RÉSUMÉ DU RAPPORT
I. MIEUX ÉDUQUER ET FORMER LES CITOYENS
L'école est le lieu privilégié de l'éducation des citoyens. L'enseignement moral et civique contribue à cette éducation conçue dans une logique transversale, de manière à mobiliser en principe toutes les disciplines.
L'éducation du futur citoyen se poursuit dans le cadre de la journée défense et citoyenneté, héritière de l'appel de préparation à la défense mis en place à l'époque de l'abandon de la conscription pour maintenir un lien structurant entre les jeunes et l'institution militaire.
Convaincue que l'éducation citoyenne est aussi un vecteur d'égalité des chances, la mission d'information s'est intéressée à la dimension citoyenne de certains dispositifs d'insertion.
A. REDÉFINIR LES CONTENUS DE L'ENSEIGNEMENT MORAL ET CIVIQUE AUTOUR DE PRIORITÉS CLAIRES
La mission d'information a établi, au cours de ses travaux, les constats suivants concernant l'enseignement moral et civique (EMC) :
- les nombreuses modifications et réformes dont l'EMC a fait l'objet au cours des dernières décennies témoignent de l'importance politique que revêt cet enseignement, sur lequel pèse la lourde charge de traiter les tensions qui traversent la société française et de favoriser le « vivre ensemble » dans une société en proie à de nombreuses fractures ;
- à l'instruction civique classique, étendue en 2015 à la « morale », se sont donc ajoutées au fil du temps des thématiques diverses , destinées à permettre aux élèves de comprendre les enjeux du monde d'aujourd'hui, qu'il s'agisse des défis environnementaux et internationaux ou de questions sociétales (discriminations, bioéthique, égalité femmes-hommes...) ;
- il résulte de ces ambitions démesurées des programmes pléthoriques , dont la rédaction manque pour le moins de clarté, en contradiction avec un volume horaire (une demi-heure par semaine en moyenne dans le secondaire, qui sert souvent à « boucler » le programme d'histoire-géographie) largement disproportionné par rapport aux nombreux objectifs assignés à l'EMC ;
- les manuels , reflets des défaillances de la conception des programmes, insistent sur le débat d'opinion et comportent beaucoup plus de documents bruts que de textes destinés à la transmission des connaissances ;
- l'article L. 312-15 du code de l'éducation , qui détermine les contours de l'enseignement moral et civique, a été modifié à de nombreuses reprises au cours de la période récente (deux fois pour la seule année 2021 ; une modification par an en moyenne entre 2017 et 2022) ; la définition législative de l'EMC ne mentionne pas le fonctionnement des institutions démocratiques, ce qui semble paradoxal ;
- la formation des enseignants , tant initiale que continue, est incontestablement défaillante ; de plus, alors que l'EMC incombe le plus souvent aux professeurs d'histoire et de géographie , il ne figure pas parmi les épreuves des concours de recrutement de ces enseignants (CAPES et agrégations). Les professeurs des autres disciplines, susceptibles d'être chargés de cet enseignement, n'y sont pas préparés dans le cadre de la formation continue . Cumulées à l'instabilité d'une matière en proie à de fréquentes révisions, on comprend les difficultés des enseignants à s'approprier l'EMC ;
- la méconnaissance par de nombreux jeunes (et moins jeunes) du fonctionnement des institutions , dont certains membres de la mission d'information ont fait l'expérience lors de contacts avec des publics scolaires, impose une reprise en mains d'un enseignement dont l'un des enjeux est aussi de préparer les futurs électeurs à exercer leurs droits et devoirs de citoyens.
Elle formule en conséquence les recommandations suivantes :
- redéfinir les fondements législatifs de l'EMC (article L. 312-15 du code de l'éducation) à partir de priorités claires : renforcer la connaissance des institutions démocratiques ainsi que des principes de la République, et donner à nos jeunes concitoyens les outils pour comprendre les grands enjeux (internationaux, sociétaux et environnementaux) du monde contemporain ; assurer la stabilité de ce socle juridique dans la durée ;
- recentrer le contenu et les objectifs de l'enseignement moral et civique sur ces priorités ; au sein du collège, structurer les programmes par classe et non par cycle pluriannuel, cibler les années charnières au cours desquelles les programmes d'EMC doivent être centrés sur les aspects institutionnels (classes de 3 e , de 2 nde et de 1 re ) ;
- créer à l'attention des enseignants des outils pédagogiques clairs et objectifs sur les institutions françaises et européennes et le rôle des élus et confier cette mission, en lien avec le ministère chargé de l'éducation nationale, aux institutions concernées ;
- généraliser les rencontres entre élèves et élus , dans les classes et dans le cadre de visites d'institutions (mairies, conseils départementaux et régionaux, assemblées parlementaires...), sur la base de conventions entre l'Éducation nationale et ces institutions ;
- étendre à l'EMC l'évaluation des acquis à laquelle il est procédé en 6 e et en 2 nde , afin de mieux connaître le niveau des élèves ;
- intégrer une question d'EMC aux épreuves des concours de recrutement des professeurs d'histoire et de géographie , afin de garantir la formation initiale de ces professeurs auxquels incombe généralement l'enseignement moral et civique ; prévoir, dans le cadre de la formation continue , un module d'EMC pour préparer les autres professeurs à cet enseignement.
B. RECENTRER LA JOURNÉE DÉFENSE ET CITOYENNETÉ (JDC) SUR SES FINALITÉS ESSENTIELLES : ENJEUX DE LA DÉFENSE, ORIENTATION DES JEUNES EN DIFFICULTÉ ET PRÉSENTATION DES DIFFÉRENTES FORMES D'ENGAGEMENT
Selon l'article L. 111-2 du code du service national, « La journée défense et citoyenneté a pour objet de conforter l'esprit de défense et de concourir à l'affirmation du sentiment d'appartenance à la communauté nationale, ainsi qu'au maintien du lien entre l'armée et la jeunesse ». Ces objectifs ont été définis au moment de la suspension de la conscription, en 1997, lorsqu'il est apparu nécessaire :
- d'une part, de maintenir un lien privilégié entre les armées et la jeunesse et de permettre aux jeunes, par ce rendez-vous obligatoire et unique en Europe, d'aller à la rencontre des armées et de la gendarmerie pour y être informés des carrières de la défense et de la sécurité ;
- d'autre part, de préserver les compétences de l'institution militaire en matière de recensement et de sélection des appelés, afin de se prémunir contre l'hypothèse d'une menace majeure exigeant une remontée en puissance du service militaire.
Les constats de la mission d'information sont les suivants.
La JDC constitue également un vecteur d'égalité des chances . Dans la logique du savoir-faire acquis par les armées à l'égard des jeunes en difficulté et en matière de lutte contre l'illettrisme, elle comporte des tests permettant d'identifier des jeunes en difficulté ; au cours d'un entretien spécifique, il est possible de conseiller à ces jeunes une orientation vers un dispositif d'insertion sociale et professionnelle adapté. Lors de ces entretiens individuels, plus de 42 000 jeunes ont été, en 2021, informés de l'existence de l'Établissement pour l'insertion dans l'emploi (Épide).
Depuis 25 ans, le contenu de la JDC, défini par l'article L. 114-3 du code du service national, a été modifié par le législateur douze fois - deux fois au cours des années 2004 et 2011. Le champ des informations dispensées aux jeunes appelés s'est ainsi considérablement étendu , puisqu'il intègre désormais des thématiques telles que le don d'organe aux fins de greffe, de sang, de gamète, de plaquettes ou de moelle osseuse, la sensibilisation à la sécurité routière, les dangers des addictions, la sécurité civile ou l'égalité entre femmes et hommes et la lutte contre les violences au sein des couples.
Il en est résulté un programme très dense et une réduction du temps relatif consacré aux enjeux de la défense et de la sécurité : sur un emploi du temps conçu pour durer huit heures, ces modules « coeur de cible », qui occupaient quatre heures en 1999, ont été réduits à un peu moins de trois heures actuellement. La nécessité d'un recentrage de la JDC sur sa « vocation première » de sensibilisation à l'esprit de défense figurait ainsi dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013.
Ce recentrage est d'autant plus pertinent que l'on observe une redondance entre certaines thématiques ajoutées au fil du temps au programme de la JDC et les enseignements prévus par le code de l'éducation dans le cadre scolaire : les informations sur les conduites addictives, l'égalité entre femmes et hommes et les violences au sein des couples, le don d'organe et le don du sang, le code de la route.
La mission d'information recommande donc de recentrer le contenu de la JDC sur les trois axes suivants :
- l'information sur les enjeux de la défense et de la sécurité et sur les métiers accessibles aux jeunes dans ce domaine ;
- le repérage et l'orientation des jeunes en difficulté ;
- et la présentation des différentes formes d'engagement (service civique, autres formes de volontariat, sécurité civile, réserves...).
Elle souhaite que la rédaction de l'article L. 114-3 du code du service national soit modifiée pour inscrire ces priorités dans la loi, tout en étant consciente que, dans l'hypothèse d'un SNU obligatoire, la JDC aurait vocation à se fondre à terme dans le séjour de cohésion, qui comporte une séquence comparable, la journée « défense et mémoire nationale » (JDM).
C. L'INTÉRÊT DE LA FORMATION À LA CITOYENNETÉ DANS LES DISPOSITIFS D'INSERTION
La mission d'information a souhaité faire porter sa réflexion sur le lien entre citoyenneté et insertion sociale et professionnelle.
Ses constats sont les suivants.
Les dispositifs d'insertion destinés aux jeunes en difficulté, mis en place dans une logique d'égalité des chances, font une large part à l'appropriation des valeurs citoyennes ; celle-ci est à juste titre jugée importante dans l'accompagnement de ces publics vers l'autonomie et l'insertion sociale et professionnelle , qu'il s'agisse des dispositifs inspirés de l'institution militaire - Épide et SMV - ou des missions locales.
Les structures inspirées par les armées, dérivées du savoir-faire traditionnellement reconnu à celles-ci en matière d'intégration à l'époque du service national obligatoire, ont en commun :
- une discipline stricte, déclinée des usages militaires (tenue uniforme, internat, cérémonie quotidienne du lever des couleurs...) ;
- des conditions d'âge comparables : 17 à 25 ans pour l'Épide, 18 à 25 ans pour le SMV ;
- des effectifs très limités (2 848 jeunes ont été accueillis par l'Épide en 2021 ; 1 200 jeunes environ effectuent chaque année un SMV) ;
- des taux d'encadrement très élevés ;
- des taux de réussite très appréciables, a fortiori si l'on tient compte de la fragilité particulière des publics accueillis, qui entrent pour la plupart dans la catégorie des décrocheurs : 64 % de sorties « positives » (emploi, formation ou réorientation) pour l'Épide ; 70 % pour le SMV en 2020 ;
- des proportions de jeunes femmes comparables (29 %).
La montée en puissance de l'Épide , qui reste très en deçà des objectifs de 20 000 jeunes par an définis lors de la création, en 2005, du dispositif « défense deuxième chance » dont l'établissement est issu, dépend de l' attractivité de cette structure et, surtout, de sa visibilité encore insuffisante parmi les autres dispositifs d'insertion présents sur la plateforme numérique 1 jeune, 1 solution . La revalorisation récente de l'indemnité attribuée aux volontaires à l'insertion et l'ouverture à de nouveaux publics (mineurs et, sous certaines conditions, bacheliers) pourraient renforcer l'intérêt de l'Épide pour certains jeunes. Dans le même esprit, le rééquilibrage du maillage territorial de l'Épide, trop peu présent dans certaines régions, et l'émergence de plus petites structures, seraient de nature à favoriser son développement.
En outre, le rapporteur a constaté que des anciens volontaires pouvaient rencontrer des difficultés d'accès au logement à leurs débuts dans la vie professionnelle. Le code du service national permet de proposer à ces jeunes un « contrat de soutien » de trois mois afin de leur permettre de continuer à être hébergés à l'Épide alors qu'ils ne sont plus volontaires à l'insertion. La durée de ce contrat, qui constitue un outil très appréciable d'accompagnement au logement, gagnerait à être assouplie.
La mission d'information estime que l'Épide est un modèle à encourager et souhaite que les évolutions en cours lui permettent de monter en puissance, ce qui implique un effort en termes de visibilité, plus particulièrement sur la plateforme 1 jeune, 1 solution .
Quant aux volontaires du SMV, qui sont soumis de ce fait au statut général des militaires, ils reçoivent une solde et sont encadrés par des personnels militaires. L'objectif d'augmentation de 25 % du nombre de volontaires, annoncé en 2020, traduit l'intérêt de ce dispositif, qui restera toutefois limité à un public restreint (1 500 volontaires in fine ).
Les deux dispositifs comportent des exigences réelles en termes d'éducation civique et citoyenne :
- pour le SMV : visite d'institutions (Assemblée nationale, conseils régionaux, etc.), participation à des cérémonies et réalisation par l'ensemble des volontaires d'une mission citoyenne de quelques jours pendant leur contrat (par exemple au profit de collectivités ou d'associations reconnues d'utilité publique) ;
- à l'Épide, l'attestation de parcours citoyen, partie intégrante du parcours des volontaires à l'insertion, passe par : des exercices pratiques tournés vers l'organisation de la vie quotidienne (formalités administratives, gestion du budget...), des modules théoriques visant la connaissance des institutions locales et nationales, la participation à des commémorations nationales (ravivage de la flamme sous l'Arc de triomphe, cérémonie du 14 juillet) et par des actions citoyennes réalisées auprès d'associations.
Les missions locales sont caractérisées par un taux d'encadrement cohérent avec les effectifs accueillis (1,3 million de jeunes sont actuellement suivis par le réseau). Jusqu'en mars 2022, les missions locales étaient chargées de la mise en oeuvre de la garantie jeunes ; depuis le 1 er mars 2022, le contrat d'engagement jeunes (CEJ) qui lui a succédé implique Pôle emploi à leurs côtés.
Les missions locales ont pour vocation de rendre les jeunes acteurs de leur parcours et de les accompagner vers l'autonomie et considèrent l'accompagnement de manière globale, intégrant les thématiques de l'emploi, du logement, de la mobilité et de la santé. La citoyenneté, condition de l'insertion des jeunes et outil d'égalité des chances, est une dimension de cet accompagnement vers l'autonomie.
La formation civique et citoyenne des jeunes au sein des missions locales peut se décliner dans ses aspects classiques (information sur le recensement, la JDC, le droit de vote, le service civique) et concerner des dimensions très concrètes telles que démarches administratives, demande de naturalisation, impôts, et banque.
L'attention de la mission d'information a par ailleurs été attirée, au cours de son déplacement dans l'Hérault, sur la situation problématique d'élèves qui, exclus temporairement de leur établissement , se retrouvent livrés à eux-mêmes en dehors de tout cadre structurant. Elle estime que, pour être efficaces, ces mesures doivent avoir un effet pédagogique et préventif.
Elle a été favorablement impressionnée par le dispositif de prévention du décrochage scolaire mis en place à Montpellier, où établissements scolaires, acteurs associatifs et services de la métropole de Montpellier travaillent ensemble afin qu'une exclusion temporaire soit l'occasion, pour l'élève concerné, d'apprendre à respecter les obligations qui lui incombent et favorise une prise de conscience citoyenne.
L'objectif de ce dispositif est, d'une part d'offrir au jeune une structure d'accueil pendant cette période, d'autre part de lui faire comprendre le sens de la sanction et de la lui faire accepter.
Dans un registre différent de l'égalité des chances, la mission d'information s'est également intéressée aux stages de citoyenneté imposés à certaines personnes dans un contexte judiciaire . Elle a constaté que ces stages confirmaient le lien entre la formation à la citoyenneté et l'insertion .
Ces stages visent en effet, selon le code pénal, non seulement à faire comprendre à ces personnes les devoirs qu'implique la vie en société, mais aussi à favoriser leur insertion sociale. Leur efficacité en termes de prévention de la récidive doit donc être évaluée .
En conclusion, la mission d'information recommande :
- de renforcer la visibilité de l'Épide sur la plateforme numérique 1 jeune, 1 solution , gage de la montée en puissance du dispositif ;
- d'améliorer l'accompagnement des jeunes à la sortie de l'Épide en ouvrant la possibilité de prolonger de trois mois le contrat de soutien permettant à d'anciens volontaires à l'insertion de continuer à être hébergés à l'Épide quand ils rencontrent des difficultés de logement, soit six mois au total ;
- de s'assurer que les commissions d'accès à l'enseignement supérieur (CAES) soient en mesure de proposer aux jeunes dont aucun des voeux n'a été validé sur la plateforme Parcoursup , et dont le profil correspond à celui des jeunes accueillis par l'Épide, de souscrire un volontariat à l'insertion ;
- d'expérimenter et évaluer la mise en place, au sein de l'Éducation nationale et de l'enseignement agricole et en partenariat avec les acteurs locaux, d'un accompagnement et d'un suivi des élèves exclus temporairement de leur établissement, afin que cette sanction soit l'occasion d'une prise de conscience citoyenne ;
- d'évaluer l'efficacité des stages de citoyenneté, mis en oeuvre dans un contexte pénal, en termes de prévention de la récidive.
II. ENCOURAGER UNE CITOYENNETÉ ACTIVE PAR L'ENGAGEMENT
La mission d'information est convaincue de la nécessité d'encourager l'engagement, qui a vocation à accompagner une citoyenneté active tout au long de la vie.
À ce titre, elle a identifié deux modalités d'engagement précoce, susceptibles de donner aux très jeunes le goût de l'engagement et de faire de celui-ci une part significative de leur identité : les dispositifs de « démocratie scolaire » (délégués, conseils d'élèves, éco-délégué...) et le service national universel (SNU), qui s'adresse aux jeunes entre 15 et 17 ans, encore en devenir.
Le service civique, qui existe depuis 2010, vise les jeunes de 16 à 25 ans (30 ans pour les personnes en situation de handicap).
Enfin, le bénévolat associatif concerne toutes les générations et offre des possibilités infinies d'engagement.
A. CONSTATS ET OBSERVATIONS SUR LA DÉMOCRATIE SCOLAIRE : DES DISPOSITIFS D'INTÉRÊT INÉGAL
La loi d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République de 2013 encourage l'engagement des élèves au sein de l'institution scolaire.
La démocratie scolaire constitue donc, en principe, un vecteur d'engagement précoce. Elle a vocation à compléter de manière concrète l'enseignement moral et civique, s'inscrivant ainsi dans le parcours citoyen des élèves.
Les outils de démocratie scolaire sont très nombreux et diversifiés : aux délégués de classe, institués en 1969, se sont ajoutés d'autres instances participatives (conseils de la vie collégienne et conseils de la vie lycéenne, éco-délégués, comités d'éducation à la santé, à la citoyenneté et à l'environnement...). Les élèves peuvent aussi s'investir, par exemple, en tant qu'ambassadeurs contre le harcèlement scolaire, tuteurs, journalistes dans le média de l'établissement.
Ces dispositifs semblent toutefois d'intérêt inégal. Si les élèves jugent utile la fonction de délégué de classe, selon un sondage diligenté par la Cour des comptes en 2021 dans le cadre de son rapport sur la formation à la citoyenneté, et si la fonction d'éco-délégué correspond à une appétence certaine des élèves pour les questions environnementales, en revanche la baisse continue du taux de participation aux élections des conseils de vie lycéenne suggère que ces instances sont nettement moins appréciées des élèves. Autre point de vigilance pour la mission d'information : le risque qu'une écoute insuffisante, au sein des établissements, de ces structures et de ceux qui exercent ces fonctions décourage finalement l'engagement des jeunes.
La mission estime donc que la diversité de ces dispositifs justifie leur évaluation pour s'assurer qu'ils ne constituent pas un empilement de structures insuffisamment cohérentes.
Elle s'est par ailleurs demandé s'il était pertinent de créer des mesures destinées à valoriser l'engagement précoce dans le cadre scolaire, telles que l'attribution de points ou coefficients supplémentaires au baccalauréat. Elle a constaté que l'engagement était déjà pris en compte dans le cadre de Parcoursup , dans la rubrique « activités et centres d'intérêt » et a écarté une telle solution pour les raisons suivantes :
- les opportunités d'engagement étant variables en fonction des territoires, ces éléments de valorisation pourraient introduire une inégalité entre élèves ;
- cette mesure pourrait être perçue comme une pression à l'engagement, à un âge où certains jeunes se cherchent encore ;
- enfin, elle pourrait revenir à une sorte d'injonction à s'engager, en contradiction avec le principe même d'engagement bénévole qui suppose une certaine spontanéité.
B. L'URGENCE DE CHOIX CLAIRS CONCERNANT LE SERVICE NATIONAL UNIVERSEL (SNU)
La mission d'information a établi les constats suivants.
Depuis la fin du service national obligatoire, le besoin d'une expérience dédiée au service de la collectivité dans le parcours des jeunes citoyens est un thème récurrent du débat public. D'attentat en émeute dans les banlieues, lorsque la cohésion nationale semble menacée, le brassage social et le rattrapage scolaire que l'on associe souvent à la conscription - du moins dans le souvenir idéalisé que l'on peut en avoir aujourd'hui - figurent parmi les perspectives susceptibles de « réparer » notre modèle social.
La création du service national universel (SNU), dont le chantier a été ouvert lors des voeux du Président de la République aux armées de 2018 et qui figurait en 2017 dans son programme, s'inscrit dans cette logique. Il s'agit, dans un esprit de « mixité sociale », de « valoriser la citoyenneté et le sentiment d'appartenance à une communauté rassemblée autour de ses valeurs, de renforcer la cohésion nationale et de dynamiser le creuset républicain » en faisant « découvrir (aux jeunes) les différentes formes d'engagement possibles » 16 ( * ) .
Le SNU comporte trois étapes :
1) un séjour de cohésion d'une durée de douze jours ;
2) une mission d'intérêt général (MIG) d'une durée de 84 heures ou douze jours, qui doit être effectuée dans les douze mois suivant le séjour de cohésion ;
3) une mission de service civique .
Les deux premières étapes sont nécessaires pour que le parcours de SNU soit validé ; la troisième est facultative .
Le SNU concerne des mineurs : pour des raisons de compatibilité du séjour de cohésion avec le parcours scolaire, la classe de seconde a été privilégiée car elle ne comporte pas d'examen final susceptible d'affecter la disponibilité des jeunes, contrairement aux classes de troisième, première et terminale.
Cette politique publique demeure à ce stade encore largement inaboutie malgré le soutien dont elle fait l'objet de la part du Gouvernement. Le bilan de l'expérimentation est plus probant s'agissant du séjour de cohésion, première phase du SNU sur laquelle le Gouvernement a concentré ses efforts, la mission d'intérêt général faisant en quelque sorte figure de parent pauvre du SNU. En outre, la crise sanitaire est venue perturber le développement de cette deuxième phase.
L'objectif fixé par le Gouvernement concernant le nombre de jeunes à accueillir croît régulièrement : 2 000 jeunes en 2019 ; 20 000 à 30 000 jeunes en 2021 ; 50 000 en 2022. Conformément à cet objectif, la phase 1 du SNU a été caractérisée par un développement progressif (1 978 jeunes effectivement accueillis en 2019 ; 14 650 en 2021). Sa montée en puissance a été impactée par la pandémie qui a conduit à l'annulation de tous les séjours de 2020.
En 2022, 2 409 jeunes ont validé le séjour de février. Compte tenu des inscriptions aux séjours de juin et juillet et d'un taux de défection de 25 % environ, le nombre total de participants devrait s'élever à 30 000-35 000 jeunes environ entre février et juillet.
Cela représente un doublement par rapport aux 14 650 volontaires de 2021 : malgré ce progrès, on reste loin de l'objectif de 50 000 volontaires affiché par le Gouvernement qui ne semble pas, une nouvelle fois, en passe d'être atteint.
Pendant le séjour de cohésion, les jeunes suivent un programme dense d'activités, ponctué par des temps forts comme la cérémonie matinale de levée des couleurs.
Les MIG, qui constituent la deuxième étape du SNU, peuvent être effectuées auprès d'une association, d'une collectivité territoriale ou d'un « corps en uniforme », de manière continue ou séquencée. Les MIG doivent être réalisées près du domicile des jeunes, dans un rayon de 100 kilomètres, alors même que la constitution d'une offre suffisante de MIG tarde à se structurer, notamment parce que les structures supposées accueillir ces jeunes considèrent qu'elles ont été trop peu associées à la mise en place du SNU ou s'interrogent sur l'accueil de recrues mineures.
Le législateur n'est à ce stade intervenu à l'égard du SNU que pour autoriser les crédits de la mission correspondante. Le séjour de cohésion a été intégré au code du service national en vertu d'une ordonnance entrée en vigueur sans débat au Parlement. Faute de cadre juridique clair, le SNU reste marqué par de profondes incertitudes et ambiguïtés.
1. - Certains jeunes sont attirés par le SNU par intérêt pour l'institution militaire, par exemple pour tester leur capacité à y effectuer un volontariat ou un engagement opérationnel. Or tous les jeunes ne partagent pas la même appétence pour un service « en uniforme ». De plus, le SNU ne relève pas du ministère des armées : cette ambiguïté doit donc être levée.
2. - Quel doit être le statut des jeunes : volontaires , comme c'est le cas actuellement, ou « appelés » répondant à une obligation légale , comme autrefois dans le cadre du service national ? Cet arbitrage commande de nombreux choix décisifs, non seulement sur le plan organisationnel et logistique (logement, transport...) mais aussi pour identifier des missions d'intérêt général en nombre suffisant pour accueillir toute une classe d'âge, soit environ 800 000 jeunes. Il s'agit là d'un véritable défi puisque le SNU, dans son format actuel concernant un nombre relativement peu élevé de volontaires, est confronté à une offre très insuffisante de MIG.
Si l'on considère, en bonne logique, que pour être universel, le SNU doit être obligatoire, il est possible qu'une révision constitutionnelle soit nécessaire car l'article 34 semble ne permettre actuellement au législateur de fixer de sujétions que pour la défense nationale. Rendre obligatoire le SNU, qui n'est pas un service militaire, pourrait donc justifier une révision constitutionnelle. Le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la démocratie, déposé en août 2019, prévoyait de modifier l'article 34 en ce sens mais son examen n'est pas parvenu à son terme. Cette question juridique doit être tranchée.
3. - Quel doit être le périmètre du SNU : les jeunes Français et Françaises seuls ou doit-il être ouvert, comme le service civique, à certains ressortissants étrangers qui seraient volontaires pour y participer ?
En outre, les incertitudes actuelles ont des conséquences sur la journée défense et citoyenneté , puisque celle-ci aurait vocation à être intégrée au séjour de cohésion - qui comporte une journée défense et mémoire - si celui-ci devenait obligatoire.
La portée des choix concernant l'avenir du SNU, qu'il s'agisse de son statut - volontaire ou obligatoire - ou de son périmètre - citoyens français seulement ou faculté ouverte aux ressortissants étrangers volontaires - nécessite de soumettre ces questions au législateur.
La mission d'information recommande donc de lever les incertitudes qui caractérisent encore le SNU et demande qu'un débat parlementaire associe les deux assemblées à l'élaboration des grands axes de cette politique publique, en amont de la définition de son cadre législatif et, le cas échéant, de sa base constitutionnelle.
C. ACCOMPAGNER LE DÉVELOPPEMENT DU SERVICE CIVIQUE ET RENFORCER LA FORMATION CITOYENNE DES VOLONTAIRES
Les constats de la mission d'information sont les suivants.
Le service civique répond à une double vocation, présente dans la loi fondatrice de 2010, issue d'une proposition du Sénat : recréer du lien social et permettre aux jeunes d'effectuer une mission au service de l'intérêt général constituant une expérience humaine intéressante, susceptible de s'inscrire dans la formation du jeune ou dans son parcours professionnel.
Il concerne les jeunes de 16 à 25 ans (30 ans pour les personnes en situation de handicap), sans condition de diplôme, qui peuvent effectuer une mission au service de l'intérêt général revêtant « un caractère philanthropique, éducatif, environnemental, scientifique, social, humanitaire, sportif, familial ou culturel, ou (concourant) à des missions de défense et de sécurité civile ou de prévention, de promotion de la francophonie et de la langue française ou à la prise de conscience de la citoyenneté française et européenne ». L'Agence du service civique, créée en 2010, est chargée, entre autres tâches, de définir les orientations stratégiques et les missions prioritaires du service civique, d'assurer la gestion des agréments et du soutien financier apporté par l'État à l'accueil des personnes volontaires en service civique et de promouvoir et de valoriser celui-ci.
La montée en puissance continue du service civique (6 000 volontariats signés en 2010, 90 000 en 2021) traduit le succès de cette politique publique, qui a montré pendant la pandémie sa capacité d'adaptation à un contexte de crise. Cette montée en puissance s'inscrit aujourd'hui dans le plan 1 jeune, 1 solution qui suppose une augmentation sensible du nombre de volontariats (100 000 missions supplémentaires en deux ans financées dans le cadre du plan de relance, soit au total 240 000 missions programmées) et implique non seulement, entre autres pistes, de développer le nombre d'organismes accrédités, mais aussi d'identifier de nouvelles missions.
Plébiscité par les jeunes, le service civique accueille des profils très divers (40 % de volontaires ont le bac ou un niveau bac+2, 17 % sont en situation de décrochage scolaire). Si les motivations de ces jeunes sont variées et n'excluent pas l'attrait que représente la perception d'un revenu ou des préoccupations d'insertion professionnelle, le service civique attire des jeunes ayant une prédisposition à l'engagement.
Il contribue à l'apprentissage des valeurs républicaines. Le code du service national prévoit ainsi une formation civique et citoyenne des volontaires à raison de deux journées minimum au cours de la mission. Certains organismes consacrent beaucoup plus de temps à cette formation : l'association Unis Cité , qui accueille chaque année 10 000 volontaires du service civique, organise cette formation sur neuf jours et consacre par ailleurs six jours à la préparation du projet d'avenir de chaque volontaire.
La mission d'information est donc favorable à la poursuite de cette dynamique de développement du service civique.
Pour renforcer son rayonnement, indispensable à la nouvelle étape de son développement ouverte par le plan de relance, elle a identifié les points de vigilance suivants :
- la valorisation du service civique dans les études et le parcours professionnel, qui implique que les établissements d'enseignement supérieur se saisissent davantage des dispositifs prévus par la loi (dispense d'enseignement, attribution de points « bonus », par exemple) ;
- une meilleure diffusion de l'information sur le service civique, qui doit pouvoir être intégrée par les élèves à la construction de leur parcours le plus en amont possible ; dans le cadre scolaire, les « semaines de l'engagement » et les heures d'orientation semblent un cadre approprié pour faire connaître le service civique, de même que, dans le cadre du SNU, le séjour de cohésion ;
- la formation des tuteurs et leur valorisation, qui pourrait être renforcée, y compris par l'attribution d'avantages financiers.
En outre, le développement du service civique en milieu rural est un véritable enjeu pour ces territoires : les collectivités font état de difficultés à recruter des volontaires, les jeunes peuvent être freinés dans leurs projets par des questions de mobilité.
Le potentiel du service civique en milieu rural a été identifié dans le cadre des comités interministériels aux ruralités.
Les collectivités territoriales sont une piste majeure pour développer le service civique, plus particulièrement en milieu rural. 12 % seulement des missions de service civique se déroulent au sein d'une collectivité territoriale. Néanmoins, au cours de la dernière année, des progrès se sont amorcés. La mission d'information ne peut qu'être favorable à cette dynamique. Elle considère en outre que le frein au développement du service civique en milieu rural lié à la mobilité des jeunes justifie la mise en place de moyens spécifiques et leur financement par l'État.
La mission d'information recommande donc :
- de poursuivre le développement du service civique et de pérenniser les moyens dégagés dans le cadre du plan de relance ;
- de développer le service civique en milieu rural , de l'intégrer systématiquement aux politiques publiques en faveur de la ruralité et de mettre en place un soutien financé par l'État afin de prendre en charge les contraintes spécifiques du service civique en milieu rural ;
- d'augmenter la durée de la formation civique et citoyenne des volontaires du service civique au-delà des deux journées actuellement mises en oeuvre conformément au code du service national (article R. 121-15), et d'en tirer les conséquences budgétaires sur les moyens attribués à l'Agence du service civique.
D. PRÉSERVER LE DYNAMISME DU SECTEUR ASSOCIATIF ET FACILITER L'ÉVOLUTION DE LA GOUVERNANCE DES ASSOCIATIONS
La France se caractérise par un fort dynamisme du secteur associatif. On dénombre en France 1,5 million d'associations et un nombre de bénévoles compris entre 16 et 20 millions.
Le nombre de jeunes bénévoles progresse ; l'on observe toutefois des modalités d'engagement de plus court terme, réversible (on parle de zapping ) et motivé davantage par l'intérêt pour une cause que par l'attachement à une structure.
Le monde associatif est donc confronté à la nécessité de tenir compte des nouvelles attentes des bénévoles et de modifier ses modalités de fonctionnement en conséquence.
À ce défi s'ajoute celui de l'accueil de nouveaux bénévoles , car les difficultés révélées par la crise sanitaire - l'indisponibilité de nombreux bénévoles associatifs fragilisés par le virus - ont mis en lumière les freins liés à une moyenne d'âge des bénévoles souvent élevée.
Le maintien du dynamisme du secteur associatif est donc subordonné à la capacité des associations à intégrer de nouveaux membres, y compris à leur gouvernance , et à adapter celle-ci aux formules qui favorisent la conciliation d'un engagement associatif avec des contraintes professionnelles et des responsabilités familiales (telles que l'exercice de responsabilités en binômes - co-présidents, co-trésoriers).
Pour assurer le maintien du dynamisme du secteur associatif et valoriser l'engagement des bénévoles, la mission d'information a identifié les points de vigilance suivants :
- favoriser la formation des bénévoles en renforçant la lisibilité des outils qui existent déjà, comme par exemple le Fonds pour le développement de la vie associative ;
- mieux communiquer sur des dispositifs tels que le compte d'engagement citoyen (CEC), les congés engagement et les dispositifs en faveur de l'engagement étudiant .
Elle recommande en outre une adaptation des formulaires administratifs aux nouvelles pratiques de gouvernance adaptées aux attentes d'un nombre croissant de bénévoles, notamment des jeunes, telles que l'exercice de responsabilités en binômes (co-présidents, co-trésoriers) ou le partage de la présidence dans le temps (présidences tournantes).
III. REPENSER LES PRATIQUES DÉMOCRATIQUES POUR RAPPROCHER LES CITOYENS DES INSTITUTIONS
Le constat largement partagé d'une distance croissante entre les citoyens et les institutions et d'un désintérêt largement répandu pour la vie politique appelle une réflexion globale pour repenser les pratiques démocratiques et mieux associer les citoyens aux décisions.
Cette réflexion passe par la nécessité de garanties renforcées sur l'exemplarité des élus, qui pourrait selon le rapporteur prendre la forme de l'obligation d'un casier judiciaire vierge.
Trois axes ont été identifiés par la mission d'information : dépoussiérer le processus électoral, mobiliser les dispositifs de démocratie participative pour développer la participation citoyenne et mobiliser l'échelon local pour faire des jeunes des acteurs à part entière de la vie démocratique.
A. DÉPOUSSIÉRER LE PROCESSUS ÉLECTORAL ET MIEUX INFORMER LES ÉLECTEURS
Les constats de la mission d'information sont les suivants.
Lors des élections de 2021, l'augmentation de l' abstention a atteint des proportions préoccupantes (66,7 % et 65,3 % aux premier et second tours des élections départementales ; 66,6 % et 65,3 % aux premier et second tours des élections régionales).
Lors de l'élection présidentielle de 2017, elle avait atteint 25,4 %, une proportion sans précédent à cette date, si l'on excepte le second tour de 1969 (31,1 %) ; elle a encore progressé en 2022 (28 %).
« Intermittente » ou systématique, elle rejoint la question des non-inscrits et des « mal inscrits » sur les listes électorales . Elle traduit, dans certains cas, un désintérêt pour le vote et un rapport à celui-ci faisant plus de place à la notion de droit qu'à celle de devoir .
Le vote n'étant pas obligatoire en France, le droit de vote implique le droit de ne pas voter, plus particulièrement pour les jeunes électeurs que caractérise un niveau plus élevé d'abstention que les précédentes générations, ce qui pose la question de l'avenir de notre démocratie.
Pour le rapporteur, le taux d'abstention des jeunes est un enjeu crucial . Lorsque les jeunes n'ont pas d'espoir, lorsqu'ils pensent que leur voix ne compte pas, il est compréhensible qu'ils estiment ne pas avoir de raison de participer aux élections. Il faut donc s'interroger sur ce que les élus ont collectivement raté et tout faire pour retrouver la confiance des jeunes . Cela suppose de ne pas avoir peur de se remettre en question.
Quant aux bulletins blancs , qui relèvent d'une autre approche du vote, s'ils sont aujourd'hui décomptés séparément des bulletins nuls en vertu d'une loi de 2014, le fait qu'ils ne soient pas considérés comme des suffrages exprimés suscite la frustration d'électeurs estimant que les résultats ne reflètent pas leur position et alimente un débat en France sur la prise en compte de ces bulletins dans le calcul des majorités.
Les dysfonctionnements constatés au cours de la période récente en matière d'accès à la propagande électorale au format « papier » (retards d'acheminement, préavis de grève, absence de livraison...) appellent des mesures pour dématérialiser l'accès aux professions de foi des candidats.
Les contraintes matérielles rencontrées par l'électeur en amont du scrutin jouent un rôle dans l'abstention. La possibilité de donner procuration à un électeur inscrit sur les listes d'une autre commune, ouverte en 2019, a constitué un assouplissement bienvenu mais les procurations restent le plus souvent limitées à une par personne, ce qui affecte l'accès au vote (hypothèse d'enfants effectuant leurs études loin du domicile familial par exemple) ; la double procuration , en vigueur jusqu'en 1989, a été brièvement réactivée pendant la crise sanitaire. Elle doit être remise en vigueur et pérennisée.
La nécessité d'être présent physiquement au bureau de vote le jour du scrutin pose notamment le problème de l'exercice du droit de vote par les patients hospitalisés. Le vote électronique présente des avantages évidents en termes d'accès au vote ; il améliore la conciliation des devoirs du citoyen et de ses projets de déplacement ou de congés. Il poserait toutefois, s'il était généralisé, la question de l'abandon d'un cérémonial républicain hérité de l'histoire, auquel on peut légitimement être très attaché.
Compte tenu de l'importance des obstacles à surmonter, la généralisation du vote électronique ne saurait être envisagée à brève échéance ; son processus, que la mission estime inéluctable, ne pourra être que progressif, notamment pour tenir compte de la fracture numérique .
La mission d'information recommande donc :
- pour limiter l'abstention et faciliter les conditions de participation matérielle des électeurs aux différents scrutins, la généralisation de la double procuration , qui peut apporter une solution appréciable dans de nombreuses situations (parents âgés, enfants étudiants établis loin du domicile familial...) ;
- s'agissant de l'envoi de la propagande électorale , la mise en place d'un système mixte permettant aux électeurs qui le souhaitent de recevoir ces documents sous forme électronique , parallèlement au maintien des modalités classiques d'envoi dont ne sauraient se passer certains citoyens. Le droit d'option des électeurs, qui éviterait, en tout état de cause, des envois inutiles pourrait être mis en oeuvre, par exemple, à l'occasion d'une réinscription sur les listes électorales, lors d'un déménagement ;
- une campagne d'information ambitieuse sur ces nouvelles modalités de consultation de la propagande électorale.
La mission d'information estime que cette campagne ne doit pas se borner à l'accès à la propagande électorale : compte tenu de l'ignorance largement répandue du rôle et du fonctionnement des institutions, analysée ci-dessus à propos de l'enseignement moral et civique, et qui ne se limite pas à la jeunesse, un effort d'information doit être mené systématiquement en amont de chaque scrutin, afin que tous les électeurs soient capables de mesurer l'enjeu de celui-ci.
La mission d'information recommande donc également que des campagnes d'information « grand public » soient organisées, avant chaque élection , pour rappeler :
- le rôle des institutions concernées par le scrutin à venir, ainsi que les modalités de l'élection ;
- les démarches nécessaires à l'inscription sur les listes électorales , de sorte que les personnes ayant changé de domicile ne se trouvent pas hors délai lors de l'élection.
Afin de toucher plus efficacement les jeunes , la délégation recommande que ces campagnes mobilisent les supports dont ils sont naturellement familiers ( réseaux sociaux ou applications mobiles notamment ).
Enfin, malgré les difficultés que pose le vote électronique, la mission d'information est convaincue que le vote en ligne va dans le sens de l'histoire, même s'il ne faut pas attendre du numérique qu'il comble à lui seul la distance entre les citoyens et les institutions.
Elle préconise donc :
- d'évaluer le vote électronique en l'expérimentant lors de scrutins locaux, dans les collectivités territoriales qui le souhaitent et, le cas échéant, après consultation des électeurs de ces collectivités en amont du scrutin ;
- la mise en place d'un groupe de travail associant experts, acteurs institutionnels et associations pour ouvrir une réflexion sur le vote en ligne , sur la base du résultat des expérimentations locales.
B. MIEUX ASSOCIER LE CITOYEN AUX DÉCISIONS
Les travaux de la mission d'information ont mis en évidence le rôle crucial des collectivités territoriales pour rapprocher les citoyens et les élus .
Ces travaux ont confirmé :
- l'intérêt de l'outil numérique pour associer le citoyen aux décisions ;
- la diversité des formules de démocratie participative (ou délibérative, variant qui met l'accent sur la participation du public à la phase de délibération précédant ou accompagnant l'élaboration des décisions) qui permettent aux institutions de donner de la consistance au dialogue citoyen.
La participation des citoyens à la décision peut intervenir à différents stades : lorsque le citoyen prend l'initiative de la décision (cas de la pétition), lorsqu'il est consulté sur un projet et, enfin, lorsqu'il adopte la décision (cas du référendum).
Le développement des mécanismes de démocratie participative s'est amplifié dans les années 1990 (conseils de développement, conseils de quartier, conseils citoyens, référendum local...) et leur diversité est considérable.
Les témoignages d'élus consultés par la mission d'information sur la plateforme du Sénat en janvier-février 2022 font état de limites récurrentes en matière de démocratie participative (consultations très chronophages pour les organisateurs, déception de ceux dont les propositions ne peuvent être prises en compte, difficulté à toucher un public varié, participation souvent faible...) et partagent quelques bonnes pratiques (varier les outils et les formats pour varier les publics ; mieux expliquer, en amont de la consultation, le processus de décision et les suites qui seront données afin d'éviter toute frustration de la part des citoyens consultés).
Des budgets participatifs ont été mis en place dans plus de dix-huit départements, 40 % concernent l'environnement et les budgets alloués, proportionnés au nombre de participants, vont d'un euro à quarante-cinq euros par personne. Des départements mettent également en place des plateformes collaboratives en lien avec les politiques publiques : ces outils ont trouvé un nouvel essor avec la crise sanitaire. Certaines ont été créées à cette occasion pour structurer l'entraide au sein de la population puis conservées depuis.
Les technologies citoyennes ou civic techs , qui recouvrent les procédés et plateformes numériques permettant d'améliorer les liens entre les gouvernements et les citoyens, jouent un rôle important dans le développement de la démocratie participative et délibérative . Entre autres exemples, des applications informent leurs utilisateurs des projets et propositions de loi examinés par le Parlement dans une approche collaborative d'élaboration des lois.
Deux points de vigilance ont été identifiés par la mission d'information pour développer la participation citoyenne :
- clarifier le statut et le financement des civic techs , qui forment aujourd'hui un pôle d'excellence reconnu mais dont le modèle - associatif ou entrepreneurial - gagnerait probablement à être précisé, afin de parvenir à une distinction plus rigoureuse entre les structures « militantes », destinées à renforcer la participation des citoyens par les outils numériques, et les structures proposant des prestations aux secteurs public et privé pour mettre en place des outils de participation ;
- « dédramatiser » le référendum , dont l'usage limité en France tient à un héritage spécifique et à un risque de confusion entre la question posée au corps électoral et l'autorité qui la pose ; la procédure du référendum d'initiative partagée, créé en 2008, n'a jamais abouti depuis son entrée en vigueur. Or, redonner la parole aux électeurs par le biais du référendum est de nature à contribuer à restaurer le lien entre les citoyens et les institutions : une telle évolution suppose de lui rendre sa fonction initiale d'instrument de démocratie directe .
Cette évolution passe, comme la mission d'information l'a constaté à plusieurs reprises, par l'échelon local , indispensable au dynamisme de notre démocratie. Il est donc important que les collectivités territoriales puissent s'approprier le référendum local inscrit dans la Constitution depuis 2003, afin d'y recourir plus largement sur des questions précises et concrètes, ce qui permettra à terme de « banaliser » cette démarche et pourrait conduire à une pratique apaisée du référendum à l'échelle nationale.
Le rapporteur considère que dans tous les cas, quels que soient les outils déployés, les démarches tendant à associer les citoyens doivent être sincères et ne pas relever d'une simple stratégie de communication politique , sur le modèle du greenwashing . Il s'agit d'instaurer une nouvelle culture politique . Cela implique d'en fixer précisément les limites en amont afin d'éviter de frustrer in fine les citoyens qui y participent puis de procéder à une évaluation de la méthode au terme d'une période donnée.
Penser que les élus ont un blanc-seing pendant tout la durée de leur mandat est une erreur, qui conduit à l'abstention et à la défiance.
C. FAIRE DES JEUNES DES ACTEURS À PART ENTIÈRE DE LA VIE LOCALE
La mission d'information a établi les constats suivants :
1. Les collectivités territoriales sont particulièrement engagées à l'égard des jeunes citoyens ; leurs bonnes pratiques pour faire des jeunes des acteurs à part entière de la vie locale sont très diverses et méritent d'être encouragées.
Parmi les initiatives des collectivités territoriales qui s'inscrivent dans cette logique, elle a noté l'intérêt que présentent les journées citoyennes , qui concernent tous les publics mais sont aussi des vecteurs de liens intergénérationnels à prendre en considération. Elle a également constaté le dynamisme des initiatives des collectivités pour inciter les jeunes à un engagement citoyen comme par exemple Tremplin citoyen , dans le département de l'Essonne, fondé sur l'attribution d'une contrepartie financière en échange de quelques heures d'engagement, par exemple au profit d'une association ou d'une collectivité territoriale. Cet outil aide notamment ses bénéficiaires à financer leur permis de conduire.
Enfin, elle estime que les cérémonies de remise de la carte d'électeur aux nouveaux citoyens dans les mairies sont un véritable vecteur de valorisation de la citoyenneté.
La mission d'information est convaincue de l'importance des initiatives des collectivités locales et de leur intérêt en termes de lien social, de rapprochement entre les institutions et les citoyens et d'encouragements adressés aux jeunes.
2. Parmi les dispositifs susceptibles de susciter des vocations de citoyens actifs, la mission d'information a été convaincue de l'intérêt que pourraient présenter les conseils de jeunes si le rôle de ceux-ci était renforcé. Elle a entendu des témoignages éclairants de jeunes conseillers des outre-mer et de métropole.
Les élus locaux consultés par la mission d'information sur la plateforme du Sénat ont livré un bilan nuancé de ces conseils, lieux d'apprentissage de la vie locale mais dont les membres sont souvent difficiles à recruter, a fortiori dans les petites communes. Certains suggèrent de renforcer les liens entre conseil de jeunes et conseil municipal : ce point a également été mentionné à plusieurs reprises lors des auditions de membres de conseils de jeunes par la mission d'information.
Malgré ces difficultés, les conseils d'enfants et de jeunes sont à la fois un outil pédagogique et un instrument de démocratie participative. La mission d'information invite donc les collectivités territoriales qui le peuvent à contribuer au développement de ces instances et à les associer à la vie locale, en leur confiant, lorsque c'est pertinent, de vrais projets.
3. La mission d'information a fait porter sa réflexion sur l'intérêt que présente l'implication des jeunes dans la politique mémorielle , qui constitue aujourd'hui un enjeu local important .
Parallèlement à la disparition progressive des témoins des deux guerres mondiales, notre politique mémorielle est actuellement confrontée au défi de l'association des jeunes aux temps forts que sont les cérémonies et commémorations (11 novembre, 8 mai, 27 mai...).
De manière spontanée, les élus locaux consultés par la mission d'information sur la plateforme du Sénat en janvier-février 2022 ont considéré l'association des jeunes aux cérémonies mémorielles comme un vecteur de transmission des valeurs citoyennes.
Selon la mission d'information, la participation des jeunes à ces cérémonies, gage de réussite de l'indispensable passage de relais entre générations qu'exige la période actuelle, implique :
- l'organisation de ces cérémonies pendant le temps scolaire et en dehors des jours fériés comme le 11 novembre ou le 8 mai, lorsque les acteurs locaux le jugent possible , afin que les classes puissent y participer, ce qui suppose également une préparation en amont avec leurs enseignants ;
- une réflexion des différents organisateurs des commémorations (associations, élus, directions départementales de l'ONAC...) sur les rôles susceptibles d'être confiés aux jeunes lors de ces commémorations, afin que les jeunes aient une participation active à ces dernières : lecture de textes, chansons, contribution au dépôt de gerbes par les autorités locales et nationales, recherches historiques...
L'Éducation nationale doit être associée à cette réflexion, pour que les élèves associés à ces cérémonies puissent y jouer un rôle actif et s'approprier cet héritage structurant sur le plan citoyen.
L'autre défi de la politique mémorielle, parallèlement au rajeunissement de ses acteurs, est sa territorialisation : l'héritage mémoriel se perçoit et se transmet différemment selon que l'on vit près d'Oradour-sur-Glane, des plages du débarquement, des champs de bataille de la Première guerre mondiale, du camp de concentration de Natzweiler-Struthof, de la prison de Montluc - où furent internés et torturés nombre de résistants - ou en outre-mer.
4. Enfin, la mission d'information a entendu les témoignages de jeunes élus demandeurs de responsabilités , faisant sienne la remarque de l'un d'eux : « Nous ne sommes pas l'avenir, nous sommes le présent », qui appelle notamment à améliorer leur accès aux mandats .
À la question « Comment accroître la place des jeunes dans les collectivités territoriales ? », les élus locaux consultés par la mission d'information sur la plateforme du Sénat ont tout d'abord répondu que promouvoir une participation plus dynamique des jeunes à la vie politique locale est un enjeu démocratique ; 71 % des élus locaux ayant répondu au questionnaire de la mission d'information ont estimé que les moins de 30 ans n'étaient pas suffisamment représentés dans la vie politique locale.
S'agissant des mesures à privilégier pour mieux impliquer les jeunes dans la vie locale , les élus identifient tout d'abord la nécessité de faire connaître aux jeunes le fonctionnement des institutions , face à une ignorance largement répandue. Certains ont souligné le besoin d'un changement de regard sur les jeunes, d'une remise en question des méthodes de travail des élus et d'une adaptation du fonctionnement des institutions aux besoins et aux attentes des jeunes , la priorité étant de leur faire confiance. Certains évoquent aussi la difficile conciliation d'un mandat avec les obligations professionnelles et la vie privée comme un obstacle majeur à l'engagement politique des jeunes , plus particulièrement des jeunes actifs, confrontés aux contraintes du démarrage d'un parcours professionnel et aux responsabilités parentales.
L'attention de la mission d'information a, par ailleurs, été attirée sur le fait que les étudiants pouvaient être plus disponibles que les jeunes actifs et que les mobiliser pour un engagement politique local était un levier de rajeunissement des instances élues.
La mission d'information partage les préoccupations des élus qu'elle a consultés et estime nécessaire de mieux impliquer nos jeunes concitoyens dans la vie politique locale. Elle est, comme ses interlocuteurs, convaincue de l'importance décisive d'un effort massif pour mieux informer les jeunes sur le fonctionnement des institutions , comme elle l'a souligné à propos de l'enseignement moral et civique dans le cadre scolaire. Elle a également acquis la certitude de la nécessité d'ouvrir davantage aux jeunes la porte des institutions et de leur faire confiance .
Afin de rapprocher les jeunes des collectivités territoriales, la mission d'information juge prometteuses certaines suggestions qui lui ont été adressées sur la plateforme du Sénat :
- pour « former les élus locaux aux enjeux de la jeunesse », car les politiques publiques intéressant la jeunesse relèvent d'une approche transversale qui exige une réelle formation ;
- et pour que les collectivités organisent, selon la périodicité qu'elles jugeront pertinentes, des consultations « de tous les jeunes de la localité », qui pourraient donner lieu à l'inscription, à l'ordre du jour de la collectivité, de sujets ainsi identifiés par les jeunes.
En conclusion, la mission d'information invite donc les collectivités territoriales :
- à s'approprier les bonnes pratiques telles que les journées citoyennes, vecteur de solidarités intergénérationnelles ;
- à associer les conseils de jeunes à la vie locale, en leur confiant, lorsque cela leur semble pertinent, de vrais projets.
Elle appelle les organisateurs des cérémonies mémorielles (collectivités territoriales, préfectures, ONACVG...) :
- à envisager des dates, le cas échéant en dehors des jours fériés, permettant aux élèves d'y participer avec leurs enseignants ;
- à associer l'Éducation nationale à une réflexion sur le rôle des jeunes pendant ces commémorations , afin que leur soit confiée une participation active à ces cérémonies .
Souhaitant que les assemblées locales comprennent une proportion plus importante de jeunes élus, et constatant que les étudiants peuvent être plus facilement disponibles que les jeunes actifs compte tenu des contraintes professionnelles et familiales qui pèsent sur ces derniers, elle recommande qu'un statut de l'étudiant élu organise la compatibilité entre les études et l'exercice d'un mandat local. Or les dispositions du code général des collectivités territoriales portant sur les conditions d'exercice des mandats municipaux, départementaux et régionaux fixent des garanties en lien avec l'activité professionnelle de l'élu mais n'en prévoient pas pour l'élu étudiant.
La mission d'information recommande donc de créer un statut de l'élu étudiant en modifiant le code général des collectivités territoriales pour garantir au conseiller municipal, départemental ou régional inscrit dans un établissement d'enseignement supérieur le bénéfice d'aménagements de scolarité permettant l'exercice effectif de son mandat .
Enfin, la mission d'information appelle les collectivités territoriales à encourager l'accès des jeunes élus aux responsabilités au sein des exécutifs locaux .
* 16 Les grands principes du service national universel - Compte rendu du Conseil des ministres du 27 juin 2018 - Gouvernement.fr