III. UN IMPÉRATIF : MOBILISER L'ÉCHELON LOCAL POUR FAIRE DES JEUNES DES ACTEURS À PART ENTIÈRE DE LA VIE DÉMOCRATIQUE
Les travaux de la mission d'information ont confirmé l' engagement des collectivités territoriales à l'égard des jeunes citoyens et la diversité des bonnes pratiques locales à encourager dans cette perspective.
Parmi les outils susceptibles de susciter des vocations de citoyens actifs, la mission d'information a été convaincue de l'intérêt que pourraient présenter les conseils de jeunes si le rôle de ceux-ci était renforcé. Elle a également apprécié l'intérêt de l'implication des jeunes dans la politique mémorielle, qui constitue aujourd'hui un enjeu local important.
Enfin, elle a entendu les témoignages de jeunes élus demandeurs de responsabilités, faisant sienne la remarque de l'un d'eux : « Nous ne sommes pas l'avenir, nous sommes le présent » 369 ( * ) , qui appelle à améliorer leur accès aux mandats.
A. COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET JEUNES CITOYENS : DES EXEMPLES À ENCOURAGER
1. Les journées citoyennes : un vecteur de lien intergénérationnel
Parmi les initiatives des collectivités territoriales contribuant à promouvoir la citoyenneté, les journées citoyennes occupent une place importante, notamment en tant que vecteur emblématique de lien social et de rapprochement entre les générations.
Entendu par la mission, Fabian Jordan, maire de Berrwiller et président de Mulhouse Alsace Agglomération, qui est à l'origine des « journées citoyennes », indiquait que sa démarche était motivée par le souhait que les citoyens de sa commune, de toutes les générations, « deviennent acteurs, et non simples consommateurs de la vie publique » et qu'il avait voulu « impulser quelque chose de différent (afin) que tout le monde puisse se sentir impliqué » 370 ( * ) .
Les journées citoyennes d'après Fabian Jordan, maire de Berrwiller 371 ( * )
« Je n'avais pas exercé de mandat avant d'être élu, je n'avais aucune expérience politique et ne savais pas comment gérer une commune, mais je voulais que mes citoyens deviennent acteurs, et non simples consommateurs de la vie publique. Je voulais impulser quelque chose de différent et que tout le monde puisse se sentir impliqué. La clé de la réussite réside à mes yeux dans la proximité, la confiance et l'exemplarité des élus, ainsi que dans leur capacité à fédérer l'énergie positive de leurs administrés. Je suis également convaincu que le monde associatif constitue un potentiel important de la dynamique collective que je souhaitais encourager.
L'idée de la journée citoyenne est simple : vous, citoyens, avez envie de faire quelque chose et nous, élus, sommes présents pour accompagner vos initiatives. Très vite, une dynamique de solidarité et de fraternité s'est mise en place, et d'innombrables initiatives ont fleuri. Nous avons constaté des exemples de cette fraternité pendant la crise sanitaire, avec la fabrication de masques par exemple. Ces journées suscitent une fierté, un sentiment d'appartenance important pour tous les citoyens, mais plus encore pour les jeunes.
La première journée citoyenne a eu lieu en 2008 dans ma commune. C'est ensuite à travers l'Observatoire national de l'action sociale (ODAS) et l'Agence des pratiques et initiatives locales (Apriles) que j'ai développé la journée citoyenne à travers la France pendant près de dix ans. Nous avons créé un réseau d'ambassadeurs régionaux et nous nous appuyons aussi sur de grands partenaires économiques comme EDF, La Banque Postale, la Fondation SNCF ou la Mutualité sociale agricole.
Aujourd'hui, 3 000 communes françaises organisent une journée citoyenne, mais il n'y en a pas deux qui se ressemblent. Des collèges, des lycées, des musées, des établissements pour personnes âgées, divers établissements publics et des entreprises organisent aussi des journées citoyennes. L'objectif est d'être actifs ensemble, de construire quelque chose ensemble.
Parmi les initiatives prises lors de ces journées, on peut citer l'entretien et la rénovation du mobilier et des équipements publics, des chemins communaux, des aires de jeux, des espaces verts, la création de jardins partagés, mais aussi l'organisation d'un spectacle, l'aménagement d'un espace d'expression artistique, la mise en oeuvre d'un projet intergénérationnel (emmener les personnes âgées au cinéma, par exemple), la sensibilisation de la jeunesse à la biodiversité, à la préservation de l'environnement, à la propreté ou au civisme. La rénovation d'un abribus, que les jeunes de ma commune souhaitaient moderniser, me vient à l'esprit. Ce projet a été mené avec des artisans du village, heureux de partager leurs compétences avec les collégiens. Cet abribus n'est plus anonyme, les gens se le sont approprié.
À fin de la journée, tout le monde est heureux, ce qui est quand même assez exceptionnel ! Généralement, quand les gens viennent en mairie, c'est pour nous dire tout ce qui ne va pas, et là, ils viennent nous remercier, alors même qu'ils se sont engagés.
Ces journées permettent aussi d'intégrer les nouvelles populations, dans une démarche de partage et de construction. Dans ma petite commune, j'ai par ailleurs pris l'initiative de rencontrer individuellement tous les nouveaux habitants pour leur souhaiter la bienvenue, de leur présenter le village, ses associations, ses commerces et ses producteurs, car il est important que chacun se sente chez soi et qu'il s'approprie son espace public. Aujourd'hui, 80 % des 366 communes du Haut-Rhin organisent des journées citoyennes. »
Afin d'apprécier concrètement la teneur des journées citoyennes, une délégation de la mission s'est rendue à Soulaire-et-Bourg, commune de 1 531 habitants de Maine-et-Loire, qui organise de tels événements depuis 2017 372 ( * ) .
L'organisation de la journée citoyenne débute par une phase d'appel à projets durant laquelle les habitants de la commune soumettent des travaux ou des actions qu'ils aimeraient voir réalisés lors de cette journée, tels que la construction de nids à cigognes ou des boîtes à insectes ou la réfection des garde-corps du stade municipal. Les travaux sélectionnés sont alors mis en oeuvre lors de la journée citoyenne par l'ensemble des acteurs en fonction de leurs capacités et de leurs expertises propres.
Comme l'indiquait son maire lors de ce déplacement, le principe des journées citoyennes est dérivé de la devise de la République. Liberté : chacun est libre de participer ou non ; Égalité : tout le monde occupe une place égale dans l'organisation ; Fraternité : le déroulement s'effectue dans une ambiance fraternelle, notamment nourrie par les échanges intergénérationnels.
Ce témoignage d'un jeune citoyen confirme l'intérêt du rapprochement entre les générations, dimension importante des journées citoyennes : « La journée citoyenne permet de retrouver des personnes de générations différentes. On travaille beaucoup, mais c'est pour le bon fonctionnement du village et dans une ambiance de travail très sympathique » 373 ( * ) .
Présentation des journées
citoyennes
par l'Agence des pratiques et initiatives locales
(
Apriles
)
Afin d'encourager la création de liens au sein de la population, un peu partout en France chaque année, des habitants consacrent bénévolement une journée à leur commune pour réaliser ensemble des projets qu'ils ont eux-mêmes proposés. Cela peut aller de chantiers d'amélioration du cadre de vie, de rénovation d'équipements, de valorisation de l'histoire et du patrimoine à des projets associatifs, culturels, éducatifs ou tout simplement ludiques. Il s'agit de faire ensemble pour mieux vivre ensemble en permettant à chaque habitant volontaire, quels que soient son âge, son sexe, ses origines ou ses aptitudes, de devenir acteur pour sa collectivité. Les communes se placent alors dans un rôle d'accompagnateur des initiatives citoyennes en mobilisant et en mettant en synergie tous les acteurs de leur territoire (habitants, élus, agents, acteurs associatifs, acteurs économiques...), en créant les conditions de leur coopération, de la construction à la finalisation des projets. Une approche ascendante de l'action publique qui favorise la citoyenneté active et le vivre ensemble.
Source : Fiche La Journée Citoyenne : faire ensemble pour mieux vivre ensemble, éditée par l'Apriles
L'Observatoire national de l'action sociale (Odas) 374 ( * ) , créé en 1990 pour analyser l'action des collectivités locales et des institutions territoriales en matière de cohésion sociale, a progressivement inscrit la citoyenneté au coeur de ses missions. Convaincu de la nécessité de dynamiser les liens sociaux et de consolider le vivre ensemble et partant du principe que les élus locaux - plus particulièrement les maires - sont les mieux placés pour soutenir le développement de la citoyenneté , cet organisme est devenu un acteur majeur des journées citoyennes. Il appelle ainsi à une « mobilisation sans précédent » pour qu'une synergie entre élus locaux et responsables associatifs aboutisse en octobre 2022, dans un contexte marqué par les « graves incertitudes économiques et sociales » liées aux crises sanitaire et environnementale actuelles, à une « journée nationale de la citoyenneté et de la fraternité », déclinée du concept de journée citoyenne, autour d'« actions collectives ouvertes à tous les habitants, quelles que soient leurs cultures, leurs origines, leurs générations ». L'objectif est de faire vivre le « terreau de la fraternité dans chaque territoire » 375 ( * ) .
Dans un esprit comparable à celui des journées citoyennes, tendant à créer un lien de proximité entre les habitants d'une même commune, le maire de Soulaire-et-Bourg a indiqué à la mission d'information, lors du déplacement dans le Maine-et-Loire, prendre régulièrement l'attache de chaque nouvel habitant de sa commune pour se présenter et présenter le tissu associatif et les infrastructures de la commune.
2. Dispositifs destinés aux jeunes citoyens
Les collectivités territoriales ont mis en place des dispositifs ciblant en particulier les jeunes afin de les inciter à un engagement citoyen . Certains sont accompagnés de contreparties matérielles. C'est notamment le cas du dispositif Gagne ton argent de poche qui offre la possibilité à des jeunes âgés de 16 à 18 ans d'effectuer des petits chantiers de proximité en contrepartie d'une indemnisation 376 ( * ) . Selon le site de la Caisse d'allocations familiales, qui accompagne ce dispositif, il s'agit notamment de valoriser l'engagement des jeunes et leur participation à la vie de la cité, de contribuer à l'insertion sociale, de transmettre les valeurs de la République et de permettre aux jeunes ne prendre des initiatives.
Le dispositif « tremplin » mis en place par le département de l'Essonne répond à des finalités comparables . À destination des jeunes du département de 16 à 25 ans, il consiste à leur attribuer une aide financière pour différents projets (permis de conduire, frais d'inscription, logement, ou frais de santé) en contrepartie de 40 heures d'engagement citoyen auprès d'une association ou d'une collectivité territoriale 377 ( * ) . L'aide s'élève à 400 euros par projet et peut atteindre 800 euros par jeune, entre ses 16 et ses 25 ans. Une des conditions est que le jeune assume un reste à charge de 10 % sur le coût de son projet.
Indépendamment de toute compensation financière, le « passeport civique », lancé par la Vendée en 2021 et, plus récemment, par le département de l'Orne, a pour objet d'offrir la possibilité aux élèves de CM2 et aux collégiens, sur la base du volontariat, de cultiver le vivre-ensemble et l'engagement citoyen à travers des actions concrètes autour du patrimoine, de l'environnement ou de la solidarité 378 ( * ) . Le passeport Vendée civisme concerne ainsi, pour la deuxième édition (2021-2022), des « actions au service de la citoyenneté et de la mémoire ». Selon le site du département de la Vendée, les communes ont la possibilité, en fin d'année scolaire, de remettre une médaille ou un diplôme aux élèves pour matérialiser et valoriser leur action. Le passeport civique est labellisé par le ministère des sports et de la jeunesse.
En outre, certaines communes organisent des cérémonies de remise des cartes électorales aux nouveaux électeurs afin de conférer une certaine solennité à ce moment important de la vie d'un citoyen. Ces cérémonies sont prévues par le code électoral, dont l'article R. 24 dispose que « la carte électorale des personnes inscrites sur les listes électorales de la commune qui ont atteint l'âge de dix-huit ans depuis le 1 er mars de l'année précédente leur est remise lors d'une cérémonie de citoyenneté », et précise que cette cérémonie est organisée « dans un délai de trois mois à compter du 1 er janvier de chaque année », sauf pendant la campagne d'une élection qui concerne tout ou partie de la commune. Ces cérémonies sont un véritable vecteur de valorisation de la citoyenneté.
Les élus locaux consultés par la mission d'information sur la plateforme du Sénat ont été nombreux à plébisciter ces cérémonies citoyennes , dont l'intérêt pour « rapprocher les citoyens de l'échelon municipal » a été régulièrement relevé, comme le montre l'encadré ci-après.
Bonnes pratiques des élus locaux consultés par la mission d'information sur la plateforme du Sénat pour « rapprocher les citoyens de l'échelon municipal »
Parallèlement aux propositions formulées afin de mieux impliquer les jeunes dans la vie locale, les élus consultés par la mission d'information sur la plateforme du Sénat ont partagé diverses bonnes pratiques pour « rapprocher les citoyens de l'échelon municipal ».
Ces bonnes pratiques concernent tout d'abord les futurs citoyens , pendant leur scolarité , et visent :
- l'association des jeunes aux temps forts de la vie locale que sont les inaugurations et les cérémonies mémorielles ;
- l'accueil de collégiens de classe de troisième « en stage d'observation à la mairie » ;
- l'obligation d'« effectuer au moins un stage de citoyenneté dans le cadre scolaire au sein des collectivités locales » ;
- enfin, la généralisation des « cérémonies citoyennes » en mairie lors de la remise de la carte d'électeur .
Cette volonté d'oeuvrer au rapprochement entre citoyens et élus municipaux s'adresse aussi aux aînés . Un élu propose ainsi « des passages réguliers obligatoires en mairie à différentes étapes de la vie : à 16 ans, lors du recensement, à 18 ans, lors de l'accès à la majorité, et à l'occasion d'une arrivée dans une commune ». Ce « passage en mairie » à l'occasion d'un déménagement constitue en effet une bonne pratique intéressante, dont la mission a eu connaissance lors des échanges auxquels elle a participé dans la mairie de Soulaire-et-Bourg, à l'occasion de son déplacement dans le Maine-et-Loire, le 24 février 2022.
3. Les conseils de jeunes : un vivier à valoriser, des structures à responsabiliser et accompagner
La loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 dite « égalité et citoyenneté » prévoit que les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI-FP) ont la faculté de créer un conseil de jeunes. L'article L. 1112-23 du code général des collectivités territoriales confère à ces instances - par ailleurs paritaires - la mission d'émettre des avis sur les mesures relevant des politiques concernant la jeunesse. Il revient à l'organe délibérant de la collectivité qui met en place ces conseils de préciser leurs modalités de fonctionnement et leur composition.
Article L. 1112-23 du code général des collectivités territoriales
« Une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale peut créer un conseil de jeunes pour émettre un avis sur les décisions relevant notamment de la politique de jeunesse. Cette instance peut formuler des propositions d'actions.
Elle est composée de jeunes de moins de trente ans domiciliés sur le territoire de la collectivité ou de l'établissement ou qui suivent un enseignement annuel de niveau secondaire ou post-baccalauréat dans un établissement d'enseignement situé sur ce même territoire. L'écart entre le nombre de femmes et le nombre d'hommes ne doit pas être supérieur à un.
Ses modalités de fonctionnement et sa composition sont fixées par délibération de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou de l'établissement public de coopération intercommunale. »
a) Témoignages de jeunes conseillers : une expérience jugée valorisante malgré des marges de progression
La mission d'information a donné la parole à des membres de conseils de jeunes au cours de deux réunions , organisées en lien avec l'Association nationale des conseils d'enfants et de jeunes (Anacej) 379 ( * ) . Au cours d'une première séquence se sont exprimés des représentants du Conseil parisien de la jeunesse, du Conseil départemental des jeunes de l'Allier, du Conseil villeurbannais de la jeunesse et du Conseil des jeunes de Mulhouse. La seconde audition, ouverte à la délégation sénatoriale aux outre-mer, a permis de donner la parole à des représentants de conseils de jeunes entendus depuis la Martinique, La Réunion et Mayotte. Enfin, une délégation de la mission d'information est également allée à la rencontre des membres du Conseil de jeunes de la commune de Jacou, située dans la métropole de Montpellier.
Que les jeunes conseillers viennent de métropole ou des outre-mer, leurs témoignages, dont des extraits éclairants sont reproduits dans l'encadré ci-après, se rejoignent plus particulièrement sur les points suivants :
- tout d'abord l' expérience d'un conseil de jeunes est vécue de manière très positive et enrichissante , par-delà la diversité des thématiques sur lesquelles les interlocuteurs de la mission d'information ont travaillé pendant leur mandat (organisation d'événements pour la jeunesse ou de sorties culturelles, apprentissage des premiers secours, environnement, propreté et traitement des déchets, santé mentale des jeunes, égalité entre femmes et hommes, violences faites aux femmes, préservation du lien intergénérationnel...) ;
- cette expérience est jugée formatrice car elle permet de mieux connaître le fonctionnement des institutions locales et parce qu'elle favorise, à travers l'apprentissage de la conduite de projets, une prise de conscience des difficultés de la gestion d'une collectivité ;
- parmi les axes d'amélioration exprimés par ces témoignages, l' insuffisante association des conseils de jeunes aux travaux et aux réflexions des collectivités dont ils sont issus et le manque de liens avec les élus sont fréquemment déplorés : « ce n'est pas suffisant de lancer un conseil de jeunes, de faire une photo le jour de l'installation avant de repartir ! » ; la formation prochaine, à Villeurbanne, d'un « conseil miroir » permettant aux jeunes conseillers « un droit de parole au sein du conseil municipal » confirme la volonté de ces jeunes de peser davantage dans les délibérations de leur collectivité et que les élus leur fassent confiance ;
- enfin, la participation à un conseil de jeunes donne envie de poursuivre l'expérience par un engagement (politique ou associatif) : « l'engagement appelle l'engagement » ; cette appétence est commune aux jeunes venant d'un milieu familial favorisant l'engagement et à ceux qui ont acquis le goût de l'engagement par leur propre expérience (par exemple en tant que délégué de classe puis membre d'un conseil de jeunes).
Conseils de jeunes - Témoignages entendus par la mission d'information 380 ( * )
« Mon expérience (...) m'a permis de mieux connaître les dispositifs de la ville et de rencontrer plusieurs jeunes partageant la même volonté d'engagement que moi. (...) L'objectif est de renforcer le lien de confiance mis à mal avec les institutions publiques. (...) Nous voulons établir un canal de communication directe entre les instances et les jeunes pour permettre à ces derniers de proposer des idées. Il s'agit de rendre plus démocratique le fonctionnement de ces instances(...). Il est très important pour moi de servir les autres (...) ; l'engagement appelle l'engagement ! J'ai envie de proposer des projets, j'ai envie de continuer à essayer de résoudre les problèmes qui concernent les jeunes . » (Membre du Conseil parisien de la jeunesse)
« Le regard que je porte sur les conseils de jeunes est très positif. Les expériences sont enrichissantes, sur le plan tant personnel que collectif. On découvre une nouvelle façon de penser, d'imaginer et de s'ouvrir aux autres. (...) Nous voudrions être plus écoutés et plus entendus. Nous voudrions surtout jouer un rôle et faire entendre notre voix dans les instances départementales ou municipales qui nous ont mis en place. Nous ne voulons pas être un outil politique pour faire joli ! (...) Personnellement, ma participation au conseil de jeunes m'a donné envie de m'engager. L'engagement est pour moi un facteur d'épanouissement. (...) Pourquoi s'engager ? Il s'agit tout simplement d'une passion. L'engagement, c'est quelque chose que l'on fait avec le coeur, on n'y va pas en rechignant. Il s'agit d'un choix . » (Membre du Conseil départemental des jeunes de l'Allier)
« Mon expérience a été extrêmement enrichissante, elle m'a permis de faire de belles rencontres et de m'ouvrir sur les enjeux de politique locale, voire régionale. Quelles sont mes suggestions ? Je propose tout d'abord de donner plus de moyens aux jeunes. À cette fin, Villeurbanne est en train de mettre en place un conseil miroir afin de permettre aux élus du CDJ d'avoir un droit de parole au sein du conseil municipal. C'est une première en France. Ma participation au conseil des jeunes m'a donné envie de m'engager, qu'il s'agisse de la politique ou du monde associatif . » (Membre du Conseil villeurbannais de la jeunesse)
« Pour ma part, grâce à cette participation, j'ai pu développer ma curiosité, comprendre le fonctionnement d'une ville et apprendre à gérer des projets dans leur globalité. J'ai également appris à m'exprimer en public ; il serait d'ailleurs intéressant de développer des formations en ce sens, car il n'est pas évident, au départ, de surmonter sa timidité, surtout lorsqu'on s'adresse à des élus. (...) In fine, nous sommes les porte-parole des jeunes et les ambassadeurs de la jeunesse. Notre objectif est d'améliorer leur quotidien à travers différents projets (...). C'est pourquoi j'ai voulu m'engager à une autre échelle, “dans la cour des grands”, comme je dis souvent, en entrant dans le conseil municipal de la ville de Mulhouse. Notre démarche est vraiment de faire une politique par les jeunes et pour les jeunes . » (Ancienne membre du conseil des jeunes de Mulhouse, conseillère municipale de Mulhouse, déléguée au suivi des conseils enfants, adolescents et jeunes et à la vie étudiante)
« En tant que maire junior, j'ai appris à mettre en place des projets (...), ce qui demande en fait beaucoup de travail et exige de coopérer avec beaucoup de gens, ce dont je ne me rendais pas compte auparavant ; j'ai eu des expériences concrètes qui m'ont aussi appris des choses sur les institutions de la République et sur leur fonctionnement. Ce qui m'a semblé insuffisant, en revanche, c'est l'implication des élus : (...) ce n'est pas suffisant de lancer un conseil de jeunes, de faire une photo le jour de l'installation avant de repartir ! (...) Il faut donc davantage impliquer les élus auprès des conseils de jeunes et les inciter à faire confiance aux jeunes. Mon engagement, enfin, ne se limite pas au conseil des jeunes. Je suis engagée aussi dans le monde associatif . » (Ancienne maire junior de Fort-de-France, ancienne membre du Conseil municipal des jeunes Foyalais - Martinique)
« J'ai un regard très positif sur mon expérience. J'ai beaucoup appris sur moi-même et sur les autres, j'ai appris à développer des projets, à travailler en équipe, à constituer un réseau pour agir ; j'ai développé un esprit critique, j'ai aussi rencontré des élus et parlé avec eux, je me suis exprimée librement sur les politiques en direction de la jeunesse et j'ai eu l'impression d'être écoutée. J'ai mûri et grandi grâce à ce conseil ; (...) j'aurais aimé que les élus soient plus présents dans nos travaux, plus visibles dans nos réunions ; nous aurions voulu plus d'échanges. Ma participation au conseil des jeunes a renforcé mon envie de m'engager . » (Ancienne membre du Conseil des jeunes du Lamentin - Martinique)
« Mon expérience au sein du Conseil municipal des jeunes, commencée à l'âge de 12 ans, a été très enrichissante et diverse. Au cours de ce mandat, rallongé d'un an du fait de la crise sanitaire, j'ai appris des choses sur ma commune, sur les institutions, sur mon environnement, mais aussi sur moi-même. J'ai participé à un voyage à La Réunion pour échanger avec les membres du conseil des jeunes Dionysiens. Pour améliorer le fonctionnement du dispositif, (...) il faudrait (...) que le conseil puisse choisir lui-même ses sujets, alors que ceux sur lesquels nous avons travaillé nous ont été imposés par la municipalité. J'ai continué mon engagement au-delà de cette expérience . » (Ancien membre du Conseil municipal des jeunes de Mamoudzou - Mayotte)
« Il faut agir avec les jeunes, les placer au coeur de l'action. Ils demandent à prendre la parole, ils veulent construire avec les politiques. Et ce que cette expérience des conseils de jeunes nous montre, c'est la capacité d'innovation qu'ont les jeunes, qui sont l'avenir de notre pays. (...) Cette participation au conseil des jeunes m'a donné envie de m'engager en politique. J'y ai vu à quel point il faut donner leur place aux jeunes pour que, demain, les choses changent, qu'elles avancent avec la nouvelle génération. Ces instances de démocratie participative sont très importantes dans le passage à l'âge adulte. Elles donnent une expérience pratique, concrète, de ce que tout est politique. (...) Je veux faire vivre la démocratie avec les jeunes . » (Membre du Conseil des jeunes Dionysiens - La Réunion)
b) Le point de vue des élus locaux consultés par la mission sur la plateforme du Sénat
Le bilan des conseils de jeunes fait partie des questions posées par la mission d'information aux élus locaux via la plateforme du Sénat. Leurs réponses livrent un bilan nuancé de ces instances 381 ( * ) .
À l'actif du bilan, on note l' énergie qu'apportent les conseils de jeunes à la collectivité dont ils émanent : « c'est très porteur. Les jeunes ont des idées différentes et sont très engagés. Leur vision apporte beaucoup dans la stratégie à adopter pour dynamiser une commune ». De fait, la diversité des projets conduits par les conseils de jeunes (voir l'encadré ci-après) sont autant de signes d'un engagement très concret au service de la collectivité.
Autre atout : l'intérêt pédagogique que présentent les conseils de jeunes, considérés comme des lieux d'apprentissage de la vie locale (« Nous leur faisons mieux connaître leur commune et nos institutions, et nous créons une appétence pour l'implication et l'action publique »). Ces « ateliers de petits citoyens » constituent ainsi un « excellent tremplin » vers l'exercice de responsabilités politiques ou associatives.
Les élus locaux soulignent toutefois diverses limites qui tiennent à la difficulté de recruter des jeunes après le collège, (« une fois qu'ils partent au lycée, ils se déconnectent du conseil de jeunes »), à l'investissement qu'exigent leur accompagnement et leur encadrement et, enfin, à la baisse de motivation des jeunes quand leurs propositions ne sont pas suivies d'effets, notamment parce que les « demandes des enfants (se heurtent) aux réalités de la vie communale » ou en raison d'un décalage entre l'envie des jeunes de voir aboutir rapidement leurs projets et le temps nécessaire à leur réalisation (« il est difficile de les intéresser sur le moyen terme. Il faut des projets qui vont vite, alors que le temps municipal pour la réalisation de projet est long » ; « le temps administratif peut leur paraître long »).
Parmi les pistes d'amélioration identifiées par les élus locaux, on note :
- le souhait d'une « passerelle » entre les conseils d'enfants et les conseils de jeunes , pour fidéliser les jeunes dans la durée, du conseil des enfants au conseil de jeunes ;
- la nécessité d'adapter les méthodes de travail en repensant le format des réunions , « trop calquées sur celles des adultes » ;
- le renforcement des liens entre conseils de jeunes et conseil municipal : ce point a également été mentionné à plusieurs reprises lors des auditions de membres de conseils de jeunes par la mission d'information.
Les projets conduits par les conseils d'enfants et de jeunes d'après les élus locaux consultés par la mission d'information : une diversité de thématiques, un engagement concret au service de la collectivité
- Propreté (« organisation d'une journée de ramassage de déchets », « chasse aux mégots de cigarettes avec pancartes réalisées par leurs soins ») ;
- environnement et biodiversité (« Les membres du nouveau CME sont très motivés, ils souhaitent des aménagements en faveur de pistes cyclables » ; « création d'un rucher pédagogique, de nichoirs, d'un hôtel à insectes ») ;
- sport et culture, animation de vie locale (« participation au jury du concours des illuminations et décorations des maisons » ; « participation à l'organisation d'un marché de Noël »), organisation d'activités destinées aux enfants et aux jeunes (« soirée talents, sorties, voyages » ; « organisation de chasse aux oeufs ou de concours de pêche (...) proposition de réalisation d'un skatepark » ; « aménagement d'aires de jeux » ; « mise en place d'une boîte à livres », inclusion des jeunes dans la vie locale (« Olympiades regroupant des jeunes de tous les quartiers de la ville pour favoriser le lien inter-quartiers et inter-établissements scolaires ») ;
- sécurité routière ;
- solidarité intergénérationnelle (aide aux personnes âgées : « Nous avons réalisé avec eux des opérations envers les seniors qui ont eu un vrai succès ») ;
- devoir de mémoire (participation aux cérémonies républicaines et aux commémorations ; présence au monument aux morts ; voyage sur les plages du débarquement ; visite des Invalides et du Panthéon ; participation à la cérémonie du ravivage de la flamme à l'Arc de triomphe).
Une initiative originale consiste en la mise en place d'un « forum des métiers en lien avec le rectorat et les entreprises du territoire » ; un témoignage fait état d'un projet de jumelage avec un conseil de jeunes d'une autre collectivité.
4. La transmission de la mémoire citoyenne aux jeunes : un vecteur structurant de formation à la citoyenneté, un enjeu pour les collectivités territoriales
Le « devoir de mémoire » 382 ( * ) joue un rôle important dans la transmission des valeurs citoyennes et dans la constitution d'une conscience citoyenne.
La transmission d'un « legs de souvenirs » 383 ( * ) communs, dans lequel Ernest Renan voyait, avec le « désir de vivre ensemble » 384 ( * ) , l'une des deux composantes de la Nation, contribue au sentiment d'appartenance à la communauté nationale.
La mémoire combattante tient une place particulière au sein de notre mémoire collective : l'historien Antoine Prost va jusqu'à voir dans les cérémonies du 11 novembre « le seul culte républicain peut-être qui ait réussi en France » 385 ( * ) .
Les collectivités territoriales sont, aux côtés du ministère des armées (et plus particulièrement de l'ONACVG), des associations et du ministère de l'éducation nationale, des acteurs essentiels de la politique mémorielle, confrontée aujourd'hui à deux défis majeurs : sa transmission à la jeunesse , essentiel pour que cette mémoire reste vivante et, par-delà ce passage de relais générationnel, sa territorialisation .
a) Transmettre une « mémoire vivante » : rendre les jeunes citoyens acteurs du devoir de mémoire
Depuis plusieurs années, la politique mémorielle connaît un changement profond pour l'adapter à la période actuelle.
Tout d'abord, la disparition progressive des témoins des deux conflits mondiaux du XX e siècle : la directrice générale de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) a estimé, au cours de son audition, que l'on passait ainsi « d'une mémoire vivante à une mémoire de pierre » 386 ( * ) , ce qui fait de la transmission de la mémoire combattante aux jeunes générations une impérieuse nécessité. Dans cet esprit, notre collègue Sabine Drexler a souligné le « devoir d'éducation » qui incombe à la génération actuelle vis-à-vis des générations à venir pour assurer la transmission de cette mémoire dont « nous sommes devenus dépositaires » 387 ( * ) .
En parallèle, le ministère des armées intègre dans son périmètre des mémoires combattantes nouvelles et complexes, comme la mémoire des soldats morts en opération extérieure 388 ( * ) (Opex). À cet égard, l'inauguration le 11 novembre 2019 du monument aux morts pour la France en opérations extérieures, qui constitue l'un des dix hauts lieux de la mémoire nationale (HLMN) reconnus par le ministère en charge de la défense, marque une étape importante dans la modernisation de notre politique mémorielle.
Cette évolution consolide la contribution du devoir de mémoire à la formation à la citoyenneté dès lors qu'elle permet de montrer, comme l'a souligné la directrice générale de l'ONACVG, « que les valeurs des combattants d'hier et d'aujourd'hui sont similaires : le sens de l'engagement pour la France, le dépassement de soi, la lutte pour la liberté, la fraternité et le dépassement des conditions sociales ou des convictions » 389 ( * ) . La politique mémorielle est en effet à la fois un instrument de cohésion nationale et de formation à la citoyenneté . Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants, a ainsi souligné lors de son audition la contribution de la mémoire de la Seconde guerre mondiale à la lutte contre les discriminations, le racisme et l'antisémitisme 390 ( * ) .
Au cours de son audition, la directrice générale de l'ONACVG a présenté l'offre pédagogique de l'office en matière de transmission de la culture citoyenne qui, destinée aux jeunes publics, comprend notamment l'organisation de concours, la diffusion d'expositions, de jeux ou de mallettes didactiques. Elle a aussi présenté les initiatives concernant les jeunes porte-drapeaux, dont notre collègue a constaté « une augmentation du nombre de jeunes, garçons et filles, qui souhaitent devenir porte-drapeaux », ce qui témoigne de la subsistance d'une volonté « d'ancrer le présent dans le passé » 391 ( * ) (voir l'encadré ci-après).
Exemples d'actions destinées à la
jeunesse
Office national des anciens combattants
et victimes de guerre
(ONACVG)
Le programme « Aux sports jeunes citoyens ! »
Le programme « Aux sports jeunes citoyens ! » a été lancé en mai 2019, dans la perspective de l'organisation des jeux olympiques et paralympiques de Paris en 2024, par la direction du service national et de la jeunesse (DSNJ) du ministère des armées en partenariat avec la fédération des clubs de défense, le centre national du sport et de la défense et l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG). Le programme qui propose une série d'activités alliant sport, mémoire et citoyenneté, s'appuie sur différents activités et outils parmi lesquels : - des témoignages des sportifs militaires, anciens combattants ou blessés de guerre ; - l'exposition « Sport, mémoire, Défense » ; - des activités mémorielles autour de la figure d'un sportif engagé ; - des rencontres sportives autour du Bleuet ; - des courses d'orientation mémorielle ; - un jeu d'évasion mémoriel ;- le relais du souvenir qui rassemble en binôme un jeune et un militaire ou un ancien combattant.
Les concours à destination de la jeunesse
Le concours « Les petits artistes de la mémoire » a été créé en 2006 par l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG). Il s'adresse aux classes de CM1-CM2 qui s'inscrivent par l'intermédiaire de leur professeur et participent au concours en réalisant collectivement un carnet de guerre artistique, après avoir réalisé des recherches sur la mémoire d'un combattant idéalement issu de la même commune. Les classes participant au concours reçoivent si nécessaire le soutien des services de proximité de l'ONACVG pour la réalisation de leur projet, qui inclut souvent la participation à des cérémonies mémorielles ainsi que la visite de lieux de mémoire locaux ou nationaux. La classe lauréate est reçue chaque année à une cérémonie de remise des prix.
Le concours « Bulles de mémoire » a été créé en 2011 par l'ONACVG. Ouvert aux collégiens et lycéens ainsi qu'aux jeunes non scolarisés de niveau équivalent, le concours peut faire l'objet d'une inscription individuelle ou d'une inscription de groupe à l'initiative d'un enseignant. Les candidats sont invités à présenter aux jurys trois à cinq planches de bande dessinée sur un thème prédéterminé qui se rapporte à l'engagement de la France et des Français dans les conflits contemporains depuis 1870 (on peut citer, parmi les thèmes récents, « La guerre ailleurs » ou encore « Femmes d'engagement, engagements de femmes »). Ce concours a inspiré la Belgique et l'Allemagne qui en ont repris le principe.
Enfin, l'ONACVG est partenaire du concours national de la Résistance et de la déportation (CNRD) , crée en 1961, qui invite chaque année les élèves de troisième et les lycéens à perpétuer la mémoire de la Résistance et de la déportation en composant sur un thème précis. Les services de l'ONACVG interviennent au soutien des enseignants pour proposer des rencontres, des expositions pédagogiques ou des visites mémorielles en lien avec le thème retenu.
Initiatives pour valoriser les jeunes porte-drapeaux
Soucieux de valoriser les jeunes qui participent aux cérémonies en tant que porte-drapeaux, l'ONACVG a élaboré un « Guide pratique du jeune porte-drapeau ». Il a aussi mis en place une formation ludique et pris l'initiative de la remise d'un « permis de porter le drapeau ».
L'un des moyens d'associer la jeunesse au devoir de mémoire est de faire participer des classes aux commémorations et cérémonies mémorielles , ce qui permet à la mémoire combattante et aux valeurs citoyennes qui lui sont attachées de s'incarner plus facilement dans des individus et des destinées concrètes.
Comme l'a fait valoir le rapporteur : « les journées de commémoration rencontrent davantage de succès lorsqu'une classe y participe » 392 ( * ) .
Cette participation implique toutefois d'identifier des dates différentes des jours fériés, afin que les cérémonies puissent se tenir sur le temps scolaire, et de conduire une réflexion sur les modalités de leur participation active aux cérémonies . Selon la directrice générale de l'ONACVG, cette participation peut se traduire de diverses manières : « porter un drapeau, lire un texte, aider l'autorité locale à déposer des gerbes ou encore faire des recherches sur les noms inscrits sur le Monument aux morts » 393 ( * ) . Cette réflexion devrait être conduite avec le corps enseignant, dont l'investissement est déterminant, selon le rapporteur, pour le succès de cérémonies mémorielles associant la jeunesse.
b) Le rôle crucial des commémorations locales et des élus dans la modernisation de la politique mémorielle
L'autre enjeu majeur de la transmission de la mémoire réside dans la nécessité d'une approche territoriale . Comme l'a rappelé la directrice générale de l'ONACVG lors de son audition, « la manière d'aborder la mémoire diffère en fonction des régions » : la « politique de territorialisation est donc un élément essentiel de la transmission mémorielle » 394 ( * ) . De fait, l'héritage mémoriel se perçoit et se transmet différemment selon que l'on vit près d'Oradour-sur-Glane, des plages du débarquement, des champs de bataille de la Première guerre mondiale, du camp de concentration de Natzweiler-Struthof, de la prison de Montluc - où furent internés et torturés nombre de résistants - ou en outre-mer. Le président du département de la Meuse soulignait dans cet esprit, lors de l'audition des associations d'élus, combien « l'image de la guerre, de Verdun » demeurait pour les jeunes Meusiens « partie intégrante de l'identité » 395 ( * ) de leur territoire.
Un groupe de travail s'est ainsi mis en place pour « Commémorer autrement localement ». Sa réflexion porte d'une part sur l'émergence de « nouvelles formes d'expression de la commémoration » et d'autre part sur l'élaboration d'un « guide à destination des acteurs locaux de la commémoration, recensant à la fois des repères théoriques et des conseils pratiques » 396 ( * ) .
L'office dispose d'un maillage patrimonial et administratif très dense sur l'ensemble du territoire. Il a en effet pour mission, d'une part, d'entretenir et de valoriser les dix hauts lieux de la mémoire nationale (HLMN), 275 nécropoles nationales et 2 200 carrés militaires et, d'autre part, d'animer un réseau territorial qui dispose d'un service décentralisé dans chaque département et qui s'appuie sur le travail de coordination de référents régionaux à l'échelon interdépartemental.
Dans les territoires, la transmission de la mémoire s'appuie sur l'intervention simultanée et coordonnée de nombreux acteurs publics et privés. Les services du ministère des armées et ses opérateurs, dont en particulier la direction de la mémoire, de la culture et des archives (DMCA) et l'ONACVG, collaborent sur le terrain avec les nombreuses associations du monde combattant présentes sur l'ensemble du territoire et avec les collectivités territoriales, au sein desquelles les communes ont une place particulière matérialisée notamment par l'existence du réseau des correspondants « défense » désignés au sein de chaque conseil municipal 397 ( * ) .
Une « démarche partenariale » devrait ainsi présider à tout initiative en matière mémorielle dès lors que « le travail autour de la mémoire relève de la responsabilité de tous : les élus, l'Éducation nationale, les associations et les jeunes notamment » 398 ( * ) . Dans ce cadre, l'ONACVG joue un rôle spécifique auprès des petites communes.
De manière spontanée, les élus locaux consultés par la mission d'information sur la plateforme du Sénat en janvier-février 2022 399 ( * ) ont confirmé l'importance d'associer les jeunes aux cérémonies mémorielles , temps forts de la vie locale, parmi les bonnes pratiques susceptibles d'intégrer les jeunes à la vie locale. Interrogés sur les activités des conseils de jeunes mis en place dans leurs collectivités, de nombreux élus se sont spontanément référés au devoir de mémoire . Dans le même esprit, on note la participation à des cérémonies du souvenir parmi les missions confiées aux volontaires du service civique accueillis dans les collectivités.
L'enjeu de la transmission à la jeunesse et la dynamique de territorialisation de la politique de mémoire trouvent un écho dans les « 18 propositions en vue de la présidentielle et des législatives 2022 afin de donner toute sa place à la politique mémorielle » publiée par l'association Le Souvenir Français 400 ( * ) en mars 2022, qui vise notamment à favoriser la transmission de l'histoire combattante aux jeunes générations et à enraciner la mémoire combattante au sein des territoires 401 ( * ) .
* 369 Compte rendu du 9 mars 2022.
* 370 Compte rendu du 9 mars 2022.
* 371 Compte rendu du 9 mars 2022.
* 372 Voir en annexe le compte rendu de ce déplacement.
* 373 Source : site de l'Apriles, consulté le 3 mai 2022.
* 374 Selon le site de l'organisme, l' Odas apporte ainsi son concours aux différents acteurs publics et associatifs en diffusant le plus largement possible sa connaissance des attentes des publics, des besoins sociaux, des financements consacrés à la solidarité, des stratégies et des organisations locales. L' Odas a créé l'Agence des pratiques et initiatives locales « Apriles » qui recense, expertise et mutualise les innovations les plus prometteuses en matière de transformation sociale ( https://odas.apriles.net ) ainsi que le Lab'AU ( https://odas.labau.org ), un site ressource pour changer durablement le regard sur le vieillissement et le handicap et donner toute leur place dans la société aux personnes âgées et handicapées.
* 375 Dossier de présentation JNCF - 15 octobre 2022.
* 376 Voir notamment la fiche de présentation réalisée par la Caisse d'allocations familiales des Côtes-d'Armor : https://www.caf.fr/sites/default/files/caf/221/partenaires/enfance-jeunesse/Argent_poche/2022-%20Flyer%20Dispositif%20Argent%20de%20poche%20%281%29.pdf
* 377 L'engagement est ramené à 35 heures si le jeune est titulaire du brevet de secourisme PSC1.
* 378 Source : contribution écrite de l'ADF, document précité.
* 379 Marie-Pierre Pernette, déléguée générale de l'Anacej, a été entendue par le rapporteur le 26 janvier 2022.
* 380 Les citations ci-après sont extraites des comptes rendus des auditions de jeunes conseillers de métropole (23 mars 2022) et des outre-mer (29 mars 2022).
* 381 Voir en annexe le commentaire complet de cette consultation.
* 382 Alors que la notion de « souvenir » était plus répandue que celle de « mémoire » dans les années qui ont suivi la Première Guerre mondiale, la notion de « mémoire collective » et celle de « politique de mémoire » se sont imposées progressivement dans le champ des politiques publiques dans les années 1980 sous l'impulsion notamment du contrôleur général des armées (2 e section) S. Barcellini, premier directeur de la commission nationale de l'information historique pour la paix (1982-1986) au ministère en charge des anciens combattants, ancien directeur général de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (2000-2003) qui a été élu en 2015 président général du Souvenir Français . Pour une discussion approfondie sur l'émergence de ces expressions, cf. S. Ledoux, 2016, Le devoir de mémoire. Une formule et son histoire .
* 383 E. Renan, 1882, Qu'est-ce qu'une Nation ?
* 384 E. Renan, 1882, Qu'est-ce qu'une Nation ?
* 385 A. Prost, 1984, « Les monuments aux morts. Culte républicain ? Culte civique ? Culte patriotique ? » in P. Nora (dir.), 1984, Les lieux de mémoire , t.1, « La République ».
* 386 Compte rendu du 15 février 2022
* 387 Compte rendu du 15 février 2022.
* 388 En l'absence de définition consacrée, on se reportera à la définition proposée par le groupe de travail présidé par le général Thorette qui définit les opérations extérieures (Opex) comme « tout emploi des forces armées hors du territoire national, dans un contexte caractérisé par l'existence de menaces ou de risques susceptibles de porter atteinte à l'intégrité physique des militaires » ( cf. Gal B. Thorette (prés.), septembre 2011, Rapport du groupe de travail « Monument aux morts en opérations extérieures ».
* 389 Compte rendu du 15 février 2022.
* 390 Compte rendu du 12 janvier 2022.
* 391 Compte rendu du 15 février 2022.
* 392 Compte rendu du 15 février 2022.
* 393 Compte rendu du 15 février 2022.
* 394 Compte rendu du 15 février 2022.
* 395 Compte rendu du 9 mars 2022.
* 396 Compte rendu du 15 février 2022.
* 397 Depuis une circulaire du secrétaire d'État chargé des anciens combattants en date du 26 octobre 2001, dont la portée a été précisée par des circulaires et instructions ultérieures, chaque conseil municipal doit désigner un correspondant « défense », c'est-à-dire un conseiller en charge des questions de défense.
* 398 Compte rendu du 15 février 2022.
* 399 Voir en annexe la synthèse des réponses adressées à la mission d'information.
* 400 Créé en 1887 pour assurer la sauvegarde de la mémoire des combattants de 1870, « Le Souvenir Français » est aujourd'hui une association mémorielle reconnue d'utilité publique qui compte 90 000 adhérents directs et 120 000 adhérents associés.
* 401 La liste complète des propositions, mise en ligne sur le site du Souvenir Français , a été adressée aux onze candidats à l'élection présidentielle et publiée dans le Bulletin Quotidien en date du 7 mars 2022.