II. PLUS DE VINGT ANS APRÈS LEUR PACIFICATION, LE PROCESSUS D'INTÉGRATION DES BALKANS OCCIDENTAUX À L'UNION EUROPÉENNE ET À L'ALLIANCE ATLANTIQUE N'EST PAS ACHEVÉ
A. LA LENTEUR DU PROCESSUS D'ÉLARGISSEMENT DANS LES BALKANS OCCIDENTAUX PORTE ATTEINTE À LA CRÉDIBILITÉ DE LA PERSPECTIVE EUROPÉENNE DES BALKANS OCCIDENTAUX CONSACRÉE AU DÉBUT DES ANNÉES 2000
1. L'adhésion de la Croatie à l'Union européenne en 2013, intervenue après celle de la Slovénie en 2004, a démontré la capacité de l'Union européenne à intégrer d'anciennes républiques yougoslaves
La dissolution du Pacte de Varsovie en juillet 1991 puis la dislocation de l'Union soviétique en décembre 1991 ont entrainé une nouvelle phase dans l'élargissement de l'Union européenne à l'Est du continent.
La Slovénie, ancienne république yougoslave située géographiquement à l'ouest de la péninsule balkanique, a déposé sa demande d'adhésion à l'Union européenne dès le 10 juin 1996, avant la fin des guerres de sécessions yougoslaves des années 1990.
Les réformes engagées par la Slovénie pour respecter les critères dits de Copenhague, relatifs à l'intégration de nouveaux pays à l'Union européenne, permettent à la Slovénie d'être associée au cinquième élargissement de l'Union, conformément aux conclusions du Conseil européen de Copenhague de décembre 2002, en même temps que neuf autres pays majoritairement situés en Europe centrale et orientale dont l'adhésion devient effective le 1er mai 200414(*). En Slovénie, le référendum organisé sur l'adhésion consacre le soutient à l'intégration à l'Union européen et à l'OTAN à hauteur de 90% des suffrages exprimés.
Depuis son adhésion en 2004, la Slovénie a renforcé son intégration au sein de l'Union et elle est membre depuis 2007 de la zone euro et de l'espace Schengen.
En 2007, l'Union européenne s'élargit à la Roumanie et à la Bulgarie qui, sans constituer d'anciennes républiques yougoslaves, ont des liens importants avec pays des Balkans occidentaux du fait de leur proximité géographique immédiate avec cette zone.
Parallèlement à cette intégration rapide de la Slovénie, l'Union européenne engage un long processus d'intégration des pays des Balkans occidentaux désigné par le Conseil européenne de Cologne des 3 et 4 juin 1999 comme processus de stabilisation et d'association (PSA). Le terme de « Balkans occidentaux », utilisé par les institutions de l'Union européenne à partir de 199815(*), recouvre six pays de la zone : Albanie, Bosnie-Herzégovine, Kosovo, Macédoine du Nord, Monténégro et Serbie. La Croatie, initialement intégré au groupe des Balkans occidentaux par l'Union européenne, n'y figure plus depuis son accession au statut d'État membre de l'Union européenne en 2013.
Le Conseil européen de Santa Maria da Feira des 19 et 20 juin 2000 constitue une étape marquante pour le processus d'adhésion avec la consécration à l'unanimité des États membres de l'Union du statut de « candidat potentiel à l'adhésion »16(*) pour les pays des Balkans occidentaux.
Cet engagement est réaffirmé à l'occasion du Conseil européen de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003 dont les conclusions consacrent à nouveau à l'unanimité des pays membres la « perspective européenne des pays des Balkans occidentaux »17(*).
Source : Toute l'Europe (c)
L'Union européenne engage alors avec chacun des pays des Balkans occidentaux un dialogue relatif aux relations bilatérales et à la perspective d'adhésion. Le processus d'intégration à l'Union est placé dès l'origine dans une double conditionnalité, l'Union européenne ajoutant aux critères dits de Copenhague la nécessité pour les États candidats des Balkans occidentaux de coopérer avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), la coopération régionale et la résolution des différends entre les pays des Balkans occidentaux.
Les pays de la zone négocient alors des accords de stabilisation et d'association (ASA) qui entrent tous en vigueur entre 2001 et 2016 : l'accord avec la Macédoine du Nord entrée en vigueur en 2004 a été suivi par les entrées en vigueur des accords avec la Croatie (2005), l'Albanie (2006), le Monténégro (2010), la Serbie (2013), la Bosnie-Herzégovine (2015) et enfin le Kosovo (2016).
Le délai important avant l'entrée en vigueur de l'ensemble de ces accords de stabilisation et d'association (ASA) est notamment lié à des situations de blocages locaux vis-à-vis des conditions posées par l'Union européenne dont notamment la pleine coopération avec le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) pour la Serbie ou la conformité de la loi électorale au principe de non-discrimination dans le cas de la Bosnie-Herzégovine. Dans le cas du Kosovo, l'accord de stabilisation et d'association se limite aux matières en dehors du champ de compétence des États membres pour permettre une ratification par le seul Parlement européen, cinq États membres de l'Union ne reconnaissant par l'indépendance du Kosovo18(*).
La Croatie est le pays de la péninsule balkanique dans lequel le processus de stabilisation et d'association a permis d'aboutir en premier à une pleine intégration à l'Union européenne.
En effet, la Croatie a déposé sa candidature à l'adhésion le 21 mars 2003. Après que le Conseil européen lui a accordé le statut de pays candidat le 18 juin 200419(*), les négociations d'adhésion ont été ouvertes le 3 octobre 2005. Elles se sont achevées par la signature d'un traité d'adhésion le 9 décembre 2011. Après un référendum organisé en janvier 2012 par lequel les citoyens croates se sont prononcé en faveur de l'adhésion à hauteur de 67%, malgré une participation de seulement 44%20(*), la Croatie est devenue membre de l'Union européenne le 1er juillet 2013, soit un peu plus de dix ans après le dépôt de sa candidature.
2. La politique d'élargissement poursuivie par l'Union européenne n'a permis aucune nouvelle adhésion des pays des Balkans occidentaux depuis 2013
Dans le cadre du processus de stabilisation et d'association (PSA) engagé par l'Union européenne, les différents accords de stabilisation et d'association (ASA) négociés par l'Union constituent des accords de libre-échange (ALE) qui octroient un accès préférentiel au marché intérieur de l'Union européenne pour les pays des Balkans occidentaux.
Cette libéralisation du commerce vers et depuis les Balkans occidentaux s'est traduit par un renforcement des liens commerciaux entre les États membres et les pays des Balkans occidentaux : les exportations des Balkans occidentaux vers l'Union ont augmenté de 89% entre 2007 et 2016 tandis que les importations dans les Balkans occidentaux depuis l'Union ont augmenté de 42% pendant la même période.
Pour favoriser l'intégration des pays des Balkans occidentaux dans l'Union, les États membres ont également accordé un régime d'exemption de visa21(*) dans un premier temps à la Macédoine du Nord, au Monténégro et à la Serbie en 2009, puis à l'Albanie et à la Bosnie-Herzégovine en 2010.
Parallèlement à cette stratégie de libéralisation des flux de marchandises et de personnes entre les États membres et la péninsule balkanique, le processus de stabilisation et d'association (PSA) s'est également traduit par d'importants transferts financiers depuis l'Union européenne vers les Balkans occidentaux.
Les premières aides financières sont versées après les guerres de sécessions balkaniques à la fin des années 1990 avec le programme « Obnova » lancé en juillet 1996 qui permet un transfert de 400 M€ entre 1996 et 2000 consacrés à la reconstruction des pays de la zone.
La structuration de l'aide financière de l'Union européenne vers la Balkans occidentaux intervient avec le programme d'assistance communautaire pour la reconstruction, le développement et la stabilité (Community Assistance for Reconstruction, Development and Stability ou CARDS) qui permet un transfert de 4,7 Md€ entre 2000 et 2006.
Le programme CARDS est remplacé à partir de 2007 par un nouvel instrument financier, l'instrument de préadhésion (IAP) qui est doté de 4,5 Md€ d'aide bilatérale entre 2007 et 2013 (IAP I) dans le périmètre des Balkans occidentaux.
Aides financières versées par l'instrument de préadhésion (IPA I) 2007-2013
Source : Commission européenne
Malgré le déploiement du processus de stabilisation et d'association (PSA) par l'Union européenne, la stratégie d'élargissement de l'Union européenne dans les Balkans rencontre des blocages persistants liés notamment à la difficulté d'établir des relations de bons voisinage entre les pays de la zone, et ce malgré la médiation active de l'Union européenne pour régler par la négociation les différends qui régionaux persistants.
À titre d'exemple, la procédure d'adhésion de la Macédoine du Nord est considérablement ralentie par son différend avec la Grèce relatif à la détermination de la dénomination du pays. Alors que la Commission européenne a proposé l'ouverture des négociations d'adhésion dès 2005, le processus est suspendu jusqu'à la conclusion le 17 juin 2018 de l'accord de Prespa entre les premiers ministres Tsipras et Zaev qui consacre l'appellation de Macédoine du Nord.
À l'Ouest de la péninsule, la célébration par le premier ministre albanais Sali Berisha de la « grande Albanie » à l'occasion du centenaire de l'indépendance de l'Albanie en 201222(*) et les déclarations du premier ministre albanais Edi Rama évoquant en juin 2016 affirmant que l'Albanie et le Kosovo sont « un seul pays, un seul peuple » sont un facteur de maintien de la tensions et des rivalités bilatérales en opposition avec la condition d'établissement de relations de bon voisinage posée par les institutions européennes dans le cadre du processus de stabilisation et d'association (PSA).
C'est dans ce contexte que l'Allemagne a favorisé un réengagement de l'Union européenne dans les Balkans par le « processus de Berlin », initié par l'organisation le 28 août 2014 de la conférence de Berlin entre l'Union européenne et les Balkans occidentaux.
Le sommet de Berlin consacre l'engagement des pays des Balkans à favoriser la coopération régionale en s'appuyant sur des projets concrets notamment dans le domaine des transports et de l'énergie. Le sommet de Vienne organisé en août 2015 consacre la mise en place d'un « agenda connectivité » dans les Balkans occidentaux.
Ce nouvel axe de la stratégie européenne dans les Balkans occidentaux est consacré par le sommet de Trieste du 12 juillet 2017 qui fixe une liste de 20 projets prioritaires dans le cadre de « l'agenda connectivité » pour un montant d'investissement total de 1,4 Md€. Il permet également la signature du traité de la communauté des transports qui prévoit la reprise par les pays des Balkans de l'acquis communautaire dans ce domaine.
Le réengagement de l'Union européenne dans les Balkans occidentaux s'appuie également sur la poursuite de l'aide financière avec la phase II (2014-2020) de l'instrument de préadhésion (IPA) qui prévoit des transferts financiers bilatéraux de 3,7 Md€ vers les pays de la zone. Depuis 2021, le financement s'effectue par l'intermédiaire de la phase III (2021-2027) de l'instrument de préadhésion (IPA) qui prévoit des transferts de 9 Md€ de subventions au bénéfice des six pays des Balkans occidentaux.
L'engagement logistique et financier de l'Union européenne auprès des pays des Balkans occidentaux s'est traduit par une forte mobilisation des États membres pour soutenir les pays de la zone au moment de la crise sanitaire liée à l'épidémie de covid-19 à partir du premier trimestre 2020.
L'Union européenne a procédé à de nombreuses livraison de matériels au soutien des pays des Balkans dans l'année qui a suivi le déclenchement de la crise sanitaire dont notamment 716 000 tests ; 2 M de pièces de matériel de protection ; 375 ventilateurs ou encore 160 pièces de matériel de diagnostic.
Les aides versées par l'Union européenne aux pays des Balkans occidentaux dans le cadre de la crise sanitaire se sont traduite par un transfert financier de 3,3 Md€ au bénéfice des pays de la zone.
Exemple de matériel livré par l'Union européenne aux pays des Balkans pendant la crise sanitaire (2020-2021)
Source : www.consilium.europa.eu
Cependant, malgré l'engagement important de l'Union européenne dans le cadre du processus de stabilisation et d'association (PSA), la lenteur du processus d'élargissement dans les Balkans se traduit par l'apparition d'une forme de découragement des populations concernées qui se traduit par un recul du soutien population à l'intégration à l'Union européenne. Selon un sondage réalisé avant le déclenchement de la guerre en Ukraine, seulement 27% de la population serbe déclarait avoir une opinion positive de l'Union européenne23(*).
3. Le déclenchement de la guerre en Ukraine en février 2022 s'est traduit par une accélération du processus d'adhésion concrétisée par l'ouverture des négociations d'adhésion avec l'Albanie et la Macédoine du Nord en juillet 2022
L'agression de la Russie contre l'Ukraine le 24 février 2022 et le conflit de haute intensité à l'Est du continent européen ont eu pour effet d'accélérer la prise de décision de l'Union européenne en matière d'élargissement, ce qui a également eu des conséquences dans les Balkans occidentaux.
En effet, le Conseil européen a accordé dès le 24 juin 2022 le statut de candidat à l'Ukraine, qui avait déposé sa demande officielle de candidature moins de quatre mois auparavant, le 28 février 2022.
Plus largement, le Conseil européen des 23 et 24 juin 2022 a consacré la détermination de l'Union européenne en matière d'élargissement en accordant le statut de candidat à la Moldavie24(*), en consacrant la « perspective européenne » de la Géorgie25(*), ce qui constitue une décision inédite pour un pays situé dans le Caucase, et en consacrant l'objectif « d'accélération du processus d'adhésion » dans les Balkans occidentaux26(*).
Cette orientation affirmée par le Conseil européen a eu des conséquences concrètes à l'été 2022 avec l'ouverture simultanée le 19 juillet 2022 des négociations d'adhésion avec l'Albanie et avec la Macédoine du Nord.
Cette ouverture, longtemps ralentie par l'opposition de la Grèce puis de la Bulgarie, a été permise grâce au compris entre la Bulgarie et la Macédoine du Nord proposé à la fin du premier semestre 2022 par la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE).
La fin de l'année 2022 a également été marquée par deux avancées dans l'intégration des Balkans à l'Union. En premier lieu, le Conseil européen a octroyé le 15 décembre 2022 le statut de candidat à la Bosnie-Herzégovine27(*). En second lieu, le Kosovo a officiellement déposé sa candidature le 15 décembre 2022. La veille, le 14 décembre 2022, le Conseil de l'Union et le Parlement européen sont parvenus à un accord sur l'octroi au Kosovo d'un régime d'exemption de visa au plus tard le 1er janvier 2024.
Parallèlement, l'Union européenne a réaffirmé son soutien aux pays des Balkans occidentaux pour faire face à la crise économique, énergétique et alimentaire provoquée par l'agression russe de l'Ukraine.
Le 6 décembre 2022, le sommet UE-Balkans occidentaux a été organisé pour la première fois dans un pays de la péninsule balkanique, dans la capitale albanaise à Tirana.
Dans la « déclaration de Tirana » adoptée à l'occasion du sommet, les États membres « confirme une nouvelle fois leur attachement total et sans équivoque à la perspective de l'adhésion des Balkans occidentaux à l'Union européenne et appellent à accélérer le processus d'adhésion »28(*).
Le sommet consacre également un renforcement de l'aide financière de l'Union à destination des pays des Balkans pour répondre aux conséquences économiques de l'agression russe en Ukraine. La déclaration prévoit en particulier l'adoption d'un nouveau train de mesures d'investissement, d'un nouveau train de mesures d'aide en matière énergétique et rappelle la décision de l'Union d'ouvrir aux pays des Balkans les achats commun de gaz et d'hydrogène de l'Union.
Sommet UE-Balkans occidentaux du 6 décembre 2022
Source : www.consilium.europa.eu
* 14 Pologne, Hongrie, Tchéquie, Slovaquie, Lituanie, Lettonie, Estonie, Chypre et Malte.
* 15 A. Sainovic, « Le positionnement stratégique des États des Balkans occidentaux face aux puissances extérieures », 30 juillet 2020, IRSEM
* 16 v. conclusions du Conseil européen de Santa Maria da Feira des 19 et 20 juin 2000, paragraphe 67
* 17 v. conclusions du Conseil européen de Thessalonique des 19 et 20 juin 2003, paragraphe 40
* 18 Chypre, Espagne, Grèce, Roumanie, Slovaquie.
* 19 v. conclusions du Conseil européen de Bruxelles des 17 et 18 juin 2004, paragraphe 33
* 20 T. Boutherin, « L'adhésion de la Croatie à l'Union européenne : éléments de réflexion pour une Europe à la croisée des chemins », Fondation Robert Schuman, Question d'Europe n°283, 24 juin 2013
* 21 Les ressortissants des pays concernés sont exemptés de l'obligation de détenir un visa lorsqu'ils traversent la frontière d'un État membre pour un séjour d'au plus 90 jours.
* 22 P. Mirel, « Les Balkans occidentaux : entre stabilisation et intégration à l'Union européenne », Fondation Robert Schuman, Question d'Europe, n°459, 22 janvier 2018
* 23 F. Marciacq, « L'Union européenne et les Balkans occidentaux. Convergences sur fond de rivalités de puissance », Ramses 2022. Au-delà du Covid, Dunod, 2021
* 24 v. conclusions du Conseil européen des 23 et 24 juin 2022, paragraphe 11
* 25 v. conclusions du Conseil européen des 23 et 24 juin 2022, paragraphe 10
* 26 v. conclusions du Conseil européen des 23 et 24 juin 2022, paragraphe 15
* 27 v. conclusions du Conseil européen du 15 décembre 2022, paragraphe 30
* 28 v. déclaration de Tirana, 6 décembre 2022, paragraphe 2