C. ANNULATION DE L'APPEL D'OFFRES : UNE DÉCISION LOURDE DE CONSÉQUENCES POUR LA SANTÉ DES RIVERAINS DE NANTES ATLANTIQUE
1. Les nuisances sonores aériennes : un enjeu majeur en termes de santé publique et un coût réel pour la collectivité
Pour les personnes résidant à proximité des aéroports, les nuisances sonores aériennes sont source d'une dégradation du cadre de vie et, dans les cas les plus graves, de réels problèmes de santé publique.
En 2020, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses)5(*) a publié une analyse faisant la synthèse des travaux scientifiques concernant l'impact sanitaire du bruit émis par le trafic aérien. Ce travail met en avant des effets sanitaires allant au-delà des effets auditifs, qui touchent aux maladies cardiovasculaires, à des perturbations du sommeil, à des problèmes cognitifs ainsi qu'à des problèmes de gêne liée au bruit.
En se fondant sur l'actualisation des lignes directrices de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) de 2018, cette étude indique que les niveaux de preuves scientifiques s'agissant du lien entre nuisances sonores aériennes et maladies cardiovasculaires se situent à un niveau « faible » et qu'ils s'établissent à un niveau « modéré » s'agissant des trois autres effets sur la santé précités. Toutefois, l'Anses indique que ce travail de l'OMS « conforte la confiance dans les niveaux de preuve de ces quatre effets sanitaires liés à l'exposition au bruit des transports ». L'Anses rappelle en outre que « quelle que soit la qualification du niveau de preuve de la relation exposition-réponse pour chacun de ces effets, l'OMS considère que les données scientifiques sont suffisantes (notamment la causalité) pour agir ».
Outre ces quatre effets sanitaires avérés, l'Anses note que les nuisances sonores aériennes peuvent avoir des incidences sur le métabolisme : « les connaissances disponibles, d'une part, sur le lien entre perturbations chroniques du sommeil et altération du processus de régulation de la glycémie (et des conséquences associées telles que le diabète de type II et l'obésité), et d'autre part sur la perturbation du sommeil induite par le bruit des aéronefs, renforcent les résultats de récentes études documentant des relations entre l'exposition au bruit aérien et des effets métaboliques »6(*).
Sur la base de cette revue des connaissances, l'Anses conclut que des travaux complémentaires pourraient être menés pour « affiner le niveau de preuve » s'agissant des conséquences des nuisances sonores aériennes sur le système cardiovasculaire et d'autres problèmes de santé (cancer du sein, effets métaboliques de type obésité et diabète en particulier). Elle précise cependant que « ces incertitudes ne sont pas bloquantes pour prévenir dès à présent les conséquences indéniables et délétères du bruit aérien sur la santé ».
Compte tenu de l'amélioration des connaissances scientifiques sur les effets sanitaires des nuisances sonores aériennes, l'OMS a d'ailleurs qualifié les lignes directrices relatives au transport aérien de « fortes » dans le cadre de la publication de ses Lignes directrices relatives au bruit de l'environnement en 20187(*) pour l'Europe. Elle recommande à ce titre que l'exposition diurne au bruit émis par les avions ne dépasse pas 45 dB Lden et que l'exposition nocturne ne dépasse pas 40 dB Lden.
La mesure du bruit émis par les aéronefs
Le Lden (l = level, d = day, e = evening, n = night) est un indice de gêne sonore exprimé en décibel (dB(A)) représentant le niveau d'exposition totale au bruit. C'est donc une moyenne des niveaux sonores enregistrés sur une période donnée, souvent annualisée. Cet indicateur est fréquemment utilisé afin de mesurer l'impact du bruit sur la santé et il est l'indice de référence pour la plupart des cartes de bruit en France. Il tient compte du niveau sonore moyen pendant chacune des trois périodes de la journée (le jour, la soirée et la nuit), avec une pondération selon la période de la journée considérée (les niveaux sonores constatés en soirée ou la nuit sont ainsi pénalisés).
D'autres indicateurs sont également employés, de nature plus évènementielle. Ainsi, la valeur LAmax correspond à l'intensité maximale d'un pic de bruit durant le passage d'un avion. Elle peut être utilisée pour construire un autre indicateur : le nombre d'évènements sonores dont l'intensité maximale atteint ou dépasse un certain niveau de bruit (exprimé en France en LAmax) pendant une certaine durée : c'est le NA (Number Above).
Du fait de son impact sur la santé et sur le bien-être des populations, le bruit présente en outre un coût social avéré, que l'Ademe8(*) a modélisé en 2021.
Selon l'étude de l'Ademe, le coût social du bruit en France s'élèverait à environ 147 milliards d'euros par an, dont 97,8 milliards d'euros liés au seul secteur des transports. Si le trafic routier représente la majeure partie de ces coûts (80,6 milliards d'euros), on estime à 6,1 milliards d'euros le coût social imputable au transport aérien.
Ces coûts se composent essentiellement de coûts sanitaires : selon l'Ademe, ils « reflètent la perte de bien-être subie par les personnes exposées au bruit du fait de la gêne, des perturbations du sommeil, des maladies cardiovasculaires, de l'obésité, des troubles de santé mentale et des difficultés d'apprentissage induits, ainsi que la part liée au bruit dans la survenue des infarctus fatals (mortalité prématurée) ».
S'y ajoutent des coûts sanitaires marchands liés au surcroît de la demande de soins causé par les effets du bruit ainsi que des coûts non sanitaires, qui correspondent à la perte de productivité des individus et à la dépréciation immobilière.
2. L'aéroport Nantes Atlantique : un aéroport urbain qui génère des nuisances sonores et environnementales considérables
a) L'impact sonore de l'aéroport de Nantes Atlantique pour les populations riveraines
L'un des arguments à l'origine du projet de Notre-Dame-des-Landes était de mettre fin aux nuisances sonores et environnementales causées par l'aéroport de Nantes Atlantique, qui présente la singularité d'être situé à proximité du centre-ville de Nantes.
Or, la décision d'abandonner le projet de Notre-Dame-des-Landes conduit, de fait, le Gouvernement à chercher à concilier deux impératifs contraires : d'une part, augmenter les capacités de l'aéroport de Nantes Atlantique pour absorber l'essor du trafic aérien dans la région et, d'autre part, répondre à la demande pressante et légitime des populations riveraines de voir les nuisances sonores qu'elles subissent diminuer. Lors de sa déclaration précitée du 8 février 2019, Édouard Philippe avait d'ailleurs déclaré que le développement de l'aéroport de Nantes Atlantique devait avoir lieu en « prenant soin, de façon systématique et attentive, à ce que les riverains ne pâtissent pas de cette évolution ».
L'aéroport est situé en milieu périurbain, sur les communes de Bouguenais et de Saint-Aignan-Grandlieu au sein de la métropole de Nantes, à environ 5 kilomètres de l'île de Nantes. Il résulte de cette situation géographique des difficultés prégnantes en matière d'exposition au bruit des populations riveraines.
Plusieurs documents, ayant des natures et fonctions différentes, permettent d'appréhender les nuisances sonores liées aux aéroports : il s'agit du plan de gêne sonore (PGS), du plan d'exposition au bruit (PEB) et du plan de prévention du bruit dans l'environnement (PPBE).
Présentation des documents visant à appréhender et atténuer les nuisances sonores liées aux aéroports
Le Plan d'exposition au bruit (PEB) est un document d'urbanisme qui encadre l'urbanisation à proximité des aéroports. Il délimite quatre zones (A, B, C et D) à proximité des aéroports en fonction du niveau de gêne sonore qui y est constaté. Dans les zones A et B, les plus touchées par le bruit aérien, les terrains sont en grande majorité inconstructibles. En zone C, certaines constructions peuvent être autorisées sous conditions. Dans la zone D, les nouveaux logements sont autorisés à condition de faire l'objet d'une isolation phonique. Les principes d'urbanisation dans ces différentes zones sont définis à l'article L. 112-10 du code de l'urbanisme.
Le PEB en vigueur à Nantes Atlantique a été approuvé le 17 septembre 2004 : il n'est donc plus adapté à la situation actuelle du trafic aérien. Selon la DGAC, le document est en cours de révision et un nouveau PEB devrait toutefois être approuvé d'ici le milieu de l'année 2025.
Le Plan de gêne sonore (PGS) définit les zones à l'intérieur desquelles les riverains des aéroports sont éligibles à une aide financière à l'insonorisation de leur logement. Il est composé de trois zones : les zones de très forte nuisance, de forte nuisance et de nuisance modérée.
Le PGS en vigueur à Nantes Atlantique a été approuvé le 20 mai 2019, il n'est pas prévu à ce stade de le réviser.
Enfin, le Plan de prévention du bruit dans l'environnement (PPBE) est réalisé afin de limiter l'impact sonore de certaines grandes infrastructures, dont les aéroports. Il prend la forme d'un plan d'actions de prévention des effets du bruit et, si nécessaire, de réduction du niveau de bruit, ainsi que de préservation de zones calmes.
Le PPBE en vigueur à Nantes Atlantique a été approuvé le 24 septembre 2021.
Selon les données transmises par la DGAC, au total, 126 500 habitants seraient aujourd'hui touchés par des nuisances sonores significatives correspondant à des pics de bruit atteignant 65 dB engendrées par l'activité de l'aéroport.
Le PPBE 2020-2024 de l'aéroport de Nantes Atlantique note que les zones les plus touchées par la circulation aérienne sont les quartiers de Couëts à Bouguenais (au nord de la piste), le bourg de Saint-Aignan-Gandlieu (au sud de la piste) ainsi que plusieurs hameaux de ces deux communes et plusieurs quartiers de Rezé et de Nantes.
Selon ce document, à partir de la situation de référence de 2019, 8 570 personnes vivent dans des habitations soumises à un niveau Lden supérieur ou égal à 55 décibels. Parmi ces personnes, 2 820 seraient soumises à une forte gêne. 17 établissements d'enseignement et 8 établissements médico-sociaux sont également situés dans cette zone.
En outre, 1 730 personnes sont soumises à un niveau Lden supérieur ou égal à 50 décibels ; parmi elles, 410 personnes sont affectées par de fortes perturbations du sommeil.
Au-delà de la proximité immédiate de l'aéroport avec la ville de Nantes -- il existe d'autres aéroports en France situés à proximité d'espaces fortement urbanisés, comme celui de Nice -- une part importante des nuisances est liée à l'orientation de la piste dans l'axe sud du centre-ville de Nantes et aux trajectoires utilisées par les aéronefs pour décoller et atterrir.
Le schéma ci-dessous présente les trajectoires des avions à l'aéroport de Nantes Atlantique et leurs flux, en 2022.
Source : éléments transmis par le concessionnaire de l'aéroport de Nantes Atlantique au rapporteur.
Il est fréquent que les aéronefs, au stade du décollage ou de l'atterrissage, survolent le centre-ville de Nantes. En effet, environ un tiers (35 %) des arrivées se font en passant au-dessus de cette zone.
Des mesures ont été prises afin de limiter le survol du centre-ville nantais. De fait, ces dispositifs conduisent à un renforcement des nuisances sonores sur les territoires limitrophes.
Ainsi que cela a été exposé au rapporteur au cours des auditions, les aéronefs qui atterrissent à Nantes Atlantique en arrivant par le nord (et qui passent donc au-dessus de Nantes) adoptent une trajectoire d'atterrissage spécifique décalée de 12 degrés par rapport à l'axe de piste. En fin de manoeuvre, lorsque les pilotes ont la piste dans leur champ de vision, ils effectuent un « virage de dernière minute » pour se remettre dans l'axe de la piste d'atterrissage. Cette manoeuvre empêche la mise en place de trajectoires dites de « descente continue » qui permettent de limiter l'usage des moteurs et, en conséquence, les nuisances sonores au cours des atterrissages.
En outre, cette trajectoire, qui ne peut être appliquée que lorsque la météo est favorable pour des raisons de sécurité, amène de fréquentes « remises de gaz »9(*) lorsque les conditions d'atterrissage ne sont pas réunies. Selon les informations recueillies par le rapporteur, il est déjà arrivé que des aéronefs tentent de se poser à plusieurs reprises sans succès avant d'être déroutés vers un autre aéroport.
b) L'aéroport de Nantes Atlantique : une réelle contrainte urbanistique pour le développement de l'agglomération nantaise
Outre les effets néfastes pour la santé et le bien-être des populations riveraines, les nuisances sonores induites par l'aéroport de Nantes Atlantique ont un impact non négligeable sur les possibilités d'aménagement de l'agglomération de Nantes.
Du fait de la proximité du centre-ville vis-à-vis de l'aéroport, le PEB induit des contraintes urbanistiques fortes et réduit les réserves foncières de la métropole nantaise.
Plan d'exposition au bruit en vigueur autour de Nantes Atlantique
Source : Géoportail
De la zone A à la zone D, les opérations d'aménagement et d'urbanisme sont soumises à des contraintes allant de l'interdiction de la majorité des constructions (zones A et B) à l'autorisation sous conditions de constructions (zone C) et à leur autorisation, sous réserve d'effectuer des travaux d'isolation phonique (zone D). Ces contraintes sont fortes au sein des communes les plus proches de l'aéroport et concernent également une partie de la ville de Nantes.
À ce titre, l'évaluation socio-économique et financière annexée à la déclaration d'utilité publique du projet de Notre-Dame-des-Landes soulignait que le maintien de l'activité de Nantes Atlantique « entraverait l'urbanisation de Nantes bien au-delà de la gare »10(*), c'est-à-dire dans le coeur de ville. Un représentant du Collectif des citoyens exposés au trafic aérien (Coceta) entendu par le rapporteur a d'ailleurs fait part de son interrogation face à un aéroport qui pourrait « se retourner contre son territoire », et cela y compris d'un point de vue économique.
Le PEB actuel date de 2004 et sa mise à jour a été annoncée par le Gouvernement d'ici 2025 : en l'état actuel des choses, et compte tenu de la hausse tendancielle du trafic constatée depuis le début des années 2000, son actualisation impliquera vraisemblablement un renforcement des contraintes d'urbanisme dans l'agglomération nantaise, au bénéfice de la protection des populations exposées au bruit.
c) Des nuisances environnementales mal quantifiées, mais à prendre en considération
Outre les nuisances sonores, l'aéroport de Nantes Atlantique génère des nuisances environnementales. D'une part, les aéronefs émettent des particules fines et ultrafines, en particulier au stade du décollage et de l'atterrissage, mais également lors du roulage et du stationnement. D'autre part, l'activité de l'aéroport a des impacts sur la qualité de l'eau des cours d'eau situés à proximité.
Or, l'aéroport est situé à environ 2,5 kilomètres d'un site naturel remarquable d'intérêt national, le lac de Grand-Lieu : l'extrémité sud de la piste est située au début de la zone d'inondation du lac.
Le lac de Grand-Lieu : un site naturel remarquable à proximité de l'aéroport
Le lac de Grand-Lieu est un lac naturel d'eau douce de très faible profondeur entouré de milieux humides remarquables. Une réserve naturelle nationale a été créée en son sein en 1980. Elle est gérée par la Société nationale de protection de la nature (SNPN) depuis 1985.
La réserve dispose d'une superficie de 2 695 hectares, s'inscrivant au sein du site du lac de Grand-Lieu qui couvre 6 300 hectares. Le lac est alimenté par deux cours d'eau : la Boulogne et l'Ognon. Il déverse ses eaux dans l'Acheneau, qui le relie à l'estuaire de la Loire.
Selon la SNPN, la faible profondeur et les variations des niveaux d'eau entre l'hiver et l'été ont permis la constitution de milieux humides ou aquatiques remarquables sur ce site. Cet acteur indique en effet que « la zone centrale du lac, toujours en eau, abrite ainsi un vaste herbier de nénuphars et autres plantes aquatiques, sans équivalent en France ou en Europe de l'Ouest. En périphérie de la zone centrale, les “roselières boisées” sont constituées d'une mosaïque de milieux marécageux difficilement accessibles à l'homme (aulnaie, saulaie, roselières, pelouses amphibies, vasières) ».
Ce site est reconnu d'intérêt international par la Convention Ramsar et il est pour partie classé en zone Natura 2000, car il constitue une réserve de biodiversité exceptionnelle.
S'agissant de la flore, on y compte plus de 700 espèces parmi lesquelles une cinquantaine sont protégées et/ou inscrites sur « liste rouge » (flore menacée et fortement raréfiée). S'agissant de la faune, le site comporte par exemple une espèce de poisson migratrice particulièrement menacée : l'anguille européenne. Le site abrite surtout une population d'oiseaux exceptionnelle. Plus de quarante espèces d'oiseaux menacées y sont présentes. Il abrite en outre entre 25 000 et 35 000 canards, oies et foulques en hiver. On trouve également au lac de Grand-Lieu le quart des effectifs nicheurs de la spatule blanche au niveau national.
Le rapporteur s'est rendu dans cette réserve, le 8 décembre 2023, afin d'appréhender les potentiels impacts de l'activité de Nantes Atlantique et les enjeux soulevés par la modernisation de la plateforme pour ce site.
Source : site internet de la SNPN - Lac de Grand-Lieu
Si le survol de la réserve est interdit à une altitude inférieure à 300 mètres11(*), cette interdiction ne s'applique pas aux aéronefs décollant ou atterrissant à l'aéroport de Nantes Atlantique.
Selon les informations recueillies par le rapporteur, peu de données à ce jour permettent d'évaluer précisément l'impact du trafic aérien sur la faune du lac. Le gestionnaire de la réserve indique cependant que les oiseaux sont les plus susceptibles d'être impactés par les survols d'aéronefs et les nuisances sonores engendrées. Il précise que si « visuellement, les survols d'avions ne provoquent que peu d'envols de la part des oiseaux stationnant sous les couloirs de vol des avions (canards, mouettes et goélands et grands échassiers), dans certaines circonstances, le bruit causé par les turbulences de sillage provoque des envols généralisés ». Il recommande en tout cas de ne pas modifier substantiellement les trajectoires de survol au-dessus du lac et d'envisager un survol de la réserve à plus haute altitude, avec une pente légèrement plus forte à l'approche de l'aéroport.
L'impact de l'activité de l'aéroport sur la qualité de l'eau du lac semble plus caractérisé. Une partie des eaux de ruissellement émanant de la plateforme aéroportuaire s'écoule en effet vers le lac de Grand-Lieu en passant par un ruisseau qui traverse la commune de Saint-Aignan-Grandlieu. Or, selon le gestionnaire de la Réserve naturelle, aucune mise aux normes de la plateforme - à travers la mise en place d'un système adéquat de traitement des eaux de ruissellement destiné à empêcher la diffusion de polluants au sein du lac - n'a été effectuée. Il a également souligné la « présence significative » de plusieurs polluants (Benzo(a)pyrène, pyrène, anthracène, fluoranthène...), à un niveau si élevé que le lac a été considéré comme étant en mauvais état chimique au regard des attendus de la directive-cadre sur l'eau12(*) à la suite de prélèvements effectués en 201913(*). Si la source de ces polluants n'est pas identifiée de manière précise, faute d'études étayées menées sur le sujet, il est très probable que leur présence a un lien avec l'activité aéroport (survols du lac par des avions et/ou pollution liée aux eaux de ruissellement non traitées provenant de l'aéroport).
En définitive, si le gestionnaire de la réserve estime que les effets de l'activité aéroportuaire sur l'équilibre écologique du lac de Grand-Lieu « paraissent modérés », ce point de vue doit être appréhendé avec prudence et nuance, compte tenu de l'absence d'étude réalisée sur ce sujet.
3. Des réponses insuffisantes apportées par l'État aux riverains touchés par les nuisances sonores
À la suite de l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes, Édouard Philippe, Premier ministre, avait annoncé la mise en oeuvre de mesures destinées à réduire les nuisances sonores que subit la population, à travers l'instauration d'un couvre-feu et de « mesures de compensation exceptionnelles pour les riverains de Nantes Atlantique ». Or, force est de constater que leur mise en place n'a pas été à la hauteur des attentes.
a) Le couvre-feu en programmation des vols à l'aéroport de Nantes : un bilan mitigé
La première des 31 mesures promises par l'État concernant l'aéroport de Nantes Atlantique est la mise en place d'un couvre-feu des vols en programmation.
L' arrêté du 28 septembre 2021 portant restriction d'exploitation de l'aérodrome de Nantes Atlantique, entré en vigueur le 8 avril 2022, met en place ce dispositif. Il prévoit qu'aucun aéronef ne peut atterrir ou quitter le point de stationnement entre minuit et 6 heures en vue d'un décollage. Toutefois, une exception est prévue pour l'atterrissage et le décollage des aéronefs effectuant des vols programmés entre 21 heures et 23 h 30 et qui ont été retardés et des vols programmés entre 6 h 30 et 9 heures et qui ont été anticipés, pour des « raisons indépendantes de la volonté du transporteur ».
Entendues par le rapporteur, les compagnies aériennes ont souligné les progrès réels permis par le couvre-feu. Selon Air France, « toutes compagnies confondues, le nombre de vols entre minuit et 6 h du matin sur la plateforme a déjà été divisé par 6 entre les années 2018-2019 et la période du couvre-feu (1,1 vol par nuit en 2023 en moyenne). Près d'une nuit sur deux (49 %) ne comporte aucun vol entre minuit et 6 h depuis la mise en oeuvre du couvre-feu, alors que cette proportion n'était que de 2 % en 2019 ». Le représentant de Volotea rencontré par le rapporteur a en outre souligné que les compagnies ont rencontré un temps d'adaptation à ce dispositif et que son respect sera mieux assuré en 2023.
Pourtant, au regard des données collectées par le rapporteur, le bilan du couvre-feu apparaît mitigé.
Selon la DGAC, 220 procès-verbaux ont été dressés en 2022 constatant le non-respect du couvre-feu par les compagnies. Avec 43 procès-verbaux dressés pour 10 000 mouvements en moyenne -- la quasi-totalité étant liée au non-respect du couvre-feu -- la plateforme de Nantes Atlantique est celle où est constaté le taux d'infraction à la réglementation environnementale le plus élevé, selon les données transmises par l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires (Acnusa). À titre de comparaison, seule une autre plateforme, celle de Bâle-Mulhouse présente une proportion de procès-verbaux supérieure à 10 pour 10 000 mouvements (24 procès-verbaux constatés en 2022 pour 10 000 vols). À la date du 8 novembre 2023, l'Acnusa constatait déjà 238 procès-verbaux dressés s'agissant de l'aéroport de Nantes Atlantique, un chiffre qui représente les 2/3 du total des infractions constatées par l'autorité à la même date sur l'ensemble du territoire et en prenant en compte l'ensemble des règles environnementales dont elle assure le contrôle.
L'Acnusa considère que de tels manquements ont eu lieu « dans des proportions dépassant celles qui auraient pu être admissibles pour la riveraineté pour une première année, malgré le délai de prévenance entre la publication de ces règles et leur entrée en vigueur », qui a été d'environ six mois.
Il semble que ce nombre élevé d'infractions puisse, en partie, s'expliquer par un « flou juridique » dans la rédaction de l'arrêté, s'agissant de ce que recouvrent les « raisons indépendantes de la volonté du transporteur » permettant de déroger au couvre-feu.
Tant l'Acnusa que les compagnies aériennes soulignent les difficultés d'interprétation posées par cette rédaction. La fédération nationale de l'aviation et de ses métiers (FNAM) a ainsi indiqué au rapporteur : « nous déplorons que l'arrêté ne détaille pas plus ce que l'administration considère comme constituant des raisons indépendantes de la volonté du transporteur, ce qui a permis à l'Acnusa de sanctionner largement les compagnies, quand bien même les vols auraient été retardés pour des raisons hors du contrôle des compagnies aériennes ».
En pratique, l'Acnusa a précisé au rapporteur que son collège chargé de prononcer les amendes cherchait à établir, au cas par cas, « si les conséquences des différents aléas qui ont impacté chaque mouvement litigieux examiné, au point qu'il a été opéré pendant la période de couvre-feu, auraient pu être évitées si le transporteur avait pris toutes les mesures raisonnables qui étaient en son pouvoir pour respecter ce couvre-feu ». Les compagnies semblent toutefois avoir une appréhension plus extensive de la notion de « raisons indépendantes » de leur volonté.
Il résulte de ce conflit d'interprétation un nombre élevé de recours contentieux initiés par les compagnies aériennes à l'encontre des décisions de sanction prononcées par l'Acnusa. Cette situation est en outre source d'incertitude pour tous les acteurs, à commencer par les riverains.
Les représentants du Coceta rencontrés par le rapporteur ont d'ailleurs fait part de leur lassitude concernant le respect insuffisant du couvre-feu. L'Acsan juge quant à elle ce dispositif « insuffisant » et note que « la rédaction de cet arrêté laisse beaucoup trop de possibilités de déroger à l'interdiction ».
b) Les aides à l'insonorisation des logements : un dispositif qui n'est pas à la hauteur des besoins
Lorsqu'il n'est pas possible de limiter les nuisances à la source, l'insonorisation peut être un moyen de limiter leur impact sur la qualité de vie et la santé des riverains. Cette solution a toutefois une limite évidente : elle n'est efficace que lorsque les riverains sont confinés à l'intérieur de leur logement. Ce problème est particulièrement prégnant en été, moment de l'année où le trafic aérien est d'ailleurs le plus important.
L'aide à l'insonorisation est accessible aux riverains dont le logement se situe à l'intérieur du périmètre du plan de gêne sonore (PGS) d'un aéroport. L'accompagnement financier atteint entre 80 % et 100 % du coût des travaux, en fonction des conditions de ressources. Le PGS identifie trois zones éligibles à l'aide à l'insonorisation, la zone I correspondant au périmètre dans lequel la gêne sonore est la plus importante.
Plan de gêne sonore en vigueur à Nantes Atlantique depuis 2019
Source : Géoportail
L'aide à l'insonorisation est financée par le produit de la taxe sur les nuisances sonores aériennes (TNSA), versée par les compagnies aériennes en fonction du nombre de mouvements qu'elles effectuent, de leur horaire et du caractère plus ou moins bruyant des avions au sein de chaque aéroport disposant d'un PGS.
Le tarif de la taxe est fixé de manière différenciée en fonction des aéroports, de façon à être en adéquation avec le coût prévisionnel de l'insonorisation des logements situés au sein du PGS. Ainsi, à Nantes Atlantique, ce tarif était de 10 euros jusqu'au 1er juillet 2019. Cependant, du fait du maintien sur site de l'aéroport, le Gouvernement s'était engagé à en augmenter le montant, qui est aujourd'hui de 27 euros.
En complément de ce dispositif de droit commun, un dispositif spécifique à Nantes Atlantique - dit « aide exceptionnelle à l'insonorisation » - a été mis en place à la suite de l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes : il permet de porter de 80 % à 90 % et de 90 % à 100 %, selon les cas, le taux de prise en charge des travaux d'insonorisation pour les riverains. Ce dispositif est financé par le Fonds de compensation de Nantes Atlantique (FNCA), géré dans le cadre d'un groupement d'intérêt public (GIP) institué le 2 août 2019 et abondé par l'État.
Selon les données transmises par la DGAC, il reste 2 836 locaux à insonoriser autour de la plateforme de Nantes Atlantique. Entre 2009 et 2023, 1 407 locaux ont été insonorisés (620 au titre de l'ancien PGS 2009-2019 et 787 au titre du PGS révisé depuis 2020). En outre, sur les deux premiers quadrimestres de l'année 2023, l'exploitant de l'aérodrome de Nantes Atlantique aurait reçu 114 nouvelles demandes d'aide à l'insonorisation, dont 45 ont été reconnues éligibles après examen.
Cependant, en dépit de ces mesures exceptionnelles, les résultats produits par le dispositif d'aide à l'insonorisation dans l'agglomération nantaise semblent encore insuffisants. En plus d'être imparfait dans son principe (puisqu'il n'a aucun effet sur les nuisances sonores subies à l'extérieur des logements), il n'est pas calibré de manière adéquate pour répondre à l'étendue des besoins.
Premièrement, un montant maximum de prise en charge des travaux d'insonorisation par pièce est prévu, pour chaque zone du PGS. Ces plafonds n'ont d'ailleurs pas été revus depuis 2011, alors même que le coût des travaux d'insonorisation a augmenté d'environ un tiers depuis cette date selon la DGAC. Par conséquent, en dépit des dispositifs existants, les riverains font face à des restes à charge élevés et n'ont d'autre choix, notamment pour les plus précaires, que de renoncer à mener les travaux.
Deuxièmement, l'éligibilité à ces dispositifs d'aide à l'insonorisation apparaît trop étroite. Si un logement a déjà bénéficié de travaux d'insonorisation, même il y a de nombreuses années, il ne peut plus être éligible au dispositif. Or, certains riverains indiquent avoir bénéficié des travaux à une période où les techniques d'insonorisation étaient moins performantes qu'aujourd'hui, les normes applicables moins strictes et le trafic aérien moins intense. Ces personnes se trouvent aujourd'hui dans l'impossibilité de bénéficier d'une aide pour effectuer une mise à niveau de l'isolation sonore de leur logement.
Pour faire face à cet écueil, le Gouvernement a mis en place un dispositif d'aide à la mise aux normes actuelles d'insonorisation. Néanmoins, ce dispositif souffre des mêmes écueils que le dispositif de droit commun, avec une prise en charge des travaux soumise à des plafonds similaires. En outre, ses conditions d'éligibilité apparaissent très restrictives. Seuls sont concernés les biens « dont la construction a été autorisée en zone D du PEB entre le 17 septembre 2004 (date d'entrée en vigueur du PEB) et le 31 décembre 2013 (date d'entrée en vigueur de la nouvelle norme d'insonorisation pour les logements construits dans le périmètre de la zone D du PEB) » et les biens acquis, construits ou ayant fait l'objet d'une extension significative de la surface de plancher entre le 1er janvier 2011 et le 17 janvier 2018.
c) Le droit au délaissement : une mesure trop circonscrite dans sa mise en oeuvre
Le droit au délaissement exceptionnel fait partie des 31 engagements pris par le Gouvernement en 2019 pour compenser l'abandon du projet de Notre-Dame-des-Landes.
Il a été institué par la loi de finances initiale pour 202014(*) et ses conditions d'application ont été précisées par un décret de 202115(*). Entré en vigueur en avril 2021, ce dispositif donne droit, pour une période de cinq ans, aux propriétaires d'un logement exposé à un niveau de bruit d'indice Lden supérieur à 62 décibels, de demander à l'État de racheter leur bien. Un arrêté conjoint des ministres chargés de l'aviation civile et du budget a fixé la liste des parcelles cadastrales situées dans ce périmètre et bénéficiant du droit de délaissement.
Pour être éligible au dispositif, un propriétaire doit remplir les conditions suivantes :
- être propriétaire d'un logement se situant dans la zone de délaissement ;
- avoir procédé à l'achat de sa résidence principale, à la reconstruction de cette dernière ou à l'augmentation significative de sa surface de plancher entre la date de signature du contrat de concession entre l'État et Aéroports du Grand Ouest (décembre 2010) et l'annonce du réaménagement de l'aéroport de Nantes Atlantique (janvier 2018).
Selon la DGAC, 48 unités foncières ont été identifiées comme concernées par le dispositif : 11 sont situées à Bouguenais et 37 à Saint-Aignan-Grandlieu. Depuis 2021, 22 dossiers ont été déposés, dont 17 considérés comme éligibles.
En novembre 2023, l'État avait acquis 10 biens (un à Bouguenais et neuf à Saint-Aignan-Grandlieu), pour un montant total de 3,4 millions d'euros.
La DGAC note que le critère d'antériorité prévu par le dispositif actuel entraîne un sentiment d'iniquité pour de nombreux administrés. Deux dossiers ont été déposés et jugés inéligibles sur la base de ce critère : la DGAC indique que « les élus font part de remontées de leurs administrés qui souhaiteraient bénéficier du dispositif dans la partie la plus exposée de la zone de bruit fort du PEB, mais ne sont pas éligibles car ils ont acquis leurs biens avant le 31 décembre 2010 ».
Ce critère entraîne aussi un mitage du tissu urbain, d'autant plus problématique que l'État n'a pas vocation à conserver ces biens dans son domaine privé, leur gestion représentant des coûts importants. Or, la déconstruction des biens pose des difficultés d'acceptation, en particulier lorsqu'ils sont situés en centre-bourg. À ce stade, sur 17 dossiers jugés éligibles, seuls quatre biens auraient un usage futur identifié : deux biens seront acquis par la commune de Saint-Aignan-Grandlieu (pour y installer un artisan et une maison des adieux), un bien devrait accueillir une activité relative à la petite enfance et, enfin, un bien de la commune de Bouguenais devrait faire l'objet d'une démolition.
* 5 Anses, 2020, Synthèse des connaissances scientifiques concernant les effets sur la santé liés à l'exposition au bruit issu du trafic aérien.
* 6 Idem.
* 7 OMS, Lignes directrices relatives au bruit dans l'environnement dans la région européenne, résumé d'orientation, p. 6.
* 8 Ademe, Le coût social du bruit en France, octobre 2021.
* 9 La procédure de remise de gaz consiste en l'interruption de l'atterrissage d'un avion en approche finale, qui doit alors repartir pour un nouveau tour de piste ou effectuer un déroutement.
* 10 https://www.loire-atlantique.gouv.fr/contenu/telechargement/4966/31728/file/5.pieceF_290906_partie1.pdf
* 11 Décret n° 80-716 du 10 septembre 1980 portant création de la réserve naturelle du lac de Grand-Lieu (Loire-Atlantique).
* 12 Directive n° 2000/60/CE du 23/10/00 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau.
* 13 De nouveaux prélèvements effectués en 2022 ont détecté la présence de polluants, sans toutefois que cela implique, cette fois-ci, un déclassement au regard de la directive-cadre sur l'eau.
* 14 Article L. 6353-3 du code des transports.
* 15 Décret n° 2021-470 du 19 avril 2021 pris pour l'application à l'aérodrome de Nantes-Atlantique des dispositions de l'article L. 6353-3 du code des transports