AVANT-PROPOS
Dans la nuit du 26 au 27 septembre 2019, à Rouen, un incendie d'une très grande ampleur a ravagé une partie des installations de l'entreprise chimique Lubrizol ainsi que les entrepôts de l'entreprise Normandie Logistique, situés à proximité immédiate. Si l'incendie proprement dit a été rapidement maîtrisé, le panache de fumée né de la combustion des substances entreposées s'est déployé sur une surface très étendue. L'incendie a eu des conséquences bien au-delà des zones couvertes par les dispositifs de protection prévus aux alentours des implantations des industries dangereuses.
Dès le 10 octobre, le Sénat, à l'unanimité des groupes politiques et des commissions permanentes, a décidé de créer une commission d'enquête chargée d'évaluer ces conséquences, mais aussi de proposer des pistes d'amélioration de la politique de contrôle des installations classées et de prévention des risques industriels 1 ( * ) .
La commission d'enquête s'est constituée puis a entamé ses travaux très rapidement : dès le 24 octobre, elle se rendait à Rouen pour entendre tous les acteurs intéressés par l'accident au plus près du terrain.
Elle a ensuite procédé à l'audition de près de 80 personnes, institutions, administrations, organismes publics ou associations et a adressé un grand nombre de questionnaires thématiques pour éclairer tel ou tel point. Elle a ainsi interrogé l'ensemble des préfets sur la mise en oeuvre de l'instruction ministérielle du 2 octobre 2019, qui a constitué la première réponse du Gouvernement après l'accident.
Conformément à la mission constitutionnelle de représentant des collectivités territoriales reconnue au Sénat, elle a lancé une consultation en ligne afin de recueillir l'appréciation des élus locaux sur la politique de prévention des accidents industriels.
Par ailleurs, elle a réalisé une analyse approfondie de l'activité des réseaux sociaux consacrée à l'accident.
La commission d'enquête a achevé ses auditions le 26 février 2020. Le projet de rapport établi par ses deux rapporteurs devait être mis à disposition des membres de la commission à compter du 25 mars et la réunion de la commission consacrée à l'examen du rapport était prévue le 1 er avril 2020, quelques jours avant qu'elle prenne juridiquement fin.
Entre temps, la France s'est retrouvée en état d'urgence sanitaire. À ce titre, une mesure générale de confinement a été décidée et seuls quelques déplacements strictement définis sont restés autorisés, conformément aux dispositions du décret du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus SARS-CoV-2 et du décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19. Cette situation sans précédent rendait quasiment impossible la poursuite des travaux de la commission d'enquête selon le calendrier ordinaire. C'est pourquoi, l'article 22 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 a porté à huit mois le délai au terme duquel les commissions d'enquête prennent fin.
Ce report a permis d'achever la mission de la commission dans de bonnes conditions. En revanche, la concomitance avec le déroulement de la crise sanitaire majeure que traverse notre pays ne devait pas conduire à modifier sensiblement le contenu du rapport. Elle ne pouvait faire oublier l'incendie de septembre 2019, surtout pendant la période de confinement : mentionnée par l'AFP, dans une dépêche du 24 mars, la persistance d'odeurs nauséabondes rendait l'aération des logements difficile, au moment où elle était le plus indispensable.
En outre, l'incendie du Lubrizol et la crise sanitaire liée au coronavirus posent l'un et l'autre la question de la préparation des services de l'État à la survenue d'une crise. Tout se passe comme s'ils étaient, chacun à leur échelle, les deux faces d'une même médaille - la défiance à l'égard de la parole publique : dans le premier cas, les pouvoirs publics ont été accusés de minimiser les conséquences de l'accident et présenter les résultats d'analyses pour expliquer l'absence de conséquence grave pour la santé n'a servi qu'à entretenir la méfiance de la population. Dans le second, à l'inverse, les pouvoirs publics, dans les premiers temps au moins, ont eu toutes les peines du monde à faire prendre conscience à l'opinion de la gravité de l'épidémie de Covid-19 et de la nécessité de respecter scrupuleusement les gestes barrières.
Cependant, porter un regard rétrospectif sur l'incendie de l'usine Lubrizol en le comparant à la crise sanitaire aurait conduit à formuler dès à présent et, donc, de manière très partielle, une appréciation sur la façon dont cette dernière a été gérée et la communication de crise organisée.
C'est pourquoi, sans méconnaître ce contexte général exceptionnel, ce rapport ne fait pas référence à la crise sanitaire du Covid-19, si ce n'est sur quelques points techniques (le dispositif d'alerte des populations par message sur téléphones portables par exemple) ou lorsque cela s'avère indispensable à la compréhension du calendrier des événements. Ainsi, la priorité accordée à la gestion de la crise sanitaire a logiquement compliqué le lancement de l'enquête de santé confiée à Santé publique France, initialement prévue en mars 2020.
* 1 Dans le présent rapport, la notion de « risques industriels » est utilisée pour désigner ceux associés aux installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), en particulier aux établissements Seveso, plutôt que celle de « risques technologiques », souvent employée pour désigner un périmètre élargi d'installations, intégrant les sites nucléaires.