II. COMMENT SÉCURISER LE RETOUR À LA VIE PROFESSIONNELLE DE L'ÉLU LOCAL ?
A. DIFFUSER UNE CULTURE DE VALORISATION DES COMPÉTENCES ET DES CONNAISSANCES ACQUISES DURANT LE MANDAT
Tout au long de l'exercice de son mandat, l'élu local acquiert des compétences, il enrichit son bagage de connaissances des rouages de l'administration et de divers champs juridiques (aménagement du territoire, finances locales, urbanisme, gestion des ressources humaines...), et développe des savoir-être comme des savoir-faire. Le moment de la réinsertion professionnelle venue, ces acquis représentent autant d'atouts à valoriser dans la recherche d'emploi.
Un des leviers pour valoriser l'expérience des élus locaux consiste en la validation des acquis de l'expérience (VAE) professionnelle. En application de l'article L. 6411-1 du code de l'éducation, les personnes ayant occupé un mandat électoral local ou une fonction élective locale peuvent engager une démarche de VAE pour l'obtention d'un diplôme ou d'un titre à finalité professionnelle, ou pour l'obtention d'un titre ou d'un diplôme délivré au nom de l'État par un établissement d'enseignement supérieur.
En d'autres termes, si la démarche de VAE réussit, elle permet l'acquisition d'un diplôme de même valeur que s'il avait été obtenu par la voie de l'enseignement supérieur ou professionnel. Le candidat doit démontrer que ses acquis correspondent aux aptitudes, aux connaissances et aux compétences du diplôme qu'il souhaite obtenir.
Du point de vue des organismes formateurs et certificateurs que sont les Universités, la VAE s'inscrit dans la logique de formation des élus locaux, mais avec une spécificité. En effet, à la différence des autres formations dispensées aux élus, elle peine à trouver son public. À titre d'exemple, l'Université de Bretagne occidentale (UBO) dispose d'une formation labélisée depuis 2008 à l'attention des élus et elle a déjà offert 9 500 formations, dont 1 700 depuis les dernières élections municipales en 2020. Par contre, depuis 2020, seuls deux élus ont eu recours à la VAE, l'un au niveau Licence, l'autre au niveau Master, les deux étant en cours de mandat et ayant opté pour la filière « Administration publique ». Alors que les élus locaux montrent de l'intérêt à se former en début, ou en cours, de mandat, l'attrait paraît donc s'étioler au fil du temps, pour finir par être quasi inexistant à la fin du mandat.
Les raisons de ce manque d'attrait ne paraissent pas devoir être recherchées dans le coût financier de la VAE. Selon Mme Virginie Roudault-Cadiou, responsable de la formation des élus locaux à l'UBO, le coût d'une VAE s'échelonne dans une fourchette de 1 200 euros à 2 000 euros. Mais il peut être couvert en partie par le recours au droit individuel à la formation (DIF) des élus locaux. Pour permettre l'application du DIF des élus locaux, le ministre chargé des collectivités territoriales fixe par arrêté la valeur des droits individuels à la formation acquis chaque année, le montant maximal des droits de chaque élu et le nombre maximal de participants par session de formation liée à l'exercice du mandat financée. L'arrêté NOR : IOMB2305688A du 27 mars 202313(*) modifiant l'arrêté du 12 juillet 2021 modifié portant diverses mesures applicables au droit individuel à la formation des élus locaux prévoit ainsi que la valeur des droits individuels à la formation acquis chaque année par les élus locaux est fixée à 400 euros et que le montant maximal des droits susceptibles d'être détenus (par report du reliquat de l'année précédente) par chaque élu s'élève à 800 euros.
La formation en vue de la réinsertion professionnelle : le droit individuel à la formation (DIF) des élus locaux La loi n° 2015-366 du 31 mars 2015 visant à faciliter l'exercice par les élus locaux de leur mandat, a instauré un nouveau droit individuel à la formation (DIF) pour les élus locaux à compter du 1er janvier 2016. Ce DIF vise à améliorer la formation des élus locaux, tant dans le cadre de l'exercice de leur mandat qu'en vue de leur réinsertion professionnelle à l'issue de leur mandat. Il est financé par une cotisation obligatoire des élus locaux, due sur leurs indemnités de fonction, dont le taux est fixé à 1 %. Les élus locaux des communes, des départements, des régions, des EPCI et des collectivités territoriales à statut particulier acquièrent, quel que soit le nombre de mandats exercés, 20 heures de formation par année de mandat. Ce droit est mobilisé à la demande de l'élu local dans un délai de six mois à compter de l'échéance du mandat. Les droits acquis par l'élu local dans le cadre du DIF ne sont pas portables au-delà de ce délai. Les formations éligibles au titre du DIF des élus locaux sont délivrées par un organisme agréé par le ministre de l'Intérieur, après avis du Conseil national de la formation des élus locaux. Elles s'inscrivent dans le champ de la réinsertion professionnelle des élus locaux : il s'agit des formations éligibles au titre du compte personnel de formation, mentionnées à l'article L. 6323-6 du code du travail. Les frais pris en charge dans le cadre du DIF des élus locaux sont les frais pédagogiques ainsi que les frais de déplacement et de séjour. En 2022, 14 000 élus locaux ont eu recours au DIF, dont 4 000 en vue d'une reconversion professionnelle. Les thématiques de reconversion se répartissent de la façon suivante1 : · 21 % ont suivi une formation sur la bureautique ; · 15 % ont suivi une formation en langue (principalement anglais) ; · 15 % ont suivi une formation liée à la création d'entreprise ; · 10 % ont réalisé un bilan de compétences ou une VAE ; · 5 % ont passé un permis ; · 34 % autres. 1 Caisse des dépôts et Consignation. https://opendata.caissedesdepots.fr |
Auprès des élus locaux, la VAE souffre plutôt d'un manque d'information sur la nature du diplôme obtenu et la procédure à suivre. En tant que responsable de formation des élus locaux au sein de l'Association Régionale d'information des collectivités territoriales (ARIC Bretagne) et co-président de l'Observatoire National de la Formation des Élus Locaux (ONFEL), Pierre Camus souligne ainsi que « depuis que la VAE existe, les constats sont plutôt décevants : 25 000 personnes en moyenne chaque année. Il y a en la matière un manque de transparence pour accéder aux données précises et repérer précisément les parcours des élus locaux. Surtout que depuis 2019, les élus locaux sont reconnus comme un public pouvant faire légitimement appel à la VAE via notamment leur dispositif DIF élu ».
Tirant les conséquences de ce constat, une Université comme l'UBO, par exemple, a décidé de proposer, à partir de 2025, des présentations de la VAE en s'appuyant sur des informations collectives dédiées aux élus locaux comme aux autres publics. Mme Virginie Dupont, Présidente de l'Université Bretagne Sud (UBS) et Vice-présidente de France Université, relève en outre qu'un travail en amont auprès des réseaux des élus locaux permettrait de mieux cerner les attentes et les besoins des élus locaux, et donc de les satisfaire par une offre de formation adéquate. Dans cette perspective, l'UBO a d'ailleurs signé un partenariat avec l'association des maires du Finistère, qui compte 277 communes et près de 5 300 élus.
S'il faut se féliciter des initiatives prises par une université telle que l'UBO, l'accompagnement des élus pour les aider à réussir leur sortie de mandat recèle un risque d'inégalité. En effet, cet accompagnement peut être le fait d'organismes satisfaisants à la certification Qualiopi, ou pas14(*). Pierre Camus relève ainsi des inégalités géographiques fortes, certains départements (notamment en Île-de-France) étant mieux dotés que d'autres en organismes certifiés Qualiopi. Nonobstant ces écarts objectifs de situation entre les territoires, les élus locaux ont bien évidemment tout intérêt à se tourner vers les organismes présentant le plus haut niveau de garantie quant à la qualité de l'accompagnement et de la formation proposés.
En s'appuyant sur ces constats, vos rapporteurs estiment indispensable d'avoir une action incitative et informative, en direction des élus en fin de mandat, sur le processus de VAE. Le développement de synergies entre le monde des élus locaux (avec au premier rang leurs associations) et l'Université (en tant qu'organisme formateur et certificateur) recèle un fort potentiel pour susciter chez les élus une prise de conscience porteuse d'avenir. À terme, il pourrait en découler un référentiel national et, éventuellement, des passerelles vers d'autres formations (Master des collectivités territoriales, par exemple).
Recommandation n° 5 : renforcement de l'accompagnement dans le processus de validation des acquis de l'expérience (VAE) : - développer des synergies entre le monde des élus locaux (associations, notamment) et l'Université ; - conduire une action informative sur la VAE auprès des élus locaux ; - à terme, élaborer un référentiel national de formation. Délai : avant les prochaines
élections municipales en 2026 Acteur(s) : associations représentantes des élus locaux / Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP) / Ministère de l'Intérieur, DGCL |
Sans entrer dans une démarche aussi lourde et exigeante que la VAE, l'élu local peuvent néanmoins avoir envie et / ou besoin de valoriser les compétences, les aptitudes et les connaissances acquises durant le mandat. Dans cette perspective, il s'agit avant tout d'identifier les compétences, de les répertorier dans un document, et, éventuellement, d'établir des correspondances avec des emplois pour lesquels ces compétences sont requises. Ces pistes ont été présentées dans le rapport de l'Inspection générale de l'administration (IGA) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), « La formation des élus locaux »15(*).
Des pistes d'alternatives plus simples, plus légères et moins chronophages à la VAE Le certificat de compétences professionnelles « Un dispositif similaire à celui mis en place pour les élus syndicaux pourrait être imaginé pour les élus locaux (...) ». « Avec la fusion des institutions représentatives du personnel issue de la réforme du 22 septembre 2017, de nombreux élus syndicaux ont dû envisager un repositionnement professionnel. Pour les accompagner, le ministère chargé de l'emploi a mis en place un dispositif de certification des compétences (...) qui a pour objectif de leur permettre de valoriser les compétences obtenues dans les fonctions électives durant leurs cinq dernières années de mandat ». « Plusieurs certificats de compétences professionnelles ont ainsi été créés et mis en relation avec un titre professionnel du ministère (...). Ils peuvent donc entrer dans un parcours modulaire de reconversion. Pour obtenir un certificat, chaque candidat a été accompagné par l'agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), choisie en raison de son implantation très déconcentrée permettant un accompagnement de proximité (...) ». Le passeport de compétences « Il [s'agit] d'aider des élus locaux à mieux identifier les missions qu'ils ont rempli à l'occasion de leur mandat et à les traduire en compétences : communiquer avec les autres, négocier et gérer la diversité, motiver une équipe, créer un réseau, gérer les conflits, développer un projet, répondre aux préoccupations de populations hétérogènes... (...) le produit final visé [est] la mise en place d'un port-folio numérique dans lequel les acquis de formation et de l'expérience de l'élu [sont] définis, démontrés et stockés en vue de la reconnaissance par un établissement (...) ». |
Source : rapport sur « La formation des élus locaux » (IGA - IGAS - Janvier 2020)
Recommandation n° 6 : création d'un certificat de compétences professionnelles pour les élus locaux. Délai : avant les prochaines élections municipales en 2026 Acteur(s) : Ministère de l'Intérieur, direction générale des collectivités locales (DGCL) |
* 13 Arrêté du 27 mars 2023 modifiant l'arrêté du 12 juillet 2021 modifié portant diverses mesures applicables au droit individuel à la formation des élus locaux
* 14 La loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a créé une obligation de certification pour les dispensateurs de formation souhaitant bénéficier des fonds de la formation professionnelle. Les organismes générant plus de 150 000 euros de chiffres d'affaires annuels sont tenus de se déclarer auprès de la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) pour y être reconnus comme des organismes de formation professionnelle et satisfaire à la certification Qualiopi. Par contre, les organismes générant moins de 150 000 euros échappent à cette condition de certification et peuvent ainsi continuer de proposer des offres de formation ne répondant pas aux mêmes critères.
* 15 Janvier 2020.