B. LES ÉLUS PORTENT UN JUGEMENT CRITIQUE DE SON ACTION ET RÉAFFIRMENT LES ATTENTES FORTES AYANT PRÉSIDÉ À SA CRÉATION

En dépit de plusieurs points positifs, l'évocation de l'action de l'ANCT avec les élus locaux suscite rapidement des réserves et des réflexions qui dépassent la seule question de l'agence. Les élus estiment que les services déconcentrés de l'État et la tête de réseau nationale n'ont pas les capacités de répondre aux attentes qui avaient présidé à sa création.

Verbatim et contributions écrites

«Au fil des mois et des années, l'agence ne répond pas aux attentes de départ. Elle reste un outil de l'État qui n'est pas encore au service des collectivités ». Un maire

« En dépit de cette collaboration avec les équipes nationales de l'ANCT, l'APVF collecte des retours contrastés concernant l'action de terrain de l'ANCT ». APVF

« Les dispositifs semblent être mis en oeuvre sans cadrage préalable ce qui amène à des situations complexes où tout est réfléchi au fur et à mesure de leurs mises en oeuvre et l'accompagnement est parfois limité. » FNSCoT

1. Une implication inégale et partielle en matière d'ingénierie qui suscite des critiques

L'article 2 de la loi du 22 juillet 2019 portant création de l'ANCT débute ainsi : « Elle a pour mission (...) de conseiller et de soutenir les collectivités territoriales et leurs groupements dans la conception, la définition et la mise en oeuvre de leurs projets. À ce titre, elle facilite l'accès des porteurs de projets aux différentes formes, publiques ou privées, d'ingénierie juridique, financière et technique, qu'elle recense ».

La mission la plus attendue de l'agence est sans doute celle relative à l'ingénierie. Toutes les auditions ont très largement tourné autour de cette dernière tant la préoccupation des élus est forte compte tenu de l'ampleur des enjeux qui s'adressent à eux, particulièrement dans un contexte de transition environnementale et de resserrement des marges de manoeuvre financières.

En la matière, la plus-value de l'ANCT est très discutée et sujette à un malentendu persistant entre ce qui est attendu de l'État et ce qu'il peut réaliser.

a) Rappel des modalités de mise en oeuvre, par l'ANCT, de sa mission de soutien à l'ingénierie

L'Anct a pour mission de faciliter l'accès des collectivités à l'ingénierie. Plusieurs situations témoignent de la façon dont l'agence s'est saisie de cette mission.

Les collectivités retenues dans les programmes disposent d'un accès privilégié à plusieurs dispositifs, crédits, formules d'ingénierie qui sont cumulatifs. Elles bénéficient du financement de postes dans des collectivités (essentiellement de chef de projet), elles ont accès à l'offre spécialisée des partenaires de l'ANCT (Banque des Territoires, CEREMA...), parfois elles ont l'accès à une offre privée via des formules avantageuses en terme de coût et ont des prestations en régie avec les équipes de l'agence (notamment sur les questions de revitalisation commerciale).

Pour toutes les autres collectivités non intégrées à un programme, le système est à double niveau :

- l'ANCT a pour mission d'organiser un guichet unique local de l'ingénierie d'Etat destiné à coordonner les demandes des collectivités avec les offres existantes. La quasi-totalité des demandes peuvent et doivent pouvoir trouver une solution dans l'écosystème local. Cela implique que ce dernier soit à l'écoute des besoins et se coordonne pour répondre aux demandes. C'est l'objet des Comités locaux de cohésion des territoires (CLCT)19(*). Ils sont par ailleurs l'instance du dialogue entre l'État, les élus des collectivités locales, les opérateurs nationaux et des acteurs de l'ingénierie locale, (agences d'urbanisme, conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), Agences Techniques Départementales (ATD), Établissements Publics Fonciers (EPF), etc.). Ces CLCT doivent se mettre d'accord sur les priorités d'intervention de l'agence, tant en matière de thématiques que de territoires, et les formaliser dans une feuille de route partagée. Cette feuille de route repose sur le recensement des ressources en ingénierie mobilisables localement (offre) et l'identification des besoins des collectivités (demandes). Pour tout projet qui trouve son débouché dans l'ingénierie locale, le délégué territorial de l'agence (préfet) désigne alors un interlocuteur unique chargé du suivi du projet (sous-préfet, DDT, opérateur, aménageur local...).

- pour les demandes sans solution locale, le délégué territorial sollicite l'appui national de l'ANCT en le justifiant par la fragilité de la collectivité porteuse, l'insuffisance de ressources locales, le caractère innovant ou particulièrement complexe du projet, la nécessité d'une expertise pointue, ou d'un accompagnement spécifique. Cet apport d'ingénierie s'effectue sous la forme de mobilisation de l'ingénierie de l'État (les équipes de l'ex- EPARECA par exemple) ou ses agences nationales (ADEME, CEREMA...) et sous la forme de mobilisation d'ingénierie privée sur la base de marchés à bons de commande avec des bureaux d'étude privés.

Le marché d'ingénierie

Il comprend pour les prestations les plus couramment délivrées, trois lots qui se déclinent par région : 1) Diagnostics territoriaux et définition des enjeux et orientations stratégiques ; 2) Association des habitants au projet, concertation ; 3) Accompagnement au pilotage et à la mise en oeuvre des projets de territoire.

Il comprend aussi pour les prestations plus spécifiques en termes de thématiques des lots qui sont nationaux : 1) Accompagnement au cadrage et au montage de projets/opérations ; 2) Favoriser un développement économique et commercial équilibré ; 3) Développer l'offre culturelle et de loisirs et le tourisme ; 4) Développer l'accès aux équipements et aux services publics et à la santé ; 5) Développer l'accès au numérique ; 6) Transition écologique et biodiversité ; 7) Transition énergétique et gestion énergétique des bâtiments ; 8) Développer l'accessibilité, la mobilité et les connexions ; 9) Accompagner l'implantation des grands projets stratégiques (GPS) étrangers à fort potentiel de création d'emplois ; 10) Appui au potentiel touristique des territoires : valorisation du patrimoine naturel et culturel et transformation des offres.

Ce système fait théoriquement l'objet d'une évaluation à double niveau : « Le délégué territorial veillera à mettre en place un dispositif de suivi de l'exécution du projet et d'évaluation de ses impacts sur le territoire. Une plateforme unique rassemblant l'ensemble des indicateurs de suivi et d'impact sera créée et accessible aux délégués territoriaux. »

b) Une intervention critiquée à plusieurs titres 

Les situations sont très contrastées d'un département à l'autre. Si certains départements semblent s'être organisés, ce schéma, qui repose sur une mise en oeuvre encore récente, semble peiner à s'appliquer localement (1). De plus, l'intervention de l'agence suscite des critiques et parfois même, pour les appréciations les plus sévères, est accusée de générer des effets contreproductifs (2). Surtout les modalités de cette intervention sont analysées comme ne contribuant pas à renforcer suffisamment l'écosystème local (3).

(1) Une implication de l'ANCT à géométrie variable dans le recensement et l'animation de l'écosystème local

Le rôle de l'ANCT est d'identifier offres et demandes afin de mieux les articuler, par une animation régulière en CLCT destinée à mettre en réseau les acteurs.

Si dans certains départements ce schéma commence à prendre forme, la majorité des retours sont plutôt réservés voire critiques :

- L'ANCT a repris et développé la plateforme « Aides-Territoires » 20(*). Cet outil avait été mis en place par la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) dans le cadre de La Fabrique Numérique. Cette base de données référence plus de 1 500 aides en ingénierie technique et financière à destination des collectivités. Une recherche, ou une alerte, peut être faite sur cette plateforme en fonction du type d'aide, du thème ou du territoire. Services de l'État et acteurs de l'ingénierie sont invités à référencer leurs dispositifs. Cependant, l'information n'est pas toujours complète lorsque les partenaires n'inscrivent pas leur dispositif. De plus, collectivités et opérateurs eux-mêmes évoquent des difficultés à visualiser la manière dont ces aides peuvent être sollicitées et se compléter le cas échéant afin d'accompagner un projet sur la durée. Pour poursuivre ce travail, l'ANCT s'est engagée à travailler étroitement avec les représentants de l'ingénierie privée (Fédération Cinov et Syntec-Ingénierie) pour réfléchir à la façon dont les aides proposées par ces acteurs pourraient être intégrées dans cette base de données. Ce travail de référencement de l'ingénierie privée est en cours.

- Les recensements sous format catalogue n'ont pas tous été réalisés et certains sont de qualité discutable. Au-delà des recensements, le lien avec les acteurs locaux peine à s'effectuer. L'Association nationale des Directeurs d'Agences techniques départementales (AnDAtd) estime que l'ingénierie locale, notamment départementale, a été associée aux démarches « dans des cas de figure minoritaires ». Elle ajoute que sur d'autres territoires, le partenariat a été plus ou moins recherché mais « ne fonctionne pas faute, notamment, de moyens humains coté ANCT ». Elle regrette que parfois les ATD « n'ont pas du tout été associées »

- Les besoins des collectivités n'ont pas souvent fait l'objet d'un travail collectif.

- Les feuilles de route qui doivent être réalisées dans le cadre des CLCT, lorsqu'elles existent, ressemblent plus à des modes opératoires descriptifs axés sur le « comment » qu'à de véritables plans d'action centrés sur le « quoi ».

Contribution écrite sur l'offre d'ingénierie

« L'ANCT doit encore travailler à structurer l'offre en la matière. L'ANCT doit notamment mettre en réseau les différents acteurs de l'ingénierie locale (...).» AMF

« La mission de recensement de l'ingénierie locale est un angle mort de l'action de l'agence. Il y aurait en effet un potentiel de mutualisation important si un tel recensement existait, ce qui implique une plus grande empreinte territoriale de l'ANCT ». APVF

- Les CLCT sont souvent décrites comme des instances d'information descendantes, à la fréquence trop éloignée pour être opérationnelles, sans réel débat ou échange et ne jouant pas le rôle d'animation de l'écosystème local, ni de coordination des acteurs.

Contribution écrite sur les CLCT

« Les CLCT ne se sont que très peu réunies - une réunion d'installation seulement dans un grand nombre de département - l'information est généralement descendante et les projets locaux peu construits. » AMF

« L'usage du CLCT et son utilité varient grandement d'un territoire à un autre. Le rôle du préfet est à cet égard décisif. » APVF

« Les remontées montrent un bilan très inégal et mitigé des CLCT. Certains fonctionnent bien, mais il semble que nombre d'entre eux soient plutôt des coquilles vides. » FNAU

- Le dispositif évaluatif n'a pas été mis en place. L'ANCT ne suit pas les demandes locales, aussi il est impossible de savoir si les départements qui ne remontent presque jamais rien en central sont des territoires au fonctionnement optimal de l'écosystème local ou à fort déficit de visibilité de l'offre de l'ANCT.

(2) Une implication parfois superflue ou perturbante

Au-delà des difficultés de fonctionnement du schéma prévu, deux grandes critiques pointent.

D'une part, certaines auditions ont mis en évidence que l'intervention de l'État n'était pas souhaitée partout et qu'elle suscitait parfois des interrogations. Des territoires sont déjà organisés et les acteurs de l'ingénierie y fonctionnent déjà en réseau. Aussi l'intervention de la puissance publique interroge et peut déstabiliser.

Contributions écrites

«Nous n'avons pas besoin de l'État pour nous réunir, pour qu'on se connaisse et qu'on travaille ensemble. On a le sentiment que l'État prend la main pour proposer nos offres à notre place. » Un acteur du développement local

« [Le message de l'ANCT] peut brouiller la compréhension qu'ont les élus de la structuration qui peut exister au sein de chaque département et qui a été parfois ignorée par les services de l'État ! ». AnDAtd

D'autre part, les acteurs estiment que l'action de l'agence, au lieu de renforcer l'écosystème local, peut avoir des effets « contreproductifs » comme le soulignent ces exemples :

- « Des cas de plus en plus nombreux nous remontent relatifs à des situations de concurrence entre la stratégie de déploiement du Cerema (soutenu par le financement de l'ANCT) et l'action des agences d'urbanisme présentes, alors que leurs interventions pourraient être utilement géographiquement complémentaires voire coordonnées » relève la FNAU.

- Le financement de postes de chefs de projet à certaines petites villes, retenues dans le cadre de PVD, et pas à leurs voisines, a pu déstabiliser des écosystèmes locaux : en déséquilibrant les schémas de coopération existant, en instaurant des jalousies sur la base d'une sélection parfois difficilement justifiable et en créant des distorsions d'accès aux dispositifs de l'ANCT au profit des communes dotées d'un chef de projet.

- Parfois les relais locaux de l'ANCT « découragent » le recours aux acteurs locaux par les collectivités qui souhaitent les mobiliser. À titre d'exemple, plusieurs agences d'urbanisme avaient proposé d'accueillir les chefs de projets PVD voire, dans certains cas, les mutualiser au bénéfice de plusieurs territoires. « Cette solution a généralement été refusée par les services de l'État ou cela a été réalisé mais sans l'appui de l'ANCT » souligne la FNAU.

- L'intervention, via l'ANCT, de prestataires privés sur des prestations qui auraient pu être réalisées par des acteurs locaux crée de la confusion. La Fédération Nationale des Conseils d'Architecture, d'Urbanisme et de l'Environnement (FNCAUE) estime que le principe de subsidiarité est rarement mis en application au point de questionner la réalité de la volonté de travailler avec les ingénieries locales. L'absence de tour de table et de recherche de coordination des acteurs locaux traduisent une forme de facilité en faisant intervenir des prestataires privés sur commande.

Contributions écrites

« L'ANCT a eu tendance à exacerber la concurrence entre les ingénieries plutôt qu'à faciliter les complémentarités » FNAU

« Dès lors que l'analyse initiale n'a pas été suffisamment bien appréhendée, que les moyens humains n'ont donc pas été déployés correctement et avec une approche parfois très descendante, la déclinaison de l'action de l'ANCT dans les territoires est chaotique, inégale. (...) La méconnaissance de cette ingénierie locale a engendré, non pas une complémentarité des offres d'ingénierie, mais un potentiel recouvrement de certaines offres et pire, une concurrence. » AnDAtd

- L'annonce de prestations d'ingénierie gratuites contribue aussi à créer une forme de distorsion qui interroge (voir encadré ci-dessous).

L'annonce de prestations d'ingénierie gratuites : une fausse bonne idée ?

Le conseil d'administration de l'ANCT a décidé, le 10 mars 2021, la gratuité des prestations d'ingénierie de l'ANCT, opérées pour les communes de moins de 3 500 habitants et pour les EPCI de moins de 15 000 habitants dans l'Hexagone et outre-mer. Son offre de services recouvre, par exemple, ses expertises internes - en matière de réalisation d'études de potentiel commercial, de diagnostics territoriaux, de montage d'opérations immobilières -, l'appel à l'expertise de partenaires ou le recours à des prestataires de son marché d'ingénierie dans les domaines variés dont l'ingénierie de projet.

Trois difficultés ont été soulevées lors des auditions :

- La confusion créée par cette annonce chez les élus locaux. Cette ingénierie gratuite n'est accessible que faute d'une réponse locale. Ce qui signifie que des collectivités ont pu s'adresser l'ANCT pour en bénéficier et se sont vues renvoyées au niveau local. Mis dans la boucle, les opérateurs de l'ingénierie locale proposent des réponses. Réponses qui sont parfois payantes, compte tenu par exemple du modèle économique de l'acteur (comme une Agence Technique Départementale). Il est donc facile de saisir l'incompréhension des élus. L'enquête diffusée dans les préfectures confirme que les élus qui se voient renvoyés de la sorte vers l'accompagnement de proximité « ont le sentiment d'avoir été exclus d'un dispositif attrayant ».

- La pénalisation des écosystèmes locaux organisés. Faute de réponse locale, la collectivité peut bénéficier de cette offre gratuite. Mais dans ce cas, il y a une différence de traitement entre une collectivité dans un département qui se retrouve à devoir financer le recours à une prestation auprès des acteurs locaux, et celle qui, faute de réponse locale, bénéficie de cette prestation gratuitement. Les départements qui ont développés une ingénierie publique au service des communes semblent pénalisés.

- La gratuité n'a pas que des effets positifs sur le résultat. La non implication financière des collectivités pouvaient les rendre moins exigeantes dans la définition du besoin, l'expression des attentes, le pilotage du prestataire et l'appropriation des éléments. À l'inverse, les collectivités devant contribuer à la prestation sont souvent plus exigeantes.

(3) En cas de défaillance de l'écosystème local, des interventions palliatives plutôt qu'un renforcement de cet écosystème

En cas de défaillance de l'offre locale, l'ANCT propose soit de réorienter les demandes vers ses partenaires (26% des situations), de traiter avec son expertise interne (6% des cas), d'opérer via une subvention (21% des cas) ou enfin de solliciter son marché qui propose de l'ingénierie d'accompagnement via des consultants privés sur un certain nombre de jours (46% des situations).

NATURE DE L'ACCOMPAGNENENT DU DISPOSITIF « SUR MESURE » DEPUIS 2020

Source ANCT

C'est bien ce recours aux prestataires externes qui interroge. D'autant qu'en 2022, près de 65 % des projets accompagnés sur mesure par l'agence bénéficient d'un recours à un prestataire externe, notamment par l'activation des prestataires retenus dans le cadre du marché d'ingénierie de l'ANCT. Cette part est en augmentation puisque le recours aux prestataires représente en effet 47% des projets depuis la création de l'agence, au détriment de l'accompagnement par un opérateur partenaire de l'ANCT : 21 % des accompagnements en 2022 contre 30 % lors de la création de l'agence. Ce point est important pour comprendre ensuite les critiques des élus sur le recours à cette modalité d'intervention.

Dans certains cas, ces modalités d'intervention peuvent résoudre un problème ponctuel. Comme le signale l'AnDAtd, « le recours à une ingénierie privée de qualité n'est pas à blâmer et peut être une très bonne solution lorsqu'elle est pilotée correctement, en complémentarité et/ou subsidiarité de ce qui existe déjà ».

Mais ces interventions font aussi l'objet de critiques :

- Ces prestations collectives présentent un risque « d'industrialisation » : les prestataires privés déroulent parfois des prestations similaires. L'analyse des projets de territoire réalisés dans le cadre des CRTE souligne, par exemple, une certaine forme d'homogénéisation : états des lieux standardisés, avec les mêmes données, thématiques imposées, stratégies qui se ressemblent toutes, effet de « copier-coller » sur les propositions...

- La qualité n'est pas toujours au rendez-vous, notamment du fait de la déconnexion avec le terrain ou d'interventions trop ponctuelles. « Le prestataire à un peu bâclé le travail, il n'était pas les pieds dans le terrain » résume un maire.

- Elles ne s'inscrivent pas dans la continuité, dans la connaissance du territoire. C'est pourtant ce chaînage qui vient enrichir la connaissance et la compréhension des dynamiques locales. A l'inverse, les acteurs locaux assurent une présence permanente sur le terrain, connaissent le territoire, sont mieux à même de lire les enjeux et d'inscrire des solutions adaptées aux situations locales.

- Elles soulèvent la question de la capacité de pilotage par le niveau local. Lorsque cette capacité est insuffisante, la prestation peu décevoir, ne pas répondre à la commande. Elle peut aussi conduire un sentiment de dépossession des élus locaux. Comme le résume l'APVF, « certains maires de petites villes notent surtout la difficulté pour leurs équipes à garder la main-haute sur les projets et d'imposer leurs choix face aux consultants externes ». Un maire exprime ce sentiment avec cette formule : « les cabinets extérieurs, on est à leur merci, ils disent ce qu'ils veulent ».

- Elles ont le principal défaut d'être des interventions ponctuelles sans lendemain qui n'apportent ni continuité, ni capitalisation dans le temps. Elles laissent des documents et des schémas, des études et des préconisations, mais n'ont pas durablement renforcé la capacité de la collectivité en ingénierie. Elles ne contribuent en rien à augmenter la capacité d'ingénierie de la collectivité, ni à renforcer l'écosystème qui était et demeure défaillant.

Verbatim et contributions écrites

« Les élus ont besoin d'être accompagnés concrètement tout au long de la vie du projet et pas seulement par une ingénierie très ponctuelle. » ADF

« Est-ce que ce type d'intervention crée une culture de développement dans les communes impactées ? Comment une toute petite commune gère un consultant ? Évidement que le conseil municipal sera content, mais quelle pérennité et quelle appropriation ? » Un acteur du développement local

« Le recours à des marchés de prestation à bons de commande est une mauvaise solution. Elle est le plus souvent déconnectée des territoires et les prestataires viennent consulter les outils locaux, dont les agences d'urbanisme, pour revendre des solutions `copier - coller'. » FNAU

Il est légitime que plusieurs acteurs de l'ingénierie locale se posent la question du rôle que l'ANCT pourrait jouer pour soutenir le développement et l'enracinement d'une ingénierie territoriale publique pérenne et mutualisée (celles des collectivités, des agences d'urbanisme, des EPF, des SPL, des ATD, des CAUE..) plutôt que de privilégier une ingénierie d'État (centralisée et limitée en moyens) et le recours à des prestataires privés par marché à bons de commande.

(4) Le financement de postes, modalité appréciée, mais à la pérennité incertaine

Le financement de postes dans les collectivités est apprécié et considéré comme une bonne pratique par les élus : chef de projet ACV ou PVD ou territoire d'industrie, manager de centre-ville, ... même si l'absence de financement pérenne de ces postes inquiète.

La consultation des élus par le Sénat réalisée dans le cadre du rapport « Revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs : entre enthousiasme et frustrations » de M. Rémy POINTEREAU, Mme Sonia de LA PROVÔTÉ, MM. Serge BABARY et Gilbert-Luc DEVINAZ, démontre à quel point ces financements sont essentiels pour les villes concernées, notamment PVD.

PERCEPTION DES ÉLUS SUR LES POSTES D'INGÉNIERIE : DIRIEZ-VOUS QUE... ?

Sources : consultation Sénat, traitement Opinion Way

Les critiques qui s'adressent à l'agence sont aussi le signal d'écosystèmes locaux qui ne sont pas encore totalement constitués. Comme le déclarait l'ANCT lors de son audition : « le jour où les territoires seront organisés, il n'y aura plus besoin de l'ANCT sur la question de l'ingénierie ».

c) Un malentendu persistant entre les attentes des élus et la réponse de l'État

Vos rapporteurs ont le sentiment que l'ANCT ne peut pas, seule, répondre aux attentes qui présidaient à sa création.

Tous les élus interrogés font état de besoins en ingénierie plus élevés que jamais compte tenu de la complexification de l'action publique et de la densification de l'environnement réglementaire et technique. Ce besoin touche toutes les strates de collectivités et même les collectivités les mieux dotées qui ont des besoins spécifiques ou spécialisés.

Les enjeux de la transition environnementale, doublés d'une crise énergétique qui affecte durement les finances des collectivités, ajoutent aux besoins traditionnels d'une ingénierie de premier niveau, des besoins d'une ingénierie de second niveau, que vos rapporteurs pourraient qualifier de « passeur d'époque ».

Or, face à ces besoins, l'ingénierie publique est parfois atrophiée et l'offre privée défaillante sur certains segments thématiques ou certains territoires. Une étude récente de la SCET, filiale de la Caisse des Dépôts,21(*) met en évidence que dans 26 départements, il existe « un manque critique en expertises pour porter des projets territoriaux »22(*).

26 DÉPARTEMENTS CONNAISSENT UN MANQUE CRITIQUE EN EXPERTISE

Source : étude SCET

Derrière le mot générique d'ingénierie, se cachent des besoins très différents. Parfois besoins des territoires et offres des acteurs de l'écosystème ne s'accordent pas, tout simplement parce qu'il ne s'agit pas de la même ingénierie. L'ANCT via son marché propose essentiellement de l'ingénierie amont. Cette ingénierie de projet, dont l'utilité n'est pas remise en cause, ne répond que très partiellement aux besoins des collectivités ce qui peut susciter un malentendu.

L'INGÉNIERIE TERRITORIALE (EN ROUGE)
DANS LA CHAINE DE VALEUR DE L'INGÉNIERIE

Source : étude SCET23(*)

Il ressort des auditions et des analyses ce qui est illustré par ce schéma. Le besoin d'ingénierie des élus est triple :

- L'ingénierie amont qui permet de passer de l'idée au projet. Un projet n'est pas réductible à sa phase opérationnelle. Il y a un intérêt à le questionner vis-à-vis de son intégration dans les enjeux de demain, le mettre en perspective avec les enjeux des territoires, le repositionner dans un contexte plus global, d'interroger sa dimension financière sur le moyen terme, de travailler à sa faisabilité.

- Une ingénierie administrative et financière qui permet d'avancer le projet au plus près de sa phase de réalisation. Elle intègre une dimension de recherche de financements permettant sa réalisation.

- L'assistance à maîtrise d'ouvrage du projet. Afin de piloter le projet dans sa phase opérationnelle, la collectivité doit être armée par une assistance à maitrise d'ouvrage.

Et au-delà de ces trois types d'ingénierie, ce qui fait défaut c'est aussi leur combinaison en cas de projets complexes et transversaux.

Que ce soit en termes de densité de l'écosystème local ou en termes de diversité de l'ingénierie nécessaire, les défaillances affectent particulièrement les petites communes, les communautés de communes et les zones rurales. Ces collectivités n'ont pas la surface financière pour avoir de l'ingénierie elle-même. Les maires ont une nostalgie d'un temps ou les divisions territoriales, les DDE étaient dans l'assistance pour l'exercice opérationnel des compétences.

L'État local ne répond plus vraiment à cette demande. Et ces collectivités n'ont pas les moyens d'y pourvoir par elles même : que ce soit par des postes ou par des crédits. Il existe donc une grande frustration de ces élus, parfois nouveaux dans la fonction, qui ne trouvent pas les leviers leur permettant d'exercer leurs compétences et de déployer les projets envisagés.

Il y a donc un profond écart entre les besoins des élus et la capacité d'intervention de l'État. En ce sens, l'intervention de l'ANCT est vue comme insuffisante et son offre partielle ou inadéquate face à l'ampleur des besoins. La communication de l'ANCT qui se dit avoir pour mission de « conseiller et de soutenir les collectivités territoriales et leurs groupements dans la conception, la définition et la mise en oeuvre de leurs projets » semble bien trop au-delà de ses capacités.

Dans son rapport « À la recherche de l 'État dans les territoires », Mme Agnès CANAYER et M. Éric KERROUCHE dressaient un constat sévère de l'action de l'État au niveau territorial. « L'offre d'État répond mal, voire pas du tout, aux besoins des collectivités territoriales »

Verbatim de maires et contribution écrite

« Il y a un décalage entre l'accompagnement proposé et les besoins réels des territoires. » 

« On faut des balades urbaines, on colle des post-it, mais ce n'est pas ce que l'on attend, on a des problèmes de voirie. »

« L'ingénierie doit tendre à couvrir l'ensemble des projets portés par les maires. Il apparaît tout aussi important de disposer d'un soutien dans la phase préparatoire du projet que dans sa mise en oeuvre opérationnelle. » APV

« Les petites collectivités restent en attente d'une offre de « petite ingénierie » désertée depuis l'arrêt de l'ATESAT et non reprise, ni par le département, ni par les EPCI. » Une préfecture

2. Une approche encore trop descendante et peu attentive aux dynamiques locales

Le sentiment général des élus est que l'ANCT repose sur des logiques trop descendantes quand bien même le discours est bien rôdé sur le « cousu main », l'attention aux projets des territoires et la promotion d'une logique de confiance plutôt que de contrôle. L'attente des élus est que l'État privilégie le soutien, dans le cadre des priorités qu'il définit, à l'initiative ascendante : que ce soit dans ses programmes, dans ses contrats ou dans ses accompagnements.

Verbatim de maires et contribution écrite

« On doit laisser l'initiative locale, car les territoires sont dynamiques. »

«L'ANCT doit laisser le territoire s'emparer de ce qui marche, elle doit lâcher. »

« Le fonctionnement de l'ANCT est trop centralisé, ne fait pas assez confiance aux élus locaux et organismes locaux et aux services déconcentrés de l'État. » FNAU

a) Respecter les dynamiques locales et venir les appuyer

En terme de méthode, les élus locaux s'accordent à considérer que l'État central devrait être plus attentif aux démarches existantes. L'ANCT a lancé plusieurs programmes nationaux alors que des initiatives locales préexistaient, parfois de longue date, avec des objectifs ou des ambitions similaires. L'ANCT a largement ignoré ces dynamiques locales. Les élus estiment qu'il eut mieux valu apporter des moyens supplémentaires aux initiatives en cours, plutôt qu'en lancer de nouvelles avec parfois des effets de concurrence ou de compétition.

Contributions écrites des associations d'élus

« Les régions regrettent ainsi l'existence même de certains programmes mis en oeuvre par l'ANCT, sans véritable concertation préalable et qui recoupent parfois totalement les politiques qu'elles conduisent dans certains domaines depuis de nombreuses années. Le soutien aux villes moyennes et aux petites centralités et encore plus les contrats de relance et de transition Écologique (CRTE) constituent des exemples significatifs des dysfonctionnements engendrés par l'intervention de l'ANCT. (...). D'une manière générale, l'intervention de l'État dans ces domaines, en direct et à travers ses opérateurs, a de toute évidence largement perturbé les politiques menées par les Régions et rendu, en partie, illisible l'action publique pour un grand nombre d'élus et d'acteurs locaux, contribuant à générer et accentuer un mécontentement de la part de ces derniers. » RF

« La concentration des moyens sur quelques dispositifs peut avoir des effets pervers lorsqu'elle va rebours des organisations et priorités des territoires. » Ville et banlieue

«L'ANCT ne considère pas les territoires comme des territoires mais comme un lieu d'atterrissage de dispositifs nationaux silotés » Un maire

Les élus estiment que l'État devrait mettre en place des concertations sur les opérations à mettre en oeuvre et la manière de les réaliser avant de dérouler ses propres programmes.

De même, il devrait se contenter de fixer les grands objectifs et laisser les modalités d'organisation aux acteurs locaux là où chaque programme est très prescriptif sur les attendus et les dispositifs.

Cela passe aussi par une capacité à dérouler une communication équilibrée. Des élus estiment que l'agence à une certaine tendance à s'approprier les réussites, plutôt que de valoriser les dynamiques locales. L'ADF suggère de « mettre en place des communications adaptées aux contextes locaux et reconnaissant l'action des partenaires plutôt que déployer ce qui est souvent perçu comme une communication gouvernementale. »

b) Respecter le temps de l'appropriation des collectivités

Les programmes ou les dispositifs sont déployés au rythme qui correspond aux impératifs que se fixe l'État.

Beaucoup d'acteurs locaux ont signalé, par exemple, que les programmes ACV et PVD avaient été mis en oeuvre à « marche forcée ».

Les CRTE, qui auraient dû donner lieu à un travail de fond, nécessitant du temps et de la maturation, ont aussi été menés, conclus et signés à un rythme relativement incompatible avec ce type de démarche. Les acteurs qui en ont un sentiment positif soulignent souvent que le CRTE est venu conclure un processus local engagé antérieurement. Les élus qui n'étaient pas investis dans ces démarches ont souvent trouvé l'exercice superficiel et moyennement pertinent.

France service qui avait un objectif de déploiement de 2 000 maisons fin 2022, l'a atteint un an avant l'échéance.

Au final, ce sont les collectivités qui sont tenues de s'adapter à l'État. Par exemple, le travail fait sur les CRTE conduit la région Nouvelle Aquitaine à ne pas lancer, dans le cadre de sa nouvelle phase de « contrats de territoires » 24(*) 2023 -2025, de bilan ni de diagnostic face à la saturation des élus locaux vis-à-vis de ces démarches. La Région a été contrainte de passer directement de quelques grandes orientations stratégiques générales aux projets ou actions à soutenir pour ses contrats de territoire.

c) Réaliser des choix en commun pour créer de la cohésion

L'action de l'agence est perçue comme trop centralisée. Elle aurait pu ouvrir un dialogue avec les collectivités les plus importantes pour viser des choix partagés.

Le choix des villes retenues dans les programme PVD et ACV aurait pu être plus concerté, par exemple. Certes, il y a eu des discussions, notamment sur PVD, avec les conseils régionaux et les conseils départementaux, les associations d'élus (AMF, ADCF et AMRF) et les partenaires du programme. Mais, au final, certaines villes affectées d'un avis négatif des services de l'État (préfecture de département et de région) ont été retenues dans le programme ACV, comme des villes qui n'avaient rien demandé de particulier. Pour PVD, des villes initialement non retenues ont finalement été sélectionnés «après un coup de fil au préfet » au même titre que des villes qui ne souhaitaient pas l'être. L'avis des collectivités de niveau supérieur n'a pas réellement compté dans le processus.

L'AMF qualifiait cette méthodologie de « peu transparente » et concluait qu'elle créait un « sentiment d'iniquité sur les territoires ».

Une plus grande concertation, avec des choix partagés avec les régions ou les départements par exemple, aurait pu permettre d'améliorer le dialogue national/local.

d) Renouveler la contractualisation : les CRTE à mi-chemin

L'exemple des CRTE illustre ce mélange d'enthousiasme et de désillusion : entre promesse d'une approche différenciée et méthode globale dupliquée dans les territoires.

(1) Une philosophie saluée

La plupart des élus et de leurs associations saluent la philosophie des CRTE : une approche globale, ascendante, différenciée qui part des besoins du territoire et de ses réalités propres, et une volonté intégrative de l'ensemble des contrats existants.

La démarche a permis de fédérer les élus, parfois très différents (élus ruraux, élus urbains, élus de métropole...) en début de mandat autour d'un projet de territoire. Elle a permis de recenser tous les projets communaux et intercommunaux d'un territoire dans une vision à « 360° ». Parfois, les acteurs locaux ont souligné que c'était la première fois qu'une telle démarche était initiée. L'idée de disposer d'un contrat intégrateur, devant permettre la mise en cohérence des différents dispositifs existants, est appréciée. Elle a aussi permis de mettre les sujets liés aux transitions un peu plus au centre de la réflexion. Ces projets couvrent tout le territoire métropolitain et ultramarin, ce qui est aussi à souligner.

(2) Une réalisation critiquée

Les élus adressent trois critiques principales à cette réalisation :

- Une réalisation dans l'urgence sous la pression des préfectures, parfois relayée par les intercommunalités, alors que l'appropriation d'une démarche demande du temps.

- Un travail qualitatif inégal. Certains maires saluent le travail fait en commun à l'échelle intercommunale pour prioriser les projets et écarter ceux qui ne correspondaient pas à la philosophie du CRTE. D'autres regrettent une addition de projets communaux, sans mise en perspective, sans priorisation, sans stratégie et sans réelle plus-value.

- Une dimension « transition écologique » parfois très en retrait de l'objet initial. La logique de « relance » a clairement pris le pas sur l'ambition de « transition écologique ». Les projets soutenus étaient souvent déjà ficelés, même s'ils n'étaient pas forcément aussi vertueux qu'espérés.

Contributions écrites des associations d'élus

« Leur élaboration est perçue comme catastrophique par une partie des élus communaux et intercommunaux, notamment parce qu'elle a été menée dans l'urgence. » FNSCoT

« La déception générée par les CRTE (...) est à la hauteur de l'espoir suscité par la proposition simplificatrice en termes de guichet et des effets leviers attendus ». RF

(3) Un résultat questionné

Au final, les élus s'interrogent sur la réelle plus-value du CRTE d'un triple point de vue :

- Quelle cohérence y-a-t-il à s'interroger à nouveau sur la stratégie territoriale de façon déconnectée des démarches antérieures ou parallèles ? Il a été demandé aux élus de faire ou refaire un projet de territoire parfois sans lien avec la stratégie territoriale de long terme déjà engagée dans d'autres documents ou démarches.

- Est-ce que ce contrat qui se veut global se traduira en financements globaux ? Les élus souhaitent pouvoir s'appuyer sur des enveloppes globales territorialisées, fongibles et pluriannuelles. L'enveloppe financière CRTE devrait permettre de venir appuyer les projets de territoire, suivant leur état d'avancement et de priorisation, avec agilité et toujours au service de l'atteinte des objectifs partagés. Le financement devrait concrétiser ce changement de méthode : favoriser une dynamique ascendante grâce à la globalisation, l'agilité et la fongibilité des crédits et se défaire d'une logique opportuniste imposée par les appels à projets. Les territoires pourraient rendre compte de l'atteinte des objectifs ensuite.

- Est-ce que les services de l'État tireront toutes les conséquences de la méthode CRTE ? Les CRTE doivent permettre d'avoir un cadre stratégique de dialogue avec l'État au niveau territorial, pour sortir du dialogue en silo, politique publique par politique publique, et d'une attribution des crédits par des dispositifs aveugles les uns des autres. Or, le lien entre les CRTE et l'ensemble des programmes nationaux de l'agence n'est pas non plus évident, comme le souligne l'AMF qui évoque une « déconnexion » entre les deux. Les élus souhaitent notamment que les CRTE marquent la fin des appels à projets au profit de financements globaux. Le lien entre les CRTE, qui ont vocation à constituer la déclinaison territoriale des Contrats de Plan État Région (CPER) et ces derniers est aussi à revoir. Les CRTE sont actuellement pilotés par l'ANCT au niveau national mais suivis de manière hétérogène au plan local, chaque SGAR ayant développé son propre dispositif de pilotage, de suivi financier et d'évaluation. Les CPER sont pilotés par la DGCL. Cette dichotomie gagnerait à être mieux coordonnée.

Trois verbatim représentatifs de ces trois points :

Sur le point 1 : « La logique qui consiste à refaire régulièrement un nouveau projet de territoire ou un nouveau contrat qui sous prétexte de déclencher le développement et de faire prendre conscience aux élus ce qui est important pour leur territoire est absurde. » Un élu local

Sur le point 2 : « Nous avons créé la coquille, c'est une bonne chose ; mais maintenant il faut lui donner du contenu. Et cela ne peut être que de la valorisation de crédits, ce qui pourtant n'est aujourd'hui majoritairement pas le cas. » France Urbaine

Sur le point 3 : « Chaque catégorie de territoire se retrouve dans sa case, dans son programme. (...) Cette tendance à la gestion par programmes catégoriels s'oppose à la logique contractuelle, globale et transversale portée par les CRTE. » Un maire

(4) Un devenir incertain

Le portage politique des CRTE semble très inégal d'un territoire à l'autre. Il est souvent vécu plus comme un outil de rationalisation qu'un outil d'aménagement du territoire. Le temps sera un paramètre important pour que les élus s'approprient les CRTE afin d'en faire un réel outil stratégique d'aménagement du territoire. Le fait d'y adjoindre des moyens sera également un paramètre essentiel de leur devenir.

Contributions écrites des associations d'élus

« Les CRTE ne sont pas, à date, des outils que les Maires des Petites Villes se sont appropriés. » APVF

« Les intercommunalités attendent de savoir ce que l'État fera de ces contrats dans les prochains mois. » Enquête de l'AMF relative aux CRTE25(*)

e) Accompagner les dynamiques coopératives plutôt qu'agir sur chaque strate de collectivité

Il apparait aux acteurs, et en premier lieu aux élus locaux, que l'ACNT déploie une politique très sectorisée, là où au niveau local les collectivités sont dans des logiques imbriquées. Elle intervient par catégorie : petites villes, villes moyennes, villes de montagne, villes d'industries...

Or, un développement local réussi est à l'opposé d'une logique de silo, car il embarque toutes les collectivités d'un territoire, quelles que soient leurs caractéristiques, dans une dynamique globale.

Les élus font état d'un besoin plus net de favoriser les coopérations plutôt que d'aider chaque acteur de son niveau. L'ANCT devrait mieux appréhender cette logique de coopération des acteurs locaux et venir l'appuyer avec des dispositifs adaptés.

Contribution écrite

« Au-delà d'une approche par programme et donc par strate de collectivités, c'est la capacité de donner une réalité opérationnelle à la notion de cohésion dans la méthode, et donc d'accompagner aussi des logiques de coopération interterritoriale à l'échelle de systèmes territoriaux. Car une petite ville, une ville moyenne ou une grande ville sont toutes confrontés aux charges de centralité et à la responsabilité de structurer un bassin de vie, indépendamment de leur taille démographique (...). Les urgences nous obligent encore plus en ce sens. Alimentation, mobilité, énergie, sécurisation et préservation de la ressource en eau, zones à faible émission, objectif zéro artificialisation nette ... tout cela se pense en complémentarité au-delà des frontières institutionnelles. » France Urbaine 

f) Trouver une articulation avec le niveau régional

L'agence doit imaginer une forme d'articulation avec le niveau régional.

C'est au niveau régional que sont en principe définies les grandes orientations politiques et stratégiques en matière d'aménagement du territoire et, plus largement, de cohésion territoriale (SRADDET, SRDEII, CPIER massifs et fleuves, politique européenne de cohésion FEDER/FSE, politique européenne de développement rural FEADER dont LEADER...).

C'est avec le Conseil régional que sont négociées les contractualisations les plus structurantes (CPER dont le volet territorial, contrats interrégionaux de bassins et massifs, politiques territoriales contractualisées spécifiques des Régions...).

C'est au niveau régional que se coordonnent les financeurs des projets majeurs du territoire, dont les aides européennes, la déclinaison financière des contrats cités ci-dessus et divers financements : programme national de reprise et de résilience (PNRR), plan de relance, dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), etc.

C'est enfin au niveau régional qu'est organisée la gouvernance territoriale des grands opérateurs nationaux partenaires de l'ANCT comme le CEREMA, l'ADEME, la Banque des Territoires, etc.

Le comité des financeurs de l'agence

Prévu par les textes, le comité des financeurs commence seulement à se mettre en place en 2022. Il ne semble pas être une instance opérationnelle malgré l'intérêt qu'il présente. Régions de France estime que le rôle des Régions ne peut pas se cantonner à participer à un tour de table financier en fin de procédure, sans prendre part à un dialogue amont sur les projets à soutenir et la vision d'aménagement du territoire à promouvoir.

Les élus estiment qu'un dialogue stratégique et interministériel avec l'État sur les territoires serait pertinent, afin de déterminer des modalités d'accompagnement intégrées et globales répondant aux grandes transitions à conduire. L'ANCT doit réfléchir à intégrer le niveau régional.

3. Une simplification et un meilleur soutien aux projets locaux qui n'a pas eu lieu

L'une des vocations de l'ANCT était de simplifier les démarches des collectivités et porteurs de projets en leur assurant un interlocuteur unique, via son délégué territorial, pour les accompagner dans leurs projets et démarches. Il existait aussi l'espoir, à travers la mise en place de programmes et dispositifs, qu'un niveau de financement plus important serait mis en oeuvre.

a) L'espoir de simplification s'est transformé en sentiment de complexification

Globalement les élus ont le sentiment de complexité, de lourdeur et de bureaucratie sur les trois missions de l'agence : programmes, CRTE et accès à l'ingénierie.

Sur les programmes : « L'ANCT est un outil de centralisation et des procédures, inutilement lourdes. Tous les départements doivent-il clore leur appel à projet politique de la ville le même jour ? Et sous la même forme ? Les « produits administratifs » descendants sont voulus comme homogènes par l'État central : Cité Éducative, Cité de l'Emploi... » Ville et Banlieue

Sur les CRTE : « La dimension « intégratrice » du CRTE est jugée trop complexe et lourde à gérer : multiplicité des durées, des périmètres et des acteurs concernés les différents dispositifs publics et ne répond pas à la simplification attendue. » Enquête AMF relative aux CRTE

Sur l'ingénierie : « On avait promis aux élus la simplification des démarches pour accéder à l'ingénierie, et à ce stade, c'est une nouvelle strate un peu opaque qui s'est ajoutée. » Un maire

b) L'ANCT utilise et relaie les appels à projet (AAP) au lieu de chercher à les diminuer

Les appels à projet (AAP) sont unanimement décriés, et depuis longtemps, par les élus et leurs associations. Nombreux sont les rapports du Sénat qui relaient la recommandation de les réduire.

Les élus attendaient que la structure garante de la cohésion des territoires et du lien avec les collectivités, évite, a minima, de recourir à cette modalité de fonctionnement. Or, force est de constater que non seulement l'ANCT ne semble pas avoir ralenti l'usage, par les ministères et les opérateurs, de cette modalité d'intervention vis-à-vis des collectivités, mais, qu'en plus, elle appui ses propres programmes et dispositifs sur des appels à projets.

Verbatim et contribution écrite

« Ne sous-estimons pas la fatigue et la lassitude générée par les AAP, voire la défiance parfois dans les conditions de contractualisation avec l'État. » France Urbaine

« Elle n'a pas empêché le fonctionnement par AAP qui pourtant était nommément décrié. » Un maire

« Les AAP sont sans doute intellectuellement satisfaisants vus de Paris, mais souffrent de faiblesses majeures localement : l'opportunisme est valorisé sur le travail de fond. » Une préfecture

c) Le guichet unique insuffisamment opérationnel

« L'agence est une porte d'entrée unique, facilitatrice des projets locaux. Les objectifs de clarté et de lisibilité seront au coeur de notre action » déclarait Caroline Cayeux, la première présidente de l'ANCT, dans le vade-mecum de l'agence.

Pourtant cette mission de guichet unique espérée n'est pas clairement identifiée par les élus. Pour certains d'entre eux, le sentiment que les informations sont éparpillées selon les ministères compétents, entre les agences de l'État (ANCT et les autres) et même entre services de l'ANCT, demeure vivace. Le guichet unique ne semble pas une réalité opérationnelle.

Contribution écrite

« Sous prétexte de les simplifier, l'État ne fait que complexifier les dispositifs alloués aux territoires, conduisant à un véritable maquis administratif. » Région de France

« Il y aurait intérêt à préciser les rôles respectifs de l'ANCT et du CEREMA qui nous paraissent se chevaucher dans leurs missions d'autant que le CEREMA rentre en 2023 en tant que prestataire « in house » dans les collectivités adhérentes. » Association des Ingénieurs Territoriaux de France

La mission a interrogé les préfectures sur ce point. À travers les réponses collectées, il semble en effet que les outils de type « mail unique » ou « plateforme dédiée » ne sont pas généralisés.

MODALITÉS DES DEMANDES D'INGÉNIERIE FAITES PAR UN ÉLU LOCAL

Modalité de recueil

Cité ... fois

% sur l'échantillon

Modalités traditionnelles (courrier, mail, discussion lors de réunions, visite de terrain...)

42

76%

Mail unique

21

38%

Autre outil : plateforme dédiée, numéro dédié, outil collaboratif

11

20%

Source : Questionnaire Sénat auprès des préfectures

d) Le besoin de pluriannualité et de fongibilité toujours insatisfait

Les élus sont en attente de visibilité financière afin de mener à bien leurs projets. Ils estiment que des enveloppes globales et fongibles sur la durée du mandat, reposant sur des indicateurs et des objectifs partagés, seraient de nature à leur simplifier la tâche.

Cette pluriannualité existe parfois chez les partenaires de l'État, parfois même pour l'État (comme les CPER), mais de façon trop limitée. Les élus attendent que l'ANCT relaye et concrétise cette attente auprès des ministères.

Sur le Fonds vert, par exemple, s'il semble acquis que son attribution ne se fera pas par AAP, plusieurs acteurs souhaitent qu'il puisse inaugurer un nouveau fonctionnement : enveloppe globale, crédits fongibles, attribution déconcentrée.

e) Le besoin non couvert de financements nouveaux

Les élus estiment que le niveau de financement des projets est inadapté.

Ils ont exprimé leur incompréhension face au déploiement de programmes nationaux, d'actions, de dispositifs et de contrats nouveaux, qui ne reposent, au final, que sur des sources de financement traditionnelles (DSIL, DETR...).

Pire, ils estiment que l'aide à l'ingénierie vient parfois nourrir cette frustration : l'ANCT apporte une aide en amont pour préparer le projet mais pas de soutien réel pour sa réalisation.

Le rapport du Sénat « Revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs : entre enthousiasme et frustrations » 26(*) précédemment cité, a montré que cette attente déçue entrainait une forme de frustration des élus. À titre d'exemple, une ville retenue dans le programme PVD se voit bien financer l'ingénierie, notamment à travers son poste de chef de projet, mais n'obtient pas de financement complémentaire pour ses projets. Elle doit solliciter les dotations déconcentrées de l'État comme toute autre collectivité. Au final, certains élus locaux finissent par considérer qu'être retenu dans ces programmes nationaux n'est qu'une forme d'habillage de crédits de droit commun.

Verbatim

« On ne voit pas l'intérêt des nouveaux dispositifs qui vont chercher leur financement sur les outils traditionnels DETR et DSIL. On complexifie pour rien. » Un maire

« Sans financement spécifique nos maires n'ont pas vu d'intérêt au CRTE. » Un maire

« L'appel d'air en ambitions de projets à mener ne s'est pas accompagné de moyens dédiés pour la réalisation des travaux » Une préfecture

Les Maisons France service représentent bien ce sentiment d'ambivalence des élus locaux. Les élus expriment une satisfaction sur ce dispositif qui permet de maintenir du service public au plus près des territoires et des critiques liés à la faiblesse de l'aide de l'État (30 000 euros) qui les conduit à financer elles-mêmes ces missions parfois éloignées de leur compétences traditionnelles.

Les programmes nationaux qui proposent des financements nouveaux génèrent naturellement un niveau de satisfaction très supérieur. Ainsi, le Plan Avenir Montagne a été salué car « il repose sur du vrai argent qui est réel, des crédits vraiment nouveaux » selon les termes d'un élu local. Le Fonds vert est une première réponse sur les questions de transition écologique secteur où cette attente est particulièrement forte. Le dernier rapport d'I4CE27(*) montre que l'investissement des collectivités en matière de transition devrait être rehaussé de 6,5 Md€ par an pour être dans les trajectoires de la neutralité carbone.

Verbatim de maires

« L'État met en place des machins qui sclérosent la capacité des élus à oeuvrer. Le principe même de libre administration n'existe plus face à ces dispositifs. »

« Les élus locaux ont souvent le sentiment d'exercer leurs fonctions « à la demande de l'État » sur des programmations dont les exigences sont de plus en plus lourdes (définition du projet, fiches techniques, temps, ressources...) et dont les résultats s'avèrent souvent décevants. »


* 19 Leur composition, fixée par décret, comprend des représentants de l'État, des collectivités, les cinq grands opérateurs nationaux - la Banque des Territoires, l'Anah, l'Ademe, le Cerema ainsi que l'Anru -, ainsi que des représentants des acteurs locaux de l'ingénierie. Sa composition précise est laissée à l'appréciation du préfet, en fonction des réalités locales.

* 20 https://aides-territoires.beta.gouv.fr/

* 21 « L'ingénierie territoriale Une aubaine pour les territoires (et pour la France !), étude de le SCET, filiale de la Caisse des Dépôts https://www.cadredeville.com/announces/2022/04/29/scet_ingenierie-territoriale.pdf

* 22 Étude « L'ingénierie territoriale Une aubaine pour les territoires (et pour la France !) » de la SCET, filiale de la Banque des Territoires

* 23 Étude « L'ingénierie territoriale Une aubaine pour les territoires (et pour la France !) » de la SCET, filiale de la Banque des Territoires

* 24 Ces contrats sont destinés à accompagner une cinquantaine de communes pour favoriser l'émergence des projets sur le terrain.

* 25 https://www.amf.asso.fr/documents-enquete-intercommunalites-sur-les-crte-un-dispositif-la-croisee-chemins/41322

* 26 La consultation des élus par le Sénat réalisée dans le cadre du rapport « Revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs : entre enthousiasme et frustrations » de M. Rémy POINTEREAU, Mme Sonia de LA PROVÔTÉ, MM. Serge BABARY et Gilbert-Luc DEVINAZ, démontre à quel point ces financements sont essentiels pour les villes concernées, notamment PVD.

* 27 https://www.i4ce.org/publication/collectivites-investissements-ingenierie-neutralite-carbone-climat/#:~:text=I4CE%20estime%20que,budget%20d'investissement%20total%20actuel

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