B. CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME ET CONSTITUTIONS NATIONALES
1. Intervention de M. Bertrand Bouyx au nom du groupe ADLE
Madame la Présidente,
Monsieur le rapporteur,
Mes chers collègues,
Lors de la signature de la CEDH à Rome le 4 novembre 1950, et même lors de son entrée en vigueur le 3 septembre 1953, seuls deux États contractants étaient dotés d'une juridiction constitutionnelle, à savoir l'Allemagne et l'Autriche. La CEDH pouvait alors être perçue comme une Cour suprême, gardienne des libertés et de l'État de droit.
Depuis, heureusement, de nombreuses juridictions de ce genre sont apparues, dans la péninsule ibérique dans les années 1970 après la fin des dictatures, et surtout en Europe centrale et orientale dans les années 1990. Sans oublier que certaines juridictions suprêmes jouent un rôle de juge constitutionnel. Parallèlement, nombre de nouvelles Constitutions d'États européens ont intégré des catalogues de droits fondamentaux très complets, allant souvent au-delà des droits et libertés garantis par la Convention. En pareil cas, elles ne se bornent donc pas à organiser les pouvoirs publics et les rapports entre eux et à en fixer les compétences. C'est le cas de la France avec le préambule qui renvoie directement à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
L'imprégnation du droit constitutionnel par les droits de l'homme conduit les cours constitutionnelles et la Cour à oeuvrer dans le même domaine. Et pourtant, les différences entre ces deux types de juridiction ne manquent pas. L'institution ? Nationale dans un cas, internationale dans l'autre. Le cadre ? L'État d'un côté, une organisation internationale -- le Conseil de l'Europe -- rassemblant 46 pays de l'autre. Les textes ? Une Constitution ou Loi fondamentale nationale dans un cas, un traité international dans l'autre. Le contrôle ? De constitutionnalité d'un côté, de conventionnalité de l'autre. Le pouvoir ? Celui d'annuler une loi inconstitutionnelle dans un cas, celui de rendre des arrêts au caractère essentiellement déclaratoire dans l'autre, même si ces arrêts peuvent provoquer une modification de la Constitution. La saisine ? Un recours constitutionnel direct dans certains États, un recours individuel toujours ouvert à quiconque à Strasbourg.
Toutes ces différences conduisent certains à défendre une espèce de chauvinisme juridique. Je le dis, c'est un mauvais procès. C'est un mauvais procès parce que la subsidiarité régit les rapports entre Constitutions et Convention et les relations entre cours constitutionnelles et Cour européenne. Les règles de fond de la Convention ne remplacent pas les normes analogues du droit interne ; au besoin, elles en comblent les lacunes ou en corrigent les défauts. Elles fixent un plancher au-dessous duquel il est interdit aux États de descendre, mais ces derniers peuvent faire plus et mieux, ce qui heureusement arrive souvent. C'est donc un standard minimum que nous avons collectivement décidé de respecter et c'est heureux.
In fine, en dehors du débat un peu chauvin sur la nationalité de la juridiction compétente, les partis qui rejettent le plus la CEDH et ses arrêts sont ceux qui s'apprêtent à descendre au-dessous de ce standard minimum. Pour les défenseurs de droits de l'homme et des valeurs démocratiques, il n'y a aucune espèce de concurrence entre Constitutions nationales et CEDH mais plutôt une complémentarité.
Merci.
2. Intervention de M. Emmanuel Fernandes au nom du groupe GUE
Merci Madame la Présidente.
Monsieur le rapporteur, chers collègues,
Le rapport qui nous est présenté se penche sur une question essentielle et centrale pour l'institution dans laquelle nous siégeons, qui est celle du nécessaire équilibre à entretenir, subtil et précieux, entre la Convention européenne des droits de l'homme et les Constitutions nationales des 46 États membres du Conseil de l'Europe.
Je tiens à saluer ici en la matière l'excellent travail du rapporteur M. George Katrougalos et son rapport de grande qualité.
Ce rapport apporte à toutes et tous un éclairage bienvenu sur ce sujet qui, s'il peut paraître théorique et austère, doit être regardé avec précision, lucidité et esprit de réalisme car il s'agit en quelque sorte d'une cardioscopie d'un système juridique unique au monde, que nous devons préserver. L'ordre juridique intégré en Europe, qui doit permettre de respecter à la fois les principes de subsidiarité et de primauté des droits humains, ne peut laisser place à aucune hiérarchie entre les différentes cours supérieures. Au contraire, il faut soutenir un dialogue constructif entre ces juridictions, même si celui-ci donne parfois lieu à des interprétations conflictuelles sur des cas précis.
Comme le constate avec clairvoyance le rapport qui est présenté à notre Assemblée, il est non seulement impossible mais il n'est pas non plus souhaitable d'empêcher totalement ces contradictions. Il faut au contraire engager des outils qui permettent la compréhension et la résolution de problèmes juridiques précis, plutôt que des attaques contre l'ensemble du système du droit européen, qui tentent de remettre en cause la compétence de la Cour européenne des droits de l'homme.
Le Groupe pour la gauche unitaire européenne soutient donc pleinement le projet de résolution de ce rapport. Ce projet de résolution appelle en effet à des avancées bienvenues pour garantir l'effectivité et la primauté des droits humains dans toute l'Europe, dans le respect des ordres juridiques nationaux et notamment des Constitutions.
Nous soutenons le fait que les États se sont engagés, par leur adhésion à la Convention, à garantir les droits qui y sont inscrits, à s'abstenir d'exacerber les conflits entre les ordres constitutionnels et européens des droits humains et, conformément aux dispositions de la Convention, à exécuter les arrêts et mesures provisoires de la Cour de Strasbourg.
Nous devons maintenant poursuivre, au niveau européen, les efforts pour les droits humains, comme y appelle ce rapport, en mettant en place des outils pour améliorer la compréhension et le respect mutuel entre juridictions, et des mécanismes pour s'assurer que les juridictions nationales appliquent la Convention et tiennent compte de la jurisprudence de la Cour.
Enfin, mon groupe soutient le renforcement et l'approfondissement du réseau des cours supérieures et l'appel à tous les États membres à ratifier le Protocole n° 16 à la Convention et à utiliser ce mécanisme d'avis consultatif pour clarifier le dialogue, éviter les conflits entre cours supérieures.
Chers collègues, malgré les crises qui mettent en péril l'Europe, notre continent est et doit rester celui de la primauté des droits humains, par le droit. Le soutien à l'excellente proposition de rapport et de résolution de M. George Katrougalos est, dans ce but, un pas nécessaire et équilibré pour notre Assemblée.
Je vous remercie.
3. Intervention de M. Jacques Le Nay
Madame la Présidente,
Mes chers collègues,
Je remercie notre collègue M. George KATROUGALOS pour son rapport sur les relations entre la Convention européenne des droits de l'homme et les Constitutions nationales, ainsi que pour son éclairage sur les relations avec la Cour de justice de l'Union européenne.
La Cour européenne des droits de l'homme est la clé de voûte du système de la Convention et contribue puissamment au rayonnement du Conseil de l'Europe, rayonnement qui n'est pas dénué de frictions lorsqu'un arrêt constate une violation de la Convention dans tel ou tel État membre, surtout s'il s'agit d'un sujet sensible. Et c'est souvent le cas, puisque le mécanisme de subsidiarité sur lequel repose le fonctionnement de la Cour conduit à ce que les affaires jugées à Strasbourg soient sensibles par nature.
Nous en faisons tous l'expérience dans nos États membres et nous constatons régulièrement des critiques vis-à-vis de tel ou tel arrêt, voire des remises en cause plus fondamentales du système juridictionnel actuel.
Face à cela, je pense qu'il faut d'abord réaffirmer, sur le plan politique et en termes de défense de valeurs, le sens de l'appartenance au Conseil de l'Europe et le rôle central de la Cour. Il me semble que ce sera l'un des enjeux du sommet.
Mais il faut aussi faire oeuvre de pédagogie et renforcer le dialogue entre la Cour et les cours nationales. C'est en partie le rôle des juges nationaux, qui restent en lien avec les écosystèmes juridiques nationaux et jouent un rôle important d'interface et d'explication de la jurisprudence de la CEDH. J'ai pu le mesurer très directement en dialoguant avec le juge national français.
Je veux également souligner l'intérêt du Protocole n°16, qui permet aux juridictions nationales supérieures, dans le cadre d'une affaire pendante devant elles, d'adresser à la Cour des « demandes d'avis consultatifs sur des questions de principe relatives à l'interprétation ou à l'application des droits et libertés définis par la Convention ou ses protocoles ». Cette voie est tout à fait pertinente. La France a pu l'expérimenter et je ne peux qu'encourager l'ensemble des États parties à la Convention à le ratifier.
Mais nous avons également un rôle à jouer, en tant que parlementaires, pour assumer, expliquer et défendre, le cas échéant, l'architecture conventionnelle.
En adhérant au Conseil de l'Europe, quelles que soient nos Constitutions nationales, nos États membres ont consenti à ce que la Convention devienne un point de référence juridique et ils ont également consenti librement à un contrôle externe, même s'il est parfois délicat, même s'il suscite des débats politiques dans nos États membres. Assumons politiquement ce contrôle dans nos parlements nationaux.
Je vous remercie.