N° 207
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 décembre 2022
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur les projets d' avenants aux contrats d' objectifs et de moyens des sociétés de l' audiovisuel public (2020-2022),
Par M. Jean-Raymond HUGONET,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon , président ; M. Max Brisson, Mme Laure Darcos, MM. Stéphane Piednoir, Michel Savin, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco , vice-présidents ; Mmes Céline Boulay-Espéronnier, Else Joseph, Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Samantha Cazebonne, M. Yan Chantrel, Mme Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mmes Sabine Drexler, Laurence Garnier, Béatrice Gosselin, MM. Jacques Grosperrin, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Michel Laugier, Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial .
AVANT-PROPOS
L'article 53 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit que le Gouvernement doit adopter des contrats d'objectifs et de moyens d'une durée de 3 à 5 ans afin de définir les priorités qu'il fixe aux cinq entreprises de l'audiovisuel public (France Télévisions, Radio France, ARTE France, France Médias Monde (FMM) et l'Institut national de l'audiovisuel (INA)). TV5 Monde possède son propre document de programmation stratégique. Par ailleurs, si ARTE France possède bien un COM, celui-ci est subordonné au contrat de groupe d'ARTE Geie, ce qui réduit les marges de manoeuvre du document.
Les COM qui s'achèvent ont été adoptés en janvier 2021, il y a donc deux ans. Pour respecter la loi, le Gouvernement a décidé d'intégrer de manière rétroactive l'année 2020, ce qui était pour le moins contestable. La commission de la culture avait donné un avis défavorable à ces COM (à l'exception de celui d'ARTE France) au motif qu'ils ne prévoyaient aucune stratégie claire et qu'ils se limitaient à prolonger la mise en oeuvre des initiatives déjà engagées.
Quel bilan peut-on faire dans ces conditions de ces COM 2020-2022 ? On peut considérer que les résultats obtenus sont encourageants si on les compare à la situation qui prévalait il y a encore quelques années quand ces entreprises évoluaient en « silos » et n'hésitaient pas à se concurrencer. Mais ces résultats demeurent néanmoins très en deçà de ce que permettraient une gouvernance commune et une véritable stratégie partagée. Ce bilan mitigé interroge sur la suite à donner à ces COM.
Alors que des travaux avaient été engagés dès le printemps 2022 pour établir de nouveaux COM pluriannuels, le Gouvernement a finalement fait le choix cet été de prolonger d'un an les COM 2020-2022 en actualisant les objectifs au moment même où il décidait de supprimer la contribution à l'audiovisuel public (CAP) pour la remplacer par une solution provisoire assise sur une fraction de TVA jusque fin 2024.
Cette réticence à faire des choix clairs pour l'avenir de l'audiovisuel public peut être vue comme le prolongement de l'indécision qui a caractérisé le précédent quinquennat en matière d'audiovisuel public. Elle peut aussi être considérée comme une opportunité pour mener à bien les réflexions indispensables à la définition d'une réforme d'envergure aujourd'hui appelée de leurs voeux à la fois par le régulateur de l'audiovisuel et la majorité des dirigeants de l'audiovisuel public.
Sans mésestimer la possibilité de mettre à profit cette année de transition, le rapporteur considère que l'absence de visibilité à moyen terme sur le financement et le défaut de véritable stratégie de la part de l'actionnaire justifient pleinement de donner un avis défavorable à l'adoption des avenants aux COM des sociétés de l'audiovisuel public .
I. UN PROLONGEMENT DES COM POUR LE PIRE OU LE MEILLEUR ?
A. UN BILAN DES COM 2020-2022 EN LIGNE AVEC LA MODESTIE DES OBJECTIFS RETENUS
1. Des objectifs modestes au regard des transformations en cours dans l'ensemble des médias
La feuille de route des précédents COM prévoyait cinq priorités communes à l'ensemble des sociétés de l'audiovisuel public : la culture et la création, la jeunesse, l'information, la proximité, l'Europe et les actions extérieures . Sans remettre en cause ces cinq priorités, le rapport adopté en janvier 2021 par la commission de la culture avait mis en évidence les limites des objectifs fixés. Le rapporteur avait ainsi regretté « qu'aucune évaluation de la production audiovisuelle (n'ait) été réalisée en amont de l'établissement de cette feuille de route. Il (rappelait) notamment que les programmes financés par France Télévisions malgré leurs succès d'audience ne (pouvaient) toujours pas être considérés comme particulièrement audacieux et créatifs et que leur réussite à l'exportation (restait) très limitée.
Les limites des précédents COM concernaient également l'information et la priorité donnée à la proximité. Les faibles audiences de la chaîne franceinfo sont toujours d'actualité alors que la chaîne LCI, dont l'audience était proche de celle de la chaîne publique, atteint aujourd'hui 2 % d'audience. Quant aux coopérations entre France 3 et France Bleu, elles peinent à avancer du fait des préventions réciproques qui demeurent, des différences d'organisation et de l'absence de vision partagée sur le plan éditorial.
Le rapporteur ne peut que s'étonner, dans ces conditions, du choix opéré par l'État de prolonger des COM qui n'ont pas été en mesure d'atteindre véritablement leurs priorités faute d'arbitrages clairs de la part de l'actionnaire. Alors que les COM ont été conçus comme des instruments de pilotage des entreprises de l'audiovisuel public, ils constituent en réalité aujourd'hui une somme d'indicateurs quantitatifs sans véritable portée qualitative donnant l'illusion que l'actionnaire joue encore un rôle dans la définition de la stratégie de ces entreprises.
Les contrats d'objectifs et de moyens (COM)
L'article 53 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit que « les contrats d'objectifs et de moyens déterminent (...) pour chaque société ou établissement public :
- les axes prioritaires de son développement ;
- les engagements pris au titre de la diversité et l'innovation dans la création ;
- les montants minimaux d'investissements de la société visée au I de l'article 44 dans la production d'oeuvres cinématographiques et audiovisuelles européennes et d'expression originale française, en pourcentage de ses recettes et en valeur absolue ;
- le coût prévisionnel de ses activités pour chacune des années concernées, et les indicateurs quantitatifs et qualitatifs d'exécution et de résultats qui sont retenus ;
- le montant des ressources publiques devant lui être affectées en identifiant celles prioritairement consacrées au développement des budgets de programmes ;
- le montant du produit attendu des recettes propres, en distinguant celles issues de la publicité et du parrainage ;
- les perspectives économiques pour les services qui donnent lieu au paiement d'un prix ;
- les axes d'amélioration de la gestion financière et des ressources humaines ;
- le cas échéant, les perspectives en matière de retour à l'équilibre financier. »
2. Des réalisations néanmoins nombreuses et utiles pour engager des évolutions plus ambitieuses
Si les COM 2020-2022 apparaissent décevants comparés à ce qu'aurait permis d'obtenir le vote du projet de loi déposé au Parlement en 2019 par Franck Riester qui prévoyait la création d'une holding publique, il serait injuste de mésestimer le travail réalisé au cours des trois dernières années par chacune des entreprises publiques .
Le rapporteur souhaite ainsi saluer les résultats obtenus tant en ce qui concerne l'évolution et le développement des programmes que la mise en oeuvre d'actions de transformation de chacune des entreprises.
Sur le plan des programmes , la qualité de l'information sur le service public doit être soulignée comme les développements numériques de franceinfo, France 24 et RFI. Le caractère particulièrement innovant des programmes réalisés par Radio France à destination des enfants les plus jeunes mérite d'être rappelé tout comme la politique d'accueil au sein de la Maison de la radio et de la musique.
Si les retards dans le déploiement des matinales communes à France 3 et France Bleu ont été rappelés précédemment, on ne peut ignorer les difficultés qu'il y avait à engager un tel projet ni l'atout que constitue un tel rapprochement pour l'avenir.
Le développement des langues africaines pour RFI constitue également une évolution positive compte tenu des enjeux géopolitiques que connaît le continent africain. La réactivité de FMM depuis le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne à travers la création d'une rédaction ukrainienne à Bucarest mérite aussi d'être mentionnée.
Concernant les moyens , les plans de départs engagés dans plusieurs entreprises de l'audiovisuel public avec le soutien de l'État ont démontré que l'organisation sociale pouvait évoluer pour s'adapter au défi du numérique et aux exigences budgétaires.
Le rapporteur estime ainsi qu'au cours des trois dernières années, les personnels de l'audiovisuel public ont su faire preuve d'engagement pour innover et évoluer, de réactivité pour répondre aux nouveaux défis et de responsabilité pour ajuster les méthodes de travail et accroître la productivité .