B. JEUNES ÉLUS : « NOUS NE SOMMES PAS L'AVENIR, NOUS SOMMES LE PRÉSENT »

1. Témoignages recueillis par la mission d'information

La mission d'information a tenu à associer de jeunes élus locaux à ses réflexions et à les inviter à la table ronde organisée le 9 mars 2022 avec les associations d'élus. Elle a souhaité en particulier connaître les motivations de leur vocation politique et leur ressenti quant à l'exercice de leur mandat.

Il s'agit tout d'abord, selon Céline Goeury, benjamine du conseil départemental de la Gironde, élue pour la première fois à 22 ans, d'être considéré comme un élu à part entière, sans considération relative à l'âge : « les jeunes n'ont sans doute pas envie que l'on parle d'eux en politique comme on a pu parler des femmes lors des débats sur la parité. Il n'empêche que, sans la loi sur la parité, elle ne serait pas effective aujourd'hui dans beaucoup de communes, de départements et de régions » 402 ( * ) .

Ce sentiment est partagé par Hugo Biolley, élu maire de Vinzieux en 2020, à l'âge de 18 ans : « Lorsque j'ai décidé d'être candidat, je ne me suis pas posé la question de mon âge, je suis parti d'une volonté et j'ai monté une équipe. Je crois que la question fondamentale est celle de la confiance. Des gens m'ont fait confiance à un moment et j'ai finalement rendu cette confiance » 403 ( * ) . C'est d'ailleurs aussi la confiance placée en lui qui a été le moteur de l'engagement de Benjamin Flohic, conseiller régional de Bretagne de 21 ans : « on ne me demandait pas de venir pour uniquement coller des affiches ou faire de la figuration, mais pour participer à l'élaboration du projet et à la direction de la campagne » 404 ( * ) .

De ce fait, les jeunes élus regrettent que les jeunes soient placés sur des listes électorales par intérêt politique et préoccupations de communication, sans pour autant être positionnés à un rang permettant d'être effectivement élus. Ce constat est d'autant plus regrettable qu'ils perçoivent leur âge comme un moyen d'agir au plus proche des préoccupations de la jeunesse : « mon mandat d'élu me permet de faire remonter certains sujets, comme la lutte contre la précarité étudiante » 405 ( * ) . Les jeunes élus ont donc l'opportunité de rapprocher des institutions qu'ils représentent cette jeunesse qui s'en éloigne souvent : « j'essaye de développer la confiance des jeunes, y compris des adolescents, envers les institutions. Je veux laisser aux jeunes les clés de l'action publique. Par exemple, je les laisse définir un lieu pour installer telle ou telle activité et il leur revient d'élaborer un projet. Des adolescents de ma commune ont ainsi contacté des entrepreneurs pour obtenir des devis » 406 ( * ) .

Enfin, l'un des principaux constats des jeunes élus locaux entendus par la mission concerne l'exercice pratique de leur mandat et la possibilité de le concilier avec leur activité principale . Certains d'entre eux n'éprouvent pas de difficulté mais ont conscience d'être des exceptions. C'est le cas d'Hugo Biolley : « J'ai la chance d'étudier dans une école qui me permet de concilier vie étudiante et vie d'élu, mais il reste un travail colossal à réaliser, au-delà même du statut de l'élu, pour que les jeunes veuillent tout simplement s'engager ». D'autres, au contraire, se heurtent à des difficultés propres, semble-t-il, au monde étudiant. C'est le cas de Sophia Habibi-Noori, conseillère régionale de Normandie : « la conciliation du mandat électif avec les études est assez complexe, a fortiori en période d'examen. C'est d'autant plus difficile du fait de la distance entre la ville où je fais mes études et mon territoire d'élection [...]. Exercer un mandat est chronophage, comme le sont les études... » 407 ( * ) .

En effet, le droit positif actuel consacre des droits particuliers au salarié élu local 408 ( * ) et non à l'élu étudiant, qui dépend donc de la bonne volonté de son établissement d'enseignement supérieur pour obtenir des aménagements lui permettant de conduire de front ces études et l'exercice de son mandat.

2. « Comment accroître la place des jeunes dans les collectivités territoriales » ? Réponses des élus locaux consultés par la mission d'information sur la plateforme du Sénat

Les réponses adressées par les élus locaux à la mission d'information via la plateforme du Sénat corroborent les constats issus de la table ronde du 9 mars 2022.

Tout d'abord, les élus locaux consultés par la mission d'information confirment la rareté des jeunes élus dans les assemblées locales, et plus particulièrement à l'échelon municipal auquel appartient la grande majorité des répondants : sur les 1 917 réponses à la question « quelle est la proportion de personnes de moins de 30 ans dans l'assemblée délibérante de votre collectivité ou de votre EPCI ? », 39,5 % font état de l'absence de jeunes élus dans leur conseil 409 ( * ) ; 0,6 % seulement des interlocuteurs de la mission d'information appartiennent à des assemblées où siègent au moins 50 % de moins de 30 ans.

Ensuite, 71 % des élus locaux ayant répondu au questionnaire de la mission d'information estiment que les moins de 30 ans ne sont pas suffisamment représentés dans la vie politique locale (23 % estiment que le critère de l'âge n'est pas pertinent) 410 ( * ) .

Selon de nombreuses réponses, promouvoir une participation plus dynamique des jeunes à la vie politique locale est un enjeu démocratique : « c'est essentiel d'avoir plus de jeunes car les politiques locales ne répondent pas à leurs besoins et continueront d'être en décalage, ce qui va accentuer le décrochage démocratique ».

Interrogés sur les mesures à privilégier pour mieux impliquer les jeunes dans la vie locale , les élus identifient tout d'abord, comme cela a été évoqué précédemment, la nécessité de faire connaître aux jeunes le fonctionnement des institutions , face à une ignorance largement répandue. Dans cette logique, deux axes principaux ont été évoqués pour progresser : renforcer l'éducation civique « classique » pour mieux faire connaître les institutions, et encourager les conseils de jeunes.

D'autres pistes appellent à une véritable remise en question des méthodes de travail des élus et à une adaptation du fonctionnement des institutions aux besoins et aux attentes des jeunes . La priorité est de leur faire confiance, de les consulter sur leurs attentes, en un mot de « leur ouvrir la porte » des institutions. Il s'agit, dans cet esprit, de promouvoir un changement de regard sur les jeunes en politique en mettant un terme aux « fausses discussions qui accusent les jeunes de ne pas savoir s'impliquer » et en acceptant de se « remettre en question ».

Diverses réponses appellent ainsi à « dépoussiérer nos méthodes », à « faire des discours/réunions moins longs, que cela rende le mandat plus dynamique, plus attrayant », à « adopter (le) mode de communication (des jeunes) » en privilégiant les réseaux sociaux, à mettre à profit les nouvelles technologies pour faciliter la participation, à distance.

Afin d'écouter les jeunes et de « les consulter sur leurs attentes », des élus suggèrent :

- d'organiser des « consultations auprès des jeunes de la ville, par exemple par voie dématérialisée, de façon à recueillir leur avis et faire en sorte d'en tenir compte dans les décisions du conseil municipal » ;

- de « faire intervenir les jeunes au conseil municipal, ne serait-ce que pour témoigner de ce qu'ils vivent dans les écoles/collèges » ;

- d'organiser une « consultation annuelle de tous les jeunes de la localité, sur au moins trois sujets qui seront à l'ordre du jour du conseil municipal » ;

- de « former les élus locaux aux enjeux de la jeunesse » et d'« avoir des politiques territoriales plus axées sur la jeunesse ».

Dans le même esprit favorable à une meilleure prise en compte des attentes des jeunes, l'une des réponses suggère, dans une approche créative, de « mettre en place une sorte de “ cabinet fantôme ” à l'anglaise qui obligerait toutes les municipalités ou en tout cas d'une certaine taille à consulter et organiser sur tous les grands thèmes des collectivités des sessions avec ce “cabinet fantôme” composé de jeunes exclusivement. Les thèmes pourraient être : finances-budget, culture, vie associative, transports-mobilités, transition écologique-environnement, travaux-aménagements... ».

De manière générale, l'objectif est « avant tout un engagement plus fort de l'équipe municipale pour faire adhérer les jeunes à la vie politique locale ».

Pour les jeunes élus soient plus nombreux dans les instances locales , certaines propositions suggèrent d'agir sur :

- l'accès aux mandats , en sollicitant davantage les jeunes pour intégrer les listes en position utile , le cas échéant au moyen de quotas ;

- l'accès aux responsabilités , par le biais de « tremplins (vers les) postes clé » des exécutifs locaux.

Enfin, le statut des élus est désigné comme un levier important pour renforcer la place des jeunes dans les assemblées territoriales.

La conciliation des responsabilités électives avec les obligations professionnelles et la vie privée est désignée comme un obstacle majeur à l'engagement politique des jeunes , plus particulièrement des jeunes actifs, confrontés aux contraintes du démarrage d'un parcours professionnel et aux responsabilités parentales, qui constituent autant de blocages pour participer à la vie locale. Une réponse suggère de prévoir des solutions de garde d'enfants pendant les réunions ; une autre aspire à « créer un statut de l'élu local qui permettrait un détachement de quelques heures hebdomadaires pour les activités municipales ».

Dans ce contexte, on note une remarque judicieuse sur le fait que « les étudiants restent malgré tout plus “mobilisables” que les jeunes actifs », sous réserve qu'ils en aient la disponibilité, a fortiori parce que « les pratiques distancielles en place depuis maintenant presque deux ans » sont de nature à résoudre la difficulté liée au fait qu'ils ne résident généralement pas dans leur ville d'origine en semaine. Certains appellent donc à « créer un statut du jeune élu ou de l'étudiant élu » : cette remarque rejoint une proposition exprimée lors de la table ronde avec des élus locaux, le 9 mars 2022.

La mission d'information a été sensible au travail de réflexion que nombre d'élus locaux ont bien voulu partager avec elle. Elle salue l'implication de nos élus pour partager avec le Sénat leurs constats et leurs idées.


* 402 Compte rendu du 9 mars 2022.

* 403 Compte rendu du 9 mars 2022.

* 404 Compte rendu du 9 mars 2022.

* 405 Propos de Benjamin Flohic, compte rendu du 9 mars 2022.

* 406 Propos d'Hugo Biolley, compte rendu du 9 mars 2022.

* 407 Compte rendu du 9 mars 2022.

* 408 Voir les articles L. 2123-1 et suivants du CGCT et, notamment, l'article L. 2123-1-1 introduit à l'initiative du Sénat, par l'adoption d'un amendement d'Agnès Canayer, lors de l'examen de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique.

* 409 Pour 53,4 % des répondants, la proportion de jeunes de moins de 30 ans est inférieure au quart ; les jeunes élus représentent le quart des élus pour 4,1 % des interlocuteurs du Sénat et le tiers pour 2,5 % des élus consultés.

* 410 D'après les interlocuteurs de la mission d'information, la faible présence des jeunes dans la vie locale tient principalement aux trois obstacles suivants : les jeunes manifestent un faible intérêt pour la question (42,2 % des réponses), ils manquent de temps (27,3 %), ils ne se reconnaissent pas dans l'offre politique (20,8 %).

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