TRAVAUX EN COMMISSION
Examen du rapport en commission (15 février 2023)
M. Jean-François Longeot , président . - Nous en venons désormais au second point de notre ordre du jour, avec l'examen du rapport d'information de notre collègue Guillaume Chevrollier consacré au bilan de la COP15 biodiversité et à l'accord de Kunming à Montréal. Ce rapport fait suite au déplacement d'une délégation de la commission au Canada du 11 au 14 décembre dernier, composée du rapporteur, de Denise Saint-Pé et de Jean-Michel Houllegatte. Je signale que Ronan Dantec a également participé aux travaux de la COP15.
Avant de céder la parole au rapporteur, je souhaite dire combien je suis attaché à la participation de notre commission aux COP climat et biodiversité. Cela permet aux commissaires d'appréhender les dynamiques mondiales qui inspirent les diplomaties climatique et environnementale et d'apprécier, au sein même des enceintes où s'élaborent les grandes orientations mondiales, les mécaniques des accords, les intérêts divergents et les clivages parfois puissants qui peuvent exister entre pays, bien mieux que ne le permet un suivi médiatique de ces questions. La présence d'une délégation sénatoriale est un signal fort de l'intérêt de notre commission pour la protection de la biodiversité et le moyen pour les commissaires d'avoir accès à une information de première main.
Les rencontres sur place avec des parlementaires canadiens, des ONG françaises et internationales, des acteurs africains de la biodiversité au quotidien, mais aussi les négociateurs de l'équipe qui accompagnait le ministre sont autant de moyens d'enrichir les points de vue et l'expertise de notre commission en matière de coopération environnementale.
Le 1 er février dernier, nous avons déjà eu l'occasion de tirer un premier bilan de la COP15 avec la secrétaire d'État chargée de l'écologie, Bérangère Couillard. Il revient désormais à Guillaume Chevrollier de nous présenter son analyse de l'accord de Kunming à Montréal, les dynamiques en faveur de la biodiversité, les enjeux de la déclinaison du cadre mondial à travers la stratégie nationale biodiversité 2030 ainsi que les points de vigilance pour ne pas reproduire l'échec des objectifs d'Aichi.
M. Guillaume Chevrollier , rapporteur . - La commission s'intéresse pour la troisième fois à la 15 e Conférence des Nations unies sur la biodiversité, que certains médias ont présentée comme « la COP de la décennie » ou « de la dernière chance » . L'intérêt que porte notre commission à cet évènement est parfaitement légitime, car l'enjeu est de taille : il ne s'agit de rien de moins que de la définition du nouveau cadre international pour la biodiversité à l'horizon de 2030 pour les 195 États parties à la Convention sur la diversité biologique, c'est-à-dire la nouvelle feuille de route mondiale pour enrayer le déclin de la biodiversité.
Nous avons entendu en novembre dernier Sylvie Lemmet, ambassadrice déléguée chargée de l'environnement, qui nous a dressé un panorama complet des enjeux et des difficultés géopolitiques et sanitaires préalables à la COP15, en mettant l'accent sur la diversité des attentes et des ambitions des pays membres de la Convention sur la diversité biologique, au nombre de 195, auxquels s'ajoute l'Union européenne, le grand absent étant les États-Unis. Au cours de son audition organisée il y a deux semaines, Bérangère Couillard, secrétaire d'État chargée de l'écologie, a présenté le bilan de la COP15 du point de vue du Gouvernement, au regard des ambitions défendues par la France et des stratégies de diplomatie environnementale de notre pays. La conclusion d'un accord ambitieux n'était pas écrite d'avance, mais le rôle moteur de la présidence chinoise, les efforts conjoints du Canada, pays organisateur, et de quelques autres États, dont la France, ont permis l'adoption d'un cadre mondial ambitieux pour la biodiversité. Le crédit de notre pays dans les enceintes multilatérales me paraît renforcé à l'issue de cette séquence ; la France a joué un rôle moteur et fédérateur, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir. Nous avons constaté une forte mobilisation gouvernementale et parlementaire de notre pays, puisqu'il y avait de nombreux ministres et une délégation de chaque chambre. Reste maintenant à renforcer notre crédibilité, en déclinant de manière exemplaire le cadre mondial et les 23 cibles adoptées à Montréal au sein de ses politiques environnementales.
Je vais désormais vous présenter mon analyse de l'accord, des dynamiques catalysées dans l'accord de Kunming à Montréal et des points de vigilance pour que ce cadre ne soit pas un accord de papier et que cet accord fasse l'objet d'une véritable déclinaison au travers des plans et des stratégies nationales en faveur de la biodiversité. Je mettrai l'accent particulièrement sur les enjeux pour la stratégie nationale pour la biodiversité 2030, en cours d'élaboration par le Gouvernement, qui devrait être présentée en mars prochain.
Une délégation de la commission, composée de Denise Saint-Pé, de Jean-Michel Houllegatte et de moi-même, s'est rendue pendant trois jours, du 11 au 14 décembre, au Palais des congrès de Montréal, où avaient lieu les négociations et les évènements annexes. Nous y avons retrouvé notre collègue Ronan Dantec, présent avec son organisation.
Diverses rencontres nous ont permis de mieux comprendre les dynamiques et les forces en présence : nos échanges avec une sénatrice canadienne, une représentante allemande du Bundesamt für Natur - équivalent de l'Office français de la biodiversité -, des organisations non gouvernementales (ONG) canadiennes, l'équipe de négociateurs des ministres Béchu et Couillard, le comité français de l'Union internationale pour la conservation de la nature et le directeur général de l'OFB ont été riches et fructueux. Le temps de notre séjour canadien, nous avons vécu à l'heure de la COP biodiversité, en suivant au jour le jour l'avancée des négociations, les points bloquants, les retournements de situation. Je salue à ce propos l'opiniâtreté des négociateurs et leur volonté d'aboutir.
Le premier constat qui s'impose aux participants à la COP15, c'est l'effervescence des échanges, même si elle est moindre qu'aux COP climat. Le Palais des congrès bruissait de rencontres et d'évènements, la dynamique en faveur de la biodiversité était perceptible, avec une société civile présente et des ONG mobilisées.
La dynamique en faveur de la biodiversité ne va pas de soi, elle est le fruit d'un patient travail de diplomatie environnementale. Depuis la prise de conscience fondatrice du sommet de la Terre à Rio, en 1992 et l'entrée en vigueur de la Convention sur la diversité biologique, l'ambition multilatérale en faveur de la biodiversité n'est pas parvenue à enrayer le déclin préoccupant du vivant.
J'y vois trois raisons principales.
D'abord, la biodiversité a longtemps été éclipsée par le climat : l'urgence à agir dans ce domaine, pourtant à l'origine de toute forme de vie, n'a jusqu'à récemment pas été ressentie avec la même acuité. La prise de conscience de la nécessaire convergence de l'action en faveur du climat et de la biodiversité est récente. Chaque fois que l'on recrée de la biodiversité, on apporte une solution au changement climatique, car des boucles de rétroaction existent entre le changement climatique et l'extinction de la biodiversité : la hausse des températures a globalement un effet négatif sur la biodiversité et les écosystèmes et le mauvais état des écosystèmes terrestres, forestiers et océaniques réduit leur capacité à freiner les effets du changement climatique.
Ensuite, la communauté scientifique n'a pas été en mesure d'élaborer un indicateur pour favoriser la prise de conscience des menaces pesant sur la biodiversité : du point de vue de l'expérience humaine, le déclin de la biodiversité est invisible et silencieux, il ne peut s'appréhender que de manière médiate, à travers des indicateurs. Contrairement au réchauffement du climat, dont la prise de conscience est facilitée par la hausse des températures, désormais perceptible par tous, et par l'indicateur « tonne équivalent carbone », l'érosion de la biodiversité, plus difficile à appréhender, est systématiquement sous-estimée, alors qu'elle est essentielle pour le bien-être de l'homme, la santé de la planète et la prospérité économique. Les États ont en outre été impuissants à valoriser les externalités naturelles positives.
Enfin, la biodiversité a longtemps constitué le parent pauvre des politiques publiques : si la prise de conscience législative des enjeux de la protection de la nature et de la biodiversité date d'il y a presque cinquante ans, l'action publique et les résultats obtenus restent largement perfectibles. Les effets des politiques environnementales sont parfois amoindris par les arbitrages et les conciliations qui sont au fondement même des politiques publiques. La poursuite simultanée des objectifs économiques, sociaux et environnementaux n'est pas chose aisée.
Avant le cadre élaboré à Montréal, la COP10, qui s'est tenue à Nagoya au Japon en 2010, avait déjà construit un cadre mondial ambitieux, articulé autour des 20 objectifs d'Aichi, afin de guider les efforts internationaux et nationaux de lutte contre la perte de biodiversité. Mais aucun de ces objectifs n'a été atteint. Cet échec était prévisible : la feuille de route était irréaliste, les indicateurs extrêmement ambitieux et non chiffrés, aucun mécanisme de suivi n'avait été prévu et le cadre était difficilement transposable par les États. La dynamique en faveur de la biodiversité s'est corrodée, les moyens financiers ont été insuffisants et l'action des États n'a pas été suffisamment volontariste. Les négociateurs avaient oublié que les engagements de ce type ne sont que des promesses qui doivent être régulièrement rappelées aux États qui les font...
Toutefois, même si l'on peut parler de « décennie perdue », cet échec n'aura pas été vain, car il a permis d'initier une démarche d'évaluation, afin de dégager des axes d'amélioration, les erreurs à ne pas commettre et les lacunes du cadre mondial antérieur. La COP15 bénéficiait ainsi d'un retour d'expérience, faisant office de guide méthodologique.
La COP15 s'est inscrite dans cette volonté d'amélioration. Le contexte sanitaire en a compliqué l'organisation, qui a pris deux années de retard : le cadre décennal doit être mis en oeuvre en huit ans, ce qui renforce le défi qui se présente aux États et aux acteurs de la protection de la biodiversité.
L'accord de Kunming à Montréal s'appuie sur une indéniable ambition, en visant un élan transformateur en faveur de la biodiversité. Son adoption a été largement saluée, les 23 cibles s'articulent autour des principaux facteurs d'érosion de la biodiversité et un cadre de suivi a été élaboré pour un pilotage plus fin des trajectoires. Le cadre s'appuie sur une vision pour 2050, pour parvenir à un monde de vie en harmonie avec la nature avec quatre grands objectifs : l'augmentation surfacique des écosystèmes naturels, la gestion et l'utilisation durables de la biodiversité avec la restauration des écosystèmes, le partage des avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques et la mobilisation de moyens financiers et humains de mise en oeuvre adéquats.
Le cadre pour 2030 ambitionne quant à lui de mettre fin à la perte de biodiversité au travers de 23 cibles mondiales, dont les plus emblématiques consistent en la protection de 30 % des terres et des mers et la protection des écosystèmes - cibles 2 et 3 -, la diminution du taux et du risque d'extinction des espèces - cible 4 -, la réduction de moitié du risque global lié aux pesticides et la réduction de la pollution plastique - cible 7 -, l'augmentation des pratiques agroécologiques - cible 10 -, l'augmentation des flux financiers en faveur de la biodiversité avec au moins 20 milliards de dollars par an de financement Nord-Sud d'ici à 2025 et au moins 30 milliards d'ici à 2030, tout en réformant les subventions néfastes à la biodiversité ainsi qu'une incitation pour les entreprises de faire connaître leurs impacts et leurs dépendances en matière de biodiversité - cibles 18 et 19.
Au regard des ambitions défendues par la France, l'accord de Kunming à Montréal constitue un indéniable succès. Les regrets sont relativement limités du côté de la secrétaire d'État : l'absence de cibles chiffrées d'ici à 2050, les insuffisances du cadre pour protéger les espèces menacées, le versement des financements internationaux pour la biodiversité via le fonds pour l'environnement mondial et non un fonds spécifique. Mais ce ne sont que des motifs mineurs, le cadre offrant une armature robuste pour l'action internationale en faveur de la biodiversité.
Ce cadre appelle néanmoins de ma part trois points de vigilance principaux.
En premier lieu, son succès dépendra du bon vouloir des États : la logique de mise en oeuvre du cadre repose sur la subsidiarité, décentralisée au niveau national, ce qui donne aux États le choix des instruments et des moyens d'action, mais complexifie les mécanismes d'évaluation et de mise en oeuvre du cadre. L'accord est en effet non contraignant ; il suppose par conséquent des mécanismes de responsabilité et de transparence. Car si l'action des États ne s'approche pas suffisamment des cibles, le cadre ne prévoit pas de mécanisme spécifique pour rectifier les trajectoires et rehausser les ambitions. Le mécanisme de suivi prévu, fondé sur des indicateurs, permet d'évaluer les progrès et les correctifs à apporter, mais avec des délais incompressibles de déclinaison nationale.
En second lieu, le succès de l'accord dépend aussi des moyens financiers et humains consacrés à la biodiversité : cette problématique a constitué un axe fort des négociations, tant l'enjeu est majeur. D'importants moyens financiers sont en effet essentiels pour la bonne gestion des aires protégées, la restauration de la nature et le bon fonctionnement des écosystèmes, les plans d'actions pour protéger les espèces menacées, le renforcement de la protection judiciaire de l'environnement et des moyens de contrôle des atteintes à la biodiversité, le soutien aux transformations agricoles, la mise en oeuvre de nouvelles normes comptables, les plans de lutte contre les espèces exotiques envahissantes, la solidarité internationale en faveur des pays en développement, etc. ; l'inventaire pourrait être encore plus long... À cela s'ajoute la nécessité de mieux orienter les dépenses publiques en faveur de la biodiversité. Selon l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), à l'échelle mondiale, les pouvoirs publics consacrent environ 500 milliards de dollars par an à des actions de soutien susceptibles de nuire à la biodiversité, soit cinq à six fois plus que la totalité des dépenses en sa faveur. L'enjeu est de taille...
En troisième lieu, le succès du cadre dépendra enfin de la cohérence des politiques publiques : il me paraît nécessaire de veiller à ce que les effets des politiques environnementales ne soient pas neutralisés par des politiques agricoles, industrielles ou économiques qui nuisent à la biodiversité. « La biodiversité dans toutes les politiques » ne doit pas être une formule creuse mais un principe d'action publique, dès la conception des politiques publiques. Si le cadre d'action des États n'est pas cohérent, complémentaire et coopératif, l'accord de Montréal connaîtra le même sort que les objectifs d'Aichi.
En définitive, l'accord de Kunming à Montréal me paraît constituer un ensemble de possibles, un cap et une boussole dont les États doivent s'emparer, dans le cadre d'une mise en oeuvre qui tient compte des enjeux institutionnels, économiques et sociaux propres à chaque État. Le succès dépendra également de l'accompagnement scientifique et de l'évaluation des mesures en faveur de la biodiversité, car on ne protège bien que ce que l'on connaît bien ; le défi de la transmission de la connaissance est donc un enjeu important. Ce nouveau cadre mondial fournit l'ensemble des outils, des approches et des indicateurs pour inverser les courbes en matière de biodiversité, mais il ne sera véritablement transformateur que si les États le font vivre, à travers leurs politiques publiques, leurs financements et en veillant aux incidences environnementales de chaque décision. Il faudra une mobilisation de l'État et des collectivités territoriales, car la biodiversité est un pari mutuel que nous devons collectivement gagner, parlementaires, élus locaux et ensemble des citoyens.
M. Jean-Michel Houllegatte . - Ce déplacement nous a permis de mieux comprendre le fonctionnement des « boîtes noires » que sont les COP et les liens qu'entretiennent les acteurs institutionnels avec les ONG. Le fonds vert comporte des mesures d'accompagnement de la stratégie nationale de la biodiversité, avec la protection des espèces, la conservation et la restauration des espèces menacées, la lutte contre les espèces exotiques et la pollution plastique ou encore les restaurations écologiques. Ce fonds comporte un volet important d'accompagnement de la biodiversité. Les collectivités doivent donc s'en saisir, dans la dynamique de la COP15, car les actions locales seront déterminantes.
M. Ronan Dantec . - J'étais présent pour mon ONG Climate Chance, qui présentait une initiative mondiale.
Cette COP a intégré plus clairement la question de l'effondrement de la biodiversité au sein de l'« agenda » international comme une vraie priorité. C'est un peu le pendant du sommet de Copenhague pour la biodiversité, mais avec un résultat plus positif, car la biodiversité restera « en haut de l'agenda ». On n'a tenu aucun des objectifs d'Aichi, donc rien ne dit que l'on tiendra ces objectifs, qui sont ambitieux. C'est une petite COP par rapport aux COP climat, c'est un petit monde, dans lequel les ONG de protection de l'environnement occupent une place importante. La France est un État moteur : elle a envoyé quatre ministres ! Cela crée une dynamique.
Sur les financements entre Nord et Sud, attendons de voir. Il faudra vérifier qui paie, comme l'a dit Bérangère Couillard...
Je souhaite enfin partager mon sentiment à la suite d'un échange extrêmement intéressant avec les ONG environnementales québécoises. Les choses fonctionnent différemment au Québec. Ici, nous sommes dans l'affrontement ; là-bas, la priorité est à la recherche permanente du compromis. Les ONG ne sont pas moins ambitieuses ni moins actives que les nôtres, mais le Gouvernement fédéral paie des ONG pour trouver des médiateurs et des compromis. C'est comme si Laurent Wauquiez, par exemple, payait Greenpeace pour trouver des compromis. Et ils trouvent de vrais compromis ! Cela m'a beaucoup plu.
M. Jean-François Longeot , président . - La culture du compromis et du consensus en France pourrait faire l'objet de longs développements philosophiques...
La commission adopte à l'unanimité le rapport d'information ainsi que ses recommandations et en autorise la publication.
Audition de Mme Bérangère Couillard,
secrétaire
d'État auprès du ministre de la transition écologique et
de la cohésion des territoires, chargée de
l'écologie
(1er février 2023)30
(
*
)
M. Jean-François Longeot , président . - Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, après une matinée consacrée à la manière dont la science permet de mieux appréhender la complexité de la biodiversité, à travers les exemples concrets du déclin des insectes et des effets de la pollution lumineuse, l'audition de cet après-midi offre l'occasion d'envisager les actions politiques et les moyens financiers à mettre en oeuvre pour enrayer son déclin. Connaître avant d'agir : notre séquence du jour, en deux actes, est à mes yeux l'illustration d'un sain principe qui devrait fonder l'ensemble des politiques publiques.
Malgré les multiples reports de date, les difficultés de négociation dans un contexte pandémique, les disparités d'ambition entre les pays, le contexte géopolitique peu porteur a priori pour l'environnement, la COP15 sur la biodiversité s'est achevée, le 19 décembre dernier, par un accord que nombre d'observateurs s'accordent à qualifier d'« historique ». Madame la secrétaire d'État, comment en est-on arrivé là ? Un parcours semé d'embûches, une présidence chinoise que l'on qualifiait pudiquement de « distante », une crise énergétique et un contexte inflationniste qui ne prédisposaient pas les États à la générosité multilatérale : les augures étaient loin d'être favorables à ce que 195 pays, avec leur agenda politique propre, leurs dynamiques internes et des sensibilités citoyennes à la biodiversité très contrastées, parviennent à élaborer un cadre mondial commun pour enrayer le déclin de la biodiversité. Pourtant, ce fut le cas : l'accord de Kunming-Montréal est devenu la feuille de route et le guide méthodologique des pays désireux de lutter contre l'érosion de la biodiversité et d'enrayer les dynamiques délétères qui pèsent sur les écosystèmes, pour « forger un pacte de paix avec la nature », comme l'a joliment formulé le secrétaire général des Nations unies en ouverture des travaux de la COP15.
Madame la ministre, vous avez participé aux négociations à Montréal aux côtés de Christophe Béchu et de l'ambassadrice chargée de l'environnement, Sylvie Lemmet. Une délégation de notre commission, composée de Guillaume Chevrollier, Denise Saint-Pé, Jean-Michel Houllegatte et Ronan Dantec, en qualité d'observateurs, s'est également rendue sur le site de la COP15, quelques jours avant la conclusion de l'accord. Nos collègues m'ont indiqué que les négociations avaient été ardues, avec de puissants clivages Nord-Sud, notamment sur le montant des engagements financiers à mobiliser. Les positions au 14 décembre, juste avant que ne commence le segment de haut niveau, n'étaient pas alignées sur la quantification des objectifs et les 23 cibles faisaient l'objet d'âpres débats sémantiques : pour parler le langage COP, il restait un nombre désespérant de termes « entre crochets » dans la version de travail des négociateurs. Il fallait faire preuve d'une bonne dose d'optimisme pour entrevoir un accord quatre jours avant la clôture de la COP15. Il restait encore à convaincre de nombreux États intransigeants, et la ligne de crête des pays à haut niveau d'ambition était très périlleuse. Pourtant, en dépit de toutes ces chausse-trappes, la biodiversité a réussi à fédérer.
Une dynamique nouvelle s'est enclenchée, mais il revient désormais à chaque État de prendre sa part à l'effort collectif. Les mécanismes propres à la biodiversité s'appréhendent plus difficilement et les causes de son déclin sont multifactorielles. Les pressions qui pèsent sur le vivant et les écosystèmes sont très variées. Je rappelle les cinq causes majeures du déclin de la biodiversité : le changement d'usage des terres et de la mer, la surexploitation des ressources, le changement climatique, les pollutions et les espèces exotiques envahissantes. Les relations croisées entre ces différents facteurs sont difficilement discernables, même pour les scientifiques. Un effort de pédagogie en direction du politique et des citoyens doit impérativement être accompli pour rassembler la société autour de l'objectif de préservation de la biodiversité, sur le modèle de la prise de conscience qui a déjà eu lieu pour le climat. Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires ne chômera pas ces prochaines années.
Madame la secrétaire d'État, notre commission vous a invitée pour une séquence assez inhabituelle : nous souhaitons que vous nous donniez des raisons d'espérer. L'espoir tient une place trop réduite dans les assemblées parlementaires : je compte sur cette audition pour le réhabiliter, le temps d'un échange avec vous.
Pour cela, je vous propose d'articuler votre propos en trois temps : d'abord en nous révélant le dessous des cartes et la façon dont la COP15, contre toute attente, est parvenue à cet accord ; ensuite, en nous présentant votre méthode et la façon dont vous comptez décliner les cibles mondiales à l'échelle nationale pour inverser la tendance ; enfin - c'est le nerf de la guerre -, en nous exposant comment vous comptez financer les nouvelles mesures nécessaires à la reconquête de la biodiversité dans nos territoires. Une étude de novembre 2022, réalisée par l'inspection générale des finances (IGF) et l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd), a mis en évidence que « les politiques de biodiversité mobilisent des financements morcelés qui restent limités. » Au regard des objectifs adoptés à Montréal, les besoins de financement complémentaire sont estimés, pour l'État et ses opérateurs, à 619 millions d'euros en 2023 et jusqu'à 890 millions d'euros en 2027. Ces montants sont loin d'être négligeables, surtout quand l'on considère que le programme 113 « Paysages, eau et biodiversité », si bien présenté par notre collègue Guillaume Chevrollier dans son avis budgétaire, n'est doté que de 275 millions d'euros. Je vous pose donc la question qui nous taraude tous ici : envisagez-vous avec Bercy une réforme de la fiscalité pour « en même temps » accroître les moyens dédiés à la biodiversité et réduire les dépenses fiscales défavorables à la fiscalité ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée de l'écologie . - Je suis très heureuse de pouvoir aborder avec vous les victoires remportées au terme de la COP15. La couverture médiatique fut bonne, mais elle n'est jamais suffisante quand il est question de l'effondrement de la biodiversité. La France a porté et obtenu des engagements historiques et concrets auprès de tous les pays du monde. À Montréal, j'ai défendu l'ambition forte du Gouvernement en faveur d'un cadre mondial pour la biodiversité. En parallèle des négociations, de nombreuses rencontres ont permis de débloquer politiquement certains points de crispation et de rassurer les pays en développement (PED) sur la volonté des pays développés de les accompagner de façon pérenne.
Ce cadre identifie 23 cibles d'application à l'horizon de 2030, afin d'atteindre quatre objectifs pour 2050 : protection de la biodiversité, gestion durable des ressources, utilisation des ressources génétiques et mise en oeuvre équitable. Cet accord historique repose sur une ambition réelle, avec des objectifs quantifiés et précis : la restauration de 30 % des écosystèmes terrestres et marins dégradés d'ici à 2030, la protection de 30 % des terres et des mers en 2030, la fin de l'extinction d'origine humaine d'espèces menacées, la réduction de moitié du risque global lié aux pesticides, aux produits chimiques ainsi qu'à l'excès de nutriments perdus dans l'environnement, l'augmentation des pratiques de gestion durable des superficies consacrées à l'agriculture, l'aquaculture, la pêche et la sylviculture, ainsi que l'obligation de prendre des mesures pour inciter les entreprises à effectuer un contrôle, en toute transparence, sur leurs activités et dépendances vis-à-vis de la biodiversité.
D'un point de vue financier, la réduction des subventions aux activités néfastes, à hauteur de 500 milliards de dollars par an d'ici à 2030, est une avancée notable. Cet engagement était attendu de longue date par les ONG et les acteurs écologistes. Je suis très fière que nous l'ayons obtenu au cours de cette COP15.
Les ressources financières liées à la biodiversité devront être augmentées de 200 milliards de dollars par an, toutes sources confondues. Les flux financiers depuis les pays développés vers les PED devront atteindre 20 milliards de dollars en 2025 et 30 milliards en 2030. La France a souhaité ne pas créer de nouveau fonds ad hoc et conforter le fonds pour l'environnement mondial (FEM) comme outil multilatéral de financement de la biodiversité. Un nouveau mécanisme sera créé dès 2023, hébergé par le FEM, pour mobiliser des financements privés.
À la COP16, nous étudierons très sérieusement l'opportunité de créer un outil supplémentaire dédié à la biodiversité.
Je partage une autre fierté avec vous : au niveau de l'engagement financier des États donateurs, la France a joué le rôle de mobilisateur, dans la lignée de son engagement qui consiste à doubler les financements de l'Agence française de développement (AFD) pour la protection de la biodiversité d'ici à 2025. Une déclaration a été signée avec 11 pays. L'appréciation des ONG est positive, car cet engagement est un marqueur important de notre réussite.
Nous avons aussi des regrets. Nous n'avons pas défini de cible chiffrée pour nos objectifs d'ici à 2050 et n'avons pas fait assez preuve d'ambition pour protéger les espèces en danger. L'accord n'est pas assez contraignant sur quelques points : il n'y a aucun mécanisme pour relever les ambitions des pays qui n'atteignent pas leurs objectifs et il manque un dispositif de redevabilité des États.
Sur le plan financier, je regrette que la stratégie de mobilisation des ressources n'ait pu être actée qu'au prix de la création d'un fonds dédié au sein du FEM, et non via un fonds dédié.
Enfin, les engagements sur les pesticides sont, certes, un succès inespéré, mais j'aurais souhaité que l'objectif de 50 % de réduction porte aussi sur les usages, et non seulement sur les risques.
La presse a qualifié l'accord d'« historique ». Nous étions conscients des obstacles devant nous. La présidence chinoise a finalement su jouer son rôle, pour trouver un équilibre qui réponde aux attentes des pays du Nord et du Sud.
Il faut profiter de la dynamique pour conclure le traité sur la biodiversité en haute mer. Il doit en aller de même pour les autres échéances internationales : One Forest Summit , en mars, et prochaine session de négociations sur le traité international sur les pollutions plastiques, à Paris, en mai. L'Union européenne a pris de l'avance, grâce au règlement sur la déforestation, récemment voté, qui produira des effets très concrets sur la biodiversité.
La COP15 a permis de diffuser un message d'ambition sur la pollution plastique. En tant que pays hôte de la prochaine session de négociation, la France se devait de mobiliser les parties prenantes, et j'ai porté les ambitions du Gouvernement en la matière. Le plus dur commence : nous devrons être attentifs à ce que tous les pays respectent leurs engagements.
M. Guillaume Chevrollier . - L'accord trouvé à Montréal en faveur de la biodiversité est historique : il est la preuve d'une prise de conscience internationale de l'urgence à agir, de la nécessité d'y consacrer des moyens financiers nouveaux et de l'importance de l'articulation entre le cadre mondial et les mesures déclinées au niveau local.
La quasi-totalité des pays, à l'exception notable des États-Unis, est parvenue à fixer un cap pour la biodiversité et sa préservation, à s'entendre sur des outils d'évaluation des mesures environnementales et à mettre en oeuvre des instruments financiers nouveaux et des mécanismes de solidarité Nord-Sud. Le défi était grand, nos rencontres sur le site de la COP15 nous l'ont assez prouvé.
Aujourd'hui, il vous revient, avec Christophe Béchu, la tâche de décliner les 23 cibles de l'accord de Montréal. Espérons que les choses aillent mieux que pour les 20 objectifs d'Aichi décidés en 2010 : en effet, aucun n'a été atteint.
J'aimerais vous interroger sur votre méthode : quelle déclinaison territoriale comptez-vous mettre en oeuvre ? Comment associerez-vous les élus locaux à la nouvelle stratégie nationale biodiversité 2030 ? Les solutions de protection de la nature et de la biodiversité sont bien souvent complexes à élaborer. Comment accompagner au mieux les territoires peu dotés en ingénierie ? Le fonds vert sera-t-il mobilisé pour la biodiversité au-delà des montants qui lui sont actuellement réservés ? Ce fonds vert vient d'être ouvert, les attentes des collectivités sont grandes.
Ma deuxième question porte sur le lien entre nos politiques nationales et le projet de règlement européen sur la restauration de la nature, dont l'ambition est de positionner l'Union européenne aux avant-postes du combat pour la préservation de la biodiversité.
Les discussions sont en cours au Parlement européen ; les modalités de mise en oeuvre des mesures proposées sont donc encore sujettes à modification. L'objectif général est de restaurer au moins 20 % des zones terrestres et marines dégradées de l'Union européenne d'ici à 2030. Notre pays devra prendre sa part à cet effort collectif européen, en zone métropolitaine comme en outre-mer. Quels sont les surfaces et les montants en jeu pour la France ? Quel est le pourcentage du territoire couvert par des écosystèmes dégradés ?
La stratégie nationale biodiversité 2030, la restauration des écosystèmes et l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) nécessiteront de changer d'échelle et d'accroître substantiellement les efforts financiers. Comment comptez-vous y parvenir, dans un contexte de renchérissement du coût de l'emprunt pour l'État français ? Comptez-vous faire appel à la grande inventivité fiscale de Bercy ? Ou bien comptez-vous sur le renforcement des solutions fondées sur le principe pollueur-payeur et la mise à contribution des acteurs dont les activités sont néfastes à la biodiversité ?
Vous avez évoqué les centaines de milliards de dollars nécessaires pour la protection de la biodiversité ; nous attendons aussi une déclinaison pour notre pays.
M. Ronan Dantec . - Cet accord n'était pas gagné : les inquiétudes étaient grandes et les négociations internationales ne permettaient pas d'être optimiste. L'accord est donc relativement dynamique, même si nous attendons des résultats plutôt que des objectifs -voyez ce qu'il en est des objectifs d'Aichi.
Les financements sont essentiels pour atteindre les objectifs. La restauration des terres va coûter un « pognon de dingue ». Aujourd'hui, l'argent n'est pas sur la table. La France a eu raison de se battre contre la création d'un fonds spécifique ; les ONG ont été sévères à son égard, au mépris de la bonne hiérarchisation des enjeux. Utiliser le FEM est pertinent, tout comme la convergence avec le fonds vert.
Vous avez cité le One Forest Summit , qui aura lieu dans quatre semaines, mais pas le sommet sur le financement, qui aura lieu en juin à Paris, et que le Président de la République a annoncé - nous allons essayer d'organiser un événement parlementaire international, au Sénat, dans ce cadre.
Quelle position la France va-t-elle défendre ? Ce n'est pas très clair. Les 25 milliards d'euros attendus ne vont pas tomber du ciel. Les fonds de compensation climat représentent beaucoup d'argent, mais sont souvent l'objet de greenwashing , comme l'a montré le rapport sévère du Guardian . Il nous faut une idée plus précise de la manière dont la France va structurer les débats sur les financements, en ayant conscience que les délais sont très courts.
Mme Denise Saint-Pé . - Quelle fut la séquence diplomatique qui a précédé l'accord ? Avec la délégation, à Montréal, l'optimisme n'était pas au rendez-vous ; comment expliquez-vous l'heureux dénouement ? Quels furent les rôles respectifs de la présidence chinoise et des négociateurs, quels compromis sémantiques et quantitatifs ont été obtenus et quelles furent les priorités du ministère ?
Le mécanisme de solidarité financière Nord-Sud est au centre de la question des moyens. La trajectoire affichée est ambitieuse, avec la mobilisation de 30 milliards de dollars d'ici à 2030 de la part des pays développés au bénéfice des PED. Les montants alloués transiteront par une enveloppe spécifique du FEM. La France va doubler ses financements internationaux, à hauteur de 1 milliard d'euros par an d'ici à 2025. Quel mécanisme prévoyez-vous pour contrôler la bonne utilisation des fonds, qui doivent servir des projets structurants, notamment au regard des montants très importants ?
La cible 7 vise la réduction de moitié des risques globaux liés aux pesticides et produits chimiques hautement dangereux. Nous souscrivons à un tel objectif, mais il est essentiel d'accompagner les agriculteurs dans la transformation des moyens de production alimentaire. Le Gouvernement accompagne-t-il les agriculteurs pour trouver des produits de substitution aux pesticides, pour assurer des rendements et des revenus décents aux agriculteurs ? Il ne faut pas opposer agriculture et biodiversité ; au contraire, il faut créer des complémentarités vertueuses entre pratiques agricoles et protection du vivant et des sols.
M. Jean-Michel Houllegatte . - Le président l'a rappelé, les négociations préalables à la COP15 ont été longues, complexes et semées d'embûches, en raison notamment de la multitude des approches et des perceptions de la biodiversité. Je me réjouis de cet élan multilatéral et de la volonté forte qui s'est exprimée en faveur la préservation et de la reconquête de la biodiversité. Il ne s'agit cependant que d'un commencement : chacun sait que les accords de ce type n'ont d'autre valeur que celle que les États veulent bien leur donner. Nous nous félicitons de la mobilisation de la France, qui a permis aux ONG de contribuer à ce succès.
Le cadre mondial pour la biodiversité doit désormais être mis en oeuvre et évalué, en gardant présent à l'esprit qu'aucun des 20 objectifs d'Aichi n'a été respecté. Les mécanismes de mise en oeuvre, d'évaluation et de mobilisation des ressources revêtent, à cet égard, une importance toute particulière, tout comme les indicateurs qui permettent d'apprécier les trajectoires et les écarts par rapport aux cibles.
Quelle est votre appréciation du cadre de suivi, du monitoring framework ? Les indicateurs utilisés peuvent-ils être produits de manière fiable dans tous les pays, afin de permettre les comparaisons et la coopération en matière de bonnes pratiques ? Le délai de quatre ans n'est-il pas trop long ? Surtout, comment corrige-t-on la trajectoire si l'on se rend compte que les efforts sont mal coordonnés ?
La France a parlé d'une voix forte à la COP15, elle se doit désormais d'être exemplaire et de transposer de manière ambitieuse les positions qu'elle a défendues au cours des négociations. Notre pays dispose d'un outil, la stratégie nationale biodiversité 2030. En quoi les résultats de la COP transformeront-ils cette stratégie et ses ambitions ? Quels sont aujourd'hui votre méthodologie, votre calendrier et vos demandes budgétaires ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État . - Je reviens sur l'avant-COP15. La présidence était chinoise et la COP se passait au Canada, ce qui n'a pas facilité l'organisation, alors que l'événement était très attendu. L'implication des citoyens a permis de mobiliser les dirigeants. Jusqu'à l'issue de la COP, la présidence chinoise a été relativement absente des négociations ; chemin faisant, grâce à l'impulsion du pays organisateur qui souhaitait obtenir une victoire, la Chine est devenue plus allante. Ainsi, grâce à la Chine, nous avons trouvé un accord.
Avant la COP15, quelques pays moteurs ont mené les négociations, notamment la France. Au cours de réunions assez animées de la Commission européenne, la France et l'Allemagne étaient souvent interrogées sur leurs positions, ce dernier État étant parfois en retrait.
Au cours de la dernière semaine des négociations, nous avons voulu avancer sur un fonds, poussés par les ONG de manière un peu cavalière. Il s'agissait non pas de savoir quels moyens consacrer à la biodiversité - la France avait déjà acté le doublement de son financement -, mais de savoir à quoi les consacrer. Nous n'avons pas cédé sur les financements, ce qui a permis de fixer des objectifs ambitieux au sein de l'accord. La France a bénéficié du soutien du Canada et de l'Angleterre : cette dernière souhaitait afficher son action diplomatique, étant donné la situation intérieure qu'elle traverse ; le Canada, lui, en sa qualité d'organisateur, avait tout intérêt à la conclusion d'un engagement financier. D'ailleurs, beaucoup de pays pensaient qu'il n'était pas possible d'obtenir plus qu'un accord financier.
Les positions des pays furent très diverses. La France et l'Union européenne étaient alliées avec le Canada et l'Angleterre. D'autres pays ont apporté une aide appréciable, comme le Japon. D'autres pays étaient beaucoup plus réfractaires, comme le Brésil et les pays sud-américains, notamment sur la question agricole et les pesticides. Certains expliqueront que c'est parce que M. Bolsonaro était encore au pouvoir, mais cette position brésilienne est en réalité assez traditionnelle.
J'en viens aux financements et aux objectifs. Nous allons nous servir du cadre de la COP15 pour redéfinir notre stratégie nationale biodiversité 2030 - le Comité national de la biodiversité y travaille. Nous la présenterons au mois de mars. Nous définissons non plus les grands enjeux, mais les cibles, qui demandent à être affinées, ce qui n'est pas simple. Il faudra des financements ; Christophe Béchu et moi-même nous battrons pour les obtenir.
Je suis heureuse que l'ouverture du fonds vert aux territoires soit effective. Christophe Béchu et Dominique Faure viennent juste d'envoyer un courrier à toutes les collectivités pour présenter et préciser les démarches. Nous avons choisi de ne pas passer par des appels à projets, pour que prime la simplicité.
Au total, 150 millions d'euros sont spécifiquement dédiés à la biodiversité, et je tiens à ce que chaque action soit financée. Certes, il faudrait être plus ambitieux encore pour la transition écologique, mais un montant de 2 milliards d'euros est tout sauf négligeable, et le pire serait qu'il ne soit pas totalement utilisé à la fin de l'année 2023. Christophe Béchu et moi-même avons l'ambition d'obtenir la même somme l'année prochaine.
On a vu trop de politiques nationales qui échouaient à infuser dans les territoires. Nous en sommes convaincus - c'est tout le sens de notre ministère, et le fonds vert en témoigne également - : nous ne réussirons pas sans les collectivités territoriales. Vous serez donc appelés à jouer un rôle de relais auprès des élus locaux.
Monsieur Dantec, nous avions bien fixé un certain nombre d'objectifs à Aichi sans pour autant réussir à les mettre en oeuvre. Au-delà de la victoire obtenue à Montréal, il faut, dès à présent, assurer un suivi des nouveaux objectifs. Nous comptons évidemment sur la COP16 et sur d'autres rendez-vous, comme le One Forest Summit en mars prochain. De même, à la fin de mars 2023, je prendrai part à la conférence sur l'eau organisée par les Nations unies. On ne peut plus dissocier le climat, la biodiversité et l'eau. À la COP27 de Charm el-Cheikh, nous avons parlé de biodiversité ; à la COP15, nous avons parlé du climat et de l'eau. Je suis certaine qu'aux Nations unies, nous parlerons de l'ensemble des sujets qui nous préoccupent en la matière.
Vous le constatez, notre calendrier est rythmé par de nombreux événements internationaux. Le Président de la République fait preuve d'un grand volontarisme à cet égard, et pour cause : contrairement aux apparences, ces rendez-vous sont indispensables. C'est grâce à eux que nous pouvons avancer. Ainsi, la COP15 permettra d'assurer le suivi des objectifs fixés, lesquels doivent être assortis de mesures contraignantes.
Nous avons décidé de nous appuyer sur le FEM tout en le réformant pour le simplifier. Pour le ministère de la transition écologique, il s'agit du choix de l'efficacité et de la rapidité. Souvent, ce ne sont pas tant les budgets que les moyens en ingénierie qui manquent dans les territoires, notamment en Afrique ; nous devons y travailler.
En parallèle, nous misons sur les banques multilatérales de développement. Il serait souhaitable que certains pays contribuent davantage. La France n'a pas à rougir de ses efforts. Le Canada, quant à lui, s'est vanté de déployer 350 millions de dollars en faveur de la biodiversité, alors qu'il peut certainement faire plus, à l'instar des États-Unis.
Madame de Cidrac, nous avons beaucoup insisté sur la question des pesticides et, dans la toute dernière ligne droite, nous avons obtenu un engagement. À l'échelle nationale, le futur règlement sur l'utilisation durable des pesticides et l'évolution du plan Écophyto seront des leviers majeurs. Nous devons continuer à travailler main dans la main avec le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire pour réduire l'utilisation de ces produits. Il est possible de faire mieux, sans mettre les agriculteurs en difficulté.
De son côté, l'Union européenne n'accepte plus que la France décrète de nouvelles dérogations et s'apprête à édicter de nouvelles interdictions dans les années à venir. Nous devons chercher tous ensemble les moyens de remplacer les produits contestés ; c'est le sens des moyens supplémentaires dédiés à la recherche en matière de biocontrôle.
Le cas des néonicotinoïdes l'illustre : nous sommes face à une attente très forte des Français et il ne saurait être question d'attendre que l'opinion n'accepte plus du tout ces pratiques. Sur tous ces aspects, nous accompagnerons les filières, notamment la filière betteravière. Les tests en cours sont encourageants.
Monsieur Houllegatte, le mécanisme de mise en oeuvre permettra de faire régulièrement le point quant à l'atteinte des différentes cibles et de rectifier la trajectoire en augmentant nos ambitions ; c'est un point très fort de l'accord. Ce cadre permettra d'accroître l'effort de transparence et le suivi : c'est bien ce qui manquait aux objectifs d'Aichi.
Nous prévoyons de renforcer le processus de planification nationale par l'harmonisation des stratégies et des plans d'actions élaborés par la France. À cette fin, nous disposons d'un modèle commun pour préciser, d'ici à la COP16, la manière dont les cibles nationales s'articuleront avec les cibles du cadre mondial.
De plus, un certain nombre de rapports nationaux incluront les indicateurs phares du cadre de suivi, afin de permettre une analyse harmonisée et collective de la mise en oeuvre. Bien plus qu'une liste d'indicateurs agréés par les pays, le cadre de suivi est un véritable processus destiné à assurer le suivi solide de la mise en oeuvre. Le résultat global me semble très satisfaisant. Au total, nous disposons de 26 indicateurs phares distincts et de 13 indicateurs mondiaux binaires distincts.
Mme Angèle Préville . - La pollution plastique est massive et généralisée, mais invisible. Quel qu'il soit, le morceau de plastique séjournant dans l'environnement va se couvrir d'un biofilm et être colonisé, avant d'être consommé par des êtres vivants - vers de terre ou oiseaux marins. Son impact sur la biodiversité est considérable. Or la pollution plastique va beaucoup plus vite que toutes les mesures législatives ou réglementaires que nous pouvons prendre.
De nouveaux objectifs ont été fixés pour traiter ce fléau, et c'est très bien ; j'espère que nous obtiendrons de meilleurs résultats. Au-delà, que faire face à cette pollution invasive, qui vient notamment de notre surconsommation de vêtements, pour l'essentiel en provenance d'Asie ? A-t-on des objectifs de réduction à la source ?
Quant au montant du fonds vert, laissé à la main des préfets, dépend-il, oui ou non, du nombre d'habitants que comptent les départements ?
Mme Martine Filleul . - Cet accord, qualifié d'« historique », a été obtenu au forceps face à la résistance des pays émergents, comme la République démocratique du Congo. On peut les comprendre, car notre développement économique se fait encore aux dépens de la biodiversité dans ces territoires. Cela étant, l'aide aux pays émergents a été augmentée. Notre diplomatie dispose-t-elle d'ores et déjà d'une stratégie pour concentrer les crédits obtenus sur tel ou tel État, tel ou tel projet, et suivant quelles priorités ?
En parallèle, un certain nombre de villes françaises prennent des initiatives intéressantes pour préserver la biodiversité. Je pense notamment à Marseille et à Paris, qui ont élaboré des plans locaux d'urbanisme (PLU) « biodiversité ». Selon vous, ces documents sont-ils des outils adaptés pour travailler dans le bon sens ?
M. Jean-Claude Anglars . - Nous avons compris que vous alliez vous battre pour obtenir des financements et nous vous y encourageons.
Il est bon que le fonds vert soit à la main des préfets : non seulement c'est une garantie de consommation des crédits, mais les préfets pourront prendre des initiatives territoriales ne relevant pas strictement des quatorze points mentionnés.
Les signataires de l'accord s'engagent à mettre fin aux subventions néfastes à la biodiversité : font-elles l'objet d'une liste ? A minima , quels sont les principaux secteurs d'activité concernés ? Quand et comment ces subventions vont-elles disparaître ?
M. Jean-François Longeot , président . - Dans le Doubs, le préfet a réuni les élus pour évoquer la déclinaison du fonds vert, dont l'enveloppe départementale représente 9 millions d'euros, soit un peu moins que les crédits de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR). Il a exprimé l'intention de financer, au titre du fonds vert, un certain nombre de projets qui devaient initialement bénéficier de la DETR.
M. Hervé Gillé . - Cette méthode est risquée, car elle n'aura pas forcément l'effet de levier attendu.
Madame la secrétaire d'État, faute de mesures contraignantes, on peine à avancer au sujet de la fiscalité et, plus largement, des moyens. Comment notre pays compte-t-il mettre en oeuvre les intentions de la COP15 ou encore celles du Gouvernement ?
On peut suivre une logique de planification, en déclinant les trames vertes et bleues des schémas de cohérence territoriale (Scot). On peut aussi avoir recours aux plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi). Toutefois, pour distinguer les initiatives les plus vertueuses, une véritable évaluation est nécessaire. La stratégie nationale biodiversité 2030 doit s'appuyer sur les agences régionales de la biodiversité (ARB), en s'articulant avec les contrats de plan État-région (CPER), et sur l'action des départements et des métropoles, dans une logique contractuelle. Divers objectifs de résultats pourraient ainsi être fixés pour chaque niveau de collectivité territoriale, pourquoi pas à l'échelle des Scot : qu'en pensez-vous ?
Aujourd'hui, les porteurs d'un projet dit « impactant » sont tenus de prévoir des mesures de compensation. Toutefois, la qualité de l'évaluation des compensations pose question dans notre pays, alors qu'elle est essentielle à l'acceptabilité des projets. Elle permettrait également de promouvoir des démarches vertueuses et une culture du résultat. Quel est votre point de vue sur ce sujet ?
M. Louis-Jean de Nicolaÿ . - Le groupe d'études sénatorial relatif aux cultures traditionnelles et spécialisées s'est penché, ce matin même, sur la production de lentilles, tombée à 19 000 tonnes annuelles à cause des ravages causés par un petit insecte de 3 à 5 mm de long, la bruche. Les producteurs ont demandé à l'Institut national de la recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) de travailler sur ce sujet, mais celui-ci a décliné, au motif que cette culture était d'une trop faible ampleur.
M. Gilbert Favreau . - Les agriculteurs répètent souvent que les engagements en faveur de la biodiversité ne sont pas respectés par les voisins européens de la France, notamment les normes relatives aux pesticides et aux nitrates. Peut-on s'assurer que les autres États membres les appliquent bel et bien ? Je pense en particulier aux engagements qui viennent d'être pris à Montréal.
M. Frédéric Marchand . - À l'invitation de l'ONU, l'Union interparlementaire organise, les 13 et 14 février prochains, deux journées d'auditions sur le thème de l'eau. Hervé Maurey et moi-même y représenterons le Sénat. Nous ne manquerons pas de vous rendre compte de ces travaux.
Madame la secrétaire d'État, puisque vous insistez vous-même sur le triptyque « climat, biodiversité, eau », je relève que nous sommes à la veille de la Journée internationale des zones humides. En novembre 2022, vous nous avez détaillé votre stratégie pour le développement de ces dernières. Est-elle appelée à s'amplifier, conformément aux perspectives tracées pour 2030 ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État . - Madame Préville, face au fléau de la pollution plastique, la France joue un rôle moteur lors de chaque entretien bilatéral. Une cinquantaine de pays ont aujourd'hui rejoint le groupement constitué en ce sens et, fin mai 2023, la France organisera, à Paris, une deuxième réunion pour promouvoir un traité international contraignant. Le but est évidemment de réduire la production de plastique à la source. Ce travail a été entrepris avec la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec), qui prévoit la fin des emballages plastiques à usage unique d'ici à 2040.
Depuis le 1 er janvier 2023, la vaisselle jetable est interdite dans les établissements comptant plus de vingt places assises. Dès le 2 janvier, Christophe Béchu et moi-même nous sommes rendus dans une enseigne de restauration rapide très connue, qui applique déjà cette mesure dans 90 % de ses établissements, et, trois jours plus tard, nous recevions les représentants de la plupart des enseignes de fast food pour leur rappeler cette obligation, appliquée de manière très disparate. Nous leur avons demandé une feuille de route dans les quinze jours ; seule la moitié des enseignes nous ont envoyé ce document. À présent, des décisions doivent être prises pour assurer l'application de la mesure. Il faut commencer par les réseaux de restaurants, mais les indépendants sont également concernés dès lors qu'ils proposent plus de vingt places assises. Cette interdiction permettra une économie de déchets absolument considérable.
En parallèle, nous sommes en train de réécrire le décret relatif aux emballages des fruits et légumes. Nous devons poursuivre l'effort entrepris, en conservant certaines dérogations pour les produits trop fragiles ; un concombre emballé, ce n'est plus envisageable en 2023.
La filière textile constitue l'une des industries les plus polluantes. Ce secteur produit dans des installations situées, pour l'essentiel, à l'étranger, dans des conditions généralement mauvaises. Nous déployons des fonds pour aider les entreprises françaises, non seulement à produire en France, mais aussi à utiliser des fibres recyclées. Lors d'un déplacement en Mayenne, Christophe Béchu et moi-même avons visité l'une de ces entreprises vertueuses, que nous accompagnons par un bonus permettant de réduire les surcoûts de production induits par ces procédés.
Nous avons aussi créé un fonds pour développer la collecte de vêtements, aujourd'hui insatisfaisante. Cet effort est indispensable au recyclage du textile, dans une logique d'économie circulaire. S'y ajoute un fonds dédié au réemploi de vêtements pouvant être facilement proposés à la vente. À Bordeaux, j'ai récemment pu visiter un magasin qui, en partenariat avec le Relais, propose exclusivement des habits issus du réemploi.
Jusqu'à présent, nous ne financions que le fonctionnement des enseignes de l'économie sociale et solidaire ; désormais, nous finançons leur investissement via des contrats à impact, permettant la mobilisation de fonds privés soutenus par l'État.
Le 30 janvier dernier, j'ai initié une concertation sur la consigne des bouteilles en plastique avec les différentes parties prenantes. Nous devons atteindre des objectifs extrêmement ambitieux dans des délais très resserrés pour le recyclage et le réemploi, à savoir 77 % de bouteilles collectées pour recyclage en 2025 et 90 % en 2029. Nous sommes aujourd'hui à 61 %, avec de grandes disparités territoriales : certaines régions, comme les Pays de la Loire et la Bourgogne-Franche-Comté, ont accompli de grands efforts et sont à un taux de collecte pour recyclage de plus de 80 %. En revanche, les régions Sud et Île-de-France restent en deçà de 50 %, peut-être parce qu'elles sont plus touristiques que d'autres - les touristes ayant plus souvent recours aux poubelles de rue. Dans certaines régions, la tarification incitative a peut-être aussi eu un effet vertueux sur la collecte et le tri. Certaines régions ont également généralisé le bac jaune avant l'extension des consignes de tri à l'échelle nationale, le 1 er janvier dernier. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, aucune région n'a atteint le taux de 90 % : le meilleur taux de collecte pour recyclage enregistré est de 81 %.
Force est de constater que, parmi nos voisins européens, ceux qui dépassent le taux de 90 % ont tous opté pour la consigne. Quelle que soit la méthode retenue à l'issue de la concertation en juin prochain, mon but est d'atteindre les objectifs fixés.
Christophe Béchu et Dominique Faure ont réuni les préfets lundi dernier pour leur rappeler l'intérêt du fonds vert et leur demander de systématiser les réunions d'élus à ce sujet : le préfet du Doubs a dû anticiper cette directive. Au-delà des courriers envoyés par le ministère, les informations doivent être clairement communiquées ; les crédits n'ont pas été attribués au prorata des habitants, car ce seul critère aurait entraîné de trop grandes disparités aux dépens des territoires ruraux. Nous avons fait preuve de la plus grande vigilance.
Madame Filleul, les PLU me semblent effectivement un outil intéressant en matière de biodiversité, par le biais de l'aménagement du territoire.
M. Gillé insiste sur la nécessité de décliner la stratégie nationale biodiversité 2030 dans les territoires ; aujourd'hui, elle n'est pas encore couplée aux CPER. Pour assurer une bonne coordination avec les initiatives des collectivités, il faudra prévoir des instances dédiées, mais les réflexions n'ont pas encore atteint ce degré de finesse.
Monsieur de Nicolaÿ, l'Inrae ne peut effectivement pas se saisir de toutes les questions qui lui sont soumises. J'ignorais la situation des producteurs de lentilles, mais je vous signale l'existence d'une commission des usages dits « orphelins » des pesticides. Le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en a rappelé l'importance. Plus globalement, il présentera prochainement une « stratégie fruits et légumes », destinée à garantir la souveraineté de notre pays en la matière. Le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires travaille étroitement avec lui sur ce sujet.
Enfin, monsieur Favreau, votre question nous rappelle la grande difficulté d'application du principe de réciprocité des accords internationaux. Il faut éviter de reproduire ce que nous avons connu avec les objectifs d'Aichi. Les mesures contraignantes sont difficiles à prendre, mais pour les États, les efforts accomplis sont évalués sur la scène internationale, avec d'importants effets de réputation.
M. Gilbert Favreau . - Les contraintes ne sont-elles pas plus faciles à appliquer à l'échelle européenne ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État . - Bien sûr ! D'ailleurs, quand la France ne respecte pas ses propres obligations, elle est rappelée à l'ordre. On l'a vu au sujet des néonicotinoïdes.
Mme Marta de Cidrac . - La loi Agec permet au Gouvernement de définir, dès 2023, les modalités de mise en oeuvre de la consigne, sur le fondement d'un bilan annuel réalisé par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), si les performances cibles ne sont pas atteintes et après concertation avec les parties prenantes. Ce bilan annuel devait bien précéder la concertation : pourquoi avoir inversé le calendrier prévu ? Pouvez-vous nous donner des précisions à ce propos ?
Au sujet des bouteilles en plastique, le Gouvernement engage-t-il la concertation avec un a priori ? Je vous rappelle que les associations de collectivités territoriales sont opposées à une telle mesure, qui ajouterait encore de la complexité au geste de tri et serait, partant, préjudiciable à la réduction des déchets.
Dans son rapport de mars 2021, l'Ademe estimait que la cible européenne de 90 % de collecte pour recyclage des bouteilles en plastique en 2029 est atteignable sans consigne, à condition d'actionner d'autres leviers, parmi lesquels le tri des biodéchets à la source, la densification des points d'apport pour la collecte de proximité ou encore la mise en place de la tarification incitative. L'État et les éco-organismes peuvent et doivent faire plus en ce sens ; pensez-vous que ces pistes soient suffisamment exploitées ?
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État . - Je ne pars avec aucune conviction préétablie : je n'ai pas la prétention de tout savoir en la matière et la concertation va me permettre d'apprendre. J'entendrai les différents acteurs, notamment au sujet de la tarification incitative, d'autant que différents modèles ont été testés par les régions.
J'insiste sur ce point : mon objectif n'est pas de mettre en oeuvre la consigne à tout prix. Je sais que ce sujet provoque, à tout le moins, des crispations. Ce que je souhaite, c'est actionner les leviers nous permettant d'atteindre nos objectifs, que ce soit la tarification incitative, la généralisation du bac jaune ou le développement du tri dans les poubelles de rue.
Toutes les régions ne présentent pas les mêmes difficultés, et la généralisation du bac jaune ne suffira sans doute pas partout, car la mauvaise gestion des poubelles de rue est un vrai problème dans certains territoires. Aujourd'hui, l'Union européenne impose non pas la mise en oeuvre de la consigne, mais l'atteinte des objectifs mentionnés.
Mme Marta de Cidrac . - Nous aurons sans doute l'occasion de poursuivre ce débat, mais pourquoi avoir inversé le calendrier fixé par la loi Agec ? En outre, l'État et les éco-organismes étaient censés accompagner les collectivités territoriales dans l'amélioration de la collecte des bouteilles plastiquesdepuis trois ans : selon vous, cela a-t-il été le cas ? Concrètement, sur quoi la concertation portera-t-elle ? Les solutions seront-elles prises à titre national ou déclinées territoire par territoire ? Il faut respecter ce qui a été négocié lors de l'examen du projet de loi Agec.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État . - L'étude de l'Ademe est bien en cours. Elle a été lancée en novembre 2022 et aboutira au cours de la concertation, au plus tard au mois de mai 2023.
Si nous avons lancé la concertation dès maintenant, c'est pour assurer le travail de planification relatif aux emballages ménagers pour la période 2024-2029 et formuler les demandes qui seront adressées à Citeo.
Mme Marta de Cidrac . - L'Ademe a rendu un rapport intermédiaire en 2021 - il n'y a donc pas si longtemps. Elle y souligne les efforts entrepris par nombre de collectivités et estime que les initiatives déjà prises permettent d'atteindre les objectifs. Nous, parlementaires, devons pouvoir nous adosser sur ses travaux afin de débattre aussi sereinement que possible.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État . - On ne peut pas atteindre les objectifs fixés en s'en tenant au statu quo .
Mme Marta de Cidrac . - Je n'en sais rien, madame la secrétaire d'État : je ne dispose pas du bilan.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État . - On ne peut pas se satisfaire d'un taux de collecte de 40 % en région Sud. À l'évidence, il est indispensable de déployer un certain nombre de mesures supplémentaires.
Mme Marta de Cidrac . - D'où l'intérêt que nous disposions rapidement du rapport de l'Ademe.
Mme Bérangère Couillard, secrétaire d'État . - Bien sûr ! Je précise que la concertation permettra de réunir l'ensemble des acteurs autour de la table : les industriels, les distributeurs, les représentants des organisations non gouvernementales (ONG) et des associations de consommateurs, les élus locaux et les parlementaires. Nous étudierons deux scénarios, avec ou sans consigne. Plusieurs solutions, mises en oeuvre dans certaines régions, mériteraient d'être déployées ailleurs.
M. Jean-François Longeot , président . - Je me réjouis que la commission ait fait le choix d'aller à la COP15 et je salue les résultats obtenus, même s'il reste beaucoup à faire. De leur côté, les collectivités territoriales accomplissent déjà de grands efforts en faveur de la collecte et du recyclage, qui doivent faire l'objet d'une large concertation, en s'appuyant sur les données que l'Ademe livrera d'ici peu au débat public.
Audition de Mme Sylvie Lemmet,
ambassadrice
déléguée à
l'environnement
(9 novembre 2022)31
(
*
)
M. Didier Mandelli , président . - Madame l'ambassadrice, mes chers collègues, à moins d'un mois d'une COP15 biodiversité décisive, maintes fois repoussée depuis deux ans en raison de la « stratégie zéro Covid » de la Chine, pays organisateur, nous sommes heureux de vous accueillir pour faire le point sur les ambitions et les stratégies portées par la France afin d'aboutir à un cadre mondial ambitieux et transformateur pour protéger et restaurer la nature.
Cette COP biodiversité marque un moment charnière : les 196 parties à la Convention sur la diversité biologique auront la lourde et impérieuse tâche de définir le nouveau cadre mondial pour la préservation de la biodiversité, à un moment où les pressions qui s'exercent sur le vivant n'ont jamais été aussi fortes. Le rapport de l'IPBES de 2019 - souvent présenté comme le GIEC de la biodiversité - a alerté sur le fait que « la nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l'histoire humaine » et que « le taux d'extinction des espèces s'accélère, provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier ». Selon le rapport Planète vivante 2022 , établi par le Fonds mondial pour la nature (WWF), « entre 1970 et 2018, la taille moyenne des populations de vertébrés sauvages a décliné de 69 % ». En moins d'un demi-siècle, les effectifs de plus de 32 000 populations de mammifères, d'oiseaux, d'amphibiens, de reptiles et de poissons ont chuté des deux tiers, soit un rythme de 100 à 1 000 fois supérieur au taux naturel d'extinction. C'est une disparition à bas bruit, moins visible et perceptible que le changement climatique, mais dont les effets sur les écosystèmes et l'économie n'en sont pas moins colossaux.
Les causes de cette perte de biodiversité sont désormais identifiées au regard de l'évolution des savoirs scientifiques relatifs aux dynamiques des espèces : les changements d'usage des terres ; la surexploitation des ressources et la déforestation ; le changement climatique ; la pollution des eaux, des sols et de l'air et les espèces exotiques envahissantes.
Afin de lutter efficacement contre l'érosion de la biodiversité, il faut lutter contre chacune des pressions qui s'exercent sur les écosystèmes dans le cadre d'actions cohérentes et coordonnées, en visant autant que possible les mesures génératrices de cobénéfices pour le climat et la biodiversité. En 2021, le GIEC et l'IPBES ont d'ailleurs produit pour la première fois un rapport commun sur la biodiversité et le changement climatique, qui soulignait notamment que la limitation du réchauffement climatique pour assurer un climat habitable et la protection de la biodiversité sont des objectifs synergiques.
Nous devons être ambitieux face à cette urgence environnementale, mais également réalistes et pragmatiques : aucun des objectifs d'Aichi, fixés il y a une décennie pour enrayer la perte de biodiversité d'ici 2020, n'a été atteint. Ce triste constat ne doit pas conduire à l'inaction, mais à la définition d'un cadre qui fait l'objet d'un meilleur suivi, avec des évaluations régulières et des cibles partagées. Il faut fixer des objectifs qui permettent d'inverser la tendance, mais en aidant les pays pour qui la marche pourrait être trop haute. C'est tout l'intérêt de la diplomatie environnementale et le rôle des COP que de fixer un cap, de partager les instruments de navigation et de faire face ensemble aux tempêtes.
À ce titre, j'aimerais vous interroger sur la lecture que vous faites des relations internationales à l'aune des ambitions en matière de biodiversité, notamment sur le rôle de la Chine et des États-Unis, et à la suite des changements électoraux intervenus récemment, au Brésil, en Grande-Bretagne, en Italie et en Australie pour n'en citer que quelques-uns.
Après avoir rappelé les défis qui se présentent à nous, je vais donner la parole au président du groupe de suivi « Enjeux internationaux-Climat-Environnement-Développement », pour qu'il aborde les enjeux et les mécanismes des négociations internationales sur la biodiversité. Je vous céderai ensuite la parole pour un propos liminaire, tout en rappelant qu'une délégation de notre commission se rendra à Montréal du 11 au 14 décembre prochain dans le cadre de la COP15, composée de Guillaume Chevrollier, Jean-Michel Houllegatte, Denise Saint-Pé et Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec . - Madame l'ambassadrice, mes chers collègues, le Président vient de dresser un tableau juste des menaces pesant sur la biodiversité et des facteurs contribuant à son érosion, qui ne prête pas à l'optimisme.
Le chiffre sur la diminution du nombre de vertébrés en cinquante ans est très significatif. La fenêtre d'action se rétrécit et il est nécessaire de sortir des grands principes et des phrases convenues. La COP doit renforcer l'efficience des mécanismes d'action.
Au sein du groupe de suivi que j'ai l'honneur de présider, certains de mes collègues ont déjà pu entendre Madame l'ambassadrice. Fin octobre, un certain nombre de responsables de grandes associations de protection de l'environnement, du WWF et de l'UICN ont été entendus. Ils proposent d'aller vers des cibles mieux chiffrées et mieux échelonnées dans le temps. Des évaluations périodiques sur l'état de la biodiversité seront nécessaires.
La France est très engagée en amont de cette COP, notamment pour défendre l'objectif de protection de 30 % des territoires terrestres et maritimes. Chaque pays doit être en mesure de produire des propositions chiffrées, même la Chine, habituellement réticente à prendre des engagements précis et mesurables.
La réforme des financements interroge également, tout comme la convergence avec les financements liés au climat ainsi que le renforcement des méthodes de suivi.
Notre optimisme est donc loin d'être béat. La guerre en Ukraine, les évolutions géopolitiques, les tensions inflationnistes, les crises économiques ne plaident pas pour un accord ambitieux et transformateur. Si la COP a lieu au Canada, c'est toujours la Chine qui la préside. Que cherche-t-elle à travers cette COP ? La déclaration de Kunming, où la COP devait avoir lieu initialement, est-elle encore d'actualité ou déjà dépassée ?
Avec le concept de One Health , qui apparait depuis quelques années et prône une santé unique, humaine, animale et environnementale, la COP devra consacrer un volet de son accord final aux enjeux de santé globale.
Mme Sylvie Lemmet, ambassadrice déléguée à l'environnement . - Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, merci beaucoup de m'avoir invitée, en compagnie de Virginie Dumoulin de l'Inspection générale de l'environnement au ministère de la transition écologique, avec qui je travaille pour l'ensemble de ces négociations.
La COP15 qui se tiendra à Montréal en décembre a lieu dans le cadre de la Convention sur la biodiversité, une des trois conventions établies à Rio en 1992, avec la Convention sur le climat et la Convention sur la désertification.
Cette Convention repose sur trois piliers : la préservation et la conservation de la nature ; l'utilisation durable des ressources tirées de la nature et le partage des avantages de l'exploitation des ressources génétiques.
À la différence de la COP climat qui se réunit chaque année, la Convention sur la biodiversité a lieu tous les deux ans. L'objectif de la négociation prévue à Montréal est d'établir un cadre décennal, qui succède aux objectifs d'Aichi, qui n'ont pas été atteints ainsi que l'a rappelé le président. Depuis 2010, la biodiversité se dégrade. Des chiffres et des rapports, dont celui de WWF en témoignent.
La dégradation de la biodiversité est liée à cinq causes : le changement d'usage des terres et des mers dû à l'emprise de l'agriculture et de l'urbanisation ; la surexploitation des espèces sauvages avec pour marqueur le plus évident la surpêche ; le changement climatique, dont l'impact sur la biodiversité est de plus en plus important ; la pollution chimique et les espèces exotiques envahissantes.
Le cadre doit se pencher sur chacune de ces causes. Selon les experts, le cadre défini à Aichi a échoué faute de mécanismes d'accompagnement des cibles, de rapportage, de stock-taking ou encore d'état des lieux chemin faisant. Ces mécanismes devraient désormais être inclus dans le cadre mondial.
La question financière est centrale : les pays en développement trouvent, à juste titre, que les mesures liées à la biodiversité sont onéreuses. Un soutien plus volontariste des pays développés sera nécessaire.
Le premier objectif du cadre concerne la réduction des menaces pesant sur la biodiversité avec pour cibles : la conservation, notamment avec la protection de 30 % des terres et des océans - la France et le Costa Rica ont initié une coalition pour la Haute ambition pour la nature et les peuples (HAC) qui compte 110 pays et 5 nouveaux pays ont adhéré lors de la COP27 à Charm el-Cheikh ; l'interdiction du commerce et de l'utilisation des espèces sauvages ; les espèces exotiques envahissantes ; la réduction de la pollution ; le lien entre le changement climatique et la biodiversité.
La deuxième série de cibles se rapporte à la conservation et à l'utilisation durable des ressources notamment via une pêche et une gestion durable des systèmes productifs. En matière d'agriculture, la France et l'Union européenne plaident pour un développement des pratiques respectueuses de l'environnement. Autant de points qui ne font pas non plus l'unanimité parmi les États parties à la Convention sur la diversité biologique.
Le troisième objectif est lié à l'accès et au partage des avantages issus des ressources génétiques, le DSI. Le génome des ressources génétiques a été numérisé. Ces ressources ne sont pas soumises à des redevances pour leur utilisation, ce que les pays en développement trouvent injuste. Les pays développés pensent qu'il est nécessaire que la recherche puisse poursuivre son travail. Les pays africains ont d'ores et déjà annoncé que sans solution sur ce sujet, il n'y aurait pas d'accord à Montréal.
Un dernier objectif a trait aux moyens mis en oeuvre avec une diminution des subventions et une augmentation des financements.
Comme pour l'Accord de Paris, les plans sur la biodiversité devront être élaborés de la façon la plus homogène possible, afin d'être compilables et comparables. À la différence de ce qui existe actuellement, le processus de reporting devra utiliser des indicateurs similaires. Un processus d'état des lieux à mi-chemin devra être réalisé d'ici à 2030, afin de permettre un renforcement de l'ambition si l'état d'avancement est insuffisant. Ce qui figurait dans l'Accord de Paris deviendra donc la norme minimum.
La France et l'Union européenne souhaitent un cadre ambitieux. Le texte et les négociations ont été préparés pour un dernier tour de négociations durant la première semaine de décembre. Les ministres prendront ensuite le relais pour le segment de haut niveau afin de trancher les aspects les plus complexes.
La France et l'Union européenne insistent pour que figurent dans le texte : l'augmentation de la surface des écosystèmes naturels, leurs connectivités et leur intégrité ; le taux et le risque d'extinction des espèces ainsi que la diversité génétique des espèces.
La France souhaite également que la vision du cadre pour 2030 soit claire et communicable. Il est proposé a minima : d'arrêter et d'inverser le déclin de la biodiversité - certains pays estimant qu'inverser ce mouvement en huit ans est impossible ; la protection de 30 % des terres et des mers ; la restauration de 3 milliards d'hectares de terres dégradées ; une réduction quantifiée des risques et des usages liés aux pesticides et aux engrais ; une augmentation des pratiques agroécologiques ; un point sur les flux financiers - en dehors du montant transféré du Nord vers le Sud, un alignement des flux financiers avec les acteurs privés ou publics dans le monde est nécessaire. L'article 2C de l'Accord de Paris indiquait déjà que les flux financiers devaient être alignés avec une trajectoire compatible avec ledit accord. Cet article a impacté les développements européen et français, privés comme publics ; une obligation pour les entreprises de faire connaitre leur impact et leurs dépendances en matière de biodiversité ; une mobilisation de l'ensemble des sources de financement.
Les pays en développement souhaitent que le DSI, c'est-à-dire l'accès et le partage des avantages issus des ressources numériques, soit pris en compte et qu'un financement plus important soit mis en oeuvre du Nord vers le Sud.
Où en est-on aujourd'hui ? Je dirais que nous sommes encore assez loin de l'atteinte d'un accord ambitieux. Montréal n'est pas une promenade de santé, mais une véritable négociation, qui peut réussir, mais également échouer. Les forces en présence à la COP15 et les exigences de chacun sont très complexes. Un certain nombre de pays, à l'image du Brésil, sont peu ambitieux et peu aidants sur le sujet de la biodiversité. Le Brésil a beaucoup pesé dans les négociations pour diminuer la plupart des objectifs tout en demandant d'importants financements supplémentaires.
Une alliance des pays du Sud, en particulier l'Afrique et quelques pays d'Amérique latine, demande la création d'un fonds mondial en matière de biodiversité, comme il en existe sur le climat. La plupart des pays donateurs sont contre dans la mesure où il existe déjà le fonds mondial pour l'environnement, récemment augmenté, et dont une part importante est consacrée à la biodiversité.
Les pays du Sud plaident pour que les pays développés leur transfèrent 100 milliards par an. Actuellement, l'ensemble de ces transferts est de 6 milliards. Le fossé est important et les pays donateurs sont dans l'incapacité de répondre à cette demande.
De nombreuses solutions sont proposées pour le DSI venant compliquer le protocole de Nagoya, difficilement mis en oeuvre au niveau national.
La guerre en Ukraine a ravivé les tensions géopolitiques, réduisant les marges de manoeuvre des pays donateurs. Le renchérissement des prix agricoles n'incite pas à plus d'ambition en matière d'agroécologie. La mobilisation politique sur la biodiversité n'est pas au niveau de la mobilisation en matière climatique, sauf peut-être en France et en Europe.
Les résultats des élections au Brésil ne changent pas la donne. Le président Lula, même s'il est plus ambitieux en matière environnementale, ne modifiera pas le rôle que le Brésil entend jouer en tant que porte-parole des pays non alignés.
Les États-Unis ne font pas partie de la convention sur la biodiversité, ce qui complique les choses pour l'Europe, qui se retrouve en première ligne, regardée comme un « vilain donneur de leçons ». Des coalitions de pays ambitieux se créent néanmoins, y compris avec des pays d'Amérique latine qui ne sont pas alignés avec le Brésil.
Concernant la mobilisation des ressources financières, la France a anticipé la COP15 en doublant son financement en matière de biodiversité à travers l'Agence française de développement (AFD), et en augmentant de 40 % sa contribution au Fonds pour l'Environnement mondial (FEM).
Actuellement, seuls 17 % des territoires sont protégés dans le monde. L'accompagnement vers les 30 % devrait se faire via la Coalition de la haute ambition qui s'est dotée d'un secrétariat et pourra proposer des appuis en matière de formation, d'assistance technique, mais aussi de financement en mettant en relation les pays ambitieux et les donateurs prêts à les financer.
M. Guillaume Chevrollier . - Merci pour votre intervention. Nous souhaitons tous que la COP15 soit utile pour la biodiversité. Son érosion a des incidences très significatives sur le plan économique, avec des services écosystémiques perturbés et une dégradation du bien-être des populations. La valeur des services rendus par la nature pour l'air, l'eau, l'alimentation est évaluée à 125 000 milliards de dollars par an, soit un montant supérieur au PIB mondial. Selon le Forum économique mondial, près de la moitié du PIB à l'échelle de la planète est lié à la biodiversité, autrement dit à des écosystèmes en bonne santé et à même de fournir des services comme une eau de qualité, la pollinisation des cultures ou la lutte contre les ravageurs de cultures. Ceci posé, pensez-vous qu'il soit possible de faire entrer ces paramètres dans les négociations, dans le cadre d'éléments de langage qui puissent parler au plus grand nombre ? La biodiversité souffre de l'absence d'indicateur composite permettant d'appréhender la gravité et la rapidité de son érosion. Que pensez-vous des approches consistant à convertir les bénéfices induits par la biodiversité en termes monétaires ?
Pour rester sur les mécanismes financiers, où en est la réforme des subventions néfastes pour la biodiversité ? Selon une étude publiée en février 2022 par Business for nature , au moins 1 800 milliards de dollars de subventions publiques, soit 2 % du PIB mondial, sont à l'origine chaque année de destructions d'écosystème et d'extinction d'espèces. Comment inverser la tendance ? La COP15 est-elle l'enceinte pertinente pour négocier un cadre d'aides publiques plus favorables à la biodiversité ?
Par ailleurs, le climat et la perte de biodiversité sont devenus des risques systémiques intégrés au modèle financier. L'importance des modèles prévisionnistes a conduit les institutions financières à se doter d'indicateurs de performances climatiques et environnementales. Quels mécanismes complémentaires permettraient selon vous d'améliorer l'empreinte environnementale des outils et supports financiers, afin d'accélérer la transition vers une finance plus durable et engagée pour la nature et le climat ?
Mme Sylvie Lemmet . - L'un des problèmes les plus dirimants pour la protection de la biodiversité est qu'il n'existe pas d'éléments de langage fédérateurs, à l'instar des deux degrés pour le climat ou d'une tonne de carbone. La biodiversité est composite et parle difficilement au plus grand nombre.
La mission clé de la COP15 consiste à diminuer et inverser la tendance en matière de biodiversité, via le partage d'indicateurs compris du plus grand nombre et la mise au point d'une définition claire de ce qu'est une économie bénéfique pour la nature ( nature-positive economy ). Pour cela, nous souhaitons que plusieurs indicateurs soient adoptés. Certains existent déjà, d'autres restent encore à construire. La France a néanmoins toujours défendu la nécessité d'adopter des cibles même sans indicateurs, quitte à ce que ceux-ci soient ensuite ajoutés. Nous demanderons un mandat afin de continuer à négocier et adopter des indicateurs au cours des deux années suivant la COP15. La finalisation du cadre avec l'ensemble des indicateurs clés aura probablement lieu lors de la COP16.
Traduire la biodiversité sur le plan monétaire semble complexe. Pour intégrer cet aspect dans des normes comptables, une mesure unique de la valeur biodiversité devrait être prise en compte. Or il en existe plusieurs, dont celle développée par la Caisse des dépôts sur la biodiversité, fondée sur la prise en compte du nombre d'espèces moyen par hectare. Des études donnent déjà une valeur à la biodiversité, mais tant qu'un indicateur unique ne sera pas reconnu par tous et intégré dans des modèles standardisés, il sera difficile de comptabiliser la biodiversité dans le PIB. Depuis Aichi, le cadre de négociation vise à ce que la biodiversité soit intégrée dans les comptes publics. La commission de la comptabilisation des Nations unies a formulé des recommandations sur le sujet, mais celles-ci ne sont pas appliquées.
Un différend sur les chiffres existe aussi en matière de réforme des subventions néfastes. Business for Nature évoque 1 800 milliards de dollars, l'OCDE 800 milliards. Il s'agit pour les deux tiers de subventions aux énergies fossiles, néfastes également pour le climat. Les autres subventions concernent la pêche et l'agriculture. L'Europe a connu une diminution de l'ensemble de ces subventions, mais certains pays refusent de les réduire pour des raisons sociales.
L'un des points essentiels de la mise en oeuvre du cadre de la COP15 dépendra de la façon dont les grandes banques multilatérales de développement prendront en compte le sujet. La biodiversité doit être incorporée dans l'ensemble des choix publics. Seules les grandes banques pourront accompagner les pays dans des réformes de politique publique, surtout pour les pays du Sud.
M. Éric Gold . - La destruction de la biodiversité s'accélère et représente une catastrophe globale pour la planète avec des impacts sur tous les continents et territoires. Même s'il existe une volonté politique plus affirmée, beaucoup de chemin reste à parcourir. En France, un certain nombre de dispositifs permettent aux régions, aux départements, aux EPCI d'être des acteurs importants dans la limitation de la perte de biodiversité. Une stratégie nationale vise à couvrir 30 % du territoire par des aires protégées. Cette stratégie associe peu les élus locaux. Les espèces à prendre en compte sont proposées par le Muséum d'histoire naturelle. Le ministère de l'écologie se charge du programme d'actions et la Dreal coordonne. Les élus locaux sont pourtant les maillons indispensables à la réussite d'une stratégie qui se décline sur le terrain. Ne pensez-vous pas que toute stratégie nationale ne peut fonctionner que si elle associe pleinement, y compris dans sa définition, les acteurs de terrain que sont les maires ?
M. Jean-Michel Houllegatte . - Les banques européennes n'ont pas infléchi leurs financements aux énergies fossiles, mais plutôt que les flux, je voudrais évoquer les stocks. Selon le rapport de l'Institut Rousseau, sorti l'année dernière, les banques ont accumulé des centaines de milliards d'actifs financiers liés à l'exploration, l'exploitation, mais aussi le transport du charbon, du pétrole et du gaz. Les 11 principales banques européennes détiennent 530 milliards d'euros d'actifs fossiles, soit 95 % de leurs fonds propres. La dévalorisation de ces actifs détenus pourrait produire d'importantes turbulences, voire générer une nouvelle crise financière à l'image de celle des subprimes . Des travaux sont-ils en cours pour imaginer, notamment au niveau européen, un mécanisme ou une structure de défaisance qui permettraient de « dissoudre » ces actifs ?
Mme Angèle Préville . - L'une des causes de la baisse drastique de la biodiversité est la pollution, notamment chimique et plastique. Plastique dans l'estomac des cétacés, substances chimiques dans les sols, présence de DDT et PFAS, qualifiés de polluants éternels, chez les ours polaires, les raisons de la baisse de la biodiversité sont documentées.
Les composants chimiques étant déjà présents dans la nature, baisser leurs indicateurs ne sera pas forcément efficace. La sixième limite planétaire a été dépassée avec l'arrivée exponentielle de nouvelles entités chimiques dans l'environnement. Ce problème doit être pris en compte. Tout comme celui des microplastiques qui se retrouvent partout, des eaux de l'Arctique au sommet de l'Everest.
Mme Nadège Havet . - Dans un entretien croisé publié dans Ouest France récemment, Nadia Ameziane et Guillaume Massé, respectivement cheffe et directeur adjoint de la station marine de Concarneau, évoquent une sixième extinction, mais soutiennent qu'une action est encore possible à l'approche de la COP15. La rapidité des changements dans les océans dépasse les estimations du GIEC. Le réchauffement climatique a un impact sur la faune et la flore en particulier sur des organismes comme les huîtres et les moules et leurs cycles reproductifs. Avec la montée des eaux, certaines étendues d'eau douce seront à l'avenir en contact avec les océans.
La question des financements sera au coeur des enjeux de la COP15 et leur alignement sur les objectifs en matière de protection de la biodiversité sera déterminant. Il est nécessaire d'accentuer la pression sur les banques publiques de développement. Qu'est-il prévu sur ce point ?
M. Joël Bigot . - Vous indiquez que les indicateurs clés ne sont pas évidents à construire pour l'ensemble des pays. Leur finalisation est prévue à la COP16. Quelles pistes la France envisage-t-elle ? Pouvez-vous expliquer les programmes de préservation positive pays par pays ? Récemment évoqués par le Président de la République, ces contrats pourraient être finalisés par le One Forest Summit au Gabon en 2023.
Une réflexion internationale existe-t-elle pour placer les politiques de préservation de la biodiversité au-dessus des turbulences politiques ? Certains pays ont la taille d'un continent et peuvent faire basculer l'écologie mondiale. Envisagez-vous la mise en place de mécanismes qui, tout en conservant la souveraineté des pays, s'imposeraient au nom de l'intérêt supérieur de la planète en ne permettant pas de défaire ce qui a été mis en place ?
M. Jean-Claude Anglars . - Avec plusieurs de mes collègues, nous nous sommes rendus en mission au Costa Rica, pays qui, depuis la fin des années 1940, comptabilise la biodiversité. La France pourrait appliquer les mêmes critères, même si leur transposition doit tenir compte des choix collectifs de chaque pays : au Costa Rica, le critère de réussite porte sur le fait que personne n'habite plus dans le parc national de Cahuita, ce qui nous interroge.
Mme Marta de Cidrac . - Votre silence en tant qu'ambassadrice de l'environnement par rapport à la coupe du monde de football au Qatar interpelle de plus en plus mes concitoyens dans les Yvelines. Le Président a eu des mots forts lors de la COP27, mais la diplomatie environnementale est peu présente sur cet événement qui a pourtant un véritable impact sur la biodiversité et le climat.
Mme Sylvie Lemmet . - Concernant les aspects financiers en matière climatique comme de biodiversité, il est très difficile d'obtenir des chiffres uniques et consolidés, mais quoi qu'il en soit, ceux-ci sont effrayants.
Lors de la COP21, la première coalition de parties prenantes privées portait sur la diminution des actifs fortement carbonés. Se défaire d'un certain nombre de ces actifs permettait de s'acheter une vertu, mais ces actifs étaient rachetés par d'autres consortiums moins regardants. Le vrai sujet n'est donc pas d'arrêter les hydrocarbures, car nous en avons encore tous besoin, mais de planifier une trajectoire qui permettra de s'en passer d'ici à 2050, date à laquelle l'engagement a été pris de parvenir à la neutralité carbone. Une entreprise produisant des hydrocarbures qui se tourne vers les énergies renouvelables est vertueuse. L'Ademe a réalisé un très bon travail de méthodologie afin de prodiguer des conseils aux entreprises pour imaginer une pente de décroissance en lien avec les technologies existantes dans leurs domaines. Il est important pour les institutions financières d'accompagner les entreprises sur ce chemin. Cela ne signifie pas se défaire de l'ensemble des entreprises possédant des actifs carbonés, mais s'assurer que ces entreprises projettent bien de diminuer ces actifs. Les banques, les fonds de pension et les investisseurs se sont lancés dans cette démarche. Pour les y encourager, la Banque de France a mis en oeuvre à travers l'Autorité des marchés financiers (AMF) et l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), des « stress tests climatiques » qui étudient l'impact pour les banques en termes de risques physiques et de risques de transitions. Les banques doivent incorporer le fait que les politiques publiques vont évoluer, sans oublier de tenir compte du risque réputationnel. Ces aspects sont actuellement mis en oeuvre sur le climat et pour la première année l'ACPR se penche sur la biodiversité.
Sur les banques de développement, l'AFD a mis en place une méthodologie pour comptabiliser l'impact en matière de biodiversité. Le financement de la biodiversité rencontre des problèmes de méthodologie. L'AFD possède un réseau mondial de banques publiques travaillant sur ce sujet. Les grandes banques multilatérales s'y intéressent depuis peu mais sont encore dans l'incapacité de quantifier leurs financements en matière de biodiversité. Bruno Lemaire a envoyé une lettre au président de la banque mondiale pour lui demander ces chiffres avant la COP15, ce qui ne sera pas possible.
Virginie Dumoulin . - La stratégie nationale pour la biodiversité (SNB) a été adoptée en mars 2021 et sera révisée à l'issue de la COP15, notamment pour y intégrer les nouveaux indicateurs. La stratégie nationale des aires protégées s'intègre dans la stratégie nationale pour la biodiversité. L'objectif de couverture de 5 % des eaux territoriales en Méditerranée sous protection forte a été ajouté par le Président de la République, ainsi que la création d'un parc national consacré aux zones humides.
Ces deux stratégies ne pourront pas être mises en oeuvre sans une déclinaison territoriale fine. Les régions sont chefs de file en matière de biodiversité. Depuis la loi dite « 3DS », elles sont chargées de l'animation du réseau terrestre Natura 2000. Le département est la seule collectivité à disposer d'une ressource fiscale dédiée, via une part de la taxe d'aménagement pour les espaces naturels sensibles qui sont en passe de devenir des aires protégées. Les EPCI ont des compétences en matière de biodiversité. Il existe un réel besoin de déclinaison territoriale. L'État ne réussira pas seul la SNB ni la stratégie nationale des aires protégées.
Concernant les indicateurs, la cible 7 vise la réduction des pollutions évoquées par la sénatrice Angèle Préville. L'Union européenne défend une cible chiffrée, notamment sur les nitrates, dont nous souhaitons qu'ils soient réduits de 50 % à l'échelle de la planète d'ici à 2030. Une cible existe également sur les pesticides, dont la seule réduction volumétrique de 50 % ne permettra pas d'éviter les impacts forts sur la biodiversité. Il est nécessaire de travailler sur les usages et sur les risques. Le sujet du plastique est également compris dans la cible 7, suggérant une élimination totale d'ici à 2030. Un travail est mené avec l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture afin de définir un indicateur commun à l'échelle de la planète pour les pesticides et que la cible de moins 50 % soit fixée même si l'indicateur n'existe pas encore.
L'un des objectifs est d'accroître de 20 % la surface des espaces naturels de la planète et d'arrêter la destruction des espèces d'ici à 2050. La liste rouge de l'UICN constitue déjà un indicateur.
Mme Sylvie Lemmet . - Le Costa Rica a connu une importante perte de biodiversité jusque dans les années 2000. Depuis lors, ce pays a reconquis l'ensemble de sa biodiversité perdue. L'objectif de la France n'est néanmoins pas d'avoir des parcs sans population. Un certain nombre d'ONG estiment d'ailleurs que la préservation de 30 % de la planète fait courir un risque aux populations autochtones des parcs, alors qu'elles sont en mesure de mieux préserver la biodiversité des endroits sensibles.
Un mécanisme qui s'imposerait à tous les pays sans renoncement à une part de souveraineté n'existe pas. C'est le drame de la gouvernance actuelle des biens mondiaux, qui demanderait que soit imposée à tous les pays une trajectoire climatique commune. Kyoto n'a pas fonctionné. La méthode mise en place avec l'Accord de Paris a aussi ses limites. Seule la convention Cites portant sur le trafic d'espèces protégées peut imposer des mesures et appliquer des sanctions.
M. Jacques Fernique . - Le chef d'orchestre à Montréal est la Chine. Quel est son objectif ?
Mme Sylvie Lemmet . - La Chine n'a pas exercé jusqu'à récemment une présidence très active. Il est compliqué pour un pays posant des restrictions en termes de circulation de jouer un rôle d'entremetteur. La Chine est plus à l'aise dans les relations bilatérales que dans les enceintes multilatérales. Son objectif est d'aboutir à un compromis le plus réaliste possible à Montréal, tenant compte des positions des pays ambitieux et des autres. Il est probable que la Chine exerce son plein pouvoir de présidence lors de la COP.
M. Didier Mandelli . - Merci pour cet échange riche et fructueux.
* 30 https://videos.senat.fr/video.3226406_63d853a44ec65.la-biodiversite-entre-espoirs-et-defis
* 31 http://videos.senat.fr/video.3080159_6369953ac9fbc.audition-de-mme-sylvie-lemmet-ambassadrice-deleguee-a-l-environnement