COMPTE RENDU DES TRAVAUX EN COMMISSION

Première table ronde

A. AUDITION DES REPRÉSENTANTS DES SYNDICATS DES CHEFS D'ÉTABLISSEMENT (SNPDEN-UNSA, ID-FO, SGEN-CFDT)

Mercredi 5 décembre 2018

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Nous avons tous été choqués par la vidéo de l'agression d'une enseignante par un élève porteur d'une arme. À titre personnel, ce qui m'a le plus choqué est l'absence de réaction de cette enseignante, soit parce qu'elle n'a pas osé en faire référence à sa hiérarchie, soit parce qu'elle n'y a pas pensé. À mon sens, cela mérite d'être exploré. Nous avons tous été très attentifs à l'expression sur les réseaux sociaux du malaise de nombre d'enseignants, à l'aide du mot-dièse PasDeVague.

S'ils évoquent des situations de violence ou d'incivilités, ils dénoncent surtout une hiérarchie peu présente ou peu réactive.

Nous avons donc le plaisir d'accueillir M. Pascal Bolloré, secrétaire général adjoint du SNPDEN-UNSA et M. Cédric Carraro, secrétaire national ; M. Cyrille Roger, secrétaire académique d'Orléans-Tours et secrétaire national du syndicat ID-FO; et Mme Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du SGEN-CFDT.

Nous souhaitons connaître la réalité du terrain, de la violence et des incivilités dans les établissements dont vous représentez les personnels de direction.

M. Pascal Bolloré, secrétaire général adjoint du SNPDEN-UNSA

La situation que vous évoquez n'est pas récente et de nombreuses mesures ont été prises par les gouvernements successifs.

Notre profession s'est sentie particulièrement blessée par les accusations relayées par le mot-dièse PasDeVague. Cette indignation légitime devant toutes les formes de violence scolaire ne doit pas conduire à la mise en cause indécente de toute une profession.

Je souhaite rappeler une réalité statistique sur ce mouvement qui a animé les réseaux sociaux. Il y a eu environ 50 000 tweets, dont une partie seulement était des témoignages et non des réponses à des réponses. Au regard des 7 000 établissements scolaires et des près de 1,1 million de personnels qui y exercent, ces témoignages sont peu nombreux. Je tenais à replacer les choses dans leur contexte, même s'il ne s'agit nullement de nier la réalité d'une situation qui est celle d'une souffrance, parfois quotidienne, que peuvent ressentir un certain nombre d'enseignants face à leurs élèves. Parmi ces derniers, beaucoup ne sont pas les mieux préparés et se trouvent placés face à ces difficultés de gestion de classes. Cela peut se traduire par des incivilités ou des violences verbales et plus rarement, par des violences physiques, qui touchent moins de 0,8 % de la profession. Dans une enquête de victimisation datant de 2013, 99,2 % des enseignants déclaraient, fort heureusement, n'avoir jamais reçu de coups.

Je ne cherche pas à minorer les faits mais simplement je souhaite réinscrire les violences dont sont victimes les enseignants dans le contexte plus large des violences scolaires qui existent depuis des années. En 1982, Le Monde de l'éducation , magazine depuis disparu, citait la thèse de Jacques Niort, sociologue, datant de 1962 et intitulée « Chahut et désordre dans l'enseignement du second degré ». Il y montrait notamment que l'arrivée d'un public différent dans les établissements dans les années 1960 avait conduit à la disparition du chahut au profit du désordre. En 1986, le même magazine titrait sur la violence au quotidien, avec des images assez fortes, de situations ressemblant étrangement à celles que nous connaissons aujourd'hui. 1986 est également l'année du premier plan contre la violence à l'école que nous avons recensé, élaboré par Michèle Alliot-Marie, alors secrétaire d'État en charge de l'enseignement. D'autres plans ont suivi : Lang en 1992, Bayrou en 1995 puis 1996, plan Allègre-Royal en 1997, Allègre en 2000, Lang en 2000, Ferry la même année, Darcos en 2002, de Robien en 2006, Chatel en 2009 et 2010. Le plan présenté par le ministre est donc le treizième depuis 1986.

Vous le voyez, la problématique des violences scolaires n'est ni ponctuelle, ni nouvelle. Cela dit, les établissements sont-ils à feu et à sang ? Pour le SNPDEN-UNSA, et je pense que les autres organisations syndicales partagent ce point de vue, les établissements scolaires, ce ne sont ni la jungle, ni le Chicago des années 1930. Tout est mis en oeuvre afin qu'ils soient des lieux de calme. Bien évidemment, il faut différencier ce qui se passe dans l'établissement scolaire et dans les classes, voire dans certaines classes où des collègues sont parfois en difficulté. Je tiens également à rappeler qu'une extrême violence, comme on peut le voir ces derniers jours, peut s'exercer devant les établissements scolaires.

Le mot-dièse que vous évoquez fait état d'incivilités, de violences verbales subies par un certain nombre d'enseignants. Y-a-t-il un laxisme général qui serait dénoncé par ce dernier ? Évidemment non et aucun d'entre nous ne peut accepter cette affirmation. Nous avons l'habitude, à partir du moment où il existe des signalements par les enseignants relatifs à des problèmes de comportements d'élèves, d'engager des procédures disciplinaires. Ces dernières se sont renforcées au fil des années. Elles sont devenues plus contraignantes, car le droit est entré dans les établissements scolaires. Si les procédures se sont alourdies, il n'y a pas d'impunité. En revanche, il peut y avoir une méconnaissance par les enseignants des procédures à suivre, du droit, de la manière de porter plainte. En effet, on a pu lire sur les réseaux sociaux que le chef d'établissement devait porter plainte. Or, en droit pénal français, c'est à la victime de le faire. Elle doit être accompagnée, bien entendu, dans les situations les plus graves.

Je conclurai en évoquant ces enseignants qui arrivent dans un métier difficile. Ils n'ont sans doute pas reçu dans les écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ÉSPÉ) une formation suffisante à la gestion des classes. Enfin, une infime minorité d'entre eux vont rencontrer des difficultés quelle que soit la classe, quel que soit le lieu. Il y a donc une problématique de gestion des ressources humaines. Il convient aussi de réfléchir à la manière d'accompagner les collègues les plus en difficulté face à ce métier voire à les aider à envisager une reconversion.

M. Cyrille Roger, secrétaire académique d'Orléans-Tours et secrétaire national du syndicat ID-FO

ID-FO s'est réuni il y a une quinzaine de jours en bureau national afin de réfléchir à ces questions. Nous ne voulions pas régir à chaud, face à ce mot-dièse qui cible essentiellement les personnels de direction, qui les accuse d'incompétence, d'inefficacité et surtout de manque de réactivité. Si l'événement du lycée Édouard Branly est un révélateur symptomatique de ce qui peut se produire dans certaines classes, ce n'est pas une généralité. L'éducation nationale fonctionne bien. Nous produisons de la réussite. Je souhaite le mettre en exergue.

Il me semble que le professeur agressé est un professeur contractuel, recruté sur simple curriculum vitae par un inspecteur pédagogique et mis devant une classe sans aucune formation. Le premier écueil est donc celui de faire entrer dans les classes des personnels qui ne sont pas formés à la gestion de ces dernières, qui ne connaissent peut-être pas le monde de l'adolescence, et qui ne disposent pas des outils pour réagir en cas de difficultés.

Dans l'académie d'Orléans-Tours, nous avons travaillé avec la rectrice et avons obtenu que les professeurs contractuels puissent être accompagnés par des tuteurs qui exercent dans l'établissement depuis plusieurs années. Ils sont là pour livrer les ficelles du métier et les accompagner en cas de difficulté.

Au-delà de la formation des seuls professeurs contractuels se pose la question de la formation de tous les professeurs. À quel moment, dans la formation initiale des enseignants certifiés est-il inclus un module de gestion des élèves et de gestion des classes ?

Certes, les enseignants doivent être recrutés sur des critères de savoir. Il faut aussi qu'ils aient à un moment une formation sur la diversité des élèves que l'on accueille dans les établissements. Lorsque j'étais professeur, l'élève idéal était celui qui écoutait, était assidu, faisait ses devoirs et n'avait pas de problème à l'extérieur de l'école. Or, dans la réalité, nous accueillons des populations d'élèves très diverses, venant de milieux sociaux différents. Il faut que l'on puisse les accompagner. Mais, nous devons diversifier nos approches par rapport à ces élèves. Tous n'ont pas les mêmes codes. Je travaille dans un établissement en zone d'éducation prioritaire. La diversité du panel d'élèves que j'accueille est importante. Mais il n'y a rien d'irrémédiable, à condition de les accueillir avec leurs spécificités, de leur expliquer les codes de l'école et d'accompagner les familles. Sans les parents, nous ne pouvons pas agir efficacement.

La jeunesse que nous accueillons a évolué. Les jeunes n'ont pas les mêmes codes de respect, de valeur. L'école est certes là pour les leur inculquer, mais nous avons besoin de formation, non seulement pour les enseignants mais aussi pour les personnels de direction, les conseillers principaux d'éducation (CPE), les assistants de direction et tous les autres personnels. Nous avons demandé la création d'une commission sécurité qui nous donnerait des outils pour savoir adapter nos fonctionnements aux événements extérieurs et à la violence qui a changé de forme. Nous avons besoin d'être accompagnés dans nos fonctionnements par des spécialistes de la sécurité. Aussi nous avons demandé la création d'une commission dans les établissements sous l'égide du préfet.

Enfin, nous manquons de personnels dans les établissements scolaires. Il existe un besoin de médecins scolaires, dont le nombre a diminué de 20 % depuis 2008, de psychologues scolaires et d'assistants sociaux. La violence scolaire n'est pas que l'affaire du professeur dans la classe, c'est un travail de coopération, d'équipes pluridisciplinaires.

En outre, nous accueillons dans nos établissements des élèves en scolarisation ordinaire faute de places dans des classes adaptées, mais qui ont des besoins spécifiques. Ainsi, plusieurs élèves orientés en instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques (ITEP) sont affectés au final dans mon établissement. Mais nous ne disposons pas du personnel d'accompagnement pour leur permettre de suivre une scolarité dans de bonnes conditions. Cela créé aussi des contextes de tension.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Je souhaite souligner que nous ne prenons pas pour argent comptant tout ce qui se dit sur les réseaux sociaux. La commission a d'ailleurs lancé une étude un peu novatrice sur ce mot-dièse dont nous aurons les résultats la semaine prochaine.

Mme Catherine Nave-Bekhti, secrétaire générale du SGEN-CFDT

Le SGEN-CFDT partage un certain nombre d'analyses qu'ont présentées mes collègues. L'essentiel des violences et des incivilités est à caractère verbal. En outre, la plupart des violences, qu'elles soient verbales ou physiques, concernent d'abord les élèves avant les personnels. Comme l'ont indiqué mes collègues, même si ces événements sont extrêmement graves, il faut savoir raison garder. Au même titre que l'ensemble des personnels de l'éducation nationale, les personnels de direction sont aussi concernés par les violences. L'enseignement secondaire a été évoqué, mais c'est aussi le cas dans le premier degré. Les directeurs et directrices d'école sont en première ligne dès le matin, sur le pas de la porte de leurs établissements.

Nous savons tous que les violences et les incivilités ne sont pas réparties de manière égale sur l'ensemble du territoire, ni dans l'espace, ni dans le temps scolaire. Notre inquiétude est extrêmement forte à l'égard des violences qui se déroulent depuis quelques jours aux abords d'un certain nombre d'établissements scolaires. Elles se produisent selon un calendrier qui n'est malheureusement pas très étonnant : nous sommes dans la période des conseils de classe, où tout le monde est extrêmement fatigué. J'ai exercé longtemps en Seine-Saint-Denis, à une période où des blocages d'établissement se produisaient régulièrement, année après année, quelques semaines après les vacances de la Toussaint. Il y a un risque que la situation actuelle se poursuive jusqu'aux vacances.

Ces situations doivent nous interroger sur la façon dont on doit travailler sur le climat scolaire. L'éducation nationale et l'ensemble des personnels peuvent agir. Mais il est important de rappeler que nous ne pouvons pas agir sur certaines choses, comme sur les bandes qui, il y a quelques années, circulaient d'établissement en établissement en y réalisant des intrusions violentes. Les situations sont multiformes et parfois très difficiles à aborder par les personnels de direction comme par l'ensemble de la communauté éducative.

Je me garderai de porter un jugement sur le comportement de la collègue agressée au lycée Branly de Créteil. Lorsqu'on ne sait pas si l'arme est réelle ou factice, ni ce qui peut se produire, le calme et le dialogue peuvent permettre de s'en sortir. Je me rappelle la manière dont un agent d'accueil avait réagi avec un grand sang-froid face à un terroriste qui s'était introduit dans un établissement scolaire. Le calme a évité que la situation ne dégénère.

Pour avoir été élue du personnel dans l'académie de Créteil - certes pas du personnel de direction puisque j'y suis enseignante - et pour y avoir travaillé sur la question des contractuels, dont 4 000 nouveaux sont recrutés chaque année, je peux vous dire que ces derniers sont formés, accompagnés et évalués de manière très régulière.

Les établissements qui connaissent le turn-over le plus rapide sont également ceux où les personnels sont les moins formés, soit parce qu'ils sont en début de carrière, soit parce qu'ils n'ont pas encore eu suffisamment de formation continue, soit encore par ce que la formation des contractuels est par définition moins longue que celle des personnels titulaires. Or, pour améliorer le climat scolaire, pour prévenir, repérer les prémices d'actes de violence de la part des élèves, il faut des équipes pluriprofessionnelles complètes et qui se connaissent. Le temps de prérentrée est extrêmement restreint, les emplois du temps sont pleins, et lorsque l'on évoque l'idée d'augmenter le temps de travail des enseignants par voie d'heures supplémentaires, cela réduit d'autant leur temps disponible pour se concerter.

Le mouvement qui s'est déclenché sur les réseaux sociaux est à notre sens une critique très forte et injustifiée de l'action des personnels de direction. En effet, ils accompagnent les collègues, réagissent aux interpellations en cas d'incident, organisent des réflexions dans les établissements sur la manière de traiter la violence ou de faire face à la tension qui peut exister chez certains parents d'élèves. À notre sens, les critiques à l'encontre des CPE ou des assistantes sociales méconnaissent les enjeux du secret professionnel : on reproche à certains d'entre eux de ne pas divulguer les informations en leur possession, notamment celles concernant les poly-exclus. Or, si d'un côté nous avons besoin d'accompagner des élèves dans leurs parcours, d'un autre côté, le pari de l'éducabilité de toutes et tous, quel que soit leur passé scolaire, suppose l'existence d'un secret professionnel réglementaire qui s'impose à nos collègues et qui fasse que toutes les informations ne soient pas connues par chacun immédiatement. Il faut, en revanche, pouvoir travailler ensemble.

Le rapprochement entre l'éducation nationale, les services de police et la justice a été évoqué. Les chefs d'établissement, les services des rectorats et les forces de l'ordre et la justice entretiennent des liens extrêmement structurés, qui se sont renforcés au fur et à mesure des plans contre la violence scolaire, mais aussi avec la mise en place du plan Vigipirate. Lors des événements que j'évoquais précédemment de bandes faisant des intrusions violentes dans les établissements, il était extrêmement fréquent que ce soient les commissaires de police qui informent les établissements de l'arrivée de ces dernières, en leur demandant de retenir les élèves à l'intérieur des établissements jusqu'à l'arrivée des forces de l'ordre.

Parmi les propositions du ministre, plusieurs nous semblent intéressantes. Je pense notamment à l'activation plus rapide de la protection fonctionnelle. Toutefois, cette dernière fait face à un écueil : le ministère supprime des postes administratifs. Dès lors, comment faire pour parvenir à suivre l'ensemble des signalements et activer cette protection ? Par ailleurs, il nous semble intéressant de systématiser un bilan annuel des incidents et violences, débattu en conseil d'administration à la fois dans le second degré, mais aussi dans les conseils d'école. Cela permettrait à l'ensemble de la communauté éducative de s'interroger sur les faits, avec des éléments objectifs de débat : en effet, ce bilan présenterait à la fois des éléments quantitatifs et qualitatifs, afin de construire ensemble des éléments de prévention et d'observation du phénomène de violences et d'incivilités.

Cela dit, ces outils auraient pu être mis en place plus tôt, notamment en matière de suivi des incidents, si on s'était donné les moyens dans l'ensemble de la fonction publique, et plus particulièrement dans l'éducation nationale, d'activer réellement les outils des comités d'hygiène, de sécurité, et des conditions de travail. Il existe dans tous les établissements des registres d'incidents et de dangers graves et imminents. Mais, ces derniers sont trop peu connus des personnels et, à notre sens, sous-utilisés.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Je donne immédiatement la parole à notre collègue Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis pour les crédits de l'enseignement scolaire. Puis je la donnerai à notre collègue Max Brisson, auteur avec Françoise Laborde d'un rapport sur le métier d'enseignant au nom de notre commission.

M. Jacques Grosperrin

Vous avez évoqué la mise en place d'un treizième plan contre la violence scolaire : cela signifie que ces plans n'apportent pas les résultats souhaités sur le terrain. Peut-être la violence a-t-elle aussi changé de forme, avec des phénomènes nouveaux, difficiles à appréhender.

Vous avez indiqué qu'il existe un postulat, que je partage, selon lequel l'école doit être un lieu préservé. La violence vient parfois de son environnement : une étude sociologique sur le quartier Ariane de Marseille a montré que lorsqu'il existait des difficultés communautaires au sein d'un quartier, elles finissaient par se retrouver au sein de l'école.

Par ailleurs, je constate l'existence d'un silence assourdissant sur les violences scolaires subies par les enseignants, qui jusqu'alors ne voulaient pas donner l'impression de manquer d'autorité. Vous avez parlé d'épiphénomène : je crois plutôt qu'il s'agit d'une lame de fond qui revient avec des conséquences plus importantes. Vous êtes dans votre rôle et je comprends votre volonté de ne pas alarmer. Je ne vais pas vous apprendre la façon dont les choses se passent. Un trop grand nombre de conseils de discipline donne une mauvaise réputation à l'établissement et l'impression que le chef d'établissement ne gère pas bien ce dernier.

Je souhaite faire également un parallèle avec le travail que nous avons réalisé Françoise Laborde et moi dans le cadre d'une commission d'enquête sur la perte des valeurs républicaines à l'école. Lors de la minute de silence organisée après les attentats de janvier 2015, on a indiqué qu'il y avait eu 200 signalements d'incidents. Nous avons travaillé pendant cinq mois sur ces questions, et nous nous sommes rendu compte que ces chiffres étaient très en deçà de la réalité.

J'ai lu, sur les réseaux sociaux, le précédent rapport du secrétaire général du SNPDEN dénonçant une « culture bisounours ». En France, il y a eu pendant longtemps deux conceptions extrêmes de l'éducation. La première vision est celle de Rousseau : l'élève est naturellement bon et c'est la société qui le corrompt. La seconde est celle des Jésuites : l'éducation est là pour redresser l'enfant. Cette « culture bisounours » procéderait de la première : la percevez-vous parmi les personnels de l'éducation nationale ?

M. Pascal Bolloré

En ce qui concerne la violence scolaire, permettez-moi d'utiliser l'image des trois cercles pour expliciter mes propos. Une première violence est celle ayant lieu à l'extérieur de l'établissement. Ma collègue évoquait certains territoires bien ciblés où des affrontements entre bandes ont lieu aux abords des établissements scolaires. C'est une réalité. Hier encore, des établissements ont été pris d'assaut. Or, pendant de nombreuses années - je dirai depuis la mort de Malik Oussékine en 1986 - les personnels de direction se trouvaient bien seuls face à des blocages lycéens. La police a en effet pour instruction de ne pas intervenir. L'un de mes collègues indiquait que les élèves étaient les premières victimes de ces violences. Mais les personnels de direction sont également touchés. Il y a un peu plus d'un an, une collègue à Paris a été grièvement blessée dans le cadre de ses fonctions.

Le deuxième cercle est celui de l'établissement lui-même. Nous sommes tous d'accord sur ce point, et je ne trahirais pas la pensée de l'ancien secrétaire général du SNPDEN-UNSA dont je partage l'analyse, pour constater un apaisement de la situation, grâce aux mesures mises en oeuvre depuis plusieurs décennies. On le voit dans des études, pas forcément celles réalisées par des sociologues. Le climat scolaire s'améliore.

Enfin, le troisième cercle est celui de la classe, ce qui s'y passe une fois la porte fermée. Savoir gérer un groupe de 25 à 35 adolescents n'est pas quelque chose de spontané, notamment si l'enseignant n'a pas reçu la formation nécessaire en amont. C'est un métier difficile qui ne convient pas à tout le monde. Il faut accompagner les collègues, ainsi que ceux qui se sont trompés dans leur orientation professionnelle.

Vous faisiez allusion aux signalements d'incidents et à leur traduction par les conseils de discipline. Il est évident qu'à partir du moment où l'un de vos indicateurs de gestion est le nombre de conseils de discipline ayant eu lieu dans l'académie, lors de la réunion de rentrée, le chef d'établissement sera interrogé sur les raisons de l'augmentation du nombre de ces conseils dans son établissement, le non-recours au sursis ou le trop grand nombre d'exclusions définitives prononcées. Évidemment, cela a des conséquences.

Vous avez évoqué les incidents qui ont été ou non recensés en 2015 lors de la minute de silence. L'une des grandes difficultés de notre administration depuis de nombreuses années est la définition des indicateurs à retenir. Un incident et la gravité de ce dernier ne seront pas forcément perçus de la même façon sur l'ensemble des territoires. Il y a quelques années existait un organe national de signalement informatique recueillant l'ensemble des signalements effectués. Ces statistiques ont été mises sur la place publique, et très rapidement un hebdomadaire a titré sur le classement des établissements les plus violents du pays. Un collège de l'académie de Rouen a ainsi été désigné comme pire établissement de tout le pays. Or, on est dans l'appréciation humaine de l'incident, et la perception de ce dernier n'est pas la même dans un territoire davantage confronté à des violences au quotidien que dans un territoire où il ne se passe pas grand-chose et où tout gros mot prononcé par un élève devant un enseignant sera signalé.

En conclusion, je confirme l'idée selon laquelle nous ne sommes pas dans une « culture bisounours ». Mais un certain nombre d'éléments rende difficile la compréhension des statistiques qui peuvent être publiées.

M. Jacques Grosperrin

Les témoignages qui ont été diffusés via le mot-dièse PasDeVague sont des cris de colère. Vous parliez tout à l'heure de l'incivilité. Je pense que le problème est plus grave. Certains travaux ont mis en lumière la solitude des enseignants vis-à-vis des difficultés qu'ils rencontrent. Comment renforcer la cohésion des équipes, afin de faire face à ce constat ? Cela passe-t-il pas plus d'autonomie avec un choix du personnel effectué par le chef d'établissement ? Je pense que le positionnement des enseignants dans le pilotage de l'établissement devrait être différent.

M. Cyrille Roger

Je souhaite revenir sur votre première question. La nation demande beaucoup à son école. Certes, les enquêtes PISA (programme international pour le suivi des acquis des élèves) nous classent en queue de peloton. Mais quelle doit être la mission essentielle de l'école républicaine ? Aujourd'hui, on doit apprendre à faire du vélo dans l'enseignement du premier degré. Prochainement, nous participerons au service national universel. À quel moment apprend-on aux élèves à lire, écrire ou compter ? Aujourd'hui, en sixième, certains élèves ne savent ni lire, ni écrire. C'est une réalité de terrain qui m'interpelle et m'inquiète. Il vous appartient - en tant que représentants de la nation - de nous dire ce qu'ils doivent être, sachant que l'école ne peut pas tout faire, ni tout absorber.

Vous posiez en filigrane la question de la transmission des valeurs de notre nation et de la République. L'école fait beaucoup de choses. Je le disais en introduction, elle transmet les codes de la société à des enfants qui ne les ont pas dans leurs milieux familiaux. Pour cela, nous avons besoin de temps. Or, le temps de fonctionnement de l'établissement n'est pas extensible à souhait. Nous vous avions rencontré l'an dernier pour évoquer ces questions. Les personnels de direction doivent faire face à des demandes institutionnelles croissantes, la mise en place de réformes à pas accélérés. Je ne reviendrai pas sur la réforme du collège, où tout devait être réformé en une seule année scolaire. C'est une ineptie. Or, on refait la même chose avec le lycée.

Enfin, vous évoquiez les indicateurs de performances des établissements, parmi lesquels figure le nombre de conseils de discipline. Je rejoins mon collègue du SNPDEN. Lors de la réunion de rentrée, on nous présente les chiffres départementaux, par bassin de formation, et on nous appelle franchement à réduire le nombre de conseils de discipline et des exclusions.

L'école n'est pas un no man's land . On jugule la violence scolaire avec les moyens qui nous sont donnés. Je souhaite également souligner que nous ne faisons pas des conseils de discipline par gaîté de coeur. Toute exclusion définitive d'un établissement est un constat d'échec. Cela signifie que l'école n'a pas réussi à travailler avec l'élève et sa famille.

En ce qui concerne les moyens humains, nous sommes bien conscients du contexte actuel de réduction des personnels. Je reviendrai simplement sur la diminution du nombre de médecins scolaires. Aujourd'hui, lorsque nous sommes confrontés à des difficultés socio-médicales, c'est à nous de les gérer, alors que nous n'avons pas la formation pour le faire. Les médecins scolaires ne se déplacent plus dans les établissements. Il n'y a plus de suivi des cohortes en CM2. Je me focalise sur cette profession, car le médecin scolaire était également utilisé pour mettre en place des concertations avec les familles. Il jouait un rôle de conseiller technique.

M. Max Brisson

Le Sénat n'est jamais dans la tyrannie de l'instant. Nous ne visons à travers cette table ronde et notre travail à la suite du mot-dièse PasDeVague, ni les chefs d'établissement, ni les professeurs. Au contraire, je souhaite leur exprimer toute ma solidarité. J'ai travaillé dans un établissement à Clichy où il y a eu des agressions physiques. J'ai vu ce que représente un collège, un lycée dans un quartier où il n'est plus seulement le dernier service public, mais le dernier service tout court, en l'absence de tout commerce.

Au début de ce débat, j'ai eu quelques inquiétudes, car vous défendiez fortement l'institution, ce qui est normal en tant que syndicat représentant la profession. Après avoir voulu relativiser les violences scolaires, en les replaçant dans le temps et l'espace, vous avez quand même témoigné de l'importance du phénomène et des réalités de terrain. Aujourd'hui, ce qui pose problème dans notre pays est le non-dit qui génère ensuite d'autres formes de violence.

Dans le rapport que nous avons publié sur le métier d'enseignant, nous avons rendu compte de l'inadéquation de la formation initiale et de la très grande faiblesse de la formation continue par rapport aux besoins des professeurs. Il faut que l'éducation nationale reprenne la main.

Par ailleurs, vous avez eu raison de l'évoquer, le ministère de l'éducation nationale est celui qui est le moins administré.

En outre, en matière de gestion des ressources humaines, il faut regarder la réalité en face. On nomme les professeurs les moins expérimentés dans les territoires les plus difficiles. Il faut mettre en place une gestion des compétences reconnaissant ces moments où le personnel a exercé dans des territoires difficiles. Cela nous amène également à la question de l'approche différenciée des territoires. Il est donc nécessaire de mettre les profils des professeurs et des postes en adéquation avec les réalités du terrain.

Enfin, vous avez raison. Il faut que la République dise ce qu'elle attend de l'école. Jean Zay disait que pour protéger l'école, il fallait laisser les querelles des hommes aux portes de cette dernière. Or, on a voulu que l'école prenne en main toutes les difficultés de la société. Je crois que le défi de demain est la protection de l'école par rapport à notre société.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

M. Brisson a raison de dire que nous ne sommes pas là pour stigmatiser les uns ou les autres ni pour porter des jugements. Comme nous aimons notre école, nous lui souhaitons la pleine réussite pour les élèves comme pour les personnels.

Mme Maryvonne Blondin

Tout comme mon collègue, j'ai eu peur au début de vos interventions que vous restiez focalisés sur une défense de l'institution. Je crois qu'il faut être réaliste sur les problèmes existants au sein de l'école.

Vous l'avez dit, l'élève idéal n'existe pas. Les familles ont changé, la société a évolué. Certains parents ne peuvent plus suivre leurs enfants. Nous avons besoin d'un personnel médical et paramédical - et j'y associe volontiers les infirmiers qui ont un rôle d'écoute très important. Aujourd'hui, ces derniers font remonter leurs observations dans un logiciel intitulé Sagesse. Or, si elles arrivent jusqu'au rectorat, on ne sait pas l'usage qui en est fait ensuite, alors que ce sont des éléments statistiques importants.

Nous avons réussi, ces dernières années, à renforcer la présence des psychologues au sein de l'éducation nationale, où ils jouent un rôle important.

Mme Dominique Vérien

J'ai entendu vos propos sur la nécessité de travailler avec les familles. Or, aujourd'hui, sont à l'école des enfants d'hommes et de femmes qui étaient eux-mêmes en échec scolaire, et qui donc franchissent avec difficulté, ou avec une certaine colère, la porte de l'école. Comment renouer le dialogue avec ces familles ? Pour que vous puissiez être respectés, il faut qu'à l'intérieur des familles, ce respect soit inculqué.

Je voulais également témoigner au sujet de la minute de silence qui a suivi les attentats de janvier 2015. Les enfants de l'école primaire située juste à côté de la mairie étaient venus dans cette dernière pour l'observer. Toutefois, lorsque nous avons voulu faire chanter la Marseillaise, plusieurs professeurs ont refusé. Le respect commence par l'union nationale.

Mme Laure Darcos

Vous avez évoqué la succession des plans de lutte contre la violence. Je pense que la violence d'il y a dix ans n'est plus la même que celle que nous subissons aujourd'hui. Vous avez parlé de précocité : on constate l'existence d'une violence scolaire chez des enfants de plus en plus jeunes.

Comment peut-on faire pour mieux intégrer les parents ? Vous avez évoqué la violence de parents vis-à-vis de professeurs. Les enfants ont sous les yeux ces mauvais exemples et l'absence de respect.

Vous savez que le Sénat a tenu à interdire les portables dans les lycées. C'est une possibilité désormais offerte aux chefs d'établissement. Ne croyez-vous pas que cela soit un moyen d'éviter la « violence spectacle » ? Au fond, le jeune qui a braqué sa professeure avec une arme factice l'a notamment fait pour pouvoir se faire filmer, montrer la vidéo à ses amis et la mettre sur les réseaux sociaux.

Renforcer l'autonomie des chefs d'établissement vous permettrait-il de recruter des professeurs plus aguerris ? Je me demande si l'autonomie des chefs d'établissement qui est évoqué depuis plusieurs années ne pourrait pas être une solution pour vous donner la possibilité en fonction des comportements, de la montée en puissance de la violence de mieux choisir l'encadrement des professeurs.

M. Stéphane Piednoir

Je partage l'avis de mes collègues selon lequel la violence scolaire a évolué. Aujourd'hui, la violence se fait avec des armes certes factices, mais ce détail n'était pas connu au moment de l'agression. Je souhaite souligner le calme de l'enseignante contractuelle. Elle a géré la situation avec beaucoup de professionnalisme. C'est la preuve que les recrutements par contrat peuvent être de qualité.

Je regrette que l'on se focalise sur les chiffres des conseils de discipline pour les établissements. Il y a sans doute un manque de gradation.

Comme un certain nombre de chefs d'établissement, j'ai eu à connaître du durcissement des modalités d'exclusion d'un élève d'une classe. À un moment donné, il faut faire confiance aux professeurs. S'ils estiment nécessaire d'exclure un élève d'une classe en raison d'un comportement jugé inadéquat, ils doivent pouvoir le faire, sans avoir à remplir un formulaire en quatre exemplaires ! En raison de ces contraintes procédurales, j'avais des collègues qui refusaient de procéder à des exclusions. Ces formalités sont contre-productives et mettent en doute le professionnalisme du professeur.

Vous l'avez indiqué, le temps de concertation entre les chefs d'établissement et les professeurs est de plus en plus restreint. En outre, on constate que petit à petit, on accepte des comportements pourtant jugés inadmissibles lors des discussions de prérentrée. C'est le rôle des chefs d'établissement de tenir bon.

En revanche, je ne partage pas votre vision de l'autorité. L'autorité ne se partage pas. Il est insupportable de voir aujourd'hui un refus des sanctions, y compris à l'école primaire, parce que ce ne serait plus dans l'air du temps de faire écrire des lignes. Les enseignants et les personnels de direction sont des professionnels du métier, pas les parents. Je pense qu'il faut arrêter de donner les pleins pouvoirs aux parents.

Mme Marie-Pierre Monier

Vous avez dressé un état des lieux complet et une bonne description de ce qui se passe dans les écoles. J'ai enseigné pendant 35 ans. C'est un métier à la fois passionnant et difficile qui évolue, en raison de l'humain en face de nous mais aussi de la société. Il est essentiel de s'adapter. Or, pendant longtemps la formation a été le parent pauvre, car on a considéré que les connaissances suffisaient et qu'il s'agissait seulement de les transmettre. Aujourd'hui, il faut à la fois réussir à vulgariser les savoirs, mais aussi à trouver les conditions pour que la classe écoute, fasse preuve de respect. Pour cela, une formation des enseignants est nécessaire. À mon avis, c'est un module de formation tout aussi nécessaire que le niveau de connaissances. Lorsque l'on fait classe, nous ne sommes pas en face d'ordinateurs, mais d'enfants qui vont réagir. Il faut savoir s'adapter à ces réactions.

La question de l'encadrement est également primordiale. Le nombre de surveillants par exemple a diminué. Lorsque j'ai commencé à enseigner dans les années 1980, il y avait un médecin scolaire dans l'établissement. Il a ensuite été retiré pour être remplacé par un personnel d'orientation, puis par un psychologue. À mon sens, il y a besoin d'un accompagnement psychologique dans les établissements, de personnes référentes que les collègues puissent aller voir. En effet, nous avons parlé des conseils de discipline. Mais, il est déjà trop tard lorsque l'on arrive à ce stade. Cela signifie que l'on n'a pas su désamorcer en amont les conflits et que la seule solution restante est l'exclusion.

Dans mon établissement, nous avions mis en place une médiation et une gestion des conflits avec des professeurs et avions formé des élèves médiateurs. Il ne s'agissait pas pour eux de régler les problèmes de tous les élèves, mais de désamorcer des tracas du quotidien avant qu'ils ne se transforment en pic de violence.

Mme Sonia de la Provôté

J'ai été adjointe aux affaires scolaires dans une grande ville. L'un des premiers sujets que j'ai eu à régler a été la gestion d'une situation de conflit sur le temps du midi dans une école d'un quartier prioritaire, avec un élève de CM2. Les situations compliquées de violence que nous connaissons aujourd'hui ne sont pas forcément nouvelles. Nous avons réussi à gérer ce dossier en y impliquant toute l'école, les élèves, les personnels de la ville, l'inspecteur d'académie. Nous en avions conclu qu'il fallait un module de formation à la gestion de crises et de conflits pour les enseignants dans les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM). Il nous semblait indispensable de prendre une semaine pour ces formations : une semaine est suffisamment longue pour pouvoir voir les différents cas, même si ensuite chaque conflit est unique. Nous avons essayé, avec l'éducation nationale de diffuser ces pratiques dans toutes les écoles de la ville. La somme des expériences positives menées depuis de nombreuses années sur les différents territoires doit être prise en compte.

En outre, vous nous interrogez sur ce que nous attendons de l'école. Ce que j'en attends, c'est qu'elle donne ses chances à chacun, en fonction de ce qu'il est, de son parcours. On attend de l'école et des enseignants une attention particulière pour détecter les failles, pour donner un coup de pouce lorsque les élèves en ont besoin. Cela signifie que l'on attend beaucoup de l'école, car il y a des carences qui apparaissent dans le parcours des enfants. Cela nécessite des moyens. Il est clair qu'il faut renforcer l'autorité de l'école. C'est d'ailleurs un des sujets qui nous a poussés à soutenir le texte visant à interdire le téléphone portable à l'école.

Mme Colette Mélot

Le tableau que vous avez dressé est complet. Je suis élue de Seine-et-Marne et le département relève de l'académie de Créteil. J'ai été alertée sur un fait se déroulant dans mon département où un professeur d'éducation sportive a été agressé sur un stade près du lycée. Il s'agissait d'un jeune professeur, comme c'est souvent le cas dans cette académie et il est depuis arrêté. Il y a urgence à agir. Dans une période où la violence est très présente dans notre société, on ne peut pas admettre qu'elle commence à l'école, que les jeunes y apprennent la violence. Notre rôle de parlementaires est de contrôler ce qui se passe, d'alerter le ministre.

M. Maurice Antiste

J'ai enseigné pendant 42 ans. J'admire la passion avec laquelle vous vous préoccupez de ces questions. Mais j'ai l'impression que l'on ne fait que mettre un pansement sur une jambe de bois. Pour beaucoup de jeunes, l'école représente une obligation, alors qu'autrefois il s'agissait du temple du savoir, le passage obligé pour pouvoir réussir dans la vie. Aujourd'hui, l'école crée de l'ennui. Nous avons laissé se creuser un fossé grandissant entre les cours et la vie. Je prendrai comme exemple les sciences de la vie et de la terre (SVT) où l'enfant est confronté à des cours purement théoriques, alors que chez lui il a la possibilité d'aborder ces questions de manière beaucoup plus ludique.

Que fait-on des élèves en difficulté ? Aujourd'hui, ces derniers passent toute leur année scolaire enfermés entre quatre murs. L'éducation nationale n'imagine pas la possibilité de l'en faire sortir. Il faut que la vie rentre dans l'école. Dans le cas contraire, l'école, au lieu de parler d'avenir, sera figé dans le passé par rapport à ce que l'enfant vit à la maison. L'une des raisons de la violence est l'échec scolaire. Or ce dernier peut s'explique chez certains élèves par le décalage profond existant entre l'école et la vie.

Mme Catherine Nave-Bekthi

Vous avez abordé un grand nombre de sujets. Je ne pense pas qu'une majorité d'enseignants ou de personnels de l'éducation nationale ait cette culture « bisounours » que vous évoquiez. Je sais que mon organisation est régulièrement accusée de porter cette vision. Mais, nous l'avons dit très clairement à de nombreuses reprises : la sanction est un acte éducatif. Si elle est construite correctement, qu'elle ne vise pas l'exclusion définitive d'entrée de jeu, elle est là pour expliquer des choses aux jeunes. Elle est nécessaire, et en tant qu'éducateurs, cette possibilité de pouvoir exclure un élève doit nous être offerte. Nous disposons également de sanctions ajustées, adaptées, graduées. Il n'y a donc pas d'automaticité de la sanction.

Nous nous étions exprimés très clairement sur les valeurs de la République que l'école doit transmettre à la suite des attentats. Nous avions dit que l'école ne devait pas se contenter d'enseigner des valeurs, mais que ces dernières devaient être incarnées et vécues dans tous les établissements. Il y a un enjeu de structuration de la vie collégienne et lycéenne. Or, nous sommes confrontés à une forme de rigidité de l'organisation du temps scolaire. Cela ne permet pas non plus aux élèves d'expérimenter suffisamment la démocratie. Je ne veux pas dire que les élèves doivent être placés sur un plan d'égalité avec les éducateurs. En revanche, nous manquons de temps de respiration dans beaucoup d'établissements, même s'il y a eu des développements intéressants ces dernières années, avec de nombreux projets portés. Des élèves ont ainsi géré de manière collective et accompagné par des adultes des projets culturels, artistiques, sportifs, d'engagement citoyen.

Nous devons avoir conscience que les phénomènes auxquels nous sommes confrontés sont complexes. Plusieurs domaines scientifiques peuvent nous aider à les penser. Les sciences sociales peuvent nous apporter des éléments intéressants.

En matière de formation, il ne suffit pas que l'employeur fasse de la formation pour qu'elle soit efficace. À mon sens, il faut mieux recourir aux compétences de l'université. De nombreux laboratoires universitaires peuvent nous aider à structurer des formations, notamment sur la gestion des émotions, la connaissance de la psychologie de l'enfant et de l'adolescent. Nous avons donc tout intérêt à renforcer les liens avec ces derniers. Il faut fédérer autour des ESPE les meilleures compétences afin de permettre aux futurs personnels enseignants d'avoir la meilleure formation scientifique et professionnelle. Le master universitaire a son rôle à jouer : je souhaite le dire clairement car il y a parfois une velléité politique de sortir la formation des enseignants du cadre universitaire. Il faut que ces masters soient de véritables masters professionnalisants.

Une autre difficulté réside dans le fait que les universités disposent en réalité de peu de temps pour faire de la formation professionnelle des personnels d'enseignement et d'éducation. Nous avons du mal à avoir confiance dans notre université, dans sa capacité à valider l'acquisition de compétences académiques. Le rôle du concours ne laisse que peu de temps à une formation réellement professionnelle.

Les faits de violence et d'incivilité ne se produisent pas que dans la classe. Il ne s'agit donc pas de se limiter à la gestion de classe, mais plutôt à la gestion de la tension dans l'ensemble des espaces scolaires. Le budget de la formation continue a été divisé par deux, voire par trois depuis le début des années 2000. Les professeurs des écoles sont très peu remplacés et ne peuvent donc pas partir en formation continue. Aussi, si on souhaite avoir un système éducatif vraiment efficace, il faut permettre à ces personnels de pouvoir se former non seulement au moment de la formation initiale, mais aussi en formation continue. Il faut organiser le service public en conséquence et considérer que cette formation, s'adapter à un métier, c'est du travail. Les formations d'initiatives locales ne se déploient pas toujours dans la temporalité souhaitée par les établissements. Or, c'est une modalité de formation intéressante, car elle permet de former tous les personnels de l'établissement, quels qu'ils soient, et donc de partager une culture éducative commune.

Vous avez évoqué l'idée de mettre en place des postes à profil. À certaines périodes de l'histoire de l'éducation prioritaire, on avait créé des postes d'enseignants référents. Pour avoir siégé plus de dix ans en commission paritaire d'affectation dans l'académie de Créteil, je peux témoigner que ces postes restaient vacants, car il y avait une pénurie de candidats. À défaut de titulaires, on y affectait des enseignants contractuels.

Je rappelle qu'un très grand nombre de postes de psychologues de l'éducation nationale sont vacants. Ce corps est en outre fragilisé par la réforme des centres d'information et d'orientation (CIO) qui s'annonce.

En ce qui concerne la place des parents à l'école, j'ai été il y a deux jours en Alsace où des formations ont été organisées en partenariat avec ATD Quart-monde, qui développe un travail intéressant avec le monde de l'éducation, afin de permettre une meilleure compréhension entre les parents issus notamment de la grande pauvreté et l'école. En effet, il y a parfois des quiproquos extrêmement lourds qui peuvent déboucher sur de la violence.

Nous avions un avis plus critique sur la proposition de loi visant à interdire les portables à l'école. Nous étions plutôt pour un cadre régissant une utilisation pédagogique, car la formation des élèves à l'éducation aux médias et à l'information est extrêmement importante.

Vous disiez qu'il faut empêcher que la violence entre à l'école. Or, c'est difficile de le faire, car un élève qui subit des violences sur les chemins de l'école n'oublie pas ces dernières dès la porte de l'école passée. Les violences, le harcèlement qu'il a subis peuvent le conduire à être violent ou irrespectueux à l'école.

En ce qui concerne la lutte contre l'ennui à l'école, je crois que les programmes récents donnent toute latitude aux enseignants pour faire un enseignement incarnée, permettant de faire des allers-retours entre les expériences pratiques et la théorisation. Notre mission est aussi de conceptualiser ce qu'ils observent et leur permettre d'accéder à un raisonnement théorique.

M. Pascal Bolloré

Je tiens à vous rassurer. Notre rôle n'est pas de défendre l'institution. Mais nous aimons notre métier de personnels de direction, ce que nous faisons avec les élèves et les professeurs. C'est la raison pour laquelle nous le défendons. Nous souhaitons également dire que ce qui a été mis sous le feu des projecteurs à la suite du mot-dièse PasDeVague n'est pas le quotidien vécu par les établissements d'enseignement.

La violence est-elle différente ? Dans les articles du Monde de l'éducation de 1986, on faisait déjà référence à la présence d'armes. Ce qui a changé certainement les choses est la rapidité de la communication. Auparavant, il fallait sans doute attendre la publication mensuelle de ce magazine pour en prendre conscience. Aujourd'hui, on est dans l'instantané. La première idée de ces jeunes au lycée Branly était de faire une vidéo pour la publier sur Instagram ou YouTube.

Des enquêtes montrent que depuis 2010 le taux de ressenti des collégiens sur le bien-être au collège est passé de 90 à 94 %. 88 % des élèves de sixième disent avoir de bonnes relations avec leurs enseignants. Voilà des éléments positifs. Mais on peut également citer cette étude de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), selon laquelle les professeurs français sont ceux qui consacrent le plus de temps à rétablir le calme dans la classe : 16 % alors que la moyenne de l'OCDE est à 13 %.

Nous avons interrogé les élèves du lycée qui avait fait l'actualité pour avoir nommé comme proviseur adjoint un collègue ayant été chef d'escadron dans une précédente vie professionnelle, sur leur sentiment d'insécurité. Pour ces élèves, le lycée est un lieu d'un certain calme, d'une certaine sérénité, le danger se situant autour de l'établissement. La principale peur pour ces élèves et le chef d'établissement ne vient pas de l'établissement, mais de l'intrusion extérieure. C'est ce qui s'est passé en décembre 2016 où notre collègue proviseur du lycée de l'Enna à Saint-Denis a été sauvagement agressé par un élève poly-exclu qu'on lui demandait d'inscrire.

Il est vrai que l'étude PISA montre que les élèves français sont ceux qui s'ennuient le plus en cours, et paradoxalement, ce sont aussi ceux qui sont les plus stressés. Ces problématiques dépassent largement le cadre de ce mot-dièse tout comme le débat sur les attentes que l'on doit avoir de l'école de la République.

Les postes à profil existent déjà dans les réseaux d'éducation prioritaire ; cela pose la question du recrutement d'enseignants volontaires, de la manière de les encourager à aller vers ces postes.

M. Cyrille Roger

Je ne mettais pas en opposition tout à l'heure la famille et l'école. Au contraire, nous avons besoin des parents. L'école ne peut être perçue que comme l'institution qui sanctionne. Elle a un rôle de transmission des savoirs, d'éducation. Dans mon établissement, si les parents ne sont pas présents à des réunions, alors ces dernières n'ont pas lieu. Il en est de même pour les commissions éducatives. La contestation des sanctions ne peut pas se produire lorsque l'on fait de la co-construction avec les parents. La sanction doit être élaborée avec l'assentiment des parents.

Vous parliez de l'autonomie des établissements. Aujourd'hui, un élève de collège ou de lycée voit se succéder, au cours de sa journée, des cours de français, puis de mathématiques, de sciences, etc. Quelle perception de l'enseignement en retire-t-il lorsqu'il passe d'une matière à l'autre, sans aucun lien entre elles ? En sixième a été introduit l'enseignement intégré des sciences et des technologies. Quel bonheur de pouvoir donner aux élèves un projet collectif qu'ils vont porter, sur lequel ils vont expérimenter leurs savoirs vérifiés par l'enseignant les guidant, leur indiquant comment travailler pour que cela fonctionne scientifiquement ! En effet, la proposition vient de l'élève. De mon point de vue, la structuration de l'enseignement telle qu'elle existe au collège n'est plus viable, car il manque un sens à l'enseignement transmis à l'élève. Il y a une révolution à mener, mais qui doit se faire dans la douceur. La réforme du collège offrait une petite marge d'autonomie, pour pouvoir mettre en place des projets. L'accompagnement personnalisé fonctionne bien lorsque deux enseignants co-construisent ensemble un projet. Il permet également de remédier concrètement pendant une heure aux difficultés de l'élève. Il faut arriver à généraliser ce mode de fonctionnement dans les établissements scolaires.

M. Cédric Carraro

La notion de formation est revenue dans la plupart de vos questions. Pour nous la vie de classe est au coeur du métier des enseignants. Aussi, la formation à la gestion de classe est indispensable à tous les professeurs, qu'ils soient contractuels, stagiaires, titulaires. C'est un métier qui s'apprend et le seul moyen d'éviter la gestion de crise est de mettre en place une véritable gestion de classe.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente

Je partage entièrement ce que vous dites, ayant été moi-même enseignante. Dans mon rapport sur la formation à l'heure du numérique, j'ai pointé la faiblesse de la formation des enseignants et du recours à l'université.

La semaine prochaine, nous entendrons des professeurs que nous avons repérés à travers leurs mobilisations sur les réseaux sociaux à l'occasion de ce mot-dièse. Nous présenterons également le résultat d'une étude analysant les caractéristiques de cette mobilisation.

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