DEUXIÈME PARTIE :
LA FRANCE, UNE CIBLE DE CHOIX
I. DES ÉTABLISSEMENTS VULNÉRABLES PAR NATURE
A. LES LIBERTÉS ACADÉMIQUES ET L'INTÉGRITÉ SCIENTIFIQUE : DES VALEURS MENACÉES
1. Des libertés académiques renforcées à l'initiative du Sénat
L'intervention d'une puissance étrangère dans la conduite de la politique d'enseignement et de recherche d'un État ne relève pas seulement de la diplomatie d'influence, si agressive soit-elle. Elle constitue une attaque contre le fondement même sur lequel est bâti le monde universitaire et académique, en menaçant directement les libertés académiques et l'intégrité scientifique .
Les libertés académiques sont en effet la garantie la plus essentielle dans le travail des chercheurs.
L`article L. 952-2 du code de l'éducation en fixe le principe :
« Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d'objectivité . »
Cet article a été complété et renforcé à l'initiative du Sénat, lors de l'examen de la loi de programmation de la recherche du 24 décembre 2020. Un nouvel alinéa a été introduit, qui mentionne cette-fois ci explicitement le terme : « Les libertés académiques sont le gage de l'excellence de l'enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s'exercent conformément au principe à caractère constitutionnel d'indépendance des enseignants-chercheurs . »
Le principe d'indépendance des enseignants-chercheurs dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de recherche a été reconnu par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1984, comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Sa réaffirmation, ainsi que le lien souligné par le législateur entre les libertés académiques et l'indépendance des enseignants-chercheurs , marque son caractère central, et corrélativement le risque existentiel que fait peser sur toute la recherche sa fragilisation.
Une définition alternative est proposée par le philosophe Sidney Hook : « la liberté de personnes, professionnellement qualifiées, de chercher, de découvrir, de publier et de rechercher la vérité telle qu'ils la perçoivent dans le champ de leur compétence. Elle n'est sujette à aucun contrôle ou à aucune autorité officielle, à l'exception du contrôle et de l'autorité des méthodes rationnelles par lesquelles on atteint ces vérités ou des conclusions dans ces disciplines ».
Les libertés académiques peuvent être menacées de diverses manières. Aux États-Unis, par exemple, certains accusent le mouvement dit « woke » de limiter la liberté d'expression sur les campus 49 ( * ) .
2. L'intégrité scientifique de la recherche : des exigences nouvelles
Elles peuvent être lues en parallèle avec le concept plus récent d'intégrité scientifique .
Dans le rapport réalisé au nom de l'OPECST et rendu public le 4 mars 2021 50 ( * ) , le député Pierre Henriet et le sénateur Pierre Ouzoulias notent que « l'intégrité scientifique constitue le socle de confiance que les scientifiques se doivent de constituer au sein de leur communauté, avec les institutions et avec les citoyens . »
Les interventions de puissances étrangères dans le monde universitaire et académique peuvent éroder la confiance envers la recherche et saper de manière insidieuse le pacte implicite passé entre une nation, son enseignement supérieur et sa recherche .
La mission d'information a été particulièrement sensibilisée aux cas de conflits d'intérêt : « Le cas des conflits d'intérêts (non-signalement de liens conflictuels ou privilégiés lors d'une expertise, d'un jury ou d'une promotion) est considéré, selon les uns et les autres, comme relevant de l'intégrité scientifique ou de la déontologie », indique à ce propos le rapport précité de l'OPECST sur l'intégrité scientifique. Il suffit de quelques cas pour inciter au doute et à la remise en question de l'ensemble de la parole scientifique, ce qui contribue à un affaissement de l'ensemble des valeurs démocratiques et libérales.
Pour autant, il est impossible de supprimer toute suspicion de conflits d'intérêts. Passer plusieurs années dans un pays peut être un prérequis pour faire des recherches sur le pays en question, et une bourse qui a été accordée à un chercheur par un pays peut lui ouvrir des portes qui seraient inaccessibles autrement. Cette ambiguïté donne d'autant plus de leviers à des puissances étrangères pour discréditer les chercheurs nationaux, et elle impose de prêter une attention redoublée aux exigences d'intégrité et de transparence.
* 49 Voir par exemple l'ouvrage de Joanna Williams « Academic Freedom in an Age of Conformity
Confronting the Fear of Knowledge » et la synthèse d'Alessia Lefébure sur le site “The Conversation” : https://theconversation.com/la-liberte-academique-des-enseignants-est-elle-en-danger-sur-les-campus-americains-156729
* 50 Rapport de MM. Pierre OUZOULIAS, sénateur et Pierre HENRIET, député, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
n° 428 (2020-2021) - 4 mars 2021 http://www.senat.fr/rap/r20-428/r20-4281.pdf