N° 226
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 décembre 2018 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur la violence dans les établissements scolaires ,
Par Mme Catherine MORIN-DESAILLY,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Morin-Desailly , présidente ; M. Max Brisson, Mme Catherine Dumas, MM. Jacques Grosperrin, Antoine Karam, Mme Françoise Laborde, MM. Jean-Pierre Leleux, Jacques-Bernard Magner, Mme Colette Mélot, M. Pierre Ouzoulias, Mme Sylvie Robert , vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Claude Kern, Mme Claudine Lepage, M. Michel Savin , secrétaires ; MM. Maurice Antiste, David Assouline, Mmes Annick Billon, Maryvonne Blondin, Céline Boulay-Espéronnier, Marie-Thérèse Bruguière, Céline Brulin, M. Joseph Castelli, Mmes Laure Darcos, Nicole Duranton, M. André Gattolin, Mme Samia Ghali, MM. Abdallah Hassani, Jean-Raymond Hugonet, Mmes Mireille Jouve, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Laurent Lafon, Michel Laugier, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Lozach, Claude Malhuret, Christian Manable, Jean-Marie Mizzon, Mme Marie-Pierre Monier, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, Stéphane Piednoir, Mme Sonia de la Provôté, MM. Damien Regnard, Bruno Retailleau, Jean-Yves Roux, Alain Schmitz, Mme Dominique Vérien . |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
À la suite des faits graves qui se sont produits à Créteil au mois d'octobre 2018, de nombreux professeurs ont témoigné sur les réseaux sociaux, notamment par l'emploi du mot-dièse #PasDeVague, de la réalité de leur quotidien, marqué par les incivilités voire par, la violence, et d'un soutien de l'institution qu'ils estiment insuffisant.
Dans l'exercice de ses prérogatives de contrôle et d'information, ainsi que dans la continuité de ses travaux sur le métier d'enseignant 1 ( * ) , la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat a souhaité se saisir de ce phénomène afin d'en tirer toutes les leçons.
Ce dernier révélant avant tout un besoin d'écoute et de considération de la part des professeurs, la commission a voulu leur donner directement la parole.
Au cours de ses réunions des 5 et 12 décembre 2018, la commission a entendu :
- les représentants des principaux syndicats des personnels de direction de l'éducation nationale ;
- M. Benjamin Moignard, sociologue et membre de l'observatoire international de la violence à l'école ;
- cinq professeurs ayant témoigné sur les réseaux sociaux, qui ont pu présenter leur parcours, leur expérience ainsi que les raisons qui les ont poussés à témoigner. Partant du constat que le phénomène #PasDeVague révélait avant tout un besoin d'écoute et de considération de la part des professeurs, la commission a voulu leur donner directement la parole.
À cette occasion, ont également été présentés les résultats d'une étude sur la diffusion et les caractéristiques du mot-dièse #PasDeVague sur Twitter, réalisée à la demande de la commission par la direction de la communication du Sénat 2 ( * ) . Elle met en évidence le caractère massif et rapide de la mobilisation, dont le public principal est les professeurs du second degré, les organisations syndicales et les partis politiques demeurant en marge de celle-ci.
Le dénominateur commun des témoignages est une réaction de l'institution jugée inadaptée face à des situations d'incivilité ou de violence, impliquant les élèves ou leurs parents, auxquelles sont confrontés les professeurs.
Les principales conclusions de l'analyse du phénomène #PasDeVague rejoignent les constats dressés l'enquête de victimation et de climat scolaire auprès des personnels du secondaire en 2013 3 ( * ) :
- des faits de violences physiques rares mais non insignifiants : 5,1 % déclaraient avoir été bousculés, 0,9 % frappés ;
- une violence verbale courante : 42,5 % déclaraient avoir subi des insultes, 13 % de manière répétée ;
- une dégradation du climat scolaire particulièrement marquée dans les établissements les moins favorisés et les lycées professionnels ;
- près de la moitié des professeurs estiment que la discipline est mal appliquée dans leur établissement d'exercice ;
- la prise en charge des personnels victimes est jugée insuffisante - ces dernier sont bien plus nombreux à exprimer un sentiment de solitude et d'abandon ;
- une défiance marquée des professeurs du second degré vis-à-vis de la hiérarchie : plus d'un tiers déclarent une perception négative de leurs relations avec la direction de leur établissement.
Une réalité qui concerne aussi le premier
degré
Peu concerné par la mobilisation #PasDeVague, le premier degré n'est pourtant pas épargné par les violences ou les incivilités. L'enquête sur le climat scolaire menée en 2013 montre qu'une part substantielle des personnels du premier degré rapporte des injures (36 %) ou des menaces (17 %) 4 ( * ) . Les faits de violence physique : bousculades (5,6 %) ou coups (3,6 %) sont bien moins fréquents mais non négligeables. Parmi les enseignants du premier degré, les directeurs d'école sont particulièrement exposés. Fait significatif, les différends avec les parents d'élèves tendent à augmenter. Dans une enquête récente menée auprès de plus de 7 000 directeurs d'école, plus de la moitié déclaraient avoir été insultés au cours de l'année scolaire 2017-2018, un quart avoir été harcelés, principalement par des parents mais parfois par des collègues enseignants, et un quart avoir subi une mise à l'écart de la part de leurs collègues 5 ( * ) . Ils sont deux fois plus nombreux à déclarer avoir subi des violences physiques: 13 % indiquent avoir été bousculés, 6 % avoir reçu des coups. |
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Si les incivilités et la violence au sein des établissements scolaires et à l'encontre des personnels de l'éducation nationale ne sont pas un fait nouveau, elles n'en restent pas moins inacceptables.
La dégradation du climat scolaire et de leurs conditions de travail ressentie par une partie de la profession ne peut être balayée d'un revers de la main.
Surtout, l'ordre et la discipline dans les établissements scolaires ne sont pas des lubies rétrogrades mais les conditions d'un apprentissage serein et de la réussite des élèves.
L'enquête TALIS menée en 2013 par l'OCDE révèle que les professeurs français sont parmi ceux qui consacrent le plus de temps à rétablir le calme dans la classe : la discipline consomme 16 % du temps de classe, contre 13 % en moyenne de l'OCDE. Cette proportion s'élève à 21 % en éducation prioritaire, ce qui montre que les élèves les moins favorisés sont les premiers pénalisés par cette situation 6 ( * ) .
*
Si elle est une réaction viscérale à un fait divers, la mobilisation #PasDeVague met en exergue des lacunes profondes et connues de longue date de notre système éducatif :
- la solitude et l'isolement des professeurs comme des personnels de direction face aux difficultés, liées à un manque d'accompagnement dans une structure hiérarchique verticale où le collectif a peu de place ;
- un système d'affectation des enseignants lourd, complexe, frustrant et injuste, qui se fait au détriment des enseignants les moins expérimentés et des établissements les plus en difficulté, qui connaissent dès lors un taux de rotation élevé des équipes éducatives ;
- plus globalement, une gestion des ressources humaines qui reste une gestion de masse, purement formelle et centralisée, ce qui menait Mme Monique Sassier, médiatrice de l'éducation nationale de 2009 à 2015 à prôner une « gestion humaine des ressources » ;
- une formation initiale des professeurs qui ne les prépare pas à l'exercice du métier ;
- une formation continue insuffisante en volume, car tributaire des capacités de remplacement, et qui, lorsqu'elle existe, ne correspond pas aux besoins des professeurs.
Tous ces éléments ne sont pas étrangers au fait que la proportion des professeurs estimant que leur métier est valorisé dans la société est le second taux le plus faible de l'OCDE : il n'est que de 5 %, très en-deçà de la moyenne qui se situe à 31 %. L'enquête PISA de l'OCDE met en évidence une corrélation positive claire entre les performances du système éducatif et la reconnaissance du métier d'enseignant.
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La valeur d'un système éducatif se mesure à l'aune de ses professeurs : c'est pourquoi la revalorisation du métier, qui passe par sa rémunération mais aussi par ses conditions d'exercice, la formation, l'affectation et le déroulement de carrière, est une priorité forte de la commission.
L'examen du projet de loi pour une école de la confiance, prévu au Sénat au printemps prochain, sera l'occasion pour la commission de tenter de répondre à ces enjeux. Les débats dont rend compte le présent rapport ne manqueront pas d'éclairer ses travaux.
* 1 Métier d'enseignant : un cadre rénové pour renouer avec l'attractivité , rapport d'information n° 690 (2017-2018) de M. Max Brisson et Mme Françoise Laborde, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, juillet 2018.
* 2 Les résultats de cette étude figurent en annexe.
* 3 Éric Debarbieux, Benjamin Moignard et Kamel Hamchaoui, Enquête de victimation et climat scolaire auprès des personnels du second degré, Ministère de l'éducation nationale , Observatoire international de la violence à l'école et Université Paris-Est Créteil, février 2013.
* 4 Éric Debarbieux et Georges Fotinos, L'école entre bonheur et ras-le-bol, Enquête de victimation et climat scolaire auprès des personnels de l'école maternelle et élémentaire , Observatoire international de la violence à l'école et Université Paris-Est Créteil, septembre 2012.
* 5 Georges Fotinos et José-Mario Horenstein , Le moral des directeurs d'école en 2018, Conditions de travail, qualité de vie professionnelle et burnout (Évolution 2004-2018) , enquête de la CASDEN, septembre 2018.
* 6 MENJ-DEPP, TALIS 2013 - Enseignant en France : un métier solitaire , note d'information n° 23, juin 2014.