D. PERMETTRE À CHAQUE COLLECTIVITÉ DANS L'IMPASSE DE TROUVER UNE SOLUTION ASSURANTIELLE
1. Une meilleure protection des collectivités passe par l'allongement de la durée de préavis, la justification systématique des résiliations unilatérales et l'élargissement des prérogatives du Médiateur de l'assurance
a) Vers un allongement de la durée des préavis en cas de résiliation unilatérale par l'assureur et une obligation de justification
L'article L. 113-12 du code des assurances prévoit que l'assureur peut résilier le contrat à l'expiration d'un délai d'un an, à la condition d'envoyer une lettre recommandée à l'assuré au moins deux mois avant la date d'échéance du contrat.
Il peut être contractuellement dérogé à cette règle pour la couverture des risques autres que ceux des particuliers.
Comme évoqué supra, les résiliations unilatérales des contrats d'assurance se multiplient avec des durées de préavis parfois inférieure à ces deux mois. Or, dans les faits une résiliation, même avec un préavis de deux mois, est peu compatible avec le lancement d'un nouvel appel d'offres, laissant ainsi courir le risque pour les collectivités de ne pas être assurées pendant une période plus ou moins longue.
Dans ce contexte, une récente jurisprudence du Conseil d'État a déjà permis une avancée en permettant la poursuite d'un contrat dans l'attente de la passation d'un nouveau marché. Ainsi, dans sa décision 469319 Grand port maritime de Marseille du 12 juillet 2023, le Conseil d'État a affirmé l'applicabilité des dispositions de l'article L. 113-12 du code des assurances74(*) aux marchés publics d'assurance mais a souligné que ce droit à résiliation peut faire l'objet d'une opposition de la part de la personne publique assurée qui peut alors imposer la poursuite du marché, pour un motif d'intérêt général tiré notamment des exigences du service public dont la personne publique à la charge, pendant la durée strictement nécessaire au déroulement de la procédure de passation d'un nouveau marché public d'assurance, sans que cette durée ne puisse excéder 12 mois, y compris lorsque la procédure s'avère infructueuse. L'assureur conserve cependant la possibilité de contester cette décision devant le juge.
Aussi, dans la ligne de cette décision mais pour sécuriser davantage les collectivités territoriales, la mission estime que le pouvoir de résiliation unilatérale de l'assureur doit être soumis à un préavis d'une durée minimale de six mois, afin de permettre aux collectivités territoriales de passer un nouveau marché d'assurance dans de bonnes conditions.
Par ailleurs, les auditions menées par la mission ont mis en exergue que, dans de nombreux cas, les résiliations sont intervenues sans justification et explication de la part des assureurs (cf. supra). Il en est résulté une incompréhension des élus, surtout dans les collectivités qui n'avaient pas enregistré d'augmentation de leur sinistralité.
L'article L. 113-12-1 du code des assurances prévoit que la résiliation unilatérale du contrat d'assurance couvrant une personne physique en dehors de son activité professionnelle par l'assureur doit être motivée. La mission propose d'étendre ce formalisme aux contrats liant les assureurs aux collectivités territoriales.
Recommandation n° 12 : porter la durée minimum de préavis à six mois en cas de résiliation d'un contrat par l'assureur pour les collectivités et leurs établissements, et obliger les assureurs à justifier les résiliations unilatérales (Législateur).
b) Proposer une solution aux collectivités privées d'assureur : une intervention du Médiateur de l'assurance
En cas d'appel d'offres infructueux, deux hypothèses sont prévues par le code de la commande publique :
- lorsque, dans le cadre d'un appel d'offres, aucune candidature ou aucune offre n'a été déposée dans les délais prescrits ou lorsque seules des candidatures irrecevables ou des offres inappropriées ont été présentées (art. R. 2122-2), l'acheteur peut passer le marché sans publicité ni mise en concurrence préalables, à condition que les conditions initiales du marché ne soient pas substantiellement modifiées ;
- lorsque, dans le cadre d'un appel d'offres, seules des offres irrégulières ou inacceptables ont été présentées (art. R. 2124-3), l'acheteur peut recourir à la procédure avec négociation, à condition que les conditions initiales du marché ne soient pas substantiellement modiées.
Pour autant, il arrive que des collectivités, malgré ces possibilités, se retrouvent dans des situations d'absence d'assurance. Or, certaines d'entre elles ne souhaitent pas ou n'ont pas les capacités budgétaires de recourir à l'auto-assurance.
Dans un contexte où nombre de collectivités ont fait part à la mission de leur crainte de ne plus avoir d'assureur dès le 1er juillet 2024, celle-ci propose d'étendre rapidement les prérogatives du médiateur des assurances afin de lui permettre d'intervenir pour accompagner les collectivités qui ne trouvent pas d'assureur.
Depuis le 1er octobre 2023, les compétences de ce dernier ont été élargies aux différends entre assureurs et collectivités. À ce stade, le rôle du Médiateur se limite toutefois à résoudre les conflits entre assureurs et assurés et il ne peut pas intervenir dans la négociation d'un contrat.
Par ailleurs, depuis l'élargissement de ses compétences, le Médiateur de l'assurance, auditionné par la mission, n'a été sollicitée que 22 fois par les collectivités locales. Selon le Médiateur, dans 13 cas, la demande était en dehors du champ de compétence et dans 9 cas le recours au Médiateur n'entrait pas dans le nouveau champ de compétences défini par le ministre en octobre.
Il convient par ailleurs de souligner que le fondement de cette extension de compétence, aux seuls différends après sinistre, est particulièrement fragile juridiquement puisqu'il s'agit d'une annonce du ministre de l'économie dans une interview au journal Midi Libre : il s'agit d'« élargir la compétence du Médiateur de l'assurance aux différends entre un assureur et une collectivité après un sinistre ». Or, l'article L. 612-1 du code de la consommation autorise le recours au médiateur en vue de la résolution amiable d'un litige, quel que soit le moment où intervient ce litige.
Il importe donc de sécuriser les conditions de recours au Médiateur de l'assurance pour les collectivités et d'élargir sa compétence pour en faire un accompagnateur des collectivités dans leur recherche d'assurance. Le Médiateur doit être chargé d'une obligation de moyens, en vue de la conclusion par une collectivité qui le souhaite d'un contrat d'assurance « dommage aux biens ». Il doit avoir pour objectif qu'une collectivité ne se retrouve pas dans une situation d'absence d'assurance, alors qu'elle aurait tout mis en oeuvre pour être correctement assurée.
Les collectivités ne peuvent être considérées comme des entreprises et la nécessité d'assurer des services publics de proximité exige de traiter leurs difficultés assurantielles de manière différenciée par rapport au secteur privé. Cette situation explique d'ailleurs que nombre d'élus, comme le maire de Sainte-Foy-Tarentaise également président de la communauté de communes de Haute-Tarentaise, se montrent très favorable à une évolution des prérogatives du Médiateur des assurances dans ce sens.
La faculté de pouvoir s'assurer doit d'ailleurs être considérée comme contribuant à leur libre administration.
Recommandation n° 13 : élargir les prérogatives du Médiateur de l'assurance afin d'accompagner les collectivités qui ne trouvent pas d'assureur et préciser sa compétence en termes de litiges (Gouvernement).
2. L'État doit mieux contribuer à la couverture du risque « émeutes »
Dans le cas spécifique des émeutes, il apparait aujourd'hui indispensable de renforcer le rôle et l'intervention de l'État. En effet, ce risque majeur présente la double particularité de générer des coûts potentiellement insoutenables pour les collectivités et d'accroitre le désengagement des assureurs, en raison notamment de l'aléa moral important de ce risque, difficilement modélisable et, subséquemment, difficilement chiffrable ex-ante.
a) La responsabilité sans faute de l'État : une possibilité de prise en charge de certaines dégradations par l'État
Pour financer les travaux de réparation et de reconstruction faisant suite à des mouvements sociaux, les collectivités territoriales et leurs groupements ont la possibilité de rechercher la responsabilité sans faute de l'État et ainsi bénéficier d'une indemnisation sur ce fondement.
En effet, l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure dispose que « l'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens ».
Ce régime de responsabilité sans faute de l'État, précisé par la jurisprudence du Conseil d'État notamment suite aux émeutes de 2005 et récemment confirmé par le juge administratif dans le contexte du mouvement des « gilets jaunes »75(*), s'applique aux dégradations commises dans le cadre de manifestations, qui dégénèrent de façon spontanée76(*).
En revanche, ce régime ne s'applique pas à des dégradations commises de manière préméditée et organisée en dehors de toute manifestation et sans lien direct avec l'évènement déclencheur77(*).
La prise en charge des dépenses à venir au titre du régime de responsabilité sans faute de l'État est donc limitée à des cas strictement définis.
À l'inverse, pour les dégradations et destructions qui n'entreraient pas dans le champ de la responsabilité de l'État, les collectivités territoriales et leurs groupements doivent recourir à leurs contrats d'assurance et, à défaut ou en cas de franchise, supporter le reliquat des dépenses.
b) Un périmètre de la dotation de solidarité aux collectivités victimes d'évènements climatiques ou géologiques (DSEC) à élargir en cas d'émeutes
La dotation de solidarité aux collectivités victimes d'événements climatiques ou géologiques, portée par le programme 122 de la mission budgétaire « Relations avec les collectivités territoriales » est régie par l'article L. 1613-6 du code général des collectivités territoriales. Elle contribue à réparer les dégâts causés à leurs biens (infrastructures routières, ouvrages d'art, digues...) par des événements climatiques ou géologiques graves.
Les articles R. 1613-4 et R. 1613-5 du même code précisent que seuls les biens suivants sont éligibles à la dotation (biens normalement non assurables) :
- les infrastructures routières et les ouvrages d'art ;
- les biens annexes à la voirie nécessaires à la sécurisation de la circulation ;
- les digues ;
- les réseaux de distribution et d'assainissement de l'eau ;
- les stations d'épuration et de relevage des eaux ;
- les pistes de défense des forêts contre l'incendie ;
- les parcs, jardins et espaces boisés appartenant au domaine public des collectivités territoriales ou de leurs groupements.
Les travaux urgents de restauration des capacités d'écoulement des cours d'eau, dont la maîtrise d'ouvrage est assurée par la collectivité ou le groupement intéressé, peuvent donner lieu à l'attribution de subvention par la dotation.
Toutefois, dans les cas où tout ou partie de ces biens serait assuré, l'assiette de la subvention dépend de la couverture des dégâts par une assurance :
- lorsque le bien n'est pas assuré à la date de l'événement, au montant des dégâts ;
- lorsque le bien est assuré à la date de l'événement et que la collectivité ou le groupement demandeur connaît, au moment du dépôt de la demande de subvention, le montant de l'indemnité qui lui est due, l'assiette de la subvention est nette de cette indemnité ;
- lorsque le bien est assuré à la date de l'événement et que la collectivité ou le groupement demandeur ignore, au moment du dépôt de la demande de subvention, le montant de l'indemnité qui lui est due, l'assiette de la subvention est égale au montant total des dégâts subis. Dans ce cas, la collectivité ou le groupement porte, dès que possible, le montant de l'indemnité à la connaissance du représentant de l'État, qui calcule le montant de la subvention qui aurait été versée si le montant de l'indemnité avait été connu lors du dépôt de la demande de subvention. La différence entre la subvention effectivement versée et la subvention ainsi recalculée fait l'objet d'un reversement.
Après avoir procédé à une première évaluation des dégâts, le représentant de l'État peut demander l'appui d'une mission de l'inspection générale de l'environnement et du développement durable. Cette mission est obligatoire lorsque le montant global estimé des dégâts est supérieur à un million d'euros hors taxes ou lorsque l'événement climatique ou géologique à l'origine des dégâts a touché plusieurs départements.
Lorsque le montant total des subventions susceptibles d'être accordées a été déterminé, sa répartition entre collectivités et groupements d'un même département est établie sur la base de taux maximum de subvention applicables comme suit :
- un taux de 80 % lorsque le montant des dégâts subis est supérieur à 50 % de leur budget total ;
- un taux de 40 % lorsque le montant des dégâts subis est compris entre 10 % et 50 % de leur budget total ;
- un taux de 30 % lorsque le montant des dégâts subis est inférieur à 10 % du budget total.
Le représentant de l'État peut, à titre exceptionnel, au regard de la capacité financière de la collectivité territoriale ou du groupement et de l'importance des dégâts, porter le montant des aides publiques directes jusqu'à 100 % du montant hors taxes des dégâts causés par un même événement.
Une avance peut également être versée lors du commencement d'exécution de l'opération. Son montant peut représenter jusqu'à 20 % du montant prévisionnel de la subvention et peut être porté jusqu'à 30 % pour des travaux urgents nécessaires à la mobilité ou à la sécurité des personnes.
Les collectivités ne sont éligibles à la dotation de solidarité que si la somme des dommages causés par un même événement climatique est supérieure à 150 000 euros.
Face à des mouvements sociaux d'ampleur causant de nombreux dégâts sur des biens publics non assurables, le périmètre de la DSEC doit être interrogé.
La mission préconise donc que cette dotation soit élargie afin de couvrir les biens des collectivités territoriales endommagés dans le cadre d'émeutes, dans les mêmes conditions que la DSEC actuelle.
À cet égard, le Gouvernement avait déjà fait un pas dans ce sens à la suite des émeutes de juin 2023 en instaurant un fonds de 100 millions d'euros (partiellement alimenté, d'ailleurs, par les crédits de la DSEC non consommés).
Deux instructions ont encadré l'utilisation de ce fonds « violences urbaines » :
- l'instruction du 7 juillet 2023 relative à l'accompagnement des collectivités pour la réparation des dégâts et dommages contre les biens des collectivités résultant des violences urbaines survenues depuis le 27 juin 2023 ;
- l`instruction du 21 novembre 2023 relative à la mise en oeuvre du fonds « violences urbaines ».
Conformément à ces instructions, les préfectures ont opéré un travail d'instruction. Dans ce cadre, 228 dossiers ont été déposés fin 2023 et 123 ont été traités, les autres étant encore en cours d'instruction. Parmi les dossiers en cours d'instruction, 33 dossiers du Nord et des départements de l'Ile de France ont été instruits et pourront être délégués (notamment une opération à 1,8 million d'euros de Fontenay-sous-Bois et à une autre à 1 million d'euros à Nanterre).
La loi de finances pour 202478(*) a doté la DSEC de 40 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et de 30 millions d'euros en crédits de paiement (CP).
Si la survenance de tels évènements et les montants à prendre en charge sont difficilement prévisibles, des redéploiements en gestion, des dégels de réserve et en dernier recours des décrets de virement, de transfert ou des ouvertures de crédits permettraient d'ajuster en cours d'année les montants de cette dotation pour tenir compte des besoins effectifs.
Recommandation n° 14 : étendre la dotation de solidarité aux collectivités victimes d'évènements climatiques ou géologiques (DSEC) aux dommages causés dans le cadre de violences urbaines (Gouvernement).
c) La mise en place d'un système inspiré du régime d'indemnisation des catastrophes naturelles pour les biens assurés
Pour les biens assurés, un système de mutualisation faisant in fine intervenir la garantie de l'État, inspiré de celui qui existe pour l'indemnisation des catastrophes naturelles, pourrait être mis en place.
En cas de dégradations massives du mobilier urbain, l'État pourrait, en fonction de leur ampleur et lorsque certains critères, qui restent à définir, seraient remplis, prendre un arrêté de reconnaissance d'émeute comparable à l'arrêté de reconnaissance de catastrophe naturelle.
Dès lors, l'indemnisation des sinistres sur les biens des collectivités se partagerait entre l'assureur et son réassureur, en l'espèce la Caisse centrale de réassurance (CCR)79(*), qui prendrait en charge au moins 50 % des sinistres et la totalité au-delà d'un seuil fixé annuellement. En cas d'impossibilité par la CCR de faire face à la sinistralité observée grâce à ces réserves, l'État interviendrait en réassurance de la CCR avec une garantie illimitée. Pour le régime des catastrophes naturelles, l'État intervient lorsque la sinistralité annuelle de la CCR dépasse 90 % de ses réserves. Dans ce cadre, il faudrait naturellement compartimenter, au sein de la CCR, ce qui relève des catastrophes naturelles et des émeutes.
Le système serait financé par une « surprime » sur tous les contrats d'assurance « dommage aux biens » conclus par les collectivités, de même que chaque contrat d'assurance multirisques habitation (MRH) et automobile fait l'objet d'une « surprime », quand bien même l'assuré n'habite pas dans une zone exposée aux catastrophes naturelles.
Recommandation n° 15 : mettre en place un dispositif d'indemnisation du risque d'émeutes inspiré de celui qui existe pour les catastrophes naturelles (Législateur).
* 74 Cet article prévoit que l'assureur a la faculté de résilier unilatéralement le contrat à l'expiration d'un délai d'un an suivant sa conclusion, avec un préavis d'au moins deux mois - et plus si l'assuré est une personne morale.
* 75 Tribunal administratif de Paris, 20 juin 2023, Société AXA France et Société financière Frères Blanc, n° 2016762/3-1 ; Tribunal administratif de Paris, 25 avril 2023, Assurances du crédit mutuel, n° 2202327/3-3.
* 76 Conseil d'État, 30 décembre 2016, n° 386536.
* 77 Conseil d'État, 11 juillet 2011, n° 331669.
* 78 Loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
* 79 Pour les catastrophes naturelles, l'assureur peut aussi se réassurer auprès de réassureurs privés, mais 95 % du marché fait le choix de se réassurer auprès de la CCR.