II. QUEL SURSAUT POUR L'UNION EUROPÉENNE ?
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Nous abordons maintenant notre deuxième table ronde, consacrée aux conditions du sursaut européen que nous appelons de nos voeux.
Premier axe de notre rapport : nous voulons d'abord une Europe puissance, une Europe qui assume ses responsabilités en matière de défense, qui apporte sa plus-value dans la lutte contre le terrorisme et pour la sécurité intérieure, qui sache consolider collectivement sa réponse à la question migratoire et qui apprenne à se faire respecter dans les négociations commerciales internationales et utilise, chaque fois que nécessaire, ses instruments de défense notamment pour contrer l'extraterritorialité des lois américaines. Nous avons creusé ce sujet : le règlement 2271 du 22 novembre 1996, revisité en 2015, a pour objet de contrer toute législation d'un pays tiers contraire aux législations européennes, mais la volonté politique manque pour le mettre en oeuvre. Il nous faut dépasser le stade de la naïveté. On ne fera pas changer les Américains, mais on peut mettre en place des règles protectrices européennes et un buy European act , pendant des textes américains dans ce domaine.
Parallèlement, nous voulons assumer une pause dans l'élargissement sans désespérer les pays concernés.
Deuxième axe du rapport : nous voulons une Europe compétitive et créatrice d'emplois. L'Europe doit, selon nous, inventer des projets nouveaux pour la croissance et aller vers la convergence fiscale. La politique de la concurrence doit être mise au service de la reconquête industrielle et de l'emploi. C'est une compétence exclusive de l'Union qui a été mise en oeuvre dans les années 1960, alors que le contexte a beaucoup changé : le marché pertinent n'est plus national, il est au minimum européen, voire mondial. Or les Gafa n'auraient jamais pu voir le jour en Europe, à cause de la politique de la concurrence.
Nous devons lever les obstacles réglementaires aux investissements. L'Union européenne doit parallèlement parachever la gouvernance de l'euro. Mme la présidente de la commission des finances pourra nous en parler. Nous insistons aussi sur le besoin de renforcer la cohésion européenne. Pour cela, il faut certes parler des valeurs, mais aussi progresser vers la convergence sociale - le dossier des travailleurs détachés en souligne l'impérieuse nécessité - et moderniser la politique de cohésion.
Troisième axe du rapport : cette Europe refondée, nous la voulons proche des citoyens et plus lisible. Pour cela elle doit se recentrer sur l'essentiel, c'est-à-dire sur les domaines où sa plus-value est clairement identifiée. Le projet européen doit être ré-enchanté à partir de quelques priorités : sécurité, emploi, compétitivité. Cette Europe recentrée doit respecter pleinement la subsidiarité. L'Europe doit réformer son mode de fonctionnement et faire toute sa place au contrôle démocratique, notamment par l'affirmation du rôle des parlements nationaux. L'Europe a aussi besoin de simplification, qui doit devenir une priorité permanente, et de plus de transparence.
Pour concrétiser ce sursaut européen, le rapport préconise enfin une méthode. Nous pensons que le couple franco-allemand peut avoir un effet d'entraînement. Parce qu'elles expriment souvent une synthèse entre des positions parfois assez différentes à l'origine, leurs initiatives peuvent susciter l'adhésion de nos autres partenaires. La relation franco-allemande ne doit évidemment pas être exclusive. Nous demandons une feuille de route franco-allemande tournée vers les enjeux du nouveau siècle tels que la numérisation. Le pragmatisme conduit aussi à encourager le recours aux coopérations renforcées entre les États membres volontaires pour avancer. C'est une méthode qui a fait ses preuves. Elle permet à un petit groupe d'États d'entraîner les autres en démontrant la pertinence d'une action commune.
L'Union européenne doit redevenir le projet partagé des citoyens européens. L'Europe, représente une histoire commune, des valeurs et un mode de vie qui doivent être défendus. Unis dans leur diversité - qui doit être respectée - les Européens doivent surmonter ensemble les obstacles, en faisant prévaloir ce qui les rassemble sur ce qui peut les diviser. Ce constat justifie des propositions portant sur des symboles d'appartenance qui figurent dans le rapport. Nous devons aussi mobiliser les jeunes autour du projet européen. Erasmus est une formidable réussite dont plus de 3 millions d'étudiants ont déjà bénéficié. Il faut aller plus loin. Patricia Schillinger et Colette Mélot ont ainsi travaillé sur un Erasmus pour les apprentis. Nous travaillons avec des régions et des chambres des métiers pour le développer.
Nous avons besoin de rêver, mais sur quelque chose de concret, qui débouche sur des créations d'emploi - les « Airbus » du XXI e siècle. C'est le numérique, mais aussi page 156 du rapport, ce que préconise Benoît Potier, président d'Air liquide, mais aussi de l'European round table qui rassemble une cinquantaine des plus grandes entreprises européennes : des clusters de nouvelle génération, c'est-à-dire des écosystèmes en réseau qui jouissent d'extraterritorialité et s'affranchissent des règles nationales pour créer de la valeur ajoutée par la recherche et développement.
M. Giandomenico Magliano, ambassadeur d'Italie en France. - Merci pour ce travail approfondi, riche d'analyse mais aussi de propositions. Je formule le voeu que pour les soixante ans du traité de Rome, nous puissions faire le bilan de ce que nous avons accompli, qui est énorme, même si les jeunes générations ne mesurent pas les efforts qui ont été nécessaires pour y parvenir. Après le Brexit, il faudra prendre de l'élan. L'Europe est un espace-puissance. Comment parachever l'union économique et en même temps répondre aux attentes d'Europe sociale de nos concitoyens ? On attend beaucoup de l'Europe. Nous, gouvernements et parlements, devons être plus rapides dans notre réponse aux citoyens. Quelles devraient être selon vous les priorités de cette réponse rapide ?
M. Ramón de Miguel, ambassadeur d'Espagne en France. - En ce moment difficile pour l'Union européenne, l'Espagne préconise un retour aux sources, elle souhaiterait que nous réaffirmions notre attachement aux quatre libertés et au marché commun. Il faut commencer par appliquer ce dernier, sur l'énergie, par exemple ! Il n'y a rien à inventer : tout est là ! L'Union européenne a fait un effort formidable, que les jeunes générations ne comprennent pas. Nous devons être fiers de ce que nous avons bâti, mais aussi être conséquents. Il y a de nouveaux défis. Comme l'a montré le Conseil européen de Bratislava, nous devons être plus ambitieux : nous devons renforcer la prospérité et la création d'emplois, tout en garantissant le modèle social ; renforcer la sécurité tant extérieure qu'intérieure, et notamment faire tous des efforts de défense, pour que l'Europe prenne toute sa place dans le monde, et signer des partenariats avec les pays d'origine et de transit de l'immigration.
Certains pays ont une responsabilité particulière. Nous, Espagnols, croyons que l'Espagne en fait partie, à cause de sa taille et de nos convictions européennes très fortes. Certains parlent de coopérations renforcées ; notre conviction est que tant qu'elles seront ouvertes à tous les membres, non seulement elles ne seront pas nuisibles, mais elles pourront même relancer le projet européen.
Mme Kirsten Malling-Biering, ambassadeur du Danemark en France. - Cette conférence nous donne une bonne occasion de débattre de notre futur. Nous sommes dans l'incertitude. Le Brexit est aussi une manifestation du désenchantement vis-à-vis de l'Europe, qui est présent dans tous nos pays. Il faut donc prendre en compte ces réserves sur l'Europe. Il faut être prudent. Votre rapport appelle à un sursaut. Nous partageons tous ce désir, mais la volonté des citoyens est que l'Europe se recentre. Attention à ne pas confondre sursaut et fuite en avant.
Dans la conclusion de votre rapport, il y a cette belle phrase : « L'Union européenne doit redevenir le projet partagé des citoyens européens. » C'est de là qu'il faut partir. L'Europe à plusieurs vitesses n'est pas une idée nouvelle. Mon pays en tire les bénéfices et en subit les conséquences. Dans une période où nous avons besoin d'unité, comment éviter que cela engendre des clivages ? Le besoin de sécuriser nos frontières extérieures est devenu de plus en plus clair. Mais comment ? Sommes-nous tous prêts à déléguer cette compétence ?
Ce chemin parcouru depuis soixante ans est un progrès, mais nos concitoyens n'en sont pas toujours convaincus. Il faut consolider le marché unique et assurer de meilleures conditions de croissance et d'emploi. Nos concitoyens réclament plus de subsidiarité et moins de Bruxelles. Comment faire tout cela sans mettre en danger l'unité de l'Europe ?
M. Alar Streimann, ambassadeur d'Estonie en France. - Cette conférence bienvenue et le rapport présenté témoignent de l'attachement de la France à l'Europe. En France, de nombreux commentateurs et politiques souhaitent un budget de la zone euro, un gouvernement voire une nouvelle assemblée parlementaire. Ces nouvelles institutions ne feraient qu'augmenter le budget actuel. Or les dépenses de l'Union sont un sujet délicat, surtout avec le départ du Royaume-Uni. Le budget européen doit-il rester le même ou doit-il être réduit dans ces conditions ?
Comment un gouvernement de la zone euro pourrait-il aider à résoudre les problèmes économiques dans les États membres de la zone euro si des préférences ou des accords politiques nationaux retardent les réformes nécessaires ? Ainsi, la mutualisation de la dette des États membres de la zone euro ne risque-t-elle pas de paralyser les efforts de réforme et fragiliser, par conséquent, l'ensemble de la zone ?
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Le chemin parcouru est en effet remarquable. Nous devons le dire d'autant plus fort que notre voix est couverte par les populistes de tous bords. Nous attendons avec beaucoup d'inquiétudes le résultat des élections ici ou là.
On ne peut pas parler seulement d'économie ; le volet social est essentiel, car les populations laissées pour compte sont une critique vivante de l'Union Européenne. Le départ du Royaume-Uni entraîne un solde négatif de 10 milliards d'euros pour le budget de l'Union : il faut donc de nouvelles ressources propres. Nous avons reçu MM. Monti et Lamassoure qui nous ont présenté quelques pistes. Les gouvernements devront aussi prévoir des contributions plus importantes.
Les travailleurs détachés participent au développement du marché unique, marqueur de la construction de l'Europe. Mais les flux commerciaux entre les Vingt-Sept sont quatre fois moins importants qu'au sein des 52 États des États-Unis.
Il est bienvenu de parler des valeurs, des quatre libertés ; les efforts faits par le peuple espagnol sont à saluer à cet égard. Mais nous devons aussi être opérationnels. Les coopérations renforcées ne doivent pas être vues comme un club fermé.
Le sursaut ne doit pas être une fuite, c'est vrai. Il faut de la valeur ajoutée. C'est le message que nous adresserons au président du Sénat et aux 27 États membres.
Nous ne devons pas avoir peur d'une Europe à plusieurs vitesses : l'Europe a avancé trop timidement. L'Allemagne était crispée sur ce sujet il y a quelques années. Elle est aujourd'hui déterminée à aller plus loin. Il s'agit de défricher et de donner envie aux autres de rejoindre les pionniers.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. - Chaque pays peut avoir une priorité particulière ; mais on voit bien, en vous écoutant, que l'emploi et la sécurité sont les deux préoccupations principales de l'opinion publique européenne, ce qui invite à penser gouvernance de l'euro, simplification, renforcement de la dynamique économique. Voir sa monnaie se déprécier de 20 %, comme au Royaume-Uni, est assez préoccupant, dans la durée, pour les citoyens.
Sur le contrôle des frontières extérieures, nous pensons qu'il faut mettre en oeuvre le mandat rénové de Frontex, et exploiter toutes les possibilités pour le retour dans leur pays d'origine des migrants en situation irrégulière. Il faut lui donner un accès aux bases de données européennes, adopter et mettre en oeuvre rapidement le Système Entrée Sortie (SES) et le système européen d'information et d'autorisation de voyage (Etias), prévoir un enregistrement dans une base de données des franchissements des frontières extérieures, y compris par les ressortissants européens. Le message de paix doit aller avec un message de sécurité.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. - Je remercie les présidents Raffarin et Bizet d'avoir associé la commission des finances aux réflexions de ce groupe.
Les crises que nous traversons depuis le début de la décennie font ressortir effectivement les fragilités de l'euro, monnaie unique sans pilotage politique et économique unique, malgré un renfort des outils dont nous disposons et parfois les menaces de sanction.
Aujourd'hui, nous devons imaginer d'aller plus loin dans la gouvernance commune de la zone euro. Convergence des assiettes fiscales, renforcement du Mécanisme européen de stabilité, fonds monétaire européen, ces sujets sont sur la table.
S'il fallait débattre de ce que pourrait être un budget de la zone euro, il faudrait le faire à la lumière des travaux du groupe Monti.
Ces évolutions devraient mieux coordonner la politique économique à l'échelle européenne, mais ne doivent pas exonérer bien sûr les Etats membres de leurs responsabilités. Cependant, accepter de nouveaux partages de souveraineté ou abandons de parts de souveraineté, c'est là la question. Or, comme le souligne l'ambassadeur d'Estonie, les impulsions données par le Conseil ou la Commission ne correspondent pas toujours aux choix politiques nationaux. Le blocage du fonds de garantie des dépôts illustre nos vraies difficultés à mutualiser nos risques et nos engagements financiers.
Le ticket de sortie est élevé pour les Britanniques. Mais la vraie question est : quel est notre projet commun ? Sur quel fondement démocratique repose la monnaie unique ? La conférence du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) a été créée en 2013, mais il est difficile de la faire fonctionner. La prochaine a lieu à Talinn. Le débat est parfois difficile entre nous, parlementaires nationaux, qui votons le budget et les parlementaires européens qui sont soucieux de leurs prérogatives. C'est cela qu'il faut débloquer le plus vite possible.
J'ai conduit une délégation de la commission des finances à Singapour et à Hong Kong. La zone euro et l'Europe sont extrêmement importantes pour ces deux pays - et à ce titre, nos élections les inquiètent. L'Europe est un espace de paix et de vie commune auquel je tiens personnellement. Cela implique qu'il faut aller à l'essentiel, sans perdre de temps. Notre monnaie a de la valeur au niveau international : il faut la préserver.
M. Georges Károlyi, ambassadeur de Hongrie en France. - Je vous parlerai davantage en tant qu'Européen qu'en tant que Hongrois, bien que les deux ne soient pas antinomiques... Merci pour ce travail exceptionnel accompli par le Sénat, qui contribue à une réflexion constructive.
Lorsque l'on parle de refondation de l'Union européenne, il est courant de se référer au couple franco-allemand : on ne peut pas - et même, on ne doit pas - parler de l'un sans parler de l'autre. La bonne entente des deux pays est cruciale. L'Union tout entière est à l'image du couple franco-allemand : elle est faite d'États qui doivent, qui peuvent réussir à s'entendre.
Le couple franco-allemand ne tire pas sa légitimité uniquement du statut de fondateurs de ses membres : depuis soixante ans, de l'eau a coulé sous les ponts. Ce n'est pas parce que ce sont des pays comparables. Au contraire, tout les divise : économie, emploi, vision de la zone euro, couleur politique du Gouvernement. Comme disait Galilée de sa fille, peu connue pour ses talents d'actrice : « Et pourtant, elle tourne ! » (Sourires). L'entente n'a pas empêché la France et l'Allemagne de conserver chacune leur indépendance d'esprit. Demain à 27, il ne peut en être autrement ; face au grand défi de la refondation, la France et l'Allemagne sont les deux pays les plus grands, les plus puissants et sans eux, l'Europe ne peut pas exister.
Cet exemple me semble être un modèle pour l'Europe de demain. « L'unité dans la diversité » doit aujourd'hui plus que jamais être réaffirmée, mais sans que le volet diversité soit oublié ! C'est la reconnaissance de ses différences qui doit former le moteur de l'Europe et devenir le gage de ses succès. Il ne faut pas nous effrayer de nos différences. L'unité dans la diversité du couple franco-allemand doit être mise au service de l'unité dans la diversité en Europe.
M. Luca Niculescu, ambassadeur de Roumanie en France. - J'ai la chance de venir d'un pays entré plus récemment dans l'Union européenne, puisque nous fêtons le dixième anniversaire de cette entrée cette année. Nous nous souvenons bien qu'il y a un avant et un après. Eh bien, c'est beaucoup mieux après ! C'est ce qui explique qu'il y ait en Roumanie un sentiment européen très puissant : nous avons rêvé d'Europe avant 1789, après 1789, nous avons rêvé de démocratie et de prospérité - et c'est aujourd'hui le quotidien des Roumains.
Quel projet pourrait aujourd'hui nous faire rêver ? Je ne suis pas sûr que l'Europe à plusieurs vitesses nous fasse tous rêver en même temps... Je préfèrerais un rêve qui soit partagé par tous. Je vois dans l'Europe à plusieurs vitesses un risque de manque de cohésion, de manque de lisibilité de l'Europe, alors que c'est ce dont nous avons le plus besoin.
M. Dariusz Wisniewski, chargé d'affaires a.i. à l'ambassade de Pologne en France. - Comment assurer l'équilibre entre la solidarité et l'individualité de chacun de nos pays - les traditions, ce qui compte pour la population locale ? Comment communiquer sur les valeurs de l'Europe, ses accomplissements ? Il y a toujours beaucoup de gens prêts à critiquer ce qui ne fonctionne pas : nous devrions toujours leur rappeler ce que nous avons gagné grâce à l'Union européenne.
Mme Isabel Henin, première secrétaire chargée des affaires européennes à l'ambassade d'Allemagne en France. - Bravo pour le travail méticuleux dont témoignent vos deux rapports ! Votre deuxième rapport préconise entre autres le renforcement de la défense européenne pour garantir la protection des Européens et parvenir à une autonomie stratégique. À ce titre, les ministères des affaires étrangères de nos deux pays ont demandé un pacte de sécurité dès juin 2016, pour plus de solidarité.
La solidarité, nous la vivons. Après les attentats du 13 novembre 2015, lorsque la France a activé pour la première fois la clause de solidarité, l'Allemagne s'est engagée dans la lutte contre Daech. Nous sommes aux côtés de nos amis. La stratégie globale européenne de juin 2016 a constitué une étape importante sur la voie d'une Europe comme force crédible de paix. Nos deux ministres de la défense ont élaboré des propositions concrètes en septembre dernier. Grâce à ce moteur, l'Union européenne a élaboré un programme de travail ambitieux : conclusions du Conseil d'octobre dernier, plan d'action de la Commission, déclaration commune Union européenne-Otan en juillet dernier à Varsovie.
Le 6 mars dernier, le conseil affaires étrangères a décidé de mettre en place une capacité de court terme militaire de planification et de conduite travaillant avec sa capacité civile. On le voit : le moteur franco-allemand reste essentiel. Nos plus hauts responsables souhaitent intensifier la coopération dans le cadre des coopérations structurées permanentes du traité de Lisbonne - c'est justement l'une de vos propositions.
Les coopérations structurées permanentes doivent apporter une valeur ajoutée pour l'Union européenne et fonctionner selon les principes d'inclusion et de transparence. Le 6 mars dernier, le Conseil a admis cette nécessité. Dans ce contexte, comment évaluez-vous les possibilités d'une coopération plus étroite dans les domaines de sécurité et de défense ?
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Si l'Europe est mal comprise en dehors des Vingt-Sept, c'est que l'histoire est ignorée. La responsabilité historique des Français et des Allemands est très claire : nos pays étant très différents, s'ils s'entendent bien, cela crée de l'émulation. C'est un mode de fonctionnement, non un objectif proprement dit. Cela n'est pas exclusif. Dans l'Europe à géométrie variable, les premiers qui défrichent doivent être rejoints. Les États doivent être de plus en plus agiles, comme dans le numérique.
Monsieur l'ambassadeur d'Allemagne est venu au Sénat pour présenter l'effort militaire croissant de son pays, nécessaire pour éviter que l'Europe soit fragilisée dans un monde ou plusieurs États-continent réarment. Nous devons assumer la protection de nos concitoyens. Un certain nombre de nos voisins au Sud ne nous veulent pas que du bien.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. - Dans plusieurs étapes de ma carrière, j'ai dû subir les reproches paradoxaux de mes amis européens soit lorsque Français et Allemands s'entendaient, soit lorsqu'ils ne s'entendaient pas ! Dans le premier cas : « vous voulez tout décider tout seuls » ; dans le second : « c'est de votre faute si cela ne marche pas ». C'est dans la nature de l'équation franco-allemande !
On assiste à une montée des pays-continent. Si la France et l'Allemagne sont ensemble, nous formons, tous ensemble, une puissance parmi les premières du monde. Nos deux pays ne doivent pas rester seuls, mais être ensemble, pour atteindre un seuil. Le couple franco-allemand est un chemin, pas une destination. Il ne faut certes pas que les briques se prennent pour la maison tout entière - mais elles sont indispensables.
Monsieur l'ambassadeur de Pologne, soyez rassuré, en France, personne ne critique jamais rien ! Plus sérieusement, nous devrions nous inspirer des idées qui arrivent d'Asie, et notamment la complémentarité permanente. Les Chinois peuvent par exemple se targuer d'être en passe de devenir la première puissance mondiale, mais dans d'autres discussions, se fonder sur le PIB par habitant et parler au nom des pays pauvres. La Chine est à la fois le premier pollueur par le charbon et le premier investisseur dans les énergies renouvelables. Nous sommes les élèves de la dialectique d'Aristote ou de Marx : le débat entre deux thèses aboutit à une vérité unique. Le moteur de l'Asie est à deux temps : le yin et le yang. Cette capacité à gérer la complexité rejoint les idées prônées par Edgar Morin, qui a ainsi écrit un livre sur la voie - qui n'est autre qu'une traduction de la notion de tao. Nous avons besoin d'apprendre à dire plus souvent « et » et moins souvent « ou ».
Sur la défense, on revient d'assez loin ! L'Allemagne a augmenté son budget. Le Conseil européen des 9 et 10 mars a fait des propositions intéressantes : revue de défense annuelle, renforcement de l'agence européenne de défense (AED), financement de la recherche. C'est souvent dans la défense que naissent les grandes innovations. La France qui a une industrie de défense qui... se défend, le sait bien. Les pays qui font des efforts budgétaires importants doivent se coordonner, mais en prenant comme objectif d'avancer non pour eux-mêmes, mais pour les Vingt-Sept.
Mme Nicole Fontaine, ancienne présidente du Parlement européen. - Merci pour ce débat passionnant. Je rejoins votre conviction que l'Union Européenne est plus nécessaire que jamais. Aucun de nos États ne pourrait isolément relever les immenses défis d'aujourd'hui. Les acquis de la construction européenne sont considérables - nous ne les avons pas suffisamment mis en exergue lors des grands rendez-vous démocratiques. Cela ne doit pas masquer une certaine désaffection : l'Europe est inachevée. Le Brexit représente une chance de réinventer l'Europe. Votre rapport, messieurs les présidents, montre bien où sont les pistes. L'Europe à plusieurs vitesses est une expression malheureuse ; celle de coopération renforcée est bien plus dynamique. Il faut permettre aux États qui le veulent d'aller plus loin et plus vite. Nous devons remettre le citoyen au coeur de l'Europe. Celle-ci s'est construite de façon trop peu transparente, et le fossé qui est apparu n'a jamais été comblé.
Il faut associer les citoyens à travers les parlements nationaux, mais pas seulement. Les attentes de nos concitoyens sont toutes parfaitement identifiées : croissance et emploi, sécurité, mais aussi rayonnement de l'Europe, car celle-ci est appréciée pour ses valeurs. Nous devons rester ce phare. Cela passe par une politique migratoire commune et une politique extérieure qui réponde aux attentes de nos voisins les plus proches, par exemple en Afrique.
M. Jean-Yves Leconte. - L'Europe est une communauté de valeurs. Nous l'avons construite par refus du retour de la guerre, mais aussi parce qu'en partageant de la souveraineté, on pouvait aller plus loin, ne pas subir. L'Europe est aussi un cadre fondamental du droit entre nos différents pays. La souveraineté partagée doit l'être encore plus : les États doivent accepter de partager leur souveraineté avec les citoyens. S'il devait y avoir un seul enjeu, ce serait celui-là : que les citoyens puissent décider des politiques européennes, selon le principe « un citoyen, une voix ».
Attention, dès lors, aux « cercles concentriques » : la démocratie, c'est la lisibilité. La multiplication des cercles rendra l'Europe moins lisible. L'Europe à plusieurs vitesses n'est pas un projet, cela peut être éventuellement une façon d'aller plus vite sur certains sujets. Les États membres doivent déjà s'engager à fond. L'élargissement est un moyen fantastique de réaffirmer nos valeurs. Le Président chinois considère l'Union européenne comme la première puissance du monde, mais comment peser avec un budget qui ne représente qu'1 % du PIB ?
M. Jean-Marie Bockel. - La diplomate allemande a posé à juste titre l'enjeu de l'Europe de la défense dans le monde dangereux dans lequel nous vivons. Nous sommes plusieurs à siéger à l'assemblée parlementaire de l'Otan et l'on sent monter la pression du côté de l'allié américain. Dans certains cas, nécessité fait loi. On ne peut plus tergiverser : nous sommes engagés dans des actions de guerre, nous faisons face à d'importantes menaces, nous devrons bouger. Peu importe la taille des pays, puisque certains « petits » pays sont engagés dans cette démarche. Nous avons beaucoup de contacts avec nos collègues allemands, et nous nous interrogeons sur la doctrine d'emploi : nous voyons que face à certaines réticences historiques, les lignes peuvent bouger. Sans doute avons-nous l'occasion de donner corps, en matière d'Europe de la défense, à une plus grande solidarité européenne. Le Brexit - sans exclure les Britanniques de la défense - nous amène à prendre encore davantage ensemble nos responsabilités.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - Nous sommes tous des Européens convaincus ! Il y a vingt-et-un ans, nous avions organisé, juste après Maastricht, au Sénat, avec le président René Monory, un colloque sur la citoyenneté européenne. Tous les ambassadeurs européens étaient présents, moins nombreux qu'aujourd'hui, mais nous avions tous cette espérance chevillée au corps, nous pensions que l'Union européenne allait se développer avec ses citoyens. Comme l'a dit Nicole Fontaine, peut-être avons-nous commis l'erreur de ne pas mettre suffisamment les citoyens au coeur de cette construction européenne. Nous devons insister là-dessus : les citoyens doivent être à nouveau au coeur de l'Europe ; nous ne devons pas prendre de mesures sans penser à eux et je pense en cet instant particulièrement aux plus de trois millions d'Européens en Grande-Bretagne, très inquiets du Brexit.
M . Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. - Merci. Je veux conclure sur ce message d'optimisme : oui, Joëlle Garriaud-Maylam, il faut remettre nos concitoyens européens au centre du projet européen et écouter leurs aspirations ; Jean Yves Leconte a également exprimé un message de confiance et Jean-Marie Bockel nous a appelés à une nouvelle approche solidaire en matière de défense européenne.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères et de la défense. - Je tiens à vous remercier toutes et tous, et à vous dire, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, notre admiration sincère pour la qualité de votre français. (Applaudissements). Merci à chacune et chacun d'avoir parlé notre langue ; c'est l'expression du respect que vous exprimez et que nous vous devons. Nous sommes très sensibles à cette marque d'intérêt.
Monsieur le Président, notre conviction, c'est que la refondation de l'Europe est la meilleure issue du Brexit, parce qu'elle peut le surmonter. La manière dont sera traité le Brexit doit enclencher cette unité qui est notre capital, avec le souci de la diversité et de la complexité. La refondation de l'Europe pourrait être notre promesse collective. Merci aux ambassadeurs ! Nous sommes très honorés de recevoir le président du Sénat qui va s'exprimer le 17 mars à Rome et portera nos idées. C'est un élément de grande fierté ! (Applaudissements)