CONCLUSION GÉNÉRALE
La chance ne sourit qu'aux esprits bien préparés
Louis Pasteur
Depuis le XIX e siècle, l'essor de l'industrie est jalonné d'accidents et de catastrophes inscrites dans la mémoire collective. Après chaque événement grave, l'État s'efforce de faire en sorte qu'il ne se reproduise pas. En France, ce fut en particulier le cas, après la catastrophe AZF, avec l'adoption de la « loi Bachelot ».C'est également le sens, au niveau européen, de la directive Seveso, revue à plusieurs reprises.
L'incendie de l'usine Lubrizol montre cependant que la réglementation a encore un temps de retard sur les événements. Sans attendre que la volonté exprimée au niveau européen d'aller plus loin encore dans le sens de la protection des citoyens et de l'environnement se traduise en actes concrets, cet accident doit marquer une nouvelle étape de la prévention des accidents industriels. Le temps de la passivité des citoyens est révolu et il appartient à tous les responsables publics de répondre à cette exigence.
Si la gestion de crise par les services de l'État a permis de limiter les effets de court terme de l'accident, celui-ci est néanmoins riche d'enseignements sur les « défauts dans la cuirasse » . Le premier, connu de longue date, réside dans le manque de culture du risque dans notre pays : non seulement les citoyens ne sont pas armés pour faire face à un événement industriel grave, mais ils ne disposent pas des éléments nécessaires à une bonne compréhension de l'action des pouvoirs publics.
Dans le cas présent, la cacophonie de la parole publique entre plusieurs ministres qui, chacun, a joué sa partition, n'a fait qu'accroître l'incompréhension : comment un habitant de Rouen, à moins de disposer d'une culture scientifique poussée, pouvait-il comprendre ce que signifiait absence de toxicité aiguë ? Comment aurait-il pu faire la part des choses quand la ministre des solidarités et de la santé déclarait, quelques jours seulement après l'incendie, que Rouen était clairement une ville polluée, sans expliquer si cette pollution était habituelle, voire commune à toutes les grandes agglomérations, ou, au contraire, le résultat de la combustion de grandes quantités de produits chimiques ? Évoquait-elle la pollution contenue dans le panache de fumée, celle des zones situées sous le panache ou celle que laissaient supposer les odeurs persistantes ?
Faute d'expliquer d'emblée les choses simplement et précisément, le gouvernement a pris le risque non seulement de rendre la parole publique inaudible et peu compréhensible mais de laisser libre cours aux rumeurs les plus fantaisistes véhiculées sur les réseaux sociaux. Il lui était donc ensuite d'autant plus difficile de reconquérir une légitimité lorsqu'ayant pris la mesure de l'anxiété des populations il a exprimé sa volonté de mieux communiquer en créant un comité de transparence et de dialogue.
Tout ceci démontre qu'il ne suffit pas d'avoir mis en place des procédures de protection et de gestion de crise en amont mais que celles-ci doivent être scrupuleusement mises en oeuvre : la politique de prévention des accidents industriels reste fragile car elle ne peut s'appuyer sur des bases parfaitement solides. Il est invraisemblable que les industriels eux-mêmes et les services de l'État chargés de contrôler les installations potentiellement dangereuses n'aient pas une connaissance précise, en temps réel, des produits qu'ils utilisent et entreposent . Lorsque des écarts sont constatés, il est fondamental que ces services puissent s'assurer que les industriels se sont mis en conformité avec la réglementation.
Ainsi préparés, les services de l'État et tous les intervenants potentiels seront davantage armés pour faire face aux incidents qui ne manqueront pas de se produire. Cette préparation passe aussi par une meilleure association entre ces services et les communes où les installations dangereuses sont implantées. Leurs élus devraient devenir un interlocuteur naturel des services de l'État, dont ils attendent aide et soutien pour être, eux aussi, mieux armés en cas d'accident.
Enfin, ne plus subir les accidents et ne pas avoir à en réparer les dommages suppose que les citoyens soient pleinement conscients de ce risque et aient intégré les réflexes à adopter. Mettre en oeuvre une véritable culture du risque dans notre pays ne peut donc rester un voeu pieux. Celle-ci sera d'autant plus utile et performante que les pouvoirs publics auront défini en amont une véritable stratégie de communication.