoir nous éclairer un peu plus sur la situation. Il convient, cependant, de souligner qu'un grand nombre de collectivités, notamment les petites communes rurales, continuent d'être protégées, quasi exclusivement par Groupama, et ne sont pas touchées par ces résiliations. En effet, leurs risques, notamment de dommages aux biens, sont extrêmement limités en raison du faible nombre d'équipements publics en particulier. En effet, dans des communes de moins de 500 habitants, il n'y a pas forcément de piscine, de crèche, d'école, de théâtre, etc.
Nous assistons effectivement à un désengagement massif du monde de l'assurance sur certaines catégories de collectivités, qui sont extrêmement visibles ; c'est vers elles que nos concitoyens se tournent pour avoir accès aux services publics : chefs-lieux de canton, villes moyennes et même grandes métropoles. À notre grande surprise, la métropole de Lille a aussi été victime de telles résiliations. Compte tenu de la visibilité de ces collectivités, le problème a un retentissement large. Il concerne même des communes n'ayant été touchées ni par les émeutes ni par les catastrophes climatiques. C'est le cas de ma ville, Vesoul, où les contrats ont été purement et simplement résiliés au 31 décembre dernier.
Le phénomène est antérieur aux difficultés liées aux émeutes et aux catastrophes naturelles que nous avons connues à partir de 2021, même si celles-ci ont eu pour effet d'accélérer le mouvement.
Nous avons un problème structurel d'attractivité sur le marché de l'assurance des collectivités. Les assureurs trouvent trop compliqué d'assurer ces dernières, et cela risque de s'aggraver avec le réchauffement climatique. Les deux principaux assureurs, la Smacl et Groupama, sont des mutuelles. Elles ne sont pas là pour gagner de l'argent, mais elles veulent au moins éviter d'en perdre. Au demeurant, le chiffre d'affaires des assureurs pour les collectivités est de 200 millions d'euros, et si l'on retire l'assurance vie, il représente 1,5 % à 2 % de leur chiffre d'affaires global : ce n'est pas très intéressant pour eux...
Nous dépendons totalement de nos assureurs, qui, eux, n'ont pas d'obligation de nous assurer sur les dommages aux biens. Il y a un problème de dialogue, de compréhension entre le monde de l'assurance et le monde des collectivités. Le problème d'assurabilité est cyclique. Nous l'avons déjà connu voilà une trentaine d'années, puis voilà une dizaine d'années.
Entre les années 2010 et 2020, les cotisations ont baissé, peut-être de manière artificielle : certains assureurs ont proposé des baisses importantes du tarif technique, celui qui permet à tout le monde d'être protégé, créant ainsi un déséquilibre dont nous payons aujourd'hui les conséquences. Il faudra peut-être demander au régulateur, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), d'avoir un regard plus aiguisé sur les tarifs proposés.
Le constat général de désengagement concerne les communes les plus dotées en services publics, notamment pour les dommages aux biens. Mais il y a un effet domino sur les autres types de contrats. Les seuls contrats obligatoires concernent la flotte automobile et l'assurance fonctionnelle. Pour le reste, comme les écoles, les théâtres ou les piscines, les collectivités ne sont pas obligées de s'assurer et peuvent opter pour l'auto-assurance. Il n'est pas nécessaire de rendre ces assurances-là obligatoires car cela entraînerait des contraintes et une augmentation des tarifs.
La mise en place d'un assureur des collectivités, sur le modèle de la Banque des territoires, est une fausse bonne idée. L'assureur des collectivités existe déjà : c'est la Smacl, qui a été créée justement pour cela. Mais plus vous concentrez un risque sur un seul acteur, plus la situation est fragile. Une bonne assurance est une assurance qui partage le risque dans le temps et dans l'espace.
L'enjeu est donc de donner à nouveau envie aux assureurs de nous assurer. Pour cela, nous devons donner des gages, afin qu'ils nous fassent confiance.
D'abord, il faut intégrer la culture du risque dans le fonctionnement de nos collectivités. Dans une PME de 50 ou 100 salariés, il y a un gestionnaire des risques chargé de vérifier que l'ensemble des mesures ont été prises pour éviter les incendies ou les catastrophes. Dans le monde de l'entreprise, la culture du risque est quelque chose d'extrêmement précieux, qui permet à l'assureur d'avoir confiance en elle. Nous devons trouver des solutions pour intégrer cette culture dans nos collectivités. Cela implique déjà d'avoir une bonne connaissance de notre patrimoine, préalable nécessaire pour définir précisément les besoins. Or, à ce jour, peu de collectivités ont une connaissance précise de l'étendue et de l'état de leurs bâtiments. Et je mets au défi chaque maire ou président d'intercommunalité de connaître tous les mètres carrés dont sa collectivité est propriétaire, ainsi que le taux de vétusté, l'état des bâtiments, etc. Nous sommes ici confrontés à une vraie difficulté. Le cadastre peut nous aider, mais, après l'avoir consulté, il faut encore inspecter chacun des biens. Connaître le patrimoine est le point de départ pour réaliser une expertise préalable, un diagnostic complet qui sera la base de la rédaction d'un cahier des charges le plus précis possible pour l'assureur.
Par ailleurs, il faut avoir une réflexion sur le code des marchés publics. Je ne dis pas qu'il faut le modifier ou le réformer par voie réglementaire ou législative ; c'est prématuré. Mais il y a un travail de pédagogie à faire sur l'utilisation des différents outils qui sont à notre disposition : appels d'offres, procédures négociées, marchés de gré à gré, dialogues compétitifs. Nous sommes nombreux à utiliser, par principe ou par habitude, la procédure de l'appel d'offres, avec toutes les rigidités subséquentes. Or, l'appel d'offres ne nous permet pas de bien définir le besoin et ne permet donc pas à l'assureur de bien y répondre. Et comme sa réponse est souvent différente de ce qu'on lui demande, l'appel d'offre est déclaré infructueux.
Il y a même une certaine hypocrisie. Une disposition du code des marchés publics permet de passer par la procédure négociée à l'issue d'une procédure infructueuse. Ce faisant, on perd six mois ou un an, on dégrade nos relations avec les assureurs et on complique le système pour tout le monde.
La procédure de marché négociée répond à des critères extrêmement précis. Il faudra obtenir de l'État la garantie que les collectivités ne soient pas retoquées quand elles y recourent. Je le rappelle, c'est une procédure qui permet de négocier entre les prestataires et les demandeurs. Elle est lourde et nécessite de la publicité, ainsi que des allers-retours extrêmement précis en termes calendaires. Cela implique une ingénierie extrêmement importante, que seule une grosse collectivité peut s'offrir. Aujourd'hui, toutes les collectivités moyennes, au-dessus de 10 000 habitants, prennent un assistant à la maîtrise d'ouvrage (AMO) pour les aider à rédiger leur cahier des charges. Mais ce n'est pas suffisant s'il n'y a pas une bonne connaissance du patrimoine et des besoins.
La mission gouvernementale formulera ses préconisations à la fin du mois de mars ou au début du mois d'avril. Le problème est récurrent et mérite du temps pour être réglé. La décision du Conseil d'État du 12 juillet 2023 Grand port maritime de Marseille n'est qu'un pis-aller ; elle ne résout absolument rien. Il faudra que nous puissions construire ou reconstruire une relation saine entre les assureurs et les collectivités. L'objectif, c'est de rassurer les assureurs !
M. Thomas Fromentin, président de la communauté d'agglomération Pays Foix-Varilhes et administrateur d'Intercommunalités de France. - Je me réjouis de l'existence de cette mission d'information du Sénat. La problématique des assurances est forte au sein des collectivités.
Je suis président d'une communauté d'agglomération de 30 000 habitants, très rurale, en Ariège. Au mois de mai 2023, notre assureur nous a adressé un courrier laconique annonçant la résiliation de notre assurance dommages aux biens à compter du 31 décembre 2023 et ce malgré deux augmentations tarifaires importantes. Au final, nous avons pu souscrire une autre offre et nous assurer, mais par la mécanique du gré à gré.
Nous sommes nombreux, communes, intercommunalités ou syndicats de déchets, à être confrontés aux mêmes difficultés : envolée des cotisations, résiliations unilatérales, appels d'offres infructueux.
Je souscris aux propositions qu'a formulées Alain Chrétien. Mercredi dernier, lors d'une journée consacrée aux finances au sein d'Intercommunalités de France, nous avons noté que les deux tiers des présents connaissaient des problèmes d'assurance.
À nous aussi, la décision Grand port maritime de Marseille, qui atténue la capacité de retrait unilatéral d'un assureur mais ne la remet pas en cause, paraît insatisfaisante. S'il semble compréhensible qu'un assureur puisse se retirer dans des cas très précis de forte augmentation de sinistralité, le retrait unilatéral ne manque pas d'interroger.
Compte tenu de la forte sinistralité, liée notamment au dérèglement climatique, je ne vois pas comment un système d'auto-assurance mutualisée pourrait tenir. En revanche, existe-t-il une réflexion sur l'existence d'un panier minimum d'assurance pour les collectivités, dans la mesure où elles assurent des missions de service public ?
Sur le code des marchés publics, je rejoins Alain Chrétien. Ce qui remonte du terrain, c'est la demande de pouvoir recourir à des formes de marché public qui soient plus souples.
Il y a une forme d'hypocrisie : on permet parfois aux assureurs de répondre au marché public pour pouvoir ensuite passer en gré à gré. Cela ne semble pas une bonne manière de faire, ne serait-ce que du point de vue de la sécurité juridique.
Je partage également l'analyse d'Alain Chrétien sur la culture des risques, en insistant sur la gestion desdits risques. Cette culture - c'est-à-dire savoir mieux identifier les risques à déclarer - n'est pas suffisamment développée.
Attention toutefois aux usines à gaz. Nos communes, notamment les plus petites, sont déjà écrasées par les normes à respecter, les questionnaires à remplir, etc. Il faut que l'ensemble reste accessible pour nos collègues. Les intercommunalités peuvent jouer leur rôle de mutualisation pour aider à connaître les risques et à répondre aux éventuels questionnaires.
Le risque cyber est également très important.
Enfin, je pense qu'une clarification du régime de catastrophe naturelle serait bienvenue.
M. Éric Schahl, conseiller régional d'Île-de-France, représentant de Régions de France. - Régions de France a préparé un dossier, que nous tenons à votre disposition, sur la situation de l'assurabilité de la strate régionale. En effet, on pourrait croire que les régions ont une taille permettant de ne pas avoir de difficultés. Et pourtant...
En Île-de-France, plus grande région d'Europe, avec un budget de 5 milliards d'euros, nous avons un problème d'offre. Nous n'avons qu'une seule offre, ce qui limite la capacité à faire jouer la concurrence. Certes, nous avons le levier de la réassurance, et la possibilité de nous assurer nous-mêmes. Mais toutes les collectivités n'en disposent pas.
Dans une région du centre de la France, la prime d'assurance dommages aux biens a augmenté de 70 % voilà deux ans et de 25 % cette année, aboutissant à un refus et à une résiliation du contrat. Dans une région du sud-ouest, l'assureur a adressé un préavis de résiliation du marché au 31 décembre, conduisant à multiplier par mille la franchise, désormais fixée à 10 millions d'euros. Dans une région de l'ouest, la collectivité n'a pas eu d'offre pour son assurance de deuxième ligne afin d'assurer son siège.
Comme l'a indiqué Alain Chrétien, le phénomène est antérieur aux événements climatiques dramatiques des deux ou trois dernières années et aux émeutes de cet été. Il est lié à la crise de la Covid-19 et au ralentissement de l'économie mondiale : les assurances font des placements sur les marchés boursiers, qui sont moins fructueux à partir du moment où l'économie mondiale ralentit. Et les collectivités territoriales ne représentent effectivement qu'un tout petit volet du chiffre d'affaires des assurances, qui ont besoin de refaire leurs marges. En plus, les facteurs climatiques jouent à l'échelle mondiale sur le marché de la réassurance : les assurances, qui sont obligées de se réassurer, voient leurs propres primes augmenter considérablement. Ce phénomène va aller croissant avec l'évolution climatique.
Il y a une autre cause structurelle : la situation de quasi-monopole d'une ou deux sociétés d'assurances mutuelles sur le marché.
M. Alain Chrétien. - Un monopole subi !
M. Éric Schahl. - C'est l'histoire de la poule et de l'oeuf. La situation est-elle liée au fait que toutes les sociétés d'assurance se sont désintéressées du marché des collectivités territoriales ou à la politique ultra-compétitive que les deux groupes concernés ont pratiquée ? J'ajoute que la difficulté de monter des dossiers pour répondre aux appels d'offres a pu inciter des sociétés à se désintéresser encore plus du marché des collectivités.
Pendant longtemps, cet état de fait a été intéressant pour nous, puisqu'il nous a permis de bénéficier de tarifs inférieurs au prix du marché. Mais face à l'augmentation de la sinistralité, les deux sociétés sont obligées d'augmenter très significativement les primes et de relever les franchises. Et nous, collectivités, ne pouvons plus nous retourner vers d'autres acteurs, puisqu'ils se sont tous désengagés.
Vous avez parlé de « rassurer les assureurs ». Il faut à tout le moins les intéresser. Il va falloir que nous trouvions le juste prix de l'assurance. Et ce n'est malheureusement pas celui que nous avons payé pendant des années. Ce n'est pas non plus celui que les deux entreprises en situation de quasi-monopole vont vouloir nous imposer, avec des primes qui ne nous conviennent pas.
Je souhaite évoquer les pistes qui ont été mises en avant.
Je rappelle que les appels d'offres ont deux objets : garantir une concurrence équitable, non faussée, et prévenir la corruption et les conflits d'intérêts. Mais où est la concurrence non faussée quand il n'y a, au mieux, qu'une seule offre ? De quel conflit d'intérêts se protège-t-on lorsque tout va finir par une procédure de gré à gré ? Il va donc falloir se poser la question de la simplification des procédures.
La question de l'assurance publique n'est pas illégitime en soi. Dans la mesure où les collectivités territoriales remplissent une mission de service public, il est logique qu'elles aient une garantie d'assurabilité. D'où la proposition d'une assurance de la démocratie locale. Mais je n'y crois pas, pour deux raisons. D'une part, je ne pense pas qu'il y ait de risques inassurables : s'il est possible d'assurer des centrales nucléaires, cela ne doit pas être impossible pour nos flottes automobiles. D'autre part, je ne sais pas bien comment cela pourrait fonctionner, d'autant que, in fine, ce sera toujours le contribuable qui paiera...
La solution est d'aller vers une vraie concurrence, en intéressant de nouveau la pluralité d'offres privées.
Sur les AMO, si aider les plus petites collectivités, qui n'ont pas les moyens techniques, est une bonne chose en soi, j'appelle votre attention sur le fait qu'une telle pratique fausse le rapport entre l'assuré et l'assureur. L'AMO devient l'agent de la collectivité locale. Or, d'ordinaire, l'intermédiaire, c'est plutôt le courtier. Là, on aura donc une relation pour le moins inhabituelle.
À mon sens, le chemin le plus intéressant, c'est la mutualisation. Il faut probablement aller vers une mutualisation de nos risques. Je ne suis pas certain que la mutualisation géographique soit le meilleur schéma : si tout le monde est dans la même zone géographique, tout le monde est soumis à la même sinistralité simultanée et tout le monde risque d'avoir les mêmes problèmes en même temps. On pourrait envisager une mutualisation par spécificités : les problématiques seraient homogènes, mais sans simultanéité des sinistres. Je me demande néanmoins si une mutualisation par strates n'aurait pas du sens. Au sein des régions, nous avons les mêmes problèmes ; nous avons l'habitude de parler ensemble.
Il faut vraiment que l'on invente un métier dans nos collectivités : la gestion du risque. Toutes les entreprises le pratiquent aujourd'hui. Il s'agit de prévenir et de gérer les risques en amont. Aujourd'hui, 42 % des attaques cyber concernent des collectivités locales ; nous ne sommes pas suffisamment prémunis.
Il y a des choses à construire. Concernant la flotte automobile, cela peut passer par une formation des agents qui utilisent nos véhicules. Il faut sans doute également repenser la manière dont on construit nos bâtiments : je rappelle qu'un gymnase a brûlé intégralement à Gravelines voilà un peu plus d'un mois. Il faut effectivement connaître notre patrimoine et procéder à des corrections pour que tout ne brûle pas.
De même, inventer une nouvelle relation commerciale avec l'AMO et le courtier en amont - j'en parlais tout à l'heure - va permettre de changer les choses et d'intégrer la prévention et la gestion des risques dans l'élaboration de notre police d'assurance. Cela permettra d'inventer de nouveaux contrats d'assurance et de réinstaurer la concurrence, qui est le seul moyen d'arriver au juste prix de l'assurance.
M. Emmanuel Capus, président. - Petite précision, cette audition s'inscrit bien dans le cadre des travaux de la mission d'information de la commission des finances du Sénat, qui a son propre périmètre et ses propres objectifs.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous avions également convié l'Assemblée des départements de France (ADF), mais aucun de ses élus n'était disponible aujourd'hui. Nous aurons d'autres occasions pour entendre leur contribution.
Nous voulons établir un diagnostic sur les difficultés. D'où l'importance de la consultation sur le site internet du Sénat, que je vous invite, mes chers collègues, à relayer auprès des élus de vos territoires. L'idée est d'avoir un diagnostic le plus objectif et partagé possible.
D'après les éléments dont je dispose, le phénomène dont nous discutons ce matin concerne majoritairement des territoires urbains. Il est vrai que j'ai moi-même des retours assez contrastés. Il faut s'extraire de son propre périmètre et essayer d'avoir une vision nationale.
J'ai trois séries de questions.
La première porte sur les difficultés rencontrées par les collectivités. Pourriez-vous nous fournir des éléments quantitatifs sur les problèmes de réponse à un appel d'offres, sur les augmentations très inhabituelles des coûts des contrats ou des franchises, sur les retards dans les indemnisations, voire sur les résiliations brutales ? Ces difficultés touchent-elles aussi, outre les dommages aux biens ou l'assurance auto, la protection des agents et des élus ? J'aimerais également entendre les avis des uns et des autres sur l'auto-assurance et la mutualisation.
La deuxième série de questions concerne les ressources. Selon vous, les collectivités ont-elles, selon leur taille et leur configuration, les ressources humaines, techniques et budgétaires pour répondre aux conditions de souscription des contrats ou de leur évolution ? Doivent-elles d'ailleurs imaginer des formations améliorées ? Vous paraissent-elles bien informées sur les risques climatiques, les émeutes ou le risque cyber ? À votre avis, quels sont les risques qui demain pèseront le plus sur les biens des collectivités ?
La troisième série a trait aux solutions. Comment redonner de l'attractivité au marché pour que les assureurs y reviennent ? Je vous rejoins sur cet objectif. En revanche, je ne crois pas que les entreprises aient toutes un responsable des risques ; souvenez-vous de la crise sanitaire... Si vous aviez des avis ou des propositions pour résoudre les problèmes assurantiels des collectivités territoriales à nous communiquer d'ici au mois de mars, nous pourrons les intégrer dans nos travaux. Pour ma part, je crois qu'il faut mettre l'accent sur la connaissance, par les réassureurs, des risques liés aux événements climatiques ou aux émeutes.
Mme Françoise Gatel, présidente de la délégation aux collectivités territoriales. - Je tiens tout d'abord à remercier la commission des finances d'avoir pris l'initiative d'une telle réunion et d'y avoir convié les membres du bureau de la délégation aux collectivités territoriales, sur un sujet qui nous intéresse particulièrement.
Nous partageons tous les constats dressés. Je pense que l'opposition entre les communes tient non à leur strate, mais à leur nature, selon qu'elles disposent ou non d'écoles, d'équipements sportifs, etc.
La question est celle de la soutenabilité de l'assurance pour les collectivités. Il y a des leviers, comme l'évolution du code des marchés publics et l'ingénierie pour aller acheter de l'assurance, ce qui est un vrai métier ; il est important que les collectivités soient bien accompagnées en la matière.
Je crois beaucoup à la mutualisation, sous des formes diverses et variées. Cela peut se faire à l'échelon intercommunal ou par catégories de communes. Veillons également à ne pas enlever aux collectivités leur capacité de maîtriser leur politique d'assurance.
Il faut effectivement apprendre à gérer le risque. Mais il faudra aussi l'expliquer à nos concitoyens, dans un contexte de judiciarisation de notre société, où l'on cherche toujours un coupable. Je ne crois pas que l'inscription du principe de précaution dans la Constitution ait d'ailleurs rendu plus facile le marché de l'assurance.
En 2021, nous avons effectué un travail sur la cybersécurité au sein de la délégation. Les cyberattaques touchent toutes les collectivités. Nous n'en avons pas conscience, et nous n'avons aucune culture du risque à ce sujet. Par exemple, une grande agglomération et des communes n'ont pas pu délivrer de permis d'inhumer pendant dix jours pour cause de cyberattaque. Il faut, me semble-t-il, que les associations d'élus et les préfets soient très proactifs pour vérifier si les collectivités sont bien conscientes et prémunies contre de tels risques. Cela diminuerait peut-être les surcoûts d'assurance.
M. Marc Laménie. - Je remercie les trois intervenants. Leur témoignage nous éclaire sur des situations très complexes.
En tant que maire d'un village dans les Ardennes, j'avais repris notre assureur historique, Groupama. Si les contrats sont relativement simples, il est en revanche très compliqué - vous l'avez souligné - de faire l'inventaire de l'ensemble du patrimoine immobilier à assurer, même à l'échelle d'un village. Certes, nous n'avons pas été confrontés aux problèmes que vous avez évoqués, parce que nous sollicitons très peu l'assureur.
Que pouvons-nous faire pour le patrimoine immobilier ? Quand des banquiers se transforment en assureurs et des assureurs en banquiers, comment le système peut-il fonctionner, notamment pour les grandes collectivités ?
Mme Nathalie Goulet. - Je veux également remercier les intervenants ; nous partageons leurs constats. Mais quelle est l'analyse de nos voisins européens sur le sujet ? Et peut-on envisager d'utiliser le fonds européen destiné à la protection des sites et des biens - il y a 98 millions d'euros réservés à la France - face aux émeutes ou au risque cyber ?
Si je comprends l'importance de la mutualisation à l'échelon intercommunal, voyons aussi ce qui se fait en Europe. Il y a des budgets forts, et la mise en concurrence des assureurs relève aussi du droit européen. Je ne pense pas qu'il y ait une clause de nationalité pour les assureurs des collectivités. Les dispositifs européens devraient fonctionner. Je me demande donc s'il ne faudrait pas conduire notre mission d'information vers Bruxelles.
M. Éric Bocquet. - Je remercie également nos intervenants. J'ai trouvé leur discours extrêmement intéressant, concret et ancré dans le réel. J'ignorais l'importance du phénomène pour certaines collectivités. Je suis toujours conseiller municipal d'un village de 2 000 habitants en métropole lilloise, où l'assurance n'est pas un sujet aujourd'hui.
Il a été indiqué que les collectivités représentaient 1 % à 2 % du chiffre d'affaires de l'assurance ; c'est donc un petit segment de l'activité.
Notre commune est assurée chez Axa. Nous sommes très loin des franchises de 10 millions d'euros. Les assureurs sont également financeurs de la dette publique ; ils ont une garantie de recettes par les intérêts qui leur sont payés chaque année.
Je pense que si les assurances choisissent de se désengager de la couverture du risque des collectivités, c'est un choix de gestion. Ne serait-il pas temps de demander aux assureurs de revenir à leur coeur de métier, la couverture du risque ? Je comprends qu'ils puissent investir, mais leur premier métier, c'est la couverture du risque. Je suis vraiment choqué de ce désengagement délibéré et unilatéral des assurances pour faire de l'argent ailleurs.
Mme Florence Blatrix Contat. - Je remercie les trois intervenants, qui nous ont effectivement bien éclairés.
Élue d'une petite commune rurale, je ne suis pas encore confrontée à de telles difficultés. Pensez-vous que, par effet domino, les petites communes pourraient aussi être concernées ?
Pourriez-vous nous en dire plus sur ce que le panier minimum pourrait intégrer ? N'implique-t-il pas une part d'auto-assurance ?
Mme Christine Lavarde. - Vous avez mentionné à plusieurs reprises le besoin de l'État ou de la puissance publique pour compenser la défaillance du secteur privé. Or ce rôle est déjà joué par le Bureau central de tarification (BCT), qui doit proposer une solution d'assurance à toute personne s'étant vu opposer un refus par le secteur privé. Avez-vous eu connaissance de propositions techniques faites par le BCT ?
Vous avez évoqué des exemples particuliers de collectivités ayant fait l'objet d'une sorte d'antisélection par leur assureur. Avez-vous eu la possibilité de creuser un peu pour essayer de comprendre le phénomène dont elles auraient été victimes ?
La question du développement de la culture de la gestion du risque dans les collectivités est assez liée à celle de la certification des comptes. Dans des phases de certification, les communes sont aussi obligées de mettre en place une véritable culture du risque pour pouvoir prouver qu'elles agissent de manière complètement consciente sur tous les secteurs. Pour vous, quel est le frein majeur en la matière ? Est-ce uniquement une question de moyens ? Est-ce un problème de disponibilité de personnes formées à la fois à la culture du risque et à celle des collectivités ?
Mme Isabelle Briquet. - Je tiens moi aussi à remercier nos intervenants. Dans la commune dont j'ai été maire pendant de nombreuses années, les tarifs des contrats ont augmenté de 70 %. J'ai envoyé la lettre et le lien de la consultation aux élus de mon département. J'ai déjà eu beaucoup de retours. Cela montre bien qu'il y a un véritable souci.
J'ai entendu ce qui a été dit sur la culture du risque. Mais, dans un contexte de judiciarisation croissante, où les élus sont responsables d'absolument tout, il y a quand même une légère contradiction à gérer.
Pourriez-vous revenir sur ce que vous avez indiqué s'agissant des relations entre AMO et courtiers ? Je ne suis pas certaine d'avoir bien compris votre propos.
Mme Ghislaine Senée. - Il y a beaucoup à dire sur le sujet. La gestion du risque est de plus en plus prégnante au sein des collectivités, grandes ou petites.
J'ai été maire d'une commune qui avait un plan de prévention des risques (PPR) sur les cavités souterraines. Pendant douze ans, je me suis interrogée sur la façon d'anticiper le sujet, car on sait que les carrières de gypse peuvent s'effondrer à tout moment, et ma commune est concernée. Face à la réaction des assurances, les collectivités ont de plus en plus besoin de pouvoir anticiper, mais elles n'en ont pas les moyens : problèmes d'ingénierie, de dotations, etc. Si on doit travailler sur la gestion des risques, il faut faire un inventaire et un diagnostic, tant sur les biens que sur les risques alentour, y compris les risques industriels. Nous sommes confrontés à un problème structurel.
Les assurances qui sont sur une niche particulière se rendent compte de l'ampleur du travail. Leurs interventions intempestives et assez brutales de l'année dernière à l'égard de certaines communes a été un moyen d'alerter sur ces problématiques.
Il me semble important d'intégrer dans le diagnostic à la fois les problèmes d'assurance auxquelles les communes ont été confrontées, mais aussi les charges d'assurance qu'elles ont dû assumer. Je pense que nous pourrons interroger directement les associations des assurances pour avoir un peu de visibilité à cet égard.
Le coeur de métier de l'assurance, c'est la couverture du risque. Il faut assumer de gérer ce risque et ne pas se défausser. Je veux bien que l'on rende le marché plus attractif, mais rappelons-leur aussi leur devoir pour l'intérêt général. Nous ne cessons de discuter pour savoir comment « faire société ». Il est inadmissible que les franchises d'une collectivité passent de 1 500 euros à 1 million d'euros l'année suivante.
Les solutions que vous avez évoquées sont les axes sur lesquels nous devons travailler. Oui à la culture du risque, à condition d'aller jusqu'au bout... Et profitons de l'occasion pour dresser un inventaire des biens des collectivités qui nous permettra d'avoir cette connaissance du patrimoine. Travaillons également sur les appels d'offres, qui représentent toujours une difficulté pour les petites collectivités. Il y a un devoir de formation, d'amélioration des connaissances.
Il est d'utilité publique que le Sénat se saisisse d'un tel sujet.
M. Jean-Marie Mizzon. - Je remercie à mon tour les intervenants.
J'ai moi-même été maire pendant plusieurs décennies. Dès les années 1980, il y avait cette situation d'oligopole dans le marché de l'assurance des collectivités ; je pense qu'elle est structurelle. Le renforcement de la connaissance, par les collectivités, de leur patrimoine me semble une piste à explorer.
Sait-on combien il y a de compagnies d'assurance en France, en plus des deux qui ont été évoquées ?
M. Alain Chrétien. - Il y en a plusieurs dizaines.
M. Éric Schahl. - On peut se dire que les assurances engrangent des sommes considérables et qu'elles doivent donc couvrir les risques des collectivités locales, car ces dernières assument une mission de service public. Toutefois, ce n'est pas le modèle économique dans lequel je m'inscris, car il s'avère contre-productif. En effet, seule une société publique serait à même de couvrir l'intégralité des risques, et ce système aboutirait à un puits sans fond. Si je suis assuré à taux plein, avec des franchises peu élevées, et si, in fine, ce n'est pas moi qui paie, comment vais-je révolutionner la prévention et la gestion du risque ? Il est donc important d'entrer dans une relation économique.
L'assurance a toujours été privée. Elle est née dans l'Italie médiévale, pour assurer les bateaux qui quittaient le port, dans une logique de partage des bénéfices. Pour que les prix baissent, il faut une concurrence saine et non faussée. Or, cela est impossible avec une entreprise publique.
Les grandes collectivités ont été ciblées en premier lieu, car les sociétés d'assurance et de mutuelle, en grande difficulté après avoir assuré tout le monde, avaient besoin de redégager immédiatement des marges. Cependant, l'augmentation des franchises touchera toutes les collectivités. Je ne crois pas d'ailleurs qu'il faille distinguer ici entre milieu urbain et milieu rural. Par la force des choses, ce sont plutôt les collectivités urbaines qui sont touchées aujourd'hui, car les grandes collectivités ont été les premières concernées, mais aucune commune ne sera exonérée en raison de sa taille ou de son implantation.
La gestion du risque ne constitue pas une solution unique, mais une somme de sujets sur lesquels il faut travailler. La tendance à la judiciarisation est inévitable. Il faut en prendre acte, et chercher à réduire les risques. Ainsi, des économies substantielles peuvent être réalisées sur les défauts de voirie, ou par la formation d'agents à l'utilisation de véhicules.
Le plan communal de sauvegarde, qui n'est pas obligatoire pour les communes qui n'ont pas de PPR, peut être aussi une piste intéressante : non seulement pour faire des économies d'assurance, mais aussi pour mieux protéger nos administrés. Or, moins de 40 % des communes de France en sont dotées. Bien penser un plan communal de sauvegarde permet de se prémunir contre le risque d'inondation, par exemple, et de réduire, en définitive, le coût de l'assurance par la diminution du nombre de sinistres et de l'accidentologie, le plus important étant de protéger la population.
Les grandes collectivités, comme les régions, disposent de directeurs des achats très compétents. Toutefois, ce degré de connaissance et de savoir-faire ne se retrouve pas dans toutes les collectivités. De plus, même les directeurs des achats les plus compétents peuvent être perdus dans certaines situations, d'où le recours à l'AMO. Or, de même que le docteur Knock affirmait que tout bien-portant est un malade qui s'ignore, l'AMO peut parfois complexifier le travail à outrance en cherchant à définir la totalité des risques, là où les courtiers réfléchissent pour leur part à la meilleure façon de travailler avec les assureurs. Il peut cependant arriver aussi que, le marché s'étant trop complexifié, l'appel d'offres soit infructueux.
Parmi les risques ayant vocation à croître dans l'avenir figurent les risques climatiques, aux conséquences considérables. Cependant, la lutte contre l'absentéisme des agents coûte également très cher aux collectivités locales. Certains courtiers d'assurances en ont d'ailleurs fait une spécialité. Elle représente une somme de petits coûts, qui peut entraîner en définitive des dépenses importantes.
M. Thomas Fromentin. - Nous parlons des difficultés du secteur de l'assurance, mais nos collègues veulent simplement pouvoir obtenir une assurance dommages aux biens pour leurs bâtiments. Il est bon de leur dire que le monde est complexe, mais il faut aussi comprendre leurs difficultés et leur proposer des solutions simples.
Dans un marché de moins en moins concurrentiel, quelle régulation est-elle possible ? Pourrions-nous imaginer que les assureurs fournissent un panier minimum aux acteurs assumant des missions de service public ?
La mutualisation à l'échelle des intercommunalités est effectivement intéressante. Elle permettrait de recruter des personnes qualifiées en matière assurantielle et d'accompagner les plus petites communes ainsi que les intercommunalités qui gèrent d'importants équipements.
Nous ne devons pas exclure de notre réflexion nos collègues ultramarins, qui sont confrontés aux pires difficultés. J'ai rencontré un maire qui cherchait à assurer son école classe par classe, pour être sûr que l'établissement soit au moins partiellement couvert.
Cependant, même si la mutualisation se développe et la culture du risque s'améliore - points sur lesquels il nous faut effectivement progresser -, la question du traitement des événements majeurs demeurera. On a beau s'organiser au mieux, des événements importants, climatiques, cyber, ou autres, peuvent survenir. Or, les assureurs n'ont pas joué le jeu pendant les émeutes !
M. Alain Chrétien. - Françoise Gatel a donné une partie de la réponse : le bon usage du code des marchés publics. Tous les outils existent dans ce code, encore faut-il qu'on les connaisse et qu'on les utilise bien. Mieux nous les connaîtrons, mieux nous les utiliserons et moins nous aurons besoin de moyens d'ingénierie supplémentaires. Avant de proposer des modifications législatives ou réglementaires au code des marchés publics, commençons donc, avec l'État, par rédiger un nouveau guide des bonnes pratiques de ce code ainsi qu'un cahier spécifique des clauses administratives générales. Avant d'envisager de nouvelles usines à gaz qui nécessiteront des montées en compétences supplémentaires, en sus de celles qui n'ont pas été effectuées auparavant, commençons par reprendre ce qui existe et réfléchir aux meilleurs moyens d'optimiser les procédures à notre disposition dans le code des marchés publics. La mutualisation interviendra dans un second temps.
Je parlerai d'ailleurs plutôt de groupements de commandes. Le groupement de commandes ne fonctionne que s'il y a des risques homogènes dans un même panier. Or, pour cela, il faut connaître les risques. Si l'on assure toutes les écoles d'un même canton, alors que certaines sont vétustes et d'autres flambant neuves, l'assureur ne pourra pas apporter de réponses satisfaisantes.
Il faut donc un guide des bonnes pratiques et une bonne connaissance des biens avant de chercher à rééquilibrer le rapport de forces entre assureurs et assurés.
Nous procéderons par ailleurs à un parangonnage des différents systèmes européens. Ce travail est complexe, car les données sont parcellaires. De plus, notre pays est l'un des plus protecteurs de l'Union européenne. Il existe un fonds européen de soutien, mais qui n'est activé que lorsque le montant des dégâts dépasse 1,5 % du PIB de la région concernée. Entrer dans des négociations avec Bruxelles pour tenter d'abaisser ce seuil prendrait plusieurs années. Nous n'essaierons pas d'aller dans cette voie.
Monsieur Bocquet, ce sont les assurances mutualistes qui ne sont pas censées gagner de l'argent et qui ont fait exploser les primes. Les derniers assureurs privés qui demeurent dans les collectivités ne les ont pas touchées.
Quand les assurances reposent sur deux acteurs, la situation est très fragile. L'incendie de l'hôtel de ville d'Annecy représente à lui seul 70 millions d'euros de réparations !
Notre objectif est de faire revenir les entreprises d'assurances privées, non de les ponctionner ou de leur imposer trop d'obligations. Or instaurer un panier minimum reviendrait à élargir le périmètre de l'assurance obligatoire, aujourd'hui limité à la flotte automobile et à l'assurance statutaire, ce qui ne serait peut-être pas de nature à faire revenir les assureurs.
Le BCT est très peu sollicité par les particuliers, et encore moins par les collectivités locales. De plus, sa mission est de trouver des assureurs, non de négocier des prix. Ce n'est donc pas la solution à tout.
Concernant les captives d'assurance, il n'est pas certain que les collectivités puissent en créer. Je ne pense pas que Jean-Yves Dagès et moi nous engagerons dans cette voie.
L'État devra assumer ses responsabilités face aux événements majeurs. Par ses pouvoirs régaliens, il est garant de la sécurité publique. S'il n'arrive pas à assumer ses responsabilités, il faut qu'il paie.
L'auto-assurance devra par ailleurs être développée pour les petits sinistres - fenêtre cassée, rétroviseur abîmé, etc. - pour ne plus faire jouer l'assurance systématiquement. Au niveau intermédiaire, il faut en revanche que les assureurs recommencent à intervenir, mais au niveau événementiel l'État doit prendre ses responsabilités. Je ne sais pas quel sera le contenu du projet de loi visant à réformer le régime d'indemnisation des catastrophes naturelles prévu par Gabriel Attal, mais des évolutions interviendront sans doute en matière de prise en charge.
Quelles que soient les mesures que nous préconiserons, nous serons appelés à payer plus cher nos assurances, car les risques augmentent. Les assurés paient pour les risques de tous, en vertu de la solidarité nationale. L'important est que les cotisations augmentent de manière raisonnable. La surprime de 22 % ne permet pas aux assureurs de constituer une cagnotte, mais d'être à l'équilibre. Les risques climatiques représentent en effet plus de 2 milliards d'euros par an, et devraient représenter 5 milliards d'euros en 2030. Nous devrons assumer collectivement des dépenses plus importantes pour couvrir les risques à venir.
M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Nous devons partir de la connaissance la plus aboutie et la plus objective possible. Le débat pourrait devenir passionné. Or, même si nous entendons ceux qui s'estiment victimes de la situation présente, il est préférable d'éviter de tomber dans des postures accusatrices. Nous devons relayer la réalité de la situation sans tomber dans le populisme ou la démagogie.
Durant la crise sanitaire, les assureurs - c'est-à-dire les assurés - ont payé un peu plus de 1 milliard d'euros, quand d'autres, dont on avait dit qu'ils contribueraient, n'ont rien donné.
Il faut une prise de responsabilité individuelle et collective. Dans le secteur de l'assurance, tout le monde paie, ce qui garantit une véritable mutualisation. Il faut ensuite améliorer la sinistralité. Sur ce point, tout ne dépend pas des assurés. Si de grands incendies se produisent demain en France, comme on en voit en ce moment au Chili, il en résultera des difficultés supplémentaires et des dépenses générales pour couvrir des risques relevant de la responsabilité de l'État. Les situations individuelles doivent être précisées, avant de voir comment nous pourrions mieux organiser les choses. Cela peut être un moyen d'intéresser de nouveau les Français au sujet.
Certaines zones historiquement inondables, qui connaissaient de petites inondations régulières, sont désormais confrontées à des phénomènes plus intenses concentrés dans le temps. L'enjeu est donc de chercher à adapter concrètement le marché aux nouvelles réalités.
M. Emmanuel Capus, président. - Pour la première fois, il y a deux ans, mon département, le Maine-et-Loire, a connu des feux considérables. Certaines franchises sont passées de 500 à 500 000 euros !
Merci à tous. Nos collectivités attendent des réponses.