B. DES EXEMPLES D'INFLUENCES ÉTRANGÈRES QUI PASSENT SOUS LES RADARS
Les tentatives d'influence sont encore mal documentées et ne font pas l'objet d'une analyse centralisée permettant une vision large. Plusieurs cas ont été mentionnés devant la mission d'information. Pour des raisons de confidentialité, la mission a choisi de ne mentionner que les trois cas suivants.
1. La visite du Dalaï Lama en 2016
En 2016, Sciences po Paris a annulé une conférence du Dalaï Lama, qui était prévue pour le 13 septembre. Le magazine l' Obs , dans un article daté du 11 septembre 2016, « Le dalaï-lama en France : annulation suspecte d'une conférence à Sciences Po », rapporte les propos du tibétologue Robbie Barnett, selon qui « les interventions publiques du dalaï-lama dans les établissements les plus célèbres du monde - de Harvard à Cambridge en passant par les grandes fac japonaises ou indiennes - font systématiquement l'objet de manoeuvres diverses de la part des diplomates chinois visant à faire annuler l'événement, ou à tout le moins à réduire sa visibilité . »
Une conférence similaire était prévue à l'INALCO, qui a fait également l'objet de pressions. Entendu par la mission d'information, le Président de l'INALCO a confirmé ces pressions, mais l'Institut a pour sa part choisi de maintenir la conférence programmée dans son établissement. L'établissement a également été destinataire de lettres de l'ambassade et de menaces sous-entendues d'arrêts, voire de retraits de bourses.
2. La mise en cause publique d'un chercheur par une puissance étrangère
Le chercheur Antoine Bondaz a été pris à partie par l'ambassadeur de Chine en mars 2021. Il a été traité de « Petite frappe », « troll idéologique » et enfin de « hyène folle ». Entendu par la mission d'information, Antoine Bondaz a indiqué que ce traitement était la conséquence de sa dénonciation des pressions de la Chine concernant des Sénateurs qui voulaient se rendre à Taïwan. Il a estimé avoir été suffisamment préparé et entouré pour ne pas avoir à souffrir de ces attaques, mais estime qu'elles peuvent avoir un véritable effet d'inhibition, en particulier pour les chercheurs moins expérimentés.
Échange de « tweet » entre
l'Ambassade de Chine à Paris
et le chercheur Antoine
Bondaz
Source : Twitter
3. Piratage de conférence en ligne
À l'occasion de son audition par la mission d'information, Claire Mouradian a projeté devant la mission l'exemple d'un piratage attribué à un groupe pro-azerbaïdjanais, voire pro-turc, rendant illisible un cours en ligne sur le patrimoine arménien au Haut-Karabagh.
Extrait d'une conférence en ligne piratée
Source : auditions de la mission d'information
4. La première des censures : l'autocensure
Au-delà de ces exemples circonstanciés, la mission d'information a été frappée par une tendance à l'autocensure évoquée par de nombreux interlocuteurs .
Plusieurs personnes entendues ont ainsi signalé l'inquiétude relayée par certains de leurs collègues quant à d'éventuelles réactions de la Chine, alors même que ce pays n'avait pas émis la moindre remarque. Cette réaction, compréhensible, est significative d'un climat d'insécurité intellectuelle qui parait d'autant plus inquiétant à la mission qu'il concerne des chercheurs, et constitue donc une atteinte insidieuse au principe même des libertés académiques .
5. L'absence d'inventaire systématique et de cartographie à jour des interférences
Le phénomène des influences extra-européennes demeure à ce jour très largement méconnu en France . Les réponses extrêmement riches adressées à la mission d'information par les établissements d'enseignement supérieurs ne sauraient constituer un échantillon représentatif, d'autant plus que certains d'entre eux n'ont pas jugé utile d'apporter leur contribution, comme les écoles de commerce, pourtant concernées au premier chef. On peut au passage s'étonner de l'absence d'étude menée sur le sujet par l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGAENR).
Ce phénomène ne fait pas l'objet d'un inventaire systématique et d'une cartographie évolutive , ce qui nuit à l'efficacité de toute politique de prévention, voire contribue à le dissimuler. Il apparait donc nécessaire d'organiser rapidement un état des lieux précis, élaboré notamment par des scientifiques selon une méthodologie adaptée et robuste, à même d'objectiver la situation. Cela facilitera la prise de conscience du monde académique dans son ensemble.
Par ailleurs, il est essentiel que les constats dressés par cette étude, régulièrement actualisés, soient transmis au Parlement et puissent faire l'objet d'un débat ouvert destiné à éclairer la représentation nationale comme les citoyens. Au cours de ses auditions, la mission d'information a en effet été frappée par le rôle essentiel des parlements nationaux à l'étranger dans la prise en compte de ces menaces, et par leur action très efficace en la matière.
Recommandation 1 : Dresser un état des lieux des alertes, de la volumétrie des signalements et des mesures prises pour y remédier et évaluer le niveau des influences étrangères dans l'enseignement supérieur et la recherche.
Recommandation 2 : Constituer un comité scientifique, prenant la forme d'un « observatoire des influences étrangères et de leurs incidences sur l'enseignement supérieur et la recherche » qui associerait universitaires, ministères de l'enseignement supérieur et de la recherche, des affaires étrangères, de l'économie, de l'intérieur et de la défense , chargé de dresser un état des lieux, d'en assurer le suivi régulier et de formuler des propositions au Gouvernement.
Recommandation 3 : Charger le comité d'élaborer une étude scientifique de référence sur l'état des menaces constatées en France. Ce document, qui qui ferait l'objet d'un suivi actualisé et d'une analyse des évolutions dynamiques, comporterait une vision globale des menaces extra-européennes et une cartographie des risques à la fois thématiques et géographiques.
Recommandation 4 : Prévoir la transmission de cette étude et de ses versions actualisées au Parlement . Ses constats pourront faire l'objet d'un débat.