CHAPITRE II - AMELIORER LA SÉCURITÉ JURIDIQUE ET ÉCONOMIQUE : UNE ATTENTE FORTE DES ENTREPRISES
A. L'INCERTITUDE JURIDIQUE, CRAINTE RÉCURRENTE DES ENTREPRISES
1. L'interprétation du code du travail : limiter l'insécurité juridique découlant des décisions du juge
Nombreux sont les chefs d'entreprise ayant souligné le frein à l'embauche que représente le pouvoir du juge et le risque très élevé de contentieux. Ainsi une entreprise du BTP rencontrée en Saône-et-Loire a-t-elle indiqué que « les risques de contentieux et de condamnation sont tels qu'ils participent de la démotivation des employeurs et constituent souvent un réel frein à l'embauche ».
De nombreux experts auditionnés par les rapporteurs de la commission des affaires sociales du Sénat, économistes ou juristes, ont soulevé la question de la place du juge qui, ces dernières années, semblerait avoir eu tendance à « prendre la place du législateur ». Pour caractériser le système français, certains ont précisé qu'« une situation où l'employeur agit sous le contrôle du juge n'est pas satisfaisante ».
a) Les effets de la jurisprudence
En matière de droit du travail, 95 % du contentieux est prud'homal (14 512 conseillers prud'homaux répartis dans les 210 conseils des prud'hommes, compétents pour les litiges individuels). Le tribunal d'instance est compétent pour les litiges relatifs à la désignation des délégués syndicaux, tandis que le tribunal de grande instance est compétent pour tous les litiges collectifs, ainsi que pour l'interprétation des conventions collectives ou en matière de grève.
Le délai de jugement moyen devant les prud'hommes est de 15 mois. Au-delà de 4 000 euros (c'est le cas pour 64 % des jugements rendus), il peut être fait appel devant une Cour d'appel (16 mois de délai en moyenne). Enfin, le pourvoi en cassation (16 mois de délai en moyenne) est possible : la chambre sociale de la Cour de Cassation n'a pas pour mission de rejuger l'affaire mais de contrôler que la décision rendue est bien conforme au droit. Contrairement à l'appel, le pourvoi en cassation n'a aucun effet suspensif. La décision attaquée doit donc être exécutée entre-temps.
La chambre sociale de la Cour de Cassation est compétente dans les domaines suivants : Droit communautaire du travail Droit de l'emploi et de la formation Droits et obligations des parties au contrat de travail Élections en matière sociale et professionnelle, internes à l'entreprise Entreprises à statut Interférence du droit commercial et du droit du travail Licenciement disciplinaire Relations collectives du travail Représentation du personnel ; protection des représentants du personnel Situation économique et droit de l'emploi (notamment licenciement économique) |
Comptant 25 conseillers pleins et 17 référendaires, la chambre sociale est l'une des plus chargées de la Cour de Cassation (3 437 arrêts rendus en 2014).
Le projet de loi « travail » prochainement soumis au Sénat illustre bien l'impact de la jurisprudence de la Cour, puisque plusieurs articles viennent étoffer le code du travail -au lieu de l'alléger- pour tenir compte des décisions du juge venues interpréter la loi.
C'est par exemple le cas de l'article 30 qui reprend les éléments caractéristiques de difficultés économiques qui ont été énoncés par la jurisprudence. Comme le rappelle l'étude d'impact associée, de nombreuses décisions sont intervenues pour qualifier cette situation.
Les chefs d'entreprise dénoncent régulièrement le phénomène de l'insécurité juridique dont ils sont victimes : non seulement les lois changent le droit mais surtout l'interprétation du juge est une source supplémentaire d'insécurité car en interprétant le code du travail, la jurisprudence est créatrice de nouveaux droits qui s'appliquent de façon rétroactive (ce que ne reconnaît que très rarement la Cour). Au moment où le fait s'est déroulé, où l'acte a été pris, la règle jurisprudentielle était, par hypothèse, fixée dans un certain sens. Ce n'est cependant pas cette règle, en vigueur à l'origine du litige, qui lui sera appliquée, mais celle que le juge lui substituera au terme de celui-ci. Il est donc impossible au chef d'entreprise d'anticiper les nouvelles jurisprudences, ce qui fait peser sur lui un risque de condamnation en cas de contentieux, même dans l'hypothèse où il serait en mesure de connaître toutes les évolutions législatives ou réglementaires du droit du travail, ce qui nécessite une expertise très poussée et donc des services juridiques développés.
b) La modulation dans le temps : une pratique malheureusement inexistante en droit du travail
La question de la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence a été abordée depuis longtemps, notamment par un groupe de travail présidé par Nicolas Molfessis. Le rapport de ce dernier, remis en 2004 au Premier Président de la Cour de Cassation, indiquait déjà : « La modulation dans le temps des revirements, parce qu'elle pose en préalable l'effet novatoire de la décision, est une forme de reconnaissance du pouvoir créateur de la jurisprudence. L'institutionnalisation d'un droit transitoire des revirements de jurisprudence procède donc d'une modification du statut de la jurisprudence, puisqu'elle la reconnaît officiellement comme source de droit.
L'attitude de la Cour de cassation contribue à entretenir la fiction de l'absence de pouvoir créateur de droit de ses décisions toutes les fois, précisément, qu'il lui est demandé de faire prévaloir la sécurité juridique en limitant dans le temps ses décisions de revirements . »
Est-il normal que le chef d'entreprise prenne le risque d'être condamné en respectant une règle en vigueur, tout simplement parce que ultérieurement (c'est-à-dire postérieurement au fait reproché), la même règle de droit sera interprétée différemment par les juges ?
Compte tenu des enjeux financiers pour les plus petites entreprises, pourquoi le juge en droit du travail ne module-t-il pas plus systématiquement dans le temps les effets de ses décisions ?
L'instabilité juridique issue des décisions du juge est parfaitement illustrée par un exemple récent, lorsque la Cour de Cassation a annulé, en 2013, la convention SYNTEC 15 ( * ) instaurant le forfait-jours. Une fois annulée, la convention était réputée n'avoir jamais existé, et ainsi près de 544 000 cadres ont pu prétendre à une revalorisation de leur rémunération avec le paiement des heures supplémentaires. Le Président de la chambre sociale de la Cour de Cassation craint d'ailleurs que la réforme proposée par le Gouvernement n'occasionne une explosion du contentieux relatif aux conventions et accords collectifs, dont la rédaction est parfois ambiguë.
A la faveur d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par la société Natixis tenue de mettre en place rétroactivement un dispositif de participation des salariés, le Conseil constitutionnel semble avoir minimisé la portée de la rétroactivité indiquant que la règle visée n'avait jamais fait l'objet d'une interprétation, de sorte qu'elle ne constituait pas un revirement de jurisprudence. Mais les commentaires laissent penser qu'un contrôle de la rétroactivité de la norme jurisprudentielle serait envisageable lorsqu'elle constitue un revirement par rapport à une jurisprudence antérieure et constante et qu'elle porte atteinte à des droits acquis.
La Cour de Cassation, dans certaines hypothèses exceptionnelles, a toutefois accepté de moduler dans le temps les effets de sa jurisprudence , en matière civile (pour préserver le droit à un procès équitable, 2009) ou en matière commerciale, financière et économique (13 novembre 2007 et 26 octobre 2010). L'Assemblée plénière, dans un arrêt du 21 décembre 2006, a reconnu qu'un revirement aurait eu pour effet de « priver la victime d'un procès équitable, au sens de l'article 6-1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ». Le communiqué accompagnant cette décision indiquait qu' « imposer aux justiciables l'application d'une règle qu'ils ignoraient et dont ils ne pouvaient anticiper la survenue au moment où ils ont agi est de nature à porter atteinte au principe de sécurité juridique et à contredire illégitimement leurs prévisions ». Pourtant la chambre sociale ne semble pas appréhender la question des effets de ses décisions au regard de la sécurité juridique des entreprises .
Même le Conseil d'État a fait le choix de la sécurité juridique, notamment dans une décision « A.C. ! » rendue le 11 mai 2004 concernant l'annulation des accords conclus en matière d'assurance chômage : il a considéré qu'il était possible d'admettre qu'une décision ne produise pas d'effet rétroactif, afin de garantir la continuité du système de l'assurance chômage.
Votre Délégation estime absolument nécessaire que le juge soit davantage incité à s'interroger sur les effets de ses décisions en matière de droit du travail. Une disposition insérée dans le code du travail pourrait ainsi, sans porter atteinte à l'office du juge, l'encourager à envisager la modulation dans le temps, en prenant notamment en compte les conséquences économiques et financières sur les entreprises des effets de la rétroactivité (proposition n°1).
Elle juge également nécessaire de creuser la piste évoquée par le président de la chambre sociale de la Cour de Cassation en matière de contentieux des accords collectifs : un système de question préjudicielle renvoyant l'interprétation de l'accord ou de la convention systématiquement aux partenaires sociaux permettrait au juge de ne pas avoir à exécuter cette tâche à l'aveugle (proposition n° 2).
2. Penser une administration au service de l'économie, de l'emploi et des entreprises
a) Le rescrit : un outil à développer en droit du travail
L'accès au droit est une question fondamentale qui pèse sur le quotidien des plus petites entreprises. Elles n'ont pas les moyens humains d'assurer la veille juridique aujourd'hui indispensable pour suivre l'évolution toujours plus rapide de la législation et de la réglementation s'imposant à elles. Lors de la journée des entreprises organisée au Sénat le 31 mars 2016 par votre Délégation, un entrepreneur a évoqué cette question en précisant que 90 % des chefs d'entreprise étaient nécessairement « hors la loi » compte tenu de la complexité croissante du droit.
Conscient de ce handicap, le Gouvernement a présenté, dans le présent projet de loi, une disposition visant à garantir le droit à l'information des employeurs des TPE-PME. L'article 28 vise ainsi à inscrire dans le code du travail le droit, pour les employeurs des entreprises de moins de 300 salariés, d'obtenir une information précise, dans un délai raisonnable sur l'application du droit du travail. L'étude d'impact annexée au projet de loi indique que « salariés et employeurs peuvent se tourner vers l'administration pour obtenir des informations relatives à l'application du droit du travail, dans le cadre de services dédiés, dits de renseignements, présents dans chaque unité départementale des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) . » L'étude ajoute qu'en 2015, 877 294 demandes ont été traitées par ces services, représentant 1 497 542 objets de demande, dont les employeurs ne représentent que 6,6 % du volume total . Les demandeurs sont très majoritairement issus de TPE et PME (83,38% d'entre eux sont dans une entreprise de moins de 50 salariés). Ces demandes ont donné lieu à 1 230 927 réponses. Le dispositif retenu « crée des cellules dédiées aux entreprises de moins de 300 salariés, pour leur permettre d'obtenir une information personnalisée et délivrée dans des délais raisonnables ». La description des différents impacts attendus est laconique, mais on note avec intérêt la rubrique relative à l'emploi : « l'impact attendu devrait être positif sur l'emploi en raison de la plus grande sécurisation des employeurs des TPE-PME ». Le projet de loi initial fait donc directement le lien entre la sécurité juridique des employeurs -ici par le biais d'une meilleure information relative au code du travail et aux conventions et accords collectifs-, et l'amélioration de l'emploi.
Soucieux d'accroître l'efficacité de ce dispositif, les membres de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale ont ajouté un paragraphe relatif à la portée des réponses rendues par l'administration, précisant que les questions peuvent porter sur des situations de fait, et que « si la demande est suffisamment précise et complète, le document formalisant la prise de position de l'administration peut être produit par l'entreprise en cas de contentieux pour attester de sa bonne foi » . Avec ces précisions, les députés ont repris les critères relevant du registre du rescrit, sans aller jusqu'au bout de la logique .
Pourtant l'article 31 du projet de loi ratifie l'ordonnance n° 2015-1628 du 10 décembre 2015 relative aux garanties consistant en une prise de position formelle, opposable à l'administration, sur l'application d'une norme à la situation de fait ou au projet du demandeur. L'article 5 de cette ordonnance concerne le droit du travail : il consacre le rescrit pour les accords ou plans d'actions relatifs à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ainsi que pour les dispositions relatives à l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés .
Article 5 de l'ordonnance n° 2015-1628 du 10 décembre 2015 Le code du travail est ainsi modifié : 1° Après l'article L. 2242-9, il est inséré un article L. 2242-9-1 ainsi rédigé : « Art. L. 2242-9-1.-L'autorité administrative se prononce sur toute demande d'appréciation de la conformité d'un accord ou d'un plan d'action aux dispositions de l'article L. 2242-9 formulée par un employeur. « Le silence gardé par l'autorité administrative, à l'issue d'un délai fixé par décret en Conseil d'État, vaut rejet de cette demande. « La demande mentionnée au premier alinéa n'est pas recevable dès lors que les services chargés de l'application de la législation du travail ont engagé un contrôle sur le respect des dispositions de l'article L. 2242-9. Ces services informent l'employeur par tout moyen lorsque ce contrôle est engagé. « Lorsque l'entreprise est couverte par un accord collectif en application de l'article L. 2242-8, la réponse établissant la conformité lie l'autorité administrative pour l'application de la pénalité prévue à l'article L. 2242-9 pendant la période comprise entre la date de réception de la réponse par l'employeur et le terme de la première année suivant la conclusion de l'accord ou, le cas échéant, le terme de la période résultant de l'accord mentionné à l'article L. 2242-20. Lorsque l'entreprise est couverte par un plan d'action en application des dispositions de l'article L. 2242-8, la réponse établissant la conformité lie l'autorité administrative pour l'application de la pénalité prévue à l'article L. 2242-9 pendant la période comprise entre la date de réception de la réponse par l'employeur et le terme de la première année suivant le dépôt du plan d'action ; » 2° Les dispositions du 1° sont applicables aux accords et plans d'action mentionnés au premier alinéa de l'article L. 2242-9-1 déposés auprès de l'autorité administrative à compter de l'entrée en vigueur de la présente ordonnance ; 3° Après l'article L. 5212-5, il est inséré un article L. 5212-5-1 ainsi rédigé : « Art. L. 5212-5-1.-L'association mentionnée à l'article L. 5214-1 se prononce de manière explicite sur toute demande d'un employeur ayant pour objet de connaître l'application à sa situation de la législation relative : « 1° A l'effectif d'assujettissement à l'obligation d'emploi calculé selon l'article L. 1111-2 ; « 2° A la mise en oeuvre de l'obligation d'emploi prévue aux articles L. 5212-2 à L. 5212-5 ; « 3° Aux modalités d'acquittement de l'obligation d'emploi prévues aux articles L. 5212-6, L. 5212-7, L. 5212-7-1 et L. 5212-9 à L. 5212-11 ; « 4° Aux bénéficiaires de l'obligation d'emploi visés aux articles L. 5212-13 à L. 5212-15. « La décision ne s'applique qu'à l'employeur demandeur et est opposable pour l'avenir à l'association mentionnée à l'article L. 5214-1 tant que la situation de fait exposée dans la demande ou la législation au regard de laquelle sa situation a été appréciée n'ont pas été modifiées. « Il ne peut être procédé à la mise en oeuvre de la pénalité prévue à l'article L. 5212-12, fondée sur une prise de position différente de celle donnée dans la réponse à compter de la date de notification de celle-ci. « Lorsque l'association mentionnée à l'article L. 5214-1 entend modifier pour l'avenir sa réponse, elle en informe l'employeur selon des conditions et des modalités fixées par décret en Conseil d'État. « Un décret en Conseil d'État précise les modalités de contenu et de dépôt de la demande, ainsi que le délai dans lequel doit intervenir la décision explicite. » |
Source : legifrance
Comme le rappelle le rapport intitulé « Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets », issu de l'étude adoptée le 14 novembre par l'assemblée générale du Conseil d'État, il n'existe pas de définition juridique du rescrit. Une telle définition n'apparaît ni dans les textes normatifs, ni expressis verbis 16 ( * ) dans la jurisprudence. (...) Il est remarquable que le terme même de rescrit ne figure pas dans les textes instituant les dispositifs qui sont le plus communément considérés comme des rescrits (pour le rescrit fiscal, article L.80B du livre des procédures fiscales 17 ( * ) ; pour le rescrit social, article L.243-6-3 du code de la sécurité sociale) . Cette absence (...) est le symptôme d'une incertitude sur les contours mêmes de cette notion, qui est utilisée par commodité . »
Cette même incertitude préside à la lecture de l'article 28, puisque l'on retrouve les éléments du rescrit sans pour autant que la disposition aille jusqu'au bout de la logique. En effet on retrouve la nécessité du caractère précis et complet de la question, la notion de délai s'imposant à l'administration, la possibilité de porter sur une situation de fait, la notion de bonne foi de l'employeur, sans toutefois que soit mentionnée l'opposabilité de la réponse à l'administration (seule la question du contentieux est évoquée), ni la limite de l'évolution postérieure de la norme interprétée. Il s'agit donc d'une disposition qui mériterait d'être complétée afin de ne pas créer de nouveau mécanisme se rapprochant très fortement du rescrit sans être totalement identifiable, créant une nouvelle catégorie de réponse opposable, et donc une confusion supplémentaire sur la portée réelle de l'article 28.
Votre Délégation estime donc utile que le code du travail contienne une disposition explicite relative au rescrit pour les entreprises de moins de 300 salariés (proposition n°3) .
Le Conseil d'État, dans son étude précitée, soutient d'ailleurs une extension sectorielle du rescrit, par opposition à l'institution de mécanismes transversaux de sécurité juridique, davantage pratiqués chez nos voisins européens. En effet, dans certains États membres comme l'Allemagne, est d'application générale le principe de confiance légitime qui « s'étend à tout particulier qui se trouve dans une situation de laquelle il ressort que l'administration a fait naître dans son chef des espérances fondées ». En France, ce principe n'est applicable que dans une situation régie par le droit de l'Union.
Un rescrit clairement identifié en droit du travail permettra aux plus petites entreprises non seulement de prouver leur bonne foi en cas de contentieux mais de prémunir les employeurs contre la sanction administrative d'un manquement à leurs obligations légales ou réglementaires . D'ailleurs, pour qu'une disposition législative instaurant un rescrit soit utilisée par les intéressés, le gouvernement devra veiller à ce que les demandes présentées ne suscitent pas de contrôle de la part des administrations concernées. Ce point est particulièrement important, comme le souligne le Conseil d'État, qui indique très clairement que de cette garantie dépend l'attractivité du rescrit. L'exemple du crédit impôt-recherche est spontanément cité, comme le souligne le Conseil d'État et comme peuvent le confirmer les sénateurs de votre Délégation à la suite de leurs déplacements à la rencontre des entreprises.
b) L'inspection du travail : de la sanction au conseil
Cette ambivalence sur le rôle de l'administration à l'égard des entreprises, entre sanction et conseil, est ressentie de manière particulièrement forte concernant l'inspection du travail.
L'article 28 du projet de loi apporte un éclairage intéressant. D'un côté, le Gouvernement met en évidence le rôle de conseil de l'inspection, qui est appelée à se développer 18 ( * ) . De l'autre, les témoignages des chefs d'entreprises sont unanimes : l'administration, et en particulier l'inspection du travail, favorise une logique de sanction, de recherche de la faute commise, et de suspicion systématique à l'égard de l'employeur. C'est ce qu'ont dit tous les entrepreneurs implantés à la fois en France et au Royaume-Uni, ceux auditionnés lors des travaux de la Délégation sur l'apprentissage, ou plus globalement les chefs d'entreprises rencontrés lors des déplacements en région. Une société de conseil ayant répondu au questionnaire de la Délégation évoque les difficultés rencontrées par le TPE et PME, « avec une administration tatillonne et non bienveillante, basée sur le contrôle et la suspicion plutôt que la coopération ».
Pourtant, d'après le rapport de la Direction générale du travail sur l'inspection du travail en 2013, sur 294 000 interventions, 2 % seulement donneraient lieu à des procès-verbaux et 72 % déboucheraient sur des lettres d'observations. On en déduit que, même dans ces lettres, l'administration aurait tendance à placer les employeurs concernés dans une position de faute. En tout état de cause, elles induisent une charge de travail administratif importante pour les intéressés devant apporter des éléments de réponse souvent extrêmement précis.
Devant de telles remontées du terrain, il apparaît urgent de promouvoir une administration réellement au service des entreprises, c'est-à-dire faisant une priorité de la mission de conseil. C'est pourquoi votre Délégation estime nécessaire de modifier le code du travail pour compléter la disposition relative aux prérogatives des inspecteurs du travail (article L. 8112-1). Il s'agirait d'y inscrire que ces inspecteurs « fournissent des informations et des conseils techniques aux employeurs et aux salariés », ce qui est expressément prévu par l'article 3 de la convention n° 81 de l'Organisation internationale du travail relative aux inspections du travail . ( Proposition n°4)
* 15 La Fédération Syntec regroupe des syndicats professionnels spécialisés dans les professions de l'ingénierie, du numérique, des études et du conseil, de la formation professionnelle et de l'événementiel. Elle est adhérente au MEDEF.
* 16 Expressément.
* 17 Ont également été codifiés à cet article les rescrits relatifs à l'application des régimes d'amortissement dérogatoires et d'allègements d'impôts en faveur des entreprises nouvelles et des entreprises implantées en zone franche urbaine, aux dépenses éligibles au crédit d'impôt recherche, à l'application du régime dérogatoire propre aux jeunes entreprises innovantes ou aux entreprises de recherche et développement en pôle de compétitivité, etc. Quatre autres rescrits fiscaux s'ajoutent à ceux énumérés à l'article L.80B et le rescrit fiscal a été étendu aux droits des douanes nationaux en 2005.
* 18 Étude d'impact, p. 255.