B. LES OBJECTIFS DE LA STRATÉGIE POUR LES AIRES PROTÉGÉES 2030 ONT ÉTÉ FIXÉS SANS RÉFLEXION PRÉALABLE SUR LES BESOINS FINANCIERS NÉCESSAIRES POUR LES ATTEINDRE

1. La situation financière des structures gestionnaires est hétérogène

Les représentants de structures gestionnaires rencontrés par le rapporteur ont été interrogés sur leur situation financière. Celle-ci apparaît très hétérogène, car elle dépend des sources de financement : c'est le cas notamment pour les réserves naturelles. La fédération des réserves naturelles de France indique ainsi que s'agissant des réserves régionales, il existe de fortes disparités d'une région à une autre, avec une aide régionale allant de 10 000 euros à 270 000 euros par réserve, soit une aide allouée allant de 30 euros par hectare à 976 euros par hectare.

La fédération des CEN a quant à elle souligné que les CEN sont confrontés de manière récurrente aux tensions de trésorerie résultant d'importants délais de recouvrement des crédits issus de programmes européens (en particulier FEDER et FEADER). L'évaluation des charges d'emprunt de trésorerie réalisée en 2018 par le réseau avoisinait ainsi les 200 000 euros par an pour certaines structures.

La revue de dépenses précitée de 2017 relevait que la situation financière des PNR ne laissait pas apparaître de difficultés pour la majorité des parcs. Les résultats moyens par PNR dégagés sur la période 2010-2015 augmentaient de 112 % en moyenne, masquant une forte hétérogénéité : la mission indiquait alors que « suivant les exercices, ce sont entre le tiers et la moitié des parcs qui enregistrent un déficit ».

Les parcs nationaux présentent des capacités d'autofinancement réduites et des niveaux bas de trésorerie 42 ( * ) . En raison de résultats faibles et de cessions d'actifs, les établissements publics de parcs nationaux font face à un amoindrissement de leurs capacités d'autofinancement, comme l'illustre le tableau ci-dessous. Cette situation rend les parcs vulnérables face aux catastrophes susceptibles d'affecter leurs équipements (exemple de la tempête Alex dans le Mercantour) et limite leur réactivité pour porter des projets au nom des collectivités adhérentes .

Évolution du niveau de capacité ou d'insuffisance d'autofinancement des parcs nationaux sur la période 2015-2020

Source : réponses au questionnaire des parcs nationaux

Évolution du niveau final de la trésorerie des parcs nationaux
sur la période 2015-2020

Source : réponses au questionnaire des parcs nationaux

Il reste difficile de dégager une tendance sur la viabilité du modèle économique des aires protégées car il n'existe pas un « unique » modèle économique. Ces modèles sont nombreux, la gestion des aires protégées revêtant comme on l'a vu des formes diverses, fonction des structures gestionnaires et des espaces géographiques couverts.

2. Une évaluation des besoins réalisée tardivement, après la publication de la nouvelle stratégie

L'analyse des besoins des structures pour atteindre les objectifs fixés par la nouvelle stratégie est seulement en cours de réalisation : en réponse au questionnaire du rapporteur, la direction de l'eau et de la biodiversité estime que si l'élaboration de la stratégie nationale pour 2030 « a permis de recenser les difficultés et verrous liés au financement des aires protégées en concertation avec les acteurs et porteurs de projets », les pistes d'amélioration en matière budgétaire et fiscale passent avant tout par la réalisation d'un « diagnostic du financement des aires protégées ».

Ainsi, « les concertations ont conduit au constat qu'il sera difficilement possible d'atteindre les objectifs ambitieux de la stratégie des aires protégées sans mener une réflexion approfondie sur les montants nécessaires et les modèles économiques de financement des aires protégées ».

En conséquence, afin d'évaluer les besoins financiers pour atteindre les objectifs de protection définis dans la SNAP, le Gouvernement a missionné une équipe de l'Inspection générale des finances et du CGEDD, dont les conclusions seraient remises d'ici la fin de l'année.

Extrait du plan d'actions 2021-2023

Mesure 15, consolider le financement des aires protégées ; réaliser un diagnostic du financement des aires protégées.

Réaliser un diagnostic relatif aux budgets et modes de financement des aires protégées, intégrant notamment une analyse et des recommandations en matière :

- des structures de coût des aires protégées (fonctionnement et investissement) ;

- des différentes sources de financements publics et privés, et des opportunités d'optimisation et de mise en synergie à cet égard ;

- des besoins pour la mise en oeuvre de la stratégie 2030, et impliquant, le cas échéant, des compensations liées à la limitation de certains usages de manière significative pour les activités économiques ;

- des moyens pour couvrir le financement de la stratégie, tant par des financements publics et privés et notamment des enjeux et modalités de la mobilisation du secteur privé et du grand public dans le financement des aires protégées ;

- de la valorisation des services rendus par les aires protégées, en lien avec le green budgeting ;

- des financements européens notamment mobilisables dans le cadre de la Stratégie européenne pour la biodiversité ;

- d'analyse des pistes de rationalisation et d'optimisation des dépenses et recettes fiscales existantes qui ont un effet sur les aires protégées ou sur les objectifs de la stratégie.

Source : plan d'action 2021-2023 de la SNAP pour 2030

D'abord, il est particulièrement regrettable que cette évaluation des besoins n'ait pas eu lieu avant la définition de la stratégie pour les aires protégées pour 2030. Celle-ci prévoit pourtant un objectif de 10 % de protection forte en France, ce qui implique inévitablement l'extension ou la création d'outils de protection forte. Or, il est fort probable que cet objectif nécessitera des moyens nouveaux ou additionnels aux moyens existants pour les structures gestionnaires. Autrement dit, ces objectifs ont été définis sans évaluation préalable des besoins financiers, en fonctionnement ou en investissement, et des ressources humaines qui devraient les accompagner.

Aucun dialogue de gestion n'a été organisé avec les structures gestionnaires avant la publication de cette stratégie, qui aurait pourtant permis de connaître les besoins des structures pour atteindre les objectifs ambitieux fixés et réitérés lors du congrès mondial de l'UICN à Marseille au début du mois de septembre.

La DEB argue que « les besoins ne sont pas aujourd'hui précisément connus, ne serait-ce que parce que l'ensemble des projets concourant à cet objectif n'est lui-même pas connu ».

Or, sans même considérer les nouveaux objectifs de protection fixés par la stratégie, certaines structures gestionnaires connaissent déjà des difficultés aujourd'hui pour exercer leurs missions : RNF a ainsi par exemple mené une étude en 2018 concernant notamment l'évaluation des besoins en financement des réserves naturelles, concluant que les besoins des réserves naturelles de France sont supérieurs aux financements actuellement perçus par les gestionnaires de celles-ci : « ces financements limités ne permettent pas la réalisation de certaines missions considérées essentielles par les gestionnaires de réserves naturelles telles que les activités de pédagogie, de connaissance approfondie des milieux et d'ancrage territorial ».

De même, une étude du Commissariat général au développement durable sur les pistes de financements additionnels des parcs nationaux 43 ( * ) indiquait que leurs principaux besoins de financements portaient sur des actions d'intervention, de connaissance et de suivi et sur le soutien du développement durable dans l'aire d'adhésion.

Enfin, les objectifs fixés paraissent en décalage avec les contraintes des opérateurs : le CELRL se voit confier par la SNAP un objectif de renforcement de la protection du littoral par l'extension de son domaine protégé d'au moins 6 000 hectares supplémentaires. Or, le Conservatoire est majoritairement financé par l'affectation plafonnée d'une taxe, qui le contraint à lisser ses acquisitions en fonction de priorités budgétaires. Il paraît donc inévitable de faire évoluer la ressource du CELRL en rapport avec l'accroissement du domaine protégé dont il aura la charge, afin notamment de lui permettre d'assurer la mise en oeuvre des responsabilités du propriétaire qui lui incombent.

3. Le décalage entre les ambitions affichées et les moyens alloués apparaît problématique, d'autant plus lorsqu'il retentit sur la qualité de la protection

Les échanges avec les représentants de structures gestionnaires, tant au Sénat qu'au cours du déplacement réalisé par le rapporteur en Baie de Somme, ont mis en exergue les risques d'une dégradation de la qualité d'accès aux espaces naturels lors des épisodes de sur-fréquentation . Or, ces épisodes se sont récemment multipliés, compte tenu de la situation sanitaire qui a conduit de nombreux Français à planifier leurs vacances dans l'Hexagone.

Le cas du parc national de Port-Cros a été porté à l'attention du rapporteur : le phénomène de fréquentation en « pics » est en augmentation chaque été, avec pour la seule petite île de Porquerolles des pics à plus de 10 000 personnes débarquées par les compagnies maritimes, auxquels s'ajoutent les visiteurs y séjournant par leurs propres moyens. Cette affluence entraîne des impacts sur la faune et la flore terrestre et maritime, mais également une saturation des services et des acteurs économiques.

De même, l'hyperfréquentation du parc national des Calanques a atteint des niveaux inédits à l'été 2020. Les impacts d'une sur-fréquentation sur les milieux naturels sont connus et documentés : piétinement de la flore, stress pour la faune, diminution des taux de reproduction, collisions...

Sur ce point, des actions de police peuvent être renforcées en premier lieu (les conseils d'administration de parcs peuvent également avoir la compétence de réglementer la circulation des personnes sur le coeur terrestre) : la loi hyper-fréquentation qui avait été adoptée par le Sénat en novembre 2019 a été reprise à l'article 56 bis du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Cet article permet au maire et au préfet de département de prendre des arrêtés de réglementation ou d'interdiction de l'accès aux espaces protégés lorsqu'un accès excessif peut porter atteinte soit à leurs caractéristiques écologiques, agricoles, forestières, esthétiques, paysagères, ou touristiques, soit à la protection des espèces animales ou végétales.

Au-delà, la question doit se poser d'un manque de moyens humains, qui peut limiter la capacité des structures à intervenir rapidement sur le territoire : ainsi, s'agissant des aires marines protégées, selon un récent bilan 44 ( * ) , « 38 % des gestionnaires enquêtés estiment ne pas être en capacité d'intervenir sur les usages qui affectent les milieux dont ils ont en charge la protection, en particulier s'agissant des activités et de la fréquentation touristiques et des vecteurs de pollution ».

Afin de permettre aux structures gestionnaires d'aires protégées de remplir leurs missions de protection, il est indispensable de les doter de moyens humains et financiers adaptés, compte tenu des objectifs fixés par la SNAP et des évolutions récentes des usages d'espaces naturels - qu'il s'agisse du développement récent de tourisme « vert », ou du développement plus constant des activités et sports de nature au sein d'espaces naturels.

Dans l'attente de l'estimation d'un ordre de grandeur des besoins nécessaires pour répondre aux objectifs fixés par la SNAP, des premières pistes d'évolution des modes de financements ou de financements additionnels peuvent d'ores et déjà être dégagées.


* 42 Pour les parcs des Pyrénées en 2019, de Guyane et de Port-Cros en 2020 et 2021, cette situation a nécessité une intervention financière de la tutelle.

* 43 « Parcs nationaux : quelles pistes de financements additionnels ? », Commissariat général au développement durable, juin 2018.

* 44 Bilan 2019 de la stratégie nationale pour la création et la gestion des aires marines protégés, juillet 2019, rapport d'évaluation d'ACTeon environement, MC2 et Creocean.

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